vendredi, 11 octobre 2024
Mircea Eliade et notre deuxième chute
Mircea Eliade et notre deuxième chute
Nicolas Bonnal
Point n’est besoin d’épiloguer sur la disparition piteuse et générale du christianisme («pas dans un boum, dans un pleurnichement», écrivait déjà Eliot dans son poème repris par Coppola dans Apocalypse) et le déclin général des religions. L’Occident ne décline pas à la sauce Spengler, il est tout bonnement crevé, et le reste du monde décline encore plus sûrement. Le «monde des machines» de Bernanos sera venu à bout de tout le monde.
Dans le Sacré et le profane, Eliade explique notre deuxième chute.
« Mais l'homme moderne qui se sent et se prétend areligieux dispose encore de toute une mythologie camouflée et de nombreux ritualismes dégradés. Comme nous l’avions mentionné, les réjouissances accompagnent la Nouvelle Année où l'installation dans une maison neuve présentent, laïcisée, la structure d'un rituel de renouvellement. On constate le même phénomène à l'occasion des fêtes et des réjouissances accompagnant le mariage ou la naissance d'un enfant, l’obtention d'un nouvel emploi, une promotion sociale, etc. »
Cet homme dégradé qui a frappé tous les penseurs traditionnels (voyez mon recueil) avait encore des compensations – toujours plus maigres :
« Tout un ouvrage serait à écrire sur les mythes de l'homme moderne, sur les mythologies camouflées dans les spectacles qu'il chérit, dans les livres qu'il lit. Le cinéma, cette « usine des rêves », reprend et utilise d'innombrables motifs mythiques : la lutte entre le Héros et le Monstre, les combats et les épreuves initiatiques, les figures et les images exemplaire (la « Jeune Fille », le « Héros », le paysage paradisiaque, I' « Enfer », etc.).
Même la lecture comporte une fonction mythologique : non seulement parce qu'elle remplace le récit des mythes dans les sociétés archaïques et la littérature orale, vivante encore dans les communautés rurales de l’Europe, mais surtout parce que la lecture procure à l'homme moderne une « sortie du Temps » comparable à celle effectuée par les mythes. »
Le culte de la peur du virus et le culte sacerdotal du vaccin et des experts nous aura montré que nous restons religieusement conditionnés mais pour le pire. Eliade :
« La grande majorité des «sans-religion» ne sont pas proprement parler libérés des comportements religieux des théologies et des mythologies. »
Comme Chesterton (« depuis que l’homme ne croit plus en Dieu il croit en tout »), avant lui Eliade voit que l’on recycle la religion facilement :
« Mais ce n'est pas uniquement dans les « petites religions » ou dans les mystiques politiques que l’on retrouve des comportements religieux camouflés ou dégénérés : on les reconnaît également dans des mouvements qui se proclament franchement laïques, voire antireligieux. Ainsi, dans le nudisme ou dans les mouvements pour la liberté sexuelle absolue, idéologies où l'on peut déchiffrer les traces de la « nostalgie du Paradis », le désir de réintégrer l’état édénique d'avant la chute, lors que le péché n'existait pas et qu'il n'y avait pas rupture entre les béatitudes de la chair et la conscience. »
Même le culte du héros subsistait avec la guerre, mais on se souvient du texte de Saint-Exupéry sur la fin de l’aviation (que dirait-il des drones…) :
« Il est intéressant encore de constater combien les scénarios initiatiques persistent dans nombre d'actions et de gestes de l’homme areligieux de nos jours. Nous laissons de côté, bien entendu, les situations où survit, dégradé, un certain type d'initiation: par exemple, la guerre, et en premier lieu les combats individuels (surtout des aviateurs), exploits qui comportent des « épreuves »> homologables à celles des initiations militaires traditionnelles, même si, de nos jours, les combattants ne se prennent plus compte de la signification profonde de leur « épreuves » et ne profitent guère de leur portée initiatique… »
On garde des comportements :
« En somme, la majorité des hommes « sans-religion » partagent encore des pseudo-religions et des mythologies dégradées. Ce qui n'a rien pour nous étonner, du moment que l'homme profane est le descendant de I'homo religiosus et ne peut pas annuler sa propre histoire, c'est-à-dire les comportements de ses ancêtres religieux, qui l'ont constitué tel qu'il est aujourd'hui.»
Mais finalement on arrive à la deuxième chute (même à la troisième on dirait…) avec l’effondrement des cultes, la sous-culture intellectuelle, le tourisme comme aventure (les bronzés…) et la liquidation du sens commun : comme disait magnifiquement Mgr Gaume :
« De toutes ces grandes réalités, vous n’avez qu’une connaissance vague, confuse, sèche et stérile. Vous avez des yeux, et vous ne voyez pas ; des oreilles, et vous n’entendez pas ; une volonté, et vous ne voulez pas. Fruit du don d’entendement, le sens chrétien, ce sixième sens de l’homme baptisé, vous manque.
