Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 15 décembre 2024

Parution du numéro 479 du Bulletin célinien

louis-ferdinand-celine.jpeg

Parution du numéro 479 du Bulletin célinien

Sommaire :

“Chimiste le matin, écrivain l’après-midi, docteur le soir” 

In memoriam François Löchen [2004 – 2024]

2024-12-BC-Cover.jpg

Bien-pensance

Voici un livre qui ne risque pas de susciter le scandale. C’est qu’il se situe résolument dans le camp du Bien. Tout a commencé, nous dit Jérôme Garcin, dans les années 80 lorsqu’il s’irrita d’une certaine fascination du public  et  du milieu éditorial pour les écrivains collabos. Il s’agit alors de faire contrepoids en valorisant les écrivains qui, pendant les années noires, firent le bon choix. D’autant, déplorait-il, qu’ils n’étaient plus lus car non réédités. Ainsi écrira-t-il un hommage à Jean Prévost, mort les armes à la main dans le maquis du Vercors, puis un autre à Jacques Lusseyran, étudiant résistant. 
 
Dans une  récente  interview,  il déclare  que  Decour, Prévost et Lusseyran sont  ses “auteurs de chevet ”. Leurs livres seraient donc ceux qui ont sa préférence et qu’il relit souvent – ce qui est la définition même du livre de chevet ? Il est juste de rendre hommage à ces personnes dignes d’admiration pour leur courage et leur sacrifice. Et je veux bien admettre qu’ils ont écrit chacun l’un ou l’autre ouvrage de valeur. Mais que pèsent-ils littérairement face à Céline, Morand, Drieu et même Chardonne ?  Sans parler du Rebatet des Deux étendards… Il faut admettre que le constat doit être pénible pour ces critiques bien-pensants devant se résoudre à l’idée que, dans ces années-là, le talent était à droite, et parfois même très à droite.
 

122975_c5b8eb1b654ac65a1a7e8100953a9f2d.jpeg

Au grand dam de Garcin, ce sont ces auteurs-là qui suscitent des biographies et de savantes exégèses, en plus d’être édités, pour les plus grands d’entre eux, sur papier bible. C’est que la Bibliothèque de la Pléiade n’est pas la bibliothèque rose et qu’un écrivain ne peut être réduit à son engagement politique. Je connais mal l’œuvre de Prévost, Decour et Lusseyran mais je ne suis pas certain de trouver chez eux les bonheurs d’expression manifestant un art stylistique comparable à celui de ces écrivains maudits.
 
Lorsque Drieu est entré dans la Pléiade, un historien a dénoncé une tentative de « réévaluer le fascisme français » tandis qu’un autre tança Gallimard pour « cette tradition de publier des auteurs sulfureux ». Tout cela est dérisoire. En matière littéraire, le seul critère décisif est le talent, que l’on soit stalinien, comme Aragon ou Vailland, – ou fasciste. On est gêné de rappeler une telle évidence. Par ailleurs Garcin ne craint pas d’énoncer des contrevérités. Ainsi lorsqu’il affirme que Céline s’est renié, reprenant l’antienne des ultras de la collaboration qui le vouèrent aux gémonies à la parution de D’un  château l’autre. Il suffit de relire les entretiens accordés à Dumayet, Zbinden et Parinaud pour voir qu’il n’en est rien. Garcin estime aussi que De Gaulle a eu tort de ne pas gracier Brasillach. On se dit alors qu’en étant hostile à la peine de mort, il demeure fidèle à ses convictions humanistes. Pas du tout : son seul regret est que cette mort en ait fait un “martyr de l’épuration ”. Au moins concède-t-il que, si l’on s’intéresse à la littérature, on ne peut pas ne pas lire Céline même si ses romans sont parsemés de propos choquants, voire odieux. Constat qui amène une universitaire à le bannir de ses cours : « Nous sommes nombreux à choisir de ne pas l’enseigner car les paroles haineuses de Céline ne se lisent pas que dans ses pamphlets ¹. »

• Jérôme GARCIN, Des mots et des actes (Les belles-lettres sous l’Occupation), Gallimard, coll. “La part des autres”, 2024, 166 p. (18,50 €)

  1. (1) Tiphaine Samoyault, Le Monde, 11 janvier 2018. Citée par Gisèle Sapiro in Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur, Le Seuil, coll. “Points”, 2024 [édition augmentée], p. 38.

Du régime primo-ministériel

cf85850291b3dd93df564c8191044341.jpg

Du régime primo-ministériel

par Georges Feltin-Tracol

Les étudiants en droit constitutionnel apprennent très tôt la classification habituelle des modes de relations entre l’exécutif et le législatif, à savoir les régimes parlementaire, présidentiel et d’assemblée.

Originaire d’Angleterre, le régime parlementaire évoque leur collaboration. Le chef de l’État occupe un rôle protocolaire. La réalité du gouvernement en revient à son chef nommé premier ministre (Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, Danemark), président du gouvernement (Espagne), chancelier (Allemagne et Autriche), ministre-président (Hongrie) ou président du Conseil (Italie et Pologne). Il anime une équipe soumise à la solidarité ministérielle et responsable devant le législatif. Dans ce régime, le gouvernement soutenu par une majorité assume la plénitude de l’action politique et législative. Une motion de censure ou un vote de défiance constructive peut par conséquent le renverser. En contrepartie, le gouvernement dispose du droit de dissolution.

Pratiqué surtout aux États-Unis d’Amérique, le régime présidentiel exprime la séparation entre l’exécutif et le législatif. Chef de l’État et chef du gouvernement en même temps - mais pas toujours ! -, le président nomme et révoque des ministres qui ne sont pas tenus à la solidarité gouvernementale et qui sont irresponsables devant le Congrès. Il ne peut dissoudre un Congrès qui n’a pas la compétence de censurer le gouvernement. Des discussions incessantes se déroulent entre les deux pôles pour l’adoption du budget et des lois.

cb6140d5fe51c4252cee2a969a617877.jpg

Pratiqué sous la Révolution entre 1793 et 1795, mais remontant au Moyen Âge, le régime d’assemblée concerne aujourd’hui la Suisse. Il s’agit d’une confusion institutionnelle. Le législatif exerce une prépondérance politique sur un exécutif collégial dont les membres n’ont pas la possibilité de démissionner, et qui applique les décisions parlementaires. Les démocraties populaires de l’ancien bloc soviétique pratiquaient officiellement ce type de régime puisqu’en URSS, le président du présidium du Soviet suprême avait rang de chef de l’État. Le fonctionnement des conseils municipaux, départementaux et régionaux en France s’en apparente puisque l’exécutif procède du législatif.

26975470228f0c3d18d701707f51149d.jpg

Or la seconde moitié du XXe siècle remet en question cette typologie classique avec l’émergence de deux autres modes institutionnelles de relations. Maints États latino-américains, asiatiques et africains adoptent le présidentialisme, c’est-à-dire la suprématie de l’exécutif sur le législatif. Le chef de l’État dispose de prérogatives supérieures au seul régime présidentiel (initiative des lois, pouvoir de dissolution, fixation de l’ordre du jour de l’assemblée, possibilité d’arrêter le budget à l’occasion par décret). L’Allemagne de Weimar (1919 – 1933) et l’Autriche sont des exemples de présidentialisme parlementaire. La Ve République française est un autre cas spécifique de régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire. L’équilibre repose sur le cumul des seuls éléments propices au régime présidentiel favorables à l’exécutif avec certains mécanismes du régime parlementaire avantageux pour le législatif si ne s’applique pas le fait majoritaire. Les trois cohabitations (1986 – 1988, 1993 – 1995 et 1997 – 2002) et l’actuelle séquence ouverte au lendemain de la dissolution du 9 juin 2024 confirment la tendance parlementaire du texte de 1958. La chute du gouvernement de Michel Barnier, le mercredi 4 décembre 2024, une première depuis le 4 octobre 1962 et le précédent de Georges Pompidou, en administre la preuve éclatante. Cependant perdure un tropisme présidentiel qui se vérifierait certainement à travers le recours de l’article 16 afin d’adopter le budget et le financement de la Sécurité sociale sans omettre une prochaine inclination autoritariste assumée avec une restriction éventuelle des libertés publiques.

Chef du gouvernement italien depuis le 22 octobre 2022, Giorgia Meloni propose pour sa part une révision majeure de la Constitution de 1948. Son projet prévoit l’élection au suffrage universel direct du président du Conseil et l’interdiction faite aux groupes parlementaires de changer de coalition gouvernementale en cours de législature. Si cette révision audacieuse aboutit, l’Italie quitterait le strict régime parlementaire pour devenir un régime primo-ministériel. Mais la péninsule italienne ne serait pas la première à le pratiquer. On oublie en effet qu’entre 1996 et 2001, le Premier ministre de l’État d’Israël était élu au suffrage universel direct. Cette forme de désignation devait contrecarrer la fragmentation politique à la Knesset. Très vite, la mesure n’apporta aucune stabilité si bien qu’une nouvelle loi constitutionnelle revint à l’ancienne pratique en vigueur depuis 1948, à savoir la nomination du Premier ministre. Rappelons qu’Israël est l’un des États à ne pas avoir de constitution formelle écrite. Le régime primo-ministériel correspond en partie au régime présidentialiste turc. La démission du président turc provoquerait la dissolution immédiate de la Grande Assemblée nationale et réciproquement.

8e619937a4a2229d2ca2f6346819e617.jpg

Dans le cadre primo-ministériel, le jour des élections législatives, on peut imaginer que les électeurs disposeraient de deux bulletins, l’un pour élire le député, l’autre le candidat au poste de premier ministre. Ce dernier pourrait-il être candidat dans une circonscription ou sur une liste ? Faudrait-il qu’il y ait un ou deux tours de scrutin ? Qu’un vice-premier ministre puisse le remplacer en cas de maladie, de démission ou d’autre désignation ? Il y aurait en revanche une synchronicité parfaite entre l’exécutif et le législatif. Si l’Assemblée nationale censure le gouvernement, elle est aussitôt dissoute et le premier ministre se représenterait devant les électeurs.

Dans un tel régime, le chef de l’État n’exercerait qu’une fonction honorifique. Monarque héréditaire ou président élu au suffrage universel indirect, gage d’un arbitrage effectif au-dessus des partis, il perdrait au profit du chef du gouvernement la responsabilité de la défense nationale et de l’autorité sur les forces armées. Giorgia Meloni parviendra-t-elle à changer l’actuelle constitution italienne ? L’échec du référendum constitutionnel du 4 décembre 2016 voulu par Matteo Renzi demeure dans les mémoires. Toutefois, la prochaine réforme constitutionnelle ne serait-elle pas plutôt d’élire directement les ministres comme c’est déjà le cas depuis assez longtemps dans différents cantons de la Confédération helvétique ?

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 137, mise en ligne le 12 décembre 2024 sur Radio Méridien Zéro.

Daniel Habrekorn ou la cause poétique

1200px-Daniel_Habrekorn.jpg

Daniel Habrekorn ou la cause poétique

Entretien: propos recueillis par Frédéric Andreu 

Daniel Habrekorn a publié une quinzaine de recueils de poèmes. Semeur de la bonne parole, il distribue les dépliants de ses ouvrages dans les cercles littéraires de Paris. Dandy baudelairien de la vie parisienne ou vrai militant de la cause poétique, qui est Daniel Habrekorn ?

Partons à la rencontre du poète à travers sept questions. Secrètes, discrètes et indiscrètes. - Celles qu'un poète pose à un autre poète.

I : « Militant de la cause poétique ». L'expression est-elle idoine à vous décrire ?

Pourquoi pas, cependant, comme vous le savez, la meilleure façon de défendre la « cause poétique » est d’être poète, de vivre la poésie. Quant à moi je n’ai pas écrit que des recueils de poèmes, mais des livres d’humour comme le Petit dictionnaire de l’hypocrisie, Mes biographies,  Les splendeurs du progrès, ou encore Flore & bestiaire imaginaires. Dans tous les cas j’ai cherché à m’approcher de ce que j’appellerais l’humour lyrique qui n’a pas grand-chose à voir avec le comique ou la rigolade… C’est sans doute ce qu’André Breton essaya de circonscrire par son Anthologie de l’humour noir et qui fut à la fois d’une acception trop étroite et d’une illustration beaucoup trop large. Il s’agit là de profondeur, donc de poésie, comme on peut en trouver chez Rutebeuf, Bloy, Allais, Jarry, Vialatte, Chaval, Frédérique, Devos, Bosc… Militant je l’ai été aussi avec les éditions THOT, petite maison que j’ai créée et, en son temps, animée par deux collections : une de patrimoine littéraire où j’ai réuni les Lettres entre Bloy, Villiers, Huysmans ; republié Xavier Forneret, fait paraître des éditions critiques comme celle du Rimbaud le voyant de Roland de Renéville, et les fameuses interviews de Jules Huret où l’on trouve entre autres celles de Mallarmé, Verlaine, Maeterlinck, Leconte de Lisle, Mendes, Sully-Prudhomme, Coppée, Moréas, Hérédia, Saint-Pol-Roux, Allais, d’Annunzio, Tourguénieff, Lamartine. L’autre collection de pure poésie contemporaine avec, pour exemples, des recueils d’Hubert Haddad, Pierre Dalle Nogare, Patrick Lannes, Manz’ie et une traduction du poète Jaroslav Seifert (prix Nobel) que j’ai partagée avec Michel Fleischmann.

II : La silhouette de Léon Bloy apparaît sur le dépliant que vous semer ça et là dans les salons littéraires. Pourquoi promouvoir cet auteur-ci plutôt qu'un autre ?

Connu de nom pour sa réputation de polémiste et fort peu lu en son royaume, je considère Léon Bloy comme l’un des plus grands stylistes de notre littérature. D’un humour féroce et prodigieux, d’un jusqu’auboutisme vertigineux, grâce à son exagération, ses abruptes comparaisons, ses somptueuses métaphores, ses fulgurants aphorismes, il est pour moi le plus grand portraitiste du XIX° siècle et un considérable poète, encore très mal évalué sous cet angle. C’est pourquoi, l’ayant intégralement lu, j’ai publié une édition critique du Pal, sa   correspondance avec Villiers et Huysmans, et un essai Du style de Léon Bloy (DMM) qui comporte un glossaire des mots rares de son richissime vocabulaire.

61tJ3ShGWdL.jpg

BLOY-2019.jpg

III : Celui qui a composé Le Désespéré est notamment connu pour son anti-germanisme. Quelle relation personnelle entretenez-vous avec le monde germanique en général ? Et l'Alsace en particulier ?

Ce serait plutôt à travers Sueur de sang qu’on pourrait évoquer l’anti-germanisme dont vous parlez. Il s’agit d’une série de nouvelles, fictions qui s’appuient sur ses souvenirs du francs-tireur qu’il fut lors de la guerre de 1870. Je parlerai plutôt de détestation du Prussien que d’anti-germanisme. Partant, il ne faut pas faire d’anachronisme, cette guerre, pour ceux qui la vécurent ou qui la subirent fut particulièrement cruelle et humiliante. Dans une France,  alors occupée, qui allait connaître le siège de sa capitale, suivi d’une guerre civile, est née l’expression très commune de « sale Boche ». Personnellement je considère la civilisation germanique comme très importante. Un peuple qui nous a offert Goethe, Schiller, Novalis, Hölderlin, Büchner, Trakl…  sans parler des philosophes et surtout des musiciens, devrait passer outre la culpabilité qu’on lui a imposée après la dernière guerre mondiale, et particulièrement pour les générations qui ne l’ont pas connue. Hélas, avec une dénatalité pire que celle de la France, ce peuple risque fort de disparaître ! Quant à mes relations avec l’Alsace, elles sont d’abord génétiques puisque la famille de mon grand-père paternel était originaire du Bas-Rhin, où plusieurs de ses ancêtres reposent.

IV : Selon un vieil adage un poète se découvre poète à travers deux rencontres : La muse et le mentor. Qu'en est-il de Daniel Habrekorn ?

S’agit-il d’Érato qui, à travers Polymnie, peut devenir Melpomène, ou bien l’égérie ? J’ai écrit mon premier poème à treize ans, un sonnet, je ne me souviens pas d’avoir eu alors une muse ou un mentor. Cela dit j’ai beaucoup aimé et beaucoup admiré !

81A71AsRTZL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

V : Inspiratrice de Louis-Ferdinand Céline et dédicataire du Voyage au bout de la nuit,  Élisabeth Craig n'aurait, parait-il, jamais ouvert le maître-ouvrage de Céline ! De telles déconvenues ne sont pas rares dans la vie des poètes. Que vous inspirent-elles ?

Nos amantes, nos inspiratrices, sont rarement lectrices et admiratrices de nos œuvres. C’est un fait avéré. Peut-être une question de proximité, de manque de recul ? Pourtant certains poètes les ont immortalisées : Dante, Pétrarque, Scève, et Baudelaire avec son « Je te donne ces vers afin que si mon nom… »

ae01bc0e2b6e16d80fbebdae35623feb9e82f886d7c9e918b218d94befef54c0.jpg

VI : Vous aussi, vous avez effectué un voyage au bout de la nuit ; plus précisément, un voyage au bout de la mer. « A bord d'une goélette » (précise votre page « wikipedia). Un Ulysse homérique sommeille-t-il en Daniel Habrekorn ?

Ma passion de la mer vient sans doute de mon père qui avait fait la guerre comme médecin sur un torpilleur. J’ai pas mal navigué : pour la dernière pêche d’un thonier ligneur que nous avions racheté, en Bretagne, avec des copains ; sur beaucoup de dériveurs, de côtres ; et surtout avec la goélette de vingt-deux mètres d’un ami qui m’a pris comme équipier pour plusieurs saisons, en Méditerranée. Une fin de journée de grand frais, qui avait été épuisante, le croirez-vous, nous avons mouillé devant Ithaque. Je me suis aussitôt jeté à la mer pour nager jusqu’à la côte abrupte. Je suis monté pieds nus, difficilement, jusqu’à deux moulins à vent qui dominaient l’île, j’ai attendu, j’ai attendu jusqu’au profond de la nuit. Eh bien, la déesse aux yeux pers ne m’a pas assisté, nul Eumée ne m’a hébergé, Télémaque n’est pas rentré de son voyage pour me visiter, je n’ai pas plus croisé Mentor (encore lui !), aucun Argos n’est paru pour me reconnaître et grand bien lui fasse, et la vieille Euryclée ne m’a point donné le bain. Quant à Pénélope, interlope, elle est demeurée assise à sa tapisserie toujours recommencée qui n’est pas la moindre des odyssées, car sa lisse vaut bien celle d’Ulysse.

visiter-ithaque-ile-des-cyclades.jpg

VII : Vous êtes en voie de publier une anthologie de la poésie. Quel travail de longue haleine ! Pouvez-vous citer un poème que vous avez particulièrement à cœur de sauver de l'oubli ?

C’est toute une vie de lecture et d’écriture en effet. Mais cela n’a pas grand-chose à voir avec les anthologies existantes qui ne font que citer des extraits plus ou moins longs. Il s’agit d’un florilège critique et passionné de la poésie d’expression française des origines à nos jours. L’originalité de cet énorme travail est d’abord qu’il fait grand-place aux poètes du moyen-âge, avec versions ancien français, oïl et oc, et traductions nouvelles, alors que la plupart des anthologies commencent avec Villon, c’est-à-dire à la fin du moyen-âge, oubliant cinq siècles de littérature française. La seconde est l’engagement délibéré, le parti pris de l’auteur dans ses choix et dans sa critique. Délibérément subjectif, il n’hésite pas à révéler la fausse valeur de certaines œuvres fussent-elles de célébrités auréolées d’une intouchable réputation. A contrario il s’attache à révéler et à exhausser certains laissés pour compte, oubliés, ou abandonnés sur le chemin, et, à faire entrer dans le rigoureux domaine de poésie, des auteurs qui n’ont jamais été considérés comme des poètes. De fait, cet ouvrage s’efforce de répondre sur pièces et par l’exemple à la troublante et géniale question de Pierre Reverdy « Y a-t-il au monde un mot plus chargé de sens et de prestige que celui de poésie ? En est-il, par contre, un autre qui soit, plus que celui-là, aisément tourné en dérision et méconnu ¾ si souvent employé et si mal défini ? »

Ce livre dont je lis une page, au début de chacune de mes émissions à Radio Courtoisie, il faudra bien qu’il paraisse. Mais vous connaissez la paresse et la couardise de nos éditeurs !

Max_Elskamp,_portrait.jpg

Vous me demandiez un poème à sauver de l’oubli, mais aussi de l’inculture crasse de nos contemporains. J’en ai révélé des centaines. Mais en voilà un du géant belge Max Elskamp, très inconnu des Français, pour provisoirement finir :

 

J’ai triste d’une ville en bois,

¾ Tourne foire de ma rancœur,

Mes chevaux de bois de malheur ¾

J’ai triste d’une ville en bois,

J’ai mal à mes sabots de bois.

 

J’ai triste d’être le perdu

D’une ombre et nue et mal en place,

¾ Mais dont mon cœur trop sait la place ¾

J’ai triste d’être le perdu

Des places et froid et tout nu.

 

J’ai triste de jours de patin

¾ Sœur Anne ne voyez-vous rien ? ¾

Et de n’aimer en nulle femme ;

J’ai triste de jours de patins,

Et de n’aimer en nulle femme.

 

J’ai triste de mon cœur en bois,

Et j’ai très triste de mes pierres,

Et des maisons où dans du froid,

Au dimanche des cœurs de bois,

Les lampes mangent la lumière.

 

Et j’ai triste d’une eau-de-vie

Qui fait rentrer tard les soldats.

Au dimanche ivre d’eau-de-vie,

Dans mes rues pleines de soldats,

J’ai triste de trop d’eau-de-vie.

 

Contact : d.habrekorn@gmail.com