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mercredi, 03 mars 2021

L'Amérique est de retour : Biden bombarde comme Trump

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L'Amérique est de retour : Biden bombarde comme Trump

par Alberto Negri & Tommaso Di Francesco

Source : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it

Biden, personnage emblématique de certains des échecs internationaux des démocrates pendant les années Obama, accueille le pape en Irak en bombardant les milices chiites en Syrie. Un voyage au cours duquel le Pape Bergoglio devrait rencontrer le grand ayatollah Sistani qui, en 2014, a donné sa bénédiction aux milices chiites pour mener la lutte contre les coupeurs de têtes de l’Etat islamique.

Bien sûr, le monde est étrange. L'"espoir démocratique", le catholique Joe Biden, exactement comme Donald Trump, court aux armes et bombarde la Syrie, à la veille de la visite du pape en Irak le 5 mars. Un voyage au cours duquel le pape François devrait également rencontrer la plus haute autorité religieuse irakienne, le grand ayatollah Ali Sistani, qui en 2014 avait donné sa bénédiction aux milices chiites pour mener la lutte contre les coupeurs de têtes de l’Etat islamique, milices qui ont joué un rôle essentiel dans la libération de Mossoul, ville martyre musulmane et chrétienne que le pape devrait visiter dans quelques jours dans le cadre de sa mission en Irak.

Aujourd'hui, les raids américains risquent de nous démontrer voire de nous avertir urbi et orbi que le climat ne doit pas être exactement celui de la paix dans la région. Le monde est en effet étrange : l'ordre du jour ne devrait pas inscrire la guerre dans sa convocation mais plutôt l'urgence sanitaire vu le Covid 19. Et puis Biden n'a pas encore pris conscience du désastre de la démocratie américaine assaillie par des "terroristes internes" - comme il les a appelés - qui ont fait des ravages au Congrès. Le voilà qui commence déjà à se décharger de la crise interne en "exportant" la démocratie par les armes.

Cette fois, Biden frappe un peu au hasard, même s'il a tué plus de vingt personnes appartenant aux milices pro-chiites, celles qui ont soutenu Assad et le gouvernement irakien dans les opérations militaires qui ont conduit à la défaite du califat, qui est toujours dangereusement en action aux frontières entre la Syrie et l'Irak. L'année dernière, c'est Trump qui a frappé au Moyen-Orient en tuant le général iranien Qassem Soleimani à Bagdad, maintenant c'est Biden : mais on pouvait s'y attendre de la part d'un président qui, en 2003, a voté pour l'attaque de Bush Jr. contre l'Irak .

Biden est un type contradictoire. D'un côté, il souhaite reprendre les négociations avec Téhéran sur l'accord nucléaire de 2015 voulu par Obama et annulé par Trump en 2018, mais dans le même temps, il bombarde les alliés de l'Iran coupables, selon les Américains, de frapper leur base militaire en Irak et l'aéroport d'Erbil au Kurdistan irakien. Bien sûr, tout se passe sans la moindre preuve. Mais cela aussi fait partie de la "double norme" imposée au Moyen-Orient : les Américains et les Israéliens n'ont rien à prouver, ce qu'ils font est toujours juste.

C'est une bonne chose que Biden se soit présenté aux Européens comme le champion du multilatéralisme et des droits de l'homme en s'attaquant à la Russie et à la Chine : avec ces prémisses, il devrait au moins tuer par le truchement d’un drone le prince saoudien Mohammed bin Salman puisque, selon la CIA, celui-ci est derrière le meurtre du journaliste Khashoggi. Et pendant que nous attendons - mais cela va-t-il vraiment arriver ? - le rapport de la CIA qui le prouve, il y a des nouvelles d'un appel téléphonique "d'adoucissement" de Biden au roi Salman, pendant la nuit, sur les crimes de son fils et héritier.

Le Pacte d'Abraham entre Israël et les monarchies du Golfe, auquel le nouveau président, tout comme Trump avant lui, tient tant, pèse sur les bonnes intentions de Biden. Et on ne peut pas cacher le fait que Biden est l'une des figures emblématiques de certains des échecs internationaux des démocrates pendant les années où Obama, Hillary Clinton et Kerry ("M. Climat") tenaient les rênes du pouvoir aux Etats-Unis, alors qu'il était un vice-président connu surtout pour ses gaffes.