Il manque à la plupart des hommes d’aujourd’hui et à un trop grand de nombre de femmes. Il manque aux familles, il manque à la société, il manque aux gouvernants et aux gouvernés, il manque au monde actuel. »
La deuxième – ou la troisième – chute ? C’est quand « dans le plus profond de son être on n’a le souvenir de rien ». Eliade :
« La non-religion équivaut à une nouvelle« chute » de l'homme : l’homme areligieux aurait perdu la capacité de vivre consciemment la religion et donc de la comprendre et de l’assumer ; mais, dans le plus profond de son être, il en garde encore le souvenir, de même qu'après la première « chute », et bien que spirituellement aveuglé, son ancêtre, l'homme primordial, Adam, avait conservé assez d'intelligence pour lui permettre de retrouver les traces de Dieu visibles dans le Monde. Après la première « chute », la religiosité était tombée au niveau de la conscience déchirée: après la deuxième, elle est tombée plus bas encore, dans les tréfonds de l’inconscient : elle a été « oubliée ». Ici s'arrêtent les considérations de l'historien des religions.
Ici aussi commence la problématique propre au philosophe, au psychologue, voire au théologien. »
Et comme on en citait un, de théologien :
« Monde de prétendues lumières et de prétendu progrès, il ne reste pour toi qu’un dernier vœu à former, c’est que l’Esprit d’intelligence te soit donné de nouveau et te montre à nu l’abîme inévitable, vers lequel te conduit à grands pas l’Esprit de ténèbres, redevenu, en punition de ton orgueil, ton guide et ton maître. »
Sources:
https://lesakerfrancophone.fr/monseigneur-gaume-et-le-car...
https://www.amazon.fr/Sacr%C3%A9-Profane-Mircea-Eliade/dp...
https://www.amazon.fr/grands-auteurs-traditionnels-Contre...
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vendredi, 15 décembre 2023
Mircea Eliade - Le chamanisme indo-européen
Mircea Eliade - Le chamanisme indo-européen
par Joakim Andersen
Source: https://motpol.nu/oskorei/2011/03/23/mircea-eliade-indo-e...
Mircea Eliade (1907-1986) est l'un des plus grands spécialistes des religions de l'époque moderne. Dans sa jeunesse, il avait des liens avec la Garde de fer roumaine et était influencé par des traditionalistes tels que Julius Evola et René Guénon, ainsi que par le spécialiste des religions indo-européennes Georges Dumézil. Malgré cela, ou à cause de cela, il est l'un des plus grands noms de cette science que l'on appelle la religion comparée et il a pu décrire la vision mythique du monde dans des ouvrages tels que L'éternel retour.
L'un des ouvrages les plus fascinants d'Eliade est Le Chamanisme, dans lequel il étudie le chamanisme dans différentes parties du monde. Toutefois, pour éviter de confondre toutes les formes possibles de religion et de magie, il utilise systématiquement une définition stricte du phénomène, se référant non pas à toutes les formes de magie, mais à une technique extatique spécifique basée sur une vision spécifique de la structure du monde (voir plus loin). Le chaman a également des fonctions spécifiques, notamment celle de guider les âmes des morts en tant que psychopompe et de protéger les gens contre les maladies. Contrairement aux individus qui, dans certaines cultures, deviennent "possédés" et peuvent transmettre des messages d'autres royaumes, le chaman est normalement maître de la situation.
Le chamanisme
Eliade raconte les traditions chamaniques de différentes parties du monde. Il donne un aperçu de la spiritualité traditionnelle des Esquimaux et des traditions des Négritos asiatiques. Pour les traditionalistes et les spécialistes des religions, ce livre n'est rien de moins qu'une véritable mine d'or. Nous avons également un bon aperçu des religions des peuples sibériens.
La profession de chaman est souvent héritée au sein d'une certaine famille, mais le futur chaman peut aussi l'acquérir par disposition, par rêve ou à la suite d'un traumatisme (par exemple, une personne qui semble "mourir" puis revenir). Il, ou plus rarement elle, reçoit sa formation auprès de chamans plus âgés, mais subit également son initiation à d'autres niveaux, à travers des rêves et des contacts avec divers esprits. Le futur chaman peut être capturé par les esprits et découpé en morceaux ou bouilli pendant une période qui est perçue comme durant plusieurs années.
