Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 07 octobre 2024

De Theodor Herzl au sionisme contemporain

Theodor-Herzl-1320x880.jpg

De Theodor Herzl au sionisme contemporain

Par Robert Steuckers

Jean Mabire, me dit-on, était fasciné par les « éveilleurs de peuple », Grundvigt, Petöfi, Pearse, etc. Par l’Abbé Cyriel Verschaeve mais aussi par le personnage juif viennois Theodor Herzl qui a lancé l’idée d’un retour à une terre pour les populations juives d’Europe centrale et orientale, et, au départ, ce n’était pas nécessairement la Palestine alors sous administration ottomane. Examinons d’abord le contexte dans lequel Herzl a évolué à Vienne à la fin du 19ème siècle : c’est tout d’abord le fameux « mouvement des nationalités » qui a animé toute l’Europe depuis l’effondrement des projets napoléoniens suite à la campagne désastreuse de Russie et à la bataille de Waterloo. L’émancipation par les idées universalistes des Lumières et de la révolution française ne fait plus recette. Les peuples entendent se libérer en adoptant des valeurs qui leur sont propres, dans des territoires matriciels, légués par leurs ancêtres, organisés par le droit coutumier (et non plus par les codes dérivés de l’idéologie des Lumières). Herzl nait dès lors dans un monde juif, travaillé lui aussi par les idées du « mouvement des nationalités ». Des penseurs juifs comme Léon Pinsker et Moses Hess ont pensé, sans succès, l’émancipation juive, l’hypothèse sioniste et la problématique des langues à adopter bien avant Herzl, de loin leur cadet.

hof19-0165_0001.jpg

Moses Hess, né à Bonn en 1812, sera d’abord un compagnon de route de Karl Marx et de Friedrich Engels, les accompagnera dans leurs exils à Bruxelles puis à Paris. Il sera un théoricien du socialisme qui finira toutefois par critiquer l’idée marxienne de la « lutte des classes » pour le remplacer par la « lutte des peuples » voire la « lutte des races ». Hess, conscient que les populations juives ne seront jamais pleinement acceptées en Europe, théorisera un socialisme, non plus basé sur les idées révolutionnaires habituelles, mais sur des fondements scientifiques, biologiques, qui conduisent à rejeter l’universalisme, introuvable si on adopte une démarche scientifique, et à explorer les particularités réelles, tangibles, concrètes de chaque population. Pour ses lecteurs juifs, ce recours aux particularités ethniques (ou ethno-religieuses) implique une ré-immersion dans le judaïsme traditionnel. Hess développera toutefois un système de pensée plus complexe : le judaïsme est une « nationalité » (biologique) avant d’être une religion ; le modèle à suivre est celui du Risorgimento italien de Mazzini, parce que l’unification italienne confirme le primat de la nationalité sur les entités étatiques jugées par lui obsolètes, parce que dominées par l’étranger ou par des dynasties ; le judaïsme d’avant-garde mêlera, selon Hess, socialisme (national) et aspiration à la construction d’un Etat propre « sur la terre des pères » et, en attendant, les juifs peuvent, s’ils le souhaitent, se replier sur l’orthodoxie religieuse pour conserver leur identité profonde, tout en rejetant le « judaïsme réformiste » et libéral, lié aux idéaux éthérés des Lumières.

Brockhaus_and_Efron_Jewish_Encyclopedia_e12_526-0-e1508748493165.jpg

Léon Pinsker, né en 1821 en Pologne russe, était médecin de profession. Son engagement intellectuel fut profondément influencé par l’antisémitisme pogromiste russe qui sévissait au 19ème siècle, surtout après l’attentat qui coûta la vie au Tsar Alexandre II, émancipateur des paysans et conquérant de l’Asie centrale. La violence des pogroms et la judéophobie (qu’il perçoit comme une maladie psychique héréditaire, perceptible dans toute l’Europe et pas seulement en Russie) le conduisent à rejeter le judaïsme assimilationniste et humaniste du mouvement libéral Haskala au profit d’une vision « auto-émancipatrice » qui réclamera l’avènement d’un « Etat juif » quelque part dans le monde. Ses idées trouveront un cénacle, en Roumanie et à Odessa, qui les discutera et cherchera à les faire avancer dans les esprits, le Chovevei Zion ou Chibbat Zion qui rejoindra les « Congrès sionistes » lancés par Herzl et sera dissous par les Bolchéviques dès qu’ils arriveront au pouvoir.

Telles sont les racines majeures du sionisme (il y en a d’autres) avant l’entrée en scène du personnage qui nous intéresse au premier plan aujourd’hui. Les ambitions du jeune Theodor Herzl étaient, au départ, de devenir un « écrivain allemand », auteur de pièces de théâtre populaires. Il se décarcassera de toutes les façons pour promouvoir ses œuvres et les faire jouer par les théâtres allemands et autrichiens : il ne connaîtra qu’un succès très mitigé. Il déménage en France en 1891 où il exerce la fonction de correspondant à Paris du quotidien viennois Die Neue Freie Presse. Mais le contexte social et politique, qu’il observe dans la capitale française en tant que journaliste politique, le force à réfléchir sur sa judéité : en 1892, le marquis de Morès, lors d’un meeting antisémite, « réclame l’expulsion de Rothschild de la Banque de France » et « l’interdiction aux étrangers et aux Juifs du sol français ». En même temps, le journal La libre parole d’Edouard Drumont, lancé en 1892, publie une série d’articles, signés « Lamasse », dénonçant « l’influence juive dans l’armée ». Drumont est provoqué en duel et est blessé. Pour le venger, le marquis de Morès défie le témoin adverse, le Capitaine Armand Mayer, qui sera mortellement blessé lors du duel. Tels furent les prémisses de l’affaire Dreyfus. Le ministre de la guerre, Charles de Freycinet, fustige la volonté des antisémites de dresser les officiers les uns contre les autres pour des raisons d’ordre confessionnels. Mais les admonestations du ministre ne diminuent pas la virulence antisémite qui secoue la France de l’époque. Drumont redouble de zèle, accuse les députés d’être soudoyés par Alphonse de Rothschild. Le député radical Auguste Burdeau le traîne en justice et c’est Théodor Herzl qui couvre le procès pour son journal viennois. Ensuite, la même année, le procès du scandale de Panama, suscite à nouveau les passions (antisémites) : la « Compagnie du Canal de Panama » a fait faillite en dépit du prestige de Ferdinand de Lesseps (artisan du Canal de Suez). L’ingénieur et son fils sont cités devant les tribunaux parisiens, de même que les financiers Jacques de Reinach et Cornélius Herz (naturalisé américain). Les deux banquiers sont de confession israélite. Herzl assiste au procès pour le compte de son quotidien. Drumont dénonce la corruption de nombreux parlementaires. C’est là que tout va basculer : Herzl constate que si aucun des administrateurs de la Compagnie n’est juif, la présence des deux banquiers de confession mosaïque déclenche la fureur des actionnaires floués et des masses.

M0212_AG-2006-12-38-U.jpg

_'_La_libre_parole_[...]_btv1b53185308d.JPEG

Il prendra ainsi conscience de sa judéité et abandonnera progressivement ses vues assimilationnistes, propres aux Juifs libéraux. Il hésite toutefois à se convertir, lui et ses enfants, pour échapper à la vindicte antisémite. Mais il ne franchit pas le pas : « J’offenserai mon père par cela » et « on ne doit pas abandonner le judaïsme quand il est attaqué ». La conversion totale est impossible, constate-t-il. Drumont est donc en quelque sorte le déclencheur de ce mouvement sioniste qui réussira finalement, le sionisme antérieur, balbutiant, n’étant qu’un jeu intellectuel, propre à quelques rêveurs lettrés que les Juifs de base, tant en Europe centrale et orientale qu’en France ou ailleurs en Occident, ne comprennent guère. A l’ouvrage pamphlétaire de Drumont, Le Testament d’un antisémite (1891), et à celui du boulangiste Gabriel Terrail (alias « Mermeix »), Les antisémites en France, Herzl estime qu’il faut apporter une réponse et, en même temps, trouver une solution originale à l’antisémitisme qu’ils propagent dans le public.  Herzl estime, suite à sa lecture attentive de la presse antisémite française, que les cataclysmes, que l’antisémitisme peut provoquer, seront finalement un « rude mais bonne épreuve ».

Freies_Blatt_1892.jpg

En janvier 1893, Regina Friedlander propose à Herzl de diriger le journal Das Freie Blatt, organe de la ligue autrichienne contre l’antisémitisme. Il va toutefois décliner cette offre car, écrit son biographe Rozenblum (cf. infra), « il ne croit pas à l’efficacité des sempiternelles protestations contre les déchaînements antisémites ». Que faire alors ? Se fondre dans le peuple par le truchement de la conversion ? L’idée le stimule un moment. Avec le baron Leitenberger, de la ligue autrichienne contre l’antisémitisme, il concocte le plan d’aller trouver le pape pour lui demander d’aider les Juifs contre la hargne qui les poursuit partout, en échange de lancer, au sein de toutes les communautés israélites, un vaste plan pour pousser les Juifs à la conversion au christianisme.

Wenzl_Weis_-_Karl_Lueger,_1897.jpg

Les événements, qui se succèdent à un rythme effréné, le distraient encore du projet sioniste qu’il rumine en ses heures creuses. Ainsi, à la fin de l’été 1894, après avoir couvert le procès de l’anarchiste italien Sante Caserio qui avait poignardé à mort le Président de la République, Sadi Carnot, il retourne pour quelques semaines de vacances à Vienne. Dans la capitale de l’empire austro-hongrois, l’antisémitisme fait également recette : le maire de la ville, Karl Lüger, avait surfé sur la judéophobie latente du petit peuple viennois, déclenchant, dans la foulée, une série d’incidents et d’agressions hostiles à des personnalités juives dont Nothnagel, président de la ligue contre l’antisémitisme. Lüger, qui fut, au début de sa carrière, l’avocat des pauvres, avait été élu trois fois maire de Vienne sans obtenir l’aval de l’empereur. Sous pression du Pape Léon XIII, Lüger, qui se définissait comme « chrétien-social », finit par être nommé bourgmestre de la capitale autrichienne, qu’il gouvernera de main de maître, tout en lançant des projets urbanistiques grandioses qui ne furent que partiellement réalisés car la Grande Guerre rétrogradera la métropole impériale au rang de capitale d’un petit Etat alpin enclavé. Antisémite avéré qui fustigeait à la fois les banquiers, les immigrants juifs miséreux venus des ghettos du monde slave et les journalistes critiques de sa politique (étiquetés « juifs de l’encrier » / « Tintenjuden »), Lüger était parfaitement et machiavéliquement conscient de la portée de ses discours : il percevait l’antisémitisme comme un excellent tremplin électoral, comme une stratégie d’agitation efficace et comme un « sport aimé de la populace » (« Pöbelsport »).

19573073298.jpg

La double expérience de Herzl, la parisienne et la viennoise, confirment ses sentiments et ses appréhensions. Cela l’amène à commencer une longue enquête journalistique sur l’histoire des communautés juives en Russie, en Galicie (province austro-hongroise à l’époque), en Bohème et en Hongrie. Conclusion : « Les Juifs sont sortis matériellement du ghetto, mais l’enceinte de celui-ci continue de clôturer leur esprit. Le ghetto n’existe plus, mais il subsiste dans les mentalités ». Il tente de lancer une nouvelle pièce de théâtre, justement intitulée Le Ghetto, qui devra amorcer dans les esprits (juifs) une « politique juive ». Les thèmes qui ont mûri dans sa tête tourmentée apparaissent dans la pièce : l’idée d’une conversion personnelle ou collective est rejetée et les personnages explicitent sa pensée en phase de germination ; ainsi, le personnage du Rabbin Friedheimer s’exprime dans la pièce : « Nous jouissons de la protection des lois. Il est vrai qu’on nous regarde de nouveau de travers, comme autrefois, quand nous vivions dans le ghetto, mais les murailles n’en sont pas moins tombées ». Friedheimer plaide toutefois pour un judaïsme rabbinique et traditionnel et en chante les vertus, disparues ou du moins édulcorée depuis la grande vague d’émancipation. Le personnage Samuel Jacob, lui, cherche une solution autre, est conscient que le ghetto générait des « vices », qu’il déplore. Il veut le quitter ce ghetto, le visible comme l’invisible et meurt dans un duel, tué par son adversaire, un hobereau prussien. La pièce déplait car Herzl n’y aurait pas mis assez de personnages juifs sympathiques. Il le justifie par sa misanthropie viscérale.