La preuve vivante de ces échecs est son propre homme fort, le général Lloyd J. Austin, l'actuel chef du Pentagone qui s'est dit hier confiant "que nous avons bien fait de frapper les milices chiites" qui, elles, nient toute implication dans les frappes en Irak. Devant le Sénat en 2015, le général Austin, alors commandant du CENTCOM, le commandement militaire du Moyen-Orient, a admis avoir dépensé 500 millions de dollars pour former et armer seulement quelques dizaines de miliciens syriens sur les 15.000 prévus pour combattre l’Etat islamique, qui, lui, s'est approprié toutes ces précieuses armes américaines.

Austin a également témoigné que le plan dit Timber Sycamore, géré par la CIA et doté d'un milliard de dollars, visant à évincer Assad du pouvoir, avait été lancé en Jordanie, puis décimé par les bombardements russes et annulé à la mi-2017.

Le général Austin a soulevé l'irritation et l'hilarité des Américains en découvrant une série d'échecs épouvantables dignes d'une république bananière. Mais il n'y a pas de quoi rire quand on pense à toutes les catastrophes que les États-Unis ont provoquées dans la région. Par exemple, la décision de retirer le contingent américain d'Irak : après avoir détruit un pays par des bombardements et par l'invasion de 2003 pour renverser Saddam Hussein - provoquant la fuite de millions d'êtres humains. Rappelons que cette invasion s’est déclenchée sur base de mensonges propagandistes concernant les armes de destruction massive de l'Irak. Washington a abandonné ce pauvre pays à son sort, sachant pertinemment qu'il n'avait pas les moyens de se débrouiller seul. Austin a suivi la politique d'Obama et de Clinton.

En 2014, l'Irak est submergé par la montée du califat qui, après avoir occupé Mossoul, la deuxième ville du pays, s'apprête à prendre également Bagdad : l'armée irakienne est en plein désarroi et c'est le général iranien Qassem Soleimani, avec des milices chiites, qui sauve la capitale. Et Soleimani a été tué par un drone américain à Bagdad. Pire encore : ce qui s'est passé en Syrie après le soulèvement de 2011 contre Assad. La guerre civile s'est rapidement transformée en guerre par procuration et les États-Unis, dirigés alors de facto par Hillary Clinton, ont donné le feu vert à Erdogan et aux monarchies du Golfe, dont le Qatar, pour soutenir les rebelles et les djihadistes qui étaient censés faire tomber le régime.

On sait comment cela s'est passé : les djihadistes ont envahi la Syrie puis ont inspiré plusieurs attentats à travers l'Europe mais Assad est toujours en place avec le soutien de l'Iran et surtout de la Russie de Poutine, entrée en guerre le 30 septembre 2015 en bombardant les régions de Homs et Hama. Quelques heures auparavant, Obama avait marqué son accord pour que Poutine agisse en Syrie en le rencontrant en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies à New York.

Dans cette histoire tissée de ratés, Biden a joué un rôle, même s'il ne fut pas le premier dans le spectacle: aujourd'hui, en Syrie, il joue à la fois le rôle du canardeur tout en accueillant le pape en claironnant un bruyant "bienvenue au Moyen-Orient".

La dangereuse stratégie USA-OTAN en Europe

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La dangereuse stratégie USA-OTAN en Europe

Par Manlio Dinucci

Source : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it

L'exercice OTAN Dynamic Manta de lutte anti-sous-marine se déroule en mer Ionienne du 22 février au 5 mars. Des navires, des sous-marins et des avions des États-Unis, d'Italie, de France, d'Allemagne, de Grèce, d'Espagne, de Belgique et de Turquie y participent. Les deux principales unités participant à cet exercice sont un sous-marin d'attaque nucléaire américain de la classe Los Angeles et le porte-avions français à propulsion nucléaire Charles de Gaulle et son groupement tactique, qui comprend également un sous-marin d'attaque nucléaire. Le Charles de Gaulle, immédiatement après, se rendra dans le golfe Persique.

L'Italie, qui participe à Dynamic Manta avec des navires et des sous-marins, est le "pays hôte" de l'ensemble de l'exercice : elle a mis à la disposition des forces participantes le port de Catane et la station d'hélicoptères de la marine à Catane, la base aéronavale de Sigonella (la plus grande base US/OTAN en Méditerranée) et la base logistique d'Augusta pour l'approvisionnement. Le but de l'exercice est de chasser les sous-marins russes en Méditerranée qui, selon l'OTAN, menacent l'Europe.

Ces mêmes jours, le porte-avions Eisenhower et son groupe de combat mènent des opérations dans l'Atlantique pour "démontrer le soutien militaire continu des États-Unis aux alliés et leur engagement à maintenir les mers libres et ouvertes". Ces opérations - menées par la sixième flotte, dont le commandement est à Naples et la base à Gaeta - s'inscrivent dans la stratégie énoncée notamment par l'amiral Foggo, ancien chef du commandement de l'OTAN à Naples : accusant la Russie de vouloir couler les navires reliant les deux côtés de l'Atlantique avec ses sous-marins, afin d'isoler l'Europe des États-Unis, il soutient que l'OTAN doit se préparer à la "quatrième bataille de l'Atlantique", après celles des deux guerres mondiales et de la guerre froide.

Pendant que des exercices navals sont en cours, des bombardiers stratégiques B-1, transférés du Texas à la Norvège, effectuent des "missions" à proximité du territoire russe, avec des avions de chasse F-35 norvégiens, pour "démontrer l'état de préparation des États-Unis et leur capacité à soutenir leurs alliés".

Les opérations militaires en Europe et dans les mers adjacentes sont menées sous le commandement du général Tod Wolters, de l'armée de l'air américaine, qui est à la tête du Commandement américain en Europe et en même temps de l'OTAN, le poste de commandant suprême des forces alliées en Europe revenant toujours à un général américain.

Toutes ces opérations militaires sont officiellement motivées par la "défense de l'Europe contre l'agression russe", inversant la réalité : c'est l'OTAN qui s'est étendue en Europe, avec ses forces et ses bases, y compris nucléaires, derrière la Russie. Lors du Conseil européen du 26 février, le secrétaire général de l'OTAN, M. Stoltenberg, a déclaré que "les menaces auxquelles nous étions confrontés avant la pandémie sont toujours là", mettant en avant "les actions agressives de la Russie" et, en arrière-plan, une menace de "montée de la Chine".

Il a ensuite souligné la nécessité de renforcer le lien transatlantique entre les États-Unis et l'Europe, comme le souhaite vivement la nouvelle administration Biden, en faisant passer la coopération UE-OTAN à un niveau supérieur. Plus de 90 % des habitants de l'Union européenne, a-t-il rappelé, vivent aujourd'hui dans des pays de l'OTAN (dont font partie 21 des 27 pays de l'UE). Le Conseil européen a réaffirmé "l'engagement de coopérer étroitement avec l'OTAN et la nouvelle administration Biden en matière de sécurité et de défense", rendant ainsi l'UE militairement plus forte.

Comme l'a souligné le Premier ministre italien Mario Draghi dans son discours, ce renforcement doit se faire dans un cadre de complémentarité avec l'OTAN et de coordination avec les États-Unis. Le renforcement militaire de l'UE doit donc être complémentaire de celui de l'OTAN, qui, à son tour, est complémentaire de la stratégie américaine. Elle consiste en fait à provoquer des tensions croissantes en Europe avec la Russie, de manière à accroître l'influence des États-Unis dans l'Union européenne elle-même.

Un jeu de plus en plus dangereux, car il pousse la Russie à se renforcer militairement, et de plus en plus coûteux. Ceci est confirmé par le fait qu'en 2020, au plus fort de la crise, les dépenses militaires italiennes sont passées de la 13e à la 12e place dans le monde, dépassant ainsi celles de l'Australie.

L’islamo-gauchisme, les limites d'une alliance

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L’islamo-gauchisme, les limites d'une alliance

Par Franck BULEUX

Ex: https://metainfos.com

L’expression « islamo-gauchisme » a fait son apparition dans les médias mainstream. Je l’évoque dans mon essai La guerre sociale qui vient (Éditions Dualpha, 2020) mais il était, jusqu’à l’intervention de la ministre, politiquement incorrect de suggérer l’existence de cette alliance, au moins sémantique, au-delà des cercles classés à droite de la droite. Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, a le mérite d’avoir soulevé la réalité des faits et fait révéler les soutiens de cette mouvance politico-religieuse au moins au cœur des universités françaises.

Car l’intérêt premier de cette affaire est le suivant : de l’absence de reconnaissance du concept, nous sommes passés à la liste des « pratiquants », tous ces pétitionnaires qui se sont dévoilés pour exiger (sic) la démission de la ministre. Donc, l’islamo-gauchisme existe puisqu’il a touché des « chercheurs » ou, plus exactement, des enseignants, c’est-à-dire des personnes qui délivrent une parole écoutée des futurs cadres de la France.

