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lundi, 04 février 2013

Mali ou Mexique ?

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Mali ou Mexique ?

Ex: http://dedefensa.org/

Nous avons à peine renversé le titre («Mexico or Mali ?») de l’analyse de Stephen M. Walt, du 25 janvier 2013, sur son blog de Foreign Policy. En effet, Walt se pose la question de savoir pourquoi les USA s’intéressent, par exemple, à la question des troubles au Mali, – comme ils se sont intéressés auparavant à celle des troubles en Libye et en Syrie, pour s’en tenir aux interventions directes dans le cadre du “printemps arabe”, – et pas à celle des troubles au Mexique, qui se trouve avoir 3.600 kilomètres de frontière directe avec les USA.

«[W]hy is the United States getting hot and bothered about the events in Mali (troubling though they are), while the problems caused by the violent drug organizations in Mexico fly mostly below the radar? As I learned at yesterday's seminar, the drug war in Mexico was never mentioned during the presidential debates, even though over 60,000 Mexicans have been murdered over the past six years and even though this violence has killed several hundred Americans in recent years too. Prominent senators like John McCain keep harping about violence in Syria and the need for greater U.S. involvement; why doesn't violence that is closer to home and that affects Americans more directly get equal or greater attention? To say nothing of the effects that Mexican meth and other drugs have on the United States itself.»

Walt donne quatre raisons qui, à son avis, expliquent cette attitude qu’on pourrait juger étrange. De ces quatre raisons, l’une est concrète et directement liée à un aspect technique qui est la disposition et au type d'emploi de l’outil militaire US («… we are more likely to respond to threats when we think there is a simple, cheap, and obvious military response»). Les autres sont surtout directement des arguments de communication ou liés à une perception dépendant de la communication : la perception qu’il y a des menaces d’attaques directes contre des citoyens US dans des occurrences extérieures, au contraire d’une situation où des citoyens US sont tués par inadvertance, dans la question mexicaine ; la présence de lobbies importants pour divers groupes des pays impliqués dans le “printemps arabe” ; la nécessité de ne pas contrarier le gouvernement mexicain en intervenant dans ses affaires intérieures, directement ou indirectement, à cause des liens considérables entre les deux pays et de l’énorme volume des échanges avec le Mexique ($450 milliards, – $500 millions avec le Mali).

Conclusion de Walt, qui ne semble nullement décisive dans son chef, et laisse subsister ce qui lui paraît être une attitude assez énigmatique :

«All of which reminds us that there's a big error term in how great powers (and especially the United States) identify and prioritize threats. We'd like to think it was based on rational assessment of cost, benefits, risks, and opportunities, but that seems to be true only in the most crude sense. U.S. leaders did (eventually) recognize the geopolitical threats posed by Wilhelmine and Nazi Germany, Imperial Japan, or the Soviet Union, just as we now worry about what a rising China might portend for the future. But at the margin, our ability to prioritize lesser threats properly is pretty paltry. How else to explain why we get in a lather when North Korea tests a missile – something we've done hundreds of times – while downplaying more immediate problems much closer to home?»

Walt pose là un problème qui n’est pas nouveau, mais il le pose dans les termes extrêmement précis et à partir d’exemples a contrario précis (les trois occurrences du “printemps arabes” où on existé ou existent des cas d’interventions directes plus ou moins actives, plus ou moins secondaires – Libye, Syrie, Mali). De même, le cas du Mexique, ici clairement exposé dans sa dimension géopolitique concrète, mérite d’être exposé comme il le fait. L’arrière-plan du problème mexicain pour les USA est très préoccupant, comme on le voit régulièrement (voir le 14 novembre 2012), puisqu’il implique une dynamique extrêmement déstructurante et dissolvante pour les USA, sur leur frontière mexicaine, sur une bande non négligeable le long de la frontière du Sud à l'intérieur des USA, alors que la minorité mexicaine est extrêmement active et prolifique aux USA et que c’est la communauté la plus favorable aux USA à des idées de sécession ou de partition des USA.

Par ailleurs, il est vrai, – Walt a entièrement raison, – que les USA se trouvent fort peu intéressés à une action décidée sur la frontière mexicaine, et surtout selon une stratégie solide. Diverses mesures ont été prises, souvent contradictoires, er il y a même eu l’affaire Fast & Furious devenu scandale embarrassant pour le gouvernement Obama, avec diverses occurrences suspectes d’accords passés avec certains cartels de la drogue, avec des armes livrés à ces cartels, etc. De nombreux mystères entourent Fast & Furious, qui aiguisent les hypothèses de manipulations du gouvernement. Cette affaire aggrave encore la perception d’une absence d’action coordonnée, réfléchie, etc., contre les cartels de la drogue et pour tenter d’intervenir pour participer à la stabilisation de la situation au Mexique. Il y eut bien, au début du premier mandat d’Obama, un vaste mouvement de mobilisation vis-à-vis de la crise mexicaine, jusqu’à l’idée que la crise mexicaine pouvait devenir une guerre où les USA seraient puissamment impliqués (voir le 5 mars 2009). Cette perspective s’est rapidement dissipée, bien que la situation ait continué à s’aggraver.

Alors, devant la gravité de la crise mexicaine, qu’est-ce qui retient les USA d’intervenir comme il serait, dans ce cas, logique, sinon légal, de le faire ? (Dieu sait si les USA ne sont pas avares d’intervention, comme Walt le remarque, bien plus selon leur logique que selon la légalité.) A part les explications de Walt, qui peuvent être retenues certes mais qui ne nous suffisent pas, il y en a une autre qui mérite d’être envisagée, au moins comme une hypothèse. Elle fait partie de l’attitude psychologique singulière, qui pourrait se résumer du point de vue du symptôme, d’une sorte de refoulement de cette crise parce qu’elle touche un territoire que la psychologie américaniste perçoit peu ou prou, de façon inconsciente (à peine) mais ô combien affirmée, comme sien, comme partie intégrante du territoire US… A cet égard, l’échec de la véritable mobilisation, signalée plus haut, qui eut lieu au printemps 2009, et qui faisait penser que la crise mexicaine allait devenir américaniste et conduire à des mesures concrètes puissantes, jusqu’à l’utilisation de l’outil militaire, est révélatrice. Cet échec ne fut pas un événement précis, défini comme tel pour telle ou telle raison bien exposée, mais bien plutôt un processus de dissolution progressive et rapide de la résolution initiale, s’embourbant dans les querelles bureaucratiques, les affrontements entre agences, services et ministères, avec même l’un ou l’autre “coup fourré” éminemment suspect (comme Fast & Furious). Ce type de situation existe également pour les interventions extérieures, mais il n’empêche pas dans ce cas ces interventions extérieures, – il contribue simplement à leur échec, en général catastrophique.

La différence du cas mexicain, c’est bien que le désordre intérieur de la structure générale de direction et de puissance de l’américanisme a eu raison de la mobilisation. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’action américaniste sur la frontière mexicaine, voire au Mexique, mais que cette action se dissout effectivement en une multitude d’actions secondaires accordées aux différents centres de pouvoir, où la concurrence et l’affrontement habituels entre ces forces aboutit à l’inefficacité complète, à l’impuissance, et empêche effectivement la mobilisation, même chaotique. On retrouve là, effectivement, une constante de la situation intérieure US, où l’affrontement fratricide des centres de pouvoir prend le pas sur tout aux dépens de l’intérêt général (qui se confond avec l’intérêt du Système), – à commencer par l’affrontement entre démocrates et républicains sur toutes les matières, alors que leur logique commune devrait les amener à s’entendre pour le “bien commun” du Système sur nombre d’entre elles. (Contraste, par exemple, avec les interventions extérieures, où un accord général existe entre démocrates et républicains même si le résultat est l’échec catastrophiques de ces interventions extérieures.)

Et c’est bien là qu’intervient l’aspect psychologique mentionné plus haut. L’habitude de l’influence et de l’hégémonie US sur le Mexique, avec une ingérence presque organique, structurelle, on dirait presque “transcendante” (la célèbre remarque désespérée du président Diaz : «Pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des États- Unis») est un fait avéré et d’une puissance si grande qu’il en a absolument imprégné la psychologie américaniste, jusqu’à lui faire considérer le Mexique comme une possession intangible, une sorte de “colonie organique” (cela pour fixer le degré de l’affection américaniste pour les Mexicains). Cette perception n’a fait bien entendu que se renforcer avec les multiples événements qu’on connaît : immigration mexicaine, renforcement puissant de la communauté des Latinos aux USA, porosité de la frontière Sud avec des parties intérieures US “hispanisées” sinon “mexicanisées”, avec la “guerre de la drogue” dont les USA sont l’enjeu puisqu’ils sont un énorme consommateur de drogue, avec l’armement des cartels de la drogue obtenu aux USA, etc. Le Mexique étant de plus en plus perçu par la psychologie américaniste comme “colonie organique” jusqu’à être une sorte d’appendice US, les mêmes freins et le même chaos sans frein qui se développent au niveau intérieur US se retrouvent avec le Mexique…

Ainsi, paradoxalement, et contrairement à ce que l’on pouvait penser au printemps 2009, les USA seraient aujourd’hui, alors qu’ils l’ont fait tant de fois dans le passé, incapables de se mobiliser d’une façon cohérente pour une intervention militaire au Mexique ; ou bien, si une telle mobilisation avait lieu, elle serait mieux définie comme une mesure pour une sorte de “guerre interne” des USA se rapprochant plus d’un processus de fractionnement des USA (sécession, partition, etc.), où des parties intérieures des USA seraient également rapidement impliquées. Dans ce cas, il ne s’agirait plus d’une intervention militaire prise dans le cadre d’une crise extérieure qu’il faut juguler parce qu’elle menace la sécurité des USA, mais bien d’une crise extérieure-intérieure, ayant déjà touché les USA, et conduite à un degré d’intensité et de gravité tel qu’il faudrait réagir, mais alors d’une façon “défensive”, dans un cadre resté intérieur, presque comme dans le cas d’une “guerre civile” ou d’une guerre de sécession. En bref, et au vu de la situation actuelle au Mexique et aux USA et dans la zone mexicanisée des USA, une intervention dans la crise militaire de la sorte dont Walt s’étonne qu’elle n’ait pas eu lieu, ne serait rien d’autre qu’un épisode d’une guerre civile interne aux USA, ou mieux, c’est-à-dire pire pour les USA, l’amorce puissante et irrésistible de cette “guerre civile” US… Ainsi, dans sa tombe, Porfirio Diaz, le président ironiquement franc-maçon du Mexique, pourrait savourer sa revanche en renversant sa formule : “Pauvres États-Unis, si loin de Dieu et si proches du Mexique”… Car l’empire colonisateur et prédateur est bel et bien devenu, dans la partie intéressante qu’on décrit, la proie potentielle et un jour, au rythme de développement des Latinos aux USA, irrésistible de sa victime du Sud.

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