Vient ensuite l’affaire Dreyfus, qui porte l’antisémitisme français au pinacle. La politique d’assimilation révolutionnaire, née en 1789, a fait faillite. Une fois de plus, c’est Drumont qui conforte Herzl dans ses convictions : dans un article de La libre parole, il appelle les Juifs « à retourner en Orient ». Dans le cadre de cette « affaire Dreyfus », Herzl rencontre Alphonse Daudet, antisémite, avec qui il a toutefois une discussion amicale. Daudet le dissuade d’écrire qui soit un enquête sur la condition juive mais plutôt un ouvrage qui ressemblerait à La case de l’Oncle Tom. La suggestion fait mouche chez Herzl. Il entend dès lors écrire un livre où, rappelle son biographe Rozenblum, « il ne s’agirait plus de susciter la compassion mais d’agir », de « ne plus retracer un itinéraire individuel mais de suggérer un projet collectif ». Pour étayer son projet, il va s’adresser au Baron Moritz de Hirsch, riche banquier philanthrope qui a fait fortune dans le financement des chemins de fer dans les Balkans, en Russie et en Turquie. Hirsch finance la formation professionnelle et technique de jeunes juifs de Galicie et de Bukovine, plus tard de Russie, appelés à émigrer dans le Nouveau Monde, notamment en Argentine, pour y fonder des colonies agricoles. Les adeptes de la société Hovevei Zion plaide pour l’envoi de ces jeunes émigrants en Palestine mais Hirsch refuse car il se doute bien que le Sultan ottoman ne cèdera en rien. Edmond de Rothschild, en revanche, finance les colonies juives de Palestine. Herzl constate que les colonies d’Argentine et du Brésil ne suscitent guère d’enthousiasme et demande audience à Hirsch pour lui expliquer son projet car « c’est avec des idées à la fois simples et extraordinaires qu’on touche les hommes ».  

Barão Hirsch 01.jpg

Herzl, face à son interlocuteur, n’y a pas été avec le dos de la cuiller. Véhément, il décrit le projet généreux du Baron Hirsch comme « complètement nuisible » car les bénéficiaires de sa philanthropie ne sont que des « mendiants » (des « Schnorer ») qui ne survivent dans leurs lointaines colonies sud-américaines ou canadiennes que grâce à sa générosité. L’entrevue avec Hirsch dévoile un trait de caractère de Herzl qui ne s’était jusque-là jamais manifesté : l’exaltation. Le petit dramaturge sans grand succès, le journaliste modéré, le juif timide qui avait envisagé de se convertir pour échapper aux fureurs antisémites, devient le plaideur enflammé qui veut convaincre des milliardaires, des diplomates et des ministres (et même le Kaiser !) à accepter l’idée d’une émigration générale des Juifs vers une « terre promise », afin qu’ils n’aient plus à subir un antisémitisme indéracinable. L’idée lui est venue de convoquer « un congrès juif international « afin d’insuffler de l’enthousiasme à un peuple peureux et démoralisé ». Herzl veut « éveiller ». Il entend s’adresser à de jeunes professionnels juifs ne trouvant pas d’emploi (pour diverses raisons dont l’antisémitisme) et dès lors déchus en un « prolétariat intellectuel » : « C’est avec eux », écrit Herzl, « que je formerai l’Etat-major et les cadres de l’armée destinée à repérer, à reconnaître et à édifier le futur pays ».

00118557th.jpg

C’est à Munich, dans les chambres du fameux Hôtel des Quatre Saisons (où siègera plus tard la Société Thulé !), que se tiendront de longues discussions entre Herzl, d’une part, le Rabbin Moritz Güdemann et le banquier berlinois Heinrich Meyer-Cohn, d’autre part, suite auxquelles le livre programmatique de Herzl commencera à s’esquisser. Le rabbin et le banquier sont tous deux très sceptiques et constatent qu’ils ont affaire à un exalté. Mais Herzl convaincra vaguement le rabbin, qui se ravisera, à défaut d’emporter l’enthousiasme du banquier berlinois. Rabbi Güdemann conseille alors à Herzl de lire un roman d’un utopiste juif, Theodor Hertzka, natif, lui aussi, de Pest en Hongrie. Ce roman s’intitule Eine Reise nach Freiland (« Un voyage au pays de la liberté »), édité en 1883 à Leipzig. Ce pamphlet, suivi d’un autre édité à Dresde en 1890 (Freiland, ein soziales Zukunftsbild / Pays de la liberté, une vision sociale de l’avenir) évoque des phalanstères agricoles formées d’hommes libres vivant d’une propriété collective. Préfiguration des kibboutzim, bien évidemment. Mais les tentatives d’appliquer les idées utopiques de Hertzka au Kenya, colonie britannique, ont tourné au fiasco. Herzl apporte des corrections à ce plan phalanstérien qui apparaissent plus rationnelles et donc plus réalisables. Il a conscience que son projet ne peut en rien relever de l’utopie mais du droit et de l’économie. Infatigable commis voyageur de sa propre idée, Herzl rencontre le Français Narcisse Leven, vice-président de l’Alliance israélite universelle, qui demeure aussi sceptique que Güdemann, mais lui donne quelques conseils : contacter le grand rabbin de France Zadoc Kahn, le colonel anglais Albert Goldsmid (qui a voulu affréter des bateaux pour reconquérir la Palestine) et surtout de lire les travaux de Léon Pinsker (cf. supra).

DE_Herzl_Judenstaat_01.jpg

Finalement, Herzl écrit son livre, Der Judenstaat, dont un résumé, avant publication, paraîtra à Londres dans les colonnes de Jewish Chronicle, le 17 janvier 1896. Le lendemain, la maison d’éditions viennoise Breitenstein accepte le manuscrit. L’idée sioniste est née, elle fera son chemin. Un journaliste viennois, Alexander Scharf, tente de le retenir : « Vous êtes un second Christ qui fera beaucoup de mal aux Juifs (…). Si j’étais Rothschild et si je ne savais qu’on ne peut vous acheter, je vous offrirais cinq millions pour ne pas publier votre pamphlet. Ou je vous ferais assassiner car vous allez causer un dommage irréparable ». Le 14 février 1896, Herzl apprend que les 500 premiers exemplaires des 3000 copies prévues sont mises en vente. Sa réaction ? « Maintenant ma vie prend peut-être un tournant ».

La parution de l’ouvrage ouvre la voie à l’organisation des premiers « Congrès sionistes » : Bâle (1897, 1898, 1899, 1901 et 1903), Londres (1900). Dès le premier congrès de Bâle en 1897, l’organisation sioniste mondiale est créée. Le 2 novembre 1898, Herzl est reçu en audience par le Kaiser à Jérusalem mais l’empereur Hohenzollern ne veut en aucun cas créer une rupture diplomatique avec les Ottomans. En 1899 se crée à Londres le Jewish Colonial Trust Limited, visant, à terme, à créer, dans l’esprit du sionisme naissant, des colonies juives dans des territoires sous tutelle britannique. Après la mort de Herzl, le 7ème Congrès sioniste de Bâle, rejette la proposition anglaise d’offrir un territoire aux Juifs en Afrique de l’Est. En 1903, une commission d’enquête envisage, mais sans lendemain, de fixer un peuplement juif au Sinaï.

Felix_Bonfils_Jerusalem_Wall.jpg

A partir de 1905, le second retour des juifs selon l’historiographie sioniste a lieu. Le premier s’était déroulé après 1881, soit après l’assassinat du Tsar Alexandre II par des nihilistes russes, adeptes du révolutionnaire radical Netchaïev (avec le soutien des services anglais ? On peut avancer l’hypothèse). Cette première migration vers les vilayets ottomans de Palestine était composée de sionistes avant la lettre, animés surtout par l’idée socialiste, souvent utopique. La seconde, de 1905, fait suite à la révolution avortée, déclenchée après la défaite russe face au Japon, soutenu à l’époque par les puissances anglo-saxonnes. Elle est essentiellement le fait de révolutionnaires radicaux issus des shetls (communautés) de l’empire tsariste, de cette vaste région comprenant la Biélorussie et l’Ukraine actuelles que l’on appelle parfois le Yiddishland. La troisième migration juive vers la Palestine viendra après la révolution bolchévique de 1917 et la guerre civile russe qui s’ensuivit : elle comprenait certes d’autres éléments sociaux-révolutionnaires mais aussi des mencheviks et des éléments de droite qui donneront naissance à la droite sioniste, puis à la droite israélienne, dont le théoricien principal fut Vladimir Zeev Jabotinsky, originaire de la communauté juive d’Odessa, italianiste de bon niveau et admirateur du fascisme italien, officier britannique dans la Jewish Legion pendant la première guerre mondiale et churchillien fascistoïde pendant l’entre-deux-guerres. La cinquième grande migration amène, après 1933 et 1938, des juifs de langue allemande qui quittent le Reich après la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes et l’Autriche et la Bohème-Moravie après l’Anschluss et l’annexion du pays des Sudètes. La sixième émigration a suivi la deuxième guerre mondiale et permis la création de l’Etat d’Israël.

mark-sykes-001.jpg

Après la mort de Theodor Herzl, survenue le 3 juillet 1904 en Basse-Autriche, on constate, en dépit de la fidélité de bon nombre de Juifs d’Allemagne au Reich de Guillaume II, un tropisme pro-britannique dans les milieux sionistes, avant et pendant la première guerre mondiale, à mettre en parallèle à un tropisme pro-sioniste au sein de l’élite anglaise, frottée à une idéologie bibliste induite par le protestantisme puritain.  Ainsi, Philipp Kerr, directeur de l’influente revue impérialiste britannique Round Table, influence le diplomate Mark Sykes, qui est à l’origine des accords dits « Sykes-Picot » de 1916, Picot étant son homologue français.  Sykes était ce que l’on peut appeler un « bibliste sioniste » anglais, rêvant de redonner aux Juifs le territoire qu’ils avaient perdu suite aux révoltes des années 70 et 135 contre l’empire romain, révoltes qui, selon le récit sioniste, avaient provoqué la dispersion des Juifs dans le monde méditerranéen, en Mésopotamie et ailleurs. Le raisonnement de Kerr est purement géopolitique et prend le relais de projets jadis encore confus d’intervention anglaise en Méditerranée orientale. L’une d’entre elle avait été couronnée de succès : le soutien aux Ottomans contre les Russes, les Bulgares et les Roumains avait permis de s’emparer de Chypre en 1878, afin de disposer d’une base proche du Canal de Suez, porte vers les Indes, creusé en 1869. En 1882, alliés singuliers des Ottomans auxquels ils taillent de sérieuses croupières sans coup férir, les Britanniques obtiennent le protectorat sur l’Egypte qui avait été rebelle depuis Mehmet Ali, ôtant à la France toute opportunité de contrôler à son profit la zone du Canal. La Palestine, si elle est judaïsée, serait un atout supplémentaire de l’empire dans cette région hautement stratégique.

indexbalf.jpg

Pour Kerr, une Palestine judaïsée et sous tutelle britannique constituerait « une charnière entre trois continents » (Europe, Asie, Afrique), au point névralgique qui permet de surveiller la route vers les Indes. Pour le Sultan ottoman, qui craint, à juste titre, les visées russes sur les détroits et le soutien apporté par Saint-Pétersbourg aux Slaves révoltés des Balkans ottomans, l’accueil des réfugiés juifs « proto-sionistes » représente un apport de populations hostiles à la Russie pogromiste, ainsi que des cadres potentiels (médecins, ingénieurs) pour son empire moribond (« l’homme malade du Bosphore » selon Bismarck). La première réaction arabe-palestinienne, d’ampleur toutefois modeste, date d’avant le livre-manifeste de Herzl : de l’année 1891.

