dimanche, 21 septembre 2025
Ibrahim Traoré – Révolutionnaire ou nouveau vassal ?
Ibrahim Traoré – Révolutionnaire ou nouveau vassal ?
Le Burkina Faso entre décolonisation et redéfinition géopolitique
Hanno Borchert
Source: https://wir-selbst.com/2025/09/20/ibrahim-traore-revoluti...
"Sans dignité, il n’y a pas de liberté, sans justice, il n’y a pas de paix."
Patrice Lumumba, premier Premier ministre du Congo indépendant (1925-1961, assassiné)
"Nous ne nous battons pas seulement pour le Burkina Faso, mais pour toute l’Afrique. Notre liberté commence là où nous brisons les chaînes de la dépendance."
Ibrahim Traoré
Lorsqu’en septembre 2022, un jeune officier encore largement inconnu prit le pouvoir au Burkina Faso à la faveur d’un coup d’État militaire, peu imaginaient qu’une telle prise de pouvoir allait initier une réorientation politique pour toute l’Afrique de l’Ouest. Son nom: Ibrahim Traoré. Aujourd’hui, à peine quelques années plus tard, il est devenu la figure emblématique d’une Afrique nouvelle, radicalement anti-occidentale. Du haut de ses 37 ans, il n’est pas seulement le plus jeune chef d’État du monde, mais aussi l’un des plus controversés. Déterminé dans le ton de ses paroles, idéologiquement bien affûté dans ses discours, Traoré prend des risques dans le déploiement de sa politique car il incarne une rupture historique avec le passé colonial de son pays.
Alors que l’influence française décline visiblement au Sahel, Traoré se présente comme l’architecte d’une nouvelle Afrique – indépendante, souveraine, fière. Mais tandis que beaucoup voient dans cette évolution une libération révolutionnaire, une question demeure: le Burkina Faso est-il réellement à l’aube d’un avenir autodéterminé? Ou bien n’assiste-t-on qu’à un nouveau jeu de rôles géopolitiques – avec d’anciennes dépendances sous un nouveau visage?
L’histoire d’Ibrahim Traoré commence dans la région des Hauts-Bassins – ou Kundumye, comme on l’appelle en mòoré, l’une des principales langues du Burkina Faso. Il a d’abord étudié la géologie, mais choisit rapidement la carrière militaire. Ses missions à l’étranger, au Mali dans le cadre de la MINUSMA, l’ont confronté à l’architecture sécuritaire internationale – et ont manifestement éveillé son ambition politique.
En 2022, après une ascension fulgurante dans l’armée, il prend la tête du deuxième coup d’État en un an. Les raisons: une situation sécuritaire catastrophique, la corruption et le sentiment largement partagé que le Burkina Faso avait perdu sa propre destinée sous l'influence occidentale. Dès le début, Traoré s’est mis en scène comme le « soldat du peuple », prêt à se battre pour la justice et l’indépendance. Sa rhétorique politique et sa symbolique rappellent sans ambiguïté un ancien héros: Thomas Sankara.
Thomas Sankara – le « Che Guevara africain » – a dirigé l’ancienne Haute-Volta de 1983 à 1987. À 37 ans seulement, il fut victime d’un coup d’État, où des intérêts français auraient joué un rôle prépondérant. Sankara était un visionnaire, opposé au luxe importé, partisan de l’autarcie et de l’annulation de la dette africaine. Ses idéaux résonnent encore aujourd’hui – et Traoré les revendique sciemment: le béret rouge, la rhétorique nationaliste, les accusations contre les puissances impérialistes, le panafricanisme – tout fait partie d’un héritage symbolique.
Mais la politique de Traoré va au-delà du pathos symbolique. Elle est aussi une réaction à une histoire marquée par la violence coloniale, l’exploitation et le contrôle. Les troupes françaises ont conquis le pays à la fin du 19ème siècle, l’ont contraint à travailler pour elles durant les deux guerres mondiales, ont dissous arbitrairement la colonie en 1932 et réparti son territoire entre les voisins. Même après l’indépendance en 1960, l’influence française est restée profondément ancrée – dans l’administration, la langue, l’éducation. Aujourd’hui, Traoré tente de briser systématiquement cette dépendance historique.
Dans un discours, il a résumé la situation ainsi: « Dans leur tête, l’Afrique leur appartient – notre terre, notre richesse sont leur propriété. » Cette accusation traverse tout son récit – et trouve un écho profond chez nombre de ses compatriotes.
Un des signes les plus manifestes de cette rupture est l’abolition du français comme langue officielle. À la place, des langues locales telles que le mòoré, le dioula, le fulfulde et le bissa prennent le devant de la scène dans la communication et l’éducation d’État. Même la justice change de visage: là où autrefois on portait la toge à la française, les juges apparaissent désormais en vêtements traditionnels de coton – signes visibles d’une réaffirmation culturelle.
Traoré parle ouvertement du colonialisme mental: «Par leur communication, ils ont fait en sorte que tu détestes ta propre couleur de peau». Même dans la culture du deuil, dit-il, cela se fait sentir: autrefois, le bleu était la couleur des adieux, mais « elles » – sous-entendu les influences occidentales – ont imposé le noir comme symbole de la mort, de la médiocrité et du mal. « Et nous l’avons adopté. »
Cependant, malgré toute la force des symboles, la réalité reste difficile: plus de deux millions de déplacés internes, des attaques quotidiennes de groupes islamistes, des infrastructures fragiles et une pauvreté généralisée continuent de marquer la vie quotidienne.
Alors que la France et les États-Unis se retirent progressivement, le Burkina Faso cherche de nouveaux partenaires – et les trouve en Russie et en Chine.
La Russie soutient la sécurité: formateurs, experts militaires et même des groupes paramilitaires, issus probablement de l’ex-groupe Wagner, sont présents. Lors d’une visite à Moscou, Traoré s’est affiché ostensiblement aux côtés de Poutine et a évoqué des coopérations dans le nucléaire et l’aérospatial – des projets dont la concrétisation reste floue à ce jour, mais qui illustrent la nouvelle orientation stratégique.
La Chine, elle, mise sur une présence économique. Les investissements dans l’énergie solaire, l’infrastructure, l’éducation et la santé augmentent. Un Institut Confucius à Ouagadougou symbolise l’influence culturelle croissante. Traoré lui-même nuance : « Nous pensions que les produits chinois étaient bon marché et de mauvaise qualité. Mais aujourd’hui nous voyons : leur technologie est avancée. Et elle nous est revendue sous des marques occidentales. »
Ainsi, la Chine et la Russie reprennent les rôles jadis dévolus à l’Occident – avec de nouvelles promesses, mais aussi de nouvelles dépendances.
Malgré une isolation internationale croissante, Traoré poursuit une ligne remarquablement autonome. Son gouvernement mise sur l’autosuffisance économique, refuse les crédits du FMI et de la Banque mondiale, nationalise les mines d’or, crée une raffinerie nationale d’or, encourage les activités qui procèdent à la transformation de la tomate et du coton. Sous sa direction, le PIB est passé d’environ 18,8 à 22,1 milliards de dollars américains – une hausse significative, même si la pauvreté persiste: plus de 6 millions de personnes dépendent de l’aide humanitaire selon l’ONU.
"L’Afrique n’a pas besoin de la Banque mondiale, ni du FMI, ni de l’Europe, ni de l’Amérique," déclare Traoré. Il voit le monde comme un « triangle » dont le sommet est l’« empire du Bien » – ces États occidentaux qui croient avoir le droit de façonner le monde à leur image.
Une nouvelle étape vers l’indépendance: en août 2023, Traoré fonde, avec le Mali et le Niger, l’Alliance des États du Sahel – une alliance conçue comme un contrepoids à la CEDEAO orientée vers l’Occident. Outre la coopération militaire, une monnaie commune est même envisagée. Objectif: davantage de sécurité régionale – et un signal fort d’autonomie africaine, soutenu par des partenaires non occidentaux.
Et l’Allemagne ? Elle reste pour l’instant en retrait. Il existe des relations diplomatiques depuis les années 1960, et des organisations telles que la GIZ (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit) sont actives dans l’éducation et l’alimentation. Mais la coopération sécuritaire est suspendue, et économiquement, le Burkina Faso joue un rôle mineur dans ce contexte. Pourtant, le potentiel existe: le Burkina Faso possède des ressources telles que l’or, le manganèse et le coton – l’Allemagne, pour sa part, dispose du savoir-faire en matière de transformation, de technologie et d’agriculture durable.
Un échange d’égal à égal serait envisageable et pourrait être développé: investissements allemands durables dans l’extraction d’or, dans les terres rares et l’hydrogène vert, accès équitable au marché pour le coton burkinabé, coopérations éducatives, dialogue scientifique et culturel. À condition d’un partenariat respectueux, loin des schémas paternalistes.
Traoré lui-même reste une figure parfois énigmatique. Ascétique, idéologue, soucieux du contrôle – mais parfois accessible, charismatique, presque chaleureux. La comparaison avec Mouammar Kadhafi n’est pas infondée: révolutionnaire, anticolonial, visionnaire – mais aussi avec un côté autoritaire.
Selon les médias – tels qu’Africanews, The Africa Report et la chaîne publique RTB – son gouvernement a reporté les élections prévues pour juillet 2025. La liberté de la presse a été restreinte, les voix critiques de plus en plus réprimées. Motif invoqué: la menace persistante des groupes djihadistes qui contrôlent de vastes parties du pays.
Ainsi, France 24 a été suspendue, les journalistes locaux sont soumis à de nouvelles règles. Du point de vue occidental – par exemple celui de Reporters sans frontières – il s’agit d’une rupture flagrante avec la liberté de la presse, considérée comme un bien universel. Mais dans le contexte burkinabè, marqué par l’insécurité et un fort discours anticolonial, beaucoup considèrent ces mesures comme une protection légitime contre la déstabilisation.
On retrouve ici un dilemme bien connu des mouvements postcoloniaux: le désir d’unité et de sécurité se heurte souvent aux libertés individuelles.
Ibrahim Traoré est sans conteste une figure historique. Qu’il soit porteur d’espoir ou annonciateur de nouvelles dépendances reste à voir. Son ascension marque un tournant dans un pays qui a subi des décennies de domination coloniale et cherche désormais sa propre voie.
Sa popularité ne repose pas seulement sur des paroles fortes, mais aussi sur des choix politiques concrets: autonomie économique, ré-africanisation culturelle, réorientation sécuritaire. Mais dans un État qui ne contrôle qu’une partie de son territoire, toute vision comporte aussi un risque.
La capacité de Traoré à trouver l’équilibre entre véritable souveraineté et nouvelles dépendances géopolitiques ne se mesurera pas seulement à sa constance idéologique – mais aussi à sa capacité à améliorer réellement la vie de ses concitoyens et à conquérir durablement leurs cœurs.
Personnellement, je souhaite beaucoup de succès au Président dans sa lourde tâche et, au pays, un avenir prospère.
Lectures complémentaires :
– Burkina Faso : A History of Power, Protest and Revolution – Ernest Harsch (2017)
– Burkina Faso – Pierre Englebert (2018)
– Captain Ibrahim Traoré: Hope Restored or the Rebirth of a Lost Nation – Abdoul Moumouni Ouédraogo
Qui est Hanno Borchert?
Hanno Borchert, né en 1959, enfant de Cuxhaven à l’embouchure de l’Elbe. Dès son plus jeune âge, ses voyages (Tyrol du Sud, Balkans, Scandinavie, Inde, Iran, Indonésie, etc.) ont éveillé en lui la passion pour la cause des peuples.
Artisan qualifié avec des études en sciences économiques. Lecteur assidu depuis l’enfance, il aime aussi la musique, la peinture et s’intéresse à l’art du graphisme.
« Alter Herr » de l’association étudiante « Landsmannschaft Mecklenburgia-Rostock im CC zu Hamburg ». Sans affiliation politique. Fréquente souvent des concerts de presque tous les genres. Apprécie particulièrement le bluegrass, la country, le blues et la folk irlandaise. Grand admirateur du regretté auteur-compositeur Gerhard Gundermann, trop tôt disparu.
Rédacteur de la revue « wir selbst », ancienne et nouvelle mouture, puis rédacteur de « Volkslust ».
Pour commander des numéros récents de "wir selbst":
&
https://lindenbaum-verlag.de/produkt/wir-selbst-zeitschrift-fuer-nationale-identitaet-nr-53-2-2022/
15:19 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, afrique, affaires africaines, sahel, burkina faso, ibrahim traoré | |
del.icio.us |
|
Digg |
Facebook
Écrire un commentaire