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mardi, 23 janvier 2018

Hervé Juvin: sur le quatrième monde, ou le retour de la politique

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Chișinău – Une quête pour la survie

Sur le quatrième monde, ou le retour de la politique

Par Hervé Juvin

Deuxième colloque de Chișinău (15-16 décembre 2017)

Ex: http://lesakerfrancophone.fr

Quel est le monde dans lequel nous entrons ? Quel est le monde dans lequel nous nous engageons à vivre ?

Les organisateurs de ce colloque ont eu raison lorsqu’ils ont choisi ce sujet : la quatrième économie. Mais je ne suis pas sûr qu’ils aient raison s’ils veulent que nous limitions notre champ d’application aux seuls problèmes économiques actuels.

HJ-désir.jpgMa réponse sera : le monde conduit par l’économie est le vieux monde. Nous ne regardons pas seulement l’échec misérable des institutions de Bretton Woods et de l’ordre libéral de l’Occident. Non seulement nous assistons à l’effondrement de la finance globalisée et des marchés interconnectés, mais aussi à celui d’un système dirigé par les Américains. Nous sommes les témoins de la fin de l’économie telle que nous la connaissions. Vous dites : économie ? Dites politique, idiot ! 1

Pour le dire franchement ; la quatrième économie ne concerne pas l’économie, elle concerne surtout la politique, « nous, les gens » contre « l’ego, moi, moi-même » et il s’agit aussi de spiritualité. La lettre encyclique du Pape François, « Laudato si » est peut-être le texte politique le plus important de la décennie. Il s’agit principalement de ce que nous appelons « l’écologie humaine ». Et il s’agit aussi d’économie. Parce qu’il s’agit de survie.

Nous avons quitté l’économie agraire quelque part au siècle dernier, à un moment où l’ère industrielle était à son apogée. Ensuite, nous sommes doucement passés à une économie financière et de l’information dans laquelle nous sommes plus ou moins intégrés. Permettez-moi de prendre un exemple. J’ai commencé mon activité professionnelle à une époque où les compagnies aériennes comparaient le nombre de vols qu’elles effectuaient et le nombre de clients qu’elle servaient par an ; où deux constructeurs automobiles comparaient la taille de leurs usines, le nombre de leurs employés et les voitures qu’ils produisaient. De nos jours, ils ne font que comparer leur Ebitda et le ROE ; leurs travaux ne concernent plus les clients ou les produits, mais seulement l’argent. Gagner de l’argent, à tout prix. Est-ce qu’ils savent même ce qu’ils produisent ?

Quelle est la prochaine grande chose ? Ne rêvez pas des biotechnologies, des nanotechnologies, de l’intelligence artificielle, etc. Tout cela est bon pour les gars de Davos et pour ceux qui ont développé une telle foi qu’ils croient que la technologie peut résoudre tous les problèmes que la technologie a créés et crée encore à grande échelle. Et il y en a beaucoup à venir ! Attendez-vous simplement à un cauchemar avec l’impact des inégalités croissantes ; non seulement la pauvreté, mais l’expulsion de la nature d’un nombre croissant de personnes, passant la plus grande partie de leur temps devant un écran, obsédés par Internet, et n’ayant aucun accès à la nature à aucun prix – dunes de sable, forêts, rivières, et le chant des oiseaux, tout cela devenant le privilège des très riches, les seuls à garder un accès direct et illimité à la nature.

Quelle est la prochaine grande chose ?

Notre condition actuelle est façonnée par deux tendances puissantes ; une extinction massive de la diversité, à la fois naturelle et culturelle ; et le surgissement de l’économie comme vraie nature des êtres humains – le totalitarisme de l’ego.

Nous sommes proches d’une compréhension très précise que les deux constituent la plus grande menace contre la survie humaine, et que les deux appellent donc à une course à la vie. Le fait est que cette menace vient directement de ce qu’on nous dit de célébrer le plus : développement ; croissance ; technologie ; libre échange… Nous chérissons profondément la cause même de notre disparition, nous aimons ce qui nous amène au bord de l’extinction…

HJ-marchés.jpgLaissez-moi dire quelques mots sur chaque question.

Vous lisez beaucoup de choses sur l’extinction massive des insectes, des grands mammifères, etc. En fait, il y a plus d’une centaine d’espèces différentes de poulets dans la nature ; 97% des fermes industrialisées n’élèvent que trois espèces de poulets. Selon la FAO, plus de dix mille espèces de légumes étaient consommées il y a un siècle. L’agro-industrie a réduit cette diversité à moins de 60% pour 90% de ses produits commerciaux. Et la superficie occupée par l’agro-industrie est trois fois plus élevée qu’il y a vingt ans, mais un tiers du sol fertile est surexploité et proche de la désertification, selon un rapport de la FAO récemment publié à Ordos, en Chine. Mais c’est encore plus inquiétant côté humain. Il y a quarante ans, plus de 8000 langues différentes avaient encore une communauté de locuteurs dans le monde. De nos jours, 7000 n’ont pas plus d’un ou deux locuteurs, et elles vont bientôt disparaître avec eux. Le nombre de langues humaines a été divisé par près de dix fois en un demi-siècle, et chaque langue perdue est une bibliothèque qui brûle ! Du logement à l’agro-industrie, des modèles sociaux aux cultures autochtones, de la gastronomie locale aux aliments transformés, le trésor vivant de la diversité humaine est sur le point de s’effondrer ; nous devons savoir que la diversité entre les espèces ainsi qu’entre les communautés humaines est le facteur clé de la survie. Et cet atout crucial est en jeu.

La puissante tendance derrière l’effondrement de la diversité naturelle et humaine est le surgissement de l’économie en tant que véritable nature humaine et en tant que foi religieuse. Ce que nous appelons économie est l’association explosive entre une économie extractive et une économie de la cupidité au nom des droits individuels de l’homme. Cela repose presque entièrement sur deux hypothèses.

Premièrement, les ressources naturelles sont en quantité illimitée. Et elles sont gratuites. Le prix des ressources naturelles n’est que le prix de leur extraction, de leur transport et de leur emballage. Le marketing compte aussi. Juste pour mettre dans les rêves de milliards de personnes des marques et des produits dont ils n’ont jamais rêvé et dont ils n’ont absolument pas besoin. Ces hypothèses visaient à donner à l’homme la puissance de Dieu ; un pouvoir illimité, inégalé et sans égal sur n’importe quelle créature, et aussi sur la planète. Pour cet être humain libéré de ses chaînes, il n’y a plus de contraintes, ni de nature, ni de Dieu ; il est son propre créateur, et quand et où il y a des limites, il y a juste des problèmes à résoudre. Pour l’individu souverain, comme nouvelle religion des droits de l’homme, la foi religieuse elle-même n’est qu’un problème à résoudre. Mais cette supposition est fausse, et nous le savons. Nous payons déjà pour des ressources que personne n’a jamais rêvé de payer ; quel est le marché de l’émission de carbone, si ce n’est le marché de l’air pur ? Nous craignons déjà des maladies dans l’eau, dans la terre, et dans trop de formes de vie. Et le roi de la peur joue en coulisse, la peur du changement climatique, la peur des maladies, la peur d’une espérance de vie plus courte et, de plus, la peur de la vie elle-même − la peur du monde extérieur. L’Ouest ne le comprend pas et considère qu’il s’agit juste d’un autre problème à résoudre. Si vous ne voulez pas être un américain comme tout le monde veut l’être, vous avez un problème. Un gros problème, oui.

HJ-prod.jpgLa deuxième hypothèse est que toute société humaine dans le monde entier est à la recherche de développement. C’est aussi un mensonge. En fait, la plupart des communautés indigènes et des confessions religieuses sont organisées contre le développement ; elles n’ont pas de place pour une telle chose dans leur communauté. Près de chez moi, sur la côte ouest de Madagascar, ils brûlent la maison de quiconque devient riche, pour le garder dans la communauté. Ils comprennent très bien que l’argent est le grand fossé entre les êtres humains, et l’économie de marché, la fin des communs. Le fait n’est pas qu’ils sont incapables de se développer eux-mêmes ; la vérité est que, en tant que communauté, ils refusent l’individualisme lié au développement économique. Ils préfèrent leur communauté au droit illimité de rompre avec elle et avec la nature elle-même. La phrase qu’ils préfèrent est « Mieux vaux une touche de fihavanana (le bien-être collectif) qu’une tonne d’or ». Pour le bien de la croissance, ce que nous appelons le développement, c’est la rupture de ces communautés contre leur volonté et la fin de leur bien-être collectif pour les fausses promesses d’un accomplissement individuel. Sous le faux drapeau de la liberté, pour le commerce et l’argent, les Occidentaux l’ont fait à plusieurs reprises, de la rupture du Japon par le commodore Perry, aux misérables guerres de l’Opium contre la Chine, à la guerre criminelle contre les gouvernements nationalistes des Philippines ou d’Amérique du Sud. Les opérations criminelles de la Fondation Gates introduisant des OGM dans les pays pauvres d’Afrique, réduisant le paysan en esclavage. Il y a aussi le grand projet d’électrification de l’Afrique ouvrant la porte à la nouvelle colonisation des terres, des cultures, des forêts et des richesses de sa biodiversité, par les grandes entreprises. Et ce qui importe le plus, c’est la destruction des symboles de leurs traditions [« Rest » en anglais, NdT], de leurs choses sacrées et, finalement, de leur foi – l’usine du dénuement moral ; les rendant honteux de qui ils sont. De l’Afrique à l’Amérique du Sud ou de l’Asie du Sud-Est à la Russie, les populations autochtones savent très bien que tout n’est pas à vendre ; vous ne pouvez pas échanger quelques acres de forêt tropicale contre quelques acres de toundra. Vous ne pouvez pas échanger le dernier rhinocéros blanc contre des actions dans des parcs animaliers. Et ils craignent que l’avidité illimitée provoque des guerres pour les ressources ; qu’est-ce que l’invasion de l’Irak, sinon une guerre pour le pétrole, la guerre civile en Syrie, sinon une guerre pour l’eau, qu’est-ce que le meurtre de Saddam Hussein, de Mouammar Kadhafi, le bombardement d’une usine de produits pharmaceutiques au Soudan ? Et tant de nombreuses attaques terroristes similaires, à l’exception d’une tentative désespérée de contrôler les ressources naturelles, la vie elle-même, et de maintenir la capacité des États-Unis à ne jamais faire face à leur dette insoutenable ?

Nous avons beaucoup à apprendre des communautés autochtones. Nous, les peuples des Nations européennes, sommes aussi des peuples autochtones, sur nos terres, dans nos pays, avec nos traditions, notre foi, nos biens communs pour lesquels nous avons combattu tant de fois, et nous sommes toujours capables de nous battre. Mais nous n’avons plus beaucoup de temps pour le faire.

L’effondrement politique de l’individualisme

La situation actuelle a de grandes conséquences sur l’économie elle-même mais elle concerne principalement ce que nous appelons la politique. Nous devons réinventer la signification même de celle-ci ; la liberté collective des sociétés humaines de façonner leur destin. Et nous devons réinventer la façon dont la politique régit l’économie ; la façon dont l’économie est un outil de nos sociétés, pas l’inverse. Karl Polanyi a écrit des choses définitives à ce sujet.

Le système post-démocratique de la grande entreprise en charge de nos rêves, de nos emplois et de nos vies repose principalement sur la libre poursuite de la cupidité illimitée par l’ego – l’individu souverain. L’idée de base est que l’homme n’est que la liberté illimitée qu’il se crée, et qu’il a droit à une utilisation illimitée du monde. Ne faites pas d’erreur ! Ce système n’est pas faible, malgré toutes les apparences. Ce système est très puissant, mais sous deux conditions : dans la mesure où la grande majorité des citoyens pensent être de véritables initiés, qu’ils sont des gagnants du système, et aussi, dans la mesure où les ressources naturelles lui permettent de promettre une croissance illimitée. C’est le gouvernement de l’homo œconomicus par ses désirs illimités ; le gouvernement pour le big business sous le visage souriant de la démocratie.

Ce système a colonisé nos esprits, nos rêves, nos imaginaires ; sa principale réalisation est de nous avoir coupé du monde extérieur. Nous sommes en fait aveugles à l’altérité, l’Occident ignore la tradition [« Rest »en anglais, NdT]. Et connaissez-vous le premier symptôme d’une dépendance à Internet ? L’incapacité de reconnaître les visages humains entre amis et membres de la famille !

HJ-occmonde.jpgEn disant cela, nous sommes proches du grand secret caché derrière la scène ; nous sommes confrontés à la fin des systèmes libéraux tels que nous les connaissions.

Ces systèmes libéraux ne s’appuient pas tellement sur la foi collective dans la Constitution, la Nation ou même le parti au pouvoir. Ils ne comptent que sur la cupidité libre et illimitée accordée à chaque individu. Non seulement c’est autorisé mais c’est même prescrit. Tous les systèmes religieux, sociaux et politiques avant nous, ont fait très attention à limiter, à refréner le désir du plaisir, de la richesse, des biens, ou à leur substituer des biens spirituels ; nous vivons dans le premier système politique et social basé sur la libération absolue et complète de la cupidité. Jetez un œil à nos écoles commerciales et sur les MBA ; nous en avons fait un modèle d’école de cynisme et de cécité morale ! Et ne vous trompez pas, ce système est incroyablement puissant ! Le système de la cupidité individuelle a gagné contre le totalitarisme. Il a gagné contre les grandes religions, les traditions et même les nationalismes. Le lien invisible créé entre les individus sur rien de plus que la promesse d’une quête illimitée d’argent, de biens et de plaisir est bien plus fort que les liens extérieurs, les autorités supérieures, Dieu, l’Empereur, le Roi ou la révolution politique ; ceux là venaient d’en haut. La révolution individuelle vient de l’intérieur. La cupidité de l’intérieur, c’est le puissant moteur du libéralisme individuel ! En fait, la révolution de l’individu est le principal moteur politique du siècle dernier. Et est le gagnant contre le fascisme, le nazisme, et finalement l’Union soviétique elle-même.

Le secret à partager entre nous est que le jeu est terminé. Les seules et uniques conditions de la viabilité du système de la cupidité étaient l’offre illimitée de ressources naturelles et le renouvellement des systèmes vivants d’un côté ; et le partage des avantages entre tous les citoyens de l’autre côté. L’économie du carbone a en fait façonné la démocratie. L’offre illimitée de ressources naturelles a façonné les droits de l’homme en tant que droits de l’individu souverain. Les droits illimités appellent un approvisionnement illimité. Nous savons que ce système est près de s’effondrer. L’effondrement viendra non seulement de l’extension de la pauvreté, mais du fait que la grande majorité des citoyens occidentaux seront de plus en plus exclus de toute forme de bénéfices venant du système. Depuis la fin de la grande peur du communisme et la fin de l’Union soviétique, voici la fin du capitalisme de partage. Le capitalisme ne repose plus sur de bons salaires qui augmentent régulièrement ; il s’appuie de plus en plus sur les prisons et la police. Et l’effondrement viendra non seulement du changement climatique, mais aussi des terribles conséquences des produits chimiques, des pesticides et de la pharmacie dans les sols, la viande et, finalement, la richesse humaine. Il viendra non seulement de l’empoisonnement de l’eau douce, de la nourriture transformée et de l’atmosphère urbaine, mais aussi des événements extrêmes menaçant toutes ces villes au bord de la mer, et aussi des quantités de réfugiés jamais vues auparavant − par dizaines de millions venant d’Asie et d’Afrique.

Le facteur de la peur suit de près la tromperie. Et les deux sont politiquement des armes de destruction massive pour l’Occident.

Cela définit le moment politique que nous vivons maintenant dans les pays occidentaux. Le passage d’individus unifiés par leur désir de richesse à des communautés unies par la lutte pour la survie est un moment à la fois de grandes attentes et de grands risques. C’est la dimension cachée derrière le Brexit, derrière la victoire de Donald Trump, pas si surprenante après tout, et derrière tant de booms politiques et d’explosions à venir ! Et ce pourrait être le meilleur des temps, ainsi que le pire des moments. Qui sait, à un moment où la Chine annonce que la venue de la civilisation écologique devrait avoir lieu au cœur du rêve chinois ?

L’économie va bien sûr refléter ce grand tableau. En fait, c’est déjà dans les faits et les chiffres. Le moment logistique que nous vivons est l’augmentation spectaculaire des coûts de transport, et le nouveau localisme qu’il exige. Le moment entrepreneurial que nous vivons est l’effondrement de l’entreprise mondialisée, et la recherche illimitée d’énergie qu’elle a demandée ; les PME sont les seules à créer des emplois et à s’impliquer réellement dans la communauté par des achats locaux, une embauche locale, l’intégration culturelle et l’engagement local. Et le moment industriel que nous vivons est le passage du travail humain à la production robotique, ce qui signifie que partout dans le monde, les coûts de production sont sur le point de s’égaliser ; ce qui signifie que la main-d’œuvre bon marché ou l’esclavage perdront leur pouvoir de fixation des prix. En passant, l’entreprise mondiale perdra son avantage concurrentiel. Le localisme et les PME sont les nouvelles grandes choses dans les pays où les robots vont payer des impôts ! Mais le moment où nous vivons est aussi principalement le moment où la terre n’est plus si amicale avec les êtres humains. Après deux siècles d’agressions industrielles et chimiques, la nature est éveillée. Personne ne survivra seul à l’effondrement à venir. Et ne rêvez pas ; vous ne pouvez pas mettre de l’argent dans le réservoir de votre voiture, pas plus que manger votre or.

C’est pourquoi nous sommes à la fin de l’individu souverain et de la société de marché. C’est la fin de l’ego, du moi, moi-même, mon seul ami. Nous sommes déjà au début d’une nouvelle ère politique, l’ère de la survie.

Le deuxième enjeu est le retour des communs. La deuxième partie du grand Chapitre de la Liberté, provenant de l’Angleterre du XIVe siècle, le Chapitre des Forêts, est entièrement consacré à assurer la sécurité des communs, en tant que droit fondamental des communautés. Les communs aident les pauvres à satisfaire leurs besoins fondamentaux, bien mieux que n’importe quelle aide publique ou charité privée. Les communs donnent à tout membre de la communauté qui les protège, un libre accès à leur utilisation pour des besoins personnels, mais aucun accès pour un usage commercial ou industriel. C’est un chemin pour la dignité et l’engagement.

HJ-renv.jpgLes biens communs, ou les communs, ne cadrent pas bien avec le libre-échange, la libre circulation des capitaux, les privatisations de masse et l’hypothèse de base que tout est à vendre ; la terre, l’eau douce, l’air et les êtres humains. En fait, le libre-échange et les marchés mondiaux sont les pires ennemis des communs. La grande ouverture des dernières communautés vivant sur elles-mêmes est une condamnation à mort. Bienvenue à la réinvention de l’esclavage par ces apôtres des migrations de masse et des frontières ouvertes ! Je n’ai aucun doute à ce sujet ; une grande partie de ce que nous appelons « développement » et « aide internationale » sera bientôt considérée comme un crime contre l’humanité – l’effondrement des biens communs pour le bénéfice des entreprises mondialisées et des intérêts privés. Et le mouvement des « no borders » sera également considéré comme une manière subtile d’utiliser le travail forcé et embaucher des esclaves avec un double avantage : premièrement, faire le bien avec le sentiment d’être d’une qualité morale supérieure, deuxièmement, faire du bien à la rentabilité du capital.

La société globale basée sur l’économie comme notre nature humaine, détruit les communs à un rythme incroyable. Non seulement parce qu’elle détruit les frontières qui les protégeaient ; parce que cela place le libre-échange au-dessus des communautés, des religions et des choses sacrées. Et le modèle du marché global où tout est à vendre substitue effectivement l’expulsion des communs générant pauvreté pour une partie croissante de la population mondiale. L’accès libre à la nature sera bientôt refusé à la majorité des gens ; des légumes ou de la viande qu’ils mangent, au jeu qu’ils jouent ou aux loisirs qu’ils partagent, des graines sur lesquelles ils comptent, sur les enfants qu’ils veulent. Tout sera calibré, tout passera sous la coupe de la loi de la meilleure rentabilité pour le capital – et à la fin du processus, la vie humaine elle-même finira par être un produit de l’industrie.

Les communautés indigènes, des tribus d’Amérique du Sud aux associations environnementales en France ou en Allemagne, sont aussi les seules à vouloir protéger leurs communs, et se battent parfois avec ferveur pour les sauver contre des projets industriels ou des investissements massifs. Elles devront lutter contre ces soi-disant « accords commerciaux » dont le seul but est de protéger, non pas l’investissement lui-même, mais le retour attendu des bénéfices ! Toute analyse approfondie du conflit entre les compagnies minières aurifères équatoriennes et canadiennes, ou entre le Guatemala et la Bolivie et les entreprises industrielles américaines, révèle cette situation confuse ; l’explosion actuelle du capital, mieux connue sous le nom de « quantitative easing », crée une pression croissante sur les ressources naturelles. Le système monétaire émet des chèques en nombres illimités, et c’est à la nature de payer la facture ! C’est pourquoi la prochaine étape est l’accaparement final de la nature pour le bénéfice du système de la dette ; pas un morceau de terre, ou une gorgée d’eau, pas un poisson dans l’océan profond ou un arbre dans la forêt tropicale ne va échapper à l’industrie – leur destruction pour de l’argent.

Le retour des communs est l’une des conditions principales et uniques de notre survie.

Qu’est-ce que ça veut dire ? La plupart d’entre nous en Europe sont des autochtones. Nous savons d’où nous venons, et nous savons à quoi nous appartenons. Ce qui nous importe le plus, c’est de dire « nous » avec confiance, avec foi, avec amitié. Les communs sont l’endroit où tout le monde dit « nous ». C’est l’endroit où il n’y a pas de place pour le « moi ». Et les bases sont solides pour le futur proche. Ce sont les ressources qui ne sont pas à vendre, les ressources partagées par la communauté, pas pour le commerce ou l’industrie à tout prix, des ressources hors de portée des commerçants ou des banquiers. Pas de libre-échange, pas de marché, pas de pouvoir de prix sur les communs. Les graines, le sol, l’eau douce, l’air, la naissance humaine et les vies humaines ne sont pas non plus à vendre. Elles ne sont pas le moyen de maximiser le rendement du capital ! La nature elle-même prendra soin de nos biens communs, et nous donnera beaucoup plus que n’importe quel fonds d’investissement, seulement si nous la respectons, seulement si nous la laissons jouer, seulement si nous la laissons faire. C’est la plus grande leçon de l’écologie, de l’agroforesterie et de l’agriculture biotech. Nous avons juste à appartenir. Nous avons juste à partager une identité ; il suffit d’accepter des limites. Voici la venue de la politique identitaire. Voici la disparition de l’économie telle que nous la connaissons. Toutes ces questions sont profondément politiques, et elles appellent à un retour au pouvoir de toute la communauté politique dans son ensemble – pas la disparition de la communauté pour mon bénéfice, moi l’individu souverain !

HJ-corps.jpgQuelle est la prochaine étape ?

Nous sommes à la fin de l’économie libérale telle que nous la connaissons et, à ce moment-là, nous serrons à la fin de la cupidité individuelle en tant qu’outil puissant de l’ordre politique. Qu’est-ce qui va arriver ? Et que devons-nous faire ?

Après l’effondrement de l’économie en tant que foi, et l’effondrement du marché mondial en tant que sorcellerie, le premier besoin est spirituel. Je ne dis pas religieux. Mais nous devons reconnaître la dimension sacrée de la vie, de toutes les formes de vie. Nous devons partager les symboles de notre destin commun et de notre volonté collective, et nous avons besoin d’une renaissance de la communauté comme étant bien plus que la somme des individus – la magie du « Nous, les gens » est encore à réinventer. Cela pourrait être le cadeau le plus utile de l’Union Européenne au monde extérieur ; vous ne pouvez pas construire une communauté politique sur le marché, l’argent, la croissance ou les droits individuels. Nous avons besoin de plus que cela, de quelque chose de différent,  quelque chose proche de la foi, des symboles et de la fraternité, quelque chose comme cette chose sacrée que nous perdons, et qu’ils nous prennent.

La condition même de la réévaluation des biens communs est la reconnaissance générale que tout n’est pas à vendre, parce qu’il y a des choses à vendre, il y a des choses à transmettre, et il y a des choses à donner ou à partager. Et il y a des choses sacrées dans lesquelles la communauté met sa confiance et par lesquelles elle exprime sa différence. Bien sûr, ces choses sont sacrées. Bien sûr, ces choses n’ont pas de substitut sous forme monétaire. Elles ne sont ni négociables ni vendables. C’est la définition même de la sacralité, et nous partageons un besoin urgent de redéfinir ce qui dans la nature, dans nos pays, sociétés et chez nous, n’est pas à vendre, parce que c’est la partie principale de notre être humain.

Ce n’est pas le moment d’élaborer des propositions pour résoudre nos problèmes. Je vais juste souligner trois choses principales à faire, et à faire maintenant.

Nous devons élaborer un nouveau système de comptabilité. Le système actuel compte comme une valeur ajoutée la destruction des espèces et des ressources rares. C’est une menace contre notre survie. Le seul système durable tiendra compte du respect de la loi par les entreprises, des contraintes fiscales et sociales et du respect des cultures et modes de vie locaux par les entreprises privées et les organismes étrangers.

Nous devons prendre en compte la fin de l’économie du carbone, le retour de la géographie et le besoin de localisme et d’activités auto-orientées. Ce n’est pas un problème mineur ; ce pourrait être la fin de la démocratie telle que nous la connaissons, basée sur un approvisionnement énergétique illimité pour le commerce et les communications. Le coût du transport presque nul est le plus grand mensonge du système économique actuel, l’appel efficace à la globalisation. La distance aura de l’importance, la géographie aura de l’importance et son coût reste encore à intégrer.

Beaucoup plus important, nous devons travailler autour du droit à la diversité, la condition la plus importante de notre survie. C’est peut-être le plus grand apprentissage de l’écologie et de la biologie ; la diversité est collective, et cette diversité est la clé de la survie.

Nous ne survivrons pas à l’alignement de la planète sur la cupidité illimitée pour les ressources. Personne ne réclame la démocratie mondiale, l’uniformisation du monde par l’économie dite libérale. Personne ne sait plus qui sont Milton Friedman ou Friedrich von Hayek – ce ne sont que des personnages de musées. Mais personne ne pense plus que le problème concernera le socialisme, ou l’économie contrôlée par l’État, ou quelque chose entre les deux. La vraie reconnaissance de la liberté humaine comme liberté collective et de la diversité culturelle et politique comme trésor de l’humanité, don de la nature et condition même de notre survie, droit fondamental au-dessus de tout autre droit économique ou individuel politique, est la clé d’un avenir de paix, de compréhension mutuelle et de coexistence respectueuse.

À Chisinau, ce 17 décembre 2017, je lance un appel collectif pour renouveler l’accord conclu lors de la Conférence de La Havane, en 1948-1949, lorsque les Nations Unies ont prévu de subordonner le libre-échange et les marchés libres au bien-être, au progrès social et à la sécurité environnementale des populations.

J’appelle à un engagement collectif pour reconstruire un forum des pays non alignés, le même qui a eu lieu à Bandung, en 1955, un forum de ceux qui ne veulent pas être relocalisés, être déportés ou être privés de leur identité par des intérêts étrangers, un forum de personnes qui partagent profondément le sentiment que le trésor le plus important de l’humanité est au-delà de tout ce qui se vend, le trésor de la diversité culturelle et de la générosité de la nature.

Et j’appelle à renouveler la Déclaration de Coyococ, en 1974, sur les droits collectifs des peuples autochtones, contre les colons et les envahisseurs, les droits à la sécurité collective sociale, culturelle et environnementale. Ce sont les véritables fondements des droits de l’homme ; les droits individuels ne servent à rien s’il n’y a pas de société organisée pour les prendre pour acquis.

Il y a plusieurs siècles, le Chapitre des Forêts donnait un sens précis et efficace aux droits de l’homme ; le droit de vivre selon la nature et de vivre de la richesse des ressources naturelles et des écosystèmes vivants. L’échec d’une approche juridique des droits de l’homme est avéré ; plus il y en a, moins ils prouvent une quelconque efficacité. Beaucoup de mots, et si peu de réalité !

Le chemin était ouvert il y a longtemps. Il est temps maintenant de compléter et de garantir les droits humains par une déclaration des droits collectifs – id est, les droits des sociétés humaines à ne pas être détruites par l’extérieur, le droit à leur sécurité morale, religieuse, politique et environnementale, le droit de tous peuples autochtones de se protéger ou d’être protégés contre les colons et les envahisseurs, à tout prix et par quelque moyen que ce soit. C’est la vraie condition de notre survie. Nous ne survivrons pas à travers ce siècle sans la générosité de la nature, la beauté des cultures et la liberté naturelle de l’esprit humain.

HJ-murouest.jpgHervé Juvin

Écrivain, Essayiste, Économiste
Président, NATPOL DRS (DRS comme diversité, résilience et sécurité)

Conférence sur le Cercle Aristote

Traduit par Hervé relu par Catherine pour le Saker Francophone

Note:

  1. Référence à la phrase de Clinton, It’s the economy, stupid !

 

jeudi, 18 janvier 2018

Forum eurasiste de Chișinău : une plateforme non-alignée contre le globalisme

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Forum eurasiste de Chișinău : une plateforme non-alignée contre le globalisme

par Pierre-Antoine Plaquevent

Ex: http://www.les-non-alignes.fr

L’événement métapolitique le plus important de la fin de l’année 2017 fût sans conteste le second forum eurasiste de Chisinau. Un colloque qui fera date tant par l’appui que lui a apporté l’exécutif moldave que par la qualité de ses participants et de leurs interventions. Surtout, les perspectives tracées par ces rencontres internationales ouvrent des voies inédites dans le sens d’un non-alignement contre-globaliste contemporain. Un non-alignement qui transcenderait enfin les cadres caduques de la petite politique anachronique pour se hisser à la hauteur des changements de civilisation en cours et de la grande politique. Un colloque à la hauteur de la venue des « grands temps » qui s’annoncent pour la civilisation européenne. Retour sur cet événement fondateur.

Les 16 et 17 décembre dernier s’est tenu en Moldavie le second forum eurasiste de Chișinău qui avait pour thème : « Quelle alternative au capitalisme financier pour le 21 ème siècle ? ». Colloque organisé avec l’appui et le soutien du Président de la République de Moldavie, Igor Dodon. Ce séminaire international a réuni pendant plusieurs jours un aréopage d’intellectuels et de spécialistes de renommée internationale parmi lesquelles : Alexandre Douguine, Hervé Juvin, le Géorgien Levan Vasadze ou encore l’écrivain suédois Jan Myrdan. Le Président Dodon a par ailleurs ouvert les travaux avec un discours fondateur qui résumait les enjeux politiques face auxquels la Moldavie se trouve confrontée.

De nombreuses personnalités, issues du monde politique ou de la société civile, sont ainsi venues apporter leur contribution aux travaux du forum : l’homme d’affaires britannique Chris Poll, l’ancien conseiller de Syriza Dimitris Konstantakopoulos, la juriste Valérie Bugault, l’écrivain Slobodan Despot, le président de l’association Lombardie-Russie et membre éminent de la Ligue du Nord Gianluca Savoini, le journaliste Alessandro Sansoni, membre du conseil national italien de l’ordre des journalistes et bien entendu Emmanuel Leroy et Iurie Rosca : organisateurs pivots des deux colloques de Chisinau avec Daria Dugina. Sont aussi intervenus Volen Siderov, président du parti bulgare « Ataka », le Roumain Bogdan Herzog, l’Allemand Manuel Ochsenreiter, président du German Center for Eurasian Studies, un think-tank proche du parti souverainiste AFD et aussi l’essayiste et homme politique Yvan Blot.

Avec la présence dans le public d’auteurs bien connus des Français tels que Marion Sigaut ou encore de Lucien Cerise et de son éditeur, on peut dire que ce second forum de Chisinau réunissait une part importante de la pensée politique française et européenne contemporaine pour un événement inédit en son genre. Evènement qui fera date et dont on peut considérer qu’il marque le début d’une nouvelle ère en matière d’anti-globalisme. De part la variété des intervenants et du public présent, la vraie gauche anti-mondialiste et la droite conservatrice authentique se sont retrouvées à Chisinau afin de penser et de projeter l’alternative possible à la marche en cours vers le globalitarisme néolibéral.

Au cours de ces journées de nombreux thèmes ont ainsi pu être abordés, la plupart des interventions publiques sont disponibles ici : flux.md/fr et flux.md/en ainsi que sur le site du saker : lesakerfrancophone.fr ou sur geopolitica.ru. Une équipe de TV-Libertés était présente afin de couvrir l’ensemble de l’événement visible ici.

Un événement qui se tenait dans un contexte géopolitique difficile : la Modavie s’efforce de maintenir une position d’équilibre entre Est et Ouest, entre Union-Européenne et Union Eurasiatique malgré les tensions entre Occident et Russie. A la fin de la première journée de travail, le Président Dodon a ensuite accueilli les journalistes présents pour une conférence de presse exclusive dans le palais présidentiel de Chișinău.

Conférence de presse à laquelle nous avons pu assister et au cours de laquelle le Président Dodon a développé plus avant ces thématiques et a répondu aux questions des journalistes présents. Ici un entretien réalisé pour TV-Libertés dans lequel il résume certaines de ses positions : tvlibertes.com/igor-dodon-ne-cedera-pas.

Igor_Dodon_(01.2017;_cropped).jpgIgor Dodon, un président illibéral et continentaliste sous pression

Issu à l’origine du centre-gauche, le Président Dodon a profité de son discours inaugural lors du colloque de Chișinău pour affirmer la compatibilité d’un discours social avec les valeurs de la droite conservatrice. Une ligne de « gauche du travail et de droite des valeurs » qu’il est peut-être le seul président européen en fonction à affirmer aussi clairement. Il a ainsi affirmé la nécessité de se débarrasser des mythes libéraux du retrait de l’Etat et de la « main invisible du marché » afin de renouer avec les conceptions d’un Etat stratège et interventionniste dans les secteurs stratégiques et vitaux de l’économie nationale.

Le Président Dodon a ouvert les travaux par un discours d’affirmation centré sur les notions de souveraineté, de nationalisme économique et de continentalisme politique. Après avoir rappelé la situation géographique et culturelle de la Moldavie qui fait d’elle un carrefour entre Europe occidentale et orientale, entre catholicité et orthodoxie, entre mondes latin et slave, il a évoqué la situation économique critique de la Moldavie qui se trouve face à une grave hémorragie de ses forces vives en direction de l’Union-Européenne. Une hémorragie qui ne pourra être freinée que par une relocalisation partielle de l’économie moldave. Moldavie qui n’a pas vocation à être juste une réserve de main d’oeuvre à bon marché en direction des pays occidentaux. Bien que l’un des pays les plus pauvres d’Europe, la Moldavie n’est pas condamnée au destin de périphérie de l’UE livrée au pillage de l’impérialisme économique de multinationales apatrides. La Moldavie a une carte stratégique à jouer en se positionnant comme interface géoéconomique et géostratégique entre l’Union Européenne et l’Union Eurasiatique; notamment dans la perspective de la nouvelle route de la soie et dans celle du déplacement du centre de gravité économique mondial vers l’Eurasie. De là découle le continentalisme politique affirmé à plusieurs reprises par le Président Dodon au cours de ces interventions lors du forum. Ainsi, après s’être défini comme « résolument souverainiste », Igor Dodon a rappelé la nécessité de revenir à la vision Gaullienne d’une Europe-puissance et à l’axe stratégique Paris-Berlin-Moscou comme alternative à la construction européenne actuelle. La voie de l’indépendance pour une nation de la taille de la Moldavie passe par le multilatéralisme et le non-alignement plutôt que par l’unipolarité et l’adhésion univoque à l’agenda occidental.

Dans cette perspective, Igor Dodon s’était prononcé en 2017 en faveur d’une annulation par son parlement de l’accord commercial signé avec l’Union européenne en 2014, espérant ainsi rétablir des relations économiques normalisées avec la Russie. Position qui lui vaut d’être mis en difficulté par le parlement moldave où les élus pro-UE sont majoritaires. La République de Moldavie se caractérisant par un régime parlementaire laissant une marge de manoeuvre réduite pour le Président.

Igor Dodon a par ailleurs développé l’idée que le patriotisme économique peut transcender les différences culturelles internes de la Moldavie et les tensions identitaires que pourraient être tenté d’attiser les forces de la Société Ouverte. Forces à l’affût d’une émancipation trop grande de la République Moldave face aux standards de l’UE et soucieuses d’allumer un nouveau foyer de discorde supplémentaire entre la Russie et l’Europe. Peuplée d’une population russophone nombreuse et d’une grande minorité russe, le Président moldave a clairement évoqué le risque d’un scénario de type ukrainien : provoquer une agitation de l’opinion publique visant à le destituer, agitation politique qui pourrait être suivi de provocations inter-ethniques attisées depuis l’étranger. L’équilibre politique moldave étant fragilisé par la question de la Transnistrie.

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Un article récent du centre de presse de Donetsk résume dans ses grandes lignes la situation politique moldave :

« (…) La tension dans la république est liée à l’opposition entre le président pro-russe Igor Dodon, l’opposant Renato Usatii et le bloc politique pro-européen dirigé par Vlad Plahotniuc. Il y a un an, la Moldavie était au bord d’une guerre civile entre citoyens pro-russes et pro-européens, compte tenu de l’augmentation significative des sentiments pro-russes dans le pays ces dernières années, nous ne pouvons pas exclure le scénario ukrainien en Moldavie. 

Récemment, (…) la Cour constitutionnelle a décidé de suspendre les pouvoirs d’un des principaux opposants politiques de Plahotniuc, l’actuel président de la Moldavie, Igor Dodon (NDA : le 5 janvier 2018). Le champ politique de la Moldavie, sous prétexte de lutter contre la corruption, a été presque entièrement débarrassé de ses opposants. »

Au cours de sa conférence de presse lors du forum de Chișinău, le Président Dodon a plusieurs fois exposé le rôle de l’oligarque Vlad Plahotniuc. Un rôle qu’évoque l’article de l’agence Donipress :

« Personne n’avait entendu parler de Plahotniuc comme politicien avant la fin de 2010. Auparavant, Vlad Plahotniuc appartenait à un certain nombre de grands hommes d’affaires moldaves, dont les domaines d’intérêt étaient les banques, les hôtels, les médias et le commerce du pétrole. Mais même à ce moment-là, il a été surnommé « le méchant », puisque l’homme d’affaires était déjà crédité de fraudes, de saisies de vols, de commerce d’armes et de proxénétisme et de nombreuses autres activités illégales. (…) Vlad Plahotniuc a commencé comme membre du Parti Communiste moldave, mais aux élections législatives de 2010 il est devenu membre du Parti Démocrate, où il a immédiatement pris la deuxième place honorable dans la liste. C’est à partir de ce moment qu’a commencé le crépuscule du Parti Communiste en Moldavie (…) L’oligarque Plahotniuc est, depuis décembre 2016 , le chef du Parti Démocrate. Il est intéressant de noter qu’en même temps, officiellement, il n’est pas membre du parti. Aujourd’hui, Vlad Plahotniuc n’occupe aucun poste au gouvernement, mais reste un homme qui contrôle pleinement l’économie, le pouvoir législatif et exécutif dans un petit État, sans aucune responsabilité en tant que fonctionnaire.« (1)

Vlad_Plahotniuc.jpgDonipress rappelle ensuite le « multilatéralisme » de Plahotniuc en matière de corruption :

« (…) Il n’y a pas si longtemps, Vlad Plahotniuc faisait l’objet d’une enquête de la part d’Interpol Italie dans le dossier de la « mafia russe », mais sa position anti-russe déclarée reste la principale raison de la complaisance des États-Unis et de l’UE envers Plahotniuc. (…) Vlad Plahotniuc fait beaucoup d’efforts pour devenir un politicien européen respectable pour l’Occident, il paie périodiquement des publications dans de prestigieux magazines européens et américains. Vlad a même embauché une société de lobbying américaine bien connue, le groupe Podesta, qui a travaillé avec Hillary Clinton. (…) Aujourd’hui, le « maître de la Moldavie » est toléré plutôt qu’approuvé et sera remplacé à toute occasion par un véritable homme politique européen qui n’a pas le stigmate de l’appartenance à la « mafia russe ». » (2)

Dans cette perspective les prochaines élections législatives en Moldavie constitueront un test pour affirmer ou infirmer la solidité des orientations choisies par le Président Dodon et ses soutiens. Elections qui seront aussi l’occasion pour les citoyens moldaves de rejeter ou non les orientations crypto-mafieuses des libéraux enkystés dans leur parlement :

« Selon les sondages sociologiques, le rejet de Plahotniuc et de son gouvernement atteint 80 %. Dans de telles circonstances, la dernière chance pour Vlad de rester au pouvoir sera de provoquer l’escalade du conflit en Transnistrie et de lancer un appel à l’UE et aux États-Unis pour qu’ils exigent une protection contre l’agression russe. L’Europe n’a absolument pas besoin d’un second conflit armé à ses frontières, qui entraînera inévitablement une augmentation du nombre de réfugiés, contribuera au commerce illégal des armes et à la propagation de la criminalité. En novembre 2018, la Moldavie organisera des élections législatives, qui peuvent constituer un test difficile non seulement pour la République de Moldavie, mais aussi pour l’UE dans son ensemble. » (3)

La Moldavie se trouve aujourd’hui sur l’une des lignes de fracture de la tectonique géopolitique contemporaine qui voit se confronter unipolarité et multipolarité, sa survie en tant qu’Etat-nation passe par une pacification des rapports entre Europe et Russie. C’est dans cet esprit que le Président Dodon conçoit les rencontres géopolitiques et de Chisinau et, plus globalement, le logiciel politique eurasiste non-aligné. Pour lui, l’intérêt national et la survie même de la Moldavie passe par le multilatéralisme et le continentalisme politique.

De par les orientations affirmées par le Président Dodon et si l’on se rapporte au manifeste publié à la suite des premières rencontres de Chișinău, on peut considérer que le continentalisme politique comme alternative au globalisme pourrait s’affirmer comme l’orientation géostratégique d’une nation européenne; fût-elle l’une des plus pauvres d’Europe. Il s’agit d’un choix géopolitique et civilisationnel majeur qui est certainement à l’origine des dernières sanctions que rencontre le Président Dodon de la part de son parlement. (4)

Au forum de Chișinău, des non-alignés de toute l’Europe sont venus apporter leur pierre à l’édification d’un avenir européen pacifié et souverain. L’avenir proche nous dira si cette alternative continentale s’imposera et empêchera l’Atlantisme de diviser l’Europe et d’y semer la guerre – comme hier en Yougoslavie et aujourd’hui en Ukraine – et si des intérêts exogènes réussiront à détourner les Européens de la voie de l’indépendance et de la paix.

Pierre-Antoine Plaquevent pour Les Non-Alignés

lundi, 16 octobre 2017

Chisinau (Moldavie) 15-17 décembre: un colloque pour une alternative au capitalisme

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Chisinau (Moldavie) 15-17 décembre: un colloque pour une alternative au capitalisme

Un communiqué du Comité Jean Parvulesco :

Un Colloque international se tiendra les 15 et 16 décembre prochains à Chisinau, capitale de la Moldavie.

Cet événement sera inauguré par le Président de la République Moldave, M. Igor Dodon et à l’occasion duquel sera offert un banquet officiel.

Le thème de ce colloque est «Quelle alternative au capitalisme au XXIe siècle?»

Seront présentes de nombreuses personnalités venues de tous les continents pour apporter leur pierre à la construction d’une véritable alternative au Système à tuer les peuples.