Les efforts de Kerr et de Sykes conduisent à la fameuse « Déclaration Balfour », du nom du ministre britannique qui l’a émise. Balfour promet aux sionistes la création d’un « foyer juif en Palestine », ce qui est différent de la promesse d’un « Etat juif », tel que formulé dans le livre de Herzl. Mais les Britanniques jouent sur deux tableaux : ils soutiennent simultanément les Hachémites du nord de la péninsule arabique et les sionistes engagés dans la Jewish Legion où servait le futur fascisant Vladimir Zeev Jabotinsky. Les Hachémites recevront les trônes d’Irak et de Jordanie (de Transjordanie dans le vocabulaire de l’empire britannique pendant l’entre-deux-guerres) mais n’obtiendront rien des Français en Syrie qui opteront pour un mandat à l’enseigne de l’idéologie républicaine, laïque et maçonnique qui entraînera la violente révolte druze entre 1925 et 1928. A Versailles, les Britanniques obtiennent un mandat sur l’Irak, la Transjordanie et la Palestine, tandis que les Français exercent leur propre mandat sur le Liban et sur une Syrie amputée en ultime instance de la région de Kirkouk et de Mossoul parce que les Anglais y avaient découvert des gisements de pétrole. Le sionisme est rapidement devenu un instrument de l’impérialisme britannique, en dépit de l’hostilité à l’Angleterre que cultiveront certains maximalistes à partir de 1931 (cf. infra).

6180303219_534a414bb4_h.jpg

Dans la Palestine mandataire, les Britanniques vont tenter de faire cohabiter les Arabes palestiniens et les immigrants juifs venus pour l’essentiel d’Europe centrale et orientale. Les révoltes arabes, soutenue par le jeune Mufti de Jérusalem se succèdent, de même que les représailles sionistes : les troupes britanniques doivent maintenir l’ordre. Sous l’impulsion de Vladimir Zeev Jabotinsky, officier britannique finalement loyal, s’organise alors le « sionisme militarisé ». Pour éviter des troubles aux abords du Canal de Suez et des puits de pétrole irakiens, les Britanniques, sans pour autant abandonner leur idée d’un « foyer juif en Palestine » vont limiter l’immigration juive dans le territoire de leur mandat. En 1939, un « Papier blanc », émanant du Foreign Office, limite l’immigration à 75.000 âmes pendant les cinq années à venir, en dépit des innombrables candidatures juives à l’émigration hors d’une Europe centrale sous contrôle national-socialiste. Simultanément, les autorités britanniques mettent un frein au zèle potentiel des sionistes en restreignant l’accès des Juifs à la propriété foncière en Palestine mandataire.

La militarisation du sionisme commence très tôt : dès 1920, les immigrants juifs de Palestine forment la Haganah, ou Irgun Haganah (= « Organisation de Défense »). En 1931, les maximalistes sionistes se séparent de cette organisation pour former l’Irgun dont les objectifs ne sont plus de contenir l’agressivité des foules arabes mais d’opter pour une politique plus agressive, en opposition à un sionisme social-démocrate ou communisant plus conciliant à l’égard des Arabes et de la puissance mandataire. Un de leurs chefs fera carrière : Menahem Begin. Mais la politique pourtant musclée de l’Irgun ne fait pas longtemps l’unanimité : en 1940, alors que le Royaume-Uni est en guerre avec l’Allemagne et l’Italie, une fraction plus radicale encore fait sécession, le Lehi que les Anglais nommeront le « Stern Gang » ou le « gang à Stern », du nom son principal activiste, Avraham Stern, qui entend combattre frontalement les troupes britanniques stationnées en Palestine et en Transjordanie, tout en demandant l’aide de l’Italie mussolinienne et de l’Allemagne hitlérienne ! Stern est abattu sans autre forme de procès par les policiers britanniques en 1942.

640px-Avraham_Stern.jpg

La mort de Stern ne met pas un terme à l’hostilité des « sionistes militarisés », inspirés par les théories de l’IRA irlandaise de Michael Collins, envers Londres. En mai 1941, se constitue le Palmach, organisation de combat regroupant 2000 hommes et femmes bien déterminés. Plus prudents que Stern et son Lehi, les militants du Palmach se bornent à quelques opérations coups de poing contre la présence britannique, tout en continuant une guerre d’usure contre la population palestinienne, annonçant l’expulsion des Arabes en 1947-48, que les Palestiniens nomment la Nakba (ou « catastrophe »). Dès le 10 octobre 1945, le Palmach reprend les hostilités en attaquant le camp de détention pour immigrants juifs clandestins d’Atlit, libérant 200 détenus qui rejoignent évidemment ses rangs.

nordau-max.jpg

L’idéologie du « sionisme militarisé » ne provient pas de Herzl, utopiste exalté, mais de Max Nordau et de Vladimir Z. Jabotinsky. Max Nordau, également natif de Pest en Hongrie, avait organisé le premier congrès sioniste de Bâle avec Herzl en 1897. Il deviendra l’une des principales chevilles ouvrières des congrès ultérieurs. Orateur apprécié, il théorise l’abandon de la posture du « juif nerveux » ou « juif talmudique », être purement intellectuel, pour favoriser l’avènement, via le sionisme, d’un « juif de muscles » qui doit s’inspirer des principes hébertistes français ou des « sociétés de gymnastique » de l’Allemand Jahn (à l’époque napoléonienne dans le cadre de la nouvelle armée prussienne de 1813). Ceux qui le suivent fondent alors la société de gymnastique viennoise, l’Hakoah. Dans un premier temps, Nordau (de son vrai nom Maximilian Simon Südfeld), n’était pas nécessairement favorable à l’établissement des futurs émigrants sionistes en Palestine : il avait montré son intérêt pour le plan britannique d’installer les colonies sionistes en Ouganda. Le 19 décembre 1903 à Paris, un maximaliste, favorable à l’installation des Juifs en Palestine, Chaim Selig Louban, jeune juif de Russie, tire deux balles de revolver dans sa direction mais le rate. Sujet autrichien, il doit quitter dare-dare la France dès la déclaration de guerre en 1914 et se réfugie à Madrid. Après la guerre, il s’installe à Londres où il fait la connaissance de Chaim Weizmann, qu’il avait avant-guerre critiqué pour ses positions modérées, et de Vladimir Z. Jabotinsky. Jusqu’à sa mort en 1923, Nordau défendra des idées radicales, plus proches du futur national-socialisme que de la social-démocratie professée par la plupart des intellectuels juifs non communistes. Social-darwiniste, il défend le colonialisme européen et admet, en radicalisant Moses Hess (cf. supra), le bien fondé des théories raciales en vogue à son époque. Lecteur des ouvrages de l’Italien Cesare Lombroso, il développe, dans son sillage, une théorie intéressante sur la « dégénérescence », phénomène mortifère qui s’est révélé dans la littérature dès la fin du 19ème siècle et qui annonce, à terme, pour les décennies à venir, une catastrophe sans précédent pour la civilisation européenne. Les phénomènes de dégénérescence vont s’amplifier et provoquer la mort de nos cultures. Nordau évoque aussi le « parasitisme » et l’ « illusionnisme », maux dont souffre l’humanité, et qui doivent être vaincus par le savoir factuel et les principes social-darwinistes de solidarité (et non pas de lutte de tous contre tous).

Zhabotinsky-Vladimir.jpg

download-26-3-300x441.jpg

Jabotinsky a été son disciple, lui qui réclamait la constitution, en Palestine, d’un « mur de fer fait de baïonnette juives » contre les autochtones arabes. Il fait la connaissance de Herzl lors du sixième congrès sioniste, alors qu’à proximité de sa ville natale d’Odessa, un pogrom a lieu à Chisinau en Moldavie. Jabotinsky deviendra le porte-parole des Juifs de Russie en butte aux dérapages des foules dans l’empire des Tsars.  Actif dans l’empire ottoman, où les Juifs sépharades bien intégrés ne se soucient guère de l’idée sioniste, il passe ensuite en Egypte au service des Britanniques qui, en 1917, permettront la création de la Jewish Legion, au sein de laquelle il commandera une compagnie et participera à des combats dans la vallée du Jourdain. Déçu par les réticences britanniques à conserver des unités entièrement juives en Palestine mandataire, il crée le mouvement de jeunesse du Bétar et fonde le mouvement des « sionistes révisionnistes ». Le terme « révisionniste » désigne ici un maximalisme radical, hostile non pas tant au mandat britannique (Jabotinsky reste loyal au pays qui lui a donné le grade de capitaine en son armée) mais à la politique modérée de Weizmann et des gauches sionistes de Palestine. Par exemple, Jabotinsky entend étendre le territoire du futur « Etat juif » aux deux rives du Jourdain, ce que Weizmann juge totalement irréaliste. Jabotinsky rejette également le projet du sioniste Chaim Arlosoroff (1899-1933) qui avait conduit aux accords dits « Ha’avara » avec les nouvelles autorités nationales-socialistes, qui auraient permis aux Juifs d’Allemagne d’émigrer en Palestine tout en y favorisant l’importation de produits industriels allemands. A son retour d’Allemagne, Arlosoroff est assassiné.

char.jpg

Petit à petit, sa fidélité initiale à ses patrons britanniques s’estompera et il prendra le commandement de l’Irgun, où militait Menahem Begin qui sera son successeur, après son décès fortuit aux Etats-Unis, où il cherchait à recruter des combattants juifs pour la cause sioniste.

Après la guerre sionisto-britannique qui fit rage en Palestine entre 1945 et 1948, l’Etat d’Israël est créé et fut gouverné jusqu’en 1977 par des majorités sociales-démocrates (« travaillistes »). En 1977, Menahem Begin accède au pouvoir suite à la victoire de la droite israélienne, rassemblée dans le Likoud. Ce fut la victoire posthume de Nordau et de Jabotinsky. Le sionisme le plus radical prend le gouvernail en Israël. Mais cette victoire des droites israéliennes qui connaîtra de multiples avatars, avec des dissidences religieuses souvent encore plus radicales, induit un certain nombre d’intellectuels et d’historiens israéliens à critiquer le narratif sioniste, devenu doctrine d’Etat.

51eltCeLkzL.jpg

51yX8VoaSDL._AC_SY780_.jpg

Benny Morris, Colin Shindler, Ilan Pappé et Shlomo Sand (francophone et par ailleurs spécialiste de Georges Sorel) sont les principales figures du mouvement que l’on appelle désormais « post-sioniste ». Pour eux, le sionisme est une construction idéologique arbitraire où certains intellectuels juifs du 19ème siècle ont cherché à imiter les nationalistes européens en imaginant une « essence de la judaïté » comme il y avait une « essence de la germanité » chez les post-romantiques allemands ou de la « russéité » chez les slavophiles russes. Shlomo Sand explique que cette essence est imaginée au départ du récit de Flavius Josèphe, écrivain latin de l’antiquité romaine, qui avait décrit l’exil des Juifs après la destruction du temple par les légions de Titus. Le récit sioniste évoque une Judée martyre et, par suite, un « peuple judéen » dispersé dans le monde antique qui résumerait entièrement le fait juif. Sand, en explorant l’histoire de la Palestine antique, démontre qu’il y avait une judaïté « hasmonéenne » hellénisée puis romanisée qui pratiquait la conversion forcée de tribus sémitiques voisines et ne pratiquait pas un monothéisme rigoureux. Cette population hasmonéenne n’a pas été dispersée. Ensuite, au-delà de l’école post-sioniste, la thèse d’Arthur Koestler sur la 13ème tribu tend à accréditer, suite à une conversion de masse, l’origine khazare de nombreux Juifs de Russie et d’Ukraine dont les ancêtres n’ont jamais vécu dans la Judée romaine. Une guerre culturelle sévit donc en Israël entre tenants du récit sioniste et historiens post-sionistes.

40064.HR.jpg

s-l1600.jpg

Le sionisme a donc bel et bien été un instrument de l’empire britannique d’abord, de l’impérialisme américain ensuite, isolant le peuplement juif au Proche-Orient et le posant comme ennemi de tous les Etats arabes de la région. Israël a donc, de ce fait, une position que le célèbre historien anglais Arnold J. Toynbee qualifiait d’ « hérodienne », c’est-à-dire non sioniste selon le narratif sioniste, dans la mesure où les Hérodiens juifs de l’antiquité, hellénisés, romanisés et alliés de l’empire romain, s’alignaient sur la géopolitique implicite d’un empire situé à l’Ouest de la Méditerranée, comme le sera aussi l’empire britannique du début du 19ème siècle à 1956 (lors de l’affaire de Suez) et le seront ensuite les Etats-Unis qui, d’après l’historien et géopolitologue Luttwak se posent comme les continuateurs de la géopolitique romaine dans le bassin oriental de la Méditerranée, tout en sachant que les Romains puis les Byzantins avaient pour objectif d’empêcher l’empire perse, parthe ou sassanide de déboucher sur le littoral de la Grande Bleue.

La critique du sionisme doit immanquablement passer par une étude des travaux des historiens israéliens de l’école post-sioniste, très sévères à l’endroit de la « Nakba » subie par les Palestiniens en 1948. Sinon toute critique de ce filon idéologique juif risque bien de ne reposer que sur des slogans, des dérapages antisémites sans fondements, donnant raison, rétrospectivement, à Léon Pinsker qui les qualifiait de « maladies mentales incurables ».

Bibliographie :

Alain BOYER, Les origines du sionisme, PUF, Paris, 1988.

Franco CARDINI, Lawrence d’Arabia, Sellerio Editore, Palermo, 2019.

Maurice-Ruben HAYOUN, Le judaïsme moderne, PUF, 1989.

Serge-Allain ROZENBLUM, Theodor Herzl – Biographie, Kiron/Editions du Félin, Paris, 2001.

Shlomo SAND, Les mots et la terre – Les intellectuels en Israël, Champs/Flammarion, Paris, 2010.

Colin SHINDLER, The Triumph of Military Zionism – Nationalism and the Origins of the Israeli Right, I. B. Tauris, London, 2010.

Richard WILLIS, « The Hebrew Insurgency », in : History Today, Vol. 72, Issue 6, June 2022.

16:40 Publié dans Histoire, Judaica | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : histoire, palestine, israël, sionisme, postsionisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 06 mars 2015

Book Reviews from http://www.atimes.com

   

livres, pacifisme, bellicisme, bellicisme américain, bellicisme pakistanais, postsionisme, sionisme, ilan pappe, israël, puritanisme, politique internationale, géopolitique, califat, islam, islamisme, palestine, monde arabe, monde arabo-musulman, états-unis, pakistan, asie, affaires asiatiques,

Book Reviews from http://www.atimes.com

To read full review, click on title

  Pakistan's proclivity for war
The Warrior State: Pakistan in the Contemporary World
by T V Paul

Author T V Paul adds to the numerous unflattering descriptions of Pakistan with his depiction of a "warrior state" whose security forces have outgrown all other institutions and activities and where radical Islamization and its attendant obscurantism have been the consequences of state policy. His explanation for why this continues is elaborate and thought-provoking. - Ehsan Ahrari (Jul 28, '14)

 

  The US-Pakistan ties that bind
No Exit from Pakistan: America's Tortured Relationship with Islamabad by Daniel S Markey

The author argues that even as Pakistanis grow increasingly hostile to the United States', America's interests in South Asia, Central Asia and the Middle East mean that Washington can ill-afford to disengage from Pakistan. Maneuvers by the Obama administration such as managing anti-Americanism sentiment by keeping a lower profile ring true with the policy prescriptions presented, yet the book suffers in places from simplistic reasoning. - Majid Mahmood (Jun 20, '14)

 

  US stuck between dispensability and decline
Dispensable Nation: American Foreign Policy in Retreat
by Vali Nasr


While offering a harsh critique of the President Barack Obama's policies in Afghanistan, Pakistan, and across the Arab World, the author argues that the United States is not declining. This ignores that while the United States became an "indispensable nation" by implementing its stimulating post-World War II vision, it has failed since to develop a comparable vision for the future that is both realistic and doable.
- Ehsan M Ahrari (Jun 13, '14)

 

  A struggle against Israeli soft power
The Battle for Justice in Palestine by Ali Abunimah

The author believes the Palestinian struggle will benefit from a growing awareness of Israeli actions brought about by a "boycott, divestment, and sanctions movement" similar to that which increased international isolation of apartheid-era South Africa. One of the more interesting parts of the work is its exploration of how neoliberal economic patterns have been imposed on Palestine. - Jim Miles (Jun 6, '14)

 

  Re-imagining the caliphate
The Inevitable Caliphate? A History of the Struggle for Global Islamic Union, 1924 to the Present by Reza Pankhurst

A forceful and authoritative attempt at elevating debate over the Islamic caliphate beyond Western elitist perceptions of extremism and radicalization, this book offers a clear-sighted analysis of the movements that have placed the caliphate at center of their revivalist discourse. The book's biggest flaw is arguably the author's reductionist approach toward the potential constituency of the caliphate.
- Mahan Abedin (May 23, '14)

 

  Keeping peace with total war
To Make and Keep Peace Among Ourselves and With All Nations by Angelo M Codevilla

White Anglo-Saxon Protestant interpretations of history are central to the argument this book propounds: that the US needs constant, decisive warfare to ensure its own interests and security. While the thesis suffers because the author fails to recognize that a Washington focused on maintaining control doesn't share his populist values, it offers useful insights into the thinking of the American conservative right. - Jim Miles (May 16, '14)

 

  Shaking the pillars of Israel's history
The Idea of Israel - A History of Power and Knowledge by Ilan Pappe

This exploration of how Israel shaped a historic narrative to create a sense of nationhood and political direction recounts the attacks on historians in the 1990s who challenged the traditional Zionist discourse. The takeaway from this complex book is that issues surrounding the manipulation of victimhood have the potential to erode the foundations that the modern state is built on. - Jim Miles (May 2, '14)

 
 
 

jeudi, 02 février 2012

Ilan Pappé, historien postsioniste: juge et vengeur

Markus BRANDSTETTER
Ilan Pappé, historien postsioniste: juge et vengeur

Ilan Pappe.jpgLe philosophe juif-allemand Theodor Lessing publiait en 1930 son fameux ouvrage “Der jüdische Selbsthass” (= “La haine de soi chez les Juifs”). Dans ce livre, il nommait le critique Karl Kraus et le désignait comme “l’exemple le plus patent de la haine de soi chez les Juifs” et aussi comme “le vengeur et le juge de notre temps”, dont il “comprenait profondément et sanctionnait” “la voie vers le combat”.

Ce sont là des mots qui attestent d’une admiration certaine, quoique pleine d’amertume, et d’une reconnaissance qui relève du défi: aujourd’hui, mutatis mutandis, ces mêmes paroles peuvent être dites de l’historien et publiciste Ilan Pappé. En effet, peu d’autres intellectuels israéliens provoquent autant la controverse que le fait Pappé. Les uns tiennent cet auteur du livre, aujourd’hui disponible en allemand, “Der Kampf um die akademische Freiheit in Israel” (= “Le combat pour la liberté académique en Israël”), pour un humaniste et un adepte de l’idéal des Lumières qui dévoile au grand jour la vérité, celle qui constate qu’Israël, en dépit de ses dissimulations et de ses maquillages, a bel et bien expulsé les Palestiniens par la violence en 1948-49. Pour d’autres, il est un vilain oiseau qui souille son propre nid, un prédicateur de marché et un idéologue qui n’hésite jamais à détourner la vérité si cela lui permet de jeter le discrédit sur Israël.

Le grand thème des recherches de Pappé est l’expulsion de près de 800.000 Palestiniens en 1948. Cette catastrophe, il la considère comme une “épuration ethnique” dans son ouvrage “The Ethnic Cleansing of Palestine” (= “L’épuration ethnique en Palestine”), qui était paru en 2006 et avait aussitôt soulevé et l’admiration et la polémique. En toute conscience, Pappé classe cette “épuration ethnique” de la Palestine dans le voisinage direct de la pratique génocidaire et du crime contre l’humanité. La polémique survient surtout parce que Pappé ne se borne pas à émettre une hypothèse de départ, qu’il confronte ensuite aux faits historiques; non, notre homme pose sa vérité dès le départ: les hommes politiques et les commandants militaires d’Israël, de même que les simples soldats et policiers, ont tous été, sans exception, des assassins et des criminels. Dans les travaux de Pappé tout ce qui est israélien est mauvais et méchant, tout ce qui est palestinien est inoffensif et bon.

Pappé n’a pas toujours eu une position aussi tranchée. Après ses études à Jérusalem et son doctorat à Oxford, cet intellectuel, né en 1954 à Haïfa, s’est fait un nom au sein du groupe dit des “nouveaux historiens”, aréopage regroupant des historiens israéliens qui, avec virulence, mettaient en doute les “mythes créateurs” de leur Etat. Tandis que les cinq autres membres du groupe finissaient tous par considérer que la fondation de l’Etat d’Israël participait d’un acte d’auto-affirmation du peuple juif au Proche Orient, dans un environnement hostile (justifiant plus ou moins l’expulsion par la violence des Arabes), Pappé a été le seul à attribuer à l’Etat hébreu en gestation des intentions malignes et cela, dès le départ.

Il a défendu ses positions de manière offensive et, de plus, veut les traduire dans l’orbe de la politique concrète. C’est la raison qui l’a poussé, en 1999, à se porter candidat aux élections de la Knesset sur les listes du Khadach socialiste. Il n’a pas été élu. Simultanément, il en appelait au boycott d’Israël, ce qui lui a coûté son capital de sympathie puis, en bout de course, ses chaires académiques. Mais ces persécutions ne sont pas venues à bout de l’entêtement de Pappé: il dirige aujourd’hui le “Centre Européen pour les Etudes Palestiniennes” à l’Université d’Exeter en Angleterre.

Markus BRANDSTETTER.
(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°5/2012; http://www.jungefreiheit.de ).

samedi, 18 décembre 2010

Entretien avec l'historien israélien Shlomo Sand

Shlomo-Sand.jpg

Archives - 2008

Entretien avec l'historien israélien Shlomo Sand: "Le peuple juif n'existe pas"

Ex: http://www.egaliteetreconciliation.fr 

En Israël, où il a été publié au printemps, le livre a trouvé un excellent écho du côté des journalistes, et notamment auprès du quotidien Haaretz. Un accueil qui n’a que peu surpris Shlomo Sand. « Plus que les gens de gauche et les orthodoxes, qui ont plutôt un regard bienveillant sur mon travail, affirme-t-il, mon livre va déranger ces juifs qui vivent à Paris, à New York, et pensent que l’Etat d’Israël leur appartient davantage qu’à mon collègue arabe israélien. »

Pourquoi avoir choisi ce titre, qui sonne comme une provocation ?

Au début je craignais un peu cet effet provocant mais, en fait, le titre reflète parfaitement le contenu de mon livre. Et puis, je crois que ce n’est pas le seul cas d’invention d’un peuple. Je pense par exemple qu’à la fin du XIXe siècle, on a inventé le peuple français. Le peuple français n’existe pas en tant que tel depuis plus de 500 ans, comme on a alors essayé de le faire croire.

Le peuple juif, c’est encore plus compliqué, parce qu’on le considère comme un peuple très ancien, qui a cheminé de par le monde pendant 2000 ans, avant de retourner chez lui. Je crois au contraire que le peuple juif a été inventé.

Quand je dis peuple juif, j’utilise le sens moderne du mot peuple. Quand on évoque aujourd’hui le peuple français, on parle d’une communauté qui a une langue commune, des pratiques, des normes culturelles et laïques communes. Donc je ne pense pas que l’on puisse dire qu’il y a un peuple juif au sens moderne du terme. Je ne crois pas qu’il y a 500 ans, les juifs de Kiev et ceux de Marrakech avaient ces pratiques, ces normes culturelles communes. Ils avaient une chose importante en commun : une croyance, une foi commune, des rituels religieux communs. Mais si les seules affinités entre des groupes humains sont de nature religieuse, j’appelle cela une communauté religieuse et non un peuple.

Est-ce que vous savez par exemple que durant le Moyen Age, on a utilisé l’expression « peuple chrétien » ? Pourtant, aujourd’hui, aucun historien ne parlerait de « peuple chrétien ». Avec la même logique, je ne pense pas qu’on puisse parler de peuple juif.

Je ne le pense pas en outre parce que les origines historiques des juifs sont très variées. Je ne crois pas en effet que les juifs ont été exilés par les Romains en l’an 70.

Je me souviens, il y a quelques années, alors que je m’interrogeais sur l’histoire du judaïsme, d’avoir ressenti un véritable choc : tout le monde est d’avis que l’exil du peuple juif est l’élément fondateur de l’histoire du judaïsme, et pourtant, cela paraît incroyable, mais il n’y a pas un livre de recherche consacré à cet exil. Il est pourtant considéré comme l’« événement » qui a créé la diaspora, l’exil permanent de 2000 ans. Rendez-vous compte : tout le monde « sait » que le peuple juif a été exilé mais personne n’a fait de recherche, ou n’a en tout cas écrit un livre pour faire savoir si c’est vrai ou non.

Avec mes recherches, j’ai découvert que c’est dans le patrimoine spirituel chrétien, au IIIe siècle, que le mythe du déracinement et de l’expulsion a été entretenu, avant d’infiltrer plus tard la tradition juive. Et que le judaïsme n’adopte cette notion d’exil permanent.

L’instrumentalisation de la mémoire

Sur ce point, vous évoquez dans votre ouvrage la notion de « mémoire greffée ».

 

 

 

« Greffée » est un mot un peu fort. Mais vous savez, si vous et moi n’étions pas allés à l’école, nous ne connaîtrions pas l’existence de Louis XVI. Pour parler de la Révolution française, cette mémoire des noms de Danton et de Robespierre, vous ne l’avez pas reçue spontanément mais dans une structure, à l’école, dans le cadre d’un savoir que quelqu’un a créé et organisé pour vous le transmettre. Quelqu’un a décidé que vous deviez connaître x et pas y. Je ne trouve pas cela forcément critiquable. Chaque mémoire collective est une mémoire greffée, dans le sens où quelqu’un a décidé de la transmettre à d’autres.

Je ne parle pas ici de conspiration mais c’est cela l’éducation moderne. C’est-à-dire que ce n’est pas quelque chose qui coule de père en fils. La mémoire greffée, c’est la mémoire que l’éducation nationale a décidé que vous deviez recevoir.

Si vous aviez vécu en France dans les années 50, en tant qu’écolier, que lycéen, vous auriez su très peu de chose sur la Shoah. En revanche, dans les années 90, chaque lycéen a une notion de ce qu’est la Shoah. Mémoire greffée n’implique donc pas qu’il s’agisse nécessairement d’un mensonge.

Vous dites néanmoins que les autorités israéliennes ont « greffé » une mémoire pour justifier l’existence d’Israël.

Il faut comprendre que transmettre une mémoire, créer une mémoire, ou façonner une mémoire, une conscience du passé, cela a pour finalité d’être instrumentalisé, dans le sens où cela doit servir un intérêt, particulier ou collectif. Chaque mémoire collective, étatique, nationale, est instrumentalisée. Même la mémoire personnelle, qui est certes beaucoup plus spontanée et qui ne peut pas être dominée aussi facilement, est instrumentalisée : vous faites une bêtise, cela rentre dans votre expérience, et vous ne refaites pas la même. Toute mémoire nationale est instrumentalisée. Car sinon, pourquoi la mémoriserait-on ?

Le point central des mémoires nationales, c’est qu’elles sont instrumentalisées pour servir la nation. En tant qu’historien, je pense que la nation est une invention très moderne. Je ne crois pas qu’il y a 500 ans, il y avait une nation française. Et il n’y avait pas de nation juive. Donc je crois que ceux qui ont voulu façonner une nation juive israélienne ont commencé par réfléchir sur ce passé, en l’instrumentalisant pour faire émerger une dimension de continuité.

Dans le cas du sionisme, il fallait s’investir lourdement car il fallait acquérir une terre qui ne nous appartenait pas. Il fallait une histoire forte, une légitimité historique. Mais au final, cela demeure absurde.

Il y a dix ans, je n’avais pas ces idées, ce savoir que j’ai mis dans ce livre. Mais comme citoyen israélien je trouvais déjà fou que quelqu’un qui était sur une terre il y a deux mille ans puisse prétendre avoir des droits historiques sur cette même terre. Ou alors il faudrait faire sortir tous les Blancs des Etats-Unis, faire rentrer les Arabes en Espagne, etc. Je ne pensais pas que j’eusse, moi, juif israélien, un droit historique sur la terre de Palestine. Après tout, pourquoi deux mille ans oui et mille non ?

Mais je pensais cependant que j’appartenais à ce peuple, parti il y a deux mille ans, qui a erré, erré... qui est arrivé à Moscou, a fait demi-tour et est rentré chez lui. En faisant ce livre, je me suis rendu compte que cela aussi, c’était un mythe, qui est devenu une légende.

D’un point de vue politique cependant, ce livre n’est pas très radical. Je n’essaie pas de détruire l’Etat d’Israël. J’affirme que la légitimité idéologique et historique sur laquelle se fonde aujourd’hui l’existence d’Israël est fausse.

« Il n’y a pas de droit historique des juifs sur la terre de Palestine »

Vous citez néanmoins Arthur Koestler, qui disait à propos de son ouvrage La Treizième Tribu : « Je n’ignore pas qu’on pourrait l’interpréter [le livre] avec malveillance comme une négation du droit à l’existence de l’Etat d’Israël. » Cette remarque ne s’applique-t-elle pas à votre livre ?

 

 

 

Certes. Vous savez, j’essaie d’être un historien mais je suis aussi un citoyen, et un homme qui pense politiquement. D’un point de vue historique, je vous dis aussi : non, il n’y a pas de droit historique des juifs sur la terre de Palestine, qu’ils soient de Jérusalem ou d’ailleurs.

Mais je dis aussi, d’un point de vue plus politique : vous ne pouvez réparer une tragédie en créant une autre tragédie. Nier l’existence d’Israël, cela veut dire préparer une nouvelle tragédie pour les juifs israéliens. Il y a des processus historiques que l’on ne peut pas changer.

On ne peut donc pas éliminer Israël par la force mais on peut changer Israël. Une chose est importante : pour donner la chance à Israël d’exister, la condition est double : réparer, dans la mesure du possible, la tragédie palestinienne. Et créer en Israël un Etat démocratique. Le minimum pour définir un Etat démocratique est de dire qu’il appartient à l’ensemble de ses citoyens. C’est la base : on ne dira jamais par exemple que l’Etat français appartient uniquement aux catholiques.

L’Etat d’Israël se définit pourtant comme l’Etat du peuple juif. Pour vous donner un exemple, ça veut dire que l’Etat d’Israël appartient davantage à Alain Finkielkraut, citoyen français, qu’à un collègue qui travaille avec moi à l’université de Tel-Aviv, qui est originaire de Nazareth, qui est citoyen israélien mais qui est arabe. Lui ne peut pas se définir comme juif, donc l’Etat d’Israël ne lui appartient pas. Mais il est israélien, point. Il ne devrait pas être contraint de chanter un hymne national qui contient les paroles « Nous les juifs ». La vérité, c’est qu’il n’a pas d’Etat.

On doit davantage parler de ce problème de démocratie, pour espérer conserver l’Etat Israël. Pas parce qu’il serait éternel, mais parce qu’il existe, même s’il existe mal. Cette existence crée de facto le doit des juifs israéliens de vivre là-bas. Mais pas d’être raciste, et ségrégationniste : cet Etat n’a pas le droit d’exister comme ça.

D’un autre côté, je demande à tout le monde, aux pays arabes et aux Palestiniens de reconnaître l’Etat d’Israël. Mais seulement l’Etat des Israéliens, pas l’Etat des juifs !

Les tragédies d’hier ne vous donnent pas le droit d’opprimer un peuple aujourd’hui. Je crois que la Shoah, les pogroms, que tout ce qu’ont subi les juifs au XXe siècle nous donne droit à une exception : que l’Etat d’Israël demeure, et continue à offrir un refuge pour les juifs qui sont pourchassés à cause de leurs origines ou de leur foi. Mais dans le même temps, Israël doit devenir l’Etat de ses citoyens. Et pas celui d’Alain Finkielkraut, qui demeure toutefois le bienvenu s’il se sent menacé, bien sûr.

Dans la suite de la citation d’Arthur Koestler que vous proposez, celui-ci justifie l’existence de l’Etat d’Israël en ces termes : « Mais ce droit n’est pas fondé sur les origines hypothétiques des juifs ni sur l’alliance mythologique entre Abraham et Dieu ; il est fondé sur la législation internationale, et précisément sur la décision prise par les Nations unies en 1947. »

Ce que vous dites, vous, c’est qu’en 1947, l’ONU s’est trompée ?

Pas exactement. Peut-être le partage des terres était-il injuste : il y avait 1,3 million de Palestiniens et 600.000 juifs, et pourtant on a fait moitié-moitié. Plus juste aurait été pour vous donner un exemple, et élargir nos horizons, de créer un Etat juif... aux Sudètes. En 1945, les Tchèques ont chassé 3 millions d’Allemands des Sudètes, qui sont restées « vides » quelques mois. Le plus juste aurait été de donner les Sudètes à tous les réfugiés juifs en Europe. Pourquoi aller ennuyer une population qui n’avait rien à voir avec la tragédie juive ? Les Palestiniens n’étaient pas coupables de ce que les Européens avaient fait. Si quelqu’un avait dû payer le prix de la tragédie, ça aurait dû être les Européens, et évidemment les Allemands. Mais pas les Palestiniens.

En outre, il faut bien voir qu’en 1947, ceux qui ont voté pour la création de l’Etat juif n’ont pas pensé que la définition pour y être accepté serait aussi exclusive, c’est-à-dire nécessairement avoir une mère juive. On était au lendemain de la Shoah, l’idée était simplement d’offrir un refuge.

Une « victoire » de Hitler ?

Dans votre livre, vous posez la question suivante : « Les juifs seraient-ils unis et distingués par les "liens" de sang ? », avant d’en conclure que « Hitler, écrasé militairement en 1945, aurait en fin de compte remporté la victoire au plan conceptuel et mental dans l’Etat "juif" ? » Qu’avez-vous essayé de démontrer ?

 

 

 

Vous savez, la majorité des Israéliens croient que, génétiquement, ils sont de la même origine. C’est absolument incroyable. C’est une victoire de Hitler. Lui a cherché au niveau du sang. Nous, nous parlons de gènes. Mais c’est pareil. C’est un cauchemar pour moi de vivre dans une société qui se définit, du point de vue de l’identité nationale, sur des bases biologiques. Hitler a gagné dans le sens où c’est lui qui a insufflé la croyance que les juifs sont une race, un « peuple-race ». Et trop de gens en Israël, trop de juifs, ici, à Paris, croient vraiment que les juifs sont un « peuple-race ». Il n’y a donc pas seulement les antisémites, il y a aussi ces juifs qui eux-mêmes se considèrent comme une race à part.

Dans mon livre, une chose importante que j’ai essayé de montrer est que, du point de vue historique, je dis bien historique, car je ne m’occupe pas ici de religion, les juifs ne sont pas des juifs. Ce sont des Berbères, des Arabes, des Français, des Gaulois, etc. J’ai essayé de montrer que cette vision essentialiste, profonde, que les sionistes partagent avec les antisémites, cette pensée qu’il y a une origine spéciale pour les juifs, cette pensée est fausse. Il y a au contraire une richesse extraordinaire, une diversité d’origines fabuleuse. J’ai essayé de montrer ça avec des matériaux historiques. Sur ce point, la politique a nourri mes recherches, de même que la recherche a nourri ma position politique.

Un de vos chapitres évoque à ce propos l’énigme que constituent pour vous les juifs d’Europe de l’Est.

Au début du XXe siècle, 80% des juifs dans le monde résidaient en Europe de l’Est. D’où viennent-ils ? Comment expliquer cette présence massive de juifs croyants en Europe de l’Est ? On ne peut pas expliquer cela par l’émigration de Palestine, ni de Rome, ni même d’Allemagne. Les premiers signes de l’existence des juifs en Europe datent du XIIIe siècle. Et justement, un peu avant, au XIIe siècle, le grand royaume de Khazar (judaïsé entre le VIIIe et le IXe siècle) a complètement disparu. Avec les grandes conquêtes mongoles, il est probable qu’une grande partie de cette population judaïsée a dû s’exiler. C’est un début d’explication.

L’histoire officielle sioniste affirme qu’ils ont émigré d’Allemagne. Mais en Allemagne, au XIIIe siècle, il y avait très peu de juifs. Comment se fait-il alors que, dès le XVIIe siècle, un demi-million de juifs résident en Europe de l’Est ? À partir de travaux historiques et linguistiques, j’ai essayé de montrer que l’origine des juifs d’Europe de l’Est n’est pas seulement due à une poussée démographique, comme on le dit aussi. Leur origine est khazar mais aussi slave. Car ce royaume de Khazar a dominé beaucoup de peuples slaves, et, à certaines époques, a adopté le yiddish, qui était la langue de la bourgeoisie germanique qui a existé en Lituanie, en Pologne, etc.

On en revient à la thèse de base de mon livre, un élément que j’ai essayé de démontrer, avec succès je pense : c’est qu’entre le IIe siècle av. J.-C. et le IIIe siècle apr. J.-C., le monothéisme juif était la première religion prosélyte. C’était quelque chose de parfaitement connu, notamment des spécialistes des religions de la fin du XIXe siècle, comme Ernest Renan.

À partir de la seconde partie du XXe siècle pourtant, on a tout « bloqué ». On croit tout d’un coup que le judaïsme a toujours été une religion fermée, comme une secte qui repousserait le converti. Ce n’est pas vrai, ce n’est pas juste du point de vue historique.

Zeev Sternhell, dans son livre célèbre Aux origines d’Israël, considère que le sionisme a évacué la dimension socialiste pour se résumer à une révolution nationale. Etes-vous d’accord avec lui ?

 

 

Le sionisme, c’est un mouvement national. Je ne dis pas que c’est bien, ou pas bien, car je ne suis pas anti-national. Ce n’est pas la nation qui a créé le sionisme, c’est l’inverse. Définir cela comme une révolution fonctionne du point de vue des individus, mais ne m’intéresse pas beaucoup. Parce que je me demandece qu’est une révolution. De plus, parler de révolution nationale en France, c’est un peu compliqué car ces termes étaient employés en 1940 pour désigner un phénomène historique pas très sympathique.

Quant à opposer révolution nationale et révolution socialiste au sein du sionisme, je ne crois pas que cela soit juste. Dès le début, le socialisme était un instrument très important pour réaliser le but national. Donc, ce n’est pas quelque chose qui, soudain, n’aurait plus fonctionné. Dès le début, l’idée de communautarisme, l’idée des kibboutz, a servi à une colonisation. C’est-à-dire que, dès le début, l’égalité n’était pas entre tous les êtres humains, l’égalité était seulement entre les juifs, qui colonisent une terre.

L’idée nationale, dans la modernité, a toujours dû être liée à une autre idée. En l’occurrence, pour le XXe siècle, la démocratie ou le socialisme. Tout le monde s’est servi des idées égalitaristes socio-économiques pour bâtir une nation. Le sionisme n’est pas exceptionnel en cela. On peut citer l’exemple du FLN algérien et de beaucoup d’autres mouvements du tiers-monde.

Le sionisme est exceptionnel uniquement parce que, pour se réaliser, il doit coloniser une terre.

 

lundi, 19 avril 2010

Les thèses postsionistes de Shlomo Sand sur "l'invention du peuple juif"

Robert STEUCKERS :

Les nouvelles thèses postsionistes de Shlomo Sand sur « l’invention du peuple juif »

 

Brève conférence prononcée à la tribune du « Cercle de Bruxelles », le 16 mars 2010

 

shlomosand_1240433954.jpgShlomo Sand, historien israélien attaché à l’Université de Tel Aviv, ancien étudiant de l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris, par ailleurs spécialiste de l’œuvre de Georges Sorel, a sorti en 2008 un ouvrage aux éditions Fayard, intitulé Comment le peuple juif fut inventé, dont la réception, d’abord timide, vient d’être « boostée » par la sortie de l’ouvrage en livre de poche, dans la collection « Champs » chez Flammarion, où vient également de sortir son volume précédent, datant de 2006 et intitulé Les mots et la terre – Les intellectuels en Israël. Ces deux livres sont de véritables pavés dans la mare, dans la mesure où ils bouleversent bien des idées reçues, des vérités propagandistes ou des certitudes religieuses, juives ou autres. Tout ouvrage secouant de la sorte autant de certitudes établies mérite évidemment la lecture. Mais une lecture, si possible, qui resitue la matière dans son contexte, dans le contexte de son éclosion au sein des débats qui animent depuis près d’un quart de siècle la scène intellectuelle israélienne, voire de la diaspora juive toute entière.

 

D’abord, et j’anticipe ici mon exposé qui sera prononcé bientôt à Genève pour le Cercle Proudhon, il me paraît nécessaire de redéfinir ce qu’est le sionisme et de le resituer dans le contexte de son émergence dans la diaspora du 19ième siècle et sur la terre palestinienne. Généralement, l’historiographie simpliste véhiculée par les médias et le monde journalistique nous campe un conflit binaire, opposant, d’une part, les protagonistes d’un intifada permanent et, d’autre part, une armée israélienne condamnée à perpétuité à des opérations musclées de maintien de l’ordre. Ce conflit binaire, où les uns comme les autres se parent de toutes les vertus et diabolisent leurs adversaires, n’est pas aussi schématique qu’on en est venu à le croire au fil de centaines sinon de milliers d’émissions télévisées qui ne brillent généralement pas par la profondeur de leurs analyses. Si le sionisme et le nationalisme palestinien sont aujourd’hui les forces les plus visibilisées du conflit israélo-arabe, on omet de tenir compte de bon nombre de facteurs qui ont pourtant contribué à sa genèse et qui influent encore et toujours, directement ou indirectement, sur son déroulement.

 

L’actuel conflit israélo-palestinien ne peut se comprendre dans sa plénitude que si l’on connaît bien toutes les étapes du développement de l’idéologie et de la pratique sionistes ; tous les aléas du nationalisme palestinien, lancé par le Mufti de Jérusalem à la fin des années 20 du 20ième siècle pour se poursuivre après 1948 avec la création du Fatah, avec les vicissitudes de son histoire et avec la création assez récente de son ennemi, le Hamas ; toutes les positions successives des multiples représentants de la dynastie hachémite, depuis leur engagement aux côtés de l’empire britannique pendant la première guerre mondiale avec le fameux Lawrence d’Arabie, avec les tentatives de Fayçal de se faire proclamer roi de Syrie en se heurtant aux Français dans les années 20, avec la politique des rois jordaniens, issus du même clan, en 1948 et face aux réfugiés palestiniens après le désastre arabe de juin 1967 ; toute l’évolution du nationalisme grand-syrien (dont le Mufti fut au départ un adepte), depuis la grande révolte des années 20 jusqu’aux positions d’Hafez El-Assad et de son successeur. On oublie généralement que la notion de Palestine était bien floue sous l’empire ottoman et qu’on parlait plutôt de vilayet et de sandjak de Damas ou de Jérusalem, englobant ces entités administratives de la Sublime Porte dans un ensemble grand-syrien, bien plus vaste dans ses dimensions.

 

Cinq vagues d’immigration juive en Palestine

 

Le sionisme va s’affirmer après cinq vagues d’immigrants juifs.

La première de ces vagues commence en 1881, immédiatement après l’assassinat du Tsar Alexandre II, qui déclenche, partout dans l’empire russe, des débordements antijuifs.

La seconde vague arrive après l’échec de la révolution russe de 1905, consécutive à l’effondrement de l’armée et de la marine russes face au Japon, nouvelle puissance dans la zone pacifique. Cette immigration de 1905 est fortement teintée de socialisme révolutionnaire et de marxisme. Elle tentera d’infléchir l’idéologie sioniste dans un sens socialiste, voudra faire d’une Palestine fortement judaïsée, par l’effet du Retour, un modèle de société idéale, un système de nouveaux phalanstères socialistes et égalitaires qu’aurait été le réseau des kibboutzim. Elle heurtera la sensibilité traditionnelle des habitants autochtones, musulmans, chrétiens et juifs (l’ancien peuplement, dit « Vieux Yishuv »), créant de la sorte les premiers ferments de l’hostilité que voueront et la population arabe musulmane/chrétienne et les traditionnalistes juifs à l’endroit des nouveaux immigrants.

La troisième vague arrive après la révolution russe de 1917 et compte, cette fois, bon nombre de non communistes, de libéraux voire de conservateurs dont certains se mueront, tendances de l’époque obligent, en nationalistes virulents.

La quatrième vague arrive après la prise du pouvoir en Allemagne par les nationaux-socialistes et lorsque l’attitude générale à l’endroit des juifs se détériorera dans des pays comme la Pologne, la Hongrie ou la Roumanie.

La cinquième vague arrive après 1945. On connaît l’épisode du navire « Exodus », dont on a tiré des films et qui fait désormais partie de la mythologie sioniste. Elle consiste essentiellement en « personnes déplacées » qui fuient surtout les systèmes soviétisés qui s’instaurent en Europe centrale et orientale.

 

Shlomo_Sand.jpgL’hétérogénéité relative de ces cinq vagues d’immigration en Palestine fait du sionisme une idéologie à facettes multiples. Certains historiens comptent jusqu’à une trentaine de nuances, exprimées par des partis, des groupes, des cénacles, etc. Grosso modo, pour faciliter la suite du présent exposé (qui n’est pas consacré au sionisme et à ses nuances), disons qu’émergent, dès la création de l’Etat d’Israël une gauche, incarnée par Ben Gourion et centrée autour du Mapai socialiste/travailliste. En théorie, cette gauche souhaite une fusion entre les immigrants juifs et les Arabes autochtones. Après 1948, cette fusion n’aura jamais lieu car personne ne la désirait vraiment : ni les immigrants juifs venus d’Europe et ayant vécu dans des Etats modernes, au style de vie très différent de celui des naturels du pays, ni les Arabes qui adoptent le « rejectionnisme » préconisé par le Mufti de Jérusalem. Cette gauche travailliste restera longtemps au pouvoir, jusqu’en 1977, lors de l’avènement d’une nouvelle coalition de droite, le Likoud, mené par Menahem Begin.  