Les étrangers ont souvent considéré les chamans et les "hommes-médecine" comme des psychopathes ou des escrocs, mais Eliade les décrit généralement avec respect. Souvent, ils ont souffert d'épilepsie et d'autres troubles similaires dans leur enfance, mais leur initiation leur permet de les contrôler eux-mêmes. Eliade mentionne des chamans esquimaux et des tantriques tibétains qui se déplacent nus dans un froid intense, réchauffés uniquement par leur feu intérieur. D'autres chamans peuvent avaler des charbons ardents, etc.
Il décrit également leurs costumes, leurs langues secrètes, le symbolisme du tambour, la façon dont ils protègent leur peuple des maladies et aident les morts à retrouver leur chemin. Ils conservent souvent les traditions et l'histoire de leur peuple, et c'est grâce à leurs descriptions de la "géographie" du royaume des morts que les religions ultérieures ont acquis une grande partie de leur contenu. Eliade décrit également la manière dont ils recueillent les esprits auxiliaires, comment ils peuvent les épouser, etc. La description est généralement fascinante, qu'il s'agisse des Esquimaux ou des Yakoutes, qu'Eliade décrive les taltos hongrois ou les nåjden samis.
La tradition hyperboréenne
Les fortes similitudes entre la spiritualité indo-européenne et les traditions sibériennes, finno-ougriennes, proto-turques et centre-asiatiques décrites par Eliade sont particulièrement intéressantes. Ces similitudes intéressent tout particulièrement les traditionalistes qui suivent Julius Evola. Evola décrit une tradition hyperboréenne, caractérisée par la position du dieu du ciel et l'absence relative de déesses. On trouve des dieux du ciel dominants similaires chez les peuples sibériens et turco-tatars, qui ont probablement été les premiers voisins des Indo-Européens. Chez les Samoyèdes, le dieu du ciel est connu sous le nom de Num, chez les Toungouses sous celui de Buga et chez les Mongols sous celui de Tengri. Les traditionalistes reconnaissent les attributs et les descriptions donnés au dieu du ciel par ces peuples ; il est décrit comme "haut/élevé" et "brillant". Les Yakoutes le connaissent sous le nom de "Seigneur Père Chef du Monde" et les Turko-Tatars sous celui de "Père".
Souvent, cependant, le grand dieu s'est retiré des affaires directes des hommes, devenant un deus otiosus. Ses fils, qui ont davantage de contacts avec les humains, sont plus importants. Un autre point commun entre la foi proto-indo-européenne et ces traditions nordiques est que les divinités féminines sont moins présentes. Lorsqu'il y a des femmes chamanes, il est également normal qu'elles n'effectuent que le voyage "chthonique", la descente vers les sphères souterraines, alors que les chamanes masculins se rendent à la fois dans les sphères supérieures et dans les sphères inférieures.
Les similitudes ne s'arrêtent pas là. L'arbre du monde, Yggdrasil, par exemple, a plusieurs équivalents chez les peuples chamaniques. La croyance en l'existence de trois mondes, le ciel, la terre et le monde souterrain, est au cœur de la vision chamanique du monde. Ils sont unis par un "axe", un axis mundi, qui les traverse tous. Autrefois, les gens pouvaient voyager librement le long de cet axe, mais après une catastrophe quelconque, seuls les chamans peuvent le faire. Dans certaines traditions, cet axe du monde est décrit comme un arbre, chez les Indo-Européens nous avons Yggdrasil et Irminsul. On trouve des arbres similaires chez les peuples chamaniques, où le chaman grimpe souvent à un arbre lorsqu'il s'élève vers la sphère céleste.
Dans l'asatron, un aigle se trouve au sommet de l'arbre du monde, ce qui peut être comparé aux croyances des chamanes. D'une part, on considère souvent que le premier chaman était un aigle, ou le fils d'un aigle, et d'autre part, dans l'arbre du monde, il y a d'innombrables oiseaux qui sont en fait des âmes attendant de renaître. Le symbolisme de l'oiseau est également très présent dans le chamanisme nordique, où le chaman prend souvent la forme d'un oiseau dans son costume.
Il est intéressant de noter que d'autres thèmes, tels que l'importance du cheval, le rôle central du feu dans le culte, la montagne et le loup, unissent également les traditions indo-européennes et chamaniques d'origine tatare, finno-ougrienne et sibérienne. Dans une certaine mesure, d'autres affinités peuvent également être observées, certains groupes finno-ougriens ayant, par exemple, un degré de cécité plus élevé que de nombreux Indo-Européens.