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Frédérique Vidal dénonce « le militantisme » de certains qui privilégient « l’opinion » sur « la recherche ». Il sera difficile de donner une stricte définition à cette « alliance » qui recouvre, dans la réalité, le fait pour des intellectuels d’extrême gauche, à la Plenel, d’utiliser l’Islam comme « la religion des prolétaires » du monde. En contrepartie, la défense systématique du port du voile dans les universités semble s’opposer dans les établissements scolaires avant le baccalauréat…

L’islamo-gauchisme revient, si nous devions utiliser les termes de cette mouvance, aux dérives du colonialisme tant décrié : ce sont des Blancs (pour la plupart) qui manipulent des populations d’origine immigrée dans le but de résister à toute intégration ou, pire, assimilation. Le nobliau du Vivarais Geoffroy Daniel de Lagasnerie, figure de la nouvelle gauche radicale, théorise ses concepts décoloniaux en faveur des populations « racisées « et la famille Traoré, emmenée par Assa, égérie du pavé parisien, rameute les troupes, y compris d’ailleurs pendant les périodes de restriction des libertés dues à la crise sanitaire. Il doit y avoir une impunité dans certaines situations. Ce partage des tâches est saisissant, il y a les penseurs et les marcheurs. Dès le milieu des années 1990, l’Organisation communiste international (OCI) avaient théorisé cette alliance et dès le début des années 2000, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) de Besancenot et Krivine présentait des femmes voilées aux élections. Pas parce qu’elles étaient femmes mais parce qu’elles étaient voilées.

Couv-Revue-des-Deux-Mondes-octobre-2018-645x1024.jpgL’extrême gauche culturelle ne sait plus, ne peut plus mobiliser un Mai-68. En revanche, elle peut renvoyer une identité magnifiée à des populations dont l’existence varie entre la mosquée, les produits stupéfiants (qui viennent du « bled ») et le Mac-Do.

Sur le fond, que révèle cet alliage « islamo-gauchiste » ? Outre la stratégie d’une certaine gauche de mobiliser des populations, y compris lors des élections pour « faire barrage » aux candidats considérés comme « trop à droite », cet amalgame politique nous montre la faiblesse d’une idéologie que les Français ont tendance à surestimer, du fait de l’impunité que procure, à certains, le dispositif législatif.

Car s’il est plausible de comprendre les nouvelles « lumières » de cette gauche, dont le but n’a été de cesse de mettre à bas les valeurs traditionnelles (celles de l’Occident), il est plus complexe de s’interroger sur l’Islam. Ce mouvement conquérant (sic) ne serait plus que le porteur d’eau d’intellectuels en manque de résonnance. L’islam n’aurait de valeur que dans le nombre, la force (certes essentielle) de la démographie qui, peu à peu, livre nos quartiers à des bandes mettant en place des systèmes de valeurs en contradiction avec la parité femmes-hommes ou l’égalité des enfants au sein des foyers ou bien encore la liberté du choix du conjoint…

L’Islam comme symbole du prolétariat ? Qu’en pensent le protégé des États-Unis, Mohammed ben Salmane, prince héritier d’Arabie Saoudite ou le Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar qui pratique l’islamo-sportif de manière ostentatoire ?

Le prolétariat est bien porté sur les maillots des joueurs du Paris-Saint-Germain. Cette simple démonstration pose les limites de cette engeance « islamo-gauchiste ». L’islamo-gauchisme ne se veut que le fer de lance de l’ethno-masochisme européen (blanc si vous préférez, les États-Unis n’étant qu’une excroissance européenne en matière de population). Notre faiblesse nourrit leur force.

VALEURS-ACTUELLES-ISLAMO-GAUCHISME.jpgAu-delà de cet état des lieux, que révèle cette controverse de l’Islam à part la faiblesse intrinsèque de cette idéologie politico-religieuse ? Sans l’appui des forces progressistes et surtout la protection des lois (l’islamophobie, c’est-à-dire la peur d’une religion est en train de devenir un délit…), l’Islam serait une identité limitée à des croyances archaïques.

Un dernier point sur une affaire sur laquelle nous ne manquerons pas de revenir : les universitaires d’extrême gauche ont retrouvé un prolétariat et on peut penser qu’ils militeront pour la « discrimination positive », pour développer leur présence au sein des universités (ce sont les Blancs qui préparent des CAP ou des brevets professionnels, vous savez l’électorat de Le Pen…) mais ce que nos universitaires oublient, c’est le principe du « renvoi de l’ascenseur ». Dans l’islamo-gauchisme, il y a ceux qui essaient de rester sur le devant de la scène et ceux qui veulent conquérir les corps (et les esprits). Entre islam et gauchisme, il est probable qu’à terme, l’un des deux termes sera de trop et le voile se porte mieux, dans les quartiers sensibles, que l’épinglette de Trotski. C’est ainsi et à terme, les gauchistes devront eux-aussi céder leur place, les homos rentrer dans leur placard mais le romancier Michel Houellebecq n’avait-il pas déjà tout prédit avec d’avance ?… 

En complément :

L’Europe comme troisième voie

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L’Europe comme troisième voie

par Georges FELTIN-TRACOL

En ce premier quart du XXIe siècle, le projet européen ne passionne guère les jeunes; il n’enthousiasme plus les anciens; il indispose les peuples. Son évocation ne suscite que sarcasmes, critiques, agacements et indifférences. La crise sanitaire covidienne révèle les dysfonctionnements initiaux majeurs de son union marchande, dépolitisée et moralisante. Déclassée en économie, en sciences et dans les techniques de pointe, cet ensemble bureaucratique déclinant fidèle aux dogmes éculés du libre-échange global et infesté par les lobbies prend chaque jour un peu plus l’aspect d’un asile psychiatrique peu rutilant, ce qui n’empêche pas l’afflux croissant de masses envieuses de l’ancien Tiers Monde.

Certains répliquent à cette décadence manifeste en prônant d’abord une sortie nationale, puis ensuite la formation d’une Europe des États, des patries, des nations, voire des régions économiques. Cette option est vaine, car perdurent encore les filaments d’une civilisation inestimable qui souffre d’une longue et pénible dormition. L’Europe reste en outre la patrie de nos nations, de nos peuples et de nos terroirs. Sa survie conditionne leur existence, leur pérennité et leur avenir.

Le réveil européen ne passera que par l’avènement de son propre grand espace. Il ne correspondra ni à l’actuel grand espace occidental euro-américain qui s’articule autour de l’Alliance Atlantique et de son bras armé, l’OTAN, ni au grand espace eurasiatique, voire eurasien, en cours de constitution par le biais de la coopération entre Moscou et Pékin. Le renouveau européen ne proviendra ni d’une intégration militaire, économique et technique en cours tournée vers une pensée liquide propice aux surfaces océaniques, ni d’un ralliement bancal au seul horizon terrestre « steppien ».

Devant l’échec patent de la sociale-démocratie, du libéralisme social et du progressisme pragmatique, les Européens soucieux du bien commun, de l’intérêt général et de l’esprit européen se doivent de bâtir un grand foyer continental considéré comme un projet civilisationnel de puissance. Cette grande ambition nécessite la redécouverte politique, sociale, économique et géopolitique d’un non-alignement fondamental, d’un dépassement des oppositions désuètes. Au slogan politique « ni droite ni gauche » doivent désormais s’ajouter le mot d’ordre socio-économique « ni collectivisme ni individualisme », et l’orientation géopolitique « ni Est ni Ouest » (ou mieux encore « et Terre et Mer » du fait de la configuration côtière complexe de ce « petit cap de l’immense Eurasie »), soit les fondements d’une vision du monde découlant de la troisième voie.

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On retrouve ce riche concept sous des formulations socio-historiques et politiques variées dans maintes sociétés européennes. Plus qu’une position attentiste ou qu’un parti-pris vaguement « neutraliste », l’Europe envisagée en tant que troisième voie intégrale se veut une réaction à la segmentation technicienne de la vie quotidienne, son artificialisation, aux affres toujours plus brutales du « spectaculaire intégré » et à l’occultation encouragée des différences essentielles au profit de différences superficielles égotiques. La troisième voie européenne se comprend principalement comme une prise en compte de la mesure à l’aune d’un être enchâssé dans ses communautés d’appartenance charnelles, historiques, professionnelles et territoriales qu’il doit d’ailleurs retrouver, réhabiliter et fructifier.

Se revendiquer de la mesure n’implique cependant pas de végéter dans la torpeur (ou dans la tiédeur), de gesticuler avec fébrilité à la première occasion ou de lancer des propos péremptoires à la face du monde. L’attachement à la mesure dans une perspective clairement tercériste suppose plutôt d’investir la notion dans tous les champs possibles de l’existence humaine. Par exemple, refuser le mondialisme et l’État-nation pour insister sur le principe de l’Empire, soutenir l’essor des entreprises coopératives, la participation des travailleurs au destin de leur communauté de production, l’affranchissement des producteurs de la tyrannie du salariat, la mise en place au-delà du parlementarisme, du présidentialisme et de la partitocratie d’institutions novatrices avant-gardistes, associant rigueur aristocratique et aspirations populaires.

Des plans Fouchet de 1961 – 1962 à l’Initiative des Trois-Mers sans oublier le Groupe de Visegrad et les tentatives eurafricaines, bien des essais de troisième voie parsèment l’histoire européenne. Faute d’une dynamique suffisante et d’une élite préparée, tous ces plans ont échoué. Près du Minuit de leur devenir commun, seuls des Européens convaincus peuvent provoquer une nouvelle aurore civilisationnelle, une aube hespériale, en confrontant leur époque et les défis qu’elle charrie aux exigences de la réflexion, de la persévérance et de l’action.

Georges Feltin-Tracol

• D’abord mis en ligne sur Vox NR, le 9 février 2021.

"Survivre à la guerre économique" avec Olivier de Maison Rouge

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"Survivre à la guerre économique" avec Olivier de Maison Rouge

"La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde". Ces mots du président Mitterrand n'avaient rien d'une fable, la guerre économique et bien là et elle est totale. C'est ce qu'a voulu démontrer maître Olivier de Maison Rouge dans son ouvrage "Survivre à la guerre économique - Manuel de résilience" publié chez VA Editions. Il revient sur les principales attaques de "l'allié américain" : Prism, Alstom... sur la politique de censure des GAFAM, le grand Big Brother et décrit les contours de la politique publique de sécurité économique dont la France s'est dotée en 2019 pour tenter de survivre face à Washington.
 
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Rémi Soulié évoque « Les Métamorphoses d’Hermès »

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Rémi Soulié évoque « Les Métamorphoses d’Hermès »

Entretien

Ex: https://www.breizh-info.com

Qui ne connaît pas Hermès, fils de Zeus et de la nymphe Maïa, protecteur des voyageurs et des voleurs, messager des dieux ? Son association au logos, au discours raisonné, est en revanche moins connue, bien qu’elle soit nécessaire à son rôle de messager. C’est cette facette méconnue que Rémi Soulié, dans un livre intitulé Les Métamorphoses d’Hermès paru aux éditions La Nouvelle Librairie (collection Longue mémoire de l’Institut Iliade) s’attache à révéler et à expliquer. Dieu d’une connaissance sacrée et voilée, Hermès donne son nom à l’hermétisme, doctrine ésotérique particulièrement utilisée par les alchimistes, et à l’herméneutique, science du déchiffrement et de l’interprétation de textes.

Pour partir à la rencontre d’Hermès avant que vous ne vous penchiez dessus plus en détail dans l’ouvrage (à commander ici), nous avons interviewé Rémi Soulié.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Rémi Soulié : C’est pour votre serviteur un exercice plus difficile qu’il n’y paraît ! Disons que je suis écrivain et philosophe, que j’ai publié une dizaine de livres dont le dernier s’intitule Racination et qu’il a paru en 2018 aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux. Comme vous êtes également « enracinés », je précise que la question de l’enracinement traverse tous mes livres, qu’elle en est même la trame et…que j’étais cet été dans votre pays breton, que j’aime beaucoup, sur les traces de Saint-Pol-Roux, Georges Perros et Xavier Grall (après avoir vécu une curieuse expérience, il y a quelques années, à la Fontaine de Barenton, sur laquelle s’« ouvre » mon prochain livre, L’Éther – où il sera question de l’unité de l’enracinement terrestre et céleste.) Mon pays est occitan, c’est le Rouergue – lequel correspond, à quelques paroisses près, à l’actuel département de l’Aveyron. Il occupe une grande place dans mes livres, qu’elle soit centrale ou « disséminée ».

Au moment de vous répondre, je songe également que La Nouvelle Librairie réédite bientôt L’Ile aux trente cercueils, de Maurice Leblanc, que j’ai eu le plaisir et l’honneur de préfacer : il y est question de la Bretagne, des Celtes et de l’Europe. Arsène Lupin y est rendu à lui-même, contre les manipulations en cours.

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Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au personnage mythologique d’Hermès ? Qui est-il ?

Rémi Soulié : Je me suis intéressé à Hermès à partir de la pensée hermétique, sur laquelle je reviendrai.

A mes yeux, il est moins un « personnage mythologique », au sens où nous entendons aujourd’hui cette formule, qu’un dieu grec (mais pas « seulement ») et je fais partie de ceux pour qui les dieux ne sont pas morts. Je veux dire par là que le « Dieu est mort » de Nietzsche – constat de décès indubitable – s’applique au dieu moral et, pour une part, au dieu unique, mais que le divin, si crépusculaire soit-il, demeure. Au fond, c’est surtout nous qui sommes crépusculaires, nous, les derniers hommes, les tard venus, qui avons perdu la vue et l’ouïe au point de ne plus voir la merveille du monde, il est vrai recouverte par les monceaux d’ordures de l’industrialisme et du capitalisme planétaires.

Cet été, j’ai donc été me recueillir sur la tombe de Saint-Pol-Roux et de sa fille Divine – sans commentaire… – puis je me suis rendu sur les ruines de son manoir. Je peux vous dire que les dieux étaient là, comme ils étaient à Ouessant, où je me suis rendu quelques jours plus tard. Pour de très nombreuses raisons, la Bretagne est une terre sacrée.

Mais revenons à Hermès, quoique nous ne l’ayons quitté qu’en apparence. Traditionnellement associé aux échanges, il est un dieu de l’entre-deux, un dieu messager et intercesseur dont les ailes lui permettent d’aller et de venir des dieux aux mortels, de l’Empyrée aux Enfers, en particulier pour porter la parole de Zeus. En tant quel tel, il détient une connaissance, un savoir, un pouvoir d’ « in-formation », ce qui ouvre le champ des formes, donc, de la métaphysique. Espiègle, joueur, rieur, il ne nous élève pas moins vers les sommets. En serviteur inutile, j’ai voulu contribuer à l’« arracher » à ceux qui voudraient en faire le dieu de la « communication », au sens moderne, qui est donc l’autre nom de la surdité et de la cécité. Hermès ouvre à l’épaisseur mystérieuse des mondes. Comme Hamlet, avec qui il partage la même initiale, il sait qu’il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel que n’en rêve notre philosophie. D’ailleurs, le H a la forme d’une échelle, qu’elle soit de Jacob, de S. Jean Climaque ou de Dame Alchimie, et une échelle, ça se monte et ça se descend. Les Modernes, eux, vivent dans la seule dimension d’une horizontalité qu’ils pensent, sans rire, égalitaire. Un peu plus de H, pour la route – de H et d’Héros : ceux de Hiérarchies, Hiérogamies…

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Breizh-info.com : Qu’est-ce que l’herméneutique ? L’hermétisme ?

Rémi Soulié : L’herméneutique est l’art de l’interprétation des signes que j’entends, ultimement, comme symboles. Autrement dit, il est l’art de voir l’esprit vivant sous la lettre morte, qui est l’autre nom de la pensée. L’hermétisme, quant à lui, permet de comprendre qu’en fait, la lettre et l’esprit ne s’opposent pas, qu’ils sont l’un et l’autre prodigieusement vivants, qu’ils s’interpénètrent comme l’âme et le corps en un ensemble subtil, sub-tela, sous la toile, sous le tissu, sous le textile, donc, sous le texte du monde, auquel il est le répons. Nous lui avons substitué, en parodistes, l’écriture juridique, l’écriture morte d’une langue morte. Aux herméneutes (aux poètes, si vous préférez) s’est substituée ce que Péguy appelait l’« avocasserie ». Les Modernes se gargarisent de l’inflation des lois écrites, comme dans toutes les époques de très grande corruption, or, les lois et les règlements modernes sont de la mort en barre : le juridisme embaume un ordre mort, celui de l’État de droit. Partout, le mécanique s’est substitué à l’organique. Cette horreur contractuelle est d’ailleurs logique puisque nous sommes des cadavres qui, en ayant perdu le symbole, avons perdu la vie. Nous sommes quelques-uns à être éveillés, à être sortis de la Matrice, mais un trop grand nombre de nos contemporains a encore le sommeil lourd et prend le cauchemar pour un rêve – c’est vous dire à quels points ils dorment debout. A leur décharge, l’hypnose spectaculaire est incessante… Notre ascèse consiste à nous situer au plus près du réel, du pays réel, du pays des merveilles, comme Alice. L’enfance, en effet, a toujours raison. L’Hermès de l’Hymne homérique est bien entendu un dieu enfant. Il ne faut jamais croire les « grandes personnes », comme disait Bernanos. Les « vieux » mentent (d’où leur grimage « jeuniste »). En ce qui me concerne, je tends à l’Imitation du Ravi de la crèche, de l’Idiot du village planétaire, du Simplet de Blanche-Neige (le nom de ce conte – il faut toujours en revenir aux contes – est d’ailleurs devenu intolérable ; quel racisme ! De ce point de vue, relisons Patrouille du conte, de Pierre Gripari qui, comme tous les grands écrivains, fut un visionnaire). Je pourrais aussi bien évoquer les Gens du blâme, les Fols en Christ ou le Fou du tarot. Chaque fois que je croise un technocrate ou un oligarque, je rigole. Dèmos Roi est à poil et il ne le voit pas. La démocratie libérale requiert une pataphysique. C’est un nouveau chantier, très exaltant.

Breizh-info.com : En quoi est-il nécessaire de se replonger dans notre mythologie, à l’heure actuelle, pour avancer ?

Rémi Soulié : Il faut en effet renouer avec le mythe qu’une raison étriquée a trop longtemps relégué, sinon, à l’enfance de l’humanité (le « raisonneur métis », comme disait Gobineau, est progressiste), du moins, à des balbutiements prélogiques, pré-rationnels ou magiques alors que le mythe, pour parler un langage hégélien, est la révélation de l’Esprit à lui-même, donc, à nous-mêmes. Le démocrate déconstructeur et déconstruit, qui passe donc son temps à « se reconstruire », bricole du sens provisoire pour ne pas se tuer alors que le sens est prodigalement et prodigieusement donné. C’est un cadeau, un don, un présent, le présent du présent en quelque sorte, qui est l’éternité même, et même l’Ethernité, comme dirait le Docteur Faustroll. Les petites subjectivités électorales-stercorales n’en connaissent que la parodie démoniaque. Seul compte le Graal, vous le savez bien. La chevalerie est le seul souci politique.

Le mythe excède donc l’usage instrumental de la petite rationalité technique moderne. Comme tel, il est le poème accompli de la vie et du sens dévoilé – plus que « révélé », d’ailleurs, car il excède également les religions dites du salut et leurs révélations historiques plus ou moins concurrentes, juive, chrétienne, arabo-islamique. Le mythe les englobe et les dépasse comme il englobe et dépasse l’Histoire dite sainte. Quel paradoxe de l’avoir associé à la fabulation supposée des fables alors qu’il est le juste chant harmonieux de l’Âme du Monde, le chant des Muses ! Combien notre monde spectaculaire de toc, de stuc et de kitsch est-il inconsistant comparativement à cette Grande parole !

Breizh-info.com : Vous avez donc publié Racination, en 2018, chez Pierre Guillaume de Roux, disparu il y a peu. Un commentaire sur sa disparition ?

Si vous le permettez, vous pouvez indiquer à vos lecteurs le site d’Éléments, où je me suis exprimé, avec d’autres, sur cette terrible et douloureuse nouvelle : https://www.revue-elements.com/pierre-guillaume-de-roux-c...

Je connaissais Pierre-Guillaume de Roux depuis plus de vingt ans, depuis la publication de mon deuxième livre, consacré à son père, Dominique de Roux. Nous avons échangé des mails trois jours avant son décès. Élégant jusqu’au bout, enthousiaste et jovial, il n’a rien laissé paraître. Je pleure, comme tous ses amis, un homme intègre, droit, rigoureux, acharné à défendre l’idée qu’il se faisait de la littérature jusqu’à l’héroïsme, tant la situation économique était difficile. Comme toujours, on ne mesurera pleinement que dans quelques années ce que fut son œuvre. Hors le courage et le goût, sa plus grande qualité fut peut-être la discrétion. Pierre-Guillaume de Roux travaillait ; il « ne la ramenait pas », comme tous les grands. Cela ne vous étonnera pas : il dort à Avallon, à Avalon, où ces deux ailes l’ont emporté.

Propos recueillis par YV

Photo d’illustration : DR
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