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samedi, 13 février 2016

Selon le stratégiste Thomas M. Barnett, le monde idéal serait composé de consommateurs employés et endettés

Bernhard LÖHRI :
Selon le stratégiste Thomas M. Barnett, le monde idéal serait composé de consommateurs employés et endettés


ThomasBarnett.jpgDeux mondes sont désormais envisageables en Europe : soit nous aurons une Europe des patries et des citoyens, portée par des valeurs européennes, soit nous aurons une Europe noyée dans un monde globalisé, où les humains seraient tous employés, consommateurs et, devenus âgés, sources de revenus pour l’industrie de la santé.


Le stratégiste américain Thomas M. Bernett (né en 1962) élabore depuis des années des plans pour édifier un monde définitivement globalisé, où le « One World » aurait priorité sur tout en matières politique, juridique et économique.


Les nations jadis souveraines doivent être mobilisées pour atteindre les objectifs de cette globalisation. Pour l’Europe, la construction eurocratique, l’UE, doit être le modèle à suivre dans l’intérêt des Etats-Unis. Par définition, la globalisation, ainsi conçue, n’est rien d’autre que le processus de soumission au système des intérêts américains. George Friedman, ancien directeur de la très influente boîte-à-penser Stratfor, nous donne son explication : « Quand on parle de stratégie, cela ne signifie pas seulement préparer une guerre conventionnelle. Une stratégie vise surtout à maintenir intact et solide tout ce qui préserve et renforce une nation. Dans le cas des Etats-Unis d’Amérique cependant, la stratégie surplombante, plus que pour d’autres pays, implique bien la guerre ou plutôt une interaction entre la guerre et l’économie ».


barnettkl-L._AC_UL320_SR214,320_.jpgHerfried Münkler, de l’Université Humboldt de Berlin, est désormais un théoricien politique en vue en Allemagne : pour lui, l’option impériale russe, qui vise à acquérir ou à récupérer des territoires comme la Crimée, par exemple, est un mode archaïque d’action sur le monde. Pourquoi ? Parce qu’il parie sur un processus d’acquisition territoriale qui coûte cher sur le plan économique, surtout lorsqu’on tient compte de toutes ses retombées ultérieures (gestion et défense du territoire acquis, installation des communications, etc.). Pour Münkler, la pratique impériale russe est quelque peu anachronique. Les Etats-Unis, en revanche, parient pour un contrôle de tous les types de flux : flux de capitaux, flux générés par les mobilités humaines (voyages, transhumances, tourisme, affaires), notamment les migrations, flux des données. De cette façon, ils gèrent les informations les plus pertinentes qui leur permettent de téléguider les flux qu’ils choisissent d’influencer. Le contrôle des flux de données entre pourtant en conflit avec les principes démocratiques et avec les droits de l’homme : mais le pragmatisme américain ne s’en soucie guère, l’exercice effectif de la puissance prime dans le jeu qu’il joue sur l’échiquier planétaire.


Si la globalisation signifie l’américanisation, il s’avère nécessaire de développer des stratégies pour assurer l’imposition illimité et sans frein de règles, de critères, de standards, de biens et de services qui permettront le triomphe de cette globalisation/américanisation. Il faudra, par exemple, standardiser l’art, la musique, la culture et le langage quotidien des hommes car, à terme, il est tout aussi utile de contrôler ces « flux culturels » que de contrôler les flux ininterrompus de pétrole, de gaz ou d’autres matières premières. Pour le monde globalisé, théorisé anticipativement par Barnett, la propriété des matières premières ne doit pas demeurer aux mains des nations : il faudra privatiser les ressources pour les soumettre à des dispositifs transnationaux.


Le flux des capitaux devra guider les investissements et la consommation de façon à ce que les intérêts américains soient toujours préservés. Déjà Edward Bernays, originaire de Vienne en Autriche, créateur de la notion de « public relations », grand « spin doctor » devant l’Eternel, neveu de Sigmund Freud, avait commenté l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917 par une phrase devenue célèbre, exprimant parfaitement les intentions du Président Wilson : « Nous devons rendre le monde plus sûr, pour faire advenir partout la démocratie » (« to make the world sure for democracy »). Dans le même sens, Barnett parle du flux ininterrompu de troupes américaines dans le monde comme d’un « service » rendu aux marchés régionaux.