Tatar de Chine
Un thème intéressant pour les traditionalistes plus évolutionnistes est celui du chaman en tant que figure. Le chaman est considéré comme le défenseur du groupe contre les forces démoniaques et comme membre d'une élite (alors que les morts voyagent normalement dans une direction, un chaman mort voyage dans la direction opposée, et il est considéré comme acquis qu'il atteindra les royaumes supérieurs après la mort). Ce que les autres croyants n'entendent que raconter, le chaman en fait l'expérience directe, au prix de grands risques. Cela signifie qu'à bien des égards, le chamanisme est un stade supérieur aux monothéismes et polythéismes institutionnalisés ultérieurs, avec leurs éléments de dévotion, de superstition et de foi aveugle.
En même temps, Eliade décrit comment le chamanisme a également subi une dégénérescence. Les différents peuples nous disent qu'il y a quelques générations, les chamans étaient beaucoup plus puissants qu'aujourd'hui, et qu'ils sont également mis à l'écart à mesure que les peuples sibériens se modernisent et sont touchés par des religions plus modernes. Si les archétypes chamaniques peuvent survivre pendant un certain temps même dans un environnement nominalement chrétien ou musulman, Eliade raconte que certains mystiques musulmans d'Asie centrale, comme les chamans, étaient logés sur les toits et dans les arbres. Suite à la dégénérescence décrite, l'utilisation de drogues (le chanvre chez certains peuples indo-européens, les champignons et la nicotine sont également décrits) pour atteindre l'état chamanique qui était auparavant atteint sans "aides".
Éléments iraniens
Parallèlement, Eliade retrouve des éléments iraniens (et chinois) dans les différents chamanismes d'Asie du Nord. C'est notamment le cas de la croyance en un pont étroit que seuls les justes peuvent franchir sur le chemin du paradis. Le pont de Cinvat (illustration) rappelle fortement le pont que le chaman altaïque doit traverser pour atteindre Erlik Khan et le royaume des morts. De même, Eliade affirme que la forte signification symbolique du chiffre 9 suggère une origine iranienne (neuf cieux, neuf sphères infernales, voire neuf mondes). L'apparition d'animaux comme les serpents dans le chamanisme de peuples qui vivent trop au nord pour les avoir vus suggère également une influence plus méridionale. Nous avons tendance à penser que les "peuples primitifs" sont complètement isolés de leur environnement, mais Eliade montre comment la civilisation iranienne, avancée et complexe, a influencé les peuples situés loin au nord, ainsi que les systèmes occultes complexes de l'Inde qui ont influencé les peuples de l'actuelle Malaisie et de l'Indonésie.
Le livre est particulièrement passionnant lorsqu'il explique comment les différentes traditions du Bhoutan et de la région himalayenne ont donné naissance au tantrisme et à la religion Bon-Po.
Le chamanisme indo-européen
Wodan, id est furor
- Adam de Brême
Eliade consacre un chapitre spécifique au chamanisme indo-européen. Il affirme que le chamanisme de ces peuples est devenu subalterne, probablement en raison de la division de leur société en trois fonctions. Le chamanisme s'est ensuite intégré à la première fonction et n'a pas été aussi dominant que chez les peuples orientaux.
Il identifie des traces de chamanisme, notamment chez Odin, qui est lié à la fois à l'extase et à la mort. Les chevaux à huit pattes ne sont pas rares dans les contextes chamaniques d'Asie du Nord, et les corbeaux Hugin et Munin ont également une certaine ressemblance avec les esprits auxiliaires des chamans. L'autosacrifice d'Odin rappelle également l'initiation brutale que subissent les chamans, qui sont souvent considérés comme étant littéralement en train de mourir. Eliade compare la tête du sage Mimir à la pratique de certains peuples consistant à conserver les crânes des chamans et à les utiliser pour prédire l'avenir. Il existe également des similitudes entre la "furor teutonicus" et l'extase chamanique.
Les parallèles sont plus clairs avec les voyages d'Odin et d'autres dans le monde souterrain et l'utilisation du seiðr. Les voyages dans le royaume des morts rappellent fortement les voyages du chaman dans la sphère inférieure. Il existe également des parallèles dans le seiðr, comme l'élément de transe, les esprits, les costumes rituels, et le fait qu'il ne soit pas considéré comme masculin nous rappelle les peuples sibériens où les chamans étaient souvent des femmes ou des travestis. Comme les chamans sibériens, les magiciens nordiques pouvaient aussi s'affronter dans le port des animaux, et la vision pluraliste des trois âmes de l'homme unit également les deux groupes.
On a prétendu que ces traces d'une idéologie chamanique étaient dues à l'influence sami, mais Eliade montre qu'il pourrait tout aussi bien s'agir d'une tradition plus ancienne et partagée. Car les Samis et les Finlandais ont été considérés comme des magiciens supérieurs tant au Moyen Âge qu'à la Renaissance. Eliade donne également plusieurs exemples de traces de chamanisme chez des peuples indo-européens qui n'ont probablement jamais eu de contacts avec les Samis, comme les Grecs et les Iraniens.