 

Jabotinsky et l’émergence de la droite sioniste

 

Face à cette première gauche travailliste, qui s’est désintégrée progressivement, à coup de querelles et de scissions, au cours des années 70 après la guerre du Yom Kippour, une droite sioniste voit le jour dès les années 20, principalement sous l’impulsion d’un idéologue, très féru de littérature, surtout de littérature russe, Vladimir Jabotinsky, issu de la diaspora juive de Lituanie (Vilnius). Cet idéologue majeur de la première droite sioniste pose un constat que les historiens ont ultérieurement qualifié de « pessimiste ». Pour lui, la fusion judéo-palestinienne, annoncée à cors et à cris par la propagande des gauches sionistes, n’aura jamais lieu, en dépit des vœux pieux d’une gauche idéaliste, rousseauiste et phalanstérienne. Jabotinsky édulcorera son langage au fil des décennies, ne basculera jamais dans un extrémisme violent et demeurera toujours fidèle à l’alliance anglaise, contrairement à certains de ses fidèles, qui se détourneront de lui, et déclareront la guerre aux Anglais, pariant parfois sur une alliance tactique avec les futures puissances de l’Axe Rome/Berlin. Au sein de son mouvement, baptisé « révisionniste » dans les années 20 et 30 du 20ième siècle, parce qu’il « révisait » les positions du sionisme de gauche, émergera donc assez rapidement une scission, dite « maximaliste », portée par des figures plus aventurières telles Avraham Stern, qui préconisera, à l’instar de l’IRA irlandaise, la révolte générale contre la présence mandataire anglaise et finira assassiné par les services secrets britanniques, le 12 février 1942. Arrivé en Palestine dans les bagages de l’armée polonaise du Général Anders, Menahem Begin prend le relais de Stern et, autour d’une nouvelle structure, le LEHI, relance dès 1944  (donc avant la défaite finale de l’Axe !!) la lutte contre les Britanniques, encore en guerre contre les Allemands en Italie et en Normandie. L’inspiration du LEHI, dont Shamir faisait également partie, provient, comme celle de Stern, du nationalisme irlandais de Michael Collins et du terrorisme russe de la fin du 19ième siècle  (avec, en sus, d’autres sources, russes, polonaises, françaises/blanquistes, etc.). Ce qui étonne l’observateur européen actuel, habitué aux et abruti par les schémas véhiculés par les médias, c’est la proximité de cette droite sioniste avec les mouvements totalitaires allemands et italiens et les contacts qui ont eu lieu entre les services de ces pays et les militants sionistes de droite. Le sionisme actuel, en fait, ne peut pas se donner un brevet d’antifascisme pur ou même d’antinazisme, alors qu’il souhaite, officiellement, que la planète entière s’en donne un.  

 

L’idéologie postsioniste est née du choc ressenti par une bonne moitié de l’opinion publique israélienne lors de l’accession du cartel de Begin au pouvoir en 1977. La filiation idéologico-politique de Begin remonte au Betar, à l’Irgoun et au LEHI. Shamir, lui, était intimement lié au LEHI, successeur du Groupe Stern, inspiré par l’IRA et par la pratique des assassinats mise au point par Michael Collins (et dont procède également le dernier assassinat en règle commis, semble-t-il, par des agents du Mossad contre un leader du Hamas dans les Emirats). Pour l’opinion israélienne inféodée ou influencée par les travaillistes du Mapai, c’était comme si, en 1977, les « fascistes » ou les « terroristes » avaient pris le pouvoir en Israël. Certes, on ne parle pas de « fascisme » à l’endroit de Begin, Shamir et des autres likoudistes, mais de « sionisme militariste ».

 

L’arrivée au pouvoir du Likoud provoque un choc politique et moral

 

Toutes les questions posées par l’école postsioniste sont tributaires de ce choc politique et moral de voir arriver les anciens de l’Irgoun et du LEHI aux commandes d’un Etat qui aurait dû incarner et réaliser les aspirations utopiques des socialistes révolutionnaires russes du 19ième siècle. Les recherches de cette école ont commencé par un examen méticuleux des archives relatives aux événements de 1948, lors du heurt entre sionistes et armées arabes quelques mois avant la proclamation de l’Etat d’Israël. Pour l’école postsioniste, l’année 1948 ne se solde pas par la fuite de masses arabes palestiniennes, incitées par le Mufti et ses partisans à quitter leurs terres mais par une véritable épuration ethnique perpétrée par des maximalistes sionistes formant le noyau dur des milices juives de la Palestine mandataire, futurs cadres de l’armée israélienne. Dans un deuxième temps, les historiens postsionistes vont explorer l’univers mental et idéologique du Betar, du Groupe Stern et de l’Irgoun (ce sera la tâche principale de l’historien Colin Shindler, attaché à diverses universités anglaises). De cette manière, le passé occulté de Begin ou de Shamir a été mis en exergue. Le but était évidemment de leur nuire politiquement et de faire jouer le réflexe antifasciste pour, à terme, ramener la gauche du Mapai au pouvoir. Cette stratégie s’est montré infructueuse sur l’échiquier politique israélien car l’Etat hébreu vit désormais une alternance démocratique semblable à celle d’autres pays de la sphère occidentale. La tentative de déstabiliser la deuxième droite sioniste a permis l’éclosion d’une historiographie nouvelle qui, elle, déstabilise l’Etat tout entier, au point que des actions sont menées pour ôter la parole à certaines figures de proue du postsionisme universitaire, comme le professeur Ilan Pappe, qui, sous diverses pressions et menaces, n’a pas pu donner une leçon publique à une tribune académique de Munich au début de cette année 2010 (Ilan Pappe est l’auteur d’un livre récemment publié chez Fayard en traduction française sur l’épuration ethnique en Palestine en 1948 et l’auteur, auprès de la Cambridge University Press, d’un livre très érudit :  A History of Modern Palestine, 2006, 2nd ed.).  

 

Le postsionisme, très critique à l’égard de ce que l’on appelle désormais la « narration sioniste », s’est développé parallèlement à un retour offensif du quiétisme chez les religieux orthodoxes, dont les racines plongent dans le « Vieux Yishuv ». Pour éviter ainsi l’alliance des modérés du Mapai, attentifs aux recherches des historiens postsionistes, et des quiétistes religieux, qui gripperait la machine étatique et militaire de l’Etat hébreu, on a réanimé une force déjà présente en filigrane dans le cartel de Begin, celle d’un autre fondamentalisme ultra-orthodoxe juif, s’alignant lui, non sur le quiétisme du « Vieux Yishuv » mais sur une surenchère ultra-sioniste.

 

Une reprise des thèses de Koestler sur la « Treizième tribu »

 

Le postsionisme a en quelque sorte ouvert une boîte de Pandore : dans les milieux intellectuels israéliens, on assiste à une course à la surenchère dans la volonté de réfuter les mythes de l’histoire israélienne et juive. La seconde offensive du postsionisme ne s’attaque plus seulement aux mythes entourant l’année 1948, année de la fondation officielle de l’Etat d’Israël. Il remet en question, comme dans le livre de Shlomo Sand, la notion même de « peuple juif ». Pour les exposants de cet aspect-là du postsionisme, l’idée d’un « peuple juif » est pure fiction. En somme, cette veine du postsionisme reprend mutatis mutandis la fameuse thèse de la « treizième tribu », énoncée jadis par Arthur Koestler et qui avait fait grand scandale. Pour Koestler, le gros du peuple juif ne descendait pas des « Judéens », théoriquement chassés en 70 et en 135 par les Romains mais des Khazars, peuple turco-mongol installé entre Volga et Don et converti volontairement au judaïsme avant l’an 1000. La masse des juifs d’Europe orientale et surtout de l’empire russe descendrait en fait, non pas d’immigrants juifs venus de l’antique Judée, mais de ces masses de Khazars convertis. Le scandale apporté par ce livre de Koestler, pour les sionistes, vient surtout de l’impossibilité de justifier le mythe de l’Alya, du Retour à la terre des origines.

 

C’est donc ce thème, déjà ancien, que Shlomo Sand reprend aujourd’hui. Dans son livre Comment le peuple juif fut inventé, il commence par évoquer des cas concrets, comme celui d’un jeune anarchiste espagnol de Barcelone, qui, errant en France après la victoire franquiste, et à Marseille en particulier, finit par se retrouver armé dans un kibboutz à faire le coup de feu contre les Palestiniens. Il est devenu citoyen israélien sans avoir jamais été frotté au judaïsme et sans avoir les moindres racines « judéennes », justifiant un éventuel « alya ». Sand évoque ensuite l’histoire de Chotek, pauvre juif de Pologne qui subit les mécanismes d’exclusion de la synagogue parce que sa mère, plongée dans la misère, ne peut payer une place dans l’enceinte du lieu de culte. La plupart de ces exclus, pour pauvreté, basculaient dans le communisme, ou dans le sionisme communiste, et finissaient par abandonner la religion juive voire par embrasser un athéisme virulent, à l’instar de Koestler qui, lui, ne l’a pas fait par pauvreté mais par option idéologique.

 

Une méthode critique de tous les essentialismes

 

La méthode de Sand rejette ce qu’il appelle l’ « essentialisme ». Il démontre que le sionisme procède du même essentialisme que les autres nationalismes européens, notamment le nationalisme allemand. Pour le nationalisme allemand, l’essence première de la germanité réside dans le rassemblement des tribus libres autour d’Arminius, voire de Marbod, qui partent combattre les Romains et défont les légions de Varus dans la Forêt de Teutoburg. Le sionisme est, pour Sand, une transposition dans l’univers mental du judaïsme de la démarche intellectuelle qui a généré cette « narration germanique ». La fondation du peuple juif ne procédant pas, évidemment, des tribus rassemblées sous le commandement d’Arminius mais des tribus regroupées sous la houlette du Roi Salomon, de biblique mémoire. 

 

Si de telles « narrations » s’incrustent dans la mentalité d’une population, elle finira par vouloir exclure tout ce qui n’appartient pas à la matrice hypothétique de cette narration, tout ce qui ne relève pas de cette « essence ». En posant cette hypothèse, Sand reste un homme de gauche, la caractéristique majeure de toute gauche, dans cette perspective, est de rejeter de telles « essences » ou d’en montrer la vacuité. Shlomo Sand se réfère à la notion de citoyenneté, autre réflexe de gauche, telle qu’elle a été définie par l’historien allemand de l’empire romain, Theodor Mommsen. Pour celui-ci, toutes les composantes de l’empire romain fusionnaient dans le service à l’empire, ce service conférant l’honneur de la citoyenneté. Pour Mommsen, c’est ce modèle romain de citoyenneté que devait adopter le nouvel empire allemand né en 1870. Au sein de cet empire, les composantes bavaroises, prussiennes, wurtembergeoises, hessoises, mecklembourgeoises, brandebourgeoises, rhénanes, franconiennes, etc. devaient fusionner pour former une nation de citoyens, tout en abjurant les « folklores désuets ». Les juifs de l’empire allemand devaient procéder de la même manière que leurs concitoyens rhénans ou bavarois, etc., et mettre entre parenthèse leurs spécificités, devenues inutiles et relevant, de ce fait, d’un « folklore désuet ».

 

Un monothéisme qui n’a rien d’absolu

 

Dans le sillage du romantisme européen et germanique en particulier, des historiens juifs ont créé, explique Sand, une « mythistoire » qui débouchera sur le sionisme. Celui-ci est donc une pure construction de l’esprit comme est aussi construction de l’esprit le monothéisme, posé comme intransigeant et prêté au peuple juif « mythistorique ». Pour justifier sa démonstration, Sand rappelle que la Bible évoque un royaume de Judée (celui de Salomon et de sa postérité) et un royaume d’Israël, situé plus au nord, en Galilée ou dans le Sud du Liban et de la Syrie actuels. Le royaume de Judée est présenté comme « pur », comme matrice de toute l’histoire juive postérieure et comme modèle antique de l’Etat rêvé et réalisé par les sionistes. Le royaume d’Israël est posé comme syncrétique et plus avancé en matière de civilisation. Il a aussi été, visiblement, plus puissant. Les sources assyriennes en font mention, avant que l’empire assyrien ne l’absorbe dans son orbe. Syncrétique, ce royaume d’Israël demeure largement païen et ne pratique pas un monothéisme absolu : Jéhovah est bien là, mais comme patron des autres dieux, à l’instar du Jupiter romain ou du Zeus grec. A ses côtés, on honore Baal, Shamash et surtout la belle déesse Astarté.

