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jeudi, 03 février 2022

Mircea Eliade et la Garde de Fer

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"Mircea Eliade et la Garde de Fer", livre de Claudio Mutti

Une critique de Riccardo Rosati

Ex: https://www.ereticamente.net/2016/05/mircea-eliade-e-la-guardia-di-ferro-di-claudio-mutti-recensione-a-cura-di-riccardo-rosati.html?fbclid=IwAR0WbrOzMm5iO54pYlDuR3BiIDhO6foulDq0JPzsXhA2WOxqxBzHtcjF8RA

Ro2-184x300.jpgLe livre de Claudio Mutti est un outil précieux pour comprendre le passé gardiste d'Eliade. C'est un livre petit mais important, qui présente une recherche méticuleuse des sources, une opération qui n'est certainement pas facile, puisque pendant la période de la dictature en Roumanie, beaucoup de documents ont été détruits. Il s'agit d'un ouvrage qui éclaire la période all'ant de 1936 à 1938, alors qu'Eliade était membre du mouvement de la Légion de l'Archange Michel, ou Garde de Fer, comme on l'appelle souvent en Europe occidentale. Cette relecture actualisée de l'ouvrage que Mutti a consacré en 1989 au célèbre historien des religions démontre une fois de plus combien le savant italien est un point de référence pour approfondir le "légionnaire" Eliade. 

Le texte s'ouvre sur une citation de Franco Cardini, qui soutient que la Garde de Fer est un phénomène qui doit être étudié : "[...] d'un point de vue sociologique et anthropologique-ethnologique plutôt qu'idéologico-politique [...]". Mutti est bien conscient de la nécessité d'analyser l'implication directe d'Eliade dans les événements de son pays non pas dans une perspective idéologique qui serait limitative, mais dans une perspective spirituelle, active et participative. L'esprit et l'âme, comme l'a fait l'érudit roumain pendant une partie de sa vie, doivent être mis au service du Peuple et non de soi-même, et c'est déjà une leçon importante que nous pouvons tirer de ce livre.

Un autre élément souligné par Mutti concerne la pertinence autobiographique dans la fiction d'Eliade : "Il existe cependant une partie de la production d'Eliade dans laquelle la donnée autobiographique n'est pas déclarée, mais est souvent habilement dissimulée dans le contexte d'une intrigue fictive, tout en conservant une transparence lucide". Il le fait avec un style d'écriture très particulier : un ton apparemment "froid" et enclin à la synthèse, mais qui s'avère captivant, poussant à lire la page suivante et ainsi de suite, posant des questions auxquelles on tente, et souvent on réussit, à donner des réponses.

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C'est le cas de Forêt interdite (1955)... s'agit-il d'un roman autobiographique ? Mutti conclut qu'il ne l'est pas, bien qu'il se déroule dans le camp de prisonniers de Miercurea Ciuc, où le philosophe des religions  a été emprisonné. Le voyage de Mutti dans le militantisme d'une certaine jeunesse roumaine, à travers le récit d'Eliade, avec des épisodes aussi héroïques que vrais, est vraiment évocateur. Nous nous rappelons, par exemple, comment dans le camp d'internement, Nae Ionescu (le professeur d'Eliade) a créé une "université légionnaire" ou lorsque les membres de la Garde se relayaient avec une précision militaire dans la prière et le jeûne. 

Il y a des universitaires qui ont connu la prison ou, comme dans ce cas, un camp d'internement. Aux yeux de la droite progressiste d'aujourd'hui, cela suscite la peur et la suspicion, comme si cela diminuait la valeur du chercheur qui se heurte à une politique oppressive, corrompue et injuste. Mais c'est précisément tout ce qui relève du militantisme et de l'engagement qui les dérange, ainsi que les actes de courage. C'est ce qui est arrivé à Fosco Maraini au Japon, mais on ne parle jamais de son emprisonnement volontaire, on se contente de dire qu'il s'est coupé le doigt pour obtenir les faveurs des militaires japonais. Un intellectuel qui vit en captivité génère un monde en lui-même, il doit le faire pour survivre. Dans le cas de Gramsci, la prison a été paradoxalement sa grande chance, mais quand il s'agit d'un penseur de droite, tout devient hooliganisme, subversion, ille nihil dubitat qui nullam scientiam habet.

Un chapitre du livre s'intitule "La dernière chance de la Roumanie", reprenant les mots d'Emil Cioran. Pouvons-nous emprunter cette phrase aujourd'hui pour affirmer que la pensée traditionnelle est la dernière chance de l'Occident ? Cioran avait-il donc raison de croire que le salut de la société moderne résidait dans la "destruction de la démocratie"? Le texte de Mutti n'évite pas les réflexions de ce genre, étant empreint de ce courage nécessaire aujourd'hui pour dénoncer les ténèbres qui dominent le monde, comme lorsqu'il parle, sans mâcher ses mots, du "veto sioniste" qui a empêché la candidature d'Eliade au prix Nobel.

En outre, Mutti n'hésite pas à aborder de front les problèmes socioculturels de la société contemporaine, en utilisant avec profit une perspective traditionnelle. C'est ce qu'il a fait lors d'une conférence sur René Guénon qui s'est tenue à Rome il y a quelques années, au cours de laquelle il a réussi à proposer une lecture du philosophe français qui n'était finalement pas cérébrale et "alchimique" - comme cela arrive ponctuellement chez presque tous les soi-disant guénoniens - en stigmatisant le rôle occulte de Basile Zaharoff (1849 - 1936) (photo) : une figure malheureuse, peu connue et étudiée, mais qui a dirigé le destin du monde tel que nous le connaissons aujourd'hui. Cela nous semble être la seule façon possible d'être un traditionaliste, l'audace d'entrer dans la lutte, même politique si nécessaire !

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Eliade lui-même le dit clairement avec ses propres mots : "Pour moi, qui ne croyais pas au destin politique de notre génération (ni à l'étoile de Codreanu), une déclaration par laquelle je me dissociais du Mouvement semblait non seulement inacceptable, mais même absurde". Il y a donc un temps pour la recherche et un temps pour l'engagement ; l'un ne doit jamais prévaloir sur l'autre, mais ils ne doivent pas non plus entrer en conflit. Le monde occidental dans lequel nous vivons ne peut pas s'abreuver d'ésotérisme pur, c'est une étape complexe et il a besoin, avant de l'atteindre, d'un éveil, qui passe inexorablement par le fait de rendre la Tradition compréhensible, d'expliquer comment elle n'est pas une "fuite du monde", mais une puissante rentrée dans celui-ci, non pas tant pour le détruire, dans une tentative de remettre anachroniquement les mains de l'histoire à zéro, mais pour le "rectifier" de manière évolutive.

Riccardo Rosati.

vendredi, 15 mars 2013

Codreanu sur Méridien Zéro

EMISSION N° 136

"CORNELIU ZELEA CODREANU ET LA GARDE DE FER"

Ce dimanche, Méridien Zéro reçoit Sylvain Roussillon pour évoquer avec lui la figure de Corneliu Zelea Codreanu, chef de la Garde de Fer, mouvement légionnaire roumain des années 20-30.

A la barre, PGL assisté de Wilsdorf.

Lord Tesla à la technique.

corneliu zelea codreanu, garde de fer, roumanie, legionnaire,

DIFFUSION DE L'EMISSION LE DIMANCHE 17 MARS

jeudi, 23 octobre 2008

Les frères Cioran et le passé gardiste

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Les frères Cioran et le passé “gardiste”

 

Quand il voulait susciter le scepticisme des Parisiens, Emil Cioran se plaisait à dire que l'une des plus belles villes du monde était Sibiu/Hermannstadt. Et il pensait que Paris était devenue un “garage apoca­lyptique”. De Sibiu, il disait à ses interlocuteurs étonnés: «C'est une ville vraiment extraordinaire». Il ai­mait évoquer le temps où il habitait cette cité transylvanienne, proche de la frontière qui séparait l'empire des Habsbourg du Royaume balkanique de Roumanie: «Il y avait là-bas trois nationalités (l'allemande, la hongroise et la roumaine) qui vivaient en parfaite convivialité. Cet fait m'a marqué pour toute ma vie, car, depuis, je ne parviens pas à vivre dans une ville où l'on ne parle qu'une seule langue, car je m'y ennuie tout de suite».

 

C'est à l'âge de dix ans qu'Emil Cioran arrive à Sibiu/Hermannstadt, après avoir pleuré pendant tout le trajet parce que son père, le Pope orthodoxe Emilian, l'avait arraché au paradis de son enfance, afin qu'il puisse poursuivre des études. Ce paradis, c'était le village de Rasinari. Mais l'écrivain dira plus tard: «Après Rasinari, Sibiu est la ville que j'ai aimée le plus».

 

Le puiné du Pope Emilian Cioran, Aurel, aujourd'hui octogénaire, habite encore à Sibiu. C'est un avocat à la retraite. Mais s'il n'avait pas pu devenir avocat, il serait devenu moine; ce fut son frère Emil qui l'en dis­suada. Un soir, après le repas, Emil l'invita à une promenade dans les bois qui s'étendaient au-delà de la ville de Sibiu et jusqu'à six heures du matin, à force d'arguments de tous genres, il démontra à Aurel qu'il fallait qu'il renonce à cette idée de se faire moine. Plusieurs années plus tard, Emil regretta d'avoir eu cette importante conversation avec Aurel; il confessa qu'en cette circonstance toute l'impureté de son âme s'était manifestée et que son acharnement n'était que le seul fruit de son orgueil. Il dit: «J'avais l'impression que tous ceux qui ne se soumettaient pas à mes argumentations démontraient qu'ils n'avaient rien compris».

 

Donc, au lieu de se retirer dans un monastère, Aurel s'en alla étudier la jurisprudence à Bucarest, dans la même institution où Emil s'était inscrit en philosophie et lettres.

 

Les deux frères se sont retrouvés ensemble sur les bancs des mêmes auditoires, où le philosophe Nae Ionescu donnait ses leçons. C'était une sorte de Socrate pour les générations des années 30 et il a formé des intellectuels qui très vite acquerront une réputation mondiale, comme Mircea Eliade, Constantin Noica et Emil Cioran.

 

Ce dernier, m'a raconté son frère Aurel, se rendait régulièrement aux cours de Nae Ionescu, même après avoir terminé ses études universitaires. Un jour, alors que la leçon était finie, le professeur a demandé aux étudiants: «Voulez-vous que je vous parle encore de quelque chose?». Emil s'est levé et a demandé: «Parlez-nous de l'ennui». Alors Nae Ionescu a appronfondi la thématique de l'ennui pendant deux heures. Une autre fois, le Professeur Ionescu a demandé à Emil Cioran de lui suggérer un thème à développer au cours de sa leçon; Cioran l'invita à parler des anges. Dans une faculté dominée par le rationalisme, seul Nae Ionescu pouvait se permettre de traiter de thèmes spirituels, parce que, comme l'a défini Eliade, il était “un logicien terrible”.

 

Immédiatement après la guerre, Aurel Cioran fut reconnu coupable d'avoir milité au sein du “Mouvement Légionnaire” et condamné à sept années de prison; sa sœur Gica reçut une peine analogue. Contrairement à Emil, qui s'est dissocié publiquement dans les années 60 de son propre passé de sympa­thisant de la Garde de Fer, Aurel revendique avec fierté l'option militante de sa jeunesse. Il a rencontré le “Capitaine” Codreanu dans des camps de travail légionnaires, où les jeunes réalisaient des travaux d'utilité publique négligés par le gouvernement.

 

Emil Cioran lui aussi fut fasciné par la figure de Codreanu; pour la Noël 1940, il écrivit un “profil intérieur” du Capitaine, dont on donna lecture à la radio à l'époque du gouvernement national-légionnaire. Dans ce texte, Cioran disait: «Avant Corneliu Codreanu, la Roumanie était un Sahara peuplé... Il a voulu introduire l'absolu dans la respiration quotidienne de la Roumanie... Sur notre pays, un frisson nouveau est passé... La foi d'un homme a donné vie à un monde qui peut laisser loin derrière lui les tragédies antiques de Shakespeare... A l'exception de Jésus, aucun autre mort ne continue à être présent parmi les vivants... D'ici peu, ce pays sera guidé par un mort, me disait un ami sur les rives de la Seine. Ce Mort a répandu un parfum d'éternité sur notre petite misère humaine et a transporté le ciel juste au-dessus de la Roumanie». Par ailleurs, quelques années auparavant, Emil Cioran avait écrit que “sans le fascisme l'Italie serait un pays en faillite”; ou encore: “dans le monde d'aujourd'hui, il n'existe pas d'homme politique qui m'inspire une sympathie et une admiration plus grande que Hitler”.

 

On peut penser que les prises de position du Cioran de ces années-là, en dépit de ses abjurations ulté­rieures, seront tôt ou tard utilisée pour démoniser son œuvre, pour lui faire en quelque sorte un procès posthume, semblable à celui que l'on a intenté contre Mircea Eliade. Quand j'évoquai cette éventualité, Aurel Cioran a perdu pendant un instant son calme olympien pour manifester une grande indignation et stigmatiser la mafia qui se livrait à de telles profanations. Au cours de ces derniers mois, a-t-il ajouté, une campagne de diffamation s'est déroulée en Roumanie contre la mémoire de Nae Ionescu, précisément parce qu'il fut le maître de toute cette jeune génération intellectuelle qui sympathisait avec le “Mouvement Légionnaire”.

 

De fait, à peine sorti de la maison d'Aurel Cioran, j'ai trouvé sur une échope trois éditions récentes de Nae Ionescu: un recueil de conférences tenues par le professeur en 1938 dans le pénitentier où il était en­fermé avec toute l'élite du “Mouvement Légionnaire”. Parmi les internés, il y avait aussi Mircea Eliade. Emil Cioran était en France depuis un an.

 

Claudio MUTTI.

(article paru dans le quotidien indépendant L'umanità, 22 février 1996; trad. franç. : Robert Steuckers).