barnettT5QL._SX322_BO1,204,203,200_.jpgPour Barnett, cette globalisation, cette gestion des flux, ne peut advenir que s’il y a mélange racial généralisé, de façon à établir en Europe, une race nouvelle, « brune claire ». Cet objectif ne peut être atteint que si l’on amène en Europe chaque année 1,5 million d’immigrants venus du tiers-monde africain. Il faut, ajoute-t-il, une Europe où le QI moyen ne dépasse pas le chiffre de 90. Ainsi, la population sera trop stupide pour comprendre qu’elle est incluse dans un « One World », dans un « nouvel ordre mondial » mais suffisamment intelligente pour pouvoir travailler. Dans le cas de l’Europe, travailler, cela signifie produire des biens largement appréciés dans le cadre d’entreprises, qui paieront mal leurs salariés et dont les profits gigantesques couleront tout droit dans les poches des propriétaires transnationaux.


Barnett est convaincu que l’Europe, dont le taux des naissances a diminué de 50% en cinquante ans, est désormais un continent de vieilles gens où l’on peut ouvrir toutes les écluses démographiques, provoquant ainsi une inondation migratoire. L’Allemagne, par exemple, connaîtra toujours la croissance jusqu’en 2030 mais, tout comme au cours de ces quinze dernières années, aura un déficit de main-d’œuvre de huit millions d’unités, ce qui appelle l’immigration.


Le fameux Traité transatlantique complètera le traité NAFTA, qui lie le Mexique et le Canada aux Etats-Unis ; cette fois, ce sera l’Europe qui sera incluse dans un accord semblable de libre-échange, soit plongée totalement et irrémédiablement dans la sphère économique américaine.


Bernhard LÖHRI.
(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°46/2015 ; http://www.zurzeit.at ).

 

"Etats-Unis : une nouvelle vision géopolitique ?"

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"Etats-Unis: une nouvelle vision géopolitique?"

par Jean-Claude Empereur

Ex: http://www.europsolidaire.eu

Ci-dessous, reprise pour Europe solidaire de mon article consacré aux thèses de George Friedman, article qui vient d'être publié, sous le titre : "Etats-Unis : une nouvelle vision géopolitique ?", dans le numéro de décembre de la "Revue Politique et Parlementaire" consacré au réalisme diplomatique.
 
Ps: depuis la rédaction de cet article, G. Friedman a quitté la présidence de Stratfor pour créer et prendre la tête de "Geopolitical Futures" avec l'intention de renforcer encore son influence au sein de l'oligarchie dirigeante des Etats-Unis.
 
Flashpoints - The Emerging Crisis in Europe

de George Friedman

Un avertissement brutal mais lucide du géopolitologue américain

Note de lecture et commentaire de Jean-Claude Empereur

Convention pour l'indépendance de l'Europe

flasho-EL._SX327_BO1,204,203,200_.jpgFace à la crise de souveraineté et d'identité qui affecte l'Union Européenne, il n'est pas inutile d'analyser le regard que portent certains géopolitologues américains sur cette situation. On connaissait les positions, souvent critiques, de quelques-uns d'entre eux tels que Samuel Huntington ou Zbigniew Brzezinski. George Friedman va encore plus loin dans le pessimisme et surtout la méfiance à l'égard d'une construction dont il considère qu'elle est devenue dangereuse pour l'équilibre du monde.

Spécialiste reconnu de la prospective, président de Stratfor, société qui se consacre à l'analyse géostratégique et à l'intelligence économique, souvent qualifiée de « CIA bis », George Friedman est proche des milieux dirigeants américains. Il peut être ainsi considéré comme très représentatif de la pensée géopolitique dominante à Washington, qu'il s'agisse des cercles dirigeants « visibles » que de ceux du « deep-state » et du complexe militaro industriel, qu'ils soient Républicains ou Démocrates.

Son dernier livre : « FLASHPOINTS. The emerging crisis in Europe » est non seulement une analyse plus que critique ,voire même brutale, de la situation sur le vieux continent, mais surtout une mise en garde des dangers potentiels que représente, pour le reste du monde et surtout pour les Etats-Unis, une Union Européenne à la dérive.

Son point de vue peut se résumer de la manière suivante :

  • L'Union Européenne a échoué,

  • La « question allemande » est de retour,

  • L'Eurasie est un  cauchemar géopolitique pour les Etats-Unis.

L'effondrement du système européen.

D'emblée, et pour mieux mettre en évidence l'ambiguïté initiale du projet européen, George Friedman considère que l'on a trop tendance à oublier le rôle essentiel joué, dès l'origine, par les Etats-Unis dans une construction destinée essentiellement à contrer la menace soviétique. Cette origine, assez éloignée du récit officiel, explique et justifie, selon lui, la parfaite et nécessaire consanguinité entre l'OTAN et l'UE, la seconde n'étant ni plus ni moins, dans cette perspective atlantiste, que la façade économique de l'autre.

Dès sa création, surtout depuis le traité de Maastricht et jusqu'en 2008 l'Europe était devenue une puissance industrielle mais surtout commerciale florissante, l'interdépendance économique des Etats et des entreprises garantissant apparemment paix et prospérité.

Soixante ans plus tard, George Friedman, constate, non sans une certaine « shadenfreude », que ce double objectif de paix et de prospérité n'a pas été atteint. La crise économique et financière ne cesse de s'étendre et la menace de conflits traditionnels ou identitaires plane tant à l'intérieur qu'aux frontières de l'Europe. C'est précisément la multiplication de ces zones de conflits : « flashpoints », en cours ou potentiels, qui, pour l'auteur, sont la marque, congénitale de l'Europe. Livrés à eux-mêmes, les Européens sont dans l'incapacité de s'entendre. La construction européenne a pu faire un moment illusion mais le tragique de l'histoire a repris ses droits.

Les Européens ne changeront jamais .Dès que se profile une crise majeure leurs vieux penchants les reprennent. Aucun système institutionnel européen n'a réussi à enrayer ce mouvement, l'Union Européenne pas plus que les autres.

Incapable de se contrôler eux-mêmes, au risque de déchainer une nouvelle guerre mondiale, ils ne peuvent que se soumettre à une puissance extérieure.

friedw204.jpg« Les Européens ont su conquérir le monde mais se sont montrés incapables de se conquérir eux-mêmes »

Pour George Friedman le point tournant de l'histoire se situe en 2008, année d'une double crise: d'abord militaire en Géorgie, économique ensuite avec la chute de Lehman Brothers. Sur le moment le lien entre ces deux événements pivots ne fut pas remarqué. Le premier d'entre eux montrait que les relations entre la Russie et l'Europe venaient de prendre brutalement un tour nouveau et que la guerre pouvait ressurgir à tout moment sur le continent, comme devait le montrer par la suite, le conflit en Ukraine. Le second, quant à lui, en marquant le début d'une crise économique profonde, mettait en évidence la fragilité de l'Union Européenne, fragilité que les discours incantatoires de ses dirigeants avaient réussi à masquer jusqu'alors.

Dès que les difficultés apparurent, devant la sidération et la paralysie des institutions européennes, les Etats ont repris les commandes, divergences et antagonismes se sont donnés libre cours. Les institutions européennes ont révélé alors leurs faiblesses et le moteur franco-allemand a cessé de fonctionner correctement.

Le retour de la « Question allemande ».

La réconciliation franco-allemande, à condition d'être équilibrée et soigneusement contrôlée, a toujours été, pour les anglo-saxons, le principe fondateur de la construction européenne.

Aujourd'hui l'équilibre est rompu et le contrôle de plus en plus incertain. La réunification a rendu à l'Allemagne sa place centrale en Europe. Grâce à une politique économique tournée vers l'exportation, appuyée sur une monnaie unique qui n'est autre qu'un mark déguisé et une Banque Centrale Européenne copie conforme de la Bundesbank, la République Fédérale s'est imposée comme puissance économique dominante, dictant sans trop d'égards ni de scrupules, à son seul profit, ses orientations ordo-libérales et mercantilistes à l'ensemble de l'Union, sous prétexte de bonne gouvernance.

Pour le président de Stratfor le divorce entre l'Allemagne et la France est consommé de manière quasi irréversible. Les voies et les choix économiques et stratégiques divergent déjà, l'Allemagne se tournant vers l'Est et la France vers le Sud.

Mais notre auteur va beaucoup plus loin. Il pense que ce pivot oriental, conforme à l'histoire et aux tropismes allemands, n'est qu'un début. Il est l'expression d'une volonté de se débarrasser des contrôles, de l'état de soumission et de souveraineté limitée qui est imposé à l'Allemagne depuis la fin de la guerre. Dans cette perspective l'Allemagne constitue une menace, Personne ne peut prévoir, selon lui, dans quel chemin va s'engager ce pays, au cours des vingt prochaines années , s'il est livré à lui-même

La « Question allemande », formulation qui, dans l'histoire, a toujours exprimé vis-à-vis de nos voisins une interrogation anxieuse, serait-elle de retour ?

Mais pour George Friedman le pire est encore à venir si les Allemands, libérés de leurs liens étroits avec la France et par la même d'une Union Européenne en situation d'échec, se tournent, comme leur passé les y invite, vers la Russie.

L'obsession eurasienne : un cauchemar géopolitique.

On sait depuis Tocqueville que l'affrontement entre l'Amérique et la Russie fait partie des grands mythes de l'histoire.

Pour certains, le caractère inévitable de cet affrontement a été théorisé dès 1904 par Hartford Mackinder dans sa conférence à la Royal Geographical Society de Londres. Cette conférence reprise ultérieurement dans un simple article de douze pages résume encore aujourd'hui les orientations de la politique américaine en mettant en évidence l'opposition absolue entre une Amérique appuyée sur la maîtrise intégrale des océans et une Russie retranchée dans « l'ile du monde » cœur du système continental eurasiatique et « pivot géographique de l'histoire ».

Pour Friedman le rapprochement de la nouvelle Allemagne et de la Russie éternelle en rendant inévitable la constitution d'un ensemble continental gigantesque peuplé de plus de sept cent millions d'habitants, aux immenses ressources naturelles, à la profondeur stratégique inégalée, en continuité et en contiguïté avec la Chine ,l'Inde et le monde musulman est inacceptable.

friedSuGu1GsgL._UY250_.jpgCe rapprochement, s'il devait se confirmer dans les vingt ans à venir, constituerait pour les Etats-Unis, un véritable cauchemar géopolitique en même temps qu'une menace majeure, mettant en cause une hégémonie considérée comme non négociable.

Dans ces conditions, tout, absolument tout, doit être mis en œuvre pour en empêcher la réalisation.

C'est ainsi que l'intégration de l'Ukraine à l'Union Européenne, en réalité à l'OTAN, constitue un enjeu majeur et prend tout son sens. Dans cette logique, le conflit doit être mené jusqu'à son terme afin de positionner les armées de l'OTAN jusqu'aux frontières de la Russie et ceci «  pour des décennies »...

Bien au-delà du simple endiguement de la guerre froide « containment », c'est d'une stratégie de refoulement pur et simple « roll back » dont il s'agit. Cette stratégie, fait ainsi entrer subrepticement les Etats-Unis dans l' « étranger proche » de la Russie, en plaçant de facto cette zone périphérique, à laquelle elle est très attachée, pour sa sécurité, sous contrôle américain. L'étape suivante est d'utiliser, dans la ligne de ce que préconise Zbigniew Brzezinski dans le « Grand échiquier », l'Ukraine comme bélier géostratégique pour disloquer ensuite la Fédération de Russie.

Au cours d'une conférence donnée au Chicago Council for Global Affairs, George Friedman, à l'occasion de la sortie de son livre, n'a pas hésité à envisager le retour de la guerre froide voire même la possibilité d'un conflit préventif avec la Russie.  « si  l'on veut éviter qu'une flotte constitue une menace il faut empêcher sa construction avant qu'il ne soit trop tard ».Précise-t-il.

Nous voilà dûment avertis...

Europe/Etats-Unis, des malentendus aux divergences transatlantiques.

On est loin de la vision Kissingérienne du réalisme diplomatique et de l'équilibre des puissances. Conscient des risques insensés que fait courir au monde cette politique agressive et invasive, l'ancien secrétaire d'Etat Henry Kissinger a déclaré, dans une interview accordée au New York Times au début de l'année 2015 à propos du conflit en Ukraine: « Je pense qu'une reprise de la guerre froide serait une tragédie historique ».

Il est clair que la brutalité – le mot n'est pas trop fort- de l'analyse de Friedman s'apparente plus à de la provocation qu'à de la diplomatie.

De ce point de vue, on se souvient des propos, méprisants, peu diplomatiques, pour ne pas dire plus, de Victoria Nuland, assistante au Secrétariat d'Etat américain pour les affaires européennes et eurasiennes, interceptés lors d'un entretien téléphonique avec l'ambassadeur des Etats-Unis à Kiev : « we F... the European Union ». Ce langage d'une diplomate chevronnée, très liée aux milieux néo-conservateurs, ( son mari n'est autre que Robert Kagan , l'un des fondateurs du « Project for a New American Century ») sont très représentatifs de cette tendance provocatrice et jusqu'auboutiste faisant peu de cas des intérêts de l'Union Européenne.

S'agissant des rapports euro-atlantiques et de l'évolution de la construction européenne, on aurait tort de ne pas tenir compte de l'analyse de George Friedman et de ne pas en tirer un certain nombre de leçons pour l'avenir, ceci pour au moins deux raisons :

  • La première c'est qu'elle n'est pas toujours dépourvue de sens, en ce qu'elle met en lumière, les divergences d'intérêts aiguisés par la crise, entre les Etats membres de l'Union Européenne.

  • La seconde vient, compte tenu de l'appartenance de son auteur aux cercles du pouvoir, de son caractère potentiellement auto réalisatrice.

Il ne faut pas se bercer d'illusions cette analyse, partagée par la plupart des milieux dirigeants de Washington, qui rappelons le sont souvent les commanditaires de Stratfor, dénie à l'Union Européenne toute possibilité d'indépendance politique économique ou militaire,

Car du fait de l'impossibilité supposée des responsables politiques européens de maîtriser leurs conflictualités latentes, tout désir d'indépendance de leur part, est perçue comme un risque et une menace permanente pour la paix et la sécurité des Etats-Unis.

freidVSAZL._AC_UL320_SR202,320_.jpgFriedman insiste sur le fait que les Etats–Unis doivent continuer à contrôler sans partage les océans et l'espace, il pourrait ajouter le numérique et le Big data, car c'est le socle de leur puissance. Devant les risques que présentent, selon lui, l'irresponsabilité et l'incontrôlabilité européenne, et le double échec de l'intégration économique et militaire de l'Europe, deux solutions s'imposent : le renforcement et l'extension de l'OTAN, la mise en œuvre du Grand Marché Transatlantique, deux instruments de vassalisation de l'Union.

Il est clair que les Européens qui font de moins en moins confiance à leurs institutions pour faire face aux problèmes du moment,

Aveuglés par une vision irénique de la mondialisation, dépourvus, à la différence de tous les autres acteurs mondiaux, de la moindre vision géopolitique et plongés dans un état de sidération depuis le début d'une crise sans fin, ils auront du mal à résister à ce double arraisonnement s'ils ne prennent pas rapidement un certain nombre de mesures de rupture.

Les plus urgentes mais aussi les plus difficiles à mettre en œuvre devraient être les suivantes :

Solidarité puissance identité souveraineté

Refonder le projet européen sur quatre concepts intimement liés entre eux : solidarité, puissance, identité et souveraineté. La crise a mis à mal, depuis longtemps, les impératifs de solidarité et de puissance, les faisant passer imprudemment derrière les contraintes techniques et comptables de «  gouvernance » budgétaire.

Les crises migratoires et la perspective de leur amplification pose le problème de l'existence et de l'identité d'un peuple européen. Cette incertitude identitaire est à l'origine de bien des difficultés présentes.

Enfin le retour à la multipolarité du monde et le développement d'une compétition acharnée entre ses différents acteurs met en évidence l'exigence fondamentale de souveraineté

En effet, malgré les discours iréniques sur la mondialisation et l'érosion des Etats-Nations, la souveraineté  reste, le marqueur central de la réalité d'un pouvoir. Or la construction européenne a consisté, sous prétexte de gradualisme, à installer, sous couvert du principe anesthésiant de subsidiarité, un système très coercitif, de transfert/neutralisation insidieux de la souveraineté des Etats membres, au profit d'une Union, incapable de construire, en retour, à son niveau une souveraineté européenne authentique. Ce système d'aspiration/annihilation dont l'extrême nocivité apparait maintenant au grand jour, du fait des multiples crises existentielles qui assaillent l'Europe, a mis en péril sa défense, et explique dans une large mesure son incapacité à forger une politique dans ce domaine.

La refondation des institutions européennes commande le retour au principe, plus souple, d'un « Concert européen de souverainetés nationales ».

Ce double refus impolitique et névrotique de l'identité et de la souveraineté condamne, s'il n'est pas surmonté rapidement, l'Europe à sortir de l'histoire

Pour une Europe des grands espaces

Construire et renforcer le partenariat Euro-Russe , l'Union Européenne l'avait un moment envisagé, puis abandonné sous la pression anglo-saxonne. Il est temps de le relancer, dans une perspective d'équilibre entre le monde atlantique océanique et le monde asiatique continental. Seul en effet, ce partenariat s'appuyant sur un lien tripartite équilibré et complémentaire entre Paris, Berlin et Moscou est capable d'offrir au projet européen une réelle puissance en accordant à celui-ci la possibilité de :

  • développer de grands projets industriels et technologiques, en particulier, dans l'espace et le numérique,

  • lui donner accès à des ressources naturelles considérables

  • le doter enfin d'une véritable profondeur stratégique allant bien au-delà de ce que George Friedman appelle « l'Europe péninsulaire ».Cette convergence entre les trois pays s'est manifestée, avec succès, au cours des dernières années dans des situations très critiques, la guerre en Irak en 2003 et le conflit en Ukraine avec les accords de Minsk II en 2015.

Conclusion.  Rompre avec la stratégie américaine d'encerclement issue de la guerre froide

Se dégager de l'endiguement « Mackinderien » qui oppose depuis plus d'un siècle l'ensemble eurasiatique au reste du monde pour le seul bénéfice de l'hégémonie américaine en recherchant des alliances avec les puissances émergentes et notamment les BRICS. De ce point de vue une attention toute particulière doit être accordée non seulement au monde méditerranéen mais surtout à l'Afrique, le plus proche voisin de l'Europe, dont l'évolution démographique, récemment rappelée par un rapport de l'ONU, va déterminer, pour une part l'équilibre du monde dans les prochaines décennies : 2,4 milliards d'habitants en 2050 et 4,4 milliards en 2100. Le refus de voir les conséquences géopolitiques de cette situation, s'il persistait, est gros d'énormes difficultés à terme très rapproché. 

Reste à savoir s'il existe aujourd'hui une opinion publique européenne prête à entendre ce message et des hommes politiques «  grand format » pour reprendre la formule de Thomas Mann capables de les guider dans cette voie.

Washington, l'Otan, les migrants

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Washington, l'Otan, les migrants

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

On apprend le 12/02, selon la presse, que « l'Otan a décidé d'apporter à l'Allemagne, la Grèce et la Turquie l'aide qu'elles réclament face à la crise migratoire. Le secrétaire général de l'Organisation, Jens Stoltenberg, a annoncé ce jeudi 11 février qu'un groupement naval allié sous commandement allemand allait se rendre sans tarder en mer Egée pour «aider à lutter contre le trafic humain».

" Le commandant des forces alliées en Europe, le général américain Philip Breedlove, «est en ce moment en train d'ordonner au groupement naval permanent (...) de se rendre en mer Egée sans tarder et d'y débuter des activités de surveillance», a précisé Jens Stoltenberg en présentant la mission."

Cette « crise des migrants » sert, comme l'on pouvait s'y attendre, de prétexte à Washington pour s'engager militairement, via l'Otan, en Méditerranée orientale ...ce que l'Amérique fait déjà depuis longtemps, mais plus discrètement et sans recueillir pour cela l'accord de tous les pays européens.

Le prétexte de la crise des migrants ne trompera personne. Ce ne sont pas des navires de guerre de l'Otan qui pourront faire la moindre chose pour empêcher le trafic des passeurs. Il faudrait pour cela qu'ils aient mission de tirer à la mitrailleuse sur leurs embarcations, quitte à augmenter le nombre des noyés parmi les migrants. Or personne ne s'y résoudra, bien entendu. Le prétexte de recueillir des informations sur les passeurs n'a aucun sens. Les informations ne permettront ni à Frontex ni aux garde-cotes grecs d'arrêter les passeurs – sauf encore une fois à tirer sur eux.

Le vrai motif de l'intervention de l'Otan consiste à permettre au général américain Philip Breedlove de déployer des moyens capables d'intervenir directement dans le conflit syrien, en relais de la Turquie et en se substituant à l'Union Européenne et à l'ONU. Cette intervention permettra d'empêcher la Russie de poursuivre la remise en selle de son allié de toujours, Bashar al Assad. Elle rappellera aussi à Chypre et à la Grèce, comme aux pays européens dont les marines nationales pourraient très bien intervenir pour arrêter les trafics à la source, que la Méditerranée est leur mare nostrum.

Tout laisse donc penser que les migrations provenant autant du Moyen-Orient que de l'Afrique ne vont pas s'arrêter, au contraire. Elles servent trop les intérêts stratégiques des Etats-Unis dans cette partie du monde pour ne pas être en partie suscitées par eux. Face à la crise libyenne qui se prépare, tout laisse penser que l'Otan ou à défaut l'US Africa Command ont déjà mis au point des plans d'interventions directes.

La France, au lieu de réagir, laisse faire. Le 11/02 sur France Inter, François Hollande a répété son obstiné « Assad doit partir ». Il sait très bien pourtant que si Assad part, ce seront Daesh et des américano-saoudiens irresponsables qui le remplaceront.

Jean Paul Baquiast