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samedi, 07 février 2015

Quand l’armée de Wrangel a dû abandonner la Crimée en 1920

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Erich Körner-Lakatos :

Quand l’armée de Wrangel a dû abandonner la Crimée en 1920

Automne 1920 : la fin de la guerre civile russe approche. Si nous faisons abstraction des poches de résistance blanche dans la région de l’Amour et autour de Vladivostok, il n’y a plus, à l’Ouest, qu’une seule grande région qui soit encore aux mains des forces fidèles au Tsar : la Crimée. Le Général Piotr Nikolaïevitch Wrangel y détient le commandement : il est l’as de cœur des optimistes qui croient encore à une victoire contre le bolchevisme. Wrangel est issu d’une ancienne famille noble allemande de la Baltique et c’est pourquoi, nous pouvons le dire, un cycle se clôt : dans le processus d’émergence politique de la Russie, jadis, les Varègues scandinaves avaient tenu le rôle de premier plan ; à la fin du cycle, un général issu de la noblesse germanique de la Baltique.

Au début du moi d’avril 1920, Wrangel, né en 1878, reprend le commandement des troupes tsaristes que détenait avant lui le Général Anton Denikine, qui démissionne après avoir subi plusieurs défaites face à l’Armée Rouge de Trotski. Mais à l’impossible nul n’est tenu : Wrangel, général très compétent, ne réussira pas à redresser la barre. Après un échec devant Cherson, la Crimée devient le dernier refuge des Blancs. Wrangel ordonne une réforme agraire, afin que la presqu’île devienne une sorte de Piémont russe, une région-modèle pour les paysans qui croupissent déjà sous la cruelle férule des communistes et qui, d’ailleurs, finiront par se révolter.

Mais la dure réalité dans cette Crimée assiégée par les Rouges est bien différente. Semion Boudyonny, à la tête de la cavalerie rouge, avance trop rapidement : le 14 novembre, Eupatoria tombe sur la côte occidentale, et Yalta, le même jour, sur la côte orientale.

Le flot ininterrompu de l’Armée rouge se déverse de deux côtés sur le port de Sébastopol, où les chefs blancs et d’innombrables réfugiés se regroupent autour de Wrangel. Le 14 novembre, 125 bateaux amènent 15.000 soldats et dix fois plus de civils en sûreté, en voguant vers Constantinople. Wrangel et sa famille sont les derniers, au soir de ce 14 novembre, à quitter Sébastopol à bord d’un navire de guerre français, le « Waldeck-Rousseau ». Le Général avait pris un risque car les matelots français, tourneboulés par la propagande communiste, s’étaient mutinés un an plus tôt et le gouvernement de Paris avait eu toutes les difficultés à mater cette révolte.

Les derniers Russes fidèles au Tsar ont eu plus de chance que les derniers combattants rouges de la guerre civile espagnole, moins de vingt ans plus tard. Ceux-ci se pressaient le 30 mars 1939 dans le port d’Alicante, tandis que les troupes nationalistes, victorieuses, s’apprêtaient à entrer dans la ville. Soudain, les vaincus rouges voient un navire pointer à l’horizon. La masse crie sa joie. Enfin, ils sont sauvés. Mais ce n’est pas une armada franco-anglaise qui arrive à leur secours. Il n’y a finalement qu’un seul navire et il n’évacue que quelques privilégiés. Tous les autres restent sur les quais.

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Wrangel et ses soldats sont internés dans des camps de réfugiés sur la presqu’île de Gallipoli et sur l’île de Lemnos. Les civils restent dans un premier temps à Constantinople où sont alors stationnées des garnisons de l’Entente (Anglais, Français, Grecs). Ce qu’il reste de la flotte tsariste de la Mer Noire (dont un seul navire de ligne) fait route vers la Tunisie, vers le porte de Bizerte, où elle jette l’ancre. L’armée de Wrangel est dissoute le 30 mai 1921. Beaucoup accompagne le « grand baron blanc » en exil en Yougoslavie, où les Russes sont chaleureusement accueillis car, il ne faut pas l’oublier, la dynastie des Karageorgevitch devait à l’Empire des Tsars que le cri lancé à Vienne « Serbien muss sterbien » en 1914, après l’attentat de Sarajevo, n’ait pas été suivi d’effets.

La vengeance de Staline ne poursuivra pas seulement ses anciens compagnons de combat comme Trotski mais aussi ses ennemis de la guerre civile. Le 25 avril 1928 Piotr Wrangel s’éteint à Bruxelles : il était le dernier espoir de la Russie chrétienne-orthodoxe. D’après sa famille, il aurait été empoisonné par le frère de son majordome, un espion soviétique.

Erich Körner-Lakatos.

(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°3/2015, http://www.zurzeit.at ).

vendredi, 26 septembre 2014

Sur la sainte Russie, l'idéologie eurasiste et le Général Wrangel

Général Wrangel

par Christopher Gérard

Ex: http://archaion.hautetfort.com

 

Wrangel_Pyot.jpgSpécialiste de l’histoire russe, N. Ross a notamment publié un essai sur Nicolas II (La Mort du dernier tsar, la fin du mystère, L’Age d’Homme). Il nous livre aujourd’hui un essai d’une grande clarté, illustré de photos inédites, sur l’état russe de Crimée, dirigé par le général Piotr Nikolaievitch Wrangel (1878-1928), dernier commandant en chef des Armées blanches et chef spirituel de l’émigration russe jusqu’à sa mort à Bruxelles, sans doute à la suite de l’inoculation par un agent soviétique du bacille de Koch. Issu d’une lignée germano-balte, le baron Wrangel, glorieux officier de la Garde, lutta dès le début contre les Rouges et, à partir du moment où il remplaça, en 1920, le général Dénikine à la tête de la résistance antibolchévique, fit preuve d’un sens de l’organisation et de visions politiques d’une rare ampleur, puisqu’il comptait reconstruire la Russie par le bas. Pragmatique, Wrangel tenta de développer un projet global pour une Russie libérée, notamment par le biais de réformes agraires et institutionnelles. L’état russe de Crimée (ou gouvernement de Tauride), qui fut de facto reconnu par la France, donne une idée d’un autre destin pour l’empire : presse libre, refus de l’antisémitisme, liberté religieuse… L’essai de N. Ross retrace tous les aspects de l’action du général Wrangel : opérations militaires, affaires économiques, réflexion spirituelle et politique (à laquelle prirent part B. Souvarine, S. Boulgakov et G. Vernadsky - futur théoricien de l’eurasisme). Wrangel parvint enfin à assurer l’exode de près de 150.000 réfugiés, civils et militaires, qui échappèrent ainsi au massacre.

Christopher Gérard 

Nicolas Ross, La Crimée blanche du général Wrangel, Editions des Syrtes, 224 pages, 15€

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Sainte Russie

Pour célébrer le 90ème anniversaire de la révolution russe, les éditions du Rocher proposent une réédition augmentée de Les Blancs et les Rouges. Histoire de la guerre civile russe (1917-1921), passionnant essai que Dominique Venner, directeur de la Nouvelle Revue d’Histoire, a naguère consacré à un cataclysme qui engendra le plus terrifiant régime des temps modernes. D’une précision militaire, son récit de l’atroce guerre civile, des mutineries de 1917 aux ultimes révoltes populaires au bolchevisme, permet de comprendre à quel point « un soulèvement de millions de croquants hérissés de baïonnettes, conduits par une petite meute de fanatiques binoclards » fut la matrice d’un siècle de fer. Car la terreur instaurée par Lénine et Staline frappa durablement les esprits de l’époque par sa brutalité même et fut, plus tard, l’une des causes de l’avènement des dictatures mussolinienne et hitlérienne. Outre ce regard dans une perspective large, l’originalité de l’ouvrage réside dans l’étude comparée des Rouges et des Blancs : portraits et récits de campagnes alternent, illustrés par de nombreux témoignages à chaud longtemps occultés par une historiographie marxisante. De même, les insuffisances et les points forts de chaque camp sont analysés avec finesse : les Blancs comptèrent de valeureux chefs (Dénikine, Koltchak, sans oublier Wrangel, mort en exil à Bruxelles); quant aux Rouges, ils ne furent pas partout vainqueurs (Pologne, Finlande, Etats baltes). Bien des dogmes sont ainsi pulvérisés, notamment celui de « l’humanisme » de Lénine, qui ordonne sans hésiter des massacres d’une effroyable ampleur, ou celui du sens de l’histoire : en 1919 encore, les jeux n’étaient pas faits.

Après la prise du pouvoir par les bolcheviques, deux millions de Russes fuirent une Russie martyrisée. Dix mille d'entre eux trouvèrent refuge dans notre pays. C'est leur histoire, celle de l'émigration russe en Belgique durant l'Interbellum, qu'un jeune chercheur de l’Université de Louvain et du FNRS, W. Coudenys, a étudiée avec une minutie exemplaire (Leven voor de Tsaar. Russische ballingen, samenzweerders en collaborateurs in België,Davidsfonds). Tous ces exilés n'étaient pas nobles comme le général baron Wrangel, dernier chef des Armées blanches, mort (empoisonné?) à Uccle en 1928, mais nombre d 'officiers purent survivre grâce à l'aide de la Belgique, qui participa à l'intervention alliée contre les Rouges (voir les témoignages de l’écrivain belge Marcel Thiry). Le Roi Albert n'avait-il pas caché à l'époque son hostilité aux Soviets? W. Coudenys a dépouillé une masse impressionnante d'archives inédites - journaux de l'émigration, dossiers de la Sûreté, etc. - et nous offre ainsi un tableau très vivant de cette Russie de l'exil, tiraillée entre la fidélité et l'adaptation à un monde en crise. L'aspect culturel n'est pas négligé: cercles littéraires et groupes musicaux, sans oublier ce singulier courant eurasiste qui tint son premier congrès international à Bruxelles. Le rôle de l'épiscopat belge, comme celui de l'Université de Louvain, qui forma de nombreux cadres d'origine russe, bref, toute la vie d'un milieu caractérisé par une grande dignité, est retracée avec une précision d'entomologiste. L'émigration blanche étant un rarissime exemple d'armée en exil (pendant vingt ans), le chercheur s'est également penché sur les nombreuses associations militaires, surveillées et infiltrées avec une rare maestria par les services soviétiques. Voilà donc un éclairage fort utile sur l'histoire belge de l'entre-deux-guerres et de l'occupation, car une poignée de Blancs reprit le combat sous l'uniforme feldgrau, avec les déconvenues que l'on devine. Sur l’émigration russe, il faut remarquer que le dernier film d'E. Rohmer, Triple agent  (lire aussi Eric Rohmer, Triple agent, Petite bibliothèque des cahiers du cinéma), un chef-d'œuvre d'intimisme, narre l'histoire d'une trahison dans le Paris des Russes blancs, celle du colonel Skobline. Enfin, sur les associations militaires, lire, de Paul Robinson, The White Russian Army in Exile 1920-1941(Oxford University Press).

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Zinaïda Hippius

Personnage clef du monde littéraire pétersbourgeois et figure éminente avec son mari l’écrivain Dimitri Merejkovski du symbolisme russe, Zinaïda Hippius (1869-1945) assista à la chute du tsarisme et à l’avènement du bolchevisme, après l’intermède Kerenski. Son  journal des années 1914-1920 (Journal sous la Terreur, Collection Anatolia, éditions du Rocher), en grande partie occulté par le régime soviétique durant 70 ans, paraît enfin, livrant un témoignage accablant sur l’asservissement de la Russie à une clique d’idéologues barbares. Aux insuffisances des élites traditionnelles, à l’aveuglement des intellectuels répondent la brutalité sans complexe des Rouges qui, en quelques jours, s’emparent du pouvoir à la pointe des baïonnettes. Les étapes de ce processus infernal sont décrites au jour le jour avec une effrayante lucidité : qu’elle évoque le musellement de la presse, les arrestations (« Chaque jour, on fusille quelqu’un dans chaque soviet d’arrondissement ») et les viols, l’esclavage déguisé et le marché noir, les rafles de « bourgeois » et la délation généralisée, les pillages et les soûleries, les retournements de veste ou les fuites sans gloire, Hippius se hausse au niveau des grands historiens romains. Nous assistons éberlués à la fin d’un monde certes imparfait mais civilisé, et à la naissance d’une tyrannie : « tout le monde meurt (sauf les commissaires, leurs valets et les bandits). Plus ou moins vite. »

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Idéologie eurasiste & "mythe aryen"

laruellle9782.gifSpécialiste des courants nationalistes russes, Marlène Laruelle s’était fait remarquer par une brillante thèse sur l’eurasisme (L’idéologie eurasiste russe ou comment penser l’Empire, L’Harmattan, 1999). Elle s’attaque dans Mythe aryen et rêve impérial dans la Russie du XIXème siècle, (CNRS éditions), au mythe aryen dans l’aire culturelle russe. Définissant ce mythe comme « une recherche romantique des origines » ou comme « mode de lecture du monde », M. Laruelle montre que, au contraire de l’allemand, l’aryanisme russe fut toujours étranger au racialisme. Il convient donc de distinguer l’aryanisme, fils du romantisme européen, du racialisme, fruit monstrueux du scientisme. Le premier n’est nullement prédestiné à devenir ce qu’il fut de 1933 à 1945. De même, la diabolisation des courants romantiques, présentés comme menant fatalement au nazisme, devient intenable, puisque la quête identitaire russe, ignorant l’antisémitisme et en fait tout racisme, cette quête impériale plutôt que nationale, fascinée par l’Asie blanche tout en affirmant une européanité plus complète, se distingue radicalement de l’allemande. Laruelle montre avec brio que l’aryophilie russe fut pensée comme une réconciliation de l’occidentalisme et du slavophilisme. La Russie comme autre Europe. Sa thèse étudie également l’instrumentalisation du mythe aryen par la politique tsariste  en Asie centrale : à l’époque du Grand Jeu (Kipling), les Slaves considéraient leur expansion dans ces régions stratégiques comme le « juste retour » des Aryens dans leur patrie originelle. Une thèse passionnante sur un sujet sensible, traité avec autant de tact que de probité.