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mardi, 14 juillet 2009

Une étude néerlandaisesur Malraux, Drieu, Nizan et Brasillach

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Souffrir de l’air du temps...

Une étude néerlandaise sur Malraux, Drieu, Nizan et Brasillach

 

Un livre vient de sortir de presse aux Pays-Bas: celui de Marleen Rensen, professeur de “lettres européennes modernes” à l’Université d’Amsterdam. Il est intitulé: “Lijden aan de tijd – Franse intellectuelen in het interbellum” (= “Souffrir de l’air du temps – les intellectuels français pendant l’entre-deux-guerres”). Ce livre se vendra-t-il? Je ne sais pas. Il est la version grand public d’une thèse de doctorat portant sur la façon dont quatre écrivains français, André Malraux, Pierre Drieu la Rochelle, Paul Nizan et Robert Brasillach, affrontent leur époque dans leur oeuvre, songent au temps qui passe et en sont obsédés. Indubitablement, c’est là un bon sujet. Mais, hélas, le public potentiel me semble bien réduit aujourd’hui, qui s’intéresse encore à la littérature engagée de cette époque-là et qui, de surcroît, serait prêt à se farcir des considérations d’ordre philologique, bien difficiles à ingurgiter. Et nous sommes les premiers à le déplorer. En tout cas, l’éditeur prêt à tout, aux Pays-Bas, “Aspekt” de Soesterberg, mérite nos applaudissements pour avoir publié une fois de plus un ouvrage difficile, peu commercialisable. Il faut oser le faire.

 

L’analyse que propose Marleen Rensen de quatre romans d’avant-guerre, représentatifs de ce qu’elle appelle la “génération anti-Proust”, est remarquable, mais je formulerais tout de même quelques critiques sur l’un ou l’autre détail de son travail. Je rassure: mes critiques ne portent pas sur le fond mais sur des détails, des points et des virgules, de petites inexactitudes que Marleen Rensen aurait pu éviter.  Il est inexact d’affirmer, par exemple, que l’écrivain communiste Nizan ait d’abord été membre du “Faisceau” de Georges Valois dans les années 20. Il est tout aussi inexact d’étiqueter ce mouvement de “fascistoïde”, comme le fait Marleen Rensen: c’est à coup sûr une exagération. Le terme “fascistoïde” est vague; il relève du langage pamphlétaire et non pas de la terminologie scientifique; raison pour laquelle j’éviterais de l’utiliser dans une thèse. Valois entendait, faut-il le rappeler, dissoudre son mouvement dans le front des gauches vers le milieu des années 30, donc, sa milice ne peut guère être qualifiée de “fascistoïde”. De surcroît, dans une thèse, elle aurait dû signaler, pour être exhaustive, le fait très révélateur que pendant l’occupation, le fondateur du “Faisceau” a été déporté par les Allemands à Bergen-Belsen à la suite de ses activités jugées subversives. Il y est décédé le 16 février 1945.

 

Encore une inexactitude de la même veine: le “Parti Social Français”, d’inspiration chrétienne et nationaliste, placé sous la houlette du Colonel François de la Rocque, est qualifié de “fasciste” en page 95 de l’ouvrage. François Mitterrand en était un sympathisant quand il était étudiant. Cette affirmation n’est guère scientifique. Le PSF de droite catholique était certes une formation antiparlementaire mais ne s’est jamais égaré dans les eaux de l’antisémitisme comme le PPF de Jacques Doriot. François de la Rocque a subi lui aussi la déportation pour faits de résistance, d’abord vers un camp annexe de Flossenburg, ensuite au château d’Itter qui dépendait du camp de Dachau. Je tiens à rectifier, dans les cas de Valois et de de la Rocque, car il faut veiller à ne pas coller partout, et sans discernement, l’étiquette de “fasciste”.

 

Mais, en dépit de mon pointillisme, je ne dénigre nullement l’ensemble du travail de Marleen Rensen, constitué d’analyses hors pair de quatre romans intemporels que l’on lit aussi dans bon nombre d’universités, y compris en Flandre: “L’espoir” du “fellow traveller” André Malraux, “Le cheval de Troie” du communiste Paul Nizan, “Gilles” du fasciste Drieu la Rochelle et “Les sept couleurs” de Robert Brasillach, rédacteur en chef du journal collaborationniste “Je suis partout”, fusillé en 1945. Ces quatre hommes se connaissaient avant la guerre. Drieu et Malraux étaient de bons amis et le restèrent en dépit de leurs divergences d’opinion fondamentales sur le plan idéologique. Drieu, tempérament narcissique, s’est suicidé en mars 1945. Malraux, personnalité mythomane, s’est converti au gaullisme et a réussi à se hisser au poste de ministre de la culture après 1958. Nizan et Brasillach avaient tous deux fréquenté la fameuse “Ecole Normale Supérieure”, comme Sartre, et écrivaient des recensions sur leurs ouvrages respectifs. Nizan est devenu communiste vers 1930 mais a quitté le parti après le pacte de non-agression germano-soviétique d’août 1939. Il est mort en combattant devant Dunkerque. Le parti l’a stigmatisé ensuite, lui a collé l’étiquette de “traître”.

 

Les modes d’engagement de ces hommes étaient différents, mais “Lijden aan tijd” nous montre de manière fort convaincante que les quatre écrivains se heurtaient, dans leurs oeuvres, au thème du temps, plus exactement tentaient de donner des recettes à leurs contemporains pour qu’ils sachent comment vivre (intensément) leur époque. On retrouve ce souci dans les multiples essais que nos quatre auteurs ont rédigés. Le point de départ de leurs réflexions est sans nul doute aucun la première guerre mondiale, qui apporte, explique Marleen Rensen, aux quatre écrivains une conception historique du temps, laquelle marque une différence fondamentale entre leur démarche engagée et celle, esthétique et individualiste, d’un auteur comme Marcel Proust, dont le monumental “A la recherche du temps perdu” constitue, in fine, une introspection personnelle, non chronologique, soustraite au temps social, politique et historique, bien éloigné de tout engagement social. Mais s’il peut paraître paradoxal que Proust ait été largement apprécié par les deux “fascistes” que furent Drieu et Brasillach.

 

Proust était déjà considéré comme “suranné” en son temps, où, effectivement, avec nos quatre auteurs, toute une génération s’est dressée: elle voulait que la littérature épouse les passions de l’histoire.

 

Mais Proust va gagner, conclut Rensen. “On remarquera que le roman postmoderne actuel semble revenir aux oeuvres de Proust, Mann, Gide, Joyce et Woolf, sur les plans du style et de la composition... Tandis que l’esthétique des écrivains modernistes reste de nos jours un modèle littéraire important, le style -et le style romanesque- de Brasillach, Drieu, Malraux et Nizan ne sont restés qu’un phénomène éphémère, lié à une période historique restreinte”. Pourtant, ajouterais-je, la postmodernité est, elle aussi, phénomène de mode. Le temps peut tout changer.

 

“Guitry”/’t Pallieterke.

(article paru dans ’t Pallieterke, Anvers, 10 juin 2009, trad. franç.: Robert Steuckers).

 

 

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