samedi, 03 septembre 2016
Pierre-Antoine, l'autre Cousteau
Chronique de livre : Jean-Pierre Cousteau « Pierre-Antoine, l'autre Cousteau »
Jean-Pierre Cousteau, Pierre-Antoine, l'autre Cousteau
(Via Romana, 2016)
Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com
Figure souvent oubliée ou négligée du combat de plume mené sous l'Occupation, Pierre-Antoine Cousteau -ou PAC- (1906-1958), le frère aîné du célèbre commandant Cousteau (d'où le titre : l'autre Cousteau) méritait d'être remis à l'honneur. Si plusieurs publications récentes (son Proust digest ou le recueil d'articles de Je Suis Partout que j'avais chroniqué en ces pages) ont permis de redonner une certaine actualité à ce talentueux et louable combattant qui fut « le plus grand polémiste de sa génération » selon certains, il nous manquait à son sujet une biographie en bonne et due forme venant compléter l'étude de Benoît Loeuillet consacrée au parcours journalistique de PAC entre 1932 et 1944 et qui avait paru il y a une bonne dizaine d'années maintenant.
Ecrite par son fils, Jean-Pierre Cousteau, la présente biographie se base sur un corpus de documents souvent inédits, à savoir la correspondance de PAC (avec sa femme lorsqu'il était détenu mais pas seulement) et son journal de prison (Intra muros, qui devrait être publié prochainement pour la première fois). Si l'auteur s'efforce de rester objectif quant au parcours et aux choix de son père, son témoignage est évidemment emprunt d'amour filial mais aussi d'une certaine fierté exprimée très élégamment. Et il peut être fier : PAC n'était pas n'importe qui !
Esprit vif et alerte dès son plus jeune âge, cultivant la liberté de pensée, PAC ne faisait pas partie des tièdes. C'était un homme d'engagement, ne pouvant se résoudre à rester silencieux en une période qu'il savait fondamentale pour l'avenir de l'Europe. Pacifiste depuis toujours mais abusivement présenté comme un horrible « nazi français », PAC l'inclassable (« anarchiste de droite et de gauche » selon son fils) paya comme tant d'autres le prix fort pour avoir été un ennemi implacable de la démocratie parlementaire et du communisme...
Rien ne le prédisposait pourtant à un tel destin... Ni sa famille, ni son parcours scolaire, ni même ses premières idées politiques très à gauche. Devenu journaliste au début des années 1930, il se fait vite remarquer par la qualité de ses écrits et embrasse la cause fasciste auprès de Pierre Gaxotte qui le fait rejoindre le fameux journal Je Suis Partout. PAC y vécut une véritable aventure de presse marquée par des amitiés qui le suivront toute sa vie (Brasillach, Soupault... mais surtout Rebatet) et un engagement sans faille pour une France régénérée au sein d'une nouvelle Europe. Très critique envers Vichy, Laval, Luchaire et même Abetz, PAC fait figure de dur au sein du petit monde de la collaboration jusqu'à ce que les événements de 1944 le poussent à fuir en Allemagne puis en Autriche. Arrêté fin 1945 par la police française, il est condamné à mort. Comme on le sait, PAC ne connaîtra pas le sort qui fut réservé à Brasillach. Il passera 8 ans en prison, ayant finalement été gracié -au même titre que Rebatet et d'autres- par Vincent Auriol. Dernier journaliste « collaborateur » à être libéré en France, il sortira affaibli de cette longue épreuve et sera terrassé par la maladie en 1958, à seulement 52 ans.
La particularité du livre de Jean-Pierre Cousteau est qu'il fait la part belle aux huit années de prison que subit son père. Ce dernier, dans les écrits mentionnés plus haut, fait état de son quotidien de prisonnier, de ses occupations (le sport mais surtout la lecture et l'écriture) mais aussi de ses pensées les plus profondes sur son parcours, la vie, son époque etc. Je me suis délecté de ces nombreuses pages de réflexion d'un homme libre (par l'esprit) ne se plaignant jamais de son sort et qui regarde de haut la comédie humaine et sa petitesse. Voici par exemple ce que PAC écrivit le 9 juin 1953, peu avant sa sortie de prison :
« Ce n'est pas parce que je refuse toute valeur à la loi du nombre érigée en système de gouvernement qu'il faut méconnaître les indications du suffrage universel. Le système est déplorable pour l'administration de la chose publique. Mais il est précieux (…) dans la mesure où il permet de savoir ce que veut une nation. Elle se juge à son choix. Les peuples « asservis » ont le bénéfice du doute. Pas les peuples démocratiques. Les Français ont trop montré qu'ils préféraient à quiconque Herriot, Blum, Auriol, Bidault, Moch et Teitgen pour qu'il soit possible de s'obstiner à les estimer. »
Servies par un style d'écriture savoureux, une grande intelligence et souvent même par un humour très fin, ces pages permettent de mieux comprendre ce personnage perdu dans une période si vile de l'histoire contemporaine (la « libération » et tout ce qui a suivi). Bien évidemment, les événements liés à l'épuration sauvage de notre pays sont souvent évoqués alors que lui croupit derrière les barreaux. PAC constate à quel point les vainqueurs et leur simulacre de justice salissent ceux qui ont cru dans un autre modèle pour l'Europe :
« Le sadisme des « épurateurs » consiste justement à créer cette confusion en mélangeant sous l'étiquette « collaborateurs » les adversaires politiques et les simples fripouilles dont il aurait fallu de toute façon se débarrasser même si la guerre avait tourné autrement. »
Feignant de s'étonner des horreurs de l'épuration, « effroyable explosion de bestialité », il ironise sur le silence des « belles âmes » de son temps :
« Elles n'ont rien su, rien vu, rien entendu. Elles ont ignoré que dans les villes de France on promenait sur les places publiques des femmes tondues, nues, marquées au fer rouge. Elles ont ignoré que dans toutes les prisons de France, on suppliciait des détenus ramassés au petit bonheur, avec des raffinements de férocité qui font paraître dérisoire la science des bourreaux chinois. (…) pour rien, pour le plaisir. »
Vomissant la faiblesse et la tiédeur (Mais pourquoi avoir choisi Franz-Olivier Giesbert pour préfacer le livre ? PAC en aurait été horrifié!), PAC était de cette race d'hommes faisant passer l'honneur avant tout. Il se tint toute sa vie la tête haute et paya fort cher (que ce soit à un niveau personnel ou familial) cette vertu. Vouloir combattre pour ses idées, ne pas se taire face à la décadence de son temps, il en avait fait sa raison de vivre. « Je n'ai à me justifier devant personne. Une seule chose était inconcevablement déshonorante, c'était de ne pas prendre parti. » disait-il... Oui, PAC a souhaité la victoire de l'Allemagne nationale-socialiste, « la dernière chance de l'homme blanc ». C'était logique pour lui et il s'en expliqua longuement lors de son procès, en 1946. « Epouvanté par la décadence de la France » ayant mené à la débâcle de 1940, persuadé que le libéralisme économique avait fait son temps et que seule l'option du socialisme national était désormais possible, PAC considérait qu'il n'y avait que cette solution qui aurait permis à la France de rester elle-même et d'aller de l'avant. Pacifiste, son antisémitisme se voulait avant tout une réaction à la déclaration de guerre des communautés juives du monde entier envers le IIIe Reich dès 1933.
Pierre-Antoine, l'autre Cousteau est complété de riches annexes où l'on trouvera plusieurs articles de PAC écrits dans les dernières années de sa vie pour Rivarol ou d'autres publications. C'est une excellente initiative ! Le livre se termine d'ailleurs par le superbe et émouvant « Testament et tombeau de PAC » publié par Lucien Rebatet peu après la mort de son ami. Je ne résiste pas à l'envie d'en reproduire les dernières lignes :
« Nous ne pouvons, hélas ! Ni remplacer PAC ni l'imiter. Il est irremplaçable et inimitable. Il ne nous reste qu'à poursuivre notre tâche de notre mieux. Quand bien même nous serions recrus de dégoût et de lassitude devant les bassesses et la monotonie de la lutte politique, la disparition de Cousteau nous fait un devoir de persévérer. Nous le lui avons tous promis. Je sais que ce fut une de ses dernières satisfactions. Peut-il exister promesse plus sacrée que celle faite à un tel combattant ? »
Rüdiger / C.N.C.
Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.
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