Dans l'ensemble, il s'agit d'une étude très intéressante, vivement recommandée aux traditionalistes et à tous ceux qui s'intéressent à la religion.
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mercredi, 29 novembre 2023
Le "Zalmoxis" de Mircea Eliade
Le "Zalmoxis" de Mircea Eliade
par Joakim Andersen
Source: https://motpol.nu/oskorei/2023/10/30/mircea-eliade-zalmoxis/
Le spécialiste roumain des religions Mircea Eliade (1907-1986) est une source d'enrichissement pour les universitaires et les critiques de la civilisation, notamment parce que ses critiques s'inscrivent dans une perspective de droite. Dans sa jeunesse, il a été proche de la Garde de fer nationaliste et, en exil, il a fréquenté Evola, Dumézil, Bataille et le cercle Eranos de Carl Jung. Sa critique de la civilisation s'appuie sur une connaissance approfondie des sociétés et des cultures historiques, qui démontre avec force à quel point l'Occident moderne est devenu déviant. En outre, il manque quelque chose que les comparaisons avec d'autres cultures montrent comme la dimension mythique est universellement humaine; son absence est remplie de pseudo-mythes, de manies et de problèmes de santé.
Eliade a écrit de manière initiée et passionnante sur tous les sujets, de l'initiation et des forgerons aux chamans et à l'éternel retour. Un ouvrage intéressant est Zalmoxis - The Vanishing God. Il s'agit d'un recueil d'articles intitulé "Comparative Studies in the Religions and Folklore of Dacia and Eastern Europe" (Études comparatives des religions et du folklore de la Dacie et de l'Europe de l'Est). En termes d'histoire religieuse, ils sont unis par un intérêt pour les créations religieuses qui manquent d'expression écrite et, souvent, de critères chronologiques. Eliade a écrit qu'en étudiant le folklore roumain, il a souvent rencontré des problèmes méthodologiques similaires à ceux rencontrés dans l'étude des peuples "primitifs". En même temps, il était conscient que la rencontre avec les valeurs religieuses archaïques pouvait être fructueuse pour l'homme moderne, "ces univers de valeurs spirituelles archaïques enrichiront le monde occidental autrement qu'en ajoutant des mots à son vocabulaire (mana, tabu, totem, etc.) ou à l'histoire des structures sociales". On reconnaît ici Eliade comme un critique de la civilisation, soucieux de rappeler à l'homme moderne ce qu'il a perdu. Un fil conducteur intéressant de Zalmoxis, étant donné que les articles se concentrent sur la patrie d'Eliade, est la tentative d'identifier les aspects de l'âme populaire. Eliade était bien conscient que le monde religieux des Géto-daces ne correspond pas nécessairement à celui que nous trouvons dans le folklore roumain, mais l'approche est fructueuse et peut être utilement appliquée au folklore suédois également.
Dans l'introduction de "Les Daces et les loups", Eliade constate que les Roumains sont un peuple de loups. De nombreuses tribus indo-européennes s'identifient au loup, notamment par le biais de noms ethniques tels que daoi/daker, hyrkanoi, orkoi et hirpi sorani. Il existe un lien évident avec les associations cultuelles masculines dans lesquelles le loup jouait souvent un rôle central. Parfois, des tribus entières semblent avoir adopté le nom de loup à partir de ces associations, parfois des Männerbünde ont conquis d'autres groupes et leur ont donné leur nom. C'est une lecture fascinante, mais qui n'est probablement pas nouvelle pour les lecteurs de notre site suédois Motpol. Eliade résume tout cela en disant que "l'essentiel de l'initiation militaire consistait à transformer rituellement le jeune guerrier en une espèce d'animal sauvage prédateur. Il ne s'agissait pas seulement de courage, de force physique ou d'endurance, mais "d'une expérience magico-religieuse qui changeait radicalement le mode d'être du jeune guerrier. Il devait transmuter son humanité en accédant à une fureur agressive et terrifiante qui le transformait en un carnivore enragé".
Eliade a constaté que les Roumains étaient un peuple de loups à trois égards. Ils descendaient des Daces, conquis par les Romains, qui à leur tour descendaient de Rémus et Romulus ("les fils du dieu-loup Mars, allaités et élevés par la louve du Capitole"). Seul un tel peuple pouvait assimiler les Daces. La Roumanie moderne est ensuite née de l'invasion des terres daco-romaines par Gengis Khan et ses descendants, où l'on retrouve le mythe du loup ("le mythe généalogique des Gengis-Khanides proclame que leur ancêtre était un loup gris descendu du ciel et accouplé à une biche").