 

La Judée, province reculée et davantage sous influence égyptienne qu’hellénique, ne sera absorbée dans l’empire assyrien que deux siècles plus tard. Les mythes qui entourent ce petit royaume, peu mentionné dans les sources antiques, sont des inventions tardives pour les historiens postsionistes : ainsi, Salomon et ses somptueux palais n’auraient jamais existé et relèverait de la « mythistoire ».  Sand , p. 172 : « Les mythes centraux sur l’origine antique d’un peuple prodigieux venu du désert, qui conquit par la force un vaste pays et y construisit un royaume fastueux, ont fidèlement servi l’essor de l’idée nationale juive et l’entreprise pionnière sioniste. Ils ont constitué pendant un siècle une sorte de carburant textuel au parfum canonique fournissant son énergie spirituelle à une politique identitaire très complexe et à une colonisation territoriale qui exigeait une autojustification permanente. Ces mythes commencèrent à se fissurer, en Israël et dans le monde, ‘par la faute’ d’archéologues et de chercheurs dérangeants et ‘irresponsables ‘, et, vers la fin du 20ième siècle, on eut l’impression qu’ils étaient en passe de se transformer en légendes littéraires, séparées de la véritable histoire par un abîme qu’il devenait impossible de combler. Bien que la société israélienne fût déjà moins engagée, et que le besoin d’une légitimation historique qui servit sa création et le fait même de son existence allât en s’amenuisant, il lui était encore difficile d’accepter ces conclusions nouvelles, et le refus du public face à ce tournant de la recherche fut massif et acharné ».

 

La Bible quitte le rayon de la théologie pour devenir un livre historique

 

De même, p. 178 : « La Bible, considérée pendant des siècles par les trois cultures de religion monothéiste, judaïsme, christianisme et islam, comme un livre sacré dicté par Dieu, preuve de sa révélation et de sa suprématie, se mit de plus en plus, avec l’éclosion des premiers bourgeons d’idée nationale moderne, à servir d’œuvre rédigée par des hommes de l’Antiquité pour reconstituer leur passé. Dès l’époque protonationale protestante anglaise, et plus encore parmi les colons puritains d’Amérique et ceux d’Afrique du Sud, le Livre des livres devint, par anachronisme nourri d’imagination enflammée, une sorte de modèle idéal pour la formation d’un collectif politico-religieux moderne (…). Et si les croyants juifs ne s’y étaient presque pas directement plongés par le passé, les intellectuels de l’époque des Lumières en ont inauguré une lecture laïque qui alla en s’élargissant. Cependant, (…) ce n’est qu’avec l’essor de l’historiographie protosioniste, dans la seconde partie du 19ième siècle, que la Bible a clairement joué un rôle clé dans le drame de la formation de la nation juive moderne. Du rayon des livres théologiques, elle est passée à celui de l’histoire, et les adeptes de la nation juive ont entrepris de la lire comme un document fiable sur les processus et les événements historiques. Plus encore, elle a été élevée au rang d’une ‘mythistoire’, qui ne saurait être mise en doute parce qu’elle constitue une évidente vérité. Elle est donc devenue le lieu de la sacralité laïque intouchable, point de départ obligé de toute réflexion sur les notions de peuple et de nation. La Bible a principalement servi de marqueur ‘ethnique’ indiquant l’origine commune de femmes et d’hommes dont les données et les composantes culturelles laïques étaient complètement différentes, mais qui étaient détestés en raison d’une foi religieuse à laquelle il n’adhéraient pratiquement plus. Elle fut le fondement de l’intériorisation de la représentation d’une ‘nation’ antique dont l’existence remontait presque à la création du monde dans la conscience du passé d’hommes qui furent déplacés et se sont perdus dans les labyrinthes d’une modernité rapide et décapante. Le giron identitaire douillet de la Bible, malgré son caractère de légende miraculeuse, et peut-être grâce à lui, a réussi à leur procurer un sentiment prolongé et presque éternel d’appartenance que le présent contraignant et pesant était incapable de fournir. Ainsi l’Ancien Testament se transforma-t-il en un livre laïque, enseignant aux jeunes enfants quels furent leurs ‘antiques aïeux’ et avec lequel les adultes eurent tôt fait de partir glorieusement vers des guerres de colonisation et de conquête de la souveraineté ».

 

Cette démonstration conduit également à considérer l’exil juif comme une invention « mythistorique ». Sand, p. 183, nous apprend que Rome ne pratiquait jamais l’expulsion générale de tout un peuple vaincu, tout au plus l’Urbs pratiquait-elle des expulsions partielles et ciblées. L’idée d’un exil provient des exagérations de l’historien latin antique de souche juive, Flavius Josèphe, qui, comme tous ses homologues historiens de l’antiquité, gonfle démesurément les chiffres : les campagnes romaines de Titus auraient fait 1,1 million de morts rien qu’à Jérusalem et, après la bataille, le général romain aurait fait 97.000 prisonniers ; la Galilée  aurait compté, à l’époque, plus de trois millions d’habitants (p. 184). Toute approche raisonnable de l’histoire antique de la région donnerait un chiffre maximal d’un million d’habitants, vu l’aridité du sol. Avant l’arrivée de la deuxième vague d’immigrants juifs dans la première décennie du 20ième siècle, les vilayets constituant l’actuelle Palestine comptaient à peine 400.000 habitants. En 132-135, à la suite de la révolte du zélote Bar Kochba, la persécution aurait été plus féroce encore mais rien n’indique une expulsion généralisée de la population. Sur cet épisode, aucun historien n’a écrit quoi que ce soit. Nous n’avons donc pas, sur cette révolte postérieure aux campagnes de Titus, d’exagérations de l’acabit de celles de Flavius Josèphe. On sait seulement que Jérusalem sera débaptisée et portera le nom romain d’Aelia Capitolina. Pour Sand, le terme « exil » signifie « soumission politique ». Les communautés juives de l’antiquité, dans le bassin méditerranéen ou en Mésopotamie ou dans la péninsule arabique, sont donc des communautés exclusivement religieuses et n’ont pas de bases ethniques.

 

Les conversions forcées du Royaume des Hasmonéens

 

Sand réfute également l’idée que les royaumes judaïques de l’antiquité ne pratiquaient pas le prosélytisme et ne procédaient pas à des conversions forcées, si bien qu’il est impossible de dire que tous les juifs  de la diaspora, avant le sionisme, étaient des descendants de « Judéens », expulsés de Judée par le « méchant Titus » (les guillemets sont de Sand). Sand prend l’exemple du royaume des Hasmonéens, le plus important royaume juif de l’antiquité. Ce royaume avait été fortement hellénisé, au point de déplaire aux Macchabées, les fondamentalistes de l’époque, qui ne toléraient aucun syncrétisme ni aucune fusion avec d’autres traditions. La révolte des Macchabées nous apprend, outre la haine féroce que vouent les fondamentalistes à tout syncrétisme impérial ou politique, que le monothéisme de ce royaume des Hasmonéens n’était pas strict, au sens où nous l’entendons aujourd’hui lorsque nous évoquons les intégristes des religions monothéistes. Pour Sand, le monothéisme hasmonéen était un monothéisme imparfait, c’est-à-dire un monothéisme qui s’était borné à limiter le nombre de dieux. Ce monothéisme lâche, l’hellénisme omniprésent dans le bassin oriental de la Méditerranée et l’universalisme, qui en découlait, s’opposaient au tribalisme juif de l’époque. L’espace du Proche Orient du temps des Hasmonéens était un espace impérial, rassemblant des populations et des ethnies diverses et hétérogènes, exactement comme de nos jours. En cas de conflit, ce royaume hasmonéen convertissait de force, ou tentait de convertir par la contrainte, les peuplades vaincues, leur imposant parfois la circoncision forcée. Sand constate que l’historiographie sioniste rejette ou escamote le fait que constituent ces conversions forcées au judaïsme car, une fois de plus, elles tendent à prouver que tous les adhérents à la confession mosaïque ne descendent pas de « Judéens purs ».

 

On a souvent dit que la conversion forcée ou le prosélytisme n’appartenaient pas à la tradition juive talmudique. C’est vrai mais ce refus de tout prosélytisme date seulement d’après 135, d’après la défaite des zélotes de Bar Kochba, quand il n’y avait plus moyen de convertir de force des tribus voisines ou des résidents étrangers. En 104 av. J. C., Aristobule, roi juif hellénisé, conquiert la Galilée et convertit de force une tribu, probablement arabe, ou au moins sémitique, les Ituréens, au judaïsme de son propre royaume. Nous avons donc encore un démenti : les Ituréens ont été fondus dans la masse juive sans avoir jamais séjourné dans l’espace restreint du petit royaume de Juda.

 

La lecture du livre de Sand nous apporte encore beaucoup d’autres éclairages sur l’invention du peuple juif et nous permet de reléguer au rayon des mythes sans consistance, non pas seulement ceux du sionisme laïcisé ou non, mais aussi tous ceux des monothéismes contemporains, notamment ceux que véhiculent, à grands renforts médiatiques, les biblismes américains, sud-africains ou protestants qui injectent dans le discours politique des absurdités religieuses, en dépit des leçons de l’histoire, des gestes impériales avérées ou des découvertes de l’archéologie. Le biblisme américain est surtout préoccupant, vu le poids considérable qu’il pèse sur le processus démocratique aux Etats-Unis, puissance hégémonique planétaire, et, partant, sur les processus de décision qui affecte, ipso facto, la vie politique de tout le globe. Le travail d’un Sand permet aussi de critiquer la transposition d’un biblisme ou d’un sionisme juifs dans le mental de protestants de souche anglo-saxonne, qui n’ont aucun lien « ethnique » avec la Palestine. Biblisme et sionisme protestants sont, au même titre que le sionisme fabriqué au 19ième siècle, sinon plus encore que ce sionisme, des fictions sans consistance ou des aberrations entachées de fanatisme.

 

Une réhabilitation de la notion d’empire

 

Indirectement, Shlomo Sand réhabilite la notion équilibrante et apaisante d’empire, en valorisant le syncrétisme hellénistique des Hasmonéens au détriment de l’exclusivisme judéen, repris par les sionistes, en avançant comme modèle l’idée de citoyenneté romaine mise en évidence par Mommsen et, simultanément, l’idée d’une citoyenneté impériale allemande après 1870. En effet, une idée impériale nouvelle et rénovée pourrait seule apporter la paix à un Proche Orient fragmenté par les tribalismes, les exclusivismes et les fictions politiques. Reste à savoir si une notion de citoyenneté, de mommsenienne mémoire, pourra s’appliquer de manière transrégionale en Europe ou déboucher sur une omni-citoyenneté européenne, incluant ou excluant les migrations récentes, survenues pendant les « Trente Glorieuses » et poursuivies par les regroupements familiaux. La volonté de certains de nous ramener non pas à une Judée mythique du Roi Salomon ou à une Germanie d’Arminius mais à une Arabie du 7ième siècle ne se heurte-t-elle pas à cette notion apaisante de citoyenneté impériale ? La question demeure ouverte et cet idéal, préconisé par Sand, débouchera-t-il sur une concrétisation voulue par des optimistes, frères en esprit des sionistes phalanstériens du début du 20ième siècle, ou échouera-t-il parce que des pessimistes auront finalement raison dans leurs analyses sans concession ni fard contre les tenants d’éthiques socialistes de la conviction ?   

 

Robert Steuckers.

 

Sources :

Shlomo SAND, Comment le peuple juif fut inventé, Fayard, Paris, 2008.

Shlomo SAND, Les mots et la terre – Les intellectuels en Israël, Flammarion, coll. « Champs », n°950, 2010.

Colin SHINDLER, A History of Modern Israel, Cambridge Université Press, 2008.

          

00:10 Publié dans Judaica | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : isrtaël, postsionisme, sionisme, proche orient, judaica, judaïsme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook