Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 21 janvier 2021

1984 d’Orwell : La Bible des complotistes

aa7c4b59e65a86916f2db9730954fc3a.jpg

1984 d’Orwell : La Bible des complotistes

Avec le temps, une fiction littéraire audacieuse comme 1984 d’Orwell est devenue le ‘’livre rouge’’ des complotistes, qui n'ont cependant pas compris sa signification profonde

Nicolò Bindi

Ex : https://www.lintellettualedissidente.it

1984 est le roman le plus célèbre de l'écrivain et militant politique Eric Arthur Blair, alias George Orwell. Publié pour la première fois en 1949, il raconte un avenir dystopique dans lequel la domination mondiale est disputée par trois superpuissances en guerre perpétuelle les unes contre les autres : l'Eurasie, l'Eastasia et l'Océanie. En Océanie, c'est l’Ingsoc, ou Parti socialiste anglais, qui tient les rênes du pouvoir.

La société est divisée de manière rigide en classes : il y a le "prolet", c'est-à-dire les prolétaires sans le sou, qui ne sont même pas considérés comme des êtres humains au sens strict du terme, ils représentent environ 85% de la population, ils jouissent d'une liberté totale mais sont laissés programmatiquement dans la misère la plus noire ; puis il y a le Parti, qui est cependant aussi divisé entre "Parti extérieur" et "Parti intérieur". Les membres du premier groupe exécutent les ordres qui viennent d'en haut, ils ont un style de vie légèrement meilleur que celui du prolétariat mais ils sont constamment sous observation, par le biais d'espions et d'appareils technologiques présents, de par la loi, dans chaque maison, pour vérifier si chaque membre suit scrupuleusement l'orthodoxie d’Ingsoc dans tous les aspects de sa vie, à chaque moment de sa journée. Il suffit d'une expression frustrée, d'un regard énigmatique pour alerter le corps spécial de psychopoliciers, chargé de sauvegarder la "santé mentale" des membres du Parti. En revanche, l'élite gouvernementale de l’Ingsoc est installée au sein du Parti intérieur et jouit d'un niveau de vie très élevé ; elle est elle aussi soumise à un contrôle, mais avec des règles un peu moins strictes que les membres du Parti extérieur. Au sommet de la pyramide sociale, cependant, se trouve la figure énigmatique de Big Brother, un être presque messianique, dépeint par la propagande comme l'initiateur des principes de l’Ingsoc et considéré comme le protecteur de son orthodoxie face aux ennemis extérieurs et intérieurs.

NCQNg-qQAT-Z7_F0SBWzjw.jpg

Aujourd'hui, la notoriété de 1984 ne s'arrête pas au cercle des lettrés ou des initiés. Il est légitime de dire que c'est l'un des romans les plus célèbres du XXe siècle. Le titre a également pris des valeurs presque proverbiales, dans des phrases telles que : "on se sent comme en 1984". Il est évident que des expressions comme celles-ci, destinées à évoquer la société décrite dans le roman, sont souvent utilisées dans la sphère politique, avec des connotations négatives évidentes.

Les théoriciens du complot mondial, les "complotistes", semblent être particulièrement attirés par ce chef-d'œuvre. Ce qui stimule particulièrement leur imagination, c'est le mystérieux et éthéré Big Brother. Tout au long du roman, tout ce que nous savons de lui, c'est son visage, présent sur les célèbres affiches avec les mots "Le Grand Frère vous regarde". En fait, nous ne savons même pas s'il existe vraiment ou s'il n'est qu'un personnage fictif. Malgré cela, il est une présence constante dans le livre ; en fait, il est LA présence : il est celui qui, derrière les écrans, espionne constamment les membres du Parti lorsqu'ils sont chez eux, il est le voisin ou l'enfant qui dénonce l'hétérodoxie de certains malheureux, il est le psycho-policier qui arrête et torture les prisonniers. C'est ici que Big Brother devient l'essence même du contrôle, la figure de derrière qui tire les ficelles du Monde et écrase quiconque semble même vaguement opposé. Mais en plus de cela, Big Brother devient aussi l'essence même du progrès technologique ; pour pouvoir affiner de plus en plus son contrôle sur les êtres humains, il faut des outils de plus en plus sophistiqués, une recherche scientifique toujours active. En 1984, il existe des téléscripteurs, qui émettent et reçoivent en même temps. Les conspirateurs ont tendance à identifier leurs homologues dans la vie réelle : les webcams sur les téléphones ou les ordinateurs portables, les dispositifs de géolocalisation, les réseaux sociaux sont considérés avec une extrême méfiance, dans les cas les plus extrêmes, ils sont même rejetés complètement. Et qui peut avoir un intérêt dans le développement de technologies telles que celles énumérées, sinon les membres de cette élite étroite qui fait référence à Big Brother ? Ce n'est pas un hasard, en fait, si parmi les cibles les plus visées par les théoriciens du complot se trouvent des personnalités comme Bill Gates ou Elon Musk, qui incarnent la quintessence du développement technologique dans l'imaginaire collectif.

Il est donc clair que de nombreux complotistes ont le sentiment de vivre dans une société qui n’est pas trop différente de celle décrite par Orwell, mais comment cela est-il possible ? Au-delà de l'avènement de certaines technologies, qui nous ont effectivement obligés à revoir notre conception de la vie privée, les différences entre la société dans laquelle nous vivons et celle de 1984 sont si évidentes que les énumérer serait un exercice vain. On pourrait rejeter tout cela sous le nom de "folie", comme on le fait souvent avec les théoriciens du complot, mais nous constatons que certaines tendances commencent à s'installer même chez les gens ordinaires, sains et éduqués.

big_brother_is_watching_you_by_zfshadowsoldier-d4mvrfw.png

L'insistance à proposer une telle comparaison négative pourrait découler d'un malaise ressenti par une certaine partie de la population, un sentiment générique d'emprisonnement qui, cependant, ne peut comprendre ce dont il découle.

Comme cela s'est toujours produit dans l'histoire de l'humanité, un groupe isolé d'individus a créé un récit (ou plusieurs récits) de nature fantastique et presque légendaire, en s'inspirant fortement de produits littéraires, cinématographiques ou comiques qui ont pour thème commun la lutte de l'individu contre le pouvoir (outre 1984, voir aussi les titres qui doivent beaucoup au chef-d'œuvre d'Orwell, comme la trilogie Matrix et V pour Vendetta). Ce type de récit n'est pas si éloigné des autres histoires créées par l'imagination populaire au cours des siècles : pensez par exemple à la légende du royaume du prêtre Jean, né dans les années des Croisades et qui tisse en son sein des motifs et des intrigues tirés des romans de chevalerie. Il est évident que le sens et les besoins cachés dans ces légendes changent en fonction du contexte social dans lequel elles naissent, tout comme les œuvres qui servent de modèles sont significatives. Dans ce cas, 1984 est le texte fondamental, la Bible des complotistes, mais pas seulement : le roman parvient à ébranler les certitudes démocratiques et libérales de quiconque le lit. Il s'agit, en pratique, d'une éducation à la suspicion. Mais cela ne serait pas possible s'il n'y avait pas de convergences avec la réalité dans laquelle nous vivons. Mais il ne faut pas chercher les parallèles dans l'espionnage, dans la société divisée en classes, dans la pauvreté, dans la figure du Big Brother qui voit tout et commande tout. L'intérêt réside dans le principe sous-jacent qui réunit tous ces aspects : la déshumanisation du monde.

Voici enfin le véritable point commun entre la société orwellienne et la société contemporaine : une élite culturelle qui élabore et tente de mettre en œuvre des théories dans lesquelles l'être humain est considéré comme un problème à corriger dans un système plus vaste et plus mécanique. Ce à quoi l’Ingsoc soumet tous les membres du parti n'est rien d'autre qu'un exercice pérenne de pédagogie visant à éliminer tous ces côtés et instincts humains jugés nuisibles. Vers la fin du roman, un des membres du Parti Intérieur dit au protagoniste, arrêté par le psychopolicier : "S'il est vrai que tu es un homme, Winston, tu es le dernier homme. Votre espèce est éteinte et nous en sommes les héritiers. Ne comprenez-vous pas que vous êtes seul ? Vous êtes en dehors de l'histoire, vous n'existez pas".

Ainsi, sans violence, la plupart des produits culturels et populaires de notre temps sont destinés au même effort pédagogique, qui veut "corriger" certaines inclinations et faiblesses humaines aujourd'hui considérées comme inacceptables. C'est ainsi qu'au niveau des médias, un certain code de conduite s'est formé, un lexique et une morale auxquels tous les personnages, publics et privés, doivent toujours se soumettre. Non seulement, c'est toujours au nom de l'éducation constante de l'individu que, dans certains milieux pédagogiques, on trouve juste de déformer le contenu de certaines disciplines comme l'histoire ou la littérature afin de faciliter l'acquisition de certains concepts et la condamnation d'autres, exactement comme cela se passe, de manière plus systématique et plus énergique, dans le 1984 d’Orwell.

L'homme, être faillible, doit cesser d'échouer, doit changer de nature, devenir "autre", se déshumanisant ainsi. Le processus peut cependant générer un malaise, un mécontentement. Au niveau populaire, elle génère, chez certains individus, un vague sentiment de scepticisme, qui investit indistinctement tous les objets et les modes de vie qui n'étaient pas présents dans l'"ancien temps" indistinct maintes fois évoqué (et ressenti comme plus humain). Dans d'autres encore, un processus plus large et systématique est stimulé, connu sous le nom de "conspiration mondiale", qui n'a cependant qu'un seul objectif efficace : opposer à la vérité artificielle des médias une vérité encore plus artificielle.

Nicolò Bindi

Benoist-Méchin sur le déclin de l'Occident

8d480864c7fe3d8484ae1b0c64c20c05.jpg

Benoist-Méchin sur le déclin de l'Occident

« Pour ma part, je n’ai pas honte de le proclamer – et d’employer pour le dire, les termes les plus honnis – j’ai été ce qu’on appelle un impérialiste et un raciste. J’ai cru, de tout mon cœur, à la supériorité intrinsèque de l’homme blanc. J’ai cru qu’une Europe qui aurait mis en commun toutes ses ressources économiques et militaires, politiques et morales, qu’une Europe capable, par ses institutions, de porter à son sommet ses meilleurs éléments et de mettre en valeur son prodigieux héritage religieux et culturel, j’ai cru que cette Europe-là, était capable d’imposer sa loi au monde et de servir de tuteur aux peuples étrangers. J’ai pensé qu’elle seule était à même d’engendrer une ‘Race de Seigneurs’, susceptible d’empêcher le monde de sombrer dans l’informe et de succomber sous le faix des masses inorganisées. Mais attention. Je charge ici chaque mot de son poids le plus dense. On ne joue pas à la ‘Race des Seigneurs’ ! On l’est ou on ne l’est pas. L’autorité de cette aristocratie dure et lucide n’aurait été acceptée qu’à condition de se fonder sur une supériorité réelle.

Or, force m’est de reconnaître que cette Europe-là n’est plus. On lui a brisé l’échine. Maintenant elle gît à terre, morcelée, disloquée, en proie au pire désordre intellectuel et incapable de poursuivre sa mission ordonnatrice.

Cette Europe en laquelle j’ai cru de toute mon âme, au point, s’il le fallait, d’y sacrifier ma vie – ici encore, je donne à chaque mot son sens le plus formel – je vois bien qu’elle est morte et qu’aucun rêve, aucun effort ne pourront la ressusciter. J’aurais voulu que l’histoire s’engageât dans une autre voie. Mais la page est tournée. Ne cherchons pas à la faire revivre, car l’histoire ne se répète jamais que sous une forme caricaturale.

En soi, c’est déjà triste. Mais s’il n’y avait que cela ! Or, pour la première fois, je me demande si ce rêve d’hégémonie blanche était réalisable. Ni durant mon procès ni durant les années qui ont suivi, je n’ai été effleuré par le moindre doute sur la valeur de la cause pour laquelle j’avais combattu. Ma foi restait entière. Et maintenant, ici au Caire, au contact de cette conférence, je m’interroge pour la première fois et, pour la première fois, je me demande si je ne me suis pas trompé.

Nous croyions que notre lutte déterminerait le sort du monde ‘pour les mille années à venir’. C’était une formule exaltante, mais c’était une illusion. C’était voir trop grand dans le temps, et trop petit dans l’espace. Comme tant d’autres, la victoire d’une Europe fasciste aurait été éphémère.

Que s’est-il donc passé d’assez fort pour modifier mes convictions ? Simplement ceci : j’ai pris conscience depuis lors, une conscience directe, presque physique, de l’ampleur des masses humaines qui peuplent le monde extra-européen et de leur refus grandissant de se laisser gouverner par nous. C’est un facteur qui m’avait échappé, il y a vingt ans, parce qu’il n’apparaissait pas d’une façon aussi évidente. J’avais cru à la pérennité des empires, et j’avais accordé à la race blanche une puissance d’expansion illimitée. Or, penser que nous aurions imposé longtemps notre domination aux peuples de couleur, croire qu’ils auraient accepté longtemps d’être divisés en zones d’influence – même déguisées du nom d’‘espaces organisés’ – ce n’était pas seulement surestimer nos possibilités ; c’était méconnaître les lois de la vie. Ces lois on peut les violenter ; on ne peut pas les anéantir. Elles sont beaucoup plus fortes que les théories politiques. Rien n’aurait empêché ces masses de proliférer. Déjà énormes, elles seraient devenues plus énormes encore. A demi somnolentes, elles se seraient réveillées. Une minorité peut imposer sa loi à une majorité, à condition que cette dernière ne grandisse pas sans cesse. Sinon, le jour arrive où le rapport de forces se trouve inversé. Alors la fin de l’aventure est inéluctable.

[…]

Dans tout cela, ce qui m’inspire, c’est le sort de l’Occident. Il est grand temps qu’il se réveille, qu’il sache que le péril est à ses portes, qu’il risque d’être submergé. Jadis il a surestimé ses forces, aujourd’hui il sous-estime sa fragilité. Il sait qu’il n’est plus invincible, mais il se croit encore attrayant. Qu’il se détrompe. Il attire de moins en moins les esprits et les cœurs parce qu’il a perdu sa foi en lui-même. Il n’a plus les idées déliées et l’imagination créatrice qui faisaient autrefois sa primauté. Il n’est plus le beau fruit mûr, gorgé de jardins et de palais, de fresques et de musiques, qu’ont connu les générations qui ont précédé la nôtre. Il n’est même plus certain des démarches de sa pensée. Le front ridé, la bouche amère et pleine de menaces, il ne s’appuie plus que sur des forces matérielles qui seront bientôt moins grandes que celles des autres continents. Pourquoi dédaigner ce que nous avions d’unique, ce que les autres peuples ne pouvaient imiter ? Pourquoi placer notre espoir de survie dans des mécaniques que le reste du monde ne tardera pas à fabriquer moins cher et en plus grandes quantités que nous. Enfin, au moment où de vastes ensembles humains se groupent et s’organisent, pourquoi maintenir nos divisions, qui nous affaiblissent et nous ruinent ?

813qsSZPy2L.jpg

C’est plus que jamais le moment de se rappeler l’avertissement de Proudhon : ‘Le XXe siècle verra l’ère des grandes fédérations, ou l’humanité recommencera un purgatoire de mille ans’. Sachons regarder en face la montée des peuples sous-développés. Mais apportons-lui la seule réponse qui convienne : redevenons nous-mêmes. Libérons-nous d’un matérialisme qui nous dégrade et nous défigure, pour retrouver les valeurs immatérielles qui faisaient notre supériorité. Sachons dégager les grandes lois organiques dont le monde s’est écarté, mais qui n’auraient jamais dû cesser de présider à la croissance des sociétés humaines, car elles sont les seules garantes de la civilisation.

Ah ! je le sens bien, rien n’est encore perdu si l’Occident retrouve sa véritable figure. Ce qui m’angoisse, ce n’est nullement que se forment un monde arabe, un monde africain. C’est qu’il n’y ait pas d’Europe pour leur servir d’exemple et leur faire contrepoids dans la balance des continents. »

(extrait de J. Benoist-Méchin, Un printemps arabe, 1974 ; rédigé en 1957-1958).

L'actualité sur Strategika

PA.jpg

L'actualité sur Strategika
 
Chers amis, 
 
Voici l'actualité sur Strategika en ce début 2021.
 
Bonne année à tous,
 
Pierre-Antoine Plaquevent
 
“Efficacité entre 19% et 29%”. Voici l’étude qui analyse les données réelles des vaccins Pfizer et Moderna
https://strategika.fr/2021/01/19/efficacite-entre-19-et-2...

Elon Musk : Les Américains ne seront pas satisfaits que les Big Tech soient “l’arbitre de facto de la liberté d’expression”
https://strategika.fr/2021/01/18/elon-musk-les-americains...

Autriche : Plus de 10.000 manifestants contre la dictature sanitaire
https://strategika.fr/2021/01/16/autriche-plus-de-10-000-...

Allemagne : la Saxe veut enfermer les briseurs de quarantaine dans un ancien foyer pour réfugiés
https://strategika.fr/2021/01/16/allemagne-la-saxe-veut-e...

Mise à jour des données scientifiques récentes concernant la politique COVID-19 
https://strategika.fr/2021/01/16/mise-a-jour-des-donnees-...

Les passeports de vaccination à l’essai au Royaume-Uni, tandis que les dirigeants de l’UE font pression pour des passeports de voyage COVID “standardisés
https://strategika.fr/2021/01/15/les-passeports-de-vaccin...

Un médecin de Floride “en parfaite santé” meurt quelques semaines après avoir reçu le vaccin COVID de Pfizer
https://strategika.fr/2021/01/11/un-medecin-de-floride-en...

« L’Etat français « pompe » la trésorerie du fonds de garantie des dépôts et des autres !»
https://strategika.fr/2021/01/09/letat-francais-pompe-la-...

Le Conseil d’État valide le fichage des opinions politiques
https://strategika.fr/2021/01/08/le-conseil-detat-valide-...
 
Ni politiquement correct ni auto-intoxication pseudo-dissidente type Qanon, l'analyse et l'information stratégique sérieuses sont sur Strategika. Soutenez l'analyse et l'information stratégique : 

16:51 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, strategika, pierre-antoine plaquevent | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

De l’Ame

spiritual-crisis.jpg

De l’Ame

par Luc-Olivier d'Algange

Il n'est rien de moins abstrait que l'âme. Lorsque presque tout en ce monde, selon le mot de Guy Debord, tend à «  s'éloigner dans une représentation  », à s'abstraire de sa propre immédiateté; lorsque notre entendement, dans son usage commun, se borne à n'être qu'une machine à abstraire (ce qu'il est peut-être par nature, sauf à se subvertir lui-même dans une conversion gnostique); lorsque notre corps, tel que nous nous le représentons dans le regard d'autrui est tout autant abstrait de lui-même, - l'âme seule, qui est intérieure à toutes les choses, s'y déploie, pour qu'elles soient là, qu'elle existent, et dans leur mouvement même.

Qu'importe de savoir si nous croyons ou non en l'existence de l'âme, comme en une chose ou une notion, puisque ce qui existe, en s'éprouvant, est le mouvement de l'âme elle-même.

Pas davantage qu'une abstraction, l'âme n'est une «  subjectivité  »; elle n'est point la somme ou la synthèse de nos représentations et il serait presque trop de dire qu'elle est en nous, - cet «  en nous  » invitant à l'erreur de croire que notre âme serait emprisonnée dans notre corps, comme un moteur l'est dans une machine.

Or la nature de l'âme est d'être impondérable et de franchir, légère, les limites et les frontières. Elle n'est pas seulement un bien intériorisé mais la circulation entre l'intérieur et l'extérieur, la fluidité même.

Notre peau n'est pas notre limite, ainsi que l’écrivais René Daumal, mais l'un des plus subtils organes de perception. Ce qui perçoit avant nous en fissions une représentation, c'est l'âme. «  Peau d'âme  » disait Catherine Pozzi. La formule est admirable de justesse. L'âme ne s'oppose pas au sensible comme le voudraient les morales puritaines; elle est ce qui le rend possible. Là où l'âme agit, le monde intérieur et le monde extérieur échangent leurs puissances et s'entre-pénètrent amoureusement.

Que serait un monde sans âme ? Celui où nous avons la disgrâce ou la chance terrible de vivre. La disgrâce; parce que le monde moderne, le monde des hommes uniformisés et des objets de série, est cette machine à fabriquer de l'interchangeable et que la Grâce, comme le savait Al-Hallaj, ne vient qu'aux uniques. Mais chance terrible aussi, car la mise-en-péril de l'essentiel en révèle la splendeur cachée, l'inaltérable beauté sise au cœur  des êtres et des choses.

ob_c3e180_la-nuit-noire-de-lame-crise-spirituell.jpg

L'âme humaine et l'Ame du monde sont une seule âme. L'âme des paysages est âme car elle est notre âme. Celui qui perçoit l'âme d'un paysage a la sensation de s'y perdre, à cet instant où, l'air, le ciel, les arbres et le vent affluant en lui,  il vacille au bord de l'extase. Il fait plus, et mieux, que le voir. Ce qu'il voit n'est que le signe de l'âme qui regarde en lui.

Telle prairie dans son apothéose fleurie éveille en nous le printemps de l'âme. Tel océan nous rappelle à l'exigence de nos abîmes. Tel vol d'hirondelles est notre pensée même et ne se distingue en rien de ce qui la perçoit en nous. L'âme est la vive, l'avivante intersection entre ce qui perçoit et ce qui est perçu.

Le sentiment qui en surgit est bien, comme vous le dites justement, celui du Pays perdu, la sehnsucht des Romantiques Allemands, - l'orée tremblante de l'âme.

A certaines heures, particulièrement à l'aube et au crépuscule, le visible semble s'éloigner en lui-même, dans la profondeur du regard, jusqu'à l'orée d'où reviennent, en ressacs, les ressouvenirs du Pays perdu. Ce pays n'est perdu, en vérité, que parce qu'il est trouvé. Son absence est l'espace de son advenue.

Quiconque oublie le sens de l'exil vit dans l'exil de l'exil, - dans cette absence carcérale qu'est la représentation. La présence réelle, au contraire, est l'hôte de l'absence, son invitation, et selon la formule fameuse de Dante, sa «  salutation angélique  ». A l'orée du visible, l'absence du visible, l'invisible nous fait signe afin que nous cheminions vers lui. Toute vie qui n'est pas une quête du Graal est un avilissement sans fin.

cerveau-esprit.jpg

Dans le fondamentalisme, tout se réduit à l'idolâtrie du signe extérieur, d'une apparence qui ne laisse rien apparaître. Apparence sans apparition, mur aveugle, sur lequel, tout au plus, on peut apposer des affiches de propagande haineuse. Le fondamentaliste veut bannir le doute, mais bannissant le doute, il détruit la Foi. A sa façon, c'est un «  réaliste  », il veut «  du concret  », c'est-à-dire de la servitude et de la mort concrètement réalisés.  Il est aux antipodes, non du matérialiste ou du «  mécréant  », comme il se plait à le dire, et peut-être à le croire, mais du mystique et de l'herméneute, et de tout homme en qui s'élève un chant de louange en l'honneur de la Création.

Vindicatif, mesquin, obtus, il vient comme une menace, mais dans un monde qui lui ressemble. On le dit «  archaïque  » ou «  barbare  » mais il n'est ni l'un ni l'autre, - plutôt idéologue et publiciste, inscrit, et parmi les premiers rôles, au cœur de la société du spectacle. Il n'est pas ce qui s'oppose au monde moderne mais sa vérité de moins en moins dissimulée. Comment lui opposerait-on la société dite moderne dominée par la finance et la technique alors que ce sont les moteurs de sa guerre, que bien abusivement, il qualifie de «  sainte  »  ?

La guerre de ces deux forces, antagonistes seulement par les apparences, car elles sont l'une et l'autre idolâtres des apparences, ne contient aucun espoir. Elle est la force même du péché contre l'espérance. Ce qu'il y eut de beau, de noble et libre dans la culture européenne est pris en tenaille entre ces frères ennemis qui obéissent au même Maître, - celui de la restriction de l'expérience sensible et spirituelle, celui du contrôle total.

En ces circonstances où le monde s'uniformise et s'attriste, l'âme est atteinte, blessée. Les poètes en seront les guérisseurs, au sens chamanique, et les héros, au sens d'une sauvegarde de certaines possibilités d'être. La question est cruciale et vitale car enfin, sans âme, tout simplement, on ne vit point, ou bien seulement d'une vie réduite à un processus biologique, - auquel s'intéresse précisément le «  trans-humanisme  », qui est sans doute la phase ultime de cet «  interventionnisme  » moderne qui veut ôter aux hommes la joie et le tragique,  et la beauté même de l'instant éternel, pour en faire des mécaniques perpétuelles.

l-Âme.jpg

Le Moderne hait le donné. Rien n'est assez bon pour lui; et c'est ainsi qu'il détruit le monde et s'appareille. Les causes et les conséquences de ce processus, qui est avant tout une vengeance contre tout ce que l'on ne sait pas aimer, ont, au demeurant, été admirablement analysés par Heidegger et René Guénon. Le Moderne est un homme mécontent du monde et de lui-même et ce mécontentement, au contraire de l'inquiétude spirituelle, n'est pas une invitation au voyage, un consentement à l'impondérable, mais un grief qui se traduit par un activisme planificateur. Tout est bétonné, aseptisé, stérilisé, climatisé, - et finalement empoisonné. Plus rien n'est laissé au temps pour y éclore. Les incessantes exactions commises contre la nature, les paysages donnés par la création ou par le labeur intelligent de nos ancêtres, ne sont que la conséquence des atteintes continûment portées à l'âme des individus et des peuples qui pouvaient encore les comprendre, les honorer et les aimer.

L'âme est ce qui relie. Toute atteinte à l'âme nous sépare du monde, de nos semblables et de nos dissemblables, pour nous jeter dans l'abstraction, dans cette subjectivité morbide qui s'exacerbe devant les écrans. Les écrans, par définition font écran; ils sont des instances séparatrices et l'on reste, pour le moins, dubitatif devant ces injonctions gouvernementales qui prescrivent de les imposer dans tous les collèges et toutes les écoles, pour le plus grand bénéfice de ceux qui en font l'industrie.

L'homme irrelié, séparé des influx de toutes les forces sensibles et intelligibles, est le parfait esclave-consommateur. Irrelié, il ne peut plus recevoir, ni donner, - et symétriquement, une étrange outrecuidance s'accroît en lui, et il croit d'un clic pouvoir dominer le monde entier en le faisant apparaître et disparaître. Ses sens et la présence de l'Esprit s'altèrent en lui par cet usage. Vide d'Esprit, son cerveau s'encombre de fatras et de décombres, sa syntaxe et sa grammaire s'effondrent, ses affects s'hystérisent et sa peau devient imperméable à l'air et à la lumière, à ces forces immenses, sensibles et suprasensibles, qui embrassent, apaisent et sauvegardent.

1600x900_px_Cameron_Gray_Sacred_Geometry_spiritual-572130.jpg!d.jpg

Le propre de cette machine de guerre uniformisatrice est qu'elle s'exerce désormais non par une collectivité contre une autre, mais contre chacun, contre chaque âme éprise de l'Ame du monde. Dans ce combat, chacune de nos défaites a une conséquence immédiate pour chacun d'entre nous et par chacun d'entre nous.

A l'ensoleillement de l'âme qui naît dans la nuit dont elle révèle et fait resplendit le mystère, le Moderne a substitué l'éclairage scialytique, le néon commercial, la blafarde clarté de l'écran d'ordinateur. Il a remplacé la pensée méditante, qui délivre, par la pensée calculante qui emprisonne et infléchit les caractères vers la cupidité, l'envie et l'ennui. La fréquentation des humains en devient difficile. Les conversations, dans la plupart des cas, se ramènent à un «  zapping  » fastidieux; toute promenade devient une prédation touristique; toute relation humaine, une tractation pesante, voire menaçante.

Lorsque le monde disparaît, lorsque les femmes et les hommes n'ont plus conscience de faire partie de cette Quaternité, avec le ciel, la terre et les dieux, que Heidegger évoque en suivant Hölderlin, une affreuse incarcération commence, une peine illimitée dans ce «  sous-sol  » dont parle Dostoïevski, et d'où ne s'élèvent que des plaintes haineuses.

L'Enfer et le Paradis sont l'un et l'autre à notre portée  ;  cette belle énigme théologique, nommée le «  libre-arbitre  » trouve ici son mode d'application. Tel est l’alpha et l’oméga de la sapience  : il est en nous, et donc ici-bas, un enfer et un paradis pris dans les rets du temps qui sont les reflets de l’Enfer et du Paradis éternel, et, non point en général, mais à chaque instant précis, il nous appartient de choisir l’un ou l’autre, de prendre le parti de l’un ou de l’autre. Même lorsque nous ne faisons rien en apparence, ou que nous ne faisons que songer et penser, il nous appartient que ces songes et ces pensées soient de la source vive ou de la citerne croupissante  ; il nous appartient qu’elles chantent et se remémorent les heures heureuses, ou qu’elles s’aigrissent. Il nous appartient de boire à la source de Mnémosyne ou à celle du Léthé. Quiconque demeure encore quelque peu attaché à la spiritualité européenne peut se redire, dans le fond du cœur, en toute circonstance, ce qui est écrit sur la Feuille d’Or orphique trouvée à Pharsale  :

«   A l’entrée de la demeure des morts

Tu trouveras sur la droite une source.

Près d’elle se dresse un cyprès blanc

Cette source ne t’en approche pas.

Plus loin tu trouveras l’eau fraîche

Qui jaillit du lac de Mémoire, veillée par des gardiens.

Ils te demanderont pourquoi tu viens vers eux.

Dis-leur  : je suis fils de la Terre et du Ciel étoilé.

Mon vrai nom est l’Astré. La soif me consume.

O laissez-moi boire à la source  ».

7887a92386b6212e30055af982c5850b.jpg

Les Symboles ne sont pas seulement des allégories, des représentations, ils sont des actes d’être. Ce qu’ils donnent à voir est l’invisible dont ils sont l’empreinte visible. Le sensible et l’intelligible ne sont pas seulement des catégories de l’entendement, mais des pôles entre lesquels se déploie une gradation infinie, que nos sens et notre entendement seuls ne peuvent parcourir. Entre le corps et l’esprit, l’âme est cet instrument de perception du «  monde imaginal  » qu’on ne saurait réduire à la fantaisie ou à ce que l’on nomme ordinairement l’imaginaire, lequel appartient à la pure subjectivité. Les œuvres de Sohravardî, de Ruzbéhân de Shîraz, ou d’Ibn’Arabi, admirablement commentées par Henry Corbin, donnent à comprendre en quoi le mundus imaginalis est bien ce «  suprasensible concret  », cette Ile Verte ou ce Château Tournoyant qui s’offrent à tous les hommes, par l’expérience visionnaire, aussi objectivement qu’un paysage réel.

L’Archange Empourpré qu’évoque Sohravardî, qui apparaît au crépuscule, est le messager ce qui dans la pensée fut et n’est pas encore, l’aube en attente dont le crépuscule révèle la splendeur et le sens caché. Ainsi, oui, l’âme est l’Ange, elle est ce qui en dispose en nous la présence entre les mondes, le miroitement, l’orée, l’attente, l’attention.

Il y eut dans les grandes œuvres persanes du Moyen-Age une attention extrême et précise à ces gradations, à ces variations chromatiques de l’âme allant à la rencontre de son ange, à cette multiplicité des états d’être et de conscience, sans laquelle nous demeurons emprisonnés dans des représentations sommaires et réduits à un exercice de la vie purement utilitaire et avilissant, mais cette attention se retrouve tout aussi bien chez Hildegarde de Bingen ou Maître Eckhart, et plus en amont, dans les Ennéades de Plotin.

Une catena aurea néoplatonicienne, quelque peu secrète, traverse la culture européenne fort différente du «  platonisme  » selon sa commune définition scolaire de «  séparation entre le monde sensible et le monde idéal  ». L’Idée n’est pas séparée de la forme sensible, elle est la forme formatrice de cette forme. Le monde sensible n’est pas «  séparé  », et encore moins «  opposé  », au monde des Idées, mais empreinte héraldique des Idées. Ce n’est que dans l’oubli de l’âme que s’opposent le corps et l’esprit, qui deviennent ainsi l’un à l’autre leur propre enfer. Or voici Marsile Ficin, qui parle du «  rire de la lumière  », voici Shelley, qui nous invite au voyage de «  l’âme de l’Ame  », Epispsychidion, voici Saint-Pol-Roux et ses ensoleillements, «  symboliste comme Dante  », voici Oscar Wenceslas de Lubicz-Milosz, dont l’Ars Magna et les Arcanes décrivent le surgissement, par le Verbe, d’un «  autre espace-temps  » non point irréel mais à partir duquel toute réalité s’ordonne, s’éclaire ou s’obscurcît, selon l’attention déférente que nous savons, ou non, lui porter.

1600x900_px_Cameron_Gray_Meditation_spiritual-543586.jpg!d.jpg

Tout ce qui importe se joue dans notre perception du temps. Est-il un autre temps que le temps de l’usure et de la destruction  ?  Sous quelles conditions s’offre-t-il à notre attention, dans quelles incandescences  ? La plus haute intensité, celle qui délivre, ne vient pas dans la hâte, l’agitation et le tumulte, mais dans le calme et le silence  : «  regard de diamant  » comme disent les taoïstes.

L’âme est ce qui éveille, derrière les yeux de chair, les «  yeux de feu  ». «   C’est au yeux de feu seuls qu’apparaît ce qui unit Proclus à Botticelli et l’Empereur Julien à Franz Liszt  » disait Jean-Louis Vieillard-Baron, dans l’une de ses belles conférences de l’Université Saint-Jean de Jérusalem. Par l’exercice herméneutique, un arrière-plan apparaît, une conscience dans la conscience, antérieure à toute analyse et à toute explication historique, qui, si elle ne peut se prouver, selon les lois de la science reproductive, s’éprouve et se dit. En amont, dans une immensité antérieure, dans un ressac de réminiscences se tient une Sapience, qui est le bonheur même, une région paradisiaque, cet «  invincible été  » que l’on porte en soi au cœur de l’hiver, comme disait Camus, une gnose soleilleuse, si merveilleusement figurée dans le fameux traité d’Alchimie, intitulé précisément Splendor Solis, et qui nous revient, non de façon planifiable mais à la venvole, et pour laquelle il convient donc de se tenir prêts à chaque instant.

Tel est exactement le sens de la chevalerie spirituelle, de ce cheminement vers le Graal ou la Jérusalem Céleste, entre la Mort et le Diable, comme sur la gravure de Dürer. Le combat pour l’Ame du monde oppose un sacrifice à un gâchis. Le moderne ne voulant rien sacrifier gâche tout. A tant vouloir opposer le corps et l’esprit, il perd le bon usage de l’un et de l’autre. Nous conquerrons, ou nous perdrons, en même temps et du même geste, la beauté de l’instant et la splendeur de l’éternité, le frémissement sensible et les lumières secrètes de l’Intellect, la présence immédiate, l’éclosion de l’acte d’être et la fidélité à la Tradition qui nous en donne les clefs. A la fine pointe de la seconde advenante, à l’aube de la fragile et fraîche éclosion, le beau récitatif nous vient en vagues depuis la nuit des temps par l’intercession d’Orphée et de Virgile.

Contre les armes dont le monde moderne use contre nous afin de nous épuiser et de nous distraire, reprenons sans ambages le Bouclier de Vulcain tel qu’il apparaît, en figuration de l’Ame du monde, dans l’Enéide  : feu primordial et cœur du monde. «  Par lui, écrit Yves Dauge, s’enracinent dans l’histoire les Idées pensées par Jupiter, formée par Apollon, transmise par Mercure et vivifiées par Vénus  ». Telle est exactement l’âme avivée, l’âme sauvegardée  : une voie vers la pensée intérieure des êtres et des choses, au point où elles se forment en se délivrant de l’informe, et voyagent vers nous par des ambassades ailées, celle des poètes et des herméneutes, pour finalement être touchées et vivifiées par l’amour.

Luc-Olivier d’Algange