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samedi, 10 octobre 2009

M. van Creveld: un regard sur les causes des victoires et des défaites au 20ème siècle

Michael WIESBERG:

Martin van Creveld: un regard sur les causes des victoires et des défaites au 20ème siècle

 

Martin van Creveld est Israélien: il vit à Jérusalem et est historien militaire de réputation internationale. Dans les démonstrations de son ouvrage le plus récent, il reste fidèle à lui-même en analysant les conflits armés qui ont sévi sur la Terre depuis 1900. Etre fidèle à soi-même signifie, ici, conserver en toute conscience un argumentaire froid, dépourvu d’émotions, qui ne tient quasiment pas compte des habituels aspects “moralisateurs”, car ceux-ci ne s’avèrent jamais pertinents. Le point de départ de toute l’argumentation de van Creveld est uniquement celui de l’efficacité militaire, ce qui irritera à nouveau tous ceux qui ont pris l’habitude de poser l’histoire des conflits comme l’équivalente de l’histoire des crimes de guerre.

 

Ce point de départ conduit van Creveld à examiner l’armée impériale allemande et la Wehrmacht sur base de leurs seules vertus militaires et de leurs seules capacités à résister jusqu’au bout: il ne tient compte d’aucun autre critère. Ce n’est pas la première fois que l’on découvre une telle approche sous la plume de van Creveld: déjà, dans son livre intitulé “Kampfkraft” (= “Force combattive”), où il compare la Wehrmacht et l’US Army, il exprime son respect pour les forces allemandes parce qu’elles avaient une plus puissante “force combattive” que leurs adversaires, même lors de la phase finale du conflit. Dans son nouvel ouvrage, van Creveld n’évoque qu’en marge les conditions préalables à cette “force combattive”, notamment ce qu’il appelle “l’institutionalisation des hautes prestations militaires” par l’état-major général allemand et que l’historien militaire américain Trevor N. Dupuy avait dûment examiné dans son livre “Der Genius des Krieges” (= “Le génie de la  guerre).

 

Le nouvel ouvrage de van Creveld tourne essentiellement autour d’une question: quelles sont les raisons décisives qui font que l’on gagne ou que l’on perd une guerre? Pour y répondre, van Creveld nous offre une promenade dans l’histoire militaire du 20ème siècle, partant de la Bataille de la Marne pour aboutir à l’invasion américaine de l’Irak. Au cours de cette promenade, il fait une pause et nous résume brièvement sa thèse pour la première moitié du 20ème siècle: “L’histoire de l’art de la guerre de 1914 à 1945 correspond (...) pour une bonne part à l’histoire de l’armée allemande, à ses manières de procéder et aux réactions de ses adversaires face à ses initiatives”.

 

Mais, alors, deuxième question, pourquoi l’armée impériale de Guillaume II et ensuite la Wehrmacht ont-elles finalement échoué? Martin van Creveld explique principalement cet échec par la situation géopolitique de l’Allemagne, une situation géopolitique difficile dont les sphères politiques, qui gouvernaient l’Allemagne, n’ont pas tenu suffisamment compte. A titre d’exemple contraire, notre auteur cite l’Angleterre: face à cette puissance, située en marge du continent européen mais ouverte sur toutes les mers du globe, les Allemands n’ont ni prévu ni mis en oeuvre une  stratégie cohérente visant son élimination définitive, ni pendant la première guerre mondiale ni pendant la seconde. Pour y parvenir, les Allemands auraient dû déployer une stratégie globale, qui aurait mis l’Angleterre en échec sur le plan économique. Cette impéritie géopolitique allemande dérive certainement du fait que ni l’Allemagne impériale ni l’Allemagne hitlérienne ne voulaient au départ faire la guerre à l’Angleterre. Cette bienveillance allemande, poursuit van Creveld dans sa démonstration, n’excuse nullement l’impéritie, dont le Reich a fait preuve, deux fois  consécutivement, car, en effet, les infléchissements de la politique allemande, juste avant 1914 et juste avant 1939, laissaient bel et bien prévoir un heurt avec l’Angleterre. Les Allemands n’ont donc pas, selon van Creveld, développé un programme politique et géopolitique cohérent, appelé à connaître le succès, pour l’éventualité d’une guerre contre l’Angleterre; c’est là qu’il faut voir l’une des raisons majeures de la défaite décisive subie par l’Allemagne lors des deux guerres mondiales.

 

Dans son livre, van Creveld démontre avec brio que le visage de la guerre s’est modifié rapidement au cours de la première moitié du 20ème siècle, vu les innovations techniques. Mais, en dépit de la nouvelle donne qu’elles constituent, les innovations techniques ne sont qu’une face de la médaille; l’autre face, c’est la puissance économique et la capacité à déployer une production de masse, qui y est liée. C’est ce que van Creveld appelle la “mobilisation des ressources”. C’est bien sûr cette capacité-là qui a fait la décision au cours des deux guerres mondiales. Les ingénieurs allemands ont peut-être été les plus créatifs mais le rouleau compresseur matériel des Alliés, surtout après l’entrée en guerre des Etats-Unis, s’est montré irrésistible. Martin van Creveld rappelle: “Du point de vue technique, les Allemands se sont montrés très inventifs. Et, de fait, nombreux sont ceux qui affirment que tous les systèmes d’armement qui ont été déployés de 1945 à 1991 (...) avaient déjà été ébauchés en 1944/1945 dans des bureaux d’étude allemands”.

 

Mais cette inventivité foisonnante avait aussi un revers: “Elle a eu pour résultat qu’un très grand nombre de modèles, types et versions différents de ces armements a été fabriqué”, ce qui a entraîné de fréquentes modifications dans les cycles de production et d’interminables problèmes d’entretien. Pour ne citer qu’un seul chiffre, rien que le groupe d’armées du Centre avait besoin, à la fin de l’année 1941, d’un million de pièces de rechange pour être à même de poursuivre le combat.

 

En outre, ce fut Erich Ludendorff, qui, très influent du côté allemand pendant la première guerre mondiale, avait prévu, de la manière la plus réaliste, la forme que prendrait bientôt la “guerre totale”. Les “visions” ludendorffiennes de la “seconde guerre mondiale” se sont parfaitement concrétisées. Le fait de citer ainsi Ludendorff prouve l’impartialité de van Creveld, car Ludendorff demeure encore et toujours une personnalité stigmatisée. Et van Creveld ne se borne pas à la citer mais, en plus, commente ses thèses de manière positive.

 

Aux Etats-Unis, cette mobilisation totale de toutes les ressources a débouché, en fin de compte, sur la bombe atomique dont l’utilisation, le 6 août 1945, représente, pour van Creveld, une mutation définitive dans l’histoire de la chose militaire. Après le lancement de cette première bombe nucléaire, il n’y a plus eu de confrontations directes entre grandes puissances militaires; on a assisté, tout au plus, à des “guerres par acteurs interposés”, dans les zones périphériques du monde. Lorsqu’une grande puissance militaire ou une superpuissance partait en guerre, c’était contre un adversaire qui, au mieux, était une puissance de second rang.

 

La seconde moitié du livre se penche, pour une bonne part, sur le phénomène de la “guerre asymétrique” et sur une question très actuelle: pourquoi les confrontations avec les groupes terroristes ou insurrectionnels ont-elles été perdues, malgré l’écrasante supériorité de leurs adversaires? Une raison: si ces conflits durent trop longtemps, alors intervient une phase d’usure et de démoralisation: les soldats les plus motivés sombrent alors dans la résignation, contre laquelle même la mobilisation la plus intense des armes de haute technologie ne peut rien faire.

 

Une telle situation doit s’éviter à tout prix. Pour tenter de nous expliquer comment y parvenir, van Creveld ne cite que deux exemples: d’abord, la stratégie adoptée par les Britanniques en Irlande du Nord contre l’IRA; ensuite, le procédé utilisé par le régime d’Assad en Syrie contre les frères musulmans locaux. Les Britanniques ont réussi, en renonçant consciemment à toutes armes lourdes, à reconquérir petit à petit la sympathie des Irlandais du Nord et de couper ainsi l’herbe sous les pieds de l’IRA. Le procédé utilisé par Assad contre la ville de Hama relève d’une stratégie toute différente: cette ville ayant été le centre névralgique des frères musulmans en Syrie, Assad l’a fait complètement raser, en exterminant bon nombre de ses habitants. Selon les critères de bienséance, nous avons affaire ici à un massacre pur et simple. Mais Assad a eu la paix et ce résultat lui donne raison a posteriori, constate sèchement van Creveld. On ne s’étonnera pas, dès lors, que le politologue berlinois Herfried Münkler, en lisant de telles thèses, écrit, dans une recension parue dans “Die Zeit” (Hambourg) qu’on peut certes tirer profit de la lecture du livre de van Creveld mais qu’elle s’avère aussi “accablante et irritante”.

 

Michael WIESBERG.

(recension parue dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°40/2009; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

Références:

Martin van CREVELD, “Gesichter des Krieges – Der Wandel bewaffneter Konflikte von 1900 bis heute”, wjs-Verlag, Berlin, 2009, 352 p., 22,95 euro.

00:20 Publié dans Défense | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : défense, guerres, militaria, histoire, 20ème siècle | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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