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mardi, 03 novembre 2020

Perspectives

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Perspectives

par Pierre-Émile BLAIRON

Ex: http://www.europemaxima.com

Les peuples (et particulièrement le peuple français dans sa grande majorité), sont dans l’illusion quand ils attendent la fin du covid, la fin du confinement, ou du reconfinement, ou du « re-reconfinement », la fin du couvre-feu à 21 h, puis à 20 h, puis à 19 h, la fin des fermetures des bars, des restaurants, des discothèques, des salles de sports, la fin des interdictions pseudo-sanitaires, etc.

Ils croient qu’ensuite, « quand ce sera terminé », ils pourront recommencer à vivre comme autrefois, mais cet « autrefois » n’est guère plus loin que l’année dernière.

Non seulement il n’y aura pas de fin, mais toutes ces contraintes seront aggravées en permanence.

Ils n’ont pas compris que leur vieux monde est mort, celui qu’ils aimaient tant, dans lequel ils ne se sont jamais posés de questions, égoïstement et exclusivement préoccupés qu’ils étaient par le choix du lieu de leurs prochaines vacances, par le choix de leur prochaine voiture ou celui de leur prochain smartphone.

Ce monde si confortable est mort, définitivement mort.

Et ils ont encore moins compris que, à moins d’un retournement in extremis opéré par quelques veilleurs qui auront eu bien du mérite à affronter l’incompréhension de tous, le monde qui nous attend sera le monde de l’horreur et de la terreur.

Je dois bien avouer que je n’ai aucune sympathie et encore moins de compassion pour ces hédonistes dont le seul mot d’ordre était : nous d’abord et après nous, le déluge. On n’a jamais que le destin que l’on mérite.

Pierre-Émile Blairon

Haut-Karabakh: la Russie et l'Iran, seuls maîtres du jeu pour résoudre le conflit dans un processus de type Astana

par Patricia Lalonde*
Ex: https://geopragma.fr

Portant sur un territoire jamais reconnu par les Nations Unies ni par aucun autre Etat dans le monde, le conflit du Haut-Karabakh fait partie de ce qu’on appelle en termes diplomatiques « un conflit gelé » qui met en confrontation, dans ce cas, le principe d’autodétermination des peuples et l’application du droit international.

S’il semble naturel aux défenseurs des droits de l’Homme d’apporter un soutien à l’Arménie, victime du terrible génocide de 1915, que ni la Turquie ni l’Azerbaïdjan n’ont reconnu à ce jour, l’Azerbaïdjan, de son côté n’a jamais accepté que les Arméniens parrainent l’indépendance auto-proclamée du Haut-Karabakh en 1991. Une guerre meurtrière s’en est suivie avant un cessez-le-feu en 1994 qui a donné lieu depuis, à plusieurs escarmouches sur la ligne de front. 750 000 Azéris ont dû quitter leurs terres et ne pensent qu’à « revenir au pays ». 

Une tentative pour tenter de résoudre le conflit avait été faite en 2009 à Madrid, et trois pistes y avaient été proposées : les habitants du Haut-Karabakh pourraient décider s’ils étaient citoyens d’Arménie ou d’Azerbaïdjan, l’armée arménienne se retirerait de la région occupée au Sud-Est du Haut-Karabakh, et enfin, l’Azerbaïdjan garantirait un couloir humanitaire pour tous ceux qui voudraient quitter le Haut-Karabakh pour l’Arménie… Ces pourparlers furent interrompus, faute de consensus des deux parties.

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Les pays du voisinage se sont accommodés depuis de longues années de ce statu quo, à commencer par la Russie, qui entretient de très bonnes relations avec l’Arménie et lui est liée par un accord de défense dans le cadre du l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), mais qui parallèlement conservent de bonnes relations avec Bakou (notamment pour ne pas laisser le pays basculer sous influence occidentale), et vend à l’Azerbaïdjan (tout comme à l’Arménie).

