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mardi, 23 novembre 2010

A propos du "Petit traité des vertus réactionnaires" d'Olivier Bardolle

A propos du « Petit traité des vertus réactionnaires » d'Olivier Bardolle

par Christopher Gérard

Ex: http://www.polemia.com/ 

 

« Je n’appartiens pas à un monde qui disparaît. Je prolonge et je transmets une vérité qui ne meurt pas. » Nicolás Gómez Dávila

Gainsborough_The_Blue_Boy-wr400.jpg« Apologie du courage, sens de l’honneur, individualisme aristocratique, ampleur de vue, goût du risque, perception du tragique, conscience de sa responsabilité, affirmation de soi, sens de l’Histoire », telles sont ces vertus que, depuis la fin des Grandes Conflagrations et l’entrée en dormition de notre continent, un surmoi progressiste a diabolisées à l’extrême pour mieux castrer intellectuellement et spirituellement les fils d’Europe.

Disciple du regretté Philippe Muray, ce contempteur de l’homo festivus dont les charges contre l’imposture aux mille faces nous font tant défaut aujourd’hui, Olivier Bardolle incarne un singulier paradoxe, puisque ce publicitaire passé par les milieux du cinéma américain se révèle lecteur attentif de Céline et de Cioran, de Baudelaire et de Nietzsche ! Un martien dans le monde aseptisé du divertissement de masse, doublé d’un hoplite qui, manifestement, en a soupé de progresser masqué. Un combattant qui jette le gant avec panache … non sans avoir pris la sage précaution de fonder sa maison d’édition (*) !

Son essai ? Une courageuse démolition de notre modernité finissante ; une exhortation passionnée au sursaut individuel et collectif, nourrie de références historiques et littéraires, que les puristes jugeront parfois journalistiques (quelques approximations, quelques affirmations contestables en effet), mais à l’allégresse communicative.

L’essentiel : Bardolle sonne le tocsin sans poser au scrogneugneu ranci (la droite des boites de nuit), mais en héritier effaré par notre déclin, en amoureux déçu d’une civilisation en pleine liquéfaction. Ne pousse-t-il pas la provocation jusqu’à se réclamer, au début comme à la fin de son pamphlet, du héros de Gran Torino, ce film de et avec Clint Eastwood, belle défense et illustration de l’homme de droite ?

Le mot est lâché. Droite (passéisme, réaction,…). Depuis plus d’un demi-siècle, il suffit à ostraciser sans appel, à précipiter le démon dans la géhenne, à le condamner au Non-Etre (qui « n’est pas », pour citer le confrère Parménide) et ce au nom de la doxa bohémienne-bourgeoise, mixte de conformisme et de délire sécuritaire, de « désir du pénal » (Muray) et de puritanisme mesquin. Ce sera d’ailleurs l’une de mes critiques : trop indulgent à l’égard des Etats-Unis, Bardolle ne voit pas assez à quel point l’infection qui nous ronge prend sa source dans l’idéologie biblique telle que mise en pratique par les rescapés du Mayflower. S’il avait, par exemple, lu L’Interrogatoire de Vladimir Volkoff, magistrale description de la perversion yankee, sa démonstration aurait gagné en profondeur. Mais ne lui cherchons pas de poux dans la tête, à notre héraut d’un conservatisme sans illusions ni complexe ; suivons-le plutôt dans son salubre jeu de massacre.

Qu’est-ce qu’être conservateur aujourd’hui (réactionnaire, antimoderne, etc.), sinon refuser de toute son âme ce bestial enthousiasme qui saisit les croisés du Bien (éventuellement en version techno-festive : Fesse-Bouc, Haïpode et autres vecteurs d’aliénation), tout entiers à leur volonté impie de changer et/ou de sauver le monde ? Conscient de la fragilité d’équilibres payés au prix de la sueur et du sang, le conservateur entend préserver l’héritage pour le transmettre sans fanfare ni imprécations. Comme disait Burke, to conserve in order to preserve (**). Posture éminemment tragique, dénuée d’illusions sur un homo sapiens vu pour ce qu’il est : un prédateur – homo homini lupus – dont les instincts doivent être bridés, notamment par un sévère dressage. Sagesse de la réaction, fondée sur l’expérience, et donc sur la mémoire, car le conservateur est « un lyrique doublé d’un mémorialiste impénitent », empli d’une saine méfiance pour l’avenir (surtout quand il est présenté comme radieux) aux antipodes de l’utopiste qui, dans son refus du réel, en vient à haïr l’homme de chair et de sang qui ose résister à la mise au pas. Nostalgique du monde d’avant une déchéance d’ampleur quasi cosmique (l’Age d’or, la Chute, 1789, 1968, …), le conservateur porte son regard en amont avec le sentiment diffus d’être né trop tard dans un siècle de limaces. Idéaliste certes, moins dangereux toutefois que l’illuminé progressiste, friand de chasses aux sorcières. Désespéré par refus des chaleureuses impostures, sceptique, et tenant d’un temps alluvial, - qui n’est jamais celui de la table rase. Tel est le conservateur (« un mot qui commence mal », disait Thierry Maulnier).

Bardolle décrit bien cet état d’esprit sans craindre de pousser le bouchon assez loin, ce qui le rend d’autant plus sympathique. Ainsi, quand il écrit, impavide : « le risque réactionnaire – le fascisme à l’ancienne – n’existe plus. La société occidentale, furieusement matérialiste, n’en a plus la capacité spirituelle, elle n’en a pas non plus les nerfs ni le courage. » Décidément, le « mental de planqué » de notre société l’écœure au point de lui faire proférer des horreurs, voire de citer avec jubilation Georges Steiner qui, dans Libération, s’exclame : « je préfère un SS cultivé à un beach boy ».

Ce grand désenchanté - Bardolle, pas Steiner – saisit bien à quel point notre modernité est allergique à l’autorité, par haine du père (figure évacuée de notre univers) et par désir infantile d’une liberté sans bornes (« jouir sans entraves », le pire des esclavages !). Aversion pour toute hiérarchie, c’est-à-dire pour tout principe, toute sacralité (archè et hiéros en grec), analysée en son temps par un auteur que Bardolle ne cite pas, René Guénon, dans La Crise du monde moderne, lumineuse description de la soumission moderne du supérieur à l’inférieur. Le corollaire en est le refus de l’effort, qui mène au gâtisme précoce, celui du grand jardin d’enfants qu’est devenu notre monde : « L’individu contemporain ne veut plus apprendre, ne veut plus souffrir, ne veut plus subir ». Autre conséquence de cette paresse fondamentale, la hantise du risque, de la responsabilité… et de la mort qui tout emporte. Tel est sans doute le clivage essentiel : le progressiste, sinistre amateur de pyramides et de triangles, est affolé par l’idée même de la mort, qui pour le réactionnaire est une compagne de chaque instant, une inspiratrice.

Nostalgie de la verticalité, dégoût pour le catéchisme rose bonbon, regard critique posé sur le mythe foncièrement progressiste – donc utopique - de la croissance indéfinie dans un monde fini, attachement viscéral pour ce qui perdure (pérenne est un mot de droite, éphémère évoque la gauche ; durable relevant lui de l’escroquerie pure), Bardolle passe en revue les grands thèmes de la vision du monde conservatrice. Ses propos sur l’Islam divergent, Dieux merci, de la mélasse que nous servent les notaires de la parole : « Jusqu’où iront la mauvaise conscience et la veulerie de l’homme blanc repentant à l’égard d’un Islam conquérant ? ». Sur ce sujet, Bardolle se prétend optimiste, sans doute parce que, en raison des dogmes républicains, il a tendance à minimiser le caractère ethnique de la fracture. Toutefois, il n’hésite pas à rompre quelques lances bienvenues contre le mythe du métissage rédempteur – dogme absolu de notre modernité festive – comme sur le pullulement anarchique de l’espèce.

Avec un réjouissant bon sens, vertu réactionnaire par essence, Bardolle propose quelques « conseils de survie » à l’hypermodernité : le odi profanum vulgus et arceo (« je déteste la foule infâme et m’en écarte ») du confrère Horace, « laisser les autres à leur propre enfer et tenir le vôtre à distance », vivre en hoplite et, last but not least, rayer le mot bonheur de son vocabulaire au profit d’un pessimisme ironique (que les bonnes âmes, tant pis pour elles, prendront pour du cynisme).

Son essai se termine par un appel à retrouver la virtus des Stoïciens, manifestement préférée au masochisme galiléen, une excellence tempérée par la bonté, vertu conservatrice soulignée naguère par un auteur que Bardolle semble ignorer, le colombien Nicolas Gomez Davila : « Traiter l’inférieur avec respect et tendresse est le syndrome classique de la psychose réactionnaire ».

Christopher Gérard
12/11/2010
http://archaion.hautetfort.com/

  • (*) Ollivier Bardolle, Petit traité des vertus réactionnaires, L’Editeur, sept. 2010, 216 pages. Préface (critique) d’Eric Naulleau, 12€
  • (**) M. Bardolle me permettra ce léger coup de patte : comment E. Burke, disparu en l’an de grâce 1797, pourrait-il avoir pris position sur Auschwitz ?

Voir aussi la critique de Didier Marc sur « Porte Louise », le dernier roman de Christopher Gérard;
et celle de GT sur le « Songe d’Empédocle » du même Christopher Gérard.

Salut à Bruno de Cessole, auteur d’un beau papier sur Bardolle dans Valeurs actuelles (23 septembre 2010).

Correspondance Polémia – 17/11/2010