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dimanche, 26 octobre 2014

JAPON : LA LÉGITIME DÉSOBÉISSANCE DES 47 RÔNINS

JAPON : LA LÉGITIME DÉSOBÉISSANCE DES 47 RÔNINS - « Ce qu’ils ont fait de leur vivant résonne pour l'éternité.... »
JAPON : LA LÉGITIME DÉSOBÉISSANCE DES 47 RÔNINS
 
«Ce qu’ils ont fait de leur vivant résonne pour l'éternité....»

Rémy Valat
Ex: http://metamag.fr
 
L’histoire des 47 rônins dépasse le cadre d’une simple affaire de droit féodal : ce serait l’engagement de vassaux, fidèles à leur maître jusqu’au sacrifice de leurs vies. Le drame se déroule au début du XVIIIe siècle, période durant laquelle le Japon est réunifié et pacifié sous l’égide du Shôgun. Le port et l’usage des armes sont contrôlés ; il est l’apanage quasi-exclusif des samouraïs. Les samouraïs sont ceux qui « servent » (étymologie du nom vient du verbe « servir », saburaû) leurs maîtres, le Shôgun et le pays. Ils sont pour cela présentés comme des « modèles » pour la société : à la fois guerriers et administrateurs, leur éducation et l’étiquette qui régit leur vie sont rigides.

En 1701, deux Daimyos (seigneurs en charge d’une province et en relation directe avec le Shôgun) sont chargés d’organiser une cérémonie en l’honneur de l’Empereur. Asano Naganori du fief d'Akō (province de Harima) commet l’impair de blesser le maître des cérémonies, Kira Kōzuke-no-Suke-Yoshinaka (14 mars). Ce dernier est dépeint comme un être corrompu jusqu’à la mœlle et se serait, selon la tradition populaire, montré arrogant et méprisant envers ces deux seigneurs, insuffisamment généreux à son goût à rémunérer son talent et ses services. Perte du contrôle de soi, agression à main armée sur un haut fonctionnaire de l’ État : Asano doit, sur l’ordre du Shôgun Tokugawa Tsuyanoshi (1646-1709), procéder le jour même au suicide rituel (seppuku). Ōishi Kuranosuke Yoshio, principal conseiller de la famille d'Asano prend aussitôt en main la sécurité des membres et des biens du clan menacés de confiscation et mûrit un plan de vengeance. Les différents récits et le florès d’interprétations théâtrales ou cinématographiques sur les conditions des préparatifs clandestins et de l’assaut final ont, certes été enjolivés et idéalisés, mais quel souffle à la lecture de ce récit ! La mise en scène la plus connue, popularisée par le théâtre kabuki, est l’ œuvre principale de Takeda Izumo (1748). Il existe une traduction française de l’épopée des 47 rônins, traduite par George Soulié de Morant en 1927, et rééditée régulièrement. Nous y puisons cet extrait, révélateur de l’esprit idéal du guerrier japonais.

 
Ōishi vient de rassembler le clan, 300 guerriers stupéfaits par l’annonce de la mort de leur seigneur et dans l’attente d’instructions : « Venger notre seigneur, voilà notre devoir. Ce que je propose, le voici. Nous allons jurer de ne reculer devant aucun danger pour tuer Kira et sa famille. Si nous n’avons pas réussi dans un an, c’est que l’entreprise est impossible. Nous nous réunirons alors devant la porte de la forteresse, ceux du moins qui auront survécu aux combats et nous nous donnerons la mort, montrant à tous notre fidélité. [...] Je vais préparer un serment écrit avec notre sang. Revenez tous ici demain, à l’heure du Tigre, pour le signer. Pour aujourd’hui, nous allons nous partager le trésor du clan : il ne faut pas qu’il tombe aux mains de nos ennemis.»
 
[La séance terminée chaque samouraï reçoit 20 lingots d’or et l’assemblée se disperse. Le lendemain, seuls 63 rônins répondirent à l’appel et Ōishi de déclarer :]  « Les épreuves que nous allons subir sont telles qu’une âme ordinaire ne saurait les supporter sans défaillir. En reconnaissant eux-mêmes leur faiblesse, ils m’ont évité le plus difficile des choix : c’est bien. Pour vanner le blé, il suffit de le laisser tomber au souffle de la brise. Le bon grain s’entasse d’un côté, la balle et les fétus de l’autre. [Puis, les loyaux samouraïs signèrent de leur sang le serment scellant leur sort pour l’éternité]. » 

Ce geste symbolique et sacré revêt surtout une dimension politique : c’est aussi un acte de désobéissance. Cet engagement solennel n’est pas sans rappeler les contrats d’ikki : les ikki sont ces révoltes populaires conduites pour réparer une injustice commise par les autorités ou un seigneur, insurrections parfois organisées par des guerriers pour se faire justice eux-mêmes ; ces derniers étant trop fiers pour laisser le règlement de leurs différends entre les mains des pouvoirs publics, fussent-ils le gouvernement du Shôgun (lire sur ce sujet : Katsumata Shizuo, Ikki. Coalitions, ligues et révoltes dans le Japon d’autrefois, traduction parue aux éditions du CNRS en 2011).
 
La maison de Kira est prise d’assaut le matin du 14 décembre 1702 : le maître et les hommes des des lieux seront passés au fil de l’épée. Les rônins emportèrent la tête de Kira sur la tombe de leur seigneur au temple de Sengaku-ji. Les survivants offrirent leur reddition au Shôgun et mettent celui-ci dans l’embarras. Car si la vendetta été légitime sur le fond et respectueuse des règles et de la coutume du Bushidō, elle ne l’était plus sur la forme : les Sainte Vehme étaient prohibées par le shôgunat, le pouvoir rappelle que le droit de faire justice est une prérogative régalienne dans un pays récemment unifié. Le shôgun les fît condamner à mort tout en leur offrant une fin honorable. Le 4 février 1703, 46 rônins (le 47e , le plus jeune, aurait fait l’objet de la clémence des juges selon la tradition populaire) se donnent la mort par éventration, et selon leurs vœux, leurs corps reposent auprès de celui de leur maître au cimetière du temple de Sengaku-ji.

Les témoignages historiques dépeignent différemment les motivations de ces samouraïs : le seigneur Asano n’était guère apprécié par ses serviteurs, et ce serait 58 guerriers (sur les 308 du clan) qui auraient prêté serment, non pas par simple esprit de vengeance, mais par réprobation du traitement injuste réservé à Asano par le Shôgun. Ce dernier aurait dû sanctionner les deux parties, d’autant qu’il y eut un précédent survenu en 1684. Un guerrier, selon l’historien Nakayama Mikio, en aurait blessé un autre en ce même lieu. Le premier aurait été tué sur le champ par un maître-officier du gouvernement et le second exilé. Enfin, seuls les criminels étaient exécutés ou contraints de se suicider à l’extérieur de leur maison. Les conditions du suicide d’Asano ont été considérées comme un acte infamant. C’est pour ces motifs que les rônins ont souhaité laver l’affront fait à leur maître et à leur maison.
 
Cette froide et habile, vengeance a été vivement critiquée par Yamamoto Tsunetomo (l’auteur du Hagakure) qui estimait plus conforme au code de l’honneur un règlement rapide du contentieux. Yamamoto Tsunetomo, fidèle serviteur du Shôgun, mît peut-être en avant ce point de la coutume pour discréditer Ōishi et ses hommes qui n’auraient techniquement pas pu mettre au point leur riposte en de si brefs délais, au moment où Kira se trouvait sur ses gardes et bien protégé par ses hommes (rappelons que c’est par respect envers la réglementation shogunale que Yamamoto Tsunetomo ne put accompagner son seigneur dans la mort : le suicide par accompagnement lui a été formellement interdit). Le Shôgun a commis une maladresse, en ce sens qu’au Japon, les suicides rituels avaient pour but de limiter les vendettas : l’honneur des familles lavé, les désirs de vengeance devaient être étouffés et dans le cas de leur mise à exécution, celle-ci était sévèrement sanctionnée. C’est le contraire qui, dans cet affaire, s’est produit.

Cette histoire eut un retentissement immédiat. Si les Japonais du début du deuxième siècle du Shôgunat y ont trouvé un exutoire à la rigidité du régime (surtout en matière de mœurs), le succès intemporel de ce drame tient à son authenticité. Les Japonais sont peu-être plus sensibles que d’autres peuples à l’engagement et au don de soi. Les paroles n’ont de valeur à leurs yeux que si elles sont suivis par un acte sincère. Quelque puisse être les motivations de ces rônins, c’est bien un sentiment positif, l’esprit de justice, qui les animait. Leur désobéissance était légitime et ils ont agi en pleine connaissance du sort qui leur était réservé. Ils ont préféré mourir dans l’honneur que de vivre dans la honte dans une société, et c’est encore le cas aujourd’hui au Japon, où pèse lourdement le regard des autres. Un geste tragique de refus et de liberté qui résonne pour l’éternité, comme l’atteste les témoignages de respect et de dévotion encore porté par les Japonais sur les tombes des 46 rônins....

Illustration en tête d'article : Ancien château d’Edo (actuellement le parc attenant au palais impérial) : emplacement du bâtiment à l’intérieur duquel, Kira Kōzuke-no-Suke-Yoshinaka sera blessé par Asano Naganori le14 mars 1701.©R.Valat

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