La section sur Zalmoxis est également intéressante, Eliade comparant son culte à la fois aux mystères initiatiques comme ceux d'Éleusis et au chamanisme. Il évoque l'immortalité de l'âme, le symbolisme des grottes, les katabasis, l'immortalité, Pythagore, les dieux-ours, les Jordanes, la confusion entre les chèvres et les Goths, et les traces de chamanisme dans la Grèce antique. Il est fascinant de constater que le chaman apparaît en partie dans les récits de philosophes tels que Parménide et Pythagore. Cependant, la conclusion d'Eliade est que Zalmoxis était un représentant des mystères plutôt que des chamanes. Il mentionne également que Zalmoxis a été rapidement assimilé par le Christ, ce qui est logique étant donné les grandes similitudes entre les deux personnages. D'autres figures ont survécu jusqu'à l'époque moderne dans le folklore roumain, mais Zalmoxis a presque complètement disparu. Du moins jusqu'à ce qu'une renaissance nationale, à l'époque moderne, fasse revivre l'archétype indigène, "toujours et partout Zalmoxis est revivifié parce qu'il incarne le génie religieux des Daco-Gètes, parce que, en dernière analyse, il représente la spiritualité des "autochtones", des ancêtres presque mythiques conquis et assimilés par les Romains". L'union du pouvoir religieux et du pouvoir séculier apparaît ici comme un fil rouge, une caractéristique nationale, de l'époque dacienne à la Garde de fer et à Ceausescu.
Un chapitre passionnant sur l'histoire des religions traite d'un mythe de la création qui revient chez les Roumains, les Bulgares, les Russes, les Polonais et les Roms de Transylvanie, mais aussi chez plusieurs peuples d'Asie et d'Amérique du Nord. Le monde est recouvert d'eau, Dieu et le Diable se rencontrent et le Diable prend de la boue au fond de la mer. Dans certaines versions du mythe, il tente ensuite de noyer un Dieu endormi en le faisant rouler dans l'eau, mais au lieu de cela, la masse terrestre se développe. Dans d'autres versions, moins dualistes, un oiseau aide Dieu pendant le processus de création. Dans plusieurs variantes, Dieu est alors inopinément passif et a besoin d'aide pour achever la création. Eliade retrace ici une relation avec le dieu du ciel plutôt lointain, un deus otiosus, chez plusieurs peuples d'Eurasie. Dans une société chrétienne, elle peut également séparer le Créateur des éléments de la création tels que le mal et le péché, "la distance de Dieu est directement justifiée par la dépravation de l'humanité. Dieu se retire au ciel parce que les hommes ont choisi le mal et le péché". Eliade a également constaté qu'il semble s'agir d'un mythe ancien qui a atteint l'Amérique du Nord et l'Europe, souvent influencé par le dualisme iranien, où le Diable a remplacé l'aide de Dieu dans le port des animaux.
Un passage intéressant de Zalmoxis raconte comment le prince Dragos a fondé la Moldavie à la suite d'une chasse à l'aurochs, une version des mythes sur la chasse rituelle et les guides animaux. C'est notamment un animal sauvage qui a montré aux Vandales le chemin de Gibraltar ; de même, les Huns ont trouvé leur chemin vers des terrains de chasse plus civilisés au-delà des marécages. Eliade a également abordé le symbolisme du cerf et du taureau. Dans d'autres chapitres, il aborde la mandragore, le monachisme, le chamanisme roumain et l'importante ballade Miorita. Cette dernière est très populaire parmi les Roumains, Eliade affirmant qu'elle exprime l'âme populaire ("nous sommes en présence d'une création populaire encore vivante, qui touche l'âme populaire comme aucune autre ; en d'autres termes, il y a une "adhésion" totale et spontanée du peuple roumain aux beautés poétiques et au symbolisme de la ballade"). Dans le chapitre consacré à Miorita, il aborde également ce qu'il appelle le christianisme cosmique, une version sud-est européenne de la foi.
Dans l'ensemble, comme d'habitude, l'ouvrage est très facile à lire. Certaines sections peuvent être plus pertinentes que d'autres, les chapitres sur le peuple des loups et le mythe de la création m'ayant personnellement davantage intéressé, mais Eliade est intéressant quel que soit le sujet qu'il aborde. L'approche consistant à explorer l'âme populaire roumaine à travers l'étude des coutumes et du folklore est inspirante et peut fournir des pistes à ceux qui souhaitent faire quelque chose de similaire avec les Suédois.
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mercredi, 25 octobre 2023
Claudio Mutti: Quelle Eurasie?
Quelle Eurasie ?
Par Claudio Mutti
Source: https://www.eurasia-rivista.com/quale-eurasia/
Un célèbre roman dystopique [1], paru dans la deuxième année de la "guerre froide", présente le scénario fantaisiste de trois superpuissances continentales gouvernées par autant de systèmes politiques totalitaires: l'Océanie, l'Estasie et l'Eurasie. Cette dernière, soumise à un régime néo-bolchévique, englobe le vaste espace territorial qui s'étend de l'Europe occidentale et méditerranéenne au détroit de Béring. Telle est l'image de l'Eurasie modelée par un informateur au service de l'Information Research Department (IRD) du Foreign Office britannique, un "policier colonial" [2] prêté à la littérature, qui s'inspirait ouvertement des schémas de la propagande antinazie et antisoviétique [3].
En réalité, le nom d'Eurasie circulait depuis longtemps dans les milieux scientifiques : utilisé par le géologue autrichien Eduard Suess (1831-1914) dans son ouvrage Das Antlitz der Erde [4], il avait été inventé par le mathématicien et géographe allemand Carl Gustav Reuschle (1812-1875) dans un Handbuch der Geographie [5] pour désigner le continent qui unit de manière indissociable l'Asie et l'Europe. En effet, le terme continent (du latin continēre, "tenir ensemble, garder ensemble") désigne bien une masse compacte de terre entourée d'eaux océaniques et maritimes, de sorte qu'il ne peut désigner ni l'Europe ni l'Asie, mais seulement l'ensemble continental dont l'Europe et l'Asie sont les éléments constitutifs.
Si, en revanche, ignorant le critère géographique sur lequel repose la notion de continent, on voulait tracer une ligne conventionnelle entre l'Europe et l'Asie, on serait contraint de prendre comme ligne de démarcation l'Oural, une chaîne de montagnes qui n'atteint même pas 2000 mètres d'altitude (le sommet le plus élevé, Narodnaja, culmine à 1895 mètres au-dessus du niveau de la mer). Il faudrait ensuite poursuivre cette ligne de partage le long de l'Oural et de la côte nord-ouest de la mer Caspienne ; mais c'est là que commenceraient les problèmes et les désaccords, car selon certains, la frontière entre les deux supposés continents européen et asiatique serait la ligne de partage des eaux du Caucase, selon d'autres, la dépression de Kuma-Manyč au nord du Caucase.
Tout cela ne fait que mettre en évidence le caractère unitaire de la réalité géographique dont font partie l'Asie et l'Europe. Et que ce caractère unitaire ne concerne pas que la géographie physique devait déjà être pensé par les Grecs, puisqu'entre le 8ème et le 7ème siècle av. J.-C. la Théogonie d'Hésiode mentionne l'Europe et l'Asie comme deux sœurs, filles d'Okéanos et de Thétis, appartenant à la "lignée sacrée des filles [θυγατέρων ἱερὸν γένος] qui sur terre / élèvent les hommes à la jeunesse, avec le Seigneur Apollon / et les Fleuves : ils tiennent ce destin de Zeus" [6] ; et Eschyle, qui avait lui aussi combattu les Perses à Marathon (et probablement aussi à Salamine), parlait de la Grèce et de la Perse - représentatives de l'Europe et de l'Asie - comme de "deux sœurs de sang de la même lignée [ϰασιγνήτα γένους ταὐτοῦ]" [7].
Mais venons-en à des temps plus récents. L'orientaliste, explorateur et historien des religions Giuseppe Tucci (1894-1984), qui a mené plusieurs expéditions archéologiques au Tibet, en Inde, en Afghanistan et en Iran, et qui a fondé en 1933 avec Giovanni Gentile l'Institut italien pour le Moyen-Orient et l'Extrême-Orient, insistait encore peu avant sa mort sur la nécessité d'une conception qui n'opposerait plus l'Asie et l'Europe, mais qui les verrait comme deux réalités complémentaires et inséparables. Il a d'ailleurs fait référence à une sorte d'unité culturelle eurasienne dans sa dernière intervention publique, une interview parue le 20 octobre 1983 dans la Stampa de Turin. Je ne parle jamais d'Europe et d'Asie, mais d'Eurasie", déclarait-il à cette occasion. Il n'y a pas un événement qui se produit en Chine ou en Inde qui ne nous influence pas, et vice versa, et il en a toujours été ainsi". Les déclarations de ce type ne sont pas rares dans l'œuvre de Tucci. En 1977, il avait qualifié de grave l'erreur commise lorsque l'Asie et l'Europe sont considérées comme deux continents distincts l'un de l'autre, car, selon lui, "il faut parler d'un seul continent, l'Eurasie: tellement uni dans ses parties qu'il n'y a pas d'événement d'importance dans l'un qui n'ait eu son reflet dans l'autre"[8]. Plus tôt encore, en 1971, à l'occasion de la commémoration de Cyrus le Grand, fondateur de l'Empire perse, Tucci avait déclaré que "l'Asie et l'Europe forment un tout unique, uni par les migrations des peuples, les vicissitudes des conquêtes, les aventures du commerce, dans une complicité historique que seuls les ignorants ou les incultes, qui pensent que le monde entier se conclut en Europe, s'obstinent à ignorer" (9).
Un autre grand savant du 20ème siècle, l'historien des religions Mircea Eliade (1907-1986), a documenté dans toute son œuvre ce qu'il appelle lui-même "l'unité fondamentale non seulement de l'Europe, mais de tout l'écoumène qui s'étend du Portugal à la Chine et de la Scandinavie à Ceylan" [10]. Au plus fort de la "guerre froide", alors qu'il résidait en exil en France, de ce côté-ci du "rideau de fer" qui le séparait de son pays d'origine, Eliade refusait de concevoir l'Europe dans les termes étroits que les défenseurs de la soi-disant "civilisation occidentale" auraient voulu lui imposer. Il a d'ailleurs rejeté avec sarcasme la conception occidentaliste, écrivant textuellement: "Il existe encore d'honnêtes Occidentaux pour qui l'Europe se termine sur le Rhin ou, tout au plus, à Vienne. Leur géographie est essentiellement sentimentale : ils sont arrivés à Vienne en voyage de noces. Plus loin, il y a un monde étranger, peut-être fascinant, mais incertain : ces puristes seraient tentés de découvrir, sous la peau du Russe, ce fameux Tartare dont ils ont entendu parler à l'école ; quant aux Balkans, c'est avec eux que commence cet océan ethnique confus d'indigènes, qui s'étend jusqu'à la Malaisie"[11].
De son étude de l'ethnographie roumaine, qui s'inscrit dans un contexte géographique qui transcende largement les Carpates et le cours du Danube, Eliade a tiré la conviction que l'Europe du Sud-Est constitue le "véritable pivot des liens stratifiés entre l'Europe méditerranéenne et l'Extrême-Orient" (12). Dans le riche patrimoine folklorique roumain, Eliade a en effet identifié plusieurs éléments qui renvoient à des thèmes mythiques et rituels présents en divers endroits du continent eurasien. Ainsi, en soumettant l'une des plus célèbres ballades folkloriques roumaines, celle de Maître Manole, à une analyse comparative, le savant a mis en lumière toute une série d'analogies qui s'entrecroisent dans une zone située entre l'Angleterre et le Japon. En effet, il constate que le thème du sacrifice humain nécessaire à l'achèvement d'une construction est non seulement attesté en Europe ("en Scandinavie et chez les Finlandais et les Estoniens, chez les Russes et les Ukrainiens, chez les Allemands, en France, en Angleterre, en Espagne" [13]), mais que son aire de diffusion comprend également la Chine, le Siam, le Japon et le Pendjab. Enfin, Eliade a montré que divers phénomènes étudiés dans ses études, comme l'alchimie ou le chamanisme, se retrouvent répartis sur une vaste zone du continent eurasiatique, parfois jusqu'à ses régions les plus éloignées.
Outre Tucci et Eliade, on peut citer un autre chercheur, Franz Altheim (1998-1986), qui a encadré les gravures du Val Camonica dans ce qu'il a appelé "le monde chevaleresque eurasien" [14] et qui, considérant les processus historiques qui ont marqué le passage de l'âge antique à l'âge médiéval, nous a invités à regarder au-delà des frontières de l'Empire romain. Rappelant explicitement la perspective historiographique de Polybe, qui embrassait l'écoumène politiquement unifié par Rome - "tout l'espace entre les piliers d'Hercule et les portes de l'Inde ou les steppes de l'Asie centrale" [15] -, Altheim a souligné la nécessité pour l'historiographie de prendre en compte l'unité substantielle du continent eurasiatique.
Il accorde une attention particulière à la Völkerwanderung des Huns, protagonistes d'une cavalcade transeurasienne qui les a conduits des rives du lac Baïkal, au nord de la Mongolie, jusqu'aux Champs catalauniques, dans le nord de la France. Si, en Asie, les Huns ont conditionné le destin de l'Empire du Milieu pendant des siècles, en Europe - souligne Altheim - ils ont ouvert la voie aux invasions et à la colonisation de toute une série de peuples apparentés: Avars, Bulgares, Kazaars, Cumans, Pechenegs, Hongrois, de sorte que - écrit le chercheur dans son livre sur Attila et les Huns - "le couronnement a été l'avancée des Mongols" [16]. À l'intérêt pour la figure d'Attila, le chef d'origine centrasiatique qui a fondé un empire en Europe, Altheim a associé son intérêt pour Alexