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jeudi, 28 septembre 2023

Trois méditations sur Charles de Foucauld

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Trois méditations sur Charles de Foucauld

par André Murawski

Il est des hommes dont la vie édifie leurs contemporains et jusqu’aux générations suivantes. La vie et les gestes de ces hommes peuvent être légendaires. Ils peuvent être exemplaires. Ils sont toujours héroïques, suivant toutes les déclinaisons de l’héroïsme. On songe à Plutarque écrivant les Vies parallèles. On songe aux nombreux recueils intitulés DE VIRIS ILLUSTRIBUS, ces vies des hommes illustres où se sont essayés tant d’auteurs, de l’Antiquité au XIXe siècle, de Cornelius Nepos à Victor Espitallier, de Suétone à l’abbé Lhomond, de Jérôme de Stridon à Isidore de Séville. Il est des hommes dont la vie appelle la méditation.  

Charles de Foucauld est un de ces hommes-là. Né le 15 septembre 1858, il mourut assassiné le 1er décembre 1916, à l’âge de 58 ans. 58 années pendant lesquelles on peut affirmer qu’il vécut plusieurs vies. Sur le plan professionnel d’abord où il fut tour à tour officier de cavalerie, explorateur, puis religieux catholique. Sur le plan intellectuel ensuite où il fit œuvre de géographe avant de devenir linguiste. Sur le plan spirituel enfin où, croyant fervent dans l’enfance, il s’éloigna de la religion et devint agnostique, avant de suivre son chemin de Damas, se convertir à la foi catholique, devenir prêtre, puis ermite et mourir en martyr en terre d’islam.  

Cette vie extraordinaire suggère de nombreuses méditations. L’une d’elles pourrait porter sur la manifestation de la Grâce qui permit à cet homme égaré de revenir progressivement à Dieu. Une autre pourrait considérer les différences entre la doctrine sociale de l’Eglise et le volontarisme colonialiste en France sous la IIIe République. Une autre encore nous inviterait à réfléchir à la réalité du choc des civilisations, permanente et impitoyable.  

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PREMIERE MEDITATION : Touché par la Grâce, Charles de Foucauld donna une nouvelle dimension à sa vie.  

La famille de Foucauld était issue de vieille noblesse française, et pouvait s’enorgueillir de plusieurs ancêtres ayant participé aux Croisades, ainsi que d’un arrière-grand-oncle de Charles qui avait été parmi les victimes des massacres de septembre pendant la Révolution. A l’âge de 5 ans 1/2, l’enfant perdit sa mère, puis son père et, bientôt, sa grand-mère paternelle, et ce sont ses grands-parents maternels, ainsi que sa tante et des cousines qui prirent soin de sa sœur et de lui.  

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Cet orphelinat précoce pesa-t-il sur la santé physique et psychologique de Charles ? Bon élève, il commença à s’éloigner de la foi vers 15 ans, en 1873, et cette période dura près de 12 ans. Il s’en ouvrit à un ancien compagnon d’armes, Henry de Castries, dans une lettre du 14 août 1901 : « Je demeurais douze ans sans rien nier et sans rien croire, désespérant de la vérité et ne croyant même pas en Dieu. (…) Je vivais comme on peut vivre quand la dernière étincelle de foi est éteinte[1]. » Au cours de cette période, il mena une vie dissipée et, même, dissolue, bien qu’il réussît le concours de Saint-Cyr et devint officier de cavalerie. Cependant, Charles de Foucauld ayant multiplié les frasques, l’armée finit par le placer temporairement en position « hors cadre ».  

En ce temps-là, l’Eglise catholique définissait la Grâce comme « un don surnaturel que Dieu nous accorde, à cause des mérites de Jésus Christ, pour nous aider à faire notre salut[2]. » On distinguait la Grâce actuelle, secours passager envoyé par Dieu à l’âme pour l’aider à éviter le mal et à faire le bien, et la Grâce habituelle qui « demeure en notre âme et la rend juste et sainte aux yeux de Dieu[3]. »  

De multiples Grâces successives furent-elle envoyées à Charles de Foucauld ? Un premier changement intervint dans sa vie quand il apprit que son régiment avait été engagé pour réprimer une insurrection dans le Sud-Oranais. Réintégré à sa demande, il fit campagne pendant 6 mois au cours desquels il se révéla un bon officier, soucieux de ses hommes.  

Ayant ressenti l’appel du désert, il démissionna de l’armée pour explorer le Maroc, pays alors fort mal connu des chrétiens qui ne pouvaient s’y rendre sous peine de mort. Se faisant passer pour juif, Charles de Foucauld commença le 10 juin 1883 un périple qui dura onze mois à l’issue desquels il reçut la médaille d’or de la société de géographie de Paris pour la qualité de ses travaux. Il explora ensuite le Sahara en Algérie entre septembre 1885 et février 1886. Oscar Mac Carthy, conservateur de la bibliothèque d’Alger, fit l’éloge de ce travail dans une lettre au secrétaire de la Société de Géographie de Paris : « Faites à M. de Foucauld les honneurs de la Société de Géographie de Paris ; il les mérite sous tous les rapports ; on a rarement, bien rarement, aussi longtemps et aussi bien travaillé[4] ».  

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Rentré en France, il subit l’influence de sa cousine, Marie de Bondy, et rencontra l’abbé Huvelin, célèbre confesseur qui allait œuvrer à sa conversion. Charles de Foucauld entama alors un long chemin fait de mortifications et de recherche de perfection chrétienne. Lisant les Pères du désert, méditant les Evangiles et l’exemple du Christ, visitant les Ordres religieux et la Terre Sainte, il confessa à Henry de Castries, dans une lettre du 14 août 1901 : « Je me suis dit… Que peut-être cette religion n’était pas absurde ; en même temps, une grâce intérieure extrêmement forte me poussait ; je me mis à aller à l’église, sans croire, ne me trouvant bien que là et y passant de longues heures à répéter cette étrange prière : Mon dieu, si Vous existez, faîtes que je Vous connaisse[5]. »  

Ordonné prêtre le 9 juin 1901, il retourna en Algérie afin d’y mener finalement une vie érémitique à Tamanrasset à partir de 1905. Il s’en était expliqué auprès de son confesseur et directeur de conscience, l’abbé Huvelin, dans une lettre du 7 mai 1900 : « Je vous ai écrit d’Akbès ce que j’entrevoyais pour moi : mener avec quelques compagnons la vie de la Sainte Vierge dans les mystères de la Visitation : c’est-à-dire sanctifier les peuples infidèles des pays de mission en portant au milieu d’eux, en silence, sans prêcher, Jésus dans le Saint-Sacrement et la pratique des vertus évangéliques[6] ». Mais les conceptions du Père de Foucauld, qui étaient aussi celles de l’Eglise catholiques, allaient se heurter à la conception républicaine de la colonisation.  

DEUXIEME MEDITATION : Le progressisme républicain triomphant face à l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique.  

Les gouvernements de l'époque du mercantilisme jusqu’à la Révolution française avaient ajouté à l’apostolat les besoins du commerce pour justifier le colonialisme du point de vue moral. Mais dans la France de la IIIe République, de nouvelles doctrines de nature impérialiste étaient apparues. Certains adaptèrent les théories de Darwin à l’expansionnisme qui devint alors un fait « naturel » : « il en est des nations comme des espèces et des individus ; l’élimination des peuples arriérés par les peuples évolués et à leur profit est en dernière analyse bénéfique à l’ensemble de l’humanité[7] ».  

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Une philosophie de la colonisation fut associée à des théories économiques. Par exemple, l’économiste Paul Leroy-Beaulieu écrivait que « les capitalistes courent (…) de moindres risques dans les colonies qui sont des prolongements de la métropole[8] ». Sur le plan politique, la plupart des républicains français cultivaient à l’égard des populations indigènes des sentiments tranchés. On sait l’engagement très fort de Jules Ferry en faveur de la colonisation, là où les conservateurs français, mais aussi la gauche de Clémenceau, y étaient hostiles. La considération dans laquelle Jules Ferry tenait les peuples colonisés était peu fraternelle, si l’on en juge par le célèbre discours qu’il prononça le 28 juillet 1885 devant la Chambre des députés, dont le compte rendu des débats indique notamment : « Monsieur Jules Ferry : Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. » Et plus loin : « Monsieur Jules Ferry : Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… (Marques d’approbation sur les mêmes bancs à gauche – Nouvelles interruptions à l’extrême-gauche et à droite). »  

Sur le plan religieux, l’évangélisation des indigènes qui s’est faite parallèlement à la colonisation a pu donner l’impression d’une collusion entre les missionnaires et les colonisateurs. C’est oublier qu’en France, la IIIe République a été fort peu favorable à l’Eglise catholique, et que les administrateurs coloniaux étaient le plus souvent francs-maçons[9]. Depuis l'avènement de la République en 1871, l’administration française était opposée à la conversion des musulmans, et Monseigneur Lavigerie, ardent partisan de la conquête des âmes, était regardé avec suspicion[10]. Dans une lettre du 22 novembre 1907 à l’abbé Hugelin, le Père de Foucauld déplorait la situation issue de cette politique : « Ce que voient les indigènes, de nous, chrétiens, professant une religion d’amour, ce qu’ils voient des Français incroyants criant sur les toits fraternité, c’est négligence, ou ambition, ou cupidité – et chez presque tous, hélas, indifférence, aversion et dureté[11] ».  

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Loin des considérations d’ordre économique, stratégique ou humanitaire, le Père de Foucauld défendait un point de vue catholique et fort différent : « Pour les musulmans, c’est affaire de longue haleine. Il faut faire d’eux intellectuellement et moralement nos égaux, ce qui est notre devoir[12]. » Il expliqua ses conceptions à sa cousine, Marie de Bondy, dans une lettre du 7 janvier 1902 : « Je veux habituer tous les habitants, chrétiens, musulmans, juifs et idolâtres, à me regarder comme leur frère universel. Ils commencent à appeler la maison « la fraternité » (la Khaoua, en arabe) et cela m’est doux[13] ».  

Ouverture chrétienne du cœur contre intérêts bien pensés. Toute la différence entre la doctrine sociale de l’Eglise et le colonialisme de la IIIe République apparaît quand on confronte les deux discours. Mais la doctrine sociale de l’Eglise pouvait-elle rencontrer un écho au sein de la civilisation de l’islam ? Peut-être le Père de Foucauld en doutait-il quand il exposa ses conceptions dans sa « Règle » de juin 1896 : « 1° Reproduire aussi fidèlement que possible la vie de Notre Seigneur Jésus Christ à Nazareth. 2° Mener cette vie en pays infidèles, musulmans ou autres, par amour pour Notre-Seigneur, dans l’espoir de donner notre sang pour son nom[14] ».  

TROISIEME MEDITATION : Le choc des civilisations ne distingue pas entre les individus.  

Le concept de choc des civilisations s’est imposé peu à peu après la parution, en 1996, de l’ouvrage éponyme de Samuel Huntington, professeur à l’université d’Harvard et expert auprès du Conseil national américain de sécurité sous l’administration Carter. Dans ce livre, Samuel Huntington considère que le monde bipolaire issu de la guerre froide et de l’affrontement Est-Ouest est devenu multipolaire, et que les oppositions idéologiques se sont effacées pour céder la place à des oppositions culturelles, c’est-à-dire principalement religieuses et, en partie, ethniques.  

Selon Huntington, au XIXe siècle, « les Européens ont déployé beaucoup d’énergie intellectuelle, diplomatique et politique à concevoir des critères servant à évaluer si les sociétés non occidentales étaient assez « civilisées » pour être acceptées comme membres du système international dominé par l’Europe[15] ». Huntington précise que « civilisation et culture se réfèrent à la manière de vivre en général[16] », et que « une civilisation représente l’entité culturelle la plus large[17] ». Mais qu’en est-il des chocs ? Evoquant la bataille de Lépante, Fernand Braudel les a décrits d’une façon imagée en notant « ces chocs sourds, violents, répétés, que se portent les bêtes puissantes que sont les civilisations[18] ». Et ce sont en effet des « chocs » que se sont portés dans l'histoire l’islam et la chrétienté, de la première conquête arabe à la bataille de Poitiers, des Croisades à la chute de Constantinople, de la Reconquista à l’occupation turque de la Hongrie, de la libération de Vienne par Jean III Sobieski à la colonisation de l’Algérie.  

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Le choc des civilisations se manifesta en Algérie dès le début de l’administration française. Une politique d’assimilation impliquait que les indigènes soient soumis au code civil français. Or, l’islam donnait aux musulmans « un statut personnel relavant des lois coraniques : pour devenir des citoyens français, il aurait fallu qu’ils consentissent à y renoncer[19] ». Bien peu se souviennent que la France de Napoléon III avait offert la nationalité française aux Algériens, dans un sénatus-consulte de 1865 dont l’article 1er était ainsi rédigé : « L’indigène musulman est Français ; néanmoins, il continuera d’être régi par la loi musulmane. Il peut être appelé à des fonctions et emplois en Algérie. Il peut sur sa demande être admis à jouir des droits de citoyen Français, en étant régi par les lois civiles et politiques de la France[20] ».  

« Mais les musulmans tinrent à rester eux-mêmes. En cinq ans il y eut seulement 250 demandes d’accession à la citoyenneté française ! Et, entre 1865 et 1899, il n’y eut que 1131 naturalisations, les demandes d’accession à la citoyenneté française émanant essentiellement de militaires de carrière[21] ». A titre de comparaison, quand, « en 1870, le décret Crémieux accorda la citoyenneté française aux Israélites, ceux-ci se conformant au code civil français, il y eut 37000 bénéficiaires[22] ». Et c’est parce que les musulmans choisirent de rester eux-mêmes que la généreuse initiative du Père de Foucault échoua finalement devant le choc des civilisations, entraînant la mort du bâtisseur de la Khaoua, de la Fraternité.  

41WYX451QRL._SX195_.jpgLe Père de Foucauld était lucide. Il connaissait la force de l’islam, comme il le narra à Henry de Castries le 8 juillet 1901 : « L’islam a produit en moi un profond bouleversement. La vue de cette foi, de ces hommes vivant dans la continuelle présence de Dieu, m’a fait entrevoir quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occupations mondaines… Je me suis mis à étudier l’Islam, puis la Bible[23] ». Il pria sans doute souvent, ainsi qu’il l’écrivit dans son « Diaire », le 17 mai 1904 : « Je vous recommande de toute mon âme la conversion des Touaregs ; je vous offre ma vie pour eux, la conversion du Maroc, des peuples du Sahara, de tous les infidèles[24] ». Pourtant, il était sans illusions et le fit savoir à Marie de Bondy, le 7 septembre 1915 : « Il y aura demain dix ans que je dis la messe à Tamanrasset, et pas un seul converti ![25] »  

Peut-on rendre l’homme différent de ce que sa nature fait de lui ? Tout au long de son ermitage, le Père de Foucauld avait entretenu des relations de respect mutuel avec les populations locales, allant jusqu’à faire œuvre de linguiste notamment dans ses études sur la langue des Touaregs, et il jouissait de l’estime et de la considération des autochtones. Mais en juin 1916, une grande partie de la population du Sahara et du Sahel se souleva contre les Français. Le 1er décembre 1916, un Touareg connu du Père de Foucault trahit sa confiance et permit à des Senoussistes d’investir le fortin où il était réfugié. C’est pendant le pillage que le Père de Foucauld fut tué d’une balle dans la tête, sans que les circonstances de sa mort n’aient jamais été clairement établies. Le capitaine de la Roche laissa le récit de ce qu’il trouva à son arrivée à l’ermitage, le 21 décembre 1916 : « Les assassins avaient emporté tout ce qui avait pour eux quelque valeur. Par terre gisait dans un désordre indescriptible ce qu’ils avaient dédaigné – quelques livres, un chemin de croix fait de planchettes, le chapelet du Père et un petit ostensoir qui semblait encore contenir l’hostie[26]. »  

---§---  

Quand le choc des civilisations se réalise, les ennemis ne témoignent d’aucun respect ni pour les hommes, ni pour leur culture, ni pour les symboles de leur foi. Après la mort du Père de Foucault, ses amis Touaregs entrèrent en dissidence contre l’armée française. On peut être édifié par la vie de Charles de Foucault. On doit aussi tirer une leçon de sa mort.  

Notes:

 [1] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966 

[2] Auguste Boulenger, La doctrine catholique, Clovis, 2021 

[3] Ibid 

[4] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966 

[5] Ibid 

[6] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966 

[7] Encyclopaedia universalis, Colonialisme et anticolonialisme, Editions Encyclopaedia Universalis, 1980 

[8] Ibid 

[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Missions_catholiques_aux_XIXe_et_XXe_si%C3%A8cles#Le_fait_colonial 

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Missions_catholiques_aux_XIXe_et_XXe_si%C3%A8cles#Le_cardinal_Lavigerie_et_les_P%C3%A8res_blancs 

[11] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966 

[12] André Castelot, L’Almanach de l’histoire, Perrin, 1962. 

[13] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966 

[14] Ibid  

15] Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, 1997 

[16] Ibid 

[17] Ibid 

[18] Renaissance catholique, Le choc des civilisations, Contretemps, 2009 

[19] Claude Sicard, Le face-à-face islam-chrétienté, François-Xavier de Guibert, 2008 

[20] Ibid 

[21] Ibid 

[22] Idid 

[23] Jean-François Six, Charles de Foucauld aujourd’hui, Editions du Seuil, 1966 

[24] Ibid 

[25] Ibid 

[26] Ibid.  

jeudi, 21 janvier 2021

De l’Ame

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De l’Ame

par Luc-Olivier d'Algange

Il n'est rien de moins abstrait que l'âme. Lorsque presque tout en ce monde, selon le mot de Guy Debord, tend à «  s'éloigner dans une représentation  », à s'abstraire de sa propre immédiateté; lorsque notre entendement, dans son usage commun, se borne à n'être qu'une machine à abstraire (ce qu'il est peut-être par nature, sauf à se subvertir lui-même dans une conversion gnostique); lorsque notre corps, tel que nous nous le représentons dans le regard d'autrui est tout autant abstrait de lui-même, - l'âme seule, qui est intérieure à toutes les choses, s'y déploie, pour qu'elles soient là, qu'elle existent, et dans leur mouvement même.

Qu'importe de savoir si nous croyons ou non en l'existence de l'âme, comme en une chose ou une notion, puisque ce qui existe, en s'éprouvant, est le mouvement de l'âme elle-même.

Pas davantage qu'une abstraction, l'âme n'est une «  subjectivité  »; elle n'est point la somme ou la synthèse de nos représentations et il serait presque trop de dire qu'elle est en nous, - cet «  en nous  » invitant à l'erreur de croire que notre âme serait emprisonnée dans notre corps, comme un moteur l'est dans une machine.

Or la nature de l'âme est d'être impondérable et de franchir, légère, les limites et les frontières. Elle n'est pas seulement un bien intériorisé mais la circulation entre l'intérieur et l'extérieur, la fluidité même.

Notre peau n'est pas notre limite, ainsi que l’écrivais René Daumal, mais l'un des plus subtils organes de perception. Ce qui perçoit avant nous en fissions une représentation, c'est l'âme. «  Peau d'âme  » disait Catherine Pozzi. La formule est admirable de justesse. L'âme ne s'oppose pas au sensible comme le voudraient les morales puritaines; elle est ce qui le rend possible. Là où l'âme agit, le monde intérieur et le monde extérieur échangent leurs puissances et s'entre-pénètrent amoureusement.

Que serait un monde sans âme ? Celui où nous avons la disgrâce ou la chance terrible de vivre. La disgrâce; parce que le monde moderne, le monde des hommes uniformisés et des objets de série, est cette machine à fabriquer de l'interchangeable et que la Grâce, comme le savait Al-Hallaj, ne vient qu'aux uniques. Mais chance terrible aussi, car la mise-en-péril de l'essentiel en révèle la splendeur cachée, l'inaltérable beauté sise au cœur  des êtres et des choses.

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L'âme humaine et l'Ame du monde sont une seule âme. L'âme des paysages est âme car elle est notre âme. Celui qui perçoit l'âme d'un paysage a la sensation de s'y perdre, à cet instant où, l'air, le ciel, les arbres et le vent affluant en lui,  il vacille au bord de l'extase. Il fait plus, et mieux, que le voir. Ce qu'il voit n'est que le signe de l'âme qui regarde en lui.

Telle prairie dans son apothéose fleurie éveille en nous le printemps de l'âme. Tel océan nous rappelle à l'exigence de nos abîmes. Tel vol d'hirondelles est notre pensée même et ne se distingue en rien de ce qui la perçoit en nous. L'âme est la vive, l'avivante intersection entre ce qui perçoit et ce qui est perçu.

Le sentiment qui en surgit est bien, comme vous le dites justement, celui du Pays perdu, la sehnsucht des Romantiques Allemands, - l'orée tremblante de l'âme.

A certaines heures, particulièrement à l'aube et au crépuscule, le visible semble s'éloigner en lui-même, dans la profondeur du regard, jusqu'à l'orée d'où reviennent, en ressacs, les ressouvenirs du Pays perdu. Ce pays n'est perdu, en vérité, que parce qu'il est trouvé. Son absence est l'espace de son advenue.

Quiconque oublie le sens de l'exil vit dans l'exil de l'exil, - dans cette absence carcérale qu'est la représentation. La présence réelle, au contraire, est l'hôte de l'absence, son invitation, et selon la formule fameuse de Dante, sa «  salutation angélique  ». A l'orée du visible, l'absence du visible, l'invisible nous fait signe afin que nous cheminions vers lui. Toute vie qui n'est pas une quête du Graal est un avilissement sans fin.

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Dans le fondamentalisme, tout se réduit à l'idolâtrie du signe extérieur, d'une apparence qui ne laisse rien apparaître. Apparence sans apparition, mur aveugle, sur lequel, tout au plus, on peut apposer des affiches de propagande haineuse. Le fondamentaliste veut bannir le doute, mais bannissant le doute, il détruit la Foi. A sa façon, c'est un «  réaliste  », il veut «  du concret  », c'est-à-dire de la servitude et de la mort concrètement réalisés.  Il est aux antipodes, non du matérialiste ou du «  mécréant  », comme il se plait à le dire, et peut-être à le croire, mais du mystique et de l'herméneute, et de tout homme en qui s'élève un chant de louange en l'honneur de la Création.

Vindicatif, mesquin, obtus, il vient comme une menace, mais dans un monde qui lui ressemble. On le dit «  archaïque  » ou «  barbare  » mais il n'est ni l'un ni l'autre, - plutôt idéologue et publiciste, inscrit, et parmi les premiers rôles, au cœur de la société du spectacle. Il n'est pas ce qui s'oppose au monde moderne mais sa vérité de moins en moins dissimulée. Comment lui opposerait-on la société dite moderne dominée par la finance et la technique alors que ce sont les moteurs de sa guerre, que bien abusivement, il qualifie de «  sainte  »  ?

La guerre de ces deux forces, antagonistes seulement par les apparences, car elles sont l'une et l'autre idolâtres des apparences, ne contient aucun espoir. Elle est la force même du péché contre l'espérance. Ce qu'il y eut de beau, de noble et libre dans la culture européenne est pris en tenaille entre ces frères ennemis qui obéissent au même Maître, - celui de la restriction de l'expérience sensible et spirituelle, celui du contrôle total.

En ces circonstances où le monde s'uniformise et s'attriste, l'âme est atteinte, blessée. Les poètes en seront les guérisseurs, au sens chamanique, et les héros, au sens d'une sauvegarde de certaines possibilités d'être. La question est cruciale et vitale car enfin, sans âme, tout simplement, on ne vit point, ou bien seulement d'une vie réduite à un processus biologique, - auquel s'intéresse précisément le «  trans-humanisme  », qui est sans doute la phase ultime de cet «  interventionnisme  » moderne qui veut ôter aux hommes la joie et le tragique,  et la beauté même de l'instant éternel, pour en faire des mécaniques perpétuelles.

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Le Moderne hait le donné. Rien n'est assez bon pour lui; et c'est ainsi qu'il détruit le monde et s'appareille. Les causes et les conséquences de ce processus, qui est avant tout une vengeance contre tout ce que l'on ne sait pas aimer, ont, au demeurant, été admirablement analysés par Heidegger et René Guénon. Le Moderne est un homme mécontent du monde et de lui-même et ce mécontentement, au contraire de l'inquiétude spirituelle, n'est pas une invitation au voyage, un consentement à l'impondérable, mais un grief qui se traduit par un activisme planificateur. Tout est bétonné, aseptisé, stérilisé, climatisé, - et finalement empoisonné. Plus rien n'est laissé au temps pour y éclore. Les incessantes exactions commises contre la nature, les paysages donnés par la création ou par le labeur intelligent de nos ancêtres, ne sont que la conséquence des atteintes continûment portées à l'âme des individus et des peuples qui pouvaient encore les comprendre, les honorer et les aimer.

L'âme est ce qui relie. Toute atteinte à l'âme nous sépare du monde, de nos semblables et de nos dissemblables, pour nous jeter dans l'abstraction, dans cette subjectivité morbide qui s'exacerbe devant les écrans. Les écrans, par définition font écran; ils sont des instances séparatrices et l'on reste, pour le moins, dubitatif devant ces injonctions gouvernementales qui prescrivent de les imposer dans tous les collèges et toutes les écoles, pour le plus grand bénéfice de ceux qui en font l'industrie.

L'homme irrelié, séparé des influx de toutes les forces sensibles et intelligibles, est le parfait esclave-consommateur. Irrelié, il ne peut plus recevoir, ni donner, - et symétriquement, une étrange outrecuidance s'accroît en lui, et il croit d'un clic pouvoir dominer le monde entier en le faisant apparaître et disparaître. Ses sens et la présence de l'Esprit s'altèrent en lui par cet usage. Vide d'Esprit, son cerveau s'encombre de fatras et de décombres, sa syntaxe et sa grammaire s'effondrent, ses affects s'hystérisent et sa peau devient imperméable à l'air et à la lumière, à ces forces immenses, sensibles et suprasensibles, qui embrassent, apaisent et sauvegardent.

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Le propre de cette machine de guerre uniformisatrice est qu'elle s'exerce désormais non par une collectivité contre une autre, mais contre chacun, contre chaque âme éprise de l'Ame du monde. Dans ce combat, chacune de nos défaites a une conséquence immédiate pour chacun d'entre nous et par chacun d'entre nous.

A l'ensoleillement de l'âme qui naît dans la nuit dont elle révèle et fait resplendit le mystère, le Moderne a substitué l'éclairage scialytique, le néon commercial, la blafarde clarté de l'écran d'ordinateur. Il a remplacé la pensée méditante, qui délivre, par la pensée calculante qui emprisonne et infléchit les caractères vers la cupidité, l'envie et l'ennui. La fréquentation des humains en devient difficile. Les conversations, dans la plupart des cas, se ramènent à un «  zapping  » fastidieux; toute promenade devient une prédation touristique; toute relation humaine, une tractation pesante, voire menaçante.

Lorsque le monde disparaît, lorsque les femmes et les hommes n'ont plus conscience de faire partie de cette Quaternité, avec le ciel, la terre et les dieux, que Heidegger évoque en suivant Hölderlin, une affreuse incarcération commence, une peine illimitée dans ce «  sous-sol  » dont parle Dostoïevski, et d'où ne s'élèvent que des plaintes haineuses.

L'Enfer et le Paradis sont l'un et l'autre à notre portée  ;  cette belle énigme théologique, nommée le «  libre-arbitre  » trouve ici son mode d'application. Tel est l’alpha et l’oméga de la sapience  : il est en nous, et donc ici-bas, un enfer et un paradis pris dans les rets du temps qui sont les reflets de l’Enfer et du Paradis éternel, et, non point en général, mais à chaque instant précis, il nous appartient de choisir l’un ou l’autre, de prendre le parti de l’un ou de l’autre. Même lorsque nous ne faisons rien en apparence, ou que nous ne faisons que songer et penser, il nous appartient que ces songes et ces pensées soient de la source vive ou de la citerne croupissante  ; il nous appartient qu’elles chantent et se remémorent les heures heureuses, ou qu’elles s’aigrissent. Il nous appartient de boire à la source de Mnémosyne ou à celle du Léthé. Quiconque demeure encore quelque peu attaché à la spiritualité européenne peut se redire, dans le fond du cœur, en toute circonstance, ce qui est écrit sur la Feuille d’Or orphique trouvée à Pharsale  :

«   A l’entrée de la demeure des morts

Tu trouveras sur la droite une source.

Près d’elle se dresse un cyprès blanc

Cette source ne t’en approche pas.

Plus loin tu trouveras l’eau fraîche

Qui jaillit du lac de Mémoire, veillée par des gardiens.

Ils te demanderont pourquoi tu viens vers eux.

Dis-leur  : je suis fils de la Terre et du Ciel étoilé.

Mon vrai nom est l’Astré. La soif me consume.

O laissez-moi boire à la source  ».

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Les Symboles ne sont pas seulement des allégories, des représentations, ils sont des actes d’être. Ce qu’ils donnent à voir est l’invisible dont ils sont l’empreinte visible. Le sensible et l’intelligible ne sont pas seulement des catégories de l’entendement, mais des pôles entre lesquels se déploie une gradation infinie, que nos sens et notre entendement seuls ne peuvent parcourir. Entre le corps et l’esprit, l’âme est cet instrument de perception du «  monde imaginal  » qu’on ne saurait réduire à la fantaisie ou à ce que l’on nomme ordinairement l’imaginaire, lequel appartient à la pure subjectivité. Les œuvres de Sohravardî, de Ruzbéhân de Shîraz, ou d’Ibn’Arabi, admirablement commentées par Henry Corbin, donnent à comprendre en quoi le mundus imaginalis est bien ce «  suprasensible concret  », cette Ile Verte ou ce Château Tournoyant qui s’offrent à tous les hommes, par l’expérience visionnaire, aussi objectivement qu’un paysage réel.

L’Archange Empourpré qu’évoque Sohravardî, qui apparaît au crépuscule, est le messager ce qui dans la pensée fut et n’est pas encore, l’aube en attente dont le crépuscule révèle la splendeur et le sens caché. Ainsi, oui, l’âme est l’Ange, elle est ce qui en dispose en nous la présence entre les mondes, le miroitement, l’orée, l’attente, l’attention.

Il y eut dans les grandes œuvres persanes du Moyen-Age une attention extrême et précise à ces gradations, à ces variations chromatiques de l’âme allant à la rencontre de son ange, à cette multiplicité des états d’être et de conscience, sans laquelle nous demeurons emprisonnés dans des représentations sommaires et réduits à un exercice de la vie purement utilitaire et avilissant, mais cette attention se retrouve tout aussi bien chez Hildegarde de Bingen ou Maître Eckhart, et plus en amont, dans les Ennéades de Plotin.

Une catena aurea néoplatonicienne, quelque peu secrète, traverse la culture européenne fort différente du «  platonisme  » selon sa commune définition scolaire de «  séparation entre le monde sensible et le monde idéal  ». L’Idée n’est pas séparée de la forme sensible, elle est la forme formatrice de cette forme. Le monde sensible n’est pas «  séparé  », et encore moins «  opposé  », au monde des Idées, mais empreinte héraldique des Idées. Ce n’est que dans l’oubli de l’âme que s’opposent le corps et l’esprit, qui deviennent ainsi l’un à l’autre leur propre enfer. Or voici Marsile Ficin, qui parle du «  rire de la lumière  », voici Shelley, qui nous invite au voyage de «  l’âme de l’Ame  », Epispsychidion, voici Saint-Pol-Roux et ses ensoleillements, «  symboliste comme Dante  », voici Oscar Wenceslas de Lubicz-Milosz, dont l’Ars Magna et les Arcanes décrivent le surgissement, par le Verbe, d’un «  autre espace-temps  » non point irréel mais à partir duquel toute réalité s’ordonne, s’éclaire ou s’obscurcît, selon l’attention déférente que nous savons, ou non, lui porter.

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Tout ce qui importe se joue dans notre perception du temps. Est-il un autre temps que le temps de l’usure et de la destruction  ?  Sous quelles conditions s’offre-t-il à notre attention, dans quelles incandescences  ? La plus haute intensité, celle qui délivre, ne vient pas dans la hâte, l’agitation et le tumulte, mais dans le calme et le silence  : «  regard de diamant  » comme disent les taoïstes.

L’âme est ce qui éveille, derrière les yeux de chair, les «  yeux de feu  ». «   C’est au yeux de feu seuls qu’apparaît ce qui unit Proclus à Botticelli et l’Empereur Julien à Franz Liszt  » disait Jean-Louis Vieillard-Baron, dans l’une de ses belles conférences de l’Université Saint-Jean de Jérusalem. Par l’exercice herméneutique, un arrière-plan apparaît, une conscience dans la conscience, antérieure à toute analyse et à toute explication historique, qui, si elle ne peut se prouver, selon les lois de la science reproductive, s’éprouve et se dit. En amont, dans une immensité antérieure, dans un ressac de réminiscences se tient une Sapience, qui est le bonheur même, une région paradisiaque, cet «  invincible été  » que l’on porte en soi au cœur de l’hiver, comme disait Camus, une gnose soleilleuse, si merveilleusement figurée dans le fameux traité d’Alchimie, intitulé précisément Splendor Solis, et qui nous revient, non de façon planifiable mais à la venvole, et pour laquelle il convient donc de se tenir prêts à chaque instant.

Tel est exactement le sens de la chevalerie spirituelle, de ce cheminement vers le Graal ou la Jérusalem Céleste, entre la Mort et le Diable, comme sur la gravure de Dürer. Le combat pour l’Ame du monde oppose un sacrifice à un gâchis. Le moderne ne voulant rien sacrifier gâche tout. A tant vouloir opposer le corps et l’esprit, il perd le bon usage de l’un et de l’autre. Nous conquerrons, ou nous perdrons, en même temps et du même geste, la beauté de l’instant et la splendeur de l’éternité, le frémissement sensible et les lumières secrètes de l’Intellect, la présence immédiate, l’éclosion de l’acte d’être et la fidélité à la Tradition qui nous en donne les clefs. A la fine pointe de la seconde advenante, à l’aube de la fragile et fraîche éclosion, le beau récitatif nous vient en vagues depuis la nuit des temps par l’intercession d’Orphée et de Virgile.

Contre les armes dont le monde moderne use contre nous afin de nous épuiser et de nous distraire, reprenons sans ambages le Bouclier de Vulcain tel qu’il apparaît, en figuration de l’Ame du monde, dans l’Enéide  : feu primordial et cœur du monde. «  Par lui, écrit Yves Dauge, s’enracinent dans l’histoire les Idées pensées par Jupiter, formée par Apollon, transmise par Mercure et vivifiées par Vénus  ». Telle est exactement l’âme avivée, l’âme sauvegardée  : une voie vers la pensée intérieure des êtres et des choses, au point où elles se forment en se délivrant de l’informe, et voyagent vers nous par des ambassades ailées, celle des poètes et des herméneutes, pour finalement être touchées et vivifiées par l’amour.

Luc-Olivier d’Algange

lundi, 05 février 2018

Spiritualité, Ontologie, Métaphysique et Musique industrielle

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Spiritualité, Ontologie, Métaphysique et Musique industrielle

par Thierry DUROLLE

La Tradition constitue pour beaucoup à la fois un point de départ et un point d’arrivée; elle suscite l’intérêt de personnalités variées dont le point commun réside dans le fait que leur regard est dirigé vers le « plus-que-vie », le « principe suprême », et les questions d’ordre ontologique et métaphysique en général. Jean-Marc Vivenza compte parmi ces chercheurs d’Absolu.

JMV-couv.jpgSa créativité se manifesta dans sa jeunesse, et en parallèle de ses études de philosophie et d’histoire de l’art, dans la musique industrielle, courant singulier, transgressif et atonale que l’on nomme, sans aucune connotation péjorative, « bruitisme ». Précurseur en la matière, le sérieux de la démarche, ainsi que son talent, amenèrent Vivenza à se produire dans toute l’Europe.

L’artiste, fortement influencé par le futurisme, se doublait d’un homme spirituel et spirituellement conscient du monde dans lequel il vit. Ce lecteur d’Evola, puis de Guénon, de Maistre et de beaucoup d’autres abandonna la musique bruitiste pour se développer intérieurement. Son cheminement il le relate dans son dernier ouvrage en date, Entretiens spirituels et écrits métaphysiques.

Dans la première partie de l’ouvrage, le lecteur trouvera plusieurs entretiens, dont le premier est centré justement sur le parcours de l’auteur. Là où la Tradition amenèrent certains à se convertir à l’islam par exemple, elle orienta Jean-Marc Vivenza sur les chemins de ce qu’il considère comme un véritable ésotérisme chrétien, bien que celui-ci soit un ésotérisme chrétien franc-maçon inspiré de Jean-Baptiste Willermoz.

Fortement influencé par ce dernier, mais aussi par Joseph de Maistre, Jean-Marc Vivenza expose ses vues de manière limpide bien que le sujet en lui-même s’adresse avant tout à un public averti, ou plutôt, devrions-nous dire, initié. Cet ouvrage va au-delà de la Tradition où bon nombre de lecteurs de Guénon et consorts l’entendent. D’ailleurs, Vivenza se montre souvent critique envers René Guénon, d’autant plus critique qu’il connaît très bien sa pensée. En dépit d’une évolution bien différente, l’on sent toujours chez lui une sympathie certaine pour Julius Evola. La première annexe du livre lui est d’ailleurs consacrée, plus précisément la période de sa vie où il fut proche de certains futuristes lorgnant justement vers l’ésotérisme et la Tradition.

Nous ne serons pas d’accord avec toutes les vues de Jean-Marc Vivenza, notamment sur sa critique de la doctrine des cycles cosmiques, mais nous ne pouvons que saluer la somme de connaissance, dans son domaine, à savoir l’illuminisme (qu’il ne faut évidemment pas confondre avec les Illuminés de Bavière) et les doctrines ontologiques et métaphysiques.

Ouvrage intéressant mais épineux pour le néophyte, Jean-Marc Vivenza nous plonge dans une facette de l’histoire spirituelle de l’Europe méconnue de certains mais riche à sa manière.

Thierry DUROLLE

• Jean-Marc Vivenza, Entretiens spirituels et écrits métaphysiques, Le Mercure Dauphinois, 2017, 376 p., 21,50 €.

mardi, 26 décembre 2017

Le phare spirituel de l’Europe

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Le phare spirituel de l’Europe

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

« Il est des lieux où souffle l’esprit. Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse. […] Illustres ou inconnus, oubliés ou à naître, de tels lieux nous entraînent, nous font admettre insensiblement un ordre de faits supérieurs à ceux où tourne à l’ordinaire notre vie. Ils nous disposent à connaître un sens de l’existence plus secret que celui qui nous est familier, et, sans rien nous expliquer, ils nous communiquent une interprétation religieuse de notre destinée. Ces influences longuement soutenues produiraient d’elles-mêmes des vies rythmées et vigoureuses, franches et nobles comme des poèmes. Il semble que, chargées d’une mission spéciale, ces terres doivent intervenir, d’une manière irrégulière et selon les circonstances, pour former des êtres supérieurs et favoriser les hautes idées morales. » Ces propos de Maurice Barrès, écrits en 1913 dans La Colline inspirée, concordent parfaitement avec la Sainte-Montagne plus connue sous le nom de Mont Athos.

Point culminant à 2033 m de la plus orientale des péninsules grecques de la Chalcidique, le Mont Athos devient dès la fin du VIIe siècle le lieu de retraite des ermites. L’endroit se couvre bientôt de monastères qui dépendent directement du patriarchat œcuménique de Constantinople. Très tôt, le territoire, dédié à la Vierge Marie, applique l’abaton (un terme grec signifiant « lieu pur ou inaccessible ») : l’accès y est interdit à toute personne de sexe féminin ainsi qu’à tout animal femelle, excepté pour des raisons pratiques les poules et les chattes.

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L’actuelle hystérie féministe voit dans cette interdiction « anachronique » le caractère machiste, discriminatoire et sexiste de la Sainte-Montagne. Dès 2002, une socialiste député grec au Parlement européen avait réclamé de l’assemblée une ferme condamnation. Athènes s’y opposa avec vigueur. En effet, la Grèce garantit les spécificités de ce « Tibet chrétien » reconnues par le traité de Lausanne en 1923 et par les différents traités européens.

Héritier de l’Empire byzantin dont il a gardé l’étendard doré à l’aigle impériale bicéphale, le Mont Athos est un État monastique autonome de 2 250 habitants qui se répartissent entre les vingt monastères d’origine grecque, russe, bulgare, roumaine, serbe, géorgienne et arménienne. Organe délibératif, sa Communauté sacrée réunit les représentants de chaque monastère. Quatre moines choisis pour un an forment la Sainte-Épistasie, l’instance exécutive présidée par un Protos.

Classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1998, le Mont Athos concilie avec une harmonie certaine spiritualité, tradition et écologie. Des éoliennes discrètes et des panneaux solaires fournissent aux monastères leur propre électricité. Tandis que le Mont Saint-Michel croûle sous le tourisme de masse et que le Rocher de Saint-Michel d’Aiguilhe au Puy-en-Velay connaît pour l’instant une fréquentation somme toute supportable, le Mont Athos reste encore ce grand phare spirituel de l’Europe.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 58, diffusée sur Radio-Libertés, le 22 décembre 2017.

mercredi, 12 novembre 2014

La “politique spirituelle” de Poutine face à la “haine-Système”

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La “politique spirituelle” de Poutine face à la “haine-Système”

Ex: http://www.dedefensa.org

On sait, ou l’on ressent encore plus qu’on ne le comprend, que l’hostilité antirusse du bloc BAO est d’abord une haine anti-Poutine. (Sur la question des rapports avec la Russie marqués par cette “hostilité antirusse du bloc BAO” et consorts, de l’hostilité haineuse contre la Russie, on peut se référer aux textes du 10 juillet 2014 et du 25 septembre 2014.) C’est même à ce point, en passant au personnage du président russe, que l’on passe de l’hostilité haineuse à la haine pure dans le chef du bloc BAO, de ses activités de communication, et dans ce qu’il peut y avoir de réflexe-Système dans l’attitude des dirigeants du bloc et dans la façon dont ils opérationnalisent la politique-Système.

(Il n’est en effet pas question, – plus question depuis la défection française de son destin historique, – de parler de “politiques” diverses à l’intérieur du bloc, voire d’une “politique” spécifique du bloc qui pourrait avoir quelques nuances. Il est question de fixer ce point évident que le bloc BAO n’est plus capable aujourd’hui que d’opérationnaliser et d’exécuter la politique-Système, c’est-à-dire la chose qui lui est imposée par le Système. Les “dissidences” sont nécessairement sectorielles et minoritaires, étant le fait de petits pays placés dans des positions spécifiques inhabituelles, telle la Hongrie du Premier ministre Orban.)

Notre intérêt ici est de nous interroger sur la cause de cette haine contre Poutine, – qu’on peut effectivement qualifier de “haine anti-Poutine” tant elle est attachée à un homme et de “haine-Système” tant elle est produite quasi-mécaniquement par le Système, – et d’aussitôt proposer notre réponse et l’analyse qui va avec. (Cette “haine anti-Poutine”/“haine-Système” est un phénomène psychologique important et très spécifique. Il s’agit effectivement d’une haine pure dans le sens où elle affecte directement son objet et où elle utilise tous les attributs à sa disposition. Elle va de l’invective courante des chroniqueurs politiques, avec rappel automatisé des péripéties sanglantes de l’URSS/du communisme, au persiflage [mot qui n’est pas mis là par hasard] des salons et des talk-show. Cette haine est de l’ordre du reflexe pavlovien, c’est-à-dire sans besoin de se justifier et sans laisser place à la moindre argumentation contraire, quasiment en mode-réflexe, véritablement comme une “façon d’être pavlovienne”. Il s’agit d’un véritable état de terreur psychologique : dans certains milieux, dans nombre de circonstances publiques, dans une considérable majorité d’événements de communication politiques, sociétaux et culturels, il est impossible de prononcer ce nom de “Poutine” sans provoquer des réflexes allant de l’onomatopée à la grimace, à la nausée intellectuelle, à la nausée tout court, à l’hystérie, tout cela pavlovien répétons-le encore et encore, qui n’ouvre pas le débat mais au contraire le ferme à double tour.)

Pour nous, il est évident qu’un réflexe aussi complètement impensé, inconscient, automatisé, et d’une telle puissance, capable de bouleverser autant les psychologies des élites-Système que des axes politiques fondamentaux, ne peut trouver sa source que dans une cause d’une puissance au moins égale. Notre hypothèse se nomme “politique spirituelle” de Poutine, selon une expression forgée pour l’occasion et mélangeant volontairement deux termes en général assez éloignés l’un de l’autre. (On pourrait aussi dire “dimension politique de la politique russe” [de Poutine].) Cette hypothèse est basée sur des caractères spécifiques de l’homme, sur la façon dont il utilise ces caractères pour façonner et structurer sa politique, sur le climat existant en Russie à partir de caractères russes persistants, sur les nécessités d’une situation de crise générale.

00000000aaaKMO_076192_00515_1_n.jpgPour appuyer notre démonstration et lui donner une base d’actualité suffisamment riche, nous citons un texte de l’écrivain(e) danoise Iben Thranholm, publié par l’excellent site Russia Insider, le 9 octobre 2014. Ce texte est évidemment écrit en connexion avec l’anniversaire du président russe, qui a été marqué dans son chef par une visite en Sibérie et dans nombre de médias du bloc BAO par un torrent d’ironie sur le “culte de la personnalité”, son “goût d l’image”, ses “poses de macho”, ses habitudes d’autocrate, ses penchants de corruption, etc., – bref, le minimum syndical-BAO en cette matière automatisée.

»A series of recent announcements confirms Putin’s Christian beliefs and his vision of Russia as essentially a Christian country. Putin has called for the restoration of Kremlin’s historic Chudov (“of the Miracle”) and Voznesensky (Ascension) monasteries both of which were destroyed by the Bolsheviks. He also wants another church destroyed by the Bolsheviks in the Kremlin to be rebuilt.

»The Kremlin is both the political and historic center not just of Moscow but of Russia. By calling for the restoration of these Christian buildings Putin repudiates the Soviet legacy with its atheist ideology and its record of anti-Christianity and reaffirms Orthodoxy as the heart of Russian culture. In his own words : “Here is the idea ... to restore the historic appearance of the place with two monasteries and a church, but giving them, considering today’s realities, an exclusively cultural character.”

»A key element of Putin’s world view is not just his commitment to the Russian Orthodox Church as an institution, but also his admiration for three 19th and 20th century Russian Christian philosophers—Nikolai Berdyaev, Vladimir Solovyov and Ivan Ilyin, all of whom he often quotes in his speeches. Russia’s regional governors were even instructed to read the works of these philosophers during their 2014 winter holidays. The key message of these philosophers is of Russia’s messianic role in world history and of its need to preserve itself through Orthodoxy and restoration of its historic borders.

»Studying the causes of Russia’s 20th century tragedy, Ilyin wrote: “The Russian revolution is a reflection of the religious crisis we are living through now, an attempt to establish an anti-Christian public and state system thought up by Friedrich Nietzsche and economically and politically realized by Karl Marx. This anti-Christian virus was exported to Russia from the West… Losing our bond with God and the Christian tradition, mankind has become morally blind and gripped by materialism, irrationalism and nihilism.”

»In Ilyin’s view, the way to overcome this global moral crisis is for people to return to “eternal moral values”, which he defined as “faith, love, freedom, conscience, family, motherland and nation” but above all “faith and love”. “To make Russia great again the Russian people should believe in God. This faith will strengthen their minds and willpower. It will make them strong enough to overcome themselves.” Ilyin believed in the religious gift and talent of the Russian soul. In his words, “Russian history is all about morality triumphing over difficulties, temptations, dangers and enemies.”

bers.JPG»For their part Solovyov and Berdyaev argued that the historic mission of Russia is to lead the way to human unification. Russia would transcend secularism and atheism and create a unified spiritual kingdom. “The Russian messianic conception,” said Berdyaev, “always exalted Russia as a country that would help to solve the problems of humanity.”

»In his biography entitled "First person", Putin says the first line in any Russian law code should be moral values and that Russia has to be concerned as much with its spiritual position as its geographical one. To understand Putin’s vision of Russia, his views on spirituality and his study of Christian thinkers such as Ilyin, Solovyov and Berdyaev, must be taken into account.»

Il y a déjà un certain temps que l’accent est mis sur l’existence d’une dimension spirituelle autour de la présidence Poutine et autour du personnage. Quoi qu’il en soit des événements, des déclarations et de la documentation précédant cette période, on peut dater du début de 2012, lors de la campagne présidentielle, l’introduction de ce facteur dans l’équation politique russe, et dans la politique du président à venir. Nous voulons dire par là qu’après certains signes annonciateurs (voir le 26 octobre 2011), cette dimension apparut comme un facteur de la campagne, d’une façon indirecte et subreptice, comme une évaluation de ce que serait la politique de Poutine s’il était élu, comme une nécessité face aux attaques déstructurantes dont la Russie et Poutine (re)devenu président seraient nécessairement l’objet, dont la Russie elle-même était déjà l’objet de la part du système de la communication tel que manipulé par les différents relais du bloc BAO.

Ces diverses circonstances intervenaient alors que la réalisation de la puissance de la crise générale, ou crise d’effondrement du Système pour nous, ne cessait de grandir. Du point de vue opérationnel, la direction russe avait été notamment profondément secouée par son erreur capitale dans l’affaire libyenne de 2010, où elle s’était trouvée piégée par son vote favorable au Conseil de Sécurité en faveur de l’établissement d’une no-fly zone humanitaire, qui avait été prestement transformée en une intervention militaire en bonne et due forme (le Français Sarko suivi de l’OTAN), et s’avérant décisive pour le renversement du régime Kadhafi.

Dans un texte du 3 mars 2012, nous analysions le fondement et l’évolution de l’introduction du “facteur spirituel” dans la campagne électorale, puis dans la politique russe elle-même, à partir d’un texte du professeur Igor Panarine... «L’intérêt de ce texte est effectivement, beaucoup moins dans les solutions envisagées que dans la prise de conscience dont il témoigne. Il s’agit de la prise de conscience de l’universalité de la crise, du caractère d’inéluctable effondrement qui la caractérise (autodestruction), notamment avec l’identification très correcte du fondement de la politique d’agression expansionniste (Libye, Syrie) comme politique d’“activation du chaos” sans autre but que ce chaos comme facteur d’autodestruction du Système, effectivement “chaos destructeur”. (Cela justifie, par exemple, que Panarine, tout en identifiant implicitement l’Europe comme un des moteurs de cette politique d’activation du chaos, fasse appel à cette même Europe pour le projet eurasien : il comprend bien que la mécanique en marche est une production du Système, dont l’Europe est dans ce cas la prisonnière, et le projet eurasien devient alors une proposition de libération faite à l’Europe.)

»Il s’agit ensuite de la réalisation également correcte que la véritable puissance se trouve aujourd’hui dans le système de la communication, et l’une des utilisations étant l’“agression psychologique” par diffamation mécanique et robotisée. Là aussi, le Système parle et anime les créatures qu’il a soumises, au sein du bloc BAO. Il s’agit enfin de la réalisation que seul le facteur de la spiritualité a une chance d’élever l’esprit pour lui permettre de résister à cette “agression psychologique”, voire de contre-attaquer. (Encore une fois, prendre “spiritualité” pour une valeur intellectuelle dans le sens le plus large, et pas une seconde comme une valeur religieuse, même si telle ou telle Église peut y jouer un rôle.)»

Dès cette élection, nous jugions que la réinstallation au pouvoir de Poutine constituait un événement majeur, et un événement notablement différent de ses précédents mandats (2000 et 2004). A la différence sinon au contraire de 2000 et 2004, Poutine était élu en 2012 sur des thèmes beaucoup plus universels et fondamentaux, des thèmes affectant directement et fondamentalement la situation du monde et la situation de la Russie dans le monde. Cet ensemble de considérations le mettaient en position d’apparaître comme un candidat, puis un président antiSystème, – et nous retrouvons là, aussitôt, un accès direct à l’explication de la “haine-Système anti-Poutine” : «Dans ce cadre, la haine extraordinaire qui affecte le personnage de Poutine de la part des commentateurs-Système du bloc BAO, mises à part toutes les explications “objectives” ou informées” qu’on peut avancer et quoi qu’il en soit de leur réalité, est littéralement une haine-Système. C’est le Système qui parle en eux ; et il parle de cette façon, non parce que le personnage visé est exceptionnel (même s’il l’est, même s’il ne l’est pas, peu importe dans ce cas), mais parce que le personnage visé représente, selon la perception qu’en a le Système lui-même, la concrétisation d’une résistance antiSystème majeure, la mise en place pour la première fois institutionnalisée en tant que tel d’un système antiSystème, qui met en évidence le propre caractère autodestructeur et nihiliste du Système.» (dedefensa.org, le 5 mars 2012.)

On sait que, depuis, les événements ont confirmé ces diverses tendances, et notamment la tendance spiritualiste traduite en termes politiques selon les références de la tradition et, pour certains, du conservatisme de tradition. (Voir notamment les textes du 18 décembre 2013, où est commentée la prise de position du paléo-conservateur US Patrick Buchanan en faveur de Poutine, et du 31 décembre 2013, où est examiné le phénomène d’un Poutine et de la Russie devenant des références transnationales pour à la fois les souverainistes et les conservateurs traditionnalistes.) Tout cela invite effectivement à examiner ce phénomène de la “politique spirituelle” de Poutine et de la Russie, ou “dimension spirituelle de la politique russe”, notamment à la lumière du texte de Iben Thranholm.

La religion comme un outil

Poutine a-t-il une “vision” ? Peut-être le mot prête-t-il trop à confusion avec le sens très fort donné à son concept opérationnel de “visionnaire”. Il est encore trop tôt pour dire si Poutine a une “vision” dans le sens d’être un “visionnaire”, et il s’agit très certainement d’être circonspect à cet égard parce que certains traits de son caractère rendent imprudent sinon discutable un tel verdict. Il s’agit donc de préciser son attitude d’une façon concrète, ce qui peut être fait en utilisant les concepts nécessairement différents de “culture” (“culture russe”, culture nationale) et de religion.

Certainement, Poutine a une conscience de l’usage nécessaire qui peut et doit être fait de la dimension spirituelle, essentiellement pour le cas russe au travers de la religion chrétienne orthodoxe dont la marque nationale russe est très grande. Cette dimension spirituelle a en réalité plus une dimension culturelle qu’une dimension religieuse, et même essentiellement une dimension culturelle et accessoirement une dimension religieuse... C’est ce qu’exprime précisément Iben Thranholm lorsqu’elle écrit : “En appelant à la restauration de ces édifices chrétiens, Poutine répudie l’héritage soviétique avec son idéologie athée et sa charge anti-chrétienne, et il réaffirme que la religion orthodoxe est au cœur de la culture russe. Ce sont ses propres mots : ‘Voici l’idée ... restaurer l’apparence historique du lieu avec deux monastères et une église, mais en leur donnant, en fonction des réalités du présent, un caractère exclusivement culturel.’” («By calling for the restoration of these Christian buildings Putin repudiates the Soviet legacy with its atheist ideology and its record of anti-Christianity and reaffirms Orthodoxy as the heart of Russian culture. In his own words : “Here is the idea ... to restore the historic appearance of the place with two monasteries and a church, but giving them, considering today’s realities, an exclusively cultural character.”»)

En d’autres termes, un Russe peut être et doit être culturellement marqué par la religion orthodoxe, et même il doit l’accepter et même le vouloir toujours dans le sens culturel, sans pour autant être un croyant, et encore moins un pratiquant dans le cadre formel de la religion orthodoxe. (Il peut effectivement “avoir la foi”, – c’est une affaire personnelle sinon intime, – en-dehors de la religion orthodoxe.) Ce qui est exigé de lui pour être un Russe, c’est d’accepter la présence centrale de la religion orthodoxe dans la définition et la manifestation de la culture nationale russe, – et là se trouve effectivement la dimension culturelle à laquelle il doit souscrire. En d’autres mots et pour en venir aux circonstances, la religion orthodoxe est un outil pour Poutine, nullement un but ni un guide. (Ce constat est proposé sans se préoccuper de savoir ce qu’est la conviction personnelle de Poutine, – avoir la foi ou pas, la pratiquer ou pas au sein de l’église orthodoxe, etc., – là aussi “affaire personnelle sinon intime”, qui est une question secondaire pour notre propos. Le constat vaut, quelle que soit l’attitude de Poutine vis-à-vis de l’église orthodoxe, cela se rapportant alors à la fonction et non à l’individu, à “Poutine-en-tant-que-Président”.)

On comprend évidemment qu’il s’agit d’un comportement, d’une “politique” en rupture complète avec le courant dominant de l’époque que nous vivons, sinon en opposition complète à lui. Selon notre classification, c’est fondamentalement de ce point de vue que Poutine est antiSystème, sans nécessairement le vouloir ni le rechercher mais par sa nature même. Le nœud de la question n’est ni la religion, ni la foi, mais bien l’affirmation culturelle identitaire qui se réalise grâce à la référence religieuse ; cette affirmation identitaire renvoie par définition à une conception principielle parce que l’identité est un principe qui distingue une unité, renvoyant à la conception originelle de l’unité. Cette conception principielle a évidemment une vocation universelle (sa référence à l’unité, l’unique) mais cette universalité ne peut être conçue qu’au travers d’une structuration puissante, une forme achevée : lorsque toutes les identités différentes sont affirmées et achevées, elles se trouvent réunies par leurs différences elles-mêmes dans la forme structurée voulue par le Principe. C’est le contraire de l’universalité prôné par le Système qui est nécessairement déstructurée, dissoute jusqu’à l’entropisation, – c’est-à-dire nécessairement complètement informe. (Dans ce cas, la globalisation, qui est dans le sens courant l’opérationnalisation essentiellement économique d’une universalité débarrassée de la forme puissante, est exactement le double inverti, faussaire sinon satanique, de l’universalité. Elle détruit tous ses composants en niant leurs identités, pour les fondre en un magma informe, une entropisation achevée comme double effectivement satanique de l’universalité principielle.)

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A ce point, l’on comprend que nous perdions de vue Poutine, en écartant le débat sempiternel de l’“homme providentiel” : la providence est quelque chose qui n’a nul besoin de l’homme pour se manifester, si même elle en fait parfois usage selon sa convenance et les opportunités. Le fait qui importe est que les conditions historiques bien connues (l’histoire terrible de la Russie au XXème siècle notamment), haussées au niveau métahistorique, font de la Russie, et de son président par conséquent dans ce Moment précis de l’histoire que nous jugerons être métahistorique au cœur de la crise d’effondrement de notre civilisation (identifiée comme “contre-civilisation”), un facteur essentiel de l’immense lutte en cours ; et un facteur nécessairement, naturellement antiSystème.

Il s’agit d’une situation et non d’une dynamique. (La seule dynamique qui importe est celle du Système, dont la surpuissance fait naître des incidences antiSystème dont les effets indirects alimentent la transformation de cette surpuissance en autodestruction.) Cette situation donne à la Russie le rôle qu’elle joue pour l’instant, et à son président le rôle d'adaptateur et d’opérateur de ce rôle. Ainsi s’explique aisément la “haine anti-Poutine” qui est absolument une “haine-Système”, totalitaire, exprimée selon un réflexe pavlovien qui n’a nul besoin d’explication ni de justification, qui fabrique naturellement et sans aucune conscience tous les artifices (les fameuses narrative) pour rassurer la raison chaotique de ceux qui l’expriment sans savoir ce qu’ils font. (On pardonnera aisément, tout en les combattant impitoyablement, à ceux-là qui véhiculent la “haine-Système” puisque, selon la parole fameuse descendue au ras des pâquerettes sinon dans les ténèbres de cette agitation-Système, “ils ne savent pas ce qu’ils font”.)

Le brio de Poutine est certainement d’avoir compris, au travers de l’importance écrasante prise par la communication dans notre temps, l’importance non moins écrasante de ce qu’on désignerait comme “le fait culturel”, – c’est-à-dire, selon l'interprétation métahistorique du temps courant, la nécessaire structuration identitaire. Nous avancerions l’hypothèse qu’il en a pris conscience précisément et opérationnellement avec les événements décrits ci-dessus (2011-2012), où effectivement il s’est avéré que la communication était l’arme principale de destruction des entités principielles et antiSystème, autant qu’elle pouvait être le moyen principal de mobilisation et de constitution de l’antiSystème. Bien entendu, la force, la puissance de la structuration identitaire dans le cas russe, est qu’elle s’appuie sur ce que l’“âme russe” identifie aisément comme une transcendance authentifiée pour elle par des événements historiques, – et dont l’église orthodoxe est au moins le témoin essentiel, sinon un des acteurs essentiels, – d’où le rôle culturel que doit jouer cette religion puisque l’identité se manifeste par la culture nationale dans ce cas. (On conviendra que ce schéma est assez classique, c’est-à-dire assez simple comme toutes les grandes choses. Il pourrait se manifester dans d’autres cas selon leurs fortunes, – la France est bien entendu le premier exemple venu à l’esprit, pour l’instant empêchée par une infortune absolument sans précédent dans son histoire.)

... On doit insister sur ce fait qu’il ne s’agit en aucun cas de ce qu’on pourrait nommer une “spiritualisation de la politique” mais bien de l’ajout de la dimension spirituelle dans la politique pour la modifier sans lui ôter sa substance de politique ; la politique russe ne devient pas une politique chrétienne-orthodoxe, comme il existe des politiques islamistes extrêmes, voire chrétiennes-extrêmes dans le chef de certains courants évangélistes. La démonstration de cette observation se trouve dans l’extrême réalisme, la prudence de tous les instants de la politique russe, notamment dans le domaine des affaires extérieures et de sécurité nationale, et cela malgré les tensions et les provocations. (Une “spiritualisation de la politique” serait une politique selon les conceptions du philosophe Douguine, par exemple. Douguine a désapprouvé la politique ukrainienne de Poutine parce que le président russe a écarté l’option de l’intervention en Ukraine, au côté des milices du Donbas. Cette politique répondrait évidemment à l’argument impératif du lien “spirituel” unissant les Russes et les Ukrainiens de cette région, eux-mêmes directement de filiation russe.) Reste à voir si, à un moment où les événements suscitent des pressions catastrophiques, il ne faudra pas hausser cette politique à hauteur des enjeux eschatologiques de la situation générale ; reste à voir si Poutine saura le comprendre, ou plutôt le sentir, et accepter l’enjeu de ce Moment-là... C’est sans aucun doute à ce point de rupture que ce situe la mesure de son véritable rôle historique.

vendredi, 26 septembre 2014

Rébellion n°65: spiritualité et engagement

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Rébellion n°65:

Spiritualité et engagement

Au sommaire du numéro 65 de la revue Rébellion :

Edito : Théologie de la décomposition.

Dossier Spiritualité et engagement : 

Seule la Tradition est révolutionnaire !

Enquête par Marie Chancel: Spiritualité et militantisme 

un lien entre le Profane et le Sacré ? 

Entretien avec Michel Lhomme : Christ et Révolution, la Théologie de la Libération. 

Réhabiliter la raison ! par David L'Epée. 

Histoire : Harro Schulze-Boysen, un NB dans l'Orchestre Rouge ( suite et fin) 

HP Lovecraft, rêveries contre le monde moderne. 

 

Numéro disponible contre 5 euros ( en chèque, timbres ou liquide) à notre adresse :

Rébellion c/o RSE BP 62124 31020 TOULOUSE cedex 02

 

dimanche, 14 septembre 2014

Henry Corbin: Eurasia como concepto espiritual

Henry Corbin: Eurasia como concepto espiritual

Ex: http://culturatransversal.wordpress.com 

Por Claudio Mutti*

Desde Irlanda a Japón

corbin.jpg“Subrayar y enfatizar las conexiones, las líneas de fuerza en las que se sustenta la trama del concepto espiritual de Eurasia, desde Irlanda a Japón” (1): a esta preocupación de P. Masson Oursel, que se inspira en un programa esbozado en 1923 en la Philosophie comparée y proseguido en 1948 en La Philosophie en Orient (2), Henry Corbin (1903-1978) le atribuye un “valor especial” (3). Trascendiendo el nivel de las determinaciones geográficas e históricas, el concepto de Eurasia viene a constituir “la metáfora de la unidad espiritual y cultural que recompondrá al final de la era cristiana en vista de la superación de los resultados de ésta” (4). Estas son, al menos, las conclusiones de un estudioso que en la obra corbiniana ha descubierto las indicaciones idóneas para fundar: “aquella gran operación de hermenéutica espiritual comparada, que es la búsqueda de una filosofía – o mejor dicho: de una sabiduría – eurasiática” (5). En otras palabras, la misma categoría geofísica de “Eurasia” no es más que la proyección de una realidad geosófica vinculada a la  Unidad originaria, puesto que “Eurasia” es, en la percepción interior, en el paisaje del alma o Xvarnah (“Luz de Gloria”, en el léxico mazdeo), la Cognitio Angelorum, la operación  autológica del Anthropos Téleios, o incluso, por último, la unidad entre el Lumen Naturae y la Lumen Gloriae.   De aquí la posibilidad de acercar a Eurasia con el conocimiento imaginal de la Tierra como un Ángel” (6).

Es el mismo Henry Corbin quien evoca la experiencia visionaria del filósofo alemán Gustav Theodor Fechner, que identificó con la figura de un Ángel el rostro de la tierra envuelta de luz gloriosa, y para citar el pasaje concordante de un ritual avéstico: “Celebramos esta liturgia en honor de la Tierra, que es un ángel ” (7). De hecho, según la doctrina mazdeísta, a la Tierra se la percibe en la “persona” de su Ángel, cuando el alma, proyectando la imagen de sí misma, crea una Imago Terrae que la refleja. La angelología mazdeísta traduce el misterio de esta proyección de la siguiente manera: Spenta Armaiti, Arcángel femenino de la existencia terrenal, es la madre de Daena, el Ángel femenino que sustancia a la Alma caelestis,  el Cuerpo de Resurrección.  De esta manera, “la formulación misma de la categoría geofísica de “Eurasia” pertenece al proceso de palingenesia, que es la Resurrección a la luz de la Transfiguración ” (8).

La geosofía mazdeísta, íntimamente vinculada con la esencial característica sofiánica de Spenta Armaiti , se refiere principalmente a una Tierra celeste; aplicada al espacio terrestre, se nos presenta un kyklos, un orbis, similar a lo que Homero ha simbolizado en el escudo de Aquiles y Virgilio en el de Eneas (9), es decir, para permanecer en el ámbito iránico, con ese atributo del Hombre Universal (insân-e kâmil) que es la Copa de Jamshid.  En esta representación, la Tierra está rodeada del océano cósmico y dividida en siete zonas (Keshvar) (10); en el centro de la zona central, llamada Xvaniratha (“rueda luminosa”), “se encuentra Airyanem Vaejah (pahlavi Erân-Vêj), la cuna o germen de los Arios (= Iránicos).  Es allí donde se crearon los Kayanidi, los héroes legendarios; es ahí donde fue fundada la religión mazdeísta, desde donde se difunden a los otros Keshvar; es allí donde nacerá el último de los Saoshyant quién reducirá a Ahriman a la impotencia y llevará a cabo la resurrección y la existencia venidera”(11).  Situado al centro de la superficie de la tierra, Irán se nos presenta por lo tanto, como “bisagra, no sólo geográfica, sino también y sobre todo espiritual” (12), de la ecúmene eurasiática.

La representación mazdeísta, posteriormente reelaborada, pasó a formar parte del legado cultural que Irán le trasmitió al Islam.  En el Kitab al-Tafhîm de Abû Rayhân Mohammad ibn Ahmad Bîrûnî (362 / 973 – 421 / 1030) (13) se encuentra un esquema en el cual el círculo central, Irán, está rodeado de otros seis círculos, tangentes entre sí, que corresponden a otras tantas regiones: India, Arabia y Abisinia, Siria y Egipto, la zona bizantino-eslava, el Turquestán, China y el Tíbet.

Oriente y Occidente

 

Según la perspectiva islámica, el centro del mundo terrestre se encuentra en la Kaaba, el más antiguo de los templos de Dios, inicialmente construido en la época de Adán, después edificado por Abraham en su forma actual. En la planta y la estructura de este santuario primordial y central meditó Qâzî Sa‘îd Qommî (1042/1633 – 1103/1691- 92) en el primer capítulo de la Kitâb asrâr al-Hajj (“El sentido esotérico de la Peregrinación”), que constituye el objeto de un minucioso estudio de Henry Corbin (14). “Siempre entra en juego – dice éste último – el mismo principio: las formas de luz (sowar nûrîya), las figuras superiores se imprimen en las realidades de abajo que son sus espejos (subrayemos que, geométricamente las consideraciones elaboradas aquí seguirían siendo válidas sí se tomara como objeto de meditación la forma del templo griego)” (15). Ahora, en el plano superior de las Realidades-arquetipos […] encontramos cuatro “límites metafísicos” (16), dos de las cuales (la Inteligencia Universal y el Alma Universal) se encuentran al este de la realidad ideal, mientras que las otras dos (la Naturaleza Universal y la Materia Universal) se encuentran hacia el oeste. La ley rigurosa de las correspondencias exige que en el plano de la Ka’ba terrestre, los ángulos estén igualmente dispuestos según el mismo orden de relación: “Dos de estos ángulos están hacia el oriente: el ángulo en el que está encajada la Piedra Negra (el ángulo iraquí) y el ángulo yemenita; los otros dos están al occidente: el ángulo occidental y el ángulo sirio “(17).  Son estos dos orientes (mashriqayni) y los dos occidentes (maghribayni) los que alude el versículo 17 de la sura del Misericordioso, puntualmente citado por Corbin.

El versículo coránico llama a otro, el que comienza con las palabras: “A Dios pertenece el Oriente y el Occidente” (sura de la Vaca, 115).  “Gottes ist der Orient! – Gottes ist der Okzident!”: es la forma en que la reconstruye Wolfgang Goethe, a quien Corbin nos muestra más de una vez la convergencia con la sabiduría islámica.  Pero la pareja “Oriente-Occidente ” retorna en el versículo de la Luz, en parte reportado en el epígrafe al primer capítulo de su estudio sobre El hombre de luz en el sufismo iranio: ”… una lámpara que arde con un aceite de olivo que no es ni de Oriente ni Occidente, inflamándose sin necesidad siquiera de que el fuego la toque… Y es luz sobre luz.

“Entre Oriente y Occidente, como entre Norte y Sur, recorren líneas ideales de las cuales dependen no sólo la orientación geográfica, sino también la categoría antropológica. En la perspectiva del simbolismo espiritual, estas direcciones horizontales asumen un sentido en base al modo en que el ser humano experimenta la dimensión vertical de su presencia en el espacio y en el tiempo; y es una orientación de este género lo que constituirá uno de los principales temas del sufismo iranio: “es la búsqueda de Oriente, pero se nos advierte, por si acaso no lo comprendamos desde el primer momento, que se trata de un Oriente que no se encuentra en nuestros mapas geográficos ni puede ser situado en ellos. Este Oriente no está incluido en ninguno de los siete climas (los keshvar); es, de hecho, el octavo clima. Y la dirección en que este “octavo clima” debe ser buscado no está en la horizontal sino en la vertical. Este Oriente místico suprasensible, lugar del Origen y el Retorno, objeto de la búsqueda eterna, está en el polo celeste; es el Polo, un extremo norte, tan extremo como el umbral de la dimensión del más allá” (18).  La geografía sagrada de Irán hace corresponder a este Polo celeste a la montaña cósmica de Qâf, donde comienza aquel mundo de Hûrqalyâ que es iluminado por el sol de medianoche. Es la tierra de los Hiperbóreos (19), los cuales “simbolizan al hombre cuya alma ha alcanzado tal perfección y armonía que está libre de negatividad y de sombra; no es ni de Oriente ni de Occidente” (20).

Ishraq, nombre verbal, que en árabe significa el irradiar del sol desde el punto del cual surge, es un término peculiar de la sabiduría islámica de Irán.  Ishrâqîyûn o Mashriqîyûn (“Orientales”) son los sabios de la antigua Persia, llamados así “ciertamente no sólo por su ubicación geográfica, sino porque su conocimiento era oriental, en el sentido que se fundamentaba sobre la revelación interior (kashf) y la visión mística (moshâhadat) “(21).  Sin embargo, el significado del Oriente como un Oriente iluminativo, dirección que conduce al Polo espiritual, no es un concepto que caracteriza exclusivamente al pensamiento tradicional iranio. “Esta orientación se daba ya a los mistagogos del orfismo. Se la encuentra en el poema de Parménides donde, guiado por las hijas del sol, el poeta emprende un viaje hacia Oriente. El sentido de las dos direcciones, derecha e izquierda, Oriente y Occidente del cosmos, es fundamental en la gnosis valentiniana. (…) Ibn ‘Arabi (1240) eleva a símbolo su propia partida a Oriente; del viaje que de Andalucía le lleva hacia La Meca y Jerusalén hace su Isra’, homologándolo a un ékstasis que repite la ascensión del Profeta de cielo en cielo hasta el “Loto del límite”. Aquí el Oriente geográfico, “literal”, se convierte en símbolo del Oriente “real”, el polo celeste” (22).

Umbilicus Terrae

En la geografía sagrada resultante de las exploraciones espirituales de Henry Corbin, el extremo occidental de Eurasia está representado por las Islas Británicas. Aquí los fieles de la iglesia celta primitiva fueron designados en irlandés como céle Dé: denominación que equivale a Amici Dei, “se encuentra en la gnosis islámica (Awliyâ’ Allâh) y en la mística renana (Gottesfreunde)” (23).  Estos Coli Dei, “establecidos en York (Inglaterra), en Iona (Escocia), en el país de Gales y en  Irlanda, su símbolo fundamental era la paloma, como símbolo femenino del Espíritu Santo.  Desde esta perspectiva, no resulta extraño encontrar el druidismo mezclado a su tradición y los poemas de Taliesin integrados a sus corpus.  Igualmente, la epopeya de la Mesa Redonda y la Demanda del Santo Graal han sido también interpretadas en relación con los ritos de los Coli Dei” (24). A esta misma hermandad espiritual es reconducida la existencia del santuario de Kilwinning, sobre la montaña de Heredom, desde donde se irradió aquel Orden Real por el cual el rey Robert I Bruce se habría afiliado a los Templarios, realizando la convergencia entre el celtismo y el templarismo.

En la otra extremidad de Eurasia se extiende la China “el límite del mundo humano, del mundo que puede ser explorado por el hombre en las condiciones de la conciencia común” (25).  Por otra parte, influencias taoístas se habrían ejercido sobre la hierocosmologia del sufismo centroasiático y sobre algunas técnicas de recitación del dhikr adoptadas por la escuela de Najm Kobra (26). Entre los templos que se levantan en los confines de China hay uno, descrito en el siglo X por el historiador árabe Mas‘ûdî (27), que en su estructura obedece al paradigma arquitectónico de los templos sabeos; el mismo Mas‘ûdî había visto aquel de Harrán (la antigua Carrhae), y pudo todavía leer en el umbral la inscripción de tenor platónico: “Aquél que se conoce a sí mismo es deificado” (Man ‘arafa nafsahu ta’allaha). “Inscripción de tenor platónico” (28), cierto, en el que “el término técnico árabe es el equivalente de la theosis de los místicos bizantinos” (29), pero también la explicación del precepto délfico, que finalmente será validado en el hadîth qudsî: “Quién se conoce a sí mismo conoce a su Señor ” (Man ‘arafa nafsahu ‘arafa rabbahu). Mientras tanto, los hermetistas sabeos de Harrán aportarán en dote al Islam su herencia, derivada de una antigua sabiduría siríaca o siriobabiloniense reinterpretada a la luz del neoplatonismo.

Equidistante de Escocia y China está Al-Quds, “la ciudad santa” por antonomasia. En el lugar donde inició la Asunción el Mensajero de Dios – según Corbin un verdadero Umbilicus Terrae – “asume ahí una función homóloga a la de la Piedra Negra en el templo de la Ka’ba” (30), la Cúpula de la Roca (Qubbat al-Sakhrat). Este edificio, comúnmente llamado la Mezquita de Omar, “tiene la forma de un octógono regular culminado por una cúpula; fue el prototipo de las iglesias templarias construidas en Europa, y la cúpula fue el símbolo de la Orden y figuraba en el sello del Gran Maestre” (31). Este entrelazamiento de líneas espirituales diferentes hace de Jerusalén el simbólico edificio microcósmico, en el que se refleja la multiplicidad tradicional del macrocosmos eurasiático, aquella multiplicidad de formas que Henry Corbin nos presenta en su unidad esencial.

La oposición radical entre Jerusalén y Atenas, identificadas como polos emblemáticos respectivamente del monoteísmo y el politeísmo, es el punto donde convergen entre ellos los zelotas de las supuestas “raíces judeo-cristianas” de Europa y algunos defensores de un malentendido “paganismo” griego.  Sostener una posición de este tipo, queriendo reducirle a un esquema ideológico a una relación más bien profunda, compleja y articulada de cuanto no se imaginan los “judeo-cristianos” y “neopaganos”, significa ignorar cómo la más rigurosa doctrina metafísica de la Unidad (el Tawhid integral de la metafísica islámica) no excluye de hecho la multiplicidad relacionada a la jerarquía de los Nombres Divinos. Entre los que han entendido perfectamente lo anterior, está justamente Henry Corbin, quien, mediante el establecimiento de una ideal “comparación, por una parte entre Ibn ‘Arabî  (…) y Proclo, por otra” (32) y recordando el comentario del jefe de escuela de Atenas al Parménides platónico, evoca el encuentro de los físicos de la escuela jónica con los metafísicos de la Escuela Itálica, unos y otros se encuentran en la ciudad-símbolo de Atenas para participar en las Panateneas. “Celebrar esta fiesta – él escribe- es encontrar en la escuela ática de Sócrates y Platón la mediación que eleva los dos extremos a un nivel superior” (33).

 

1. Henry Corbin, L’Iran e la filosofia, Guida, Napoli 1992, p. 62.

2. P. Masson-Oursel, La Philosophie en Orient, in Histoire de la philosophie, a cura di É. Bréhier, Paris 1948, 1° fasc. suppl.

3. Henry Corbin, L’Iran e la filosofia, cit., ibidem.

4. Glauco Giuliano, Nitartha. Saggi per un pensiero eurasiatico, La Finestra, Lavis 2004, p. 14

5. Glauco Giuliano, Nitartha, cit., p. 221

6. Glauco Giuliano, Nitartha, cit., p. 16.

7. Sîrôza, vigésimo octavo día, op. cit.: Henry Corbin, Cuerpo espiritual y Tierra Celeste. Del Irán mazdeísta al Irán chiíta, Ediciones Siruela, Madrid, 1996, p. 37.

8. Glauco Giuliano, Nitartha, cit., p. 16, n. 25.

9. Ilíada, XVIII, 478-608; Eneida, VIII, 626-728.

10. La división septenaria del espacio terrestre que se repite en otras culturas tradicionales: cf. Claudio Mutti, Gentes. Popoli, territori, miti, Effepi, Genova 2010, pp. 19-20.

11. Henry Corbin, Cuerpo espiritual y Tierra Celeste, cit., p. 51.

12. Glauco Giuliano, Nitartha, cit., p. 22.

13. Henry Corbin, Historia de la Filosofía. Del mundo romano al Islam Medieval, vol. 3. Siglo veintiuno editores, México DF, 1990, pp 307-308.

14. Henry Corbin, Templo y contemplación, Editorial Trotta, Madrid, 2003, pp. 181-257.   Sobre Qâzî Sa’îd Qommî, cf. Henry Corbin, Historia de la Filosofía. La Filosofía en Oriente, vol. 11. Siglo veintiuno editores, México DF, 1990, p. 154-157

15. Henry Corbin, Templo y contemplación cit., p. 206.

16. Henry Corbin, Templo y contemplación cit., p. 207.

17. Henry Corbin, Templo y contemplación, cit., p. 207.

18. Henry Corbin, El hombre de luz en el sufismo iranio, Ediciones Siruela, Madrid, 2000, p. 20.

19. Sobre la Hiperbórea y similares representaciones tradicionales de la septentrional “Tierra de luz”, cf. Claudio Mutti, op. cit., pp 15-23.

20. Henry Corbin, El hombre de luz en el sufismo iranio, cit., p. 56.

21. Henry Corbin, Storia della filosofia islamica, cit., p. 211.

22. Henry Corbin, El hombre de luz en el sufismo iranio, cit., págs. 73-74.

23. Henry Corbin, Templo y contemplación, cit., p. 342 n. 217.

24. Henry Corbin, Templo y contemplación, cit., p. 342.

25. Henry Corbin, Templo y contemplación, cit., p. 132.

26. Henry Corbin, El hombre de luz en el sufismo iranio, cit., pp. 72 y 77 y ss.

27. Mas’ûdî, Les prairies d’or, ed. e trad. Barbier de Maynard, Paris 1914, vol. IV, p. 52.

28. Henry Corbin, Templo y contemplación,  cit., p. 133.

29. Henry Corbin, Templo y contemplación, cit., p. 133, n 7.

30. Henry Corbin, Templo y contemplación, cit., p. 351.

31. Henry Corbin, Templo y contemplación, cit., p. 334.

32. Henry Corbin, La paradoja del monoteísmo, Editorial Losada, Madrid, 2003, p. 22.

33. Henry Corbin, La paradoja del monoteísmo, cit., p. 30.

 

* Claudio Mutti es licenciado en Filología Finohúngara por la Universidad de Bolonia. Se ha ocupado del área cárpato-danubiana desde un perfil histórico (A oriente di Roma e di Berlino, Effepi, Genova 2003), etnográfico (Storie e leggende della Transilvania, Oscar Mondadori, Milano 1997) y cultural (Le penne dell’Arcangelo. Intellettuali e Guardia di Ferro, Società Editrice Barbarossa, Milano 1994; Eliade, Vâlsan, Geticus e gli altri. La fortuna di Guénon tra i Romeni, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 1999). Entre sus últimas publicaciones están Gentes. Popoli, territori, miti, (Effepi, Genova 2010), L’unità dell’Eurasia (Effepi, Genova 2008), Imperium. Epifanie dell’idea di Impero (Effepi, Genova 2005).

lundi, 18 août 2014

Miyamoto Musashi’s Dokkodo

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Miyamoto Musashi’s Dokkodo

Dokkodo (獨行道), roughly translated means  “The Path of Walking Alone,”  “The Path of Independence,” or “The Lone Path”/  Although the English translation does not give the title much justice, it is should be noted that this refers not to a path of nihilistic abandon, nor a path of misanthropy.  Misanthropes who have crossed beyond a certain point will not be able to adhere to it unless they have the discipline and fortitude for it.  It is a demanding way and requires that the person choosing the path be able to endure its precepts, including those such as being in the world, without being of it in the sense of being drowned in ‘worldliness.’  Such a concept is paralleled the Christian injunctions that “Whosoever therefore will be a friend of the world is the enemy of God” (James 4:4) and “Denying ungodliness and worldly lusts, we should live soberly, righteously, and godly, in this present world” (Titus 2:12).  Similar concepts exist in the Qur’an, namely, “Do not let your wealth or your children distract you from the remembrance of God”.  When the “Eastern” Daoist and Buddhist veneers are stripped away, we find something not at all that different from monotheistic teachings.  It is worth examining this code for relevance to augment understanding of the world.

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A woodblock print depicting Miyamoto Musashi (1584-1645) wielding two bokken.

1. Do not go against the traditions that have been handed down from the generations (世々の道をそむく事なし)

The first principle is a bit difficult to translate directly into English.  The phrase 世々 (yoyo) refers roughly to “previous generations,” while 道 (michi) refers to “the way”; そむく (somoku) means “oppose,” and 事なし (kotonashi) is the negation of a verb.  It has variously been translated as, “Accept things as they are” or “Do not go against the way of the world”.

In “accepting things as they are,” one is not asked to tolerate evil or be passive, but is in an active mental struggle to realize our true place in the world and how small we are.  It is a battle against the ego to accept our mistakes, to bury the past, and live in the now instead of in the future.  Often things we resist are in the past: not accepting that someone has died or being angry over events that have occurred previously. These are things we simply can not change and that is why it makes no sense to resist what has happened.

By respecting the traditions, one “traverses time from the past to the future”. According to Imai Masayuki, this sentence indicates a man who is independent, yet, acting freely conforms to a truth of human nature.

71aZweq6IbL__SL1092_.jpg2. Do not seek pleasure for its own sake (身にたのしみをたくます)

The most direct application here is to refrain from engaging in behavior that gives one temporary satisfaction, without understanding the consequences.  For instance, it may be more pleasurable to spend one’s spare time with wine, woman and song, rather than in serious study.  In a hedonistic, decadent, narcissistic world one can get easily distracted in the sights and sounds even though temporary.  It is important to be aware of how harmful these things can be once they become so imbued into our characters as to become a ‘raison d’etre.’  The addiction to flesh, drink, substances, and even music has been studied and found to be folly.  Hence the reasonable parameters imposed by society and The Divine.

3. Do not rely upon any half-hearted prejudices. (よろすに依枯の心なし)

Sometimes, it is necessary to take a step back and make a better assessment of the situation.  A true warrior, sage, or gentleman is not impulsive or hot-headed, and should strive to uphold justice in all situations.  This also means that in dealing with other people, one does not take sides with a certain party without good reason, nor does he harbor indifference towards others.

4. Think humbly of yourself, but deeply of the world (身をあさく思、世をふかく思ふ)

This means to be humble and to think of one’s superficiality.  Musashi is telling us here that one should not overestimate one’s importance in the world.  Such a self-centered view is dominated by egocentricity and selfish desires.  One must evolve beyond such delusions, but at the same time accept that each person has their own limits.

This can also mean to not take excessive pride in one’s own accomplishments and possessions:  Do not think that your entire self-worth is in your job or your possessions, rather than in your character or your good deeds. You are not what you own.  This is difficult when people gauge worth with material success; your car is not you, your house is not you, your Rolex is not your soul, Gucci has no dominion over your heart.

5. Be detached from desire your whole life long (一生の間よくしん思わす)

This ties in with the fourth precept.  Eliminate the driving need for wanting instead of a want for needing.  Then, you will have less fear and be unfettered by worldly cares.  If you are removed from your own desires, then it is easier to follow a path of right conduct.  Eliminate the lusts for material desires, and one already has enough.  The concept of wu wei, or mushin ties into this as your lack of hindrances like too much fear in an endeavor will give you success.

6. Do not regret your past (我事におゐて後悔をせす)

There are times when one has to make decisions.  Decisions, even if weighed carefully, are not always successful.  However, if you tried your best, and you put your best efforts into achieving the right outcome, that is good enough.  Of course, this does not apply to someone who is reckless and stubborn.  However, those who have the right intent need not dwell on the past that they cannot fix.  Instead repent, move on, and become better.

7. Never have bad intentions or envy in your heart (善惡に他をねたむ心なし)

Jealousy clouds the heart with envy; envy poisons the mind with anger and despair.  What seems to be someone else’s treasure may be a great burden.  With selfish desires in the heart, we cannot truly live a fulfilling life or be at peace with ourselves or others.  That lifestyle of those you envy may earn them an early death and debts for generations.  It is nothing to be jealous about.

8. Never let yourself be saddened by a separation (いつれの道にもわかれをかなします)

According to the Buddha, attachment is the source of all suffering.   Meister Eckhart says, “He who would be serene and pure needs but detachment”.  Separation can apply to losing a partner, a pet, money, possessions or anything of the sort.  Things will come and go.  People will enter and leave.  Let them go.  The Divine will is going to decide who is going to be with whom and how. 

4352501395_ef41725cbb_z.jpg9. Complaining and bearing grudges are appropriate neither for oneself or others (自他共にうらみかこつ心なし)

Our selfish desires may lead us to complain about others.  For instance, if a person is unsatisfied with another person, he may spread rumors or complain about the other behind his back.  He may also hold a grudge against such a person.  This is not the behavior of a wise person.  Deal with it, it will make you stronger. 

10. Do not let yourself be guided by the feeling of lust or love (れんほの道思ひよるこゝろなし)

In the context of Buddhism, In Buddhism there are five different kinds of desires based on desire for money, lust, appetite, desire for fame, desire for sleep.  Out of these, lust, being a biological drive, is very hard to avoid.  Control yourself and use logical thought when going down that path.  To be at the whim of emotion is to be a slave and then to be attached to most temporary of material possessions: a mortal body.  It will not even withstand the wind like the mountain, or show the same splendor for aeons like the stars.  These too are material objects which will have their death as The Giver and Taker ordains.

11. In all things, have no preferences (物毎にすきこのむ事なし)

Again, this does not mean to become a nihilist.  On the contrary, it means to not be obsessed over small and inconsequential matters.  Do not be driven or guided by what you cannot control.

12. Be indifferent to where you live (私宅におゐてのそむ心なし)

Where you live is not a matter of importance when you follow this way.  As you are already trying to depart from these cares, you should be able to be steadfast and thrive anywhere.

13. Do not pursue the taste of luxurious food (身ひとつに美食をこのます)

The purpose of eating is to nourish oneself.  Luxurious food does not accomplish this any better than simple food.  In his life, Musashi was a warrior who at times faced levels of extreme privation.  However, in the worldview of the bushi, life itself is preparation for war.  Avoiding that which is unnecessary is better than indulging in it.

14. Do not become attached to old possessions you no longer need (末々代物なる古き道具を所持せす)

Nothing in the world remains ours forever.  Upon death, one’s personal items typically become the property of another.  Removing clutter from your life with generosity allows you to live a more unhindered existence and also be aware that you need little.  You came into the world with nothing, you travel lightly in the world, and you will leave it with nothing.

15. Do not act following customary beliefs (わか身にいたり物いみする事なし)

Although this seems to contradict the first principle, all this is saying is that there are times in which what is popular will not always be right.  For instance, what use is it to worship celebrities, to bury oneself in pursuit of that extolled?  It just wastes time and time is what you will never have enough of.  Walk the way and live guided by what is ever-enduring.  It will be there after this society has faded into the sands of history.

16. Do not collect weapons or practice with weapons beyond what is useful (兵具は格別よの道具たしなます)

What is the utility of engaging in hours practicing or acquiring that which you do not need?  For the warrior, weapons are not merely possessions to be owned and collected in the same manner that a merchant may collect trinkets.  Today we may not need swords, but instead must use other objects for defense of person, loved ones, and property.  Are these tools, worth much pursuit?

17. Don’t spend your entire life being preoccupied with death (道におゐてハ 死を いとわす 思ふ)

Death will happen just as you have been born.  As a warrior, to live without the fear of death is paramount.  For a sage or scholar, one who lives a proper life and death does not need to fear death.  For someone who has lived properly, physical death is not an end, but the hand which will lift the veil of life separating him from The Compassionate Sustainer.  Death is as natural as life; life indeed by its nature is the purchase of death.  What is better? To depart with a good record, or choose a legacy of iniquity?

18. Do not seek to possess either goods or fiefs for your old age (老身に財寳所領もちゆる心なし)

Millions try to save up all their lives for their dreams: to retire wealthy, to have fun, to own a house of their own.  Usually this money goes instead for their care as the world of work has taken its toll.  Have no illusions.

19. Revere the Divine but do not demand assistance (佛神は貴し佛神をたのます)

Although this can be viewed as an atheistic sentiment, it can also be interpreted to mean not to be arrogant in the face of the Divine, by demanding certain things.  One should not have the illusion that one’s own desires are a manifestation of the divine will.  As that immortal essence which transcends everything, God in its own driving of the greater forces which become the laws of reality will determine the necessity of your supplications.  The Divine decides everything and has the best answer for particular petitions.  Nevertheless, without reverence and sincerity, one cannot be in harmony with the Godhead.  Regardless of what is given, it is duty of the believer to believe in, love, and worship.

20. You may discard your own body, but you must preserve your honour (身を捨ても名利はすてす)

There are worse things than dying.  There are situations when dying is the most noble and preferable action to take.

21. Never abandon the Eternal Way (常に兵法の道をはなれす)

The purpose of the Dokkodo is to bring out a form of active asceticism – the warrior’s asceticism of action, as Evola would have put it.  Whatever happens, stay on the path: when the purpose become enlightenment, the Way becomes of paramount of importance.

Regardless of the external trappings of culture and the differences made manifest in it, there are universal ideals and beliefs within religious and martial traditions.  These doctrines give a sense of civility, sophistication, moral understanding, and examples to people and nations who are flawed.  Being flawed is the nature of the human being.  Flawed beings are always in need of Divine Guidance and its implementation.  As above, so below.

dimanche, 27 juillet 2014

Rébellion n°65: spiritualité et engagement

Sortie du numéro 65

de la revue Rébellion :

Spiritualité et engagement

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Au sommaire du numéro 65 de la revue Rébellion :

Edito : Théologie de la décomposition.

Dossier Spiritualité et engagement : 

Seule la Tradition est révolutionnaire !

Enquête par Marie Chancel: Spiritualité et militantisme 

un lien entre le Profane et le Sacré ? 

Entretien avec Arnaud Guyot-Jeannin : Une Révolution spirituelle catholique contre le monde moderne. 

Entretien avec Michel Lhomme : Christ et Révolution, la Théologie de la Libération. 

Réhabiliter la raison ! par David L'Epée. 

Histoire : Harro Schulze-Boysen, un NB dans l'Orchestre Rouge ( suite et fin) 

HP Lovecraft, rêveries contre le monde moderne. 

 

Numéro disponible contre 5 euros

(en chèque, timbres ou liquide) à notre adresse :

Rébellion c/o RSE BP 62124 31020 TOULOUSE cedex 02

Edito 65 : THEOLOGIE DE LA DECOMPOSITION

"Babylon system is the vampire / Sucking the children day by day / Babylon system is the vampire sucking the blood of the sufferers / Building church and university / Deceiving the people continually..." Bob Marley.

Il existe une constante dans l'histoire humaine - mouvante néanmoins dans sa forme et sa substance - qui relève de ce que Marx qualifiait d'idéologie et dont la nature ne saurait se résumer, comme certains l'ont cru, à n'être qu'un habillage superfétatoire de la réalité économique (vision mécaniste de la relation base/superstructure) et qu'il suffirait que la raison analytique éclairât pour qu'elle se dissipât comme un nuage après la pluie. L'illusion est aussi essentielle dans son apparaître que la réalité sensible et en fait partie intégrale. Elle a qualité d'effectivité selon Hegel (l'essence doit apparaître, elle est un moment du phénomène dans son apparition).

Lorsque la réalité est déchirée contradictoirement (sociétés de classes) l'idéologie traduit à sa façon, selon son mode d'être, la nature vécue de la contradiction ; à ce titre elle sert la domination de la classe dominante. Mais pas seulement, à ce niveau d'explicitation et d'expression, elle est l'enjeu d'affrontements contradictoires de la part des classes et des groupes en lutte plus ou moins consciente. Par exemple, elle peut prendre l'aspect de controverses religieuses, théologiques (guerre des paysans au 16° siècle, Thomas Münzer et ses anabaptistes contre Luther et les princes catholiques momentanément unis).

Le système capitaliste "progressiste", "révolutionnaire" crut un instant pouvoir se passer de l'arsenal désuet de la théologie afin de modeler les consciences pour lui substituer le consommatisme (Etats-Unis, début du 20° siècle) tout en laissant les religions vivoter dans la sphère privée des associations civiles. Selon le besoin du moment et du lieu, on le vit ressortir de ses placards idéologiques le "besoin du religieux" (1) associé aux droits de l'homme dans sa lutte contre le communisme soviétique (en particulier lors de la chute du bloc de l'Est (2)) ou la théorie de la "destinée manifeste", sous Bush père, combinée à une offensive anti-islamiste adossée à l'idée de choc des civilisations.

Depuis le djihadisme islamiste a fait florès. Issu d'un islam sunnite en voie de fossilisation (3) depuis des siècles, celui-ci a été dynamisé par les forces impérialistes atlantistes, en particulier, depuis l'époque de l'intervention soviétique en Afghanistan. Son instrumentalisation par l'impérialisme a évolué au gré des besoins de ce dernier, des Balkans au Proche Orient et Moyen Orient en passant par l'Afrique du Nord et sub-saharienne. Nous n'y reviendrons pas dans le détail. Ce qui nous importe à ce jour est de mettre l'accent sur l'ampleur de la décomposition des sociétés humaines par le capital, démultipliée par les enjeux géopolitiques et les interventions guerrières en découlant. L'impérialisme contemporain ne peut plus accoucher de conquêtes débouchant sur une occupation coloniale relativement stable dans le temps comme il le réalisa par le passé en s'aidant de la création et de la collaboration de minorités embourgeoisées locales.

On connaît les mécanismes néo-coloniaux pesant sur les pays déshérités. On insiste moins sur l'anéantissement de nations et de territoires entiers causés par les récentes guerres impérialistes. De l'Irak au Mali, de la Libye à la Centre Afrique, plus rien de stable au niveau social et politique ne subsiste, laissant proliférer les bandes mafieuses djihadistes que le capital international a favorisées (Al QaÏda et Blackwater main dans la main!) afin d'atteindre ses objectifs. Quelques inquiétudes affleurent au sein du discours dominant lorsque celles-ci se trouvent à proximité de Bagdad comme il y a peu de temps (idem pour Bamako). La Libye comme on le sait échappe à tout contrôle et de fait se voit rayer de la carte. Le capital international ne maîtrise pas absolument les monstres qu'il a engendrés! Il lui suffit de pérenniser sa domination par la terreur et le chaos lorsque cela lui est nécessaire. Dans cette aire géostratégique largement islamisée que nous venons d'évoquer subsistaient des clivages tribaux et communautaires que l'impérialisme a exacerbés afin d'éradiquer les pouvoirs ne lui convenant pas. D'autre part, le prolétariat n'y avait que des expériences de luttes fort inégalement développées voire parfois inexistantes étant donné les faibles infrastructures économiques de certains pays. Dans des pays quelque peu modernisés comme l'Irak, on a renvoyé la population à l'âge de pierre après destruction de son potentiel économique. Si la Syrie résiste c'est grâce aux oppositions des puissances non atlantistes (Chine, Russie) et à l'opposition du prolétariat turc (luttes de mai-juin 2013) contre sa propre clique militaro-étatique qui n'a pas les mains libres afin d'accomplir son sale boulot au service de l'OTAN pour déstabiliser la Syrie. Ainsi dans le maelström qu'est devenue l'aire géostratégique traitée ici, surgit à la surface, l'écume idéologico-théologique d'un fumeux Etat islamique contrôlé par des bandes armées faisant régner la terreur sur les populations abasourdies et essayant de leur imposer un modèle délirant de charia. La folie du monothéisme de la marchandise accouche ici d'un monothéisme paranoïaque détruisant ce qui subsiste des communautés humaines : c'est la théologie de la décomposition, complément illusoire et dorénavant sans âme (4) parce que pseudo-spirituel adaptée aux conditions locales et régionales.

Face à la dynamique létale générée par le système capitaliste et dans laquelle tous les peuples sont engloutis ne subsiste que la voie de la lutte de classe prolétarienne pour ses propres intérêts. C'est la victoire de celle-ci qui pourrait mettre fin au calvaire vécu par les exploités sur tous les continents. Déjà cette lutte a atteint un seuil qualitatif important dans des pays où on ne s'y attendait peut-être pas. Par exemple, au Brésil (voir notre éditorial du n°59 été 2013) où le culte rendu au dieu football a été radicalement contesté avec ses 15 milliards de dollars consacrés au Mundial 2014 par la bourgeoisie locale au service de la multinationale FIFA. Les luttes prolétariennes s'y sont intensifiées depuis l'an passé, remettant en cause de manière radicale la domination du capital. Répression violente étatique et désinformation médiatique leur ont été opposées. De tels exemples ne manquent pas désormais dans le monde entier. Si la force du capital peut encore apparaître comme relevant d'une fatalité transcendant la pratique humaine aliénée, la force du prolétariat réside dans sa critique frontale du système lorsque ses conditions d'existence insupportables sont rejetées globalement de la même façon à une échelle internationale. Contre le salariat et l'aliénation des besoins humains, les prolétaires reprendront la perspective de la communauté humaine au-delà de la décomposition du lien social.

NOTES :

1) Nous ne nous prononçons pas ici surle fond de la question portant sur la foi et larévélation ainsi que sur le sens du sacré.

2) A titre d'illustration cocasse, rappelons les reportages médiatiques d'alors sur la fin de l'Albanie socialiste où l'on montrait la réouverture des Eglises (a) dans lesquelles se pressaient des croyants assoiffés de rites catholiques. Plus tard on découvrit des albanais islamistes dont on put apprécier l'engagement dans la guerre des Balkans et la dislocation de l'ex-Yougoslavie, cherchez l'erreur...

(a) L'athéisme officiellement imposé par les autorités albanaises socialistes constituait un exemple de matérialisme mécaniste volontariste absolument improductif pour l'orientation socialiste du pays mais inhérent à un certain marxisme dogmatisé.

3) "Grande religion qui se fonde moins sur l'évidence d'une révélation que sur l'impuissance à nouer des liens au-dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l'intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s'en rendent coupables; car s'ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c'est plus grave) incapables de supporter l'existence d'autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l'abri du doute et de l'humiliation consiste dans une 'néantisation' d'autrui, considéré comme témoin d'une autre foi et d'une autre conduite. La fraternité islamique est la converse d'une exclusive contre les infidèles qui ne peut pas s'avouer, puisque, en se reconnaissant comme telle, elle équivaudrait à les reconnaître eux-mêmes comme existants."Claude Lévi-Strauss. TristesTropiques. Ed.Plon. P. 484.

4) "La religion est le soupir de la créature accablée, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'un état de choses où il n'est point d'esprit." [C'est nous qui soulignons] K.Marx. Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel. Oeuvres III. Philosophie. Ed Gallimard. Pléiade. P. 383.

 

 

 

vendredi, 23 août 2013

Leggere Tucci per comprendere la Cina

Leggere Tucci per comprendere la Cina

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Ex: http://www.centrostudilaruna.it

GiuseppeTucciGrande più o meno quanto l’intera Europa, la Cina è il paese più popoloso del pianeta, con 1 miliardo e 300 milioni di abitanti. Con l’introduzione della riforma economica capitalista, nel 1978 diventa il paese con lo sviluppo economico più rapido al mondo, sino a divenire nel 2010 il più grande esportatore di merci su scala globale, imponendosi prepotentemente dinanzi alla comunità internazionale come nuova superpotenza economica. Tuttavia la Cina è un paese dalle mille contraddizioni, una realtà che include – in maniera a dir poco stridente – 130 milioni di ricchi e 300 milioni di abitanti sotto la soglia di povertà, milioni di fruitori di elettrodomestici hi-tech nelle città e mancanza di acqua e luce elettrica nei villaggi.

Ma la Cina è anche una delle civiltà più antiche della storia, un paese dalle grandi tradizioni culturali, artistiche e filosofiche, è la patria dei saggi Confucio e Lao Tze, è il paese il cui connaturato fascino colpì i grandi viaggiatori europei a cominciare da Marco Polo e Matteo Ricci, affascinati non solo dalla civiltà, ma anche dalle grandi scoperte ed invenzioni che il paese dei Dragoni aveva realizzato nel corso della sua storia plurimillenaria: come la bussola, la carta, la polvere da sparo e la stampa.

Pari al mercante veneziano del Milione ed al sinologo gesuita – per altro suo concittadino maceratese – un altro folgorato sulla via del Catai fu – senza dubbio – Giuseppe Tucci, a detta di molti il più insigne orientalista italiano del XX secolo, ed in particolare – secondo l’opinione corrente – il maggiore fra i tibetologi.

Tucci cominciò sin da giovanissimo a studiare il cinese, e si appassionò ben presto al pensiero di Confucio, incentrato sul buon governo e sulla ricerca di una saggezza tesa al benessere dello stato e del popolo. Insegnamenti, questi confuciani, che avevano già destato nel XVIII secolo l’interesse di Voltaire, e che susciteranno viva ammirazione in Ezra Pound. Ben presto però, dalla lettura del legista Confucio, l’interesse del Tucci si sposterà sugli aforismi di Lao-tze e Chuang-tze sul Tao. Ma il Nostro non abbandonò mai una strada per l’altra, anzi tenne sempre presente il quadro suggestivo dei due principali indirizzi di pensiero su cui si fonda la visione della vita cinese: il confucianesimo e il taoismo, la via della probità e la via della spontaneità.

Nel 1933, insieme a Giovanni Gentile, Tucci promuove la fondazione dell’Istituto Italiano per il Medio e l’Estremo Oriente (IsMEO), diventato oggi IsIAO, Istituto per l’Africa e l’Oriente, di cui sarà presidente dal 1947 al 1978; e presidente onorario dal 1979, dando un grande impulso allo sviluppo dei rapporti culturali tra l’Italia e l’Oriente, in particolare con la Cina e con l’India. Lo stesso Mussolini ebbe a finanziare le molteplici spedizioni asiatiche di Tucci, forse intenzionato a fare di lui un’agente al servizio della politica internazionale italiana. Ma Tucci non fu mai il Lawrence d’Arabia italiano. Non amava particolarmente la politica, e se ne teneva distante quanto possibile, anche se gli vanno riconosciute indubbie doti diplomatiche (molti ritengono che proprio alla sua intercessione si debba la visita in Italia del Mahatma Gandhi nel 1931), che gli valsero il patrocinio e la protezione del Duce durante il Ventennio, e di Andreotti durante gli anni della Democrazia Cristiana.

Tucci non fu solo un fine erudito, il suo studio delle fonti letterarie si accompagnò sempre ad un fervido interesse per la conoscenza e l’esperienza diretta dei paesi, delle tradizioni e dei popoli d’Oriente (tra le altre cose, fu fra i primi europei a visitare la «città proibita» del Tibet). Ricorda lo scrittore e reporter Stefano Malatesta, che «molto spesso Tucci auspicava il riavvicinamento tra la cultura occidentale e quella orientale. Eppure lui, meglio di chiunque altro, sapeva l’enorme distanza dei due modi di essere: noi pensiamo che l’asceta dell’Oriente dissipi vanamente il tempo che passa correndo dietro a fantasmi e visioni. Loro hanno pietà di noi che andiamo alla ricerca di cose che non sono nostre e mai lo saranno».

storia-della-filosofia-indianaSi dirà che il pensiero di Tucci poteva andar bene il secolo scorso, non di certo oggigiorno dinanzi ad una Cina moderna, cosmopolita, aperta agli affari, che ha ormai accantonato il suo passato. Ma provate a farvi un giro nei quartieri più antichi delle metropoli cinesi, o magari recatevi in una delle numerose sale da tè, e ditemi se non intuite il profondo fascino della Cina tradizionale. E se proprio non riuscite a sentire nulla, andate al tempio del Buddha di Giada a Shangai, che sfida il tempo innalzandosi ieratico tra i palazzoni – come un fior di loto nel fango, per usare un’immagine proprio del Buddha – e osserva fiero le orde di turisti profani e le ancor più profane guide turistiche che quotidianamente lo prendono d’assalto. Fatevi quattro chiacchiere con i nuovi ricchi cinesi, e vedrete che malgrado l’evidente omologazione con “l’industrializzato Occidente”, anche il manager della “Pechino da bere”, conserva il rispetto per l’importanza dei legami sociali e di parentela, secondo le regole della tradizione. Se non vi basta, fate un salto alla Città Proibita o alla Grande Muraglia a prendervi una boccata d’arte e di cultura millenaria.

Fatto sta che Giuseppe Tucci, nella sua Storia della filosofia indiana, aveva già intravisto la riscossa dell’Oriente, soprattutto dei due giganti Cina ed India: «L’avvenimento maggiore al quale oggi assistiamo – scriverà – è fuori di dubbio l’ingresso dell’Asia nella storia: voglio dire che l’Asia fino a ieri subiva la storia ed oggi ne è fattore di primo piano». Ma Giuseppe Tucci ci ha soprattutto trasmesso la sua fervida ed acuta dimostrazione dell’unità culturale dell’Eurasia, e una ferma presa di coscienza del fatto che, giunti come siamo ad un tornante della storia, essa dovrebbe ipso facto tradursi in un’effettiva unità geopolitica.

* * *

BIBLIOGRAFIA
Storia della filosofia indiana, Giuseppe Tucci, Laterza, 2012.

mardi, 06 novembre 2012

Entretien avec Gilbert Sincyr

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« Le Paganisme est une Vue du monde basée sur un sens du sacré, qui rejette le fatalisme. Il est fondé sur le sens de l’honneur et de la responsabilité de l’Homme, face aux évènements de la vie »

Entretien avec Gilbert Sincyr, auteur du livre Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europe

par Fabrice Dutilleul

Votre livre Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europe est un succès. Pourtant ce thème peut paraître quelque peu « décalé » à notre époque.

Bien au contraire : si les églises se vident, ce n’est pas parce que l’homme a perdu le sens du sacré, c’est parce que l’Européen se sent mal à l’aise vis-à-vis d’une religion qui ne répond pas à sa sensibilité. L’Européen est un être qui aspire à la liberté et à la responsabilité. Or, lui répéter que son destin dépend du bon vouloir d’un Dieu étranger, que dès sa naissance il est marqué par le péché, et qu’il devra passer sa vie à demander le pardon de ses soi-disant fautes, n’est pas ce que l’on peut appeler être un adulte maître de son destin. Plus les populations sont évoluées, plus on constate leur rejet de l’approche monothéiste avec un Dieu responsable de tout ce qui est bon, mais jamais du mal ou de la souffrance, et devant qui il convient de se prosterner. Maintenant que l’Église n’a plus son pouvoir dominateur sur le peuple, on constate une évolution vers une aspiration à la liberté de l’esprit. C’est un chemin à rebours de la condamnation évangélique, originelle et perpétuelle.

 

Alors, qu’est-ce que le Paganisme ?

C’est d’abord un qualificatif choisi par l’Église pour désigner d’un mot l’ensemble des religions européennes, puisqu’à l’évidence elles reposaient sur des valeurs communes. C’est donc le terme qui englobe l’héritage spirituel et culturel des Indo-européens. Le Paganisme est une Vue du monde basée sur un sens du sacré, qui rejette le fatalisme. Il est fondé sur le sens de l’honneur et de la responsabilité de l’Homme, face aux évènements de la vie. Ce mental de combat s’est élaboré depuis le néolithique au fil de milliers d’années nous donnant une façon de penser, une attitude face au monde. Il est à l’opposé de l’assujettissement traditionnel moyen-oriental devant une force extérieure, la volonté divine, qui contrôle le destin de chacun. Ainsi donc, le Paganisme contient et exprime l’identité que se sont forgés les Européens, du néolithique à la révolution chrétienne.

 

Vous voulez donc remplacer un Dieu par plusieurs ?

Pas du tout. Les temps ne sont plus à l’adoration. Les Hommes ont acquit des connaissances qui les éloignent des peurs ancestrales. Personne n’a encore apporté la preuve incontestable qu’il existe, ou qu’il n’existe pas, une force « spirituelle » universelle. Des hommes à l’intelligence exceptionnelle, continuent à s’affronter sur ce sujet, et je crois que personne ne mettrait sa tête à couper, pour l’un ou l’autre de ces choix. Ce n’est donc pas ainsi que nous posons le problème.

Le Paganisme, qui est l’expression européenne d’une vue unitaire du monde, à l’opposé de la conception dualiste des monothéismes, est la réponse spécifique d’autres peuples aux mêmes questionnements. D’où les différences entre civilisations.

Quand il y a invasion et submersion d’une civilisation par une autre, on appelle cela une colonisation. C’est ce qui s’est passé en Europe, contrainte souvent par la terreur, à changer de religion (souvenons-nous de la chasse aux idoles et aux sorcières, des destructions des temples anciens, des tortures et bûchers, tout cela bien sûr au nom de l’amour). Quand il y a rejet de cette colonisation, dans un but de recherche identitaire, on appelle cela une libération, ou une « Reconquista », comme on l’a dit de l’Espagne lors du reflux des Arabes. Et nous en sommes là, sauf qu’il ne s’agit pas de reflux, mais d’abandon de valeurs étrangères au profit d’un retour de notre identité spirituelle.

Convertis par la force, les Européens se libèrent. « Chassez le naturel et il revient au galop », dit-on, et voilà que notre identité refoulée nous revient à nouveau. Non pas par un retour des anciens Dieux, forme d’expression d’une époque lointaine, mais comme un recours aux valeurs de liberté et de responsabilité qui étaient les nôtres, et que le Paganisme contient et exprime.

Débarrassés des miasmes du monothéisme totalitaire, les Européens retrouvent leur contact privilégié avec la nature. On reparle d’altérité plutôt que d’égalité, d’honneur plutôt que d’humilité, de responsabilité, de volonté, de défi, de diversité, d’identité, enfin de ce qui constitue notre héritage culturel, pourchassé, rejeté et condamné depuis deux mille ans.

 

S’agit-il alors d’une nouvelle guerre de religion ?

Pas du tout, évidemment. Les Européens doivent dépasser ce qui leur a été imposé et qui leur est étranger. Nous devons réunifier sacré et profane, c’est-à-dire réaffirmer que l’homme est un tout, que, de ce fait, il est le maître de son destin car il n’y a pas dichotomie entre corps et esprit. Les Européens ne doivent plus s’agenouiller pour implorer le pardon de fautes définies par une idéologie dictatoriale moyen-orientale. Ce n’est pas vers un retour du passé qu’il nous faut nous tourner, gardons-nous surtout d’une attitude passéiste, elle ne serait que folklore et compromission. Au contraire des religions monothéistes, sclérosées dans leurs livres intouchables, le Paganisme, comme une source jaillissante, doit se trouver de nouveaux chemins, de nouvelles expressions. À l’inverse des religions du livre, bloquées, incapables d’évoluer, dépassées et vieillissantes, le Paganisme est l’expression de la liberté de l’homme européen, dans son environnement naturel qu’il respecte. C’est une source de vie qui jaillit de nouveau en Europe, affirmant notre identité, et notre sens du sacré, pour un avenir de fierté, de liberté et de volonté, dans la modernité.

 

Le Paganisme. Recours spirituel et identitaire de l’Europe de Gilbert Sincyr, éditions de L’Æncre, collection « Patrimoine des Religions », dirigée par Philippe Randa, 232 pages, 25 euros.

 

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jeudi, 14 juin 2012

Quando Evola e Eliade vollero «fare fronte» spirituale

Quando Evola e Eliade vollero «fare fronte» spirituale

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Quella fra Julius Evola e Mircea Eliade fu, come scrisse molti anni fa Philippe Baillet, «una amicizia mancata», o meglio fu Un rapporto difficile: è questo il titolo di un saggio scritto da Liviu Bordas, dell’Istituto Studi Sud-Est Europei dell’Accademia Romena di Bucarest, pubblicato sul nuovo numero di Nuova Storia Contemporanea.

Uno studio ricco di analisi e interrogativi sull’incontro fra i due studiosi, che si basa sul ritrovamento di 8 lettere inedite del periodo 1952-1962 dell’italiano al romeno, scovate da Bordas tra i Mircea Eliade Papers custoditi all’Università di Chicago e che si aggiungono alle 16 pubblicate poco tempo fa dalla casa editrice Controcorrente (Julius Evola, Lettere a Mircea Eliade 1930-1954).

I rapporti tra Evola e Eliade furono soprattutto epistolari e sicuramente comprendono molte più missive di quelle sino a oggi rintracciate: nell’immediato dopoguerra, Evola cercò di riprendere i contatti con le sue maggiori conoscenze culturali, scrivendo loro sin da quando era in ospedale, nel 1948-49: a Carl Schmitt, a René Guénon, a Gottfried Benn, a Ernst Jünger e a diverse altre personalità fra cui, appunto, Eliade. Lo scopo ideale era non solo riallacciare contatti personali ma cercare di ricostruire una specie di fronte spirituale nella nuova situazione pubblicando in Italia la traduzione di alcune delle opere delle sue antiche conoscenze. Non tutti compresero le sue intenzioni.

Nell’epistolario con Eliade, a esempio, il problema che si pose in quei primi anni Cinquanta nei quali Evola si diede molto da fare per la pubblicazione dei più importanti libri dello studioso romeno, come documentano le nuove e vecchie lettere, fu quello di quanta poteva essere l’influenza degli autori «tradizionalisti» sugli scritti scientifici e divulgativi di Mircea Eliade e il fatto che questi non citasse quasi mai certe sue fonti che alla «Accademia» potevano sembrare sospette. Erano anni turbolenti e anche pericolosi per chi era stato sul fronte degli sconfitti e lo studioso di certo non amava che gli si ricordasse la sua vicinanza prima della guerra alla Guardia di Ferro di Codreanu. Sta di fatto che, nonostante l’aiuto concreto che Evola diede alla pubblicazione dei libri di Eliade, dopo l’uscita della sua autobiografia Il cammino del cinabro (1963) in cui venivano ricordati certi precedenti «politici» eliadiani, questi sospese ogni contatto e, come rivela Bordas, che ha esaminato i diari inediti dello storico delle religioni romeno, confessò nelle sue note di essere molto amareggiato.

Insomma, il rapporto fra i due andò avanti sempre fra alti e bassi, comprensioni e incomprensioni che avevano radici culturali e psicologiche, come ben documenta Bordas. Il quale ha fatto un ottimo lavoro di esegesi incurante dei pregiudizi «politici» che man mano negli anni sembrano accentuarsi sia per Evola sia per Eliade. Ultimo esempio è un recentissimo articolo di Claudio Magris, in cui l’autore, elogiando lo scrittore romeno Norman Manea, afferma che Eliade è «il più grande rappresentante» di quella «grande e spesso cialtronesca cultura romena che genialmente ha indagato e talora pasticciato e falsificato l’universo del mito, disprezzando le ideologie (quelle liberali e democratiche) in nome delle ineffabili verità dell’occulto». Parole che rispecchiano una conoscenza di seconda e terza mano, sorprendente in una personalità come Magris, il quale confonde «occulto» con «esoterismo».

Eliade fu sempre contro l’occulto (anche Guénon ed Evola lo furono) e, come dimostra il saggio di Bordas, elaborò studi «scientifici» anche se si interessava degli autori «tradizionalisti».

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Tratto da Il Giornale del 21 maggio 2012.

lundi, 26 décembre 2011

Spiritualità cosmica nell’Ellade arcaica

Spiritualità cosmica nell’Ellade arcaica

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Ex: http://www.centrostudilaruna.it/

La religione ellenica si presenta come un insieme di culti e di riti che intendono trasmettere nella storia e nella vita quotidiana lo stesso impulso spirituale personificato dalla complessa varietà delle figurazioni divine. La sua rappresentazione religiosa è usualmente costituita dalla mitologia, ossia da un complesso di narrazioni di vicende divine che intendono “spiegare” in una prospettiva mito-poetica il significato del mondo o di singoli momenti di esso. I vari cicli mitologici non sono altro che proiezioni drammatizzate di quegli impulsi spirituali, una loro formulazione plastica che tende a restituire una visione “teologica” all’esperienza che i vari aedi, cantori, indovini o estatici hanno contemplato contemporaneamente come vita cosmica e ritmo divino.

 

Questo particolare carattere mitico-rituale ha comportato l’inesistenza di un qualsiasi Fondatore divino dal quale possa essersi originata la religione ellenica o che abbia in qualche modo “riformato” alcuni suoi caratteri fondamenti. Da ciò anche il fatto che la vasta rappresentazione mitologica e il complesso dei rituali non si trovano codificati in un insieme di testi sacri da cui poter sviluppare una dottrina religiosa o presso i quali tale dottrina potesse essere custodita e trasmessa senza alterazione. Tale assenza di libri rivelati ha poi permesso che si sviluppasse nell’Ellade la particolare funzione dei poeti i quali nelle loro opere hanno sostituito ciò che altrove veniva esplicato dagli scribi, esaltando particolarmente ciò che si potrebbe chiamare la “visione mitica” a detrimento di una qualsiasi rivelazione divina che potesse essere codificata e, appunto, “scritta”. Questo carattere fa sì che la religione ellenica si presenti non come un corpus dottrinale al quale aderire o al limite convertirsi, ma come una forma spirituale connaturata naturalmente a quel popolo, una “forma formante” che si invera nelle varie  espressioni di vita e dalla quale si può evadere non con un rifiuto, ma cambiando la stessa identità nazionale.

 

Come ulteriore conseguenza tutto ciò ha comportato il tipico atteggiamento di perpetuazione di usi, costumi e rituali ancestrali, di conservazione di un patrimonio religioso che viene trasmesso come elemento di identità e di custodia di un ordine la cui origine si confonde con quella stessa del popolo ellenico. Da ciò anche il carattere fondamentalmente conservatore di questa religione, presso cui l’aderenza alla tradizione esprimeva l’unico criterio di ortodossia e che rendeva “attuale” e “storica” la lotta per l’ordine tradizionale contro ogni forma di disordine. Questa storicità è una delle peculiarità della religione ellenica ed è determinata dallo stesso scenario mitologico tradizionale. Qui, infatti, la nascita del popolo ellenico va a confondersi con la stessa religione. Le origini nazionali non sono altro che un momento dello svolgimento della genealogia divina, una sua modalità di determinazione storica che ad un certo punto, come sembra indicare in modo specifico il mitologema di Hellenos sul quale torneremo, ha visto il “trapasso” del divino nell’umano di una particolare essenza divina, per di più tesa ad esplicitare la funzione di un ordine cosmico che il nuovo ciclo aperto da Deucalione dovrà realizzare.

 

La funzione del mito all’interno della spiritualità ellenica appare fondamentale. Il termine mythos si ritrova con significati vari all’interno della storia religiosa ellenica con utilizzazioni diverse e spesso persino opposte. Secondo molti esegeti diventa meno evidente rispetto a quanto ritenevano i classicisti dell’Ottocento una derivazione semantica di mythos da myēo, anche se ovviamente tale derivazione continua ad avere una sua forza dimostrativa di non poco rilievo e di forte persuasione. Ultimamente, però, alcuni studiosi appoggiandosi a diverse giustificazioni linguistico-formali, hanno pensato che si possa risalire ad un radicale indoeuropeo *mēudh-, *mudh- col significato speciale di “ricordarsi”, “aspirare a”, “riflettere”. Si avrebbe perciò il mythos quale “pensiero”, ma non riferito al pensare meramente cerebrale che si determina in un discorso logico-esplicativo, quanto piuttosto ad un “pensiero che si rivela”, che viene comunicato da una dimensione superiore a quella del tempo nella quale si consuma la vita umana. In particolare, sarà Omero che in entrambi i suoi poemi ci darà un “pensiero” (= mythos) che viene elaborato, un’idea, un “principio” che deve essere svelato.  Si entra così in un’area sacrale che vede il mito in rapporto strettissimo con il rito, con la dimensione “narrativo-esplicativa” di una condizione spirituale che è possibile esperire nell’atto rituale o nell’ispirazione estatica. E’ l’esperienza del veggente omerico che svela ciò che “ha visto con meraviglia”, quando lo spettatore, la cosa contemplata e l’atto del vedere diventano una thēoria, una “visione” la cui condizione l’aedo omerico esprime sì con la parola (è uno dei significato di mythos), ma con una parola che recita e “rappresenta” l’essere del mondo, tesa più ad incantare l’ascoltatore trasportandolo nel pieno dell’età eroica che a “raccontare” fatti, cosa che dà significato non transeunte all’uso ellenico di recitare brani di Omero durante alcune rappresentazioni rituali.

 

Fra i tanti mitologhemi più antichi dell’Ellade un interesse particolare può avere la constatazione che assieme ad Helios, quali figlie di Iperion e di Tia (“la divina”) troviamo anche Selene ed Eos, l’Aurora celeste. Va detto subito che i miti relativi ad Helios sono giunti in modo frammentario a tal punto che si è autorizzati a pensare che ci si trovi di fronte a cicli diversi intersecantisi e confusi l’un l’altro. Tale per es. la curiosa storia riportata da Ateneo che raccontava del viaggio di Helios fatto al tramonto in una coppa d’oro fino a raggiungere la mitica Etiopia. Quello che può interessare è che etimologicamente “etiopia” deriva dalla radice *aith- col significato di “bruciare” e di ”risplendere”, dato che qui tale radice include il senso di “fuoco che brucia” e perciò “risplende”. Si allude perciò ad una terra dove sì la luce risplende, ma di uno splendore di tipo vespertino, occidentale, evidenziato dal fatto che il viaggio di Helios si svolge al tramonto e che il popolo etiope era ritenuto essere non di razza nera, ma rossa, posta dal simbolismo tradizionale sempre ad occidente, al crepuscolo del percorso del sole.

 

Ancora più ricco di significati è il mito riportato da Omero nell’Odissea, là dove si fa menzione delle due figlie di Helios: Lampetia, “colei che illumina” e Faetusa, “colei che risplende”, le due divinità che custodiscono i 350 buoi del sole nell’isola di Trinacria. Secondo Bâl G. Tilak qui si ha una precisa allusione ad un antico anno di 350 giorni che verosimilmente doveva essere seguito da una notte cosmica di 10 giorni, ossia la durata dell’anno propria ad alcune regioni circumpolari, “là dove si compiono le rivoluzioni del sole”, ricorda ancora Omero (Od. XV, 403 e sgg.). E l’ipotesi acquista maggiore luce ove si consideri che queste due figlie di Helios presentate da Omero come le custodi dell’anno artico, personificano rispettivamente la luce che ne “illumina” l’inizio e la luce che “risplende” al suo compimento, ossia la luce dei due solstizi, quello estivo e quello invernale. Nel mitologhema le due sorelle si trovano ad esplicare la loro funzione di custodia nell’isola di Trinacria che è stata sempre concepita come la proiezione della mitica “terra del sole”. Persino lo stesso simbolo del triskel che graficamente la definisce, secondo le pittografie studiate da Dechélette, non esprime altro che lo stesso movimento del sole considerato nella prospettiva del suo rivelarsi secondo modalità cicliche che si srotolano attorno ad una divisione triadrica dell’anno che ha sostituito quella binaria risalente ad epoche molto più antiche, e ancora non si è stabilizzato nella divisione quaternaria, quella propria all’anno del periodo “classico” dell’Ellade. In un suo aspetto la Trinacria appare come il simbolo della potenza cosmica creativa che si dispiega nel tempo, la sua forza di manifestazione, perciò come uno dei simboli stessi che rivelano come tale potenza si sia inverata in una “terra primordiale”, una “terra originaria”, “solare”.

 

I miti relativi ad Eos, l”’Aurora” o la “luce aurorale”, sono molto più poveri e già risentono dell’influsso della leggenda eroica. Un altro nome della dèa dell’aurora fu Emera, “il Giorno”, che forse vuole esprimere l’idea di un’intera epoca umana. E sono note le storie di questa dèa della luce aurorale in connessione alla Syria, “la terra del sole” di Omero, oppure quelle relative ai suoi rapporti con Kephalonia, “la terra del centro” dove Kephalos, il Caput celeste, il “punto” cosmico di orientamento di una carta stellare molto antica (e comunque precedente  i rivolgimenti celesti cui accennava Aristotele per spiegare il passaggio del sole dal suo primordiale percorso sulla Via Lattea a quello attuale), si era “sposato” con l’Orsa celeste. Secondo questi miti alle origini gli sposi Kephalos e la Grande Orsa (con i suoi septem triones che trascinano il Grande Carro e lo fanno girare perpetuamente attorno al “perno” del cielo, il polo) si trovavano congiunti nello stesso quadrante cosmico secondo una direttrice che doveva risultare perpendicolare all’asse dell’osservatore allocato nella Kephalonia.

 

Dalle confraternite degli aedi itineranti, dei thēologoi e dei cosmologi arcaici, quelli che Aristotele radunava sotto la dizione di prōtoi thēologesantes (“i primordiali thēologoi”), probabilmente sono emerse tutti quei veggenti che si esprimevano attraverso il canto e la poesia sacra e, dunque, anche i due massimi cantori dell’antica Ellade, Omero ed Esiodo. Il caso di Esiodo è molto particolare. Non solo trasmette tutta una serie di elementi mitologici di un passato che rimanda ad epoche difficili da determinare, ma il personaggio appare pienamente consapevole del proprio ruolo di Aedo sacro, un cantore ispirato al quale era stato concesso il dono della poesia (= sapienza) che lo scettro d’oro donatogli dalle Muse sembra aver sanzionato in modo definitivo, dato che è detto che sono proprio loro che gli hanno insegnato “uno splendido canto, mentre pascolava gli agnelli ai piedi del sacro Elicona”, e addirittura in una gara poetica vince l’insegna dell’ispirazione apollinea, il sacro tripode che egli poi dedicherà alle Muse. E’ tutto un mondo che può essere ricondotto a forme di conoscenza ispirate che permettono di risalire oltre il transeunte, al “principio”, là dove le varie figurazioni divine hanno preso forma.

 

Lo stesso Omero può darci indicazioni importanti in questa direzione. Il suo nome, infatti, nel dialetto eolico cumano fu spesso interpretato come “il cieco” e rimanda più che ad un epiteto individuale, ad una attività più generale legata alle ispirazioni divine e alle estasi arcaiche. “Omero” personifica la funzione sacra dell’archegeta delle confraternite degli Aedi, colui che ha ricevuto la capacità di “vedere” oltre i limiti delle apparenze e, come gli indovini guardano al futuro, egli sotto l’ispirazione del dio canta il tempo passato, l’età eroica, “creandone” le espressioni, le gesta, lo scenario. La sua attività rimanda ad una funzione demiurgica tesa ad ordinare la visione ricevuta in uno stato di ispirazione divina e la rivela agli uomini, esattamente come hanno fatto gli Omeridi dell’isola di Chio, quella straordinaria confraternita di cantori la cui fisionomia rimanda agli aedi ispirati che hanno percorso la Grecia in ogni tempo e la cui qualificazione più importante era quella di essere “discendenti” di Omero, più esattamente gli eredi della tradizione dei veggenti omerici.

 

Esiodo ha conservato anche altri mitologhemi che possono essere fuorusciti da una cosmologia arcaica. Nell’enunciazione delle ère che descrivono il processo di impoverimento che dalla pienezza della spiritualità primordiale conclude nell’età del ferro, egli ci dà il senso di un loro rapporto non meramente cronologico, di successione temporale, ma quale espressione di “qualità” storiche, quali cicli che per la loro completezza, per il loro riflettere un determinato tipo di spiritualità rivelatasi in un tempo preciso, “storico”, in sé non sono legati ai cicli successivi. Questo fondamentale disegno unitario delle ère esiodee è rilevabile anche da un altro punto di vista che riconduce il mito riportato da Esiodo alle più arcaiche speculazioni indoeuropee sulle origini del cosmo. Se, infatti, si considera la successione delle età e delle varie razze che incarnano via via i valori spirituali delle singole ère, avremo il seguente quadro. Prima di tutto si avrà la razza aurea caratterizzata da una pienezza biologica propria al tipo di spiritualità di quel “tempo-fuori-del-tempo”, a-cronico, che in sé delinea la condizione di perfezione originaria cui devono tendere tutte le altre razze da lui individuate come specifiche dei diversi cicli temporali che si svilupperanno dopo la scomparsa della razza aurea. Questa razza primordiale appare perciò come una “totalità” all’interno della quale si realizza l’armonia e la giustizia, mentre la sua perfezione  in modo eminente consente l’espressione piena delle tre attribuzioni classificate da Georges Dumézil come funzioni cosmico-sociali [sacerdozio, forza guerriera e fecondità] che nella prospettiva esiodea sintetizzano ogni gerarchia sociale: gli uomini dell’età aurea saranno “buoni”, “guardiani giusti” e “dispensatori di ricchezza” (Erga, vv. 123-126).

 

Dopo la fine dell’età aurea e della razza che ne aveva incarnato l’essenza di luce, si succedono altre ère in una progressione che scivola sempre più verso il disordine e una onnipervadente empietà. Dall’età argentea a quella ferrea si ha perciò la delineazione di uno svolgimento progressivo che inizia da uno stato fanciullesco e puerile, poi diventa una dura e spietata giovinezza (gli uomini dell’età del bronzo nascevano “con una grande forza e mani invincibili spuntavano dagli omeri al loro corpo gagliardo”; Erga, vv. 143-149), si stabilizza per un po’ come l’equilibrata maturità degli Eroi e si conclude infine con l’età del ferro, l’èra della vecchiaia (“quando verranno al mondo gli uomini con le tempie candide fin dalla nascita”; v. 181), il crepuscolo del tempo cosmico ed umano. Dall’alba al tramonto dell’essere cosmico. La figura delineata appare quella di un Macrantropo, il prototipo mitico dell’esistenza che in sé contiene in principio le varie possibilità che si svilupperanno nel corso del tempo. Dal suo sacrificio rituale, ossia dalla sua “scomposizione” in ère cosmiche, si determina l’essere del mondo e degli uomini, mentre le razze che secondo Esiodo si susseguono l’una all’altra appaiono come le modalità diversificate di un tutto unitario, le “membra” dell’essere cosmico che si distende nel tempo e i suoi quattro stadi di esistenza.

 

La concezione di Esiodo non deve essere considerata una sua creazione originale ed individuale, ma va collocata all’interno di teorie cicliche di grande importanza e variamente articolate. La tradizione ellenica, infatti, ci parla di tre successivi cataclismi relativi alla sparizione di Ogygia, al diluvio di Deucalione e a quello di Dardano che avrebbero via via distrutto terre o continenti sui quali regnava l’empietà più profonda. Prescindendo da quelli di Ogygia e di Dardano sui quali ci siamo intrattenuti altrove, qui interessa soffermarci sul diluvio di Deucalione per gli accostamenti e gli sviluppi cui può dar luogo. Esso, infatti, ci riporta al ciclo dei titani per il semplice fatto che Deucalione risulta essere il figlio di Prometeo il quale, a sua volta, era stato concepito dal titano Giapeto e dall’oceanina Climene. Da questa unione era nato anche un secondo figlio di Giapeto, un fratello di Prometeo,  il famoso Atlante considerato il padre delle Esperidi, di Maia e della Plèiadi, ossia tutto un gruppo di esseri divini che si appoggiavano a precise costellazioni celesti poste sempre ad Occidente, mentre la tradizione ci dice che Zeus, a chiusura del ciclo spirituale precedente, pose entrambi i fratelli a presiedere i due poli opposti del mondo. Atlante presidiava l’Occidente e Prometeo l’Oriente, secondo un asse equinoziale che sostituisce il più antico asse solstiziale nord-sud e costituisce una precisa indicazione sull’esistenza nell’Ellade arcaica di dottrine sui cicli cosmici formulate secondo una narrazione che interpretava in termini mito-poetici un’antica tradizione sacra sulla strutturazione dei movimenti celesti.

 

Alla fine dell’età del bronzo, a causa della tracotanza ed empietà di quella razza Zeus volle un diluvio che ne cancellasse ogni traccia. Su consiglio del padre Deucalione e sua moglie Pirrha costruirono un’arca nella quale posero ciò che doveva essere salvato dal diluvio. Dopo nove giorni e nove notti durante i quali il diluvio distrusse la civiltà della razza bronzea, approdarono finalmente sul Parnaso dove finalmente sacrificarono a Zeus e così diedero inizio ad un nuovo ciclo. La titanessa Themis, la stessa che sarà soppiantata da Apollo a Delfi, enuncia in forma di enigma un oracolo che, avveratosi, costituirà l’origine stessa del genere umano. Gli elementi fondamentali del mito si possono considerare:

 

  1. L’arca che custodisce i germi della sapienza dei cicli spirituali precedenti;
  2. Deucalione e Pirrha che per la loro genealogia perpetuano in qualche modo anche aspetti importanti dell’età primordiale e perciò impediscono che ci sia una vera e propria rottura col mondo precedente;
  3. Il sacrificio a Zeus sul monte, l’axis mundi che diventa il luogo originario della nuova civiltà;
  4. L’oracolo di Themis, che permetterà la nascita del genere umano;
  5. La forma di enigma dell’oracolo.

 

Secondo la forma più conosciuta del mito, il figlio della coppia Deucalione-Pirrha (= il “Bianco” e la “Rossa”) scampata al diluvio sarà Hellenos il cui nome etimologicamente può essere ricondotto a “splendere”, “luce”, che secondo Jean Haudry darà come significato “colui che ha il viso solare” e perciò la sua discendenza, quella che formerà il nucleo essenziale delle diverse tribù greche, sarà propriamente il “popolo del sole”. Se ora poniamo mente al fatto che Helios è spesso rappresentato con sette raggi e che in India il settimo Aditya è Surya, il sole, ci si accorgerà che il parallelismo India-Ellade arcaica ha più di un punto di contatto e trova la sua ragione d’essere probabilmente nelle condizioni spirituali originarie dalle quale ha preso forma l’Ellade come noi la conosciamo in piena epoca del ferro.

 

Nell’ambito di questi cicli mitologici antichissimi può porsi anche l’orfismo la cui struttura misteriosofica ricalca forme di spiritualità cosmica del tipo che è possibile rinvenire per es. anche nell’India vedica o in certi aspetti della soteriologia tantrica. Le dottrine orfiche appaiono strutturate già a partire dal VII-VI sec., quando il bìos orphikòs costituirà un riferimento costante nel patrimonio speculativo dei filosofi e persino dei molti ciarlatani, ed è facile trovare quei thēologoi e quegli orfeotelesti accennati da Platone che ci documentano una massiccia presenza orfica nel mondo religioso e nella società dell’Ellade storica.

 

Una versione delle tante cosmogonie orfiche ci presenta quale entità primordiale la Notte dalla quale scaturiscono gli esseri divini, perciò in qualche modo una sorta di originaria scaturigine del tutto. E’ da questo principio che procede l’Uovo cosmico che, simile al Brahmanda indù, col suo scomporsi rende manifesti il cielo e la terra e, soprattutto, Phanes, l’Essere Primordiale “luminoso”, lo “splendente”, l’archetipo universale da cui promana ogni esistente, il Protogonos colui che contiene in sé la stesso i germi della manifestazione universale. Lo straordinario di questa struttura teo-cosmogonica estremamente arcaica è il fatto che tali concezioni furono concepite come supporti di una elaborata misteriosofia che affascinò personaggi come Platone e che appare piuttosto distante dalle usuali convinzioni elleniche sugli dèi olimpici e sulla relativa loro vita rituale. Ma c’è di più. Un’antica testimonianza riportata da Otto Kern (fr. 21a) e sviluppata nelle sue implicazioni escatologiche da Richard Reitzenstein, ci dice che secondo gli orfici l’universo era ritenuto il “corpo visibile” di Zeus, il quale perciò era ritenuto l’inizio, il mezzo e il fine del cosmo. Tale figurazione orfica di Zeus (che evidentemente non ha nulla dello Zeus olimpico) è contemporaneamente “uomo e donna”, un principio androginico dal quale si origina autonomamente per autogenesi il cielo, la terra e gli elementi fondamentali della vita cosmica, il vento, l’acqua, il fuoco, il sole, la luna. Come ha fatto notare Ugo Bianchi, questa concezione deve riflettere idee molto antiche se ancora nel VII sec. Terpandro testimonia la loro vitalità, forse come idee scaturite da forme rituali da riferirsi addirittura al passato indoeuropeo ove si accetti l’ipotesi di Anders Olerud, poi sviluppata da Geo Widengren nel capitolo sul panteismo del suo poderoso manuale di fenomenologia religiosa, sull’arcaicità dell’idea di microcosmo e di macrocosmo e sulla corrispondenza simbolica di queste due sfere in una struttura formale che abbia ben chiari i diversi stati molteplici dell’essere.

 

E’ la dottrina del Macrantropo dal cui sacrificio rituale si origina il cosmo, la stessa che abbiamo visto serpeggiare anche nella visione esiodea dei cicli cosmici e che, formulata in vario modo, si ritrova nelle cosmogonie e nelle dottrine sacrificali di molti popoli indoeuropei. Ma questo è un altro discorso che si intende riprendere in un apposito studio.

 

Per approfondire:

 

F. Vian, La guèrre des Geants. Le mythe avant l’èpoque hellènistique, Paris 1952.

 

N. D’Anna, Da Orfeo a Pitagora. Dalle estasi arcaiche all’armonia cosmica, Simmetria, Roma 2011.

 

N. D’Anna, Il Gioco cosmico. Tempo ed eternità nell’antica Grecia, Mediterranee, Roma 2006.

 

[Tratto, col gentile consenso dell’Autore, da “Atrium” 2/2011].

samedi, 14 novembre 2009

J. Evola: La doctrina del despertar

cop_evola-dottrina.jpgEDICIONES HERACLES ANUNCIA LA REEDICIÓN DE:

JULIUS EVOLA

LA DOCTRINA DEL DESPERTAR

ENSAYO DE ASCESIS BUDDHISTA

Este estudio sobre ascesis buddhista realizado por el eminente estudioso de la Tradición, Julius Evola, representa una originalidad sin igual en un tiempo en el cual también dicha cosmovisión ha sido vulgarizada y deformada aceptándose como dogmas sagrados pertenecientes a la misma las teorías reencarna-cionistas, el humanitarismo, el pacifismo y la democracia espiritual. Aquí nuestro autor, con suma sagacidad, diferencia entre lo que podría ser el simple budismo y el buddhismo, el primero occidentalizado y decadente que representa una verdadera falsificación doctri-naria y el otro el buddhismo pâli originario que significó un intento de retorno a los principios que informaron la espiritualidad viril y aria de los tiempos primordiales de la humanidad, anteriores a la edad de hierro en que nos hallamos, en una revuelta altiva y heroica en contra de la decadencia personificada por el ritualismo brahmánico que regía en ese entonces en la India. Por último, en la medida en que el buddhismo, en su variantes pâli y más tarde Zen, ha enfatizado en la vía de la acción liberadora a través del despertar ascético, representa un camino adecuado para la espiritualidad del hombre occidental caracterizada también por la primacía otorgada a la acción aunque en los tiempos últimos se encuentre degradada hasta los límites más bajos y bestiales del materialismo y del consumismo hoy vigentes.

Índice

 

 

Introducción......................................................... 7

 

El Saber

 

I.     Acerca de las variedades de las “Ascesis”........... 21

II.    Arianidad de la doctrina del despertar............. 34

III.   Lugar histórico de la doctrina del despertar..... 45

IV.   Destrucción del Demon de la dialéctica............ 66

V.    La llama y la conciencia samsárica................... 74

VI.   La Génesis condicionada................................. 90

VII.   Determinación de las vocaciones................. 110

 

 

La Acción

 

I.     Las cualidades del combatiente y la “presencia” 137

II.    Defensa y consolidación............................... 151

III.   Derechura................................................... 165

IV.   La presencia sidérea. Las heridas se cierran...... 179

V.    Los cuatro Jhâna. Las “Contemplaciones irradiantes” 198

VI.   Los estados libres de forma y la extinción........ 221

VII.   Discriminación de los “poderes”................... 243

VIII. Fenomenología de la gran liberación........... 253

IX.   Trazos de lo sin semejanza............................. 267

X.    “El vacío” “si la mente no se quiebra”............. 278

XI.   Hasta el Zen................................................. 287

XII. Los Ariya moran aún en el Pico del Cóndor..... 301

 

Fuentes          309

mercredi, 20 août 2008

Le concept d'aristocratie chez Nicolas Berdiaev

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Le concept d'aristocratie chez Nicolas Berdiaev

 

Pierre MAUGUÉ

 

Par son livre La philosophie de l'inégalité  (1), Berdiaev (2) s'inscrit dans la grande tradition des écrivains contre-révolution­naires. Bien qu'il ait été écrit dans le chaos de la révolution russe, et tout imprégné qu'il soit du mysticisme propre à l'orthodoxie, ce livre recèle en effet un message de portée universelle. Par delà le temps et le fossé culturel qui sépare l'Europe latine du monde slave orthodoxe, les analyses de Berdiaev rejoignent celles de Maistre et de Bonald; elles mettent non seulement en lumière les racines communes à la révolution jacobine et à la révolution bolchevique, mais concluent à la primauté des principes sur lesquels reposent les sociétés traditionnelles.

 

Comme Joseph de Maistre (3), Berdiaev voit dans la révolution une conséquence de l'incroyance et de la perte du centre or­ganique de la vie. «Une révolution, quelle qu'elle soit, est anti-religieuse de par sa nature même, et tenter de la justifier reli­gieusement est une bassesse... La révolution naît d'un dépérissement de la vie spirituelle, de son déclin, et non de sa cois­sance ni de son développement intérieur». Mais la révolution ne s'attaque pas seulement à la religion en tant qu'elle relie l'homme au sacré et à la transcendance, mais aussi dans la mesure où elle établit un lien entre les générations passées, pré­sentes et futures. Comme le note Berdiaev, «il existe non seulement une tradition sacrée de l'Eglise, mais encore une tradition sacrée de la culture. Sans la tradition, sans la succession héréditaire, la culture est impossible. Elle est issue du culte. Dans celle-ci, il y a toujours un lien sacré entre les vivants et les morts, entre le présent et le passé... La culture, à sa manière, cherche à affirmer l'éternité».

 

Berdiaev ne peut donc que s'insurger contre la prétention des révolutionnaires d'être des défenseurs de la culture. S'adressant à eux, il écrit: «Vous avec besoin de beaucoup d'outils culturels pour vos fins utilitaires. Mais l'âme de la culture vous est odieuse». Ce que Berdiaev leur reproche, c'est aussi leur mépris des œuvres du passé: «La grandeur des ancêtres vous est insupportable. Vous auriez aimé vous organiser et vous promener en liberté, sans passé, sans antécédents, sans relations», et il se voit obliger de rappeler que «la culture suppose l'action des deux principes, de la sauvegarde comme de la procréation».

 

Le principe conservateur dont Berdiaev se fait le héraut n'est donc pas opposé au développement, il exige seulement que celui-ci soit organique», que l'avenir ne détruise pas le passé mais continue à le faire croître». L'antimarxisme de Berdiaev n'en fait pas pour autant un défenseur inconditionnel du libéralisme. Bien qu'il reconnaisse, avec Tocqueville, qu'«il y a dans la liberté quelque chose d'aristocratique» et qu'il considère que «les racines de l'idée libérale ont une relation plus étroite avec le noyau ontologique de la vie que les idées démocratiques et socialistes», il n'en estime pas moins que, dans le monde actuel, le libé­ralisme «vit des miettes d'une certaine vérité obscurcie».

 

Berdiaev relève ainsi que l'individualisme libéral sape la réalité de la personne, à laquelle il entendait donner la première place, du fait qu'il détache l'individu de toutes les formations historiques organiques. «Pareil individualisme», dit-il, «dévaste en fait l'individu, il lui ôte le contenu super-individuel qu'il a reçu de l'histoire, de sa race et de sa patrie, de son Etat et de l'Eglise, de l'humanité et du cosmos». Quant au libéralisme économique, il lui paraît avoir plus d'affinités avec une certaine forme d'anarchisme qu'avec la liberté aristocratique. «L'individualisme économique effréné, qui soumet toute la vie écono­mique à la concurrence et à la lutte d'intérêts égoïstes, qui ne reconnait aucun principe régulateur, semble n'avoir aucun rap­port nécessaire avec le principe spirituel du libéralisme».

 

En définitive, Berdiaev considère que la philosophie de l'état et des droits naturels, prônée par les libéraux, est superficielle, car «il n'y a pas et il ne peut y avoir d'harmonie naturelle». Pour lui, «la foi libérale» n'est donc pas moins fausse que «la foi socialiste».

* *  *

La «philosophie de l'inégalité» se présente comme une suite de lettres traitant chacune d'un thème bien précis. Hormis la première lettre, qui traite de la révolution russe, toutes les autres lettres abordent des sujets qui ne sont pas spécifiquement liés à la situation de la Russie. Partant d'une analyse «des fondements ontologiques et religieux de la société», Berdiaev va nous parler de l'Etat, de la nation, du conservatisme, de l'aristocratie, du libéralisme, de la démocratie, du socialisme, de l'anarchie, de la guerre, de l'économie, de la culture, et, pour conclure, d'un sujet qui n'intéresse généralement pas les polito­logues: du royaume de Dieu.

 

La lettre sur l'aristocratie est peut-être celle qui retient le plus l'attention, car elle ose faire l'apologie d'un principe que, depuis deux siècles, l'on s'est plus non seulement à dévaloriser, mais à désigner à la vindicte populaire. Aujourd'hui, note Berdiaev, il est généralement considéré qu'«avoir des sympathies aristocratiques, c'est manifester soit un instinct de classe, soit un es­thétisme sans aucune importance pour la vie».

 

La vision réductrice de l'aristocratie que l'on a tout fait pour imposer depuis la Révolution française est battue en brèche par Berdiaev en partant d'un point de vue spirituel. Pour lui, l'aristocratie a un sens et des fondements plus profonds et plus essen­tiels. Alors que «le principe aristocratique est ontologique, organique, qualitatif», les «principes démocratiques, socialistes, anarchiques, sont formels, mécaniques, quantitatifs; ils sont indifférents aux réalités et aux qualités de l'être, au contenu de l'homme». La démocratie, dépourvue de bases ontologiques, n'a au fond qu'une nature “purement phénoménologique”; elle ne serait finalement rien d'autre que le régime politique correspondant au “règne de la quantité”, à l'“âge sombre”, dont parlent les représentants de la pensée traditionnelle, notamment René Guénon.

 

Mais Berdiaev ne met pas seulement en valeur la supériorité du principe aristocratique du point de vue spirituel. Comme Maurras, il voit en lui un élément fondamental de l'organisation rationnelle de la vie sociale; il rappelle que tout ordre vital est hiérarchique et a son aristocratie. «Seul un amas de décombres n'est pas hiérarchisé» et «tant que l'esprit de l'homme est en­core vivant et que son image qualitative n'est pas définitivement écrasée par la quantité, l'homme aspirera au règne des meil­leurs, à l'aristocratie authentique».

 

Berdiaev refuse de croire que la démocratie représentative ait, comme elle le prétend, la capacité d'assurer cette sélection des meilleurs et le règne de l'aristocratie véritable. «La démocratie», estime-t-il, «devient facilement un instrument formel pour l'organisation des intérêts. La recherche des meilleurs est remplacée par celle des gens qui correspondent le mieux aux intérêts donnés et qui les servent plus efficacement».

 

La démocratie, le pouvoir du peuple, ne sont pour Berdiaev qu'un trompe-l'oeil. «Ne vous laissez pas tromper par les appa­rences, ne cédez pas à des illusions trop indigentes. Depuis la création du monde, c'est toujours la minorité qui a gouverné, qui gouverne et qui gouvernera. Cela est vrai pour toutes les formes et tous les genres de gouvernement, pour la monarchie et pour la démocratie, pour les époques réactionnaires et pour les révolutionnaires». Cette vue de Berdiaev n'est pas sans rappe­ler Pareto et sa théorie de la circulation des élites. Mais à la question de savoir si c'est la minorité la meilleure ou la pire qui gouverne, berdiaev ne donne pas la même réponse que Pareto (4). Il considère en effet que «les gouvernements révolution­naires qui se prétendent populaires et démocratiques sont toujours la tyrannie d'une minorité, et bien rares ont été les cas où celle-ci était une sélection des meilleurs. La bureaucratie révolutionnaire est généralement d'une qualité encore plus basse que celle que la révolution a renversée».

 

Pour Berdiaev, la réalité est qu'«il n'y a que deux types de pouvoir: l'aristocratie et l'ochlocratie, le gouvernement des meil­leurs et celui des pires». Vue peut-être un peu trop manichéenne dans la mesure où la médiocratie, ou gouvernement des médiocres, paraît être aujourd'hui la forme de pouvoir la plus répandue, et qu'elle est d'autant plus forte qu'elle se trouve en accord quasi parfait avec l'esprit même du monde moderne.

 

L'aristocratie est quant à elle en porte-à-faux avec les idées modernes parce qu'elle suppose la sélection et la prise en compte du temps. Pour Berdiaev, l'aristocratie s'inscrit dans l'histoire, elle présuppose une filiation et le lien ancestral. «La formation sélective des traits nobles du caractère s'effectue avec lenteur, elle implique une transmission héréditaire et des coutumes familiales. C'est un processus organique».

 

Il faut, dit Berdiaev, qu'il y ait dans la société humaine des gens qui n'ont pas besoin de s'élever et que ne chargent pas les traits sans noblesse de l'arrivisme. Les droits de l'aristocratie sont inhérents, non procurés. Il faut qu'il y ait dans le monde des gens aux droits innés, un type psychique qui ne soit pas plongé dans l'atmosphère de la lutte pour l'obtention des droits».

 

Mais à ce privilège correspondent des devoirs qui ne peuvent précisément être remplis qu'en raison même de ce privilège originel. «L'aristocratie véritable peut servir les autres, l'homme et le monde, car elle ne se préoccupe pas de s'élever elle-même, elle est située suffisamment haut par nature, dès le départ, elle est sacrificielle». Vue extrêmement exigeante pour la­quelle «l'aristocratie doit avoir le sentiment que tout ce qui l'élève est reçu de Dieu et tout ce qui l'abaisse est l'effet de sa propre faute», alors que le propre de la psychologie plébéienne est de considérer «tout ce qui élève comme un bien acquis et tout ce qui abaisse comme une insulte et comme la faute d'autrui».

 

Du fait que «l'aristocrate est celui auquel il est donné davantage» et qu'il peut ainsi «partager son surcroît», il est appelé à jouer un rôle de médiateur entre le peuple et les valeurs supérieures. Berdiaev tient ainsi à rappeler que, dans toute l'histoire, «les masses populaires sortent de l'ombre et qu'elles communient avec la culture par l'intermédiaire de l'aristocratie qui s'en est distinguée et qui remplit sa tâche». C'est la raison pour laquelle les valeurs aristocratiques doivent demeurer prédominantes, car «c'est l'aristocratisation de la société et non pas sa démocratisation qui est spirituellement justifiée». Berdiaev tient d'ailleurs à rappeler que l'attitude méprisante envers le menu peuple n'est pas le fait de l'aristocratie, mais qu'«elle est le propre du goujat et du parvenu».

 

* *  *

 

Tout en affirmant les principes qui forment la trame des valeurs aristocratiques, Berdiaev n'ignore pas que, «dans l'histoire, l'aristocratie peut déchoir et dégénérer», qu'«elle peut facilement se cristalliser, se scléroser, se clore sur elle-même et se fermer aux mouvements créateurs de la vie». Elle trahit alors sa vocation et, «au lieu de servir, elle exige des privilèges». Pour Berdiaev, les conséquences qu'entraîne cette décadence sont les mêmes que celles qu'envisage Joseph de Maistre. «Lorsque les classes supérieures ont gravement failli à leur vocation et que leurs dégénérescence spirituelle est avancée, la révolution mûrit comme un juste châtiment pour les péchés de l'élite».

 

Mais quelle que soit la décadence qui peut frapper l'aristocratie, le principe qui est à son origine n'en garde pas moins une va­leur éternelle. La noblesse peut mourir en tant que classe, «elle demeure en tant que race, que type psychique, que forme plastique». Ainsi, la chevalerie, dont Berdiaev regrette l'absence dans l'histoire de la Russie, fut plus qu'une catégorie sociale et historique, elle est un principe spirituel, et «la mort définitive de l'esprit chevaleresque entrainerait une dégradation du type de l'homme, dont la dignité supérieure a été modelée par la chevalerie et par la noblesse, d'où elle s'est diffusée dans des cercles plus larges».

 

Si l'influence de la noblesse fut plus tardive en Russie, il serait injuste, estime Berdiaev, de méconnaître le rôle important qu'elle a joué dans le développement intellectuel de ce pays. «Elle a», dit-il, «été notre couche culturelle la plus avancée. C'est elle qui a créé notre grande littérature. Les gentilhommières ont constitué notre premier milieu culturel... Tout ce qui comptait dans la culture russe venait de l'aristocratie. Non seulement les héros de Léon Tolstoï, mais encore ceux de Dostoïevski, sont inconcevables en dehors de celle-ci... Tous nos grands auteurs ont été nourris par le milieu culturel de la noblesse».

 

Berdiaev, qui appartient à la noblesse, héréditaire, n'en reconnaît pas moins qu'«il n'y a pas seulement l'aristocratie historique où le niveau moyen se crée grâce à la sélection raciale et à la transmission héréditaire», mais qu'«il y a aussi l'aristocratie spirituelle, principe éternel, indépendant de la succession des groupes sociaux et des époques». Cette aristocratie spirituelle, qui se forme selon l'ordre de la grâce personnelle, n'a pas un rapport nécessaire avec un groupe social donné, elle n'est pas fonction d'une sélection naturelle. «On n'hérite pas plus du génie que de la sainteté». Mais cette «aristocratie spirituelle a la même nature que l'aristocratie sociale, historique; c'est toujours une race privilégiée qui a reçu en don ses avantages».

 

Opposer la démocratie à l'aristocratie n'est pas concevable pour Berdiaev. «Ce sont là des notions incommensurables, de qualités complètement différentes». Il voit d'ailleurs dans le triomphe de la métaphysique, de la morale et de l'esthétique dé­mocratiques «le plus grave péril pour le progrès humain, pour l'élévation qualitative de la nature humaine». «Vous niez», dit-il, «les fondements biologiques de l'aristocratisme, ses bases raciales, ainsi que celles de la grâce et de l'esprit. Vous condam­nez l'homme à une existence grise, sans qualités». Quant à la volonté affirmée de porter une masse énorme de l'humanité à un niveau supérieur, elle résulte, selon Berdiaev, non pas d'un amour de ce haut niveau, mais avant tout d'un désir d'égalitarisme, d'un refus de toute distinction et de toute élévation.

 

Se plaçant délibérément à contre-courant des idées qui ont cours à son époque et qui ont aujourd'hui acquis une valeur de dogme, Berdiaev s'adresse en ces termes aux grands-prêtres de l'idée démocratique: «Ce qui vous intéresse par-dessus tout, ce n'est pas d'élever, c'est d'abaisser. Le mystère de l'histoire vous est inaccessible, votre conscience y reste à jamais aveugle. Le mystère de l'histoire est un mystère aristocratique. Il s'accomplit par la minorité».

 

Pierre MAUGUÉ.

(décembre 1993).

 

Notes:

(1) La philosophie de l'inégalité, écrite en 1918, a été publiée à Berlin en 1923. Sous le titre De l'inégalité, une traduction en fran­çais a été éditée en 1976, à Lausanne, par les Editions L'Age d'Homme.

(2) NIcolas Berdiaev est né à Kiev en 1874 et mort à Clamart en 1948. Sa mère était une princesse Koudachev, apparentée à la famille Choiseul. Professeur de philosophie à l'Université de Moscou, Berdiaev, que l'on a parfois qualifié d'existentialiste chré­tien, s'oppose à toutes les formes modernes de matérialisme. Expulsé d'Union Soviétique en 1922, il s'établira en France, où il demeurera jusqu'à sa mort.

(3) Cf. Considérations sur la France. Cette œuvre a récemment été rééditée par “Les Editions des Grands Classiques” (ELP) (37, rue d'Amsterdam, F-75.008 Paris).

(4) Cf. Vilfredo Pareto, Traité de sociologie générale.

lundi, 09 juin 2008

Hommage et entretien avec Gustave Thibon

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Hommage à Gustave Thibon

Le philosophe catholique Gustave Thibon est décédé. Dans un éditorial de la presse italienne, nous avons lu ce vibrant hommage (notre correspondant ne nous a malheureusement pas transmis les coordonnées du journal): «L'écrivain et phi­losophe français Gustave Thibon, un des penseurs chré­tiens les plus controversés de la seconde moitié du 20ième siè­cle, est décédé récemment, âgé de 97 ans, à Saint-Mar­cel, dans son pays natal de l'Ardèche. Catholique de droite, sympathisant monarchiste mais aussi ami et premier édi­teur de la philosophe d'origine juive Simone Weil, Thibon doit sa célébrité à ses aphorismes sur la foi. Certaines de ses brèves maximes font désormais partie du patrimoine ca­tholique: de «Celui qui refuse d'être l'image de Dieu sera son singe pour l'éternité» à «Pour unir les hommes, il ne suf­­fit pas de jeter des ponts, il faut construire des échel­les. Celui qui ne monte pas vers Dieu ne pourra rencontrer son frère», en passant par «La vérité est aussi une blessure, quasiment jamais un baume» et «Aime ceux qui te rendent heureux, mais n'aime pas ton bonheur». Thibon était animé par une veine mystique particulière, mais, en même temps, restait attaché à la campagne (il aimait se présenter com­me un "écrivain-paysan"). Il a affronté dans une vingtaine de livres les grandes questions de l'existence d'un point de vue chrétien: la présence de Dieu, l'amour, la foi et la grâ­ce, la domination de la technique sur l'homme. Parmi ses ou­vrages les plus connus, citons: Le destin de l'homme (1941), L'échelle de Jacob (1942) et Retour au réel (1943). En juillet 1941, Thibon rencontre Simone Weil dans son usine, alors qu'elle avait été chassée de l'université en tant qu'intellectuelle d'origine juive. Elle lui confie le manuscrit d'un de ses livres les plus célèbres, L'ombre et la grâce, que Thibon publiera en 1947, faisant ainsi connaître au monde la jeune philosophe morte de tuberculose en Angleterre en août 1943. Thibon avait été influencé par Pascal et par Pé­guy, mais aussi par Nietzsche et par Maurras. Dans tous ses livres, il a dénoncé la marginalisation des "exigences de l'es­prit" dans la société contemporaine. De concert avec Jean Guitton, il est aujourd'hui considéré comme l'un des pha­res de la pensée catholique française du 20ième siècle, mais il avait choisi de vivre en retrait, refusant toute char­ge académique».

C'est bien entendu la dimension paysanne de Thibon, l'in­fluen­ce du vitalisme (qu'il reliait à la doctrine catholique de l'incarnation), de Nietzsche et de Péguy sur sa pensée, qui nous inté­res­se dans son œuvre. De même que cette pro­­xi­mité entre le paysan monarchiste et Simone Weil, théo­­ri­cienne de l'en­racinement, à la suite de sa lecture at­tentive de Péguy, chantre des "petites et honnêtes gens", qui font la solidité des peuples. Mieux: l'œuvre de Thibon dé­marre avec une réflexion approfondie sur l'œuvre de Lud­­wig Klages, figure cardinale de la "révolution conser­va­trice" et des premières années du Cercle de Stefan George (les Cosmiques de Munich), un Klages pourtant fort peu sus­pect de complaisance avec le christianisme. Marc. Eemans, lecteur attentif de Thibon, parce que celui-ci était juste­ment le premier exégète français de Klages, reliait la pen­sée de ce catholique de l'Ardèche à celle de toutes les for­mes de catholicisme organique, liées en ultime instance à la mystique médiévale, résurgence d'un paganisme fonda­men­tal. Thibon, exégète de Klages, donne le coup d'envoi post­hume à Simone Weil, théoricienne audacieuse de l'en­ra­cinement. Lier le paganisme de Klages, le catholicisme pay­san de Thibon et le plaidoyer pour l'enracinement de Si­mone Weil permettrait de ruiner définitivement les mani­chéis­mes incapacitants et les simplismes binaires qui domi­nent l'univers médiatique et qui commencent dangereu­se­ment à déborder dans le champs scientifique (Robert Steuckers).

Gustave Thibon a accordé à notre colla­bora­teur occasionnel Xavier Cheneseau, sans nul doute l'un de ses tous derniers entretiens. Son décès le rend d'autant plus émouvant.

Entretien avec Gustave Thibon

Vous avez écrit un jour: "Le vrai traditionaliste n'est pas conservateur". Pouvez-vous expliquer ces propos. Est-ce à dire qu'un traditionaliste est révolutionnaire ?

GTh: Le vrai traditionaliste n'est pas conservateur dans ce sens qu'il sait dans la tradition distinguer les éléments ca­ducs des éléments essentiels, qu'il veille sans cesse à ne pas sacrifier l'esprit à la lettre et qu'il s'adapte à son épo­que, non pour s'y soumettre servilement mais pour en adop­ter les bienfaits en luttant contre ses déviations et ses a­bus. Telle fut l'œuvre de la monarchie française au long des siècles. Tout tient dans cette formule de Simone Weil: " La vraie révolution consiste dans le retour à un ordre éter­nel momentanément perturbé".

Ne pensez-vous pas que la tradition exclut la liberté créatrice ?

GTh: La réponse est la même que la précédente. La tra­di­tion favorise la liberté créatrice et ne s'oppose qu'à la li­ber­té destructrice. Traditionalisme ne signifie pas fixisme mais orientation du changement. Ainsi, un corps vivant renou­vel­le indéfiniment ses cellules, mais reste identique à lui-mê­me à travers ces mutations. Le cancer, au contraire, se ca­rac­té­rise par la libération anarchique des cellules.

Pour vous, la démocratie, le socialisme, le libéralisme sont-ils des systèmes anti-traditionnels ?

GTh: Il faudrait préciser le sens qu'on donne à ces mots. La démocratie s'oppose à la tradition dans la mesure où elle s'appuie uniquement sur la loi abstraite du nombre et des fluctuations de l'opinion. De même, au socialisme en tant que mainmise du pouvoir central sur la liberté des indi­vi­dus, de même, au libéralisme "sauvage", dans la mesure où il ne souffre aucun correctif à la loi de l'offre et de la de­man­de.

Est-il possible d'affirmer aujourd'hui la primauté de l'esprit sur le monde matérialiste ?

GTh: Il faudrait d'abord s'entendre sur le sens qu'on donne aux mots esprit et matière. De toute façon, il y a primauté de l'esprit sur la matière même chez les matérialistes, dans ce sens que c'est l'esprit "lumière" qui modifie la matière et l'aménage en fonction de sa puissance et de ses désirs. Mais, si l'on entend par matérialisme cet usage de l'esprit qui privilégie les conquêtes et les jouissances matérielles au détriment des choses proprement spirituelles (art, philo­so­phie, religion, etc...), il est bien certain que notre épo­que se fige dans un matérialisme destructeur.

Que signifie pour vous la notion de "culture populaire" ? N'y a-t-il pas une opposition entre ces deux termes ?

GTh: Il n'y a aucune opposition entre ces deux termes. La vraie culture n'est pas l'apanage des "intellectuels". Dans tou­te civilisation digne de ce nom, elle imprègne toutes les couches de la population par les traditions, les arts, les cou­tumes, la religion. Et c'est un signe grave de décadence que la disjonction entre l'instruction livresque et la culture populaire.

La notion d'ordre ne s'oppose-t-elle pas à une grande idée de l'homme ?

GTh: Là aussi, tout dépend de ce qu'on appelle l'ordre. Il y a l'ordre social, l'ordre moral, l'ordre divin etc... Et il arrive souvent que ces ordres entrent en conflit dans les faits. Exem­ple: Antigone représente le désordre par rapport à Créon, ignorant de la loi des Dieux, le Christ devant les Pha­risiens attachés à la lettre de la loi. Et la toute pre­mière idée de l'homme, sans rien négliger des formes infé­rieures de l'ordre, s'attache avant tout à l'ordre suprême où comme dit l'Apôtre: "On obéit à Dieu plutôt qu'aux hom­mes."

(Propos recueillis par © Xavier Cheneseau).