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lundi, 15 novembre 2021

Modernité et tradition chez Fernando Pessoa

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Modernité et tradition chez Fernando Pessoa

"Un poète visionnaire qui a su analyser et comprendre les conflits du monde"

par Brunello Natale De Cusatis

Ex: https://www.barbadillo.it/101697-modernita-e-tradizione-in-fernando-pessoa/

Il est incontestable que la célébrité de Fernando Pessoa est essentiellement due aux aspects novateurs de ses vers, auxquels son hétéronomie est étroitement liée - c'est-à-dire une capacité très particulière à se dépersonnaliser, en créant d'autres personnalités, chacune avec sa propre biographie, ses propres intérêts culturels, son propre style littéraire; elles sont différentes, ces personnalités, les unes des autres, et aussi de leur propre démiurge.

Ceci étant dit, il faut toutefois souligner que la grandeur de Pessoa ne réside pas uniquement dans les innovations liées à sa poésie, car je crois que la particularité la plus importante de son œuvre est celle d'une alternance constante, ou mieux, d'un concours constant et continu de modernité et de tradition. Dans ce sens, je pense qu'il est utile de rappeler comment cette particularité est encore aujourd'hui - bien que de façon moins marquée qu'il y a quelques années - à l'arrière-plan des critiques non portugais. Surtout les critiques italiens, qui préfèrent généralement s'attarder sur les aspects novateurs de l'œuvre de Pessoa, négligeant (peut-être parce qu'ils seraient obligés de donner des justifications "embarrassantes", en termes de, comment dire ? - oui, en termes sociologiques et politiques) l'autre Pessoa, tel que je le définis habituellement dans mes travaux, c'est-à-dire le Pessoa "épique", "prophétique", "occultiste", "ésotérique" et "mythogénique". Toutes ces caractéristiques, bien sûr, n'ont rien ou presque rien de moderne, se rapportant sans doute, au sens large, au Pessoa "traditionaliste" et, plus spécifiquement, au Pessoa "nationaliste" et "patriote".

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On a souvent dit, à juste titre, que Fernando Pessoa, au Portugal, a marqué l'avant-garde du 20ème siècle mieux que quiconque, à la fois en s'appropriant et en retravaillant des courants de pensée artistico-littéraires déjà codifiés et cimentés dans le reste de l'Europe d'époque (comme le futurisme, le cubisme, le surréalisme, l'existentialisme), et en en inventant d'autres ex novo (le paulisme, le sensationnalisme et l'intersectionnisme).

En ce sens, les vers d'Impressions du crépuscule et de Pluie oblique, par exemple, sont incontestablement admirables et uniques. Quant au premier poème - plus connu sous le titre Marécages (Pauis, en portugais), premier mot par lequel commence le poème, publié en février 1914 dans le premier et unique numéro de la revue Renascença - il s'avère être le manifeste du "paulisme", avec lequel Pessoa entend dépasser, non seulement sur le plan technique et conceptuel, mais aussi sur le terrain de la sensibilité et de l'imagination, le soi-disant saoudisme (1). Avec le second poème - composé de six poèmes, publiés en 1915 dans le deuxième numéro de la revue Orpheu (2) - Pessoa donne forme à une nouvelle avant-garde qu'il appelle l'Intersectionnisme, qui a beaucoup à voir avec les développements de la peinture moderne, en particulier avec le Cubisme, ainsi qu'avec le Futurisme. En effet, dans chacun des six poèmes, deux scènes - l'une représentée par la dimension du réel, l'autre par la dimension onirique - se croisent plutôt que de se chevaucher, comme cela est nécessaire dans un tableau cubiste, ce qui finit par créer une sensation de flou, certes moins musicale mais plus plastique que celle produite par les poèmes paulistes.

Comment ne pas mentionner, en outre, d'autres vers admirables de ses principaux hétéronymes, à savoir Alberto Caeiro, Ricardo Reis et Álvaro de Campos ? Surtout ce dernier, certainement l'hétéronyme le plus proche de l'orthonyme Pessoa, ingénieur naval et voyageur, avant-gardiste, futuriste, iconoclaste et nietzschéen, auteur de Oppiario, Ode trionfale, Ode marittima, Tabaccheria - compositions poétiques extraordinaires et uniques, je dirais - mais aussi d'un texte en prose très célèbre, Ultimatum, de 1917, véritable manifeste futuriste, aux accents fortement nietzschéens, dans lequel l'universalisme des Portugais est marqué et caractérisé, tant dans la sphère historique que supra-historique - une constante, suggère Pessoa/Campos, qui leur permet, plus et mieux que tout autre peuple, de construire un Nouveau Monde.

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Fernando Pessoa, cependant, n'est pas seulement cela. En fait, ce qui fait de lui l'un des plus grands poètes du XXe siècle n'est pas seulement ce que l'on peut définir comme le jeu hétéronymique, ni même un type de poésie qui a eu l'occasion de franchir à titre posthume les frontières de son pays et, par conséquent, d'être connu, comme exemple suprême de modernité, par un public beaucoup plus large.

Il est nécessaire de prendre en considération d'autres éléments très importants, déjà mentionnés ci-dessus, tels que l'épopée, la prophétie et l'esprit mythogénique. Ce sont tous des aspects - comme je l'ai souligné dès 1997, à l'occasion de mon essai introductif à la traduction italienne de l'élégie de Pesso À la mémoire du Président-Re Sidónio Pais [cf. DE CUSATIS, 2010] - qui renvoient à la conception originellement médiévale de l'être comme analogie. En effet, en recourant aux symboles et aux images, l'analogie finit par constituer un pont d'union entre l'infini et le fini, entre l'éternel et le transitoire. Ainsi, je suis d'avis que c'est précisément de ces caractéristiques, plutôt que de la dépersonnalisation hétéronyme, que découle l'unicité et, d'une certaine manière, l'insurmontabilité de la poésie de Pesso dans le panorama littéraire du XXe siècle. Et ce, pour deux raisons essentielles : (a) parce que tant l'épopée et la prophétie que la mythogénie, à y regarder de plus près, positionnent une grande partie des vers de Fernando Pessoa hors d'un temps et d'un lieu spécifiques, les universalisant ainsi ; b) parce qu'ils représentent le trait d'union entre "Pessoa le poète" et "Pessoa le penseur", un lien dont il faut absolument tenir compte si l'on veut étudier et déchiffrer le lyrisme et le drame, l'intensité émotionnelle et sentimentale, en un mot, le pathos de cette figure exceptionnelle d'artiste et d'intellectuel.

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En effet, si l'on n'examinait pas les valeurs, les principes et les archétypes qui sous-tendent les grandes et admirables compositions poétiques de Pessoa, en premier lieu le Messaggio (Message) - comme on le sait, sa première œuvre, son poème le plus représentatif et le plus célèbre - mais aussi l'élégie Alla memoria del Presidente-Re Sidónio Pais, déjà mentionnée, ainsi que toute sa poésie dite mythico-prophétique et ésotérique, il serait impossible d'en saisir l'essence profonde et intime.

Eh bien, ce n'est que lorsque nous allons lire et analyser attentivement ces compositions poétiques, ainsi que toute une série d'articles et d'essais (non seulement ceux publiés de son vivant, mais aussi ceux exhumés de l'arche désormais "mythique" et publiés à titre posthume, même s'ils sont souvent incomplets ou fragmentaires) à contenu sociologique, théorico-politique, mythico-prophétique et économique, que son être d'écrivain-patriote apparaît. Autrement dit, l'amour filial pour sa patrie se manifeste, un "amour-médicament" - comme j'ai eu l'occasion de le définir - car un patriotisme aussi intense et profond atténuera en quelque sorte sa solitude (synonyme, par ailleurs, d'agitation et d'insécurité) et Pessoa pourra s'identifier à la collectivité nationale, à l'histoire et à l'avenir de son propre pays.

En substance, l'amour patriotique (3) sera une présence constante tout au long de son arc existentiel et littéraire. Sans crainte d'être contredit, j'affirme que l'amour patriotique, qui va clairement de pair avec son nationalisme, est l'un des aspects les plus positifs (si ce n'est le seul !) et les plus fermes que révèle le grand écrivain portugais dans les hauts et les bas de son existence labyrinthique. Le patriotisme mythogénique s'exprime dans ses compositions mentionnées précédemment, notamment dans le poème Message, écrit entre 1913 et 1934, année de sa publication (avec une période de gestation, donc, de plus de vingt ans), qui est à toutes fins utiles une épopée du Portugal historique et mythique.

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Eh bien, la date cruciale, pour ainsi dire, de l'explosion de ce sentiment patriotique est le 5 octobre 1910, jour où la monarchie constitutionnelle est définitivement renversée au Portugal. Faites attention ! Je dis bien "Monarchie constitutionnelle" et non "Monarchie absolue", cette dernière ayant été renversée bien plus tôt, en 1822. La distinction entre les deux types de monarchie est déterminante dans l'évolution socio-politique de Pesso, puisque l'écrivain portugais était effectivement contre la monarchie constitutionnelle, mais était néanmoins favorable à la monarchie absolue ou pure, étant à toutes fins utiles un "conservateur".

Le fait est que c'est précisément après la proclamation de la République que Fernando Pessoa a commencé à s'intéresser au sort du Portugal, en publiant des essais, des articles et des poèmes, en accordant des interviews et, surtout, en travaillant à la conception de nombreux pamphlets et livres qu'il n'a pu achever et, par conséquent, publier, et dont il ne reste qu'un grand nombre de notes et de mémos fragmentaires.

Si l'on examine l'ensemble de l'œuvre sociologique, politique et économique de Pessoa, on obtient un penseur sui generis, car Pessoa est avant tout un poète et non un sociologue, un politologue ou un économiste. Et pourtant, cet intérêt est également fondamental dans l'étude du poète Pessoa.

L'année 1912 est certainement l'année décisive dans sa vie et sa formation, tant artistique qu'intellectuelle. Il a vingt-quatre ans et fait ses débuts littéraires dans la revue A Águia, organe de la Renascença Portuguesa, une société culturelle d'inspiration nationaliste qui propose la renaissance intellectuelle du Portugal.

La revue et, par conséquent, la Renascença Portuguesa elle-même, ont pour point fixe la lutte contre le positivisme et aspirent à s'implanter, selon les mots de son plus grand représentant, le susdit Teixeira de Pascoaes,

    "l'âme portugaise dans la terre portugaise, de sorte que le Portugal existe comme une patrie, car une patrie est de nature purement spirituelle et les seules forces invincibles sont les forces de l'esprit." [cité dans GUIMARÃES, 1988 : 61].

Tout cela, sans attitudes militaristes et autoritaires.

C'est cette doctrine, ce sont ces principes qui attirent Fernando Pessoa, car ils correspondent à son intense souffrance patriotique.

Dans la revue A Águia, Pessoa fait son baptême littéraire avec une série de trois articles, avec le titre générique La nouvelle poésie portugaise, avec lequel il adhère à l'idée saudosiste de Pascoaes [voir PESSOA, s. d. : 17-57]. Il terminera cette série d'articles par des paroles profondément prophétiques :

    "Et notre grande Course partira à la recherche d'une nouvelle Inde, qui n'existe pas dans l'espace, sur des vaisseaux construits "avec ce dont les rêves sont faits". Et sa véritable et suprême destinée, dont l'œuvre des navigateurs n'a été que la sombre et charnelle imitation imparfaite, sera divinement réalisée." [IBIDEM : 57].

Dans ces paroles, à la fois prophétiques et incendiaires, nous retrouvons, une fois de plus, la présence d'un indiscutable et profond amour patriotique de la part de notre poète, un désir impétueux de régénération nationale qui sera le germe de tous ses poèmes et poèmes mythico-prophétiques.

Comme nous l'avons déjà mentionné, c'est à partir de la proclamation de la République que Fernando Pessoa commence à se préoccuper activement du sort de son pays. Dans les années 1920 à 1925, cependant, il se désintéresse presque totalement des événements politiques qui se déroulent au Portugal, car il est déçu et découragé par l'absence de solutions sociales et politiques satisfaisantes à l'horizon immédiat.

Lorsqu'il revient à la politique, il combine cette activité avec son intérêt pour la théosophie et l'occultisme.

Dans son œuvre, à partir de ce moment, deux directions principales vont se développer en particulier, au-delà de la poursuite de sa poésie orthonyme et hétéronyme, de nature lyrique ou dramatique. D'une part, une orientation ésotérique, occultiste et initiatique, c'est-à-dire la recherche d'une connaissance traditionnelle du divin, mais - attention - en termes généralement peu orthodoxes par rapport à la théologie catholique et en assimilant les traditions orphiques, gnostiques, templières, orientales et rosicruciennes (tout cela sur un plan transcendant et non sur celui d'une initiation maçonnique militante, qui ne l'a jamais intéressé activement). D'autre part, nous avons un patriotisme (qui se manifeste, en particulier, en termes de sébastianisme messianique, c'est-à-dire lié au mythe de Don Sebastian), très différent des courants conservateurs en vigueur dans le Portugal d'époque, tels que le nationalisme tout court, le lusitanisme et l'intégrisme.

L'idée de l'existence comme réalité mystérieuse et divine (un concept - il faut le dire - apparemment nié par certains de ses hétéronymes, c'est-à-dire, d'une certaine manière, par ses démons intérieurs) a été exposée à plusieurs reprises dans divers poèmes et poésies.

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Pessoa, en ce qui concerne cet aspect, est même allé jusqu'à être agressivement très polémique en défendant dans l'un de ses articles (Associations secrètes. Une analyse sereine et méticuleuse), publié le 4 février 1935 dans le Diário de Lisboa, les sociétés initiatiques comme la franc-maçonnerie, qu'il considère comme la sentinelle d'un savoir archaïque et de vérités secrètes qui remontent à l'Ordre des Templiers [cf. IBIDEM: 146-155]. Il faut toutefois préciser que Pessoa n'a jamais été franc-maçon, dans le sens où il n'a jamais été affilié à la franc-maçonnerie, dont il a toujours condamné la sécularisation, exaltant au contraire ses pratiques initiatiques et, donc, les principes secrets d'inspiration templière, qu'il comprenait comme des forces d'opposition au poids ecclésiastique et clérical excessif du Portugal d'époque [cf. DE CUSATIS, 2005 : 26-30].

Son intérêt, cependant, s'est également déplacé vers d'autres régions de l'occulte. Il a traduit divers ouvrages théosophiques, a adopté des formules rosicruciennes dans divers poèmes, a étudié l'astrologie, a eu des relations avec le poète et magicien anglais Aleister Crowley [cf. ROZA, 2001]. Tout cela était dû à sa sensibilité innée et profonde au surnaturel - ce que démontre également le fait qu'il a lui-même vécu des expériences médiumniques, voire mystiques.

Fondamentalement - et je le répète - il y a chez Fernando Pessoa la confluence d'une double sphère, la sphère historique, dont les déterminations sont cependant transitoires et changeantes, et, plus nettement, la sphère supra-historique, difficile, voire impossible, à comprendre pour ceux qui croient encore que les champs de la connaissance ne sont accessibles qu'avec les outils de la raison !

En reprenant les mots avec lesquels j'ai conclu en 1994 l'introduction du volume que j'ai édité sur les écrits sociologiques et théorico-politiques de Pessoa, je suis d'avis que

    "Fernando Pessoa appartient à une minorité héroïque d'écrivains, dits visionnaires (Yeats, Kafka, D'Annunzio, Pound et quelques autres), qui, en vertu de leurs excentriques et extraordinaires vertus visionnaires, ont su percevoir et analyser, peut-être plus et mieux que de nombreux théoriciens, sociologues et moralistes professionnels, les tempêtes et les conflits, tant sociaux que spirituels, du monde moderne " [DE CUSATIS, 1994 : 40].

Notes:

(1) Mouvement d'inspiration symboliste aux connotations mystico-panthéistes et nationalistes et dont le plus grand représentant, comme on le sait, fut Teixeira de Pascoaes (1877-1952).

(2) Une revue qui représente un point de départ et d'arrivée très important pour la littérature portugaise, ainsi que pour Pessoa lui-même, puisqu'elle marque l'avènement du modernisme au Portugal et, par conséquent, le dépassement de l'esthétique parnassienne-symboliste.

(3) Cet amour patriotique découle déjà des années sud-africaines. Je me souviens, en effet, que Pessoa a passé une partie de son enfance et de son adolescence, plus précisément de 1896 à 1905, à Durban, alors colonie anglaise du Natal, en Afrique du Sud.

Bibliographie de référence:

– DE CUSATIS, Brunello, 1994. Introduzione, in Fernando Pessoa, Scritti di sociologia e teoria politica, a cura di Brunello De Cusatis. Settimo Sigillo, Roma: 9-40.

– DE CUSATIS, Brunello, 2005. Esoterismo, Mitogenia e Realismo Político em Fernando Pessoa. Uma visão de conjunto. Caixotim Edições, Porto.

– DE CUSATIS, Brunello, 2010. Saggio introduttivo, in Fernando Pessoa, Alla memoria del Presidente-Re Sidónio Pais. Saggio introduttivo e traduzione di Brunello De Cusatis. Nuova versione riveduta. Edizioni dell’Urogallo, Perugia: 9-31.

– GUIMARÃES, Fernando, 1988. Poética do Saudosismo. Editorial Presença, Lisboa.

– PESSOA, Fernando, s. d. Obra em prosa de Fernando Pessoa. Textos de intervenção social e cultural. A ficção dos heterónimos. Introduções, organização e notas de António Quadros. Publicações Europa-América, Lisboa.

– ROZA, Miguel (Compilação e considerações de), 2001. Encontro “MAGICK” de Fernando Pessoa e Aleister Crowley. Hugin Editores Lda, Lisboa.

mardi, 25 octobre 2016

Deconstructing George Orwell and explaining why Animal Farm and 1984 are not anti-socialist works

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Deconstructing George Orwell and explaining why Animal Farm and 1984 are not anti-socialist works

I explain Orwell's background and deconstruct 1984 and Animal Farm and explain why capitalists who use his work tovsupport his aims are wrong to do so.

samedi, 28 juin 2014

Le cauchemar climatisé selon Henry Miller (1940)

Le cauchemar climatisé selon Henry Miller (1940)

henry-miller.jpg« Le spectacle le plus pitoyable, c’est celui de toutes ces voitures garées devant les usines et les aciéries. L’automobile représente à mes yeux le symbole même du faux-semblant et de l’illusion. Elles sont là, par milliers et par milliers, dans une telle profusion que personne, semble-t-il, n’est trop pauvre pour en posséder une. D’Europe, d’Asie, d’Afrique, les masses ouvrières tournent des regards envieux vers ce paradis ou le prolétaire s e rend à son travail en automobile. Quel pays merveilleux ce doit être, se disent-ils ! (Du moins nous plaisons nous à penser que c’est cela qu’ils se disent !) Mais ils ne demandent jamais de quel prix se paie ce privilège. Ils ne savent pas que quand l’ouvrier américain descend de son étincelant chariot métallique, il se donne corps et âme au travail le plus abêtissant que puisse accomplir un homme. Ils ne se rendent pas compte que même quand on travaille dans les meilleures conditions possibles, on peut très bien abdiquer tous ses droits d’être humain. Ils ne savent pas que (en américain) les meilleures conditions possibles cela signifie les plus gros bénéfices pour le patron, la plus totale servitude pour le travailleur, la pire tromperie pour le public en général. Ils voient une magnifique voiture brillante de tous ses chromes et qui ronronne comme un chat ; ils voient d’interminables routes macadamisées si lisses et si impeccables que le conducteur a du mal à ne pas s’endormir ; ils voient des cinémas qui ont des airs de palaces, des grands magasins aux mannequins vêtus comme des princesses. Ils voient la peinture et le chromé, les babioles, les ustensiles de toute sorte, le luxe ; ils ne voient pas l’amertume des cœurs, le scepticisme, le cynisme, le vide, la stérilité, l’absolu désespoir qui ronge l’ouvrier américain. Et d’ailleurs, ils ne veulent pas voir tout cela : ils sont assez malheureux eux-mêmes. Ce qu’ils veulent, c’est en sortir ! Ils veulent le confort, l’agrément, le luxe qui portent en eux les germes de la mort. Et ils marchent sur nos traces, aveuglément, sans réfléchir. »


Henri Miller, Le cauchemar climatisé, 1940.

samedi, 17 mai 2014

Prophet des geheimen Deutschlands

Prophet des geheimen Deutschlands

von Sebastian Hennig

Ex: http://www.jungefreiheit.de

Als Stefan George vor achtzig Jahren im Bauerndorf Minusio am Lago Maggiore verstarb, bedeutete dies nicht allein das Ableben eines legendären Poeten und Sprachkünstlers. Einige Monate danach bezeichnete ihn der Dichter Gottfried Benn in einem Essay als „das großartigste Durchkreuzungs- und Ausstrahlungsphänomen, das die deutsche Geistesgeschichte je gesehen hat“.