Comme vient de déclarer le président russe, Vladimir Poutine, dans le cadre des discussions de Valdaï, « c’est un conflit qui a lieu entre nos amis. Personne ne souhaite la fin du conflit autant que nous ne la souhaitons. Je suis à cent pour cent sûr que les pays du Groupe de Minsk font leurs efforts pour régler la crise, mais la désescalade n’importe à personne autant qu’à la Russie. Je ne parle pas comme cela pour mettre en exergue le rôle de la Russie, mais ces deux pays sont nos voisins et nous entretenons des relations spéciales avec leur Etat et leur peuple ». Vladimir Poutine va plus loin en déclarant qu’il comprend que l’Azerbaïdjan veuille récupérer ses terres « puisqu’il est totalement inacceptable pour Bakou de perdre une grande partie de son territoire ».

Quant à la République islamique d’Iran, qui reste proche de l’Arménie chrétienne, elle conserve néanmoins de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan avec qui elle partage une large frontière, relations indispensables pour contenir d’éventuelles tensions dans la très forte communauté azérie chiite, deuxième ethnie d’Iran ; et cela malgré un rapprochement de Bakou avec Israël en matière de renseignement, d’énergie et d’équipement militaire. 

Tout en mettant l’accent sur la préservation de la souveraineté nationale et de l’intégrité du territoire Azerbaïdjanais, l’Iran serait prêt à contribuer à l’instauration d’une paix durable dans la cadre d’une initiative régionale : Iran, Turquie, Russie, en complément du mécanisme de Minsk. C’est le sens du déplacement à Moscou du vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Seyed Abbas Araghchi pour y rencontrer son homologue Russe, Andrei Rudenko.

L’Initiative iranienne vise à démontrer l’inefficacité du Groupe de Minsk et l’urgence d’une approche régionale ; selon le vice-ministre iranien, cette première étape met l’accent sur l’engagement pratiquedes pays de la région en faveur du respect d’un certain nombre de principes, notamment la fin nécessaire de l’occupation, le respect de l’intégrité territoriale, le principe de l’inviolabilité des frontières ainsi que le respect du droit humanitaire, du droit des minorités et la non-agression contre les civils… Une façon de libérer l’Azerbaïdjan de l’emprise et de l’instrumentalisation de Recep Tayyip Erdogan.

Il faut en effet remarquer que contrairement à son allié turc, l’Azerbaïdjan a su entretenir de bons contacts avec tout son voisinage ainsi qu’avec l’Europe : le Partenariat Oriental en est un exemple ainsi que sa participation à certaines opérations dirigées par l’OTAN.  Contrairement à ce que l’engagement de la Turquie auprès de l’Azerbaïdjan pourrait (et cherche à) laisser penser, il ne s’agit donc aucunement d’une guerre de religion. S’il est vrai que le calendrier est troublant et que R.T. Erdogan cherche à faire oublier ses échecs en Syrie et en Libye en ouvrant un nouveau front dans le Caucase, peut-être sous influence de l’OTAN et de Washington,ce n’est pas le cas des autorités azerbaïdjanaises, qui cherchent surtout à faire appliquer le droit international en récupérant les territoires du Haut-Karabakh et ses provinces adjacentes. L’Azerbaïdjan semble en effet éloigné des calculs politico-religieux du président de l’AKP et de sa volonté d’expansion dans le Caucase. Il suffit de voyager en Azerbaïdjan, et pas seulement à Bakou où se côtoient églises, synagogues et mosquées, pour se rendre compte de la tolérance du peuple azéri en matière de religion. 90% des Azéris sont des musulmans chiites et pratiquent un islam modéré.

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Le « soutien » de R.T. Erdogan risque donc de devenir un fardeau pour le président azéri Ilham Aliyev, notamment dans le contexte actuel de forte tension entre la Turquie, la France et les pays européens. En effet, l’arrivée de djihadistes de Syrie et de Libye, ayant transité par la Turquie est un très mauvais coup porté à toute la région. Nous avons vu les effets désastreux d’une telle politique dans les conflits en Syrie, en Libye et au Yémen. Des appels au djihad dans le Caucase ont été lancés ; les Azéris et les Arméniens n’ont aucun intérêt à ce que leurs pays deviennent un nouveau terrain d’entraînement pour les djihadistes et échappe à tout contrôle, d’autant que des « révoltes » (peut être opportunément encouragées) dans d’autres anciennes républiques soviétiques comme le Kirghizstan qui sont en train de déstabiliser la région pourraient réveiller les nombreux groupes islamistes au Tadjikistan et en Ouzbékistan et déstabiliser davantage l’Afghanistan en plein pourparlers avec les Talibans…

Aucun des pays du voisinage n’a de fait intérêt à ce que le conflit s’envenime, ni à tomber dans un possible piège que les Occidentaux auraient tendu en manipulant à la fois Nikol Pachinyan, le Premier ministre arménien aux tendances pro-occidentales et américaines, et le président Azerbaïdjanais Ilhan Aliyev proche de l’OTAN, en poussant les Turcs à s’ingérer dans ce conflit gelé pour déstabiliser les Russes, et les Iraniens et les forcer à rentrer en guerre. Vladimir Poutine a compris la combine. Il n’a eu de cesse ces derniers jours de répéter qu’il n’enverrait pas de troupes russes au Haut-Karabakh si l’Arménie n’était pas touchée directement sur son sol et qu’il savait comment écarter la Turquie en tarissant la source de son trafic de terroristes vers le Caucase Sud. Pour preuve, il y a quelques jours, les armées russe et syrienne ont frappé fort en visant un site de contrebande de pétrole syrien, causant la mort de dizaines de terroristes et la destruction de pétrole de contrebande que R.T. Erdogan s’apprêtait à trafiquer vers l’Europe pour financer son incursion au Haut-Karabakh… Les Russes comme les Iraniens ne laisseront pas s’installer les poches de djihadistes envoyées par R.T. Erdogan. Ils ne les ont pas combattus des années en Syrie, et en Libye, pour les laisser venir dans le Caucase. 

C’est là que le « format d’Astana » mis en place pour le règlement du conflit syrien entre la Turquie, la Russie et l’Iran pourrait prendre légitimement toute sa place, marginalisant ainsi le groupe de Minsk en n’incluant que les Etats de la région directement concernés : l’Azerbaïdjan, l’Arménie, la Russie, l’Iran et la Turquie… 

Si l’OTAN a cherché à se servir de la Turquie pour tendre un piège aux Russes et aux Iraniens dans le Caucase sur le dos des Azéris et des Arméniens, il pourrait bien se refermer sur ses instigateurs.

*Patricia Lalonde, Vice-présidente de Geopragma

Penser la géopolitique (par Yohann Sparfell)

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Penser la géopolitique

par Yohann Sparfell

Ex: http://www.in-limine.eu

Comme en ce qui concerne chaque objet de nos intérêts en ce monde néolibéral, nous avons fort souvent une vue superficielle de la géopolitique qui ne nous permet que de nous en faire une opinion, soit de ne l’aborder que superficiellement. À partir de ce moment, nous nous plaçons dans une posture intellectuelle visant soit à rationaliser les évènements liés aux rapports internationaux dans le but de tenter de suivre par là-même le mouvement général qu’ils engendrent (c’est-à-dire d’essayer d’en déduire une finalité et, conservant toujours un temps de retard, de tâcher d’en subir le moins possible d’inconvénients), soit d’en critiquer le bien-fondé afin de vouloir en nier la portée véritable et profonde par crainte de devoir réfléchir sur nous-même et nos prétentions idéalistes tout en immisçant le doute quant à nos nouvelles utopies globalistes (ce qui s’avère être en propre : nier la réalité). Dans le premier cas, nous avons tendance à faire de la géopolitique un simple instrument déductif de nos calculs stratégiques (restant à l’état de « mathématiques doctrinales » à l’écart du devenir du monde), dans l’autre cas, ou bien nous préférons nous désintéresser des orientations que prennent les rapports internationaux ou inter-civilisationnels et nous nous replions frileusement sur la prétendue supériorité de nos préjugés nationaux et doctrinaux mis au goût du jour de la postmodernité, ou bien nous nous contentons de dénoncer sa propension gênante à faire ressortir certains incontournables de l’homme en société qui entachent alors les lubies idéologiques prétendument progressistes.

Comme pour l’autorité, et bien d’autres concepts, tels que nous les entendons de nos jours, la superficialité de nos interprétations actuelles, parce que nous ne savons plus les confronter à l’expérience du fait que nous les maintenons à l’état d’abstractions, nous amènent à engendrer un dualisme qui n’aurait, pour une civilisation véritablement consciente de la complexité de la vie humaine, et enracinée entre le passé et le futur, pas lieu d’être. Comme pour le reste, notre propre interprétation de l’enracinement ne nous conduit pas à en faire un simple attachement à une terre mais l’expression même d’une proximité avec ces « choses » qui nous environnent et qui nous font autant qu’elles nous font. Le dualisme est bel et bien en notre époque le symptôme d’un éloignement consommé par rapport aux « choses » que nous pouvons alors décrire et éloigner de nous comme de simples objets. C’est-à-dire, en ce qui concerne la géopolitique, que nous pourrions faire comme si elle n’existait tout simplement pas, tout comme, à l’inverse, en faire un objet conceptuel outil de nos pulsions rationalisantes. Force est de constater aujourd’hui que nous ne sommes plus à même d’en comprendre les véritables enjeux, parce que nous ne savons plus la penser comme épreuve de la Réalité.

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Penser la géopolitique, c’est tout d’abord en venir à admettre qu’elle est en vérité incontournable car étant une des principales façons par lesquelles nous pouvons aborder ces comportements (manières de porter ensemble, de pro-duire en commun) face aux « choses » qui structurent profondément nos espaces de vie. La géopolitique n’est tout d’abord qu’un mot, mais pour autant et de la façon dont il est composé (géo-politique), ce mot inspire vers l’un de ces comportements particuliers qui nous relie aux choses de notre espace, et à aucun autre. Ce mot évoque une vérité enfouie au plus profond de nos êtres que nous ne savons plus considérer dans toute sa primordialité et sa force. Nous sommes devenus sourds aux évocations qui émanent de la racine de nos existences et nous relient aux Autres, choses comme êtres, et nous préférons porter nos attentions aux murmures envahissants des idées et abstractions, ainsi qu’aux croyances, du moment qu’aucunes incertitudes ne viennent en troubler la rassurante position dominante. Alors, plutôt que de voir dans le mot géopolitique que le simple assemblage des mots « géographie » et « politique », il serait plus exact d’y voir le rassemblement de l’espace et d’un certain ordre singulier, du moins en rapport à la signification spirituelle de ces deux mots : espace et ordre. Que signifie alors ce rassemblement ? Que dans un espace que nous créons nôtre, nous y fondons « poétiquement » notre monde par la pensée dans ce qu’elle est de plus essentielle (au-delà de toute rationalisation). La géopolitique est donc un penser-le-monde.

Or, penser le monde, c’est créer un espace en y intégrant les « lieux » singuliers à partir desquels nous pouvons y concevoir un ordre (en y intégrant les « choses » qui alors y acquièrent un sens et une existence propre en relation avec cet espace). Penser le monde, c’est créer donc spirituellement un espace où se rassemble le monde inférieur de la matière, le monde supérieur de l’harmonie cosmique, les hommes mortels et les dieux. C’est, en d’autres termes, donner du sens aux « choses » en fonction de notre sensibilité, en les intégrant à un espace au sein duquel elles acquièrent une « place » qui nous renvoie chacune à notre propre image, à notre être-au-monde. C’est-à-dire que les choses elles-mêmes pro-duisent (pro-duire - mettre en avant, faire voir) un espace délimitant ce rassemblement, celui du Quadriparti comme le disait Heidegger, dans l’horizon de l’entendement qu’elles font naître et dans l’étendue du symbolisme qu’elles inspirent aux créateurs/perpétuateurs d’un monde. Chaque « chose » répond alors à un besoin fondamental de sens et de délimitation, et l’ordre par lequel ce sens et cette délimitation se déploient dans l’espace ainsi créé est le but réel et fondamental du politique, comme expression en devenir perpétuelle d’une réelle démocratie, apparaissant de la recherche d’un équilibre entre les antagonismes qui s’y meuvent, et qui le meuvent. L’espace devient alors une géographie « spirituelle ». Et la géopolitique, la science sacrée de l’ordonnancement de l’espace.

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Plus fondamentalement encore que du rapport entre grands espaces continentaux ou civilisationnels, la géopolitique nous parle donc du rapport intime entre nous-mêmes et notre espace de vie, entre nous et ce qui nous est propre, notre propriété (du latin proprius, prope : ce qui approche, ce qui touche). Elle nous parle de ce que Heidegger appelait l’ « habiter » le monde, soit une relation intime au monde. Car cet « habiter » est forcément singulier quel que soit l’espace en question, région, nation ou civilisation, qui en sont les aboutissements politiques, culturels et spirituels s’élevant graduellement d’une sensibilité charnelle à une volonté conquérante. L’ensemble des étants vivants comme inertes qui participent à la singularité de chaque espace, l’appréhension particulière du temps et des cycles qui y ont cours, l’aperception singulière de la marque symbolique des « choses », ainsi que notre soucis de nous inscrire en tant que mortels dans cet espace, font que notre habitation du monde, de notre monde, est chaque fois une épreuve artistique que nous mettons en œuvre grâce au politique (le politique, du grec πόλος – pôle, est la mise en œuvre d’un équilibre au milieu du mouvement de la diversité contradictoire au sein de la multitude – du grec πόλις – ville, cité ; nous pouvons, à ce propos, faire remarquer que la civitas gallo-romaine englobait d’ailleurs toute une contrée, à l’échelle du territoire gaulois qui y résidait et en avait fait leur espace vital).

Le politique est donc aussi être vue comme une « chose » agissante qui, par son action, intègre toutes les autres dans son jeu. Il les domine d’une certaine façon comme, par exemple, il domine (ou du moins le devrait) l’économie (du grec οἶϰος et νόμος – administration du domaine). De l’interprétation que l’on se fait du politique, de la façon dont nous en percevons, ou non, toute la subtilité (la manière délicate de dépasser les contradictions sans néanmoins s’efforcer de les nier), nous pouvons, ou pas, façonner (pouvoir créer) un monde à notre convenance (à notre sens commun, à ce dont on aboutit par accord commun – ici, s’accorder par l’esprit). Ce jeu de l’esprit doit forcément se situer au dessus de l’espace, au faîte de la Dimension, liant le ciel (πόλος – le Politique) et la terre (γῆ – la Gé-o). La géopolitique décrit donc l’aspect essentiel du politique par lequel, dans un espace donné et un lieu donné (un lieu géo-graphique, c’est-à-dire une terre que nous « décrivons » spirituellement, que nous contons poétiquement à partir de notre héritage commun), nous nourrissons un sens commun et nous élevons le Bien commun (qui ne saurait par ailleurs, malgré ce qu’en pensent certains, s’abstraire de la multitude d’où il apparaît, toujours transitoire, toujours en devenir comme cette multitude même).

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La géopolitique est donc une dynamique portée vers la verticalité. Son être véritable ne saurait s’affirmer dans des prétentions à caractère universaliste qui toutes ont visé à épancher à l’échelle globale une civilisation, donc bien au-delà de son espace, ainsi que l’ont pratiqués les impérialismes occidentaux du XIXème et XXème siècle, ou comme le pratique encore l’hégémonisme étasunien. La géopolitique est l’ordonnancement d’un espace, celui d’un peuple, ou ensemble plus ou moins fédéralisé de peuples ayant su constituer au fil de l’histoire un Imperium civilisationnel, c’est-à-dire un espace mené par une Idée suprême. La géopolitique est, au fond, cette Idée qui cherche à s’enraciner dans la terre, elle est la concrétisation (le rassemblement avisé par lequel l’on croît ensemble), au sein d’un espace ainsi constitué, du lien entre le ciel et la terre, entre la pensée et l’humus. La géopolitique est une affirmation spirituelle enracinée dans les profondeurs de l’être, avant même que de représenter un type d’étude des rapports internationaux. Elle est une homologation de tout ce qui constitue un espace singulier, ce qui signifie qu’elle participe elle-même, en même temps qu’elle dit les choses qui rassemblent comme celles qui posent la distance, de la mise en œuvre des liens qui, en et hors la trame formant cet espace, lui donne sens et consistance, mais aussi cohérence.

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Si nous nous en tenons à la géopolitique en tant qu’étude des rapports internationaux, nous ne pourrions prétendre que les contradictions et les incertitudes qui l’entourent, tel un halo angoissant nous occultant l’avenir, seraient susceptibles d’être résolues en nous enfermant toujours plus dans nos idéaux, c’est-à-dire en nous éloignant toujours plus de la réalité. Des rapports internationaux exigent une part importante de confiance, et en tout premier lieu, de confiance en soi ! Qu’est-ce que la confiance ? C’est tout bonnement se fier, avoir foi à l’endroit de ce dont, en commun, l’on s’engage pour l’affirmation de sa Puissance, mais dont il n’est possible d’en mesurer réellement les effets qu’en étant capable de réfléchir sur soi-même (et donc d’élucider les idées qui nous meuvent, ou de s’efforcer d’en faire, en quelque sorte, la généalogie pour parvenir à en maîtriser le cours et en amoindrir l’emprise spirituelle). Il s’agit donc là d’une disposition (toute intérieure, affective) de la volonté par laquelle l’on se place à une hauteur convenable de laquelle il nous semble possible de pouvoir dépasser la contradiction entre la chaleur de la croyance et la froideur du réel, et ce au travers de la créativité, de la justification, de la recherche incessante d’équilibre dans nos relations, ainsi que d’une lecture fine des situations par lesquelles pourront s’affirmer nos propres intérêts, ainsi, pensons-nous, que ceux de nos partenaires. Un peuple ou une civilisation qui engage des relations internationales doit donc faire preuve de force morale et spirituelle au travers de laquelle ils acquièrent une verticalité apte à leur assurer du succès dans ces relations. La confiance qui lie un peuple ou une civilisation à sa terre et à son espace ne peut que nourrir cette force, mais seulement si ce peuple ou cette civilisation se donne véritablement les moyens de faire retour à soi, ou en d’autres termes s’ils s’interrogent sur la nature de cette confiance et de ce qu’elle implique pour eux-mêmes, pour leur environnement, comme pour les Autres. La géopolitique est une science qu’il ne serait donc pas inopportun par les temps qui courent d’inoculer à une Europe en proie aux doutes sur elle-même. Mais surtout, un savoir expérimental par lequel l’on prend conscience que l’Idée même, le Grand paradigme comme le nomme Edgar Morin, n’échappe nullement au devenir, qu’elle ne saurait tenter de se figer éternellement sinon à détruire la force même d’une civilisation, et sa Puissance.

 

Yohann Sparfell

 

Le Bulletin célinien, n°433

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Le Bulletin célinien - n°433

2020-10-BC-Cover.pngSommaire :

L’éternel retour des maudits

Céline (et quelques autres) dans les premiers numéros des Lettres françaises (1942-1949)

Actualité célinienne

Censure

La question de la réédition des pamphlets est (en partie) réglée puisqu’on dispose de l’édition critique sortie au Québec en 2012. Le paradoxe étant que, pour une question de copyright, cette édition est à la fois interdite à la vente en France et louée par l’exécuteur testamentaire qui était même disposé à la republier chez Gallimard. Différentes associations ont fait capoter le projet. Il est navrant qu’un céliniste de renom se soit associé à cette censure. Sa péroraison consista à affirmer qu’il est superflu que ce corpus soit accessible ¹. En d’autres termes, ce spécialiste trouve parfaitement normal qu’il soit commenté dans des ouvrages de toutes sortes et en même temps qu’il demeure inaccessible au plus grand nombre. Il n’est pas le seul à côtoyer l’absurde. Sur une radio communautaire, un chroniqueur a eu cette phrase mémorable : « Il ne faut pas interdire les pamphlets mais il ne faut pas les publier non plus. ² » Le cas Céline n’est pas isolé. D’une manière générale, la censure en France gagne du terrain. Au nom de la morale, du féminisme, de l’antiracisme ou d’une nouvelle lecture de l’Histoire, certains prétendent s’interposer entre le public et les œuvres, s’arroger le droit de juger, de contextualiser ou d’interdire, comme s’il fallait guider nos choix. On constate également ce phénomène aux États-Unis où des minorités agissantes veulent interdire des livres, des films ou des conférences. La différence étant que, dans ce pays, la liberté d’expression (free speech) est protégée par le premier amendement de la Constitution. Alors qu’en France plusieurs lois encadrent cette liberté. On en arrive à cet autre paradoxe : le président de la République française a récemment rappelé le droit au blasphème alors qu’au même moment l’auteur de La Mafia juive et autres brûlots du même genre se voyait condamné à plusieurs mois de prison ferme pour délit d’opinion ³. Condamnation inconcevable aux États-Unis où l’on ne peut incarcérer quiconque pour ses idées,  aussi scandaleuses soient-elles. C’est dire si en démocratie deux conceptions différentes de la liberté d’expression peuvent exister. Le céliniste opposé à la réédition des pamphlets a décrété que « l’actualité de Céline n’est plus aujourd’hui d’ordre littéraire (comme elle l’a été dans les années 1980, avec la publication des romans dans la Bibliothèque de la Pléiade, la multiplication des essais critiques et des thèses universitaires) mais d’ordre politique ». C’est feindre d’ignorer que depuis ces années 80, Céline a continué à être édité dans cette collection prestigieuse (Féerie dans la décennie suivante et la correspondance en 2009) et que les études universitaires le concernant n’ont pas cessé de proliférer – à commencer par la sienne 4.

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La preuve que le cas Céline n’est plus littéraire mais politique est attesté, selon lui, par l’émoi suscité lors de la commémoration (prévue puis annulée) du cinquantenaire de Céline en 2011. Encore aurait-il fallu rappeler que ce retrait fut provoqué par une campagne de presse bien orchestrée. La même que celle visant, il y a deux ans, à tuer dans l’œuf l’initiative de Gallimard et de l’ayant droit.
  1. 1) Philippe Roussin, « Du rire au politique : de la bagatelle au massacre » in Céline et le politique (Actes du XXIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline, SEC, 2018.
  2. 2) Dixit Shlomo Malka dans son émission « Pont Neuf » sur Radio J, le 7 février 2020, qui avait pour invité Guy Konopnicki, auteur de… Il est toujours interdit d’interdire (Éd. Impact, 2020).
  3. 3) Déclaration de l’avocat franco-israélien Gilles-William Goldnadel : « J’ai le plus grand mépris pour M. Ryssen qui me le rend bien. Mais en matière de délit d’expression, rien ne justifie que l’on se retrouve en prison [sic]. »  (Breizh-Info, 25 septembre 2020). D’aucuns y ont vu de la duplicité.
  4. 4) Philippe Roussin, Misère de la littérature, terreur de l’histoire (Céline et la littérature contemporaine), Gallimard, coll. « Nrf Essais », 2005, 768 pages.