Das lebendige Wesen dieses Dichters entfesselte und bündelte die verschütteten Energien des deutschen Sprachvolkes. Er wirkte unmittelbar und bewußt konzentrierend auf einen wachsenden Kreis von Vertrauten, die wiederum in ihrem Wirkungsfeld den hohen Anspruch ihres Meisters weitergaben.

Die Elementarkraft der Sprache

Ab 1892 scharte er Gefährten um die Zeitschrift Blätter für die Kunst. Es ging um nichts Geringeres als die Erneuerung der lyrischen Dichtung. Berühmte Verse jener Zeit locken zart und streng zugleich: „Komm in den totgesagten park und schau:/ Der schimmer ferner lächelnder gestade – /Der reinen wolken unverhofftes blau/ Erhellt die weiher und die bunten pfade.“

Skepsis gegenüber dem auf Effizienz ausgerichteten preußisch-deutschen Kaiserreich einerseits („spotthafte Könige mit Bühnenkronen“) und dem Demokratismus andererseits („Schon eure zahl ist Frevel“) kennzeichnen Georges Haltung.

Gerade noch rechtzeitig, bevor sich der große Aufbruch des deutschen Geistes der Goethezeit vollständig in die Wolken von Bildung und Humanismus verdunstete, verwies Stefan George auf die im Kunstwerk verdichtete Elementarkraft der Sprache.

Verkörperung der „menschlich-künstlerischen Würde“

Neben Goethe waren Hölderlin, Jean Paul und August von Platen die Erz-Zeugen und Berufungs-Instanz dieser abermaligen Wandlung des Wortes vom Schall zur Tat. In der Herausforderung des Zeitalters geht die Artistik in Aktion über.

Der Anspruch der Blätter für die Kunst beginnt weitere Kreise zu ziehen. Gedichte Stefan Georges aus seinen Bänden „Der siebte Ring“ (1907) und „Der Stern des Bundes“ (1913) wurden zum Leitmotiv der Jugendbewegung. Klaus Mann erinnert sich später: „Inmitten einer morschen und rohen Zivilisation verkündete, verkörperte er eine menschlich-künstlerische Würde, in der Zucht und Leidenschaft, Anmut und Majestät sich vereinen.“

Geistig ausgehungerte Studentenschaft

Akademiker, die George eng verbunden waren, bringen seine Forderungen einer geistig ausgehungerten Studentenschaft nahe. Die deutsche Universität erhält dadurch wesentliche Anstöße. Beispielhaft dafür ist der Heidelberger Germanist Friedrich Gundolf, dessen dickleibige Werkmonographie „Goethe“ (1916) ein Bestseller der Zwischenkriegszeit wurde.

Andere Bände der Reihe „Werke der Wissenschaft aus dem Kreis der Blätter für die Kunst“ galten Shakespeare, Napoleon, Winckelmann, Nietzsche und Platon. Die philologische Wiederentdeckung der Gedichte Friedrich Hölderlins durch Norbert von Hellingrath kam aus diesem Umfeld.

Die Katastrophe eines fortgesetzten Weltkrieges

Von hervorragender Bedeutung für das Selbstverständnis des jungen deutschen Aufbruchs war der Band über „Kaiser Friedrich II“. von Ernst Kantorowicz von 1927. Im Jahr darauf erscheint Stefan Georges letzter Gedichtband „Das Neue Reich“. George lieh der Sorge und Zuversicht für das von innen und außen bedrohte Vaterland seine durchdringende Stimme.

Daß er die Katastrophe eines fortgesetzten Weltkrieges voraussah, zeigt die Zählung in der Titelzeile des bereits 1921 erschienenen Gedichts „Einem jungen Führer im ersten Weltkrieg“. Neben diesen Worten, die wie in Stein gemeißelt stehen, verfügt er bis zuletzt auch über die Flötentöne des lyrischen Gedichts. Den apodiktischen Zeitgedichten stehen die Lieder zur Seite und beleben die Wucht der Worte mit ihrer zwanglosen Anmut.

Gegner Goebbels

Der Vorwurf der ästhetischen Starre und Sterilität, welche dem George-Kreis entgegengebracht wird, kommt nicht auf dessen Haupt. Es zeugt nur für die Fruchtbarkeit des Umfelds, daß ihm auch Furchtbares entsproß. Denn sowohl Joseph Goebbels als auch Claus Schenk Graf von Stauffenberg wurden während des Studiums in Heidelberg von Georges Lieblingsjünger Friedrich Gundolf stark geprägt.

So trägt der Propagandaminister 1933 George die Präsidentschaft einer Akademie für Dichtung an. Dessen Abweisungsbrief datiert auf den Tag, an dem in Deutschland die Bücherverbrennungen stattfinden. Unter denen, die sich dem Dichter in Wort und Tat verbunden fühlen, werden viele aufgrund ihrer jüdischen Wurzeln verfolgt und aus der Heimat vertrieben.

Geistiger Ziehvater Stauffenbergs

Andere, darunter die Gebrüder Stauffenberg, haben die „nationale Erhebung“ zunächst begrüßt. Sie erhofften von dem Regime den Einsatz für das von George verkündete „Geheime Deutschland“ und wurden darin schwer enttäuscht. Mit dem Bekenntnis zum geheimen Deutschland auf den Lippen ist der Patriot Stauffenberg schließlich als Hitler-Attentäter unter den Gewehrkugeln seiner Widersacher gefallen.

Die letzte Auszweigung dessen, was vereinfachend als „George-Kreis“ bezeichnet wird, erreichte noch die jüngst vergangene Jahrhundertwende. Aus einer Gruppe Amsterdamer Emigranten ist 1950 die Zeitschrift Castrum Perigrini hervorgegangen, welche bis 2008 die lebendige Erinnerung an den Dichter und seinen Kreis pflegte. Der Stiftung „Castrum Peregrini – Intellectual Playground“ ist durch den Dunst des Zeitgeistes ihre frühere Abkunft inzwischen nur mehr schemenhaft anzumerken.

Im Wallsteinverlag, der die Reihe „Castrum Peregrini“ weiterführt, ist zuletzt ein Band zum Briefwechsel und den Nachdichtungen Georges zu Stéphane Mallarmé erschienen.

mardi, 01 avril 2014

Une épine fichée dans le pied de la globalisation

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LA RUSSIE DU MAUVAIS COTE DE L'HISTOIRE

Une épine fichée dans le pied de la globalisation

Fabrice Fassio*
Ex: http://metamag.fr

Dirigeants, hommes d'affaires et chefs des médias occidentaux s'interrogent avec inquiétude sur la voie que suit la Russie contemporaine. Le Président des Etats-Unis vient d'ailleurs de l’affirmer : la Russie se trouve du mauvais côté de l'Histoire. Etrange idée selon laquelle l'Histoire aurait des côtés ! Enfin bref, le jugement du Président serait corroboré  par de nombreux faits, dont celui-ci : la Russie chercherait à reconstituer un bloc semblable à l'ancienne Union soviétique, cet empire du Mal qui avait donné tant de fil à retordre à Ronald Reagan. 

L'Occidentalisation

Dans ses oeuvres sociologiques, Alexandre Zinoviev  nomme "occidentalisation" la forme particulière que prend la globalisation dans les pays non occidentaux. Selon l'auteur russe, l'occidentalisation est la  stratégie visant à établir un ordre planétaire (global) conforme aux intérêts du monde occidental (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest, Australie, etc.)  Sous la conduite des Etats-Unis, explique l'auteur de l'Occidentisme, (Ed Plon, 1995) les pays de l'Ouest aspirent  à établir, dans les autres parties de notre planète, une organisation de la vie semblable à la leur.
                                                                                                                 
Afin d'incorporer le pays ciblé dans la sphère occidentale, il convient d'abord  de l'affaiblir. De nombreuses tactiques, explique l'auteur russe,  sont alors mises en oeuvre : diviser la population en groupes hostiles, l'inciter à envier l'abondance occidentale, soutenir les mouvements d'opposition, fournir une aide financière, séduire l'élite intellectuelle et les couches privilégiées, etc. Ce processus d'occidentalisation ne signifie pas malheur pour tous. Au contraire, certaines catégories de la population du pays en voie d'assimilation - les membres des couches supérieures en particulier-  peuvent trouver leur  compte dans cette "refondation", devenant ainsi un soutien intérieur au  processus d'assimilation. Les tentatives d'occidentalisation d'un pays ne sont pas toujours couronnées de succès (en Iran, par exemple). En revanche, lorsque l'opération réussit, le pays ciblé est  remodelé : les Occidentaux, aidés par  des forces intérieures locales,  mettent en place  un ordre étatique, économique et idéologique, imité du système occidental (capitaliste, occidentiste). Parlementarisme, multipartisme, élections, économie libéralisée, exaltation de l'argent, du sexe et de la violence, sont autant d'exemples d'éléments  imposés au pays  nouvellement inclus dans la sphère d'influence occidentale.           
Il va de soi que l'Occident entreprend le remodelage du pays ciblé dans son intérêt : mettre en place un gouvernement ami, trouver de nombreux débouchés pour ses produits industriels, s'approprier à bon prix des matières premières dont il a un besoin vital, etc.   

L'Occidentalisation appliquée à la Russie
                                                                                                                              
Elaborée par les pays occidentaux pendant la guerre froide, la stratégie d'occidentalisation a été utilisée contre l'Union soviétique qui représentait un réel danger pour l'hégémonie occidentale. Affaiblie par une profonde crise intérieure, l'Union soviétique  des années 1980-1990 s'est révélée incapable de préserver son organisation sociale (le communisme, le soviétisme) qui a été détruite sous la direction d'hommes d'Etat tels que Mikhaïl Gorbatchev ou Boris Eltsine, parrainés par leurs homologues de l'Ouest. 

Le territoire soviétique a éclaté en de nombreuses républiques  en proie à de multiples difficultés : chômage massif, diminution du pouvoir d'achat  des plus pauvres, dilapidation de la propriété d'Etat dans le secteur économique, collusion des milieux du pouvoir et de l'argent, baisse de la natalité, etc. L'Ukraine est  l'une de ces républiques issues de la désagrégation de l'espace soviétique. D'un point de vue sociologique, l’occidentalisation n’est pas un  phénomène monstrueux (anormal) mais, au contraire, un phénomène normal, autrement dit conforme aux règles régissant les rapports entre associations humaines différentes dont les intérêts s’opposent.  Les règles de la morale et du droit  ne s'appliquent pas aux  relations entre groupes humains.                                                      

Une occidentalisation limitée

Au cours des années  1980-1990, la Russie très profondément affaiblie s'est  engagée   sur les rails de l'occidentalisation, se rangeant  ipso facto  du bon côté de l'Histoire. Dans un entretien avec Galia Ackerman (Politique Internationale - La Revue n°92 - ÉTÉ - 2001) réalisé en 2001, Alexandre Zinoviev explique que la marge de manoeuvre  de Vladimir Poutine est bridée par les circonstances et que sa mission consiste à consolider et à rendre acceptable aux yeux du peuple russe le nouveau système économique et social issu du coup d'État gorbatchévien et eltsinien.  Cependant, note le philosophe, l'occidentalisation de la Russie ne signifie pas que tous les traits du soviétisme aient disparu. Dans cet entretien, l'auteur du "Facteur de la Compréhension" (Faktor Ponimania, ouvrage toujours pas publié en France) fait remarquer, par exemple, que l'administration présidentielle a repris les fonction du Comité Central  du PCUS (Parti Communiste d'Union Soviétique) ou bien  que les relations entre  le Kremlin et la Douma ressemblent de plus en plus aux rapports qui existaient entre le Politburo et le Soviet suprême du temps de l'URSS. Dans ce même entretien, le philosophe ajoute que le Parlement est devenu l'instrument docile de l'exécutif. L'occidentalisation de l'organisation étatique de la Russie post-soviétique est donc relative et limitée.

Une reprise en main

La situation de l'organisation étatique de la Russie n'est plus celle qui prévalait dans les toutes premières années de notre siècle. Vladimir Poutine et son équipe ont consolidé le pouvoir de l'Etat central, effectué des réformes et "changé de cap". Réorganisation de l'administration ("la verticale du pouvoir"), renforcement de l'armée et des services de renseignement, surveillance des médias, réhabilitation du secteur militaro-industriel, rapprochement avec la Chine, volonté de former un vaste ensemble eurasiatique, sont autant d'exemples que  les forces influentes  de l'Ouest interprètent comme un rejet de l'occidentalisation.  L'actuelle montée en puissance de la Russie sur la scène internationale est liée à cette reprise en main de l'Etat, opérée par le pouvoir suprême. Comme le note Alexandre Zinoviev dans ses ouvrages sociologiques, l'histoire de la Russie est une histoire de l'Etat. En renforçant les traits de l'ordre étatique  hérités de l'ancienne Union soviétique ou de l'époque tsariste, le pouvoir russe  a pour but de construire un Etat fort, véritable poste de commande de la société tout entière.  Cet Etat en voie de renforcement  porte en lui une tendance "impériale", autrement dit  une tendance à recréer un espace semblable à l'Union soviétique ou à l'empire tsariste.

La prison des peuples

Un événement similaire  s'est déjà produit dans l'histoire russe.  Au cours  de la première guerre mondiale,  l'Etat  tsariste s'est écroulé et les révolutionnaires ont pris le pouvoir. Une question se pose alors : pourquoi les  Bolcheviks  ont-ils reconstruit un empire quelques années après la Révolution d'Octobre alors qu'ils comparaient la Russie impériale - le mot de Vladimir Ilitch Lénine est célèbre - à "une prison des peuples" ?  Alexandre Zinoviev explique que, en dépit des slogans révolutionnaires et des intentions des chefs bolcheviks, le nouveau pouvoir central s'est trouvé contraint de restaurer l'empire, certes sous une forme  nouvelle qui prit le nom d'Union soviétique. La Révolution avait  éliminé la classe des capitalistes, qui avaient investi dans l'industrie, et celle des propriétaires terriens, mais elle avait préservé l'organisation étatique de l'époque tsariste. La tendance à créer une vaste union de peuples soumis à un pouvoir central découlait de l'organisation étatique russe  préservée par la Révolution.  De nos jours, cette tendance  se manifeste de nouveau et continuera de se manifester si le pouvoir suprême, quel que soit son chef, persévère dans sa volonté d'édifier un Etat fort en Russie. Il est possible que cette tendance prenne la forme d'une union eurasiatique ou bien d'une vaste zone d'influence.
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Aujourd'hui, la reprise en main de l'organisation étatique, la montée en puissance de la Russie, la création d'une zone d'influence,  inquiètent à juste titre les forces supranationales prônant une gouvernance mondiale, ainsi que les puissances occidentales.  La Russie actuelle représente une épine fichée dans le pied de la globalisation, une véritable « empêcheuse » de tourner en rond. En ce sens, le Président des Etats-Unis a raison. Malgré tous les efforts founis par les Occidentaux, la Russie  glisse une nouvelle fois  du  mauvais  côté de l'Histoire, une vingtaine d'années après la chute fracassante  de l'empire du Mal.

*Fabrice Fassio est un spécialiste de l'oeuvre du logicien et sociologue russe : Alexandre Zinoviev. C'est bien volontiers que nous publions l'article qu'il nous a fait parvenir, basé sur les travaux fondamentaux d'Alexandre Zinoviev. 
 

mardi, 11 mars 2014

Bulletin célinien n°361

Le Bulletin célinien n°361 - mars 2014

Vient de paraître :

Le Bulletin célinien n°361.

Au sommaire :

- Marc Laudelout : Bloc-notes (« Le Festin des loups »)
- Robert Le Blanc : Céline et les hommes de Marianne. Berl, Malraux, Fernandez
- Éric Mazet : Embarquement pour l’apocalypse. Janvier – décembre 1929

Le Bulletin célinien, c/o Marc Laudelout, Bureau Saint-Lambert, B. P. 77, BE 1200 Bruxelles.


Courriel : celinebc@skynet.be. Abonnement annuel (11 numéros) : 55 €.

mercredi, 09 octobre 2013

Redécouvrez les contes de Grimm

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Redécouvrez les contes de Grimm

Ex: http://aucoeurdunationalisme.blogspot.com

 
L’Allemagne célèbre cette année le 200ème anniversaire de la naissance de Jacob Grimm: juste hommage envers un homme dont l'oeuvre, indissociable de celle de son frère Wilhelm, a profondément marqué son temps. Car Jacob et Wilhelm Grimm n'ont pas seulement été les conteurs dont plusieurs générations d’enfants ont appris à connaître le nom. Jacob Grimm, qui, en novembre 1830, qualifiait le patriotisme de "sentiment divin" et qui, en 1846, participant à Francfort à un congrès de germanistes réunis sur le thèmeQu'est-ce qu'un peuple ?, disait : "Un peuple est la quintessence (Inbegriff) des hommes qui parlent la même langue", fut aussi, en même temps qu'un savant considéré aujourd'hui comme l'un des pères de la philologie moderne, l'un des auteurs du renouveau de la conscience nationale et populaire en Europe.

Le 1er fils de Philipp Wilhelm Grimm et Dorothea Zimmer étant mort en bas âge, Jacob et Wilhelm Grimm furent les aînés des 8 enfants de la fratrie subsistante. La famille remonte à un Johannes Grimm, qui fut maître de poste à Hanau vers 1650. C'est dans cette ville que Jacob naît le 4 janvier 1785, 13 mois avant Wilhelm. On est alors à la frontière de 2 mondes. En France, les signes avant-coureurs de la Révolution se multiplient. Le Times est fondé à Londres. En Prusse, fonctionne la 1ère machine à vapeur ; le Grand Frédéric règne à Sanssouci.

Juriste de son état, le père Grimm est nommé fonctionnaire à Steinau en 1791. La famille déménage avec lui pour s'installer dans la Hesse, région située à la frontière de la plaine du Nord et du fossé rhénan, qui fut occupée dès le VIIIe siècle par les Francs. Cinq ans plus tard, Philipp Wilhelm Grimm disparaît ; sa femme ne lui survivra que quelques années (le fils aîné se retrouvera chef de famille à 23 ans). Jacob et Wilhelm sont envoyés chez leur tante, à Kassel, où ils fréquentent le célèbre Lyceum Friedricianum.

Au printemps de 1802, Jacob Grimm s'inscrit à l'université de Marburg pour y faire des études de droit. Agé de 17 ans, c'est alors un adolescent grave, mélancolique, au caractère réservé, qui passe déjà pour un travailleur opiniâtre. À Marburg, il se lie rapidement avec le juriste Friedrich Carl von Savigny, le fondateur de l'école du droit historique, et cette relation va exercer sur lui une empreinte déterminante. En 1803, tandis que Savigny lui fait connaître la littérature médiévale, il entre aussi en contact avec Clemens Brentano et lit avec enthousiasme les Minnelieder aus dem schwäbischen Zeitalter de Ludwig Tieck.

En 1805, c'est l'expérience décisive. De février à septembre, Jacob Grimm accompagne Savigny à Paris - ville qu'il trouve bruyante et fort sale ! Par contre, à la Bibliothèque impériale, il découvre toute une série de manuscrits littéraires allemands du Moyen Age qui lui emplissent le cœur d'une singulière exaltation. À dater de ce jour, sa vocation est faite : il se consacrera à l'étude des monuments culturels du passé national. Tout l'y pousse, et d'abord la triste situation dans laquelle se trouve son pays.

La Prusse, en effet, depuis la défaite de Valmy (1792), connaît des jours sombres. En 1805, Jacob Grimm s'afflige de voir "l’Allemagne enserrée en des liens indignes, le pays natal bouleversé et son nom même anéanti". L'année suivante, ce sera la catastrophe. Inquiet de la formation de la Confédération du Rhin, Frédéric-Guillaume III s'allie à la Russie. Las ! En quelques mois, la coalition s'effondre. Après les défaites d'Iéna et d'Auerstedt, les troupes napoléoniennes occupent Berlin. En 1807, au traité de Tilsit, la Prusse, dépossédée de la moitié de son territoire, se voit en outre condamnée à payer des indemnités de guerre considérables. Brême, en 18l0, deviendra sous l'occupation française le chef-lieu du département des Bouches-du-Weser ! L'identité allemande, dès lors, est menacée.

Aussi bien, pour J. Grimm, l'étude de la littérature nationale n'est-elle pas qu’une simple démarche universitaire. C'est un acte de foi politique, qui participe d'une véritable réforme intellectuelle et morale. Celle-ci trouve son point d'appui dans la 1ère réaction romantique, centrée autour de l'école de Heidelberg qui, avec Arnim et Brentano, s'emploie notamment à définir les éléments constitutifs de la nationalité. "Ces écrivains, souligne Jacques Droz, ont admis qu'il ne pouvait pas y avoir de réveil du peuple si celui-ci ne prenait pas conscience qu'il recelait en son sein, s’il ne substituait pas à une culture réservée à une élite une culture véritablement populaire, si l’individu ne cherchait pas à se rattacher spirituellement à la nation tout entière" (Le romantisme politique en Allemagne, 1963, p. 23).

gr2.jpgÀ l'heure de l’éveil des nationalités, l'entreprise des frères Grimm vise donc à faire prendre conscience aux Allemands de la richesse du patrimoine culturel qui leur est commun et à leur montrer que ce patrimoine, qui représente "l’âme germanique" dans son essence, en même temps que la "conscience nationale courbée sous l'occupation", peut servir aussi de base à leur unité politique.

Dans ses Souvenirs, Grimm raconte dans quel esprit il entreprit à Paris ces études auxquelles il allait consacrer toute sa vie : "Je remarquai d’abord que presque tous mes efforts ou bien étaient consacrés à l’étude de notre langue ancienne, de notre poésie ancienne, de notre droit ancien, ou bien s’y rapportaient directement. Certains peuvent avoir considéré ou considèrent encore que ces études sont sans aucun profit ; pour moi, elles me sont apparues de tout temps comme une tâche noble, sérieuse, qui se rapporte de façon précise et forte à notre patrie commune et fortifie l’amour qu’on lui porte" (Kleinere Schriften, Berlin, 1864, vol. I, p. 64).


C’est dans la même intention qu'Achim von Arnim et C. Brentano collectent les vieilles poésies populaires. En septembre 1806, Arnim écrit à Brentano : "Celui qui oublie la détresse de la patrie sera oublié de Dieu en sa détresse". Quelques jours plus tard, à la veille de la bataille d'Iéna, il distribue aux soldats de Blücher des chants guerriers de sa composition. Parallèlement, il jette les bases de la théorie de l'État populaire (Volksstaat). Systématiquement, le groupe de Heidelberg s'emploie ainsi à mettre au jour les relations qui existent entre la culture populaire et les traditions historiques. Influencé par Schelling, Carl von Savigny oppose sa conception historique du droit aux tenants du jusnaturalisme [droit naturel]. Il affirme qu'aucune institution ne peut être imposée du dehors à une nation et que le droit civil est avant tout le produit d’une tradition spécifique mise en forme par la conscience populaire au cours de l'histoire. Le droit, dit-il, est comme la langue : "Il grandit avec le peuple, se développe et meurt avec lui lorsque celui-ci vient à perdre ses particularités profondes" (De la vocation de notre temps pour la législation et la science du droit).


Avec les romantiques, J. Grimm proteste lui aussi contre le rationalisme des Lumières. Il exalte le peuple contre la culture des "élites". Il célèbre l'excellence des institutions du passé. Revenu à Kassel, où Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, s’installe en 1807 au Château de Wilhelmshöhe (construit au pied d'une colline dominant la ville par le prince-électeur Guillaume Ier), il occupe avec son frère diverses fonctions dans l'administration et à la bibliothèque. À partir de 1808, ils collaborent tous 2 à la Zeitung für Einsiedler, où l'on retrouve les signatures de Brentano, Arnim, Josef Görres, etc. En 1813, ils lanceront leur propre publication, les Altdeutsche Wälder.


Le 1er livre de J. Grimm, Über den altdeutschen Meistergesang, paraît à Göttingen en 1811. Contestant les rapports établis habituellement entre la poésie raffinée du Moyen Age (Meistergesang) et le chant populaire (Minnegesang), l’auteur y défend l'idée que la "poésie naturelle" (Naturpoesie) est absolument supérieure à la "poésie artistique" (Kunstpoesie), tout comme la source jaillissante de l'âme populaire est supérieure aux œuvres des élites cultivées. La "poésie naturelle", disait déjà Herder, fait comprendre le sens de l'univers ; elle maintient vivant le lien entre l'homme et la nature. Étant l'expression même des croyances instinctives et des sentiments du peuple, elle apparaît dès que les hommes font advenir en eux à la présence ce qui les apparente au monde. La Kunstpoesie, au contraire, si belle qu'elle puisse être, est inévitablement affectée d’individualisme et d'artificialité. Au-delà de ses qualités mêmes, elle traduit une coupure "intellectuelle" qui est un germe de déclin (on retrouve ici l'idée que le raffinement équivaut déjà à une perte de puissance, à un début d'épuisement).


Contrairement à Görres, J. Grimm va jusqu'à éliminer toute activité particulière ou individuelle dans la production poétique populaire ! Celle-ci, selon lui, se manifestespontanément, de façon divine au sens propre. La vérité légendaire ou mythique, d'essence divine elle aussi, s'oppose de la même façon à la vérité historique humaine. De façon plus générale, tout ce qui se perd dans la nuit des temps, tout ce qui relève de l'ancestralité originelle, est divin. Résumant ses idées sur ce point, J. Grimm déclare vouloir montrer qu'"une grande poésie épique a vécu et régné sur toute la surface de la terre, puis a peu à peu été oubliée et abandonnée par les hommes, ou plutôt, car elle n'a pas été abandonnée tout à fait, comment les hommes s'y alimentent encore". Il ajoute : "De même que le paradis a été perdu, le jardin de l'ancienne poésie nous a été fermé". Et plus loin : "Je ne regarde pas le merveilleux comme une rêverie, une illusion, un mensonge, mais bien comme une vérité parfaitement divine ; si nous nous rapprochons de lui, il ne s'évanouit nullement à la façon d'un brouillard, mais prend toujours un caractère plus sacré et nous contraint à la prière. (...) C'est pourquoi l'épopée n'est pas simplement une histoire humaine, comme celle que nous écrivons maintenant, mais contient aussi une histoire divine, une mythologie". Cette thèse quelque peu extrême ne convainc pas Arnim, pas plus que Schlegel ou Görres, et moins encore Brentano. Des discussions passionnées s'ensuivent...


Dans les années qui suivent, les frères Grimm vont approfondir leur intuition en se penchant sur de grands textes littéraires. Ils travaillent d'abord sur la Chanson des Nibelungen, puis sur les chansons de geste, les vieux chants populaires écossais, les runes, l'Irminsul. Ils préparent aussi une nouvelle édition du Hildebrandslied et du Reinhard Fuchs, et s'attaquent à la traduction d'une partie de l'Edda. Wilhelm, de son côté, traduit les Altdänische Heldenlieder (Heidelberg, 1811), qu'il n'hésite pas à comparer aux poèmes homériques et qu'il oppose à la littérature des scaldes à la façon dont Jacob oppose Naturpoesie et Kunstpoesie. Les 2 frères, enfin, déploient une intense activité pour recueillir les contes populaires qui vont constituer la matière de leur ouvrage le plus fameux : les Contes de l’enfance et du foyer.


Le 1er volume de ces Contes (Kinder- und Hausmärchen) est publié à Noël 1812 par la Realschulbuchhandlung de Berlin. Les frères Grimm l'ont dédié à leur "chère Bettina", épouse d'Arnim et sœur de Brentano (la fille de Bettina épousera par la suite le fils de Wilhelm Grimm). Le volume suivant paraîtra en 1815. Un 3ème volume, contenant les variantes et les commentaires, sortira en 1822 à l’instigation du seul Wilhelm Grimm. Dès sa parution, l'ouvrage connaît le plus vif succès. Goethe le recommande à Mme de Stein comme un livre propre à "rendre les enfants heureux". Schlegel, Savigny, Arnim s'en déclarent enchantés. Seul C. Brentano reste réservé.


C'est en 1806, dès le retour de Jacob de Paris, que les 2 frères Grimm ont commencé leur collecte. La région dans laquelle ils vivent s'avérait d'ailleurs particulièrement propice à la réalisation de leur projet. Sur les chemins de la Hesse et de la Weser, dans le pays de Frau Holle, les "fées"  semblent avoir de tout temps trouvé refuge. Entre Hanau et Brême, Steinau et Fritzlar, Munden et Alsfeld, les légendes se sont cristallisées autour des forêts et des villages, des collines et des vallées. Aujourd'hui encore, dans les bois environnants, près des vieilles maisons à colombage, aux toits de tuile rouge et aux murs recouverts d'écailles de sapins, la trace des frères Grimm est partout (1).


La plupart des contes réunis par Jacob et Wilhelm Grimm ont été recueillis auprès de gens du peuple : paysans, artisans, servantes. Deux femmes ont à cet égard joué un rôle essentiel. Il s'agit d'abord d'une paysanne de Niederzwehrn, près de Kassel, à laquelle Wilhelm Grimm donne le nom de "Frau Viehmännin" et dont le nom exact était Dorothea Viehmann (2). L'autre femme était Marie Hassenpflug (1788-1856), épouse d'un haut fonctionnaire hessois installé à Kassel ; on estime que les frères Grimm recueillirent une cinquantaine de contes par son intermédiaire. Ces 2 femmes étaient d'origine huguenote. Par sa mère, Marie Hassenpflug descendait d'une famille protestante originaire du Dauphiné. En 1685, la révocation de l'édit de Nantes conduisit en effet quelque 4 000 huguenots français à s'installer en Hesse, dont 2 000 dans la ville de Kassel.


Cette ascendance huguenote des 2 principales "informatrices" des frères Grimm a conduit quelques auteurs modernes à gloser de façon insistante sur les "emprunts français" (Heinz Rölleke) auxquels les 2 frères auraient eu recours. Certains en ont conclu à "l'inauthenticité" des contes de Grimm, qui trouveraient leur véritable origine dans les récits littéraires de Charles Perrault ou de Marie-Catherine d'Aulnoy, beaucoup plus que dans l’authentique "tradition populaire" allemande. Cette thèse, poussée à l’extrême par l'Américain John M. Ellis (One Fairy Story, Too Many. The Brothers Grimm and Their Tales, Univ. of Chicago Press, 1983) qui va jusqu'à parler de "falsification" délibérée, est en fait inacceptable. Il suffit de lire lesContes de Grimm pour s'assurer que l'immense majorité de ceux-ci ne se retrouvent ni chez Perrault ni chez Mme d'Aulnoy. Les rares contes présents chez l'un et chez l'autre auteur (Hänsel et Gretel et le petit Poucet, Aschenputtel et Cendrillon, Dornröschen et la Belle au bois dormant, etc.) ne constituent d'ailleurs pas la preuve d'un "emprunt". Perrault ayant lui-même largement puisé dans le fonds populaire, il y a tout lieu de penser que les frères Grimm ont simplement recueilli une version parallèle d'un thème européen commun. Le fait, enfin, que certains contes de Grimm aient été directement recueillis en dialecte hessois ou bas-allemand et que, de surcroît, la majeure partie d'entre eux renvoient de toute évidence à un héritage religieux germanique, montre que les accusations de John M. Ellis sont parfaitement dénuées de fondement.


En fait, pour les frères Grimm, le conte populaire fait partie de plein droit de laNationalpoesie. Au même titre que le mythe, l'épopée, le Volkslied (chant populaire), il est une "révélation de Dieu" surgie spontanément dans l'âme humaine. Évoquant les contes, dont il dit que "leur existence seule suffit à les défendre", Wilhelm Grimm écrit : "Une chose qui a, d'une façon si diverse et toujours renouvelée, charmé, instruit, ému les hommes, porte en soi sa raison d’être nécessaire et vient nécessairement de cette source éternelle où baigne toute vie. Ce n'est peut-être qu'une petite goutte de rosée retenue au creux d'une feuille, mais cette goutte étincelle des feux de la première aurore".


En retranscrivant les contes populaires qu'ils entendent autour d'eux, les 2 frères restent donc rigoureusement fidèles à leur démarche originelle. Leur but est toujours de faire éclore à la conscience allemande les sources de son identité, de redonner vie à l'esprit populaire à l'œuvre dans ces récits que le monde rural s'est retransmis au fil des siècles. Leur démarche est par-là foncièrement différente de celle des auteurs français. Tandis que l'œuvre de ces derniers s'inscrit dans un contexte littéraire et "mondain", la leur entend plonger aux sources mêmes de "l'âme nationale". Elle est un geste de piété en même temps qu'un acte radicalement politique. Certes Jacob et Wilhelm Grimm ont le souci de remettre en forme les contes qu'ils recueillent mais c'est avant tout le respect qui commande leur approche. Mus par un parti pris de fidélité, ils ne s'intéressent ni aux formes littéraires ni au "moralités" qui enchantaient Perrault. Ils ne visent pas tant à amuser les enfants ou à distraire la cour d'un prince ou d'un roi qu'à recueillir à la source, de la façon la plus minutieuse qui soit, les traces encore existantes du patrimoine auquel ils entendent se rattacher. Bref, comme l'écrit Lilyane Mourey, ils entendent travailler "au nom de la patrie allemande" (3). Tonnelat, de même, insiste sur "les rapports qu'ils croyaient apercevoir entre le conte et l'ancienne légende épique des peuples germaniques. Rapports si étroits qu'on ne peut plus, lorsqu'on va au fond des choses, distinguer l'un de l'autre. Le conte n'est qu'une sorte de transcription des grands thèmes épiques en un monde familier tout proche de la simple vie du peuple" (Les frères Grimm. Leur oeuvre de jeunesse, A. Colin, 1912, pp. 214-215).


gr3.jpgL'étude des contes populaires (Märchenforschung), dont J. et W. Grimm ont ainsi été les précurseurs, a donné lieu depuis plus d'un siècle à des travaux aussi érudits que nombreux. La matière, par ailleurs, n'a cessé d’être plus étroitement cernée. En 1910, le folkloriste finlandais Antti Aarne a publié une classification des contes par thèmes et par sujets (The Types of the Folktale, Suomaleinen Tiedeakatemia, Helsinki, 1961) qui, affinée par Stith Thompson (The Folk Tale, Dryden Press, New York, 1946 ; Motif Index of Folk Litterature, 6 vol., Indiana Univ. Press, Bloomington, 1955), est aujourd'hui universellement utilisée. Elle ne rassemble pas moins de 40 000 motifs principaux. Pour le seul domaine d'expression française, on a dénombré plus de 10 000 contes différents (cf. Paul Delarue, Le conte populaire français. Catalogue raisonné des versions de France et des pays de langue française d'outre-mer, Maisonneuve et Larose, 1976), dont un grand nombre trouvent leur origine dans la matière de Bretagne.


S’il est admis que le conte tel que nous le connaissons apparaît aux alentours du Xe siècle, époque à laquelle il semble prendre le relais du récit héroïque ou épique, se comprend mieux alors que l'étude des filiations, des modes de transmission et des variantes représente un énorme champ de travail. Pour Cendrillon, par ex., on n'a pas dénombré moins de 345 variantes ! Selon l'école finlandaise, la comparaison de ces variantes permet le plus souvent de reconstruire une forme primordiale" (à la façon dont la comparaison des langues européennes a permis aux philologues de "reconstruire" l'indo-européen commun), mais le bien-fondé de cette démarche est contesté par certains. Ainsi que l'avait pressenti J. Grimm, le problème de l'origine des contes renvoie en fait à celui de la formation de la pensée mythique. C'est dire qu'il est impossible de la situer avec précision. Diverses thèses ont néanmoins été avancées. Plusieurs auteurs (P. Saintyves, V.J. Propp, Sergius Golowin, A. Nitzschke) ont recherché cette origine dans de très anciens rituels. Plus généralement, la parenté des contes et des mythes religieux est admise par beaucoup mais les opinions diffèrent quant à savoir si les contes représentent des "résidus" des mythes ou, au contraire, s'ils les précédent. Tout récemment, le professeur August Nitzschke, de l’université de Stuttgart, a affirmé que l'origine de certains contes pourrait remonter jusqu'à la préhistoire de la période post-glaciaire. Après Paul Saintyves (Les contes de Perrault et les récits paralléles, Émile Nourry, 1923), d'autres chercheurs, not. C.W. voit Sydow et Justinus Kerner, ont essayé de démontrer l'existence, effectivement fort probable, d'un répertoire de base indo-européen.


Dans la préface au 2nd volume de leur recueil, les frères Grimm déclarent, eux aussi, qu'il y a de bonnes raisons de penser que de nombreux contes populaires renvoient à l'ancienne religion germanique et, au-delà de celle-ci, à la mythologie commune des peuples indo-européens. Le 3ème volume propose à cet égard divers rapprochements qui, par la suite, ont été constamment repris et développés. Le thème de Cendrillon (Aschenputtel), par ex., est visiblement apparenté à l'histoire de Gudrun. L'histoire des 2 frères (conte 60) évoque la légende de Sigurd. La Belle au bois dormant (Dornröschen), dont le thème se trouve dès le XIVe siècle dans lePerceforest, est de toute évidence une version populaire de la délivrance de Brünhilde par Siegfried au terme d'une quête "labyrinthique", etc. D'autres contes renvoient probablement à des événements historiques. Il en va ainsi de Gnaste et ses 3 fils (conte 138), qui conserve apparemment le souvenir de la christianisation forcée du peuple saxon et se termine par cette apostrophe : "Bienheureux celui qui peut se soustraire à l'eau bénite !"


N'a-t-on pas été jusqu'à voir dans l'histoire de Blanche-Neige (Schneewittchen) l'écho d'un vieux conflit entre le droit saxon et le droit romain, où les 7 nains auraient représenté les 7 anciennes provinces maritimes frisonnes ? Et dans l'exclusion de la 13ème fée dans la Belle au bois dormant un souvenir du passage, chez les anciens Germains, de l'année de 13 mois à celle de 12 (Philipp Stauff) ? Certaines de ces hypothèses sont aventurées. Mais derrière les "sages femmes" dont parlent les frères Grimm, il n'est pas difficile d'identifier d’anciennes "sorcières" (Hexe) persécutées (4), tout comme les 3 fileuses incarnent les 3 Nomes, divinités germaniques du destin (5).
Bien d'autres interprétations ont été avancées, qui font appel à l'ethnologie et à la psychologie aussi bien qu'à l'histoire des religions ou à l'anthropologie : analyses formelles (Vladimir Propp), approches historiques ou structuralistes, recours à l'inconscient collectif du type jungien (Marie-Louise von Franz), études symboliques (Claudio Mutti), aspects thérapeutiques de l'école de Zurich (Verena Kast), exploitations parodiques (Iring Fetscher), etc.


L'importance qu'ont les relations de parenté dans la plupart des contes populaires a aussi donné lieu, not. chez Bruno Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées, Laffont, 1979) et Erich Fromm (Le langage oublié, Payot, 1980), à des interprétations psychanalytiques. Pour Bettelheim, les contes ont essentiellement pour but de permettre aux enfants de se libérer sans dommage de leurs craintes inconscientes : l’heureux dénouement du récit permet au moi de s'affirmer par rapport à la libido. En fait, comme le montre Pierre Péju (La petite fille dans la forêt des contes, Laffont, 1981), cette interprétation n'est acquise qu'au prix d'une réduction qui transforme le conte en "roman familial" par le biais de la "moulinette psychanalytique". Elle laisse "l'histoire" des contes entièrement de côté, avec tous ses arrière-plans mythiques et ses variantes les plus significatives. Bettelheim, finalement, ne s'intéresse pas aux contes en tant que tels ; il n'y voit qu'un mode opératoire à mettre au service d'une théorie préformée sur la personnalité psychique - ce qui ne l'a d'ailleurs pas empêché d'exercer une profonde influence(6).


Pour Bettelheim, le conte aide l'enfant à devenir adulte. Pour Jacob Grimm, il aiderait plutôt les adultes, en les remettant au contact de l'originel, à redevenir des enfants. Ce n'est en effet qu'à une date relativement récente que les contes ont constitué un genre littéraire "pour les enfants". Le recueil des frères Grimm évoque d'ailleurs dans son titre aussi bien l'enfance que le foyer : si les enfants entendent les contes dans le cercle de famille, ils n'en sont pas pour autant les destinataires privilégiés. Dans une lettre à L.J. Arnim, Jacob Grimm écrit : "Ce n'est pas du tout pour les enfants que j'ai écrit mes contes. Je n'y aurais pas travaillé avec autant de plaisir si je n'avais pas eu la conviction qu'ils puissent avoir de l'importance pour la poésie, la mythologie et l'histoire, aussi bien à mes yeux qu'à ceux de personnes plus âgées et plus sérieuses".


Produit d'un fond culturel retransmis par voie orale pendant des siècles, sinon des millénaires, le conte populaire est en fait, comme disent les linguistes, un modèle fort qui va bien au-delà du simple divertissement. Les lois du genre en font le véhicule et le témoin privilégié d'un certain nombre de types et de valeurs, grâce auxquels l'auditeur peut à la fois s'appréhender comme l’héritier d'une culture particulière et s'orienter par rapport à son environnement.


C'est par son caractère intemporel, anhistorique, que le conte s'apparente au mythe. Tandis que le récit biblique dit : in illo tempore, "en ce temps-là" (un temps précis), le conte affirme : "il était une fois", formule qui extrait la temporalité de tout contexte linéaire ou finalisé. Avec ces mots, le conte évoque un "jadis" qui équivaut à un "nulle part" aussi bien qu'à un "toujours".


"Comme toute utopie, écrit Marthe Robert, le conte nie systématiquement les données immédiates de l'expérience dont le temps et l'espace sont les 1ers fondements mais cette négation n'est pas son véritable but ; il ne s'en sert que pour affirmer un autre temps et un autre espace, dont il révèle, par toutes ses formules, qu'ils sont en réalité un ailleurs et un avant" (Un modèle romanesque : le conte de Grimm in Preuves, juillet 1966, 25). Dans le conte, l'état civil, l'histoire et la géographie sont abolis délibérément. Les situations découlent exclusivement de relations mettant en jeu des personnages-types : le roi, le héros, la fileuse, la marâtre, la fée, le lutin, l'artisan, etc., qui sont autant de figures familières, valables à tout moment. Plus encore que le passé, c'est l'immémorial, et par-là l'éternel, que le conte fait surgir dans le présent pour y faire jaillir la source d'un avenir rénové par l'imaginaire et par la nostalgie : témoignage fondateur, qui implique que "l'antérieur" ne soit jamais clairement situé. Le conte, en d'autres termes, ne se réfère au "passé" que pour inspirer "l'avenir". Il est une métaphore destinée à inspirer tout présent. L'apparente récréation ouvre la voie d'une re-création. Loin que son caractère "merveilleux" l’éloigne de la réalité, c'est par-là au contraire que le contenu du conte est rendu compatible avec toute réalité. Pour Novalis, les contes populaires reflètent la vision supérieure d'un "âge d'or" évanoui. Cet "âge d'or", du fait même qu'il se donne comme émanant d'un temps situé au-delà du temps, peut en réalité s'actualiser aussi à chaque instant. Lorsqu'ils évoquent l'enfance, Jacob et Wilhelm Grimm n'ont pas tant à l'esprit l'âge de leurs jeunes lecteurs que cette "enfance de l'humanité" vers laquelle ils se tournent pour en extraire la source d'un nouveau commencement qui, après des siècles d’histoire "artificielle", renouerait avec l’innocence de la création spontanée.


Le conte, par ailleurs, témoigne de la parenté de tout ce qui compose le monde. Il est par-là à l'opposé de tout le dualisme propre aux religions révélées. Les frères Grimm remarquent eux-mêmes que dans les contes populaires, la nature est toujours "animée". "Le soleil, la lune et les étoiles fréquentent les hommes, leur font des cadeaux, écrit Wilhelm Grimm. (...) Les oiseaux, les plantes, les pierres parlent, savent exprimer leur compassion ; le sang lui-même crie et parle, et c'est ainsi que cette poésie exerce déjà des droits que la poésie ultérieure ne cherche à mettre en œuvre que dans les métaphores". Dans la dimension mythique qui est propre au conte, toutes les frontières nées de la dissociation inaugurale s'effacent. Le héros comprend le langage des oiseaux les bêtes communiquent avec les humains : la nature porte présage. Toutes les dimensions de visible et d'invisible se confondent, comme au temps où les dieux et les hommes vivaient ensemble dans une présence amicale. Sorte d'épopée familière liée à la "poésie naturelle", le conte traduit ici un paganisme implicite, que les frères Grimm ne se soucient pas de cerner en tant que tel, mais qu'ils fondent, toutes croyances confondues, dans l'exaltation du Divin.


On comprend mieux, dès lors, que le conte populaire n'ait cessé, à l'époque moderne, de faire l'objet des critiques les plus vives. Au XVIIIe siècle, les pédagogues des Lumières y voyaient déjà un ramassis de superstitions détestables. Par la suite, les libéraux en ont dénoncé le caractère "irrationnel" aussi bien que la violence "subversive" tandis que les socialistes y voyaient des "histoires à dormir debout" propres à désamorcer les nécessaires révoltes, en détournant les enfants des travailleurs des réalités sociales. Plus récemment, les contes ont été considérés comme "traumatisants" ou ont été attaqués pour des raisons moralo-pédagogiques ridicules (7).

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Si, au XIXe siècle, le conte devient progressivement un outil pédagogique bourgeois, coupé du milieu populaire, et dont le contenu est réorienté dans un sens moralisateur censé servir de "leçon" aux enfants, son rôle n'en reste pas moins profondément ambigu. Certains auteurs ont observé que la vogue des contes est d'autant plus grande que l'état social est perçu comme menacé. Le merveilleux, porteur d'un ailleurs absolu, joue alors un rôle de compensation, en même temps qu'il constitue une sorte de recours. Les auteurs marxistes ont beau jeu de dénoncer la montée de "l'irrationnel" dans les périodes de crise ; le conte, fondamentalement duplice, va en fait bien au-delà. Loin d’être purement régressive, la "nostalgie" peut être aussi la source d'un élan. Les frères Grimm, on l'a vu, en collectant la matière de leurs Contes, voulaient d'abord lutter contre l'état d'abaissement dans lequel se trouvait leur pays. La vogue actuelle du merveilleux, désormais relayée par le cinéma et la bande dessinée, est peut-être à situer dans une perspective voisine. Que l'on pense au succès, outre-Rhin, de L'Histoire sans finde Michael Ende...


Les contes, finalement, sont beaucoup plus utiles à l'humanité que les vitamines aux enfants ! Pièces maîtresses de cette "nourriture psychique" indispensable à l'imaginaire symbolique dans lequel se déploie l'âme des peuples, ils renaissent tout naturellement lorsque l'on a besoin d'eux. Par-là, ils révèlent toute la complexité de leur nature. Modèles profonds, sources d'inspiration, ils s'adressent à tout moment à des hommes "au cœur préparé". Car, comme le constate Mircea Eliade, si le conte, trop souvent, "constitue un amusement ou une évasion, c'est uniquement pour la conscience banalisée et notamment pour la conscience de l'homme moderne ; dans la psyché profonde, les scénarios initiatiques conservent toute leur gravité et continuent à transmettre leur message, à opérer des mutations" (Aspects du mythe, Gal., 1963).


En 1816-1818, Jacob et Wilhelm Grimm (qui travaillent tous 2 désormais à la bibliothèque de Kassel) publient les Deutsche Sagen. Ce recueil de légendes a été composé selon le même principe que les Contes de l'enfance et du foyer. Une fois de plus, la légende, assimilée à la "poésie naturelle", est opposée à l'histoire. Sur son exemplaire personnel, Wilhelm Grimm écrit ce vers d’Homère : "Je ne sais rien de plus doux que de reconnaître sa patrie" (Odyssée IX, 28). À cette date, la Prusse a précisément recouvré sa liberté. Le 18 juin 1815, la bataille de Waterloo a sonné le glas des espérances napoléoniennes en Europe. Jacob Grimm, en 1814-1815, a lui-même été Legationsrat au Congrès de Vienne. Les Deutsche Sagen sont accueillies avec faveur par Goethe, qui saisit cette occasion pour attirer sur leurs auteurs l'attention des dirigeants de Berlin.


À partir de 1820-1825, les frères Grimm consacrent chacun la majeure partie de leur temps à des œuvres personnelles. Après les Irische Elfenmärchen (Leipzig, 1826), seul le Deutsches Wörterbuch sera publié sous leur double-signature. Leur champ d'études reste néanmoins le même. Wilhelm continue à travailler sur la légende héroïque médiévale (Die deutsche Heldensage, 1829), la Chanson de Roland, l'épopée danoise, etc. En 1821, se penchant sur la question de l'origine des runes (Über deutsche Runen), il affirme que l'ancienne écriture germanique découle d'un alphabet européen primitif, au même titre que les écritures grecque et latine, et ne résulte donc pas d'un emprunt. La thèse sera très contestée. Par contre, Wilhelm Grimm ne se trompe pas quand il déclare que les Germains continentaux ont dû connaître l'usage des runes au même titre que les Scandinaves et les Anglo-Saxons : l'archéologie lui a depuis donné raison.


Jacob, lui, se plonge dans un énorme travail de philologie et d'étude de la religion germanique. Les livres qu'il publie se succèdent rapidement. À côté de monuments comme la Deutsche Grammatik, la Deutsche Mythologie, la Geschichte der deutschen Sprache, on trouve des essais sur Tacite, la poésie latine des Xe et Xle siècles, l'histoire de la rime poétique, et quantité de textes et d'articles qui seront réunis dans les 8 volumes des Kleinere Schriften, publiés à Berlin à partir de 1864.


Le 1er volume de la Deutsche Grammatik paraît en 1819. Dans cet ouvrage dédié a Savigny, Jacob Grimm s'efforce de jeter les bases historiques de la grammaire allemande en transposant dans l'étude des formes linguistiques les principes appliqués par Savigny à l'étude du droit. Les règles qu'il énonce en philologie comparée le haussent d'emblée au niveau de Wilhelm von Humboldt, Franz Bopp, Rask, etc. "Aucun peuple sur terre, écrit-il dans la préface, n'a pour sa langue une histoire comparable à celle des Allemands". S'appuyant sur la longue durée, il démontre la "supériorité" des formes linguistiques anciennes. La perfection d'une déclinaison, assure-t-il, est fonction du nombre de ses flexions - c'est pourquoi l'anglais et le danois doivent être regardés comme des langues particulièrement pauvres...


À peine ce 1er volume a-t-il paru que Jacob procède à sa refonte. La nouvelle version sort en 1822 (les 3 volumes suivants seront publiés entre 1826 et 1837). Tenant compte des travaux récents qui commencent à se multiplier sur les langues indo-européennes, Jacob Grimm énonce, en matière de phonétique, une loi restée célèbre sur la façon dont les lettres de même classe tendent à se substituer les unes aux autres, ce qui lui permet de restituer les mutations consonantiques avec une grande rigueur. De l'avis général, c'est de la publication de ce texte que datent les débuts de la germanistique moderne.
Peu après, dans les Deutsche Rechtsaltertümer (Göttingen, 1828), Jacob Grimm défend, dans l'esprit des travaux de Savigny, l'identité "naturelle" du droit et de la poésie. Étudiant les textes juridiques anciens, il s'applique à démontrer la précellence du droit germanique sur le droit romain, de la tradition orale sur la tradition écrite, du droit coutumier sur celui des "élites". Les institutions juridiques les plus durables, dit-il, sont-elles aussi d'origine "divine" et spontanée (selbstgewachsen). Il n'existe pas plus de créateurs de lois que d'auteurs d'épopées : le peuple seul en est la source.


En 1835, ce sont les 2 gros volumes de la Deutsche Mythologie (rééditée en 1968 par l'Akademische Verlagsanstalt de Graz). Là encore, pour son temps, Jacob Grimm fait œuvre d'érudition au plus haut degré. Parallèlement, il réaffirme son credo : comme le langage, comme la poésie populaire, les mythes sont d'origine divine ; les peuples sont des incarnations de Dieu. Son frère Wilhelm le proclame en ces termes : "La mythologie est quelque chose d'organique, que la puissance de Dieu a créé et qui est fondé en lui. Il n'y a pas d'homme dont l'art parvienne à la construire et à l'inventer ; l'homme ne peut que la connaître et la sentir".


À leur grand déchirement, les 2 frères ont dû en 1829 abandonner Kassel pour Göttingen. Ils y professent de 1830 à 1837, date à laquelle ils sont brutalement destitués pour avoir protesté avec 5 de leurs collègues contre une violation de constitution dont le roi de Hanovre s'est rendu coupable ; c'est l'affaire des "Sept de Göttingen" (Göttingen Sieben). Ils reviennent alors à Kassel, où ils consacrent l'essentiel de leur temps à leurs travaux. Wilhelm publie son Ruolandes liet (1838) et son Wernher von Niederrhein (1839). Jacob fait paraître son histoire de la langue allemande (Geschichte der deutsche Sprache, 2 vol., 1848). Après quoi, avec son frère, il se plonge dans la rédaction d'un monumental dictionnaire en 33 volumes (Deutsches Wörterbuch), qui commencera à paraître à Leipzig en 1854. L'ouvrage, équivalent du Littré pour les Français, fait encore aujourd'hui autorité.


Les frères Grimm sont alors au sommet de leur carrière. En 1840, le roi Frédéric-Guillaume IV leur propose une chaire à l'université de Berlin et les nomme membres de l'Académie des sciences. Couverts d'honneurs, ils n'occupent toutefois leur chaire que pendant quelques années, afin de pouvoir retourner à leurs études d'histoire littéraire et de philologie. Après la révolution de mars 1848, Jacob siège au Parlement de Francfort. Durant cette période finale, il mobilise toute son énergie pour la rédaction de son dictionnaire. Wilhelm meurt le 16 décembre 1859. Son frère s'éteint 4 ans plus tard, le 20 septembre 1863.


Jacob et Wilhelm ont vécu et travaillé ensemble de leur naissance jusqu'à leur mort, sans jamais abandonner leur but : la résurrection du passé national allemand. Objectif qu'ils servirent avec un savoir et un désintéressement que tous leurs contemporains leur ont reconnu. Des 2 frères, Jacob était sans doute à la fois le plus doué, le plus savant et le plus conscient de la mission à laquelle il s'était voué. Wilhelm, d'un naturel moins "ascétique", était à la fois plus artiste et plus sociable. Tonnelat écrit : "En Jacob il y a du héros. Wilhelm fut assurément très inférieur à son frère ; mais peut-être son infériorité fut-elle la rançon de son bonheur". Telle qu'elle nous est parvenue, leur œuvre a ceci de remarquable qu'elle associe une force de conviction peu commune, touchant parfois au mysticisme, avec une méticulosité et une rigueur scientifique remarquables. Les frères Grimm comptent assurément parmi les grands savants du siècle dernier. Mais en même temps, ils n’abandonnèrent jamais l'idée qu'une nation n'est grande que lorsqu'elle conserve présente à elle-même la source toujours jaillissante de l'âme populaire, et que celle-ci, au fur et à mesure qu'elle perd sa pureté originelle, s'éloigne aussi de Dieu. "Jusqu'à leur mort, écrit Tonnelat, ils ont conservé leur foi romantique dans la sainteté et la supériorité des âges anciens". Attitude que les temps actuels semblent discréditer, mais qui apparaît pourtant fort logique dès lors que l'on comprend que le "passé" et "l'avenir" ne sont jamais que des dimensions du présent - qu'ils ne sont vivables que dans le présent -, en sorte que ce qui fut "une fois" peut être appelé aussi à revenir toujours.


Notes :


  1   À Steinau, on visite la maison où ils vécurent, et un petit musée évoque leur existence.
  2  Un portrait de Dorothea Viehmann, dû à un autre frère Grimm, Ludwig Emil, figure comme frontispice à la 2nde édition des Contes, publiée en 1819-1822 (qui est aussi la 1ère édition illustrée).
  3  On ne saurait dire si ce nationalisme des frères Grimm explique que, début janvier 1985, le Board of Deputies, organisme représentatif de la communauté juive de Grande-Bretagne, se soit donné le ridicule de demander la saisie pour "antisémitisme" d'une édition des Contes de Grimm non expurgée du conte intitulé Le Juif dans les épines (Der Jude im Dorn, conte 110, p. 638-643 de l'édition Flammarion).
 4   Dans sa Deutsche Mythologie (1835, p. 586), Jacob Grimm signale lui-même que le mot allemand Hexe (sorcière) correspond à un ancien Hagalfrau (femme sage, avisée) (vieil-ht.all. hagazussa, moyen-ht.all. hexse). Ce terme renvoie au norroishgr qui a le même sens que le latin sagus (sage, avisé). Le mot anglais witch(sorcière) est de même à rapprocher de wise (sage).
  5  À noter aussi que l'étymologie la plus probable pour le mot fée renvoie au latinfata, ancien nom des Parques (cf. L. Harf-Lancner, Les fées au Moyen Age. Morgane et Mélusine, la naissance des fées, Honoré Champion,, 1984).
 6   Signalons, pour ne citer qu'un exemple, que le réalisateur du film L'Empire contre-attaque (2nd volet de La guerre des étoiles), Irvin Kershner, a explicitement déclaré s’être inspiré des thèses de Bettelheim pour la mise au point de son scénario.
  7  "Après les crématoires d'Auschwitz, est-il encore possible de raconter comment Hänsel et Gretel poussent la sorcière dans le feu pour la brûler ?" demande très sérieusement Manfred Jahnke dans la Stuttgarter Zeitung du 29 août 1984.
http://www.archiveseroe.eu/tradition-c18393793/45

dimanche, 30 juin 2013

„Jetzt ist Ewigkeit“

Jetzt ist Ewigkeit“

von Christoph George
Ex: http://www.blauenarzisse.de/

 

 

Mit „Letzte Worte“ veröffentlicht Jörg Magenau eine umfangreiche Auswahl letzter Worte namhafter Persönlichkeiten aus dem Nachlaß Ernst Jüngers.

Bereits in einem der Pariser Tagebücher äußerte Ernst Jünger die Idee, eine Sammlung letzter Worte anzulegen. Auf ihre Veröffentlichung wartete seine Leserschaft jedoch zu Lebzeiten des Meisters vergeblich. Was er selbst nicht mehr tat, bringt nun der Autor und Literaturkritiker Jörg Magenau in einem edlen Sammelband heraus.

Magenau wählte für das Buch vor allem bekannte Persönlichkeiten der Geschichte aus, von Abraham bis Ulrich Zwingli. Schöpfen konnte er dabei aus einer breiten Jüngerschen Sammlung, welche mehrere Tausend Karteikarten umfasst und vollständig im Deutschen Literaturarchiv in Marburg liegt. Jene stellte Ernst Jünger vor allem in der Zeit nach dem 2. Weltkrieg aus anderen Nachschlagewerken zu diesem Thema zusammen. Aber auch vorgedruckte Karteikarten, welche er zum Ausfüllen an Freunde und Bekannte verteilte, finden sich darin wieder.

Sokrates: „Kriton, wir schulden dem Äskulap noch einen Hahn. Vergeßt nicht, die Schuld zu bezahlen!“

Als Vorwort dient eine unvollendete Abhandlung Jüngers aus den frühen 1960ern, in welcher er auf die Besonderheiten letzter Worte eingeht. Demnach sind nicht alle letzten Worte für eine Aufnahme in einen solchen auserwählten Kreis geeignet. Es fallen jene finalen Äußerungen heraus, welche ein noch zu starkes Klammern am Diesseits erkennen lassen. Erst ein gewisses Maß an Loslassen verleiht ihnen überhaupt den Charakter letzter Worte, wenngleich sie auch noch auf das Leben gerichtet sein mögen. Von Sokrates ist überliefert, er hätte an die Begleichung einer Schuld erinnert, bevor er zum Schluck aus dem Schierlingsbecher ansetzte.

Weiterhin besitzt zuletzt Gesprochenes für die Nachwelt etwas Prophetisches. Ihm geht zumeist aufgrund ungenauer Überlieferung und mehrfachen Interpretationsmöglichkeiten ein gesicherter historischer Gehalt ab. Sie sind so eher dem Bereich des Mythischen zuzuschreiben, haben anekdotischen Charakter. Die gute Anekdote will hier mit Begleitumständen erscheinen, um so der Dichtung näher zu kommen. Sie enthüllt dabei das Wesen der Dinge und erfaßt so ihren eigentlichen Kern. Deswegen würde es dem Gehalt der überlieferten letzten Worte auch keinen Abbruch tun, erwiesen sich einige im Nachhinein als falsch: „Trotzdem summieren sie sich zur Wahrheit, die ihnen innewohnt“, schlußfolgert Jünger.

Im Angesicht des Todes die Haltung wahren

Unterteilt ist die von Ernst Jünger selbst teilweise kommentierte Sammlung nach verschiedenen Themenbereichen wie etwa: Lebensbilanzen, letzte Einsichten und Anrufungen, Gebete. Hier stechen vor allem tiefsinnige Sprüche hervor, wie z.B. der des schwedischen Erzbischofs Nathan Söderblom: „Jetzt ist Ewigkeit“. Aber auch höchst unfreiwillig komische Varianten sind darin versammelt. Die letzten Worte Egon Friedells, welcher sich 1938 in Wien aus dem Fenster stürzte, sollen zum unten stehenden Hauswirt gewesen sein: „Bitt‘ schön, gehn’s zur Seite!“

Für Jünger sind jedoch nicht alle gültigen letzten Worte gleich zu werten. So kommentierte er den Abschied Elisabeths I. von England: „Alle meine Schätze für eine einzige Minute“, kurz und knapp mit: „Recht unköniglich“. Im Gegensatz dazu wird ein unbekannter Soldat aus dem Deutsch-​Französischen Krieg von 1870 aufgeführt. Der Eintrag hierzu lautet „,Herr Hauptmann, melde gehorsamst, daß ich tödlich getroffen bin!‘ salutierte stramm der Obergefreite Müller am nämlichen Geschütz, indem er noch weiterbediente.“ Im Angesicht des Unausweichlichen will die Haltung gewahrt bleiben – eine Forderung, die man vom frühen Jünger nur zu gut kennt.

Augustinus: „Laß mich sterben, mein Gott, daß ich lebe!“

Die Beschäftigung mit letzten Worten führt den Leser dabei nicht nur an das individuelle Lebensende des jeweiligen Protagonisten. Es zwingt ihn darüber hinaus zu einer Beschäftigung mit jener Grenze, die auch er einmal überschreiten muß. Das letzte Wort ist somit, trotz seiner Vagheit, in ein transzendentes Verhältnis zu setzen. „Dies also war sein zuletzt gesprochenes auf Erden – und dann?“ Die Lektüre ist deswegen weniger im Sinne eines reinen Nachschlagewerkes konkreter letzter Sätze interessant. Sie lohnt sich vielmehr, da sie zu einer persönlichen Auseinandersetzung mit dem Tode zwingt. Was das Buch zu einem guten Geschenktip werden läßt für diejenigen, welche einem nahe stehen, aber in ihrer Lebensart entschieden zu sehr an der Oberfläche der Welt verbleiben.

Den Schluß des Buches bildet ein Nachwort Magenaus, in welchem er einen engeren Bezug zwischen Ernst Jünger und unserer Gegenwart herstellt. So zitiert er hier Jünger damit, was dieser über eine USA-​Reise im Januar 1958 schrieb: „Die Uhren gehen dort vor – und wie seinerzeit Tocqueville, so können auch wir heute ablesen, was uns blühen wird – eine Welt, die den Tod und die Liebe nicht kennt. Das hat mich unendlich bestürzt, obwohl es ja nur eine Bestätigung war.“ Magenau kommentiert dies anschließend ganz richtig mit: „In der Begegnung mit dem Tod kommt der Mensch zu sich selbst; will er vom Tod nichts mehr wissen, dann verleugnet er auch das Leben.“

Nach einem letzten Wort Ernst Jüngers sucht der Leser indes leider vergeblich. Was aber auch nicht weiter verwunderlich ist; die eigenen letzten Worte schreibt man selbst eben nicht mehr nieder.

Jörg Magenau (Hrsg.): Ernst Jünger – Letzte Worte. 245 Seiten, Klett-​Cotta Verlag 2013. 22,95 Euro.

jeudi, 24 janvier 2013

Kinski spricht "Der Erlkönig" (Goethe)

Kinski spricht "Der Erlkönig" (Goethe)

jeudi, 01 septembre 2011

Marc Laudelout sur "Méridien Zéro"

Marc Laudelout sur "Méridien Zéro"

lundi, 22 mars 2010

Del rapporto tra volo e scrittura in Saint-Exupéry

saintEX.jpgDel rapporto tra volo e scrittura in Saint-Exupéry

Autore: Fiorenza Licitra /

Ex: http://www.centrostudilaruna.it/

Robert Brasillach, scrittore e critico cinematografico del secolo scorso, rimproverò Saint-Exupéry di aver scritto della sua esperienza d’aviatore, asserendo che solo chi non ha esperito un mestiere e la sua arte sia in grado di parlarne con semplicità e stupore, al contrario di chi, conoscendoli bene, tende più a infiorare il racconto di sfarzi.

Come a dire che la caccia al leone può raccontarla meglio un animalista che un Hemingway.

L’autore del Volo di notte non ha bisogno di apologie, ha già fatto da sé spiegando all’ingenuità di Brasillach che un mestiere non è il risultato di una serie di regole contenuta in un manuale tecnico e non è neanche un’esperienza esteriore che vive di resoconti teorici, ma è  più la storia intima di un’azione fisica e sensuale.

Quello su cui a tal proposito vale la pena riflettere è la stretta connessione che c’è tra il volo e la scrittura, che non sono mondi dispari ed estranei, ma talmente affini da essere metafora l’uno dell’altra.

E’ grazie alle pagine di Saint-Exupéry che, se non si apprende la tecnica del volo, se ne vive tuttavia l’intima riflessione, la sospensione dal tempo e il legame con lo spazio.

Dalle sue rotte sospese l’aviatore-scrittore crea «una topografia celeste, più importante di quella terrestre, d’ordine quasi occulto, poiché si esprime solo attraverso i segni»: interpreta così le curve delle dune, decifra il colore della sabbia – scuro o tenero per un atterraggio di fortuna -, scopre che di notte la nebbia è una forma di luce e che le bianche pieghe del mare insegnano l’avversità del vento.

Accostandosi al misterioso linguaggio della natura, il cui alfabeto muto è denso di significati e di rimandi, stringe un tessuto di relazioni con il mondo grazie al quale «una pianura si fa più verde e diventa più pianura, un villaggio più villaggio».

Saint-Exupéry sa che apprendere un nuovo linguaggio, sottostando a quelle che sono le regole del gioco – tradotte a volte anche nei colpi di fucile dei Mauri – sia la vera meta del viaggiatore, a differenza del semplice turista che, ancorato alle sue convenzioni, dei luoghi coglie solo l’esotico e il pittoresco, gli aspetti più insignificanti del viaggio.

E’ nella scrittura che il pilota francese trasferisce la dialettica appresa in cielo: nei suoi racconti come nei suoi romanzi si trova la visione perspicua del mondo, la relazione con la notte e i suoi abissi, o quella con il deserto del Sahara, che delinea l’infinita ricerca del senso attraverso la simbologia del viaggio e il viaggio nella simbologia.

La letteratura non è forse questo? Non è la dimensione in cui l’uomo manifesta, mediante la parola scritta, la sua imperscrutabile relazione simbolica con il mondo? In Saint-Exupéry lo è senz’altro.

L’autore, senza utilizzare gerghi tecnici, traccia nero su bianco la rotta di stelle percorsa durante le traversate, affidando alle pagine il proprio sentimento di tenerezza per la sera che scende sulla città, che lo schianta molto più di quanto oserebbe la paura di un pericolo imminente, quella del vuoto e della morte.

A sostenere il suo lungo volo così come i suoi versi – è molto probabile che sia un poeta – è la necessità interiore, la cui voce si sente appena nel frastuono delle distrazioni e nelle abitudini indotte, ma che diviene forte e chiara quando un uomo è solo.

Ecco un altro aspetto sostanziale che accomuna il pilota allo scrittore: la solitudine di chi passeggia tra gli astri, in cerca di “un’unica stella su cui abitare”, è della stessa pasta di quella di chi prova a disegnare sulla mappa di un foglio bianco un fiume capace di toccare ogni regione del suo pensiero e ogni paese in cui dimora un sentimento. E’ una solitudine fatta d’inquietudine, di strade ignote e volti lontani, ma anche di fitte relazioni con il circostante al quale ci si accosta più facilmente quando lo si pensa, lo si immagina, lo si sente interiormente.

Infine quello che lega indissolubilmente i due mestieri, o meglio le due arti, dell’uomo Saint-Exupéry è il sogno: il pilota, che dal cielo immagina una donna in particolare o le schiene doppie dei cammelli, sogna allo stesso modo dello scrittore che, impugnando una penna, segue una visione più forte del vero.

Saint-Exupéry troverà la morte nel Luglio del 1944, mentre sorvola l’Île de Riou, a sud di Marsiglia. Nonostante le lunghe ricerche, durate anni, il suo corpo non è mai stato ritrovato, ma è normale che sia così: non lo troverete in fondo al mare, ma sul pianeta del Piccolo Principe a guardare – quando la malinconia lo coglierà forte – quarantatré tramonti in compagnia di una rosa.

Per il resto del tempo sarà più facile scorgerlo mentre «si esercita agli attrezzi tra le stelle», come quell’equilibrista del volo e della scrittura che fu.

Non bisogna cercarlo in fondo al mare, non è laggiù; più facile, invece, sarà trovarlo mentre si esercita agli attrezzi tra le stelle, come quell’equilibrista del simbolo che è.

jeudi, 12 novembre 2009

Dmitri Merezkovskij

Merezhkovsky.jpgDmitri Merezkovskij

Antonio Rossiello / http://www.italiasociale.org/


Lo scrittore e critico letterario Dmitri Sergèyevich Merezkovskij nacque a San Pietroburgo nella Russia zarista il 14 agosto 1865, ovvero il 2 agosto 1865 del calendario Giuliano allora in uso in Russia. Dmitri era figlio di un modesto funzionario, ufficiale di Corte a San Pietroburgo. Dal 1884 al 1889 studiò storia e filologia all'Università di San Pietroburgo, laureandosi in storia e filosofia con una tesi di dottorato in filologia su Montaigne. Merezhkovskij esordì in letteratura, essendo discepolo del poeta simbolista S. Nadon, con ''Stichotvorenija (1883 -1887)'', ( Poesie), nel 1888. Incontrò Zinaida Nikolevna Gippius, (nata il 20 novembre, ovvero l'8 novembre 1869 del calendario Giuliano, a Belyov in Russia), sua futura moglie, nel maggio 1888 durante una permanenza nel Borhoni / Borzhom in Caucaso; si sposarono nel gennaio 1889, all'età di 23 anni lui e di 19 lei. La coppia si stabilì a San Pietroburgo, dove nelle decadi seguenti il loro matrimonio, divennero animatori di un salotto, varando una società religiosa, ospitante intellettuali ed artisti, punto d'incontro del giro del secolo della scena intellettuale della capitale. Nel 1891 Dmitri fu in viaggio a Vienna ed a Venezia. Le sue fonti di reddito erano dovute ad un mantenimento da parte dei suoi familiari, nei primi anni, specie quando si assunse la responsabilità di sostenere dei viaggi per ragioni mediche relative a sua moglie. Nel 1892 uscì la sua seconda raccolta ''Simvoly, pesni i poemy''(Poemi, Simboli), che può essere considerata una sorta di ''manifesto'' poetico della nuova sensibilità decadente e simbolista.

In essa Merezhkovsky fu influenzato da Poe e da Baudelaire, introducendo temi e motivi che poi ricorsero nell'opera di altri simbolisti: cupo pessimismo, orgogliosa affermazione del proprio individualismo, condizione dell'uomo ''figlio della notte'', che è prigioniero di questo mondo e anela all'''altro'', dicotomia tra culto pagano della bellezza terrena e aspirazioni mistico-religiose. Merezhkovsky pubblicò una raccolta di articoli, ''O pricinach upadka i o novych tecenijach sovremennoj russkoj literatury'' ( Sulle cause della decadenza e sulle nuove correnti della letteratura russa contemporanea), del 1893, che è la prima ''dichiarazione d'intenti'' del decadentismo russo. In essa Merezhkovsky auspicava la creazione di ''una nuova arte ideale'', che avrebbe sostituito in Russia ''il volgare realismo utilitaristico''. Alla luce di tale concezione idealistica, che nel tempo assumerà connotazioni accentuatamente metafisiche e religiose, Merezhkovsky sentì l'esigenza di ''rivisitare'' l'eredità letteraria dei grandi scrittori del passato e si dedicò alla critica letteraria. Fu pensatore mistico cristiano ed ottenne delle entrate dai compensi dei suoi scritti filosofici, storici, religiosi e biografici, oltre che dalle sue poesie. Pubblicò novelle, poesie ed articoli su periodici di letteratura e di arte; libri dai quali percepì royalties e diritti d'autore. Fu uno scrittore sempre conosciuto, da quando pubblicava in Russia guadagnando molto.

Per le traduzioni, ricevette i diritti d'autore occasionalmente, dato che in Russia mancava un corrispondente accordo internazionale, gli editori stranieri erano liberi di rimunerare o meno le loro traduzioni degli autori russi. Queste considerazioni valgono per il periodo in cui visse all'estero. Zinaida descrisse nelle sue epistole le condizioni di vita non sempre facili. Le loro riserve erano limitate. La giovane coppia condusse una vita in condizioni più elevate in San Pietroburgo grazie agli scritti. Non ebbero figli per ragioni sconosciute. Il loro matrimonio burrascoso divenne apertamente una relazione a tre dal 1901 in avanti con Dmitri Vladimirovich Filosofov (1872-1940) che visse con loro nella stessa casa. Dmitri Filosofov e Vladimir Zlobin (1894-1967) furono i suoi segretari, editori e coautori. Merezhkovskij ammirò molto Dostoievsky e Soloviev, che incontrò. Negli anni seguenti al 1890 popolarizzò il simbolismo francese in Russia. La tradizione naturalista da Tolstoj a Dostoevskij era allora decadente, soppiantata dalla tendenza mistico/religiosa, verso cui Merezhkovskij si orientava. Arguì che gli autori naturalisti non erano stati tali, ma mistici. Merezhkovskij si accreditò iniziando il Simbolismo russo e l'età d'oro russa. Il Simbolismo era una reazione al naturalismo ed al realismo. Un grido della spiritualità contro il pensiero materialistico consecutivo russo. La pittura simbolista russa favorì le misteriose figure in cui raffigurò suggestivamente una sorta di spiritualità cui fu interessata. Giunsero ad una sorta di melanconia elegiaca.

I Simbolisti avocarono a sé una visione spirituale del mondo. Essi intrapresero una guerra contro il generale utilitarismo ed una concezione del mondo positivista, fra cui non inclusero né l'arte né la filosofia, sostituite da nuove istanze per i valori eterni. I primi simbolisti russi compresero che una sintesi tra il mondo corrotto e materiale e gli eterni valori non era possibile. Essi rigettarono la credenza che l'arte potesse servire il progresso sociale. Posizionarono l'artista come una figura libera divina in cui la vita ed il lavoro potevano puntare verso una vita elevata e spirituale. Essi videro l'artista come un mediatore di forze tra i mondi fenomenali e noumenali (intellettuali). Merezhkovski rappresentò gli scrittori come sé stesso quali veggenti di due differenti mondi, la carne e lo spirito. Questo tipo di pensiero si sviluppo in ''Cristo e l'Anticristo''. I Merezhkovski erano figure preminenti dell'età argentea. Zinaida Gippius fu una poetessa prolifica, scrittrice di romanzi e saggi, memorie, critiche, commedie; scrisse molti saggi critici di letteratura, religione e politica. Essi furono pubblicati su riviste letterarie di Mosca e San Pietroburgo e sui quotidiani sotto vari pseudonimi incluso Anton Krajny e Roman Arensky.

''L'anima è religiosa dalle origini, il sentimento di solitudine nel mondo è intollerabile se non c'è Dio'' e (Zinaida Gippius). La religione si connette con ogni sorta di Chiesa, inclusa la Chiesa Ortodossa, non si adeguò ad essa ed a suo marito. Dmitri cercava la sua via verso il divino come Fiodor Dostoevsky. Stimolò l'idea di una nuova Cristianità; una nuova Chiesa, dove la persona e Dio sono eguali. Espressero la loro neocristianità nelle parole e nei fatti di una vita scandalosa. La loro triplice unione con il filosofo Dimitri Filosofov, pubblicista e critico giocò un ruolo importante nell'unione artistica del mondo delle arti. Questa unione o famiglia allargata, mostrò assolutamente la nuova unione spirituale, ma la società considerava ciò con arroganza, come la continuazione della sua scandalosa poesia: ''Io non posso obbedire a Dio se io amo Dio...Non siamo schiavi ma figli di Dio, ed i bambini sono liberi come Lui''.

Nel 1900 l'enorme impero russo si era industrializzato con l'indebitamento finanziario estero tramite i prestiti monetari, senza una modernizzazione della sua struttura sociale. Nessuna prospettiva era data all'indicibile miseria della sua popolazione contadina, entrambi senza terra sotto la mercè dei proprietari terrieri, o indipendenti ma schiacciati dalle gigantesche tasse destinate a provvedere ai pagamenti dell'indebitamento russo ( i proprietari non pagavano le tasse). L'immensa sottoclasse proletaria viveva in condizioni miserevoli e si riversava nelle città e nei centri industriali. La crescita enorme della popolazione supplì ai soldati dell'esercito, ai lavoratori dell'industria, ai lavoratori siberiani coloni e nelle campagne. L'Impero fu scosso da una politica disordinata. Scioperi, dimostrazioni, scontri con la polizia occorsero in parecchie città. I radicali di sinistra ripreso il terrorismo politico. Le strutture rigide autoritarie dell'autocrazia sembrarono inabili a rispondere o ad afferrare ciò che stava accadendo.

Tolstoj veniva scomunicato dalla Chiesa Ortodossa. Dopo il 1900, Merezhkovsky propagò attivamente una ''nuova coscienza religiosa'', animò un gruppo di ''Cristiani spirituali'' che chiamò i cercatori di Dio (Hogoiskateli), o i decadenti. I Bogoiskatjeli o cercatori di Dio, erano una corrente che riunivano i personaggi noti come Società Russa del 1900. Tal gruppo incluse sua moglie Zinaida Gippius e Dimitri Filosofov, Vasilij Rozanov, V. Ternavcev ed altri. Fu direttore del movimento spiritualizzato, con al suo fianco nella direzione la poetessa Zinaida Kippius, Balmont, Brjusou, Sollogub. Dal novembre 1901 Merezhkovsky proiettò le discussioni tra ''i cristiani spirituali'' ed ''i cristiani ufficiali'' (rappresentativi della Chiesa Ortodossa). Nel 1901, entrambi i Merezhkovsky e l'amico Dmitri V. Filosofov, diventarono gli animatori di un movimento religioso filosofico, il cui scopo era promuovere in Russia una ''nuova coscienza religiosa'', fondando la Società Filosofico - Religiosa, il cui strumento di divulgazione fu la rivista ''Novyi put''(La Nuova via), che rifletteva le loro idee metafisiche. Questi incontri regolari erano conosciuti come le assemblee religiose di San Pietroburgo e durarono dal 1901 al 1903. Pensatore religioso e mistico, prospettò l'avvento di un mondo nuovo di libertà e compimento cristiano a cui si giungerebbe con l'attuarsi del regno dello spirito, invocato da Gioacchino da Fiore. L'attesa del Terzo Regno gli impose la necessità di svolgere un'azione pratica, che tentò a più riprese, in convegni religiosi e filosofici nel 1901 memorabili nella storia della cultura contemporanea russa. Nell'aprile 1903, queste assemblee filosofico-religiose furono proibite dalla Chiesa (da Pobedonoscev, procuratore del Sinodo Sacro, Ministro russo della Chiesa Ortodossa).

Perse molti lettori ed ebbe problemi finanziari dopo il moto ostile della Chiesa dall'aprile 1903. Merezhkovsky cercò altri contribuenti, i nuovi idealisti. Nel 1904 ''Novy Put'' fu sospesa. Merezhkovsky e sua moglie viaggiarono in profondità nella Russia oltre il fiume Volga, per visitare i mistici russi appartati nei monasteri. Si incontrarono con i rappresentanti di diverse sette mistiche. Merezhkovsky mantenne una corrispondenza con alcuni di questi Gnostici russi. Gippius scrisse una storia, descrivendo, con un grande percorso all'interno della conoscenza, i riti segreti della comunità Gnostica Khlystic. Gli autori da lui presi in esame vengono analizzati seguendo un procedimento ''antitetico'' che prende origine da un'opposizione fondamentale, che secondo Merezhkovsky ha determinato l'intera storia umana: l'antitesi tra religione della carne e religione dello spirito, tra paganesimo e cristianesimo. E nella storia letteraria russa gli ''archetipi'', le perfette incarnazioni di questi due principi contrapposti sarebbero state Tolstoj (''veggente della carne'') e Dostoevsky (''veggente dello spirito''). Su tale antitesi è basata anche una delle opere più significative di Merezhkovsky, pubblicata tra il 1896 ed il 1905 intitolata la trilogia di racconti storici ''Christos i Antichrist'', ''Christo e Antichristo'', un best- sellers europeo, formata dai romanzi ''Smert' bogov. Yulian Otstupnik'', (La morte degli dei. Giuliano l'Apostata) del 1896, ''Voskressie bogi. Leonardo da Vinchi (1899-1900)'', (La Resurrezione degli Dei. Leonardo da Vinci)'' nel 1901, e ''Antikhrist: Pyotr i Aleksej'', (L'Anticristo: Pietro ed Alessio) nel 1905 .

In quest'opera, costruita secondo un preciso, quanto ambizioso disegno filosofico, Merezhkovsky concentrò la propria attenzione su tre momenti storici nei quali più forte è stato, a suo parere, il presentimento del Terzo Regno, di quell'età aurea in cui l'umanità saprà giungere ad una conciliazione e ad una sintesi tra paganesimo e cristianesimo. Con questa trilogia fece rivivere il romanzo storico in Russia. Le sue tre parti, ambientate nelle separate epoche e aree geografiche, rivelarono l'erudizione storica, e servirono come veicoli per autori di idee storiche e teologiche. Sui problemi scottanti della Russia contemporanea, coloro che cercavano Dio non ebbero una chiara risposta o atteggiamento. Il loro misticismo era solo romantico, mostrarono poche potenzialità nel sollevare domande politiche e provvedere con soluzioni politiche. La sua trilogia fu contemporanea ai suoi viaggi a Roma e Costantinopoli. Fu il suo periodo più lucido, intellettualmente, in cui la forza espressiva del linguaggio raggiunse l'acme.

In Giuliano si ebbe lo slancio vivificante di numerose immagini, la fredda bianca Afrodite Amaudiomane, nata dalla spuma, non vergognosa nella sua medità, davanti a cui il futuro imperatore, nelle vesti del monaco cristiano, l'animo macerato dal dubbio, si inchina, stordito della luce improvvisa che lo risveglia alla vita - è l'attivo del trionfo pagano. Attivo oppositore del positivismo, predominante nella cultura russa, mosse la sua speculazione nei termini dell'antinomicità e della popolarizzazione; al pathos di Tolstoj, geniale veggente della carne pagano e panteista, oppose l'opera dell'eccelso veggente dello spirito che fu Dostoevskij, rivelatore dello spirito cristiano in senso vero. Antinomica è la trilogia del romanzo storico ''Cristo e l'anticristo'', opera modernista, dove alla storia di ''Giuliano l'Apostata, o la morte degli dei'', del 1896, è contrapposta ''Leonardo da Vinci, o la resurrezione degli dei'', del 1901 ; ''Pietro e Alessio'', nel 1905, la cui idea centrale è l'opposizione fra concezione greca della santità della carne e la concezione cristiana dello spirito, l'urto fra Cristo e l'anticristo.

L'anticristo acquisisce una terribile evidenza drammatica nella lotta narrata in un terzo romanzo ''Pietro e Alessio'' del 1905, a tal trilogia seguì un'altra storica, che rappresenta la lotta storica tra gli stessi principi (Cristo e anticristo) in rapporto ai futuri destini della Russia: composta dal dramma ''Pavel I'', (La morte di Paolo I) del 1908; e dai romanzi ''Aleksandr I (1911-'12) Pervyj'', (I segreti di Alessandro I) del 1911; ''Perventsy svobody. Istorija vosstanija 14 - go Dekabrja 1825'', (La congiura dei decabristi) del 1917. Allargò tale visione antinomica e la ripropose, come rivelatrice, in altre sue prospettazioni di storia e di critica. La storia fu pensata come processo che si compie in opposizione antinomica tra Regno del padre, nel Vecchio Testamento, e Regno del figlio, attuato nel cristianesimo.

Non riuscì a conferire a questa antinomicità una vera funzionalità dialettica, ad avvalorarla come il principio dell'interiore dinamismo di vita e della storia. Un ordine esteriormente immutato ed immutabile era effettivamente corroso, mentre piomba sulla Santa Russia - la Russia dello Zar, della visione messianica dell'Impero, della Terza Roma - la mannaia della rivoluzione sovietica. La missione implicita nella scritta scolpita nel salone dello zar ''il sole conobbe il suo ponente, e fu notte'' passò in mani che invertirono il significato e che l'agitarono fino al 1989, anno della caduta del comunismo sovietico. In seguito Merezhkovsky scrisse altre opere storiche, dove la storia risultava sempre più artificiosamente ''interpretata'' e finalizzata a precisi intenti dimostrativi da parte dello scrittore.

Pubblicò nel 1896 ''Novyj e stijkhotvorenija. (1891 - '95)''; nel 1897 ''Vechnye sputniki. Portrety iz vsemirnoj literatury'', ( Eterni compagni), raccolta di saggi su vari scrittori, e nel 1901-'03 ''Tolstoj i Dostoevskij'', (Tolstoj come uomo e artista: con un saggio su Dostoevsky), Il saggio critico ''Tolstoj e Dostoevskij ( 1901 - '03)'' segue la maturazione e l' inserimento di Merezhkovsky nel gran filone Dostoevskiano di fine ottocento, con un suo personale apporto. Fu pubblicato a puntate sul periodico ''Mondo dell'arte'' dal 1901 in avanti. Vladimir Pozner scrisse che era il libro di Merezhkovsky più profondo e vivo nella storia della critica letteraria russa. Delineò una sua prospettiva metafisica, una sua visione degli eventi umani fondata sull'avvento del Regnum, superiore armonia in cui si risolveva l'eterna lotta tra il Bene ed il Male attraverso la risoluzione degli estremi opposti - quando le due metà della verità, la cristiana e la pagana, saranno mature per integrarsi o ricongiungersi.

Piotr Kogan scrisse che la storia dell'umanità è da Merezhkovsky presentata come un presentimento del futuro Regno che unirà il principio pagano ed il principio cristiano. Merezhkovsky apprezzava i momenti in cui il presentimento del futuro si manifestava, quando in mezzo al cristianesimo trionfante o al paganesimo trionfante, cioè in mezzo al trionfo di una delle due metà della verità integrale, comparivano i cercatori di Dio, gli insoddisfatti, incapaci di scoprire le verità interna e incapaci di appagarsi ad una verità incompleta. Cercò la verità totale, integrale, assoluta. Sull'interpretazione antitetica fra Tolstoj, poeta della carne, e Dostoevsky, poeta dello spirito. Seguirono nel 1904 ''Sobranie stikhov. 1883-1903'', ( Collezione poetica); ''Gogol' i chort. Isledovanie.'', ( Gogol' e il diavolo) del 1906; ''Probok russkoj revoljatsii. Kjubileja Dostoevskogo'', ( Il profeta della rivoluzione russa) del 1906 di nuovo su Dostoevskij; i saggi di ''Grjaduscij Cham'', (Il veniente Cam) del 1906; nel 1906 ''Grjadushij kham. Chekhov i Gorkij''; nel 1908 ''Ne mir, no mech''; nel 1910 ''Bol'naja rossija'', (L Russia malata) ''Lermontov poet sverkhchelovechestvagogol, tvorchestvo, hizo, religija'', (Lermontov, il poeta della superumanità) del 1909 su Lermontov. Nel 1911 -'15 ''Polnoc sobranie sochinenij''; nel 1904 ''Dafnis i chloa. Povest-lotusa'', nel 1904 ''Ljubov' sil'nee smerti-ital'janskaja novella XV veka'', nel 1915 ''Bylo i budet. Dnevnik 1910-1914'', nel 1915''Dve tajny russkoj poezii. Nekrasov i tjutchev''; nel 1916 ''Budet radost, p'esa''; nel 1917 ''Nevoennyj dnevnik. 1914-1916''; nel 1917 ''Romantiki. P'esa''; se le opere in russo precedenti al 1915 erano state edite a San Pietroburgo, quelle successive fino al 1917 furono edite con il nuovo nome della medesima città capitale, ovvero Pietrogrado.

Merezhkovsky sostenne la monarchia russa, cui attribuiva una istituzione divina. Resistette al severo criticismo degli scrittori progressisti. Fu schernito in un articolo stampato in ''Osvobozhdenie'' nel 1902, un periodico underground pubblicato all'estero, in relazione al suo paragonare l'autocrazia russa ad un mistico ordine nel suo libro su Dostoevsky, riportava che il dipartimento di polizia, le regolazioni sui controlli fossero intensificati; sul ''Moskovskie vedomosti'', sul ''Grazhdanin'', sul ''Cossack'', si fece sarcasmo sulla convocazione e le forche ed altri attributi di protezione: erano anche oggetti dell'ordine mistico? Contenevano l'indescrivibile segreto di Dio. Il misticismo obbliga. Se l'idea di Monarchia è solo mistica e promossa, non come una frase sonora, ma con rispetto e timore, tale convinzione obbliga a combattere con furia contro l'ordine di polizia russo. L'autocrazia è un'idea religiosa, ma la difesa di tale idea è un argomento per Dio, e non per il dipartimento di Polizia. Qualunque sofferenza e miseria del popolo, il regime zarista manteneva il suo prestigio attraverso l'espansione dell'impero russo. Il Caucaso, l'Asia centrale ed il lontano est, province assorbite nel XIX secolo. All'inizio del XX secolo, la situazione mutò brutalmente. Nella guerra dell'est, l'imperialismo russo e il modernizzato Giappone si scontrarono.
Una guerra scoppiò circa l'influenza di zona in Corea e Manciuria.

merej9785699219971.jpgGli attacchi giapponesi alla flotta Russa di Porth Arthur nel febbraio 1904 assediarono la città ed inflissero una severa sconfitta all'esercito russo in battaglie gigantesche e spietate coinvolgenti più di 500.000 soldati ed annunciando i combattimenti di trincea della prima guerra mondiale. Porth Arthur divenne giapponese nel gennaio 1905 e la notizia della sua caduta scosse la Russia. I successi militari fornirono la giustificazione all'autocrazia dello Zar. Nel gennaio 1905, una folla di 200.000 persone si avvicinò al Palazzo di San Pietroburgo per portare una petizione allo zar. Fu crudelmente colpita dalle guardie, lasciando centinaia di morti e proruppe la via delle proteste e degli scioperi. La liberazione della Russia si ebbe con lo scoppio di una guerra contro il Giappone che attraversò metà del globo dal Mar Baltico al Mar di Giappone e per una controffensiva, fu affondata la flotta russa dall'armata navale giapponese nel maggio 1915, vicino all'isola di Tsushima.

Questo aggravò l'insurrezione popolare. Nell'agosto 1905, lo zar sotto la pressione della strada concesse un'assemblea parlamentare Duma al popolo, affossandola nei due anni successivi. Merezhkovsky, che era stato sostenitore della monarchia russa, cambiò opinione durante la rivoluzione del 1905, che apertamente sostenne. Sua moglie e lui divennero zelanti rivoluzionari, e scrisse molti versi politici. Con il fallimento della rivoluzione, la coppia emigrò a Parigi. Vissero due anni lì tra il 1906 ed il 1907, poi ritornarono. Dmitri mostrò l'insurrezione del 1905 come un evento religioso, rivelante una rivoluzione religiosa di cui divenne un fidato profeta.

Nel 1907, Dmitri e Zinaida Gippius, con l'aiuto di un circolo di amici ( Ern, Pavel Florenskii, Sergei Bulgakov Brikhnichev) fondarono in Mosca un giornale chiamato ''Zhivaia Zhizn''. Merezhkovsky e Gippius divisero la storia dell'umanità ed il suo futuro in tre fasi. Il regno di Dio Padre, il regno del Vecchio Testamento; il regno di Gesù Cristo, il regno del Nuovo Testamento, la presente fase che era chiusa, e il regno dello Spirito Santo o l'era del Terzo Testamento, che stava ora albeggiando, gradualmente rivelando un messaggio all'umanità. In queste rivelazioni, gli eventi del 1905 furono un messaggio di trasformazioni. Il Regno del Vecchio Testamento ebbe l'autorità divina come suprema; il Regno del Nuovo Testamento ebbe l'amore come autorità suprema; e il Regno del Terzo Testamento poteva rivelare un inno di libertà come suprema autorità. Questa felice via mondiale rispecchiò la felicità nella vita di Merezhkovsky, giovane importante, autore, famoso in Europa, sufficientemente ricco per disporre della sua vita liberamente.

I previsti Regni simboleggiavano un cambiamento nella coscienza umana; così il regno finale del Terzo Testamento annunciava una nuova coscienza religiosa, la genesi di una Nuova Umanità. Il Terzo Testamento doveva risolvere le presenti antitesi - sesso e ascetismo, individualismo e società, schiavitù e libertà, ateismo e religiosità, odio e amore. L'enigma della terra e del cielo, la carne e lo spirito poteva essere risolto nello Spirito Santo. Lo Spirito Santo avrebbe potuto redimere il mondo, dando all'umanità una nuova vita di pace, armonia e amore. Il Trino si realizzava nell'Uno, e la Cristianità Spirituale poteva essere condotta all'apertura.

Nel propagare la loro Causa del Trino nell'Uno Gippius e Merezhkovsky speravano in una rivoluzione religiosa, una metamorfosi spirituale dell'uomo per prepararlo al Terzo Regno. Gippius accordò lo scopo dello sviluppo di tutto l'universale storico, nella dell'umanità e del mondo nella loro forma presenti attraverso l'Apocalisse. Solo la venuta di Cristo potrebbe unire l'umanità nell'amore fraterno e nell'armonia della vita familiare. Nell'evoluzione spirituale della umanità la Chiesa apocalitticamente potrebbe essere instaurata non come un tempo, ma come una nuova esperienza di Dio nell'umana coscienza e nell'animo umano. Quando scoppiò la prima guerra mondiale nell'agosto 1914, le truppe russe entrarono in Germania. Merezhkovsky vide nella I guerra mondiale una battaglia per la cultura, che era, per la Russia, contro il militarismo tedesco. Dopo le iniziali vittorie l'offensiva russa tornò a scontrarsi per San Pietroburgo. Le truppe russe persero tutto il territorio tedesco che avevano guadagnato, poi la Polonia e la Lituania.

Nel 1916, l'esercito russo, interamente demoralizzato, malamente comandato perse costantemente terreno. La popolazione si lamentava contro l'imperatrice nata tedesca e contro il suo favorito guaritore Grigori Rasputin. San Pietroburgo si stava sgretolando sotto il peso dei rifugiati di guerra e della miseria dell'enormi classi inferiori. La società si stava lentamente disintegrando. Nella classe elevata, gli uomini erano attratti dalle ragazze giovani impoverite ed il numero dei divorzi salì. All'inizio della guerra, la città capitale era stata ribattezzata con il nome non tedesco di Pietrogrado. Zinaida Gippius la soprannominò Chertograd, città del diavolo, perché lo stato d'animo era nella città spaventoso. Successivamente la catastrofe militare della sconfitta e la seguente perdita finale del prestigio dello zar, la disintegrazione dello stato, la rivoluzione rovesciò lo zar nel marzo 1917.

Un regime democratico fu eretto, Merezhkovsky fu un forte sostenitore della giovane democrazia russa. La nuova Russia andò a combattere la Germania. San Pietroburgo fu messa in ginocchio, Berlino giocò la carta delle sollevazioni popolari interne alla Russia. Quivi si spandé un piccolo gruppo sovversivo, i Bolscevichi, con mezzi finanziari con la missione di prendere il potere, dopo la resa, per cui fu ceduto un'enorme territorio all'impero tedesco. Il leader bolscevico ebreo Vladimir Ilijc Ulianov, detto Lenin fu spedito in Russia in un treno militare tedesco, al fine di indebolire la difesa russa, dato che i rivoluzionari comunisti stavano adempiendo alla loro missione. Infatti organizzarono un colpo di stato e prendendo il potere nel novembre 1917 (la Rivoluzione d'Ottobre), firmarono l'armistizio con la Germania nel dicembre 1917. Sottoscrissero il trattato di pace di Brest - Litovsk con la Germania nel marzo 1918, con il quale essi rinunciavano all'Ucraina, alla Bielorussia, alla Finlandia, che entrarono nella sfera d'influenza della Germania.

In seguito i Bolscevichi edificarono un regime totalitario mostruoso, governando con il terrore, giustiziando migliaia di persone nei primi mesi della sua esistenza. Stabilirono la presa dell'industria con la nazionalizzazione delle fabbriche ( spesso estere) e denunciando tutto il debito estero. Si assicurarono il controllo dell'esercito con l'assegnazione di un ''guardiano'' comunista per ogni ufficio. Quando l'impero tedesco cadde, nel novembre 1918, sconfitto dagli U.S.A., il regime bolscevico abilmente sopravvisse in Russia in regime di autarchia, basandosi sulle proprie forze secondo i principi del marxismo leninismo del compagno Stalin. Merezhkovsky rigettò la nuova dittatura comunista come una caricatura diabolica del governo di Dio, come egli lo definiva, e fece un'attiva opposizione. I poteri democratici occidentali (Francia ed Inghilterra) sostennero, opportunisticamente come stati capitalistici, le truppe oppositrici al Bolscevismo con lo scopo di recuperare il loro patrimonio - debiti e facilitazioni già concesse al regime corrotto degli zar - e restaurare un governo eletto democraticamente.

Durante il 1919, le ''armate bianche'' per la democrazia si spinsero intensamente nella profondità della Russia. Le ''armate rosse'' vittoriosamente contrattaccarono nell'ottobre 1919 ed assicurarono il controllo di Pietrogrado. Nel dicembre 1919, Merezhkovsky abbandonò la vicina Polonia. Già sostenitore dei moti del 1905, in cui volle vedere l'inizio di quella ''rivoluzione religiosa'' che avrebbe preceduto l'avvento del Regno dello spirito in Russia, appoggiò anche la rivoluzione di febbraio 1917 ma le speranze di rinnovamento crollarono definitivamente con la successiva rivoluzione d'ottobre 1917, che egli considerava controrivoluzionaria, e con la presa del potere da parte dei bolscevichi.

Nell'aprile 1920, le truppe bolsceviche attaccarono l'esercito polacco ( per cui si avventurarono lontano dal Dniepr), raggiunsero la Vistola ed andarono vicino alla conquista di Varsavia nell'agosto 1920. Grazie all'intervento dell'Occidente, le armate russe furono sconfitte, mantenendo in uno stato di sopravvivenza la Polonia.

Nel 1919 i Merezhkovsky lasciarono la Russia e nell'ottobre 1920 emigrarono in esilio a Parigi in Francia, descrivendo il Bolscevismo nel 1920 ''Tsarevich Aleksej'', (Lo zarevic Aleksej) e nel 1921 ''Tsarstvo antikhrista'', edita a Monaco di Baviera, (Il Regno dell'Anticristo. Russia e il Bolscevismo) ed altri lavori poi tradotti in varie lingue. Fu autore di alcuni feroci pamphlet contro il regime comunista sovietico. Dmitri pubblicò due racconti storici sotto l'universale titolo di ''Rozhdenie Bogoy'' tra il 1924 - '25, (Nascita degli Dei), una bilogia ''Rozhdenie Bogov. Tutankhamon na krite'', ( Nascita degli Dei. Tutankhamon in Creta), edita a Praga e nel 1925 ?: ''Messija'' ( Il Messia o Akhenaton, re dell'Egitto o''Akhenaton, gioia del sole'', del 1927), edito a Parigi. ''La nascita degli Dei'',(romanzo onnicomprensivo dell'opera di Merezhkovsky, anche come tempo d'azione era situato all'origine delle tre trilogie).

Pozner riassunse il senso dell'impegno letterario di Merezhkovsky: ''Dopo anni di positivismo ricco di mediocrità e tracotanza, il tono profetico di Merezhkovsky, la sua erudizione, il suo interesse per i fenomeni della vita spirituale e religiosa, gli assicurarono i primi posti nella sua generazione, facendone uno scrittore la cui importanza oltrepassò le frontiere di un Paese. Nel 1925 ''Tajna trekh. Egipet i vavilon'', (I misteri d'Oriente), edito a Praga, romanzo di argomento egiziano, ambientato nell'Egitto faraonico. I racconti si concentrarono attorno al faraone egiziano Akhenaton, il fondatore ed uno dei primi conosciuti, vita breve, religione monoteista. Raffiguravano Akhenaton come un Messia, nel senso cristiano, come un'antica manifestazione di Cristo. Entrambe le novelle condivisero l'idea centrale di continuità ed integrità del mondo pre-cristiano e cristiano.

Il punto di volta del 1919-'20 fu la prova critica per i Merezhkovsky. Da allora, Gippius produsse lavori furibondi contro i bolscevichi, molto amareggiata. Il suo ultimo lavoro fu così soggettivo e capriccioso che si fece notare più per la forma che per il contenuto. Merezhkovsky divenne molto pessimista. Emerse il futuro felice di una Terza Età di libertà e lo Spirito Santo della sua vita dandy ed elegante in San Pietroburgo. Divenne il profeta di un destino funesto, prevedendo una fine imminente del mondo in ''Atlantis -Europa. Il segreto dell'Occidente'' del 1930. I Merezhkovsky ebbero successo nell'animare un salotto letterario russo nella loro casa, durante il loro esilio parigino. ''Tajna zapada. Atlantica - Evropa'', (Il mistero dell'Occidente: Atlantide - Europa), edito a Belgrado e tradotto in italiano come ''Atlantida'', edizione Hoepli nel 1937 a Milano. Nel 1932 - '34 ''Iisus neizvestnyj'', ( Gesù sconosciuto), edito a Belgrado; nel 1934''Jesus, der kommende'', edito a Frauenfeld; nel 1935 ''Tod und auferstehung; nel 1936 ''Pavel, Augustin''; nel 1938 ''Franz von Assisi'', edito a Monaco; nel 1938 ''Zanna d'Ark'', edito a Berlino; nel 1939 ''Dante'', edito a Parigi; nel 1942 ''Calvin'', edito a Parigi; nel 1933 ''Napoleone'', edito a Belgrado; ''Nirvana''. Le sue opere corsero di pari passo con la sua vita. La tristezza slava fu segnata da una aspirazione alla trascendenza.

La Terza Trilogia in cui, superati i momenti amari dei primi anni dell'esilio, la sua penna riprese ad essere lo strumento fervido della sua religiosità, della sua spiritualità inesausta - dei suoi tentativi di piegare gli uomini e gli avvenimenti per ricondurli più docili nel solco della sua visione profetica. Tale fu il suo limite, come sostenne Prampolini: ''l'ideologo ricorse al romanzo per illustrare il proprio pensiero, e la creazione artistica ne soffrì per i dominanti intendimenti sociali. I quadri sono arbitrari, perché preconcetti, l'arte del narratore soggiace alle intenzioni del teorico''. Merezhkovsky svolse l'attività di ''cercatore'' del divino sincero ed appassionato; a metà anni '20 era il più celebre degli scrittori russi del '900, mentre la cultura degli esuli russi antibolscevichi oppure nei Gulag, si era dispersa. Per Jean Chuzeville era divenuto disconosciuto. Merezhkovsky orientò l'attenzione di un settore di intellettuali russi verso il dominio della religiosità e dell'etica, contribuendo a riannodare le tradizioni letterarie russe abbandonate dopo la morte di Dostoevsky. La storia è considerata come titanomachia, e le personalità geniali al centro dei suoi romanzi sono in assoluto solipsismo.

Nell'agosto 1927, fondarono un circolo letterario chiamato ''Il lume verde'' con sue riunioni con giovani e vecchi scrittori russi ed un rispettabile numero di membri. Nel 1933 Merezhkovsky ricevette la nomina per il Premio Nobel per la letteratura grazie ai favori che riscontrò la sua trilogia ''Cristo e Anticristo''. ''Profeta'' ormai inascoltato, Merezhkovsky continuò a scrivere fino alla morte, limitandosi a divulgare, in maniera stanca e fumosa, le concezioni filosofiche e critiche elaborate nei decenni precedenti. Nella tarda età, Merezhkovsky stimò Benito Mussolini e Adolf Hitler, quali leaders capaci di sradicare il comunismo. Morì a Parigi il 09 dicembre 1941 a Parigi in Francia ovvero il 26 novembre 1941 del calendario Giuliano fu tumulato nel cimitero di Saint-Geneviève-des-Bois, lo stesso in cui fu inumata sua moglie, che morì il 09 settembre 1945 a Parigi. Nell'editoria italiana è stato dimenticato, infatti si reperiscono in librerie antiquarie solo ''Giuliano l'Apostata.

La morte degli Dei'', solo rare copie di ''Leonardo'' (La resurrezione degli Dei), introvabile il terzo volume della trilogia ''L'Anticristo'', (Pietro e Alessio). Altri scritti pubblicati in Italia negli anni '30 sui santi Agostino, Paolo e Francesco sono introvabili. L'editoria di estrema destra rivoluzionaria o radicale ha sempre trasmesso oralmente, mirando al nostalgico. Il militante nazionalrivoluzionario o nazionalpopolare rimaneva nel 1968 un sensitivo, senza una base dottrinaria, legata agli stati di animo ed influenzata dalla televisione e dai giochi senza ecologia, sociologia ed etologia, con una totale inadeguatezza. Il '68 con la sua sconfitta generazionale fece sì che, tale cultura per gli ostacoli finanziarii, fu ristretta ad un ambiente chiuso, che ha fatto ristagnare il mercato, frenando la programmazione editoriale a lungo termine. La cultura diversa e differente da quella marxista o anarcosettecentesco fece il resto. Merezhkovsky rappresenta la coscienza del progresso o avvicinamento dopo la contestazione giovanile del '68 per favorire il progressivo compimento di una organica formazione politico / culturale. Scrittore inattuale nell'Italia odierna, col suo misticismo fiammeggiante e il suo impegno sociale e politico antibolscevico. L'impegno traslato nella sua collaborazione alla rivista in lingua russa ''Sovremennyja Zapiski'' ( Annali Contemporanei ) negli anni d'esilio a Parigi. I suoi richiami amari e pressanti ai contemporanei, espressi nelle lettere aperte a Wells, Nansen e Hauptmann, assunsero valore profetico. Occorreva schiacciare il Regno della Belva che aveva la sua tana tra le mura dal Cremino: né la fede né le armi sarebbero serviti. Nel solco mistico ed esistenziale di Dostoevsky e Solov'ev. Lo sforzo intellettuale di rinnovamento lo fece assurgere a massimo esponente mistico corrente.


Antonio Rossiello  

 

15/04/2007

jeudi, 20 novembre 2008

Paganisme et philosophie de la Vie chez Knut Hamsun et D. H. Lawrence

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Paganisme et philosophie de la vie chez Knut Hamsun et David Herbert Lawrence

 

Robert STEUCKERS

Conférence prononcée lors de la quatrième université d'été de la F.A.C.E., Lombardie, juillet 1996

 

Analyse: Akos DOMA, Die andere Moderne. Knut Hamsun, D.H. Lawrence und die lebensphilosophische Strömung des literarischen Modernismus, Bouvier, Bonn, 1995,

284 p., DM 82, ISBN 3-416-02585-7.

 

Le philologue hongrois Akos Doma, formé en Allemagne et aux Etats-Unis, vient de sortir un ouvrage d'exégèse littéraire, mettant en parallèle les œuvres de Hamsun et de Lawrence. Leur point commun est une “critique de la civilisation”, concept qu'il convient de remettre dans son contexte. En effet, la civilisation est un processus positif aux yeux des “progressistes” qui voient l'histoire comme une vectorialité, pour les tenants de la philosophie de l'Aufklärung et les adeptes inconditionnels d'une certaine modernité visant la simplification, la géométrisation et la cérébralisation. Mais la civilisation apparaît comme un pro­cessus négatif pour tous ceux qui entendent préserver la fécondité incommensurable des matrices culturelles, pour tous ceux qui constatent, sans s'en scandaliser, que le temps est plurimorphe, c'est-à-dire que le temps de telle culture n'est pas celui de telle autre (alors que les tenants de l'Aufklärung affirment un temps monomorphe, à appliquer à tous les peuples et toutes les cultures de la Terre). A chaque peuple donc son propre temps. Si la modernité refuse de voir cette pluralité de formes de temps, elle est illusion.

 

Dans une certaine mesure, explique Akos Doma, Hamsun et Lawrence sont héritiers de Rousseau. Mais de quel Rousseau? Celui qui est stigmatisé par la tradition maurrassienne (Maurras, Lasserre, Muret) ou celui qui critique radicalement l'Aufklärung sans se faire pour autant le défenseur de l'Ancien Régime? Pour ce Rousseau critique de l'Aufklärung, cette idéologie moderne est précisément l'inverse réel du slogan idéal  qu'elle entend généraliser par son activisme politique: elle est inégalitaire et hostile à la liberté, même si elle revendique l'égalité et la liberté. Avant la modernité du XVIIIième siècle, pour Rousseau et ses adeptes du pré-romantisme, il y avait une “bonne communauté”, la convivialité règnait parmi les hommes, les gens étaient “bons”, parce que la nature était “bonne”. Plus tard, chez les romantiques, qui, sur le plan politique, sont des conservateurs, cette notion de “bonté” est bien présente, alors qu'aujourd'hui on ne l'attribue qu'aux seuls activistes ou penseurs révolutionnaires. L'idée de “bonté” a donc été présente à “droite” comme à “gauche” de l'échiquier politique.

 

Mais pour le poète romantique anglais Wordsworth, la nature est “le théâtre de toute véritable expérience”, car l'homme y est confronté réellement et immédiatement avec les éléments, ce qui nous conduit implicitement au-delà du bien et du mal. Wordsworth est certes “perfectibiliste”, l'homme de sa vision poétique atteindra plus tard une excellence, une perfection, mais cet homme, contrairement à ce que pensaient et imposaient les tenants de l'idéologie des Lumières, ne se perfectionnera pas seulement en développant les facultés de son intellect. La perfection de l'homme passe surtout par l'épreuve de l'élémentaire naturel. Pour Novalis, la nature est “l'espace de l'expérience mystique, qui nous permet de voir au-delà des contingences de la vie urbaine et artificielle”. Pour Eichendorff, la nature, c'est la liberté et, en ce sens, elle est une transcendance, car elle nous permet d'échapper à l'étroitesse des conventions, des institutions.

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Avec Wordsworth, Novalis et Eichendorff, les thématiques de l'immédiateté, de l'expérience vitale, du refus des contingences nées de l'artifice des conventions, sont en place. A partir des romantiques se déploie en Europe, surtout en Europe du Nord, une hostilité bien pensée à toutes les formes modernes de la vie sociale et de l'économie. Un Carlyle, par exemple, chantera l'héroïsme et dénigrera la “cash flow society”. C'est là une première critique du règne de l'argent. John Ruskin, en lançant des projets d'architecture plus organiques, assortis de plans de cités-jardins, vise à embellir les villes et à réparer les dégâts so­ciaux et urbanistiques d'un rationalisme qui a lamentablement débouché sur le manchestérisme. Tolstoï propage un natura­lisme optimiste que ne partagera pas Dostoïevski, brillant analyste et metteur en scène des pires noirceurs de l'âme humaine. Gauguin transplantera son idéal de la bonté de l'homme dans les îles de la Polynésie, à Tahiti, au milieu des fleurs et des va­hinés.

 

Hamsun et Lawrence, contrairement à Tolstoï ou à Gauguin, développeront une vision de la nature sans téléologie, sans “bonne fin”, sans espace paradisiaque marginal: ils ont assimilé la double leçon de pessimisme de Dostoïevski et de Nietzsche. La nature, pour eux, ce n'est plus un espace idyllique pour excursions, comme chez les poètes anglais du Lake District. Elle n'est pas non plus un espace nécessairement aventureux ou violent, ou posé a priori comme tel. La nature, chez Hamsun et Lawrence, est avant tout l'intériorité de l'homme, elle est ses ressorts intérieurs, ses dispositions, son mental (tripes et cerveau inextricablement liés et confondus). Donc, a priori, chez Hamsun et Lawrence, cette nature de l'homme n'est ni intellectualité ni pure démonie. C'est bien plutôt le réel, le réel en tant que Terre, en tant que Gaïa, le réel comme source de vie.

 

Face à cette source, l'aliénation moderne nous laisse deux attitudes humaines opposées: 1) avoir un terroir, source de vitalité; 2) sombrer dans l'aliénation, source de maladies et de sclérose. C'est entre les deux termes de cette polarité que vont s'inscrire les deux grandes œuvres de Hamsun et de Lawrence: L'éveil de la glèbe pour le Norvégien, L'arc-en-ciel  pour l'Anglais.

 

Dans L'éveil de la glèbe de Hamsun, l'espace naturel est l'espace du travail existentiel où l'Homme œuvre en toute indépen­dance, pour se nourrir, se perpétuer. La nature n'est pas idyllique, comme celle de certains pastoralistes utopistes, le travail n'est pas aboli. Il est une condition incontournable, un destin, un élément constitutif de l'humanité, dont la perte signifierait dés-humanisation. Le héros principal, le paysan Isak est laid de visage et de corps, il est grossier, simple, rustre, mais inébran­lable, il est tout l'homme, avec sa finitude mais aussi sa détermination. L'espace naturel, la Wildnis, est cet espace qui tôt ou tard recevra la griffe de l'homme; il n'est pas l'espace où règne le temps de l'Homme ou plus exactement celui des horloges, mais celui du rythme des saisons, avec ses retours périodiques. Dans cet espace-là, dans ce temps-là, on ne se pose pas de questions, on agit pour survivre, pour participer à un rythme qui nous dépasse. Ce destin est dur. Parfois très dur. Mais il nous donne l'indépendance, l'autonomie, il permet un rapport direct avec notre travail. D'où il donne sens. Donc il y a du sens. Dans L'arc-en-ciel (The Rainbow)  de Lawrence, une famille vit sur un sol en toute indépendance des fruits de ses seules récoltes.

 

Hamsun et Lawrence, dans ces deux romans, nous lèguent la vision d'un homme imbriqué dans un terroir (ein beheimateter Mensch), d'un homme à l'ancrage territorial limité. Le beheimateter Mensch se passe de savoir livresque, n'a nul besoin des prêches des médias, son savoir pratique lui suffit; grâce à lui, il donne du sens à ses actes, tout en autorisant la fantaisie et le sentiment. Ce savoir immédiat lui procure l'unité d'avec les autres êtres participant au vivant.

 

Dans une telle optique, l'aliénation, thème majeur du XIXième siècle, prend une autre dimension. Généralement, on aborde la problématique de l'aliénation au départ de trois corpus doctrinaux:

1. Le corpus marxiste et historiciste: l'aliénation est alors localisée dans la seule sphère sociale, alors que pour Hamsun ou Lawrence, elle se situe dans la nature intérieure de l'homme, indépendemment de sa position sociale ou de sa richesse maté­rielle.

2. L'aliénation est abordée au départ de la théologie ou de l'anthropologie.

3. L'aliénation est perçue comme une anomie sociale.

Chez Hegel, puis chez Marx, l'aliénation des peuples ou des masses est une étape nécessaire dans le processus d'adéquation graduelle entre la réalité et l'absolu. Chez Hamsun et Lawrence, l'aliénation est plus fondamentale; ses causes ne résident pas dans les structures socio-économiques ou politiques, mais dans l'éloignement par rapport aux ra­cines de la nature (qui n'est pas pour autant une “bonne” nature). On ne biffera pas l'aliénation en instaurant un nouvel ordre socio-économique. Chez Hamsun et Lawrence, constate Doma, c'est le problème de la coupure, de la césure, qui est es­sentiel. La vie sociale est devenue uniforme, on tend vers l'uniformité, l'automatisation, la fonctionalisation à outrance, alors que nature et travail dans le cycle de la vie ne sont pas uniformes et mobilisent constamment les énergies vitales. Il y a im­médiateté, alors que tout dans la vie urbaine, industrielle et moderne est médiatisé, filtré. Hamsun et Lawrence s'insurgent contre ce filtre.

 

Dans la “nature”, surtout selon Hamsun et, dans une moindre mesure selon Lawrence, les forces de l'intériorité comptent. Avec l'avènement de la modernité, les hommes sont déterminés par des facteurs extérieurs à eux, tels les conventions, l'agitation politicienne, l'opinion publique qui leur donnent l'illusion de la liberté, alors qu'elles sont en fait l'espace de toutes les manipulations. Dans un tel contexte, les communautés se disloquent: chaque individu se contente de sa sphère d'activité auto­nome en concurrence avec les autres. Nous débouchons alors sur l'anomie, l'isolation, l'hostilité de tous contre tous.

 

Les symptômes de cette anomie sont les engouements pour les choses superficielles, pour les vêtements raffinés (Hamsun), signes d'une fascination détestable pour ce qui est extérieur, pour une forme de dépendance, elle-même signe d'un vide in­térieur. L'homme est déchiré par les effets des sollicitations extérieures. Ce sont là autant d'indices de la perte de vitalité chez l'homme aliéné.

 

Dans le déchirement et la vie urbaine, l'homme ne trouve pas de stabilité, car la vie en ville, dans les métropoles, est rétive à toute forme de stabilité. Cet homme ainsi aliéné ne peut plus non plus retourner à sa communauté, à sa famille d'origine. Pour Lawrence, dont les phrases sont plus légères mais plus percutantes: “He was the eternal audience, the chorus, the spectator at the drama; in his own life he would have no drama” (Il était l'audience éternelle, le chorus, le spectateur du drame; mais dans sa propre vie, il n'y avait pas de drame). “He scarcely existed except through other people” (Il existait à peine, sauf au travers d'autres gens). “He had come to a stability of nullification” (Il en était arrivé à une stabilité qui le nullifiait).

 

Chez Hamsun et Lawrence, l'Ent-wurzelung et l'Unbehaustheit, le déracinement et l'absence de foyer, de maison, cette façon d'être sans feu ni lieu, est la grande tragédie de l'humanité à la fin du XIXième et au début du XXième. Pour Hamsun, le lieu est vital pour l'homme. L'homme doit avoir son lieu. Le lieu de son existence. On ne peut le retrancher de son lieu sans le mutiler en profondeur. La mutilation est surtout psychique, c'est l'hystérie, la névrose, le déséquilibre. Hamsun est fin psychologue. Il nous dit: la conscience de soi est d'emblée un symptôme d'aliénation. Déjà Schiller, dans son essai Über naive und sentimen­talische Dichtung (= De la poésie naïve et sentimentale), notait que la concordance entre le sentir et le penser était tangible, réelle et intérieure chez l'homme naturel mais qu'elle n'est plus qu'idéale et extérieure chez l'homme cultivé («La concor­dance entre ses sensations et sa pensée existait à l'origine, mais n'existe plus aujourd'hui qu'au seul niveau de l'idéal. Cette concordance n'est plus en l'homme, mais plane quelque part à l'extérieur de lui; elle n'est plus qu'une idée, qui doit encore être réalisée, ce n'est plus un fait de sa vie»).

 

Schiller espère une Überwindung (= un dépassement) de cette césure, par une mobilisation totale de l'individu afin de combler cette césure. Le romantisme, à sa suite, visera, la réconciliation de l'Etre (Sein) et de la conscience (Bewußtsein),  combattra la réduction de la conscience au seul entendement rationnel. Le romantisme valorisera et même survalorisera l'“autre” par rapport à la raison (das Andere der Vernunft): perception sensuelle, instinct, intuition, expérience mystique, enfance, rêve, vie pastorale. Wordsworth, romantique anglais, exposant “rose” de cette volonté de réconciliation entre l'Etre et la conscience, plaidera pour l'avènement d'“un cœur qui regarde et reçoit” (A Heart that watches and receives). Dostoïevski abandonnera cette vision “rose”, développera en réaction une vision très “noire”, où l'intellect est toujours source du mal qui conduit le “possédé” à tuer ou à se suicider. Sur le plan philosophique, dans le même filon, tant Klages que Lessing reprendront à leur compte cette vision “noire” de l'intellect, tout en affinant considérablement le romantisme naturaliste: pour Klages, l'esprit est l'ennemi de l'âme; pour Lessing, l'esprit est la contre-partie de la vie, née de la nécessité («Geist ist das notgeborene Gegenspiel des Lebens»).

 

Lawrence, fidèle en un certain sens à la tradition romantique anglaise de Wordsworth, croit à une nouvelle adéquation de l'Etre et de la conscience. Hamsun, plus pessimiste, plus dostoïevskien (d'où son succès en Russie et son impact sur les écrivains ruralistes comme Belov et Raspoutine), n'a cessé de croire que dès qu'il y a conscience, il y a aliénation. Dès que l'homme commence à réfléchir sur soi-même, il se détache par rapport au continuum naturel, dans lequel il devrait normalement rester imbriqué. Dans les écrits théoriques de Hamsun, on trouve une réflexion sur le modernisme littéraire. La vie moderne, écrit-il, influence, transforme, affine l'homme pour l'arracher à son destin, à son lieu destinal, à ses instincts, par-delà le bien et le mal. L'évolution littéraire du XIXième siècle trahit une fébrilité, un déséquilibre, une nervosité, une complication extrême de la psychologie humaine. «La nervosité générale (ambiante) s'est emparée de notre être fondamental et a déteint sur notre vie sentimentale». D'où l'écrivain se définit désormais comme Zola qui se pose comme un “médecin social” qui doit décrire des maux sociaux pour éliminer le mal. L'écrivain, l'intellectuel, développe ainsi un esprit missionnaire visant une “correction po­litique”.

 

Face à cette vision intellectuelle de l'écrivain, Hamsun rétorque qu'il est impossible de définir objectivement la réalité de l'homme, car un “homme objectif” serait une monstruosité (ein Unding), construite à la manière du meccano. On ne peut ré­duire l'homme à un catalogue de caractéristiques car l'homme est changeant, ambigu. Même attitude chez Lawrence: «Now I absolutely flatly deny that I am a soul, or a body, or a mind, or an intelligence, or a brain, or a nervous system, or a bunch of glands, or any of the rest of these bits of me. The whole is greater than the part»  (Voilà, je dénie absolument et franchement le fait que je sois une âme, ou un corps, ou un esprit, ou une intelligence, ou un cerveau, ou un système nerveux, ou une série de glandes, ou tout autre morceau de moi-même. Le tout est plus grand que la partie). Hamsun et Lawrence illustrent dans leurs œuvres qu'il est impossible de théoriser ou d'absoluiser une vision claire et nette de l'homme. L'homme, ensuite, n'est pas le véhicule d'idées préconçues. Hamsun et Lawrence constatent que les progrès dans la conscience de soi ne sont donc pas des processus d'émancipation spirituelle, mais une perte, une déperdition de vitalité, de tonus vital. Dans leurs romans, ce sont toujours des figures intactes, parce qu'inconscientes (c'est-à-dire imbriquées dans leur sol ou leur site) qui se maintiennent, qui triomphent des coups du sort, des circonstances malheureuses.

 

Il ne s'agit nullement là, répétons-le, de pastoralisme ou d'idyllisme. Les figures des romans de Hamsun et de Lawrence sont là: elles sont traversées ou sollicitées par la modernité, d'où leur irréductible complexité: elles peuvent y succomber, elles en souffrent, elles subissent un processus d'aliénation mais peuvent aussi en triompher. C'est ici qu'interviennent l'ironie de Hamsun et la notion de “Phénix” chez Lawrence. L'ironie de Hamsun sert à brocarder les idéaux abstraits des idéologies mo­dernes. Chez Lawrence, la notion récurrente de “Phénix” témoigne d'une certaine dose d'espoir: il y aura ressurection. Comme le Phénix qui renaît de ses cendres.

 

Le paganisme de Hamsun et de Lawrence

 

Si cette volonté de retour à une ontologie naturelle est portée par un rejet de l'intellectualisme rationaliste, elle implique aussi une contestation en profondeur du message chrétien.

 

Chez Hamsun, nous trouvons le rejet du puritanisme familial (celui de son oncle Hans Olsen), le rejet du culte protestant du livre et du texte, c'est-à-dire un rejet explicite d'un système de pensée religieuse reposant sur le primat du pur écrit contre l'expérience existentielle (notamment celle du paysan autarcique, dont le modèle est celui de l'Odalsbond  des campagnes norvégiennes). L'anti-christianisme de Hamsun est plutôt a-chrétien: il n'amorce pas un questionnement religieux à la mode de Kierkegaard. Pour lui, le moralisme du protestantisme de l'ère victorienne (en Scandinavie, on disait: de l'ère oscarienne) exprime tout simplement une dévitalisation. Hamsun ne préconise aucune expérience mystique.

 

Lawrence, lui, perçoit surtout la césure par rapport au mystère cosmique. Le christianisme renforce cette césure, empêche qu'elle ne se colmate, empêche la cicatrisation. Pourtant, la religiosité européenne conserve un résidu de ce culte du mystère cosmique: c'est l'année liturgique, le cycle liturgique (Pâques, Pentecôte, Feux de la Saint-Jean, Toussaint et Jour des Morts, Noël, Fête des Rois). Mais celui-ci a été frappé de plein fouet par les processus de désenchantement et de désacralisation, entamé dès l'avènement de l'église chrétienne primitive, renforcé par les puritanismes et les jansénismes d'après la Réforme. Les premiers chrétiens ont clairement voulu arracher l'homme à ces cycles cosmiques. L'église médiévale a cher­ché au contraire l'adéquation, puis, les églises protestantes et l'église conciliaire ont nettement exprimé une volonté de retour­ner à l'anti-cosmisme du christianisme primitif. Lawrence: «But now, after almost three thousand years, now that we are al­most abstracted entirely from the rhythmic life of the seasons, birth and death and fruition, now we realize that such abstraction is neither bliss nor liberation, but nullity. It brings null inertia» (Mais aujourd'hui, après près de trois mille ans, maintenant que nous nous sommes presque complètement abstraits de la vie rythmique des saisons, de la naissance, de la mort et de la fé­condité, nous comprenons enfin qu'une telle abstraction n'est ni une bénédiction ni une libération, mais pure nullité. Elle ne nous apporte rien, si ce n'est l'inertie). Cette césure est le propre du christianisme des civilisations urbaines, où il n'y a plus d'ouverture sur le cosmos. Le Christ n'est dès lors plus un Christ cosmique, mais un Christ déchu au rôle d'un assistant so­cial. Mircea Eliade parlait, lui, d'un «Homme cosmique», ouvert sur l'immensité du cosmos, pilier de toutes les grandes reli­gions. Dans la perspective d'Eliade, le sacré est le réel, la puissance, la source de la vie et la fertilité. Eliade: «Le désir de l'homme religieux de vivre une vie dans le sacré est le désir de vivre dans la réalité objective».

 

La leçon idéologique et politique de Hamsun et Lawrence

 

Sur le plan idéologique et politique, sur le plan de la Weltanschauung,  les œuvres de Hamsun et de Lawrence ont eu un im­pact assez considérable. Hamsun a été lu par tous, au-delà de la polarité communisme/fascisme. Lawrence a été étiquetté “fasciste” à titre posthume, notamment par Bertrand Russell qui parlait de sa “madness” («Lawrence was a suitable exponent of the Nazi cult of insanity»;  Lawrence était un exposant typique du culte nazi de la folie). Cette phrase est pour le moins simpliste et lapidaire. Les œuvres de Hamsun et de Lawrence s'inscrivent dans un quadruple contexte, estime Akos Doma: celui de la philosophie de la vie, celui des avatars de l'individualisme, celui de la tradition philosophique vitaliste, celui de l'anti-utopisme et de l'irrationalisme.

 

1. La philosophie de la vie (Lebensphilosophie)  est un concept de combat, opposant la “vivacité de la vie réelle” à la rigidité des conventions, jeu d'artifices inventés par la civilisation urbaine pour tenter de s'orienter dans un monde complètement dé­senchanté. La philosophie de la vie se manifeste sous des visages multiples dans la pensée européenne et prend corps à partir des réflexions de Nietzsche sur la Leiblichkeit  (la corporéité).

2. L'individualisme. L'anthropologie de Hamsun postule l'absolue unicité de chaque individu, de chaque personne, mais re­fuse d'isoler cet individu ou cette personne hors de tout contexte communautaire, charnel ou familial: il place toujours l'individu ou la personne en interaction, sur un site précis. L'absence d'introspection spéculative, de conscience, d'intellectualisme abs­trait font que l'individualisme hamsunien n'est pas celui de l'anthropologie des Lumières. Mais, pour Hamsun, on ne combat pas l'individualisme des Lumières en prônant un collectivisme de facture idéologique. La renaissance de l'homme authentique passe par une réactivation des ressorts les plus profonds de son âme et de son corps. L'enrégimentement mécanique est une insuffisance calamiteuse. Par conséquent, le reproche de “fascisme” ne tient pas, ni pour Lawrence ni pour Hamsun.

 

3. Le vitalisme tient compte de tous les faits de vie et exclut toute hiérarchisation sur base de la race, de la classe, etc. Les oppositions propres à la démarche du vitalisme sont: affirmation de la vie/négation de la vie; sain/malsain; orga­nique/mécanique. De ce fait, on ne peut les ramener à des catégories sociales, à des partis, etc. La vie est une catégorie fondamentalement a-politique, car tous les hommes sans distinction y sont soumis.

4. L'“irrationalisme” reproché à Hamsun et à Lawrence, de même que leur anti-utopisme, procèdent d'une révolte contre la “faisabilité” (feasability: Machbarkeit),  contre l'idée de perfectibilité infinie (que l'on retrouve sous une forme “organique” chez les Romantiques de la première génération en Angleterre). L'idée de faisabilité se heurte à l'essence biologique de la nature. De ce fait, l'idée de faisabilité est l'essence du nihilisme, comme nous l'enseigne le philosophe italien contemporain Emanuele Severino. Pour Severino, la faisabilité dérive d'une volonté de compléter le monde posé comme étant en devenir (mais non un devenir organique incontrôlable). Une fois ce processus de complétion achevé, le devenir arrête forcément sa course. Une stabilité générale s'impose à la Terre et cette stabilité figée est décrite comme un “Bien absolu”. Sur le mode lit­téraire, Hamsun et Lawrence ont préfiguré les philosophes contemporains tels Emanuele Severino, Robert Spaemann (avec sa critique du fonctionalisme), Ernst Behler (avec sa critique de la “perfectibilité infinie”) ou Peter Koslowski (cf. NdSE n°20), etc. Ces philosophes, en dehors d'Allemagne ou d'Italie, sont forcément très peu connus du grand public, d'autant plus qu'ils criti­quent à fond les assises des idéologies dominantes, ce qui est plutôt mal vu, depuis le déploiement d'une inquisition sournoise, exerçant ses ravages sur la place de Paris. Les cellules du “complot logocentriste” sont en place chez les éditeurs, pour refu­ser les traductions, maintenir la France en état de “minorité” philosophique et empêcher toute contestation efficace de l'idéologie du pouvoir.

 

Nietzsche, Hamsun et Lawrence, les philosophes vitalistes ou “anti-faisabilistes”, en insistant sur le caractère ontologique de la biologie humaine, s'opposent radicalement à l'idée occidentale et nihiliste de la faisabilité absolue de toute chose, donc de l'inexistence ontologique de toutes les choses, de toutes les réalités. Bon nombre d'entre eux  —et certainement Hamsun et Lawrence—  nous ramènent au présent éternel de nos corps, de notre corporéité (Leiblichkeit).  Or nous ne pouvons pas fabri­quer un corps, en dépit des vœux qui transparaissent dans une certaine science-fiction (ou dans certains projets délirants des premières années du soviétisme; cf. les textes qu'ont consacrés à ce sujet Giorgio Galli et Alexandre Douguine; cf. NdSE n°19).

 

La faisabilité est donc l'hybris poussée à son comble. Elle conduit à la fébrilité, la vacuité, la légèreté, au solipsisme et à l'isolement. De Heidegger à Severino, la philosophie européenne s'est penchée sur la catastrophe qu'a été la désacralisation de l'Etre et le désenchantement du monde. Si les ressorts profonds et mystérieux de la Terre ou de l'homme sont considérés comme des imperfections indignes de l'intérêt du théologien ou du philosophe, si tout ce qui est pensé abstraitement ou fabri­qué au-delà de ces ressorts (ontologiques) se retrouve survalorisé, alors, effectivement, le monde perd toute sacralité, toute valeur. Hamsun et Lawrence sont les écrivains qui nous font vivre avec davantage d'intensité ce constat, parfois sec, des phi­losophes qui déplorent la fausse route empruntée depuis des siècles par la pensée occidentale. Heidegger et Severino en phi­losophie, Hamsun et Lawrence au niveau de la création littéraire visent à restituer de la sacralité dans le monde naturel et à revaloriser les forces tapies à l'intérieur de l'homme: en ce sens, ils sont des penseurs écologiques dans l'acception la plus profonde du terme. L'oikos et celui qui travaille l'oikos recèlent en eux le sacré, des forces mystérieuses et incontrôlables, qu'il s'agit d'accepter comme telles, sans fatalisme et sans fausse humilité. Hamsun et Lawrence ont dès lors annoncé la di­mension géophilosophique de la pensée, qui nous a préoccupés tout au long de cette université d'été. Une approche succincte de leurs œuvres avait donc toute sa place dans le curriculum de 1996.

 

Robert STEUCKERS.

jeudi, 23 octobre 2008

Les frères Cioran et le passé gardiste

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Les frères Cioran et le passé “gardiste”

 

Quand il voulait susciter le scepticisme des Parisiens, Emil Cioran se plaisait à dire que l'une des plus belles villes du monde était Sibiu/Hermannstadt. Et il pensait que Paris était devenue un “garage apoca­lyptique”. De Sibiu, il disait à ses interlocuteurs étonnés: «C'est une ville vraiment extraordinaire». Il ai­mait évoquer le temps où il habitait cette cité transylvanienne, proche de la frontière qui séparait l'empire des Habsbourg du Royaume balkanique de Roumanie: «Il y avait là-bas trois nationalités (l'allemande, la hongroise et la roumaine) qui vivaient en parfaite convivialité. Cet fait m'a marqué pour toute ma vie, car, depuis, je ne parviens pas à vivre dans une ville où l'on ne parle qu'une seule langue, car je m'y ennuie tout de suite».

 

C'est à l'âge de dix ans qu'Emil Cioran arrive à Sibiu/Hermannstadt, après avoir pleuré pendant tout le trajet parce que son père, le Pope orthodoxe Emilian, l'avait arraché au paradis de son enfance, afin qu'il puisse poursuivre des études. Ce paradis, c'était le village de Rasinari. Mais l'écrivain dira plus tard: «Après Rasinari, Sibiu est la ville que j'ai aimée le plus».

 

Le puiné du Pope Emilian Cioran, Aurel, aujourd'hui octogénaire, habite encore à Sibiu. C'est un avocat à la retraite. Mais s'il n'avait pas pu devenir avocat, il serait devenu moine; ce fut son frère Emil qui l'en dis­suada. Un soir, après le repas, Emil l'invita à une promenade dans les bois qui s'étendaient au-delà de la ville de Sibiu et jusqu'à six heures du matin, à force d'arguments de tous genres, il démontra à Aurel qu'il fallait qu'il renonce à cette idée de se faire moine. Plusieurs années plus tard, Emil regretta d'avoir eu cette importante conversation avec Aurel; il confessa qu'en cette circonstance toute l'impureté de son âme s'était manifestée et que son acharnement n'était que le seul fruit de son orgueil. Il dit: «J'avais l'impression que tous ceux qui ne se soumettaient pas à mes argumentations démontraient qu'ils n'avaient rien compris».

 

Donc, au lieu de se retirer dans un monastère, Aurel s'en alla étudier la jurisprudence à Bucarest, dans la même institution où Emil s'était inscrit en philosophie et lettres.

 

Les deux frères se sont retrouvés ensemble sur les bancs des mêmes auditoires, où le philosophe Nae Ionescu donnait ses leçons. C'était une sorte de Socrate pour les générations des années 30 et il a formé des intellectuels qui très vite acquerront une réputation mondiale, comme Mircea Eliade, Constantin Noica et Emil Cioran.

 

Ce dernier, m'a raconté son frère Aurel, se rendait régulièrement aux cours de Nae Ionescu, même après avoir terminé ses études universitaires. Un jour, alors que la leçon était finie, le professeur a demandé aux étudiants: «Voulez-vous que je vous parle encore de quelque chose?». Emil s'est levé et a demandé: «Parlez-nous de l'ennui». Alors Nae Ionescu a appronfondi la thématique de l'ennui pendant deux heures. Une autre fois, le Professeur Ionescu a demandé à Emil Cioran de lui suggérer un thème à développer au cours de sa leçon; Cioran l'invita à parler des anges. Dans une faculté dominée par le rationalisme, seul Nae Ionescu pouvait se permettre de traiter de thèmes spirituels, parce que, comme l'a défini Eliade, il était “un logicien terrible”.

 

Immédiatement après la guerre, Aurel Cioran fut reconnu coupable d'avoir milité au sein du “Mouvement Légionnaire” et condamné à sept années de prison; sa sœur Gica reçut une peine analogue. Contrairement à Emil, qui s'est dissocié publiquement dans les années 60 de son propre passé de sympa­thisant de la Garde de Fer, Aurel revendique avec fierté l'option militante de sa jeunesse. Il a rencontré le “Capitaine” Codreanu dans des camps de travail légionnaires, où les jeunes réalisaient des travaux d'utilité publique négligés par le gouvernement.

 

Emil Cioran lui aussi fut fasciné par la figure de Codreanu; pour la Noël 1940, il écrivit un “profil intérieur” du Capitaine, dont on donna lecture à la radio à l'époque du gouvernement national-légionnaire. Dans ce texte, Cioran disait: «Avant Corneliu Codreanu, la Roumanie était un Sahara peuplé... Il a voulu introduire l'absolu dans la respiration quotidienne de la Roumanie... Sur notre pays, un frisson nouveau est passé... La foi d'un homme a donné vie à un monde qui peut laisser loin derrière lui les tragédies antiques de Shakespeare... A l'exception de Jésus, aucun autre mort ne continue à être présent parmi les vivants... D'ici peu, ce pays sera guidé par un mort, me disait un ami sur les rives de la Seine. Ce Mort a répandu un parfum d'éternité sur notre petite misère humaine et a transporté le ciel juste au-dessus de la Roumanie». Par ailleurs, quelques années auparavant, Emil Cioran avait écrit que “sans le fascisme l'Italie serait un pays en faillite”; ou encore: “dans le monde d'aujourd'hui, il n'existe pas d'homme politique qui m'inspire une sympathie et une admiration plus grande que Hitler”.

 

On peut penser que les prises de position du Cioran de ces années-là, en dépit de ses abjurations ulté­rieures, seront tôt ou tard utilisée pour démoniser son œuvre, pour lui faire en quelque sorte un procès posthume, semblable à celui que l'on a intenté contre Mircea Eliade. Quand j'évoquai cette éventualité, Aurel Cioran a perdu pendant un instant son calme olympien pour manifester une grande indignation et stigmatiser la mafia qui se livrait à de telles profanations. Au cours de ces derniers mois, a-t-il ajouté, une campagne de diffamation s'est déroulée en Roumanie contre la mémoire de Nae Ionescu, précisément parce qu'il fut le maître de toute cette jeune génération intellectuelle qui sympathisait avec le “Mouvement Légionnaire”.

 

De fait, à peine sorti de la maison d'Aurel Cioran, j'ai trouvé sur une échope trois éditions récentes de Nae Ionescu: un recueil de conférences tenues par le professeur en 1938 dans le pénitentier où il était en­fermé avec toute l'élite du “Mouvement Légionnaire”. Parmi les internés, il y avait aussi Mircea Eliade. Emil Cioran était en France depuis un an.

 

Claudio MUTTI.

(article paru dans le quotidien indépendant L'umanità, 22 février 1996; trad. franç. : Robert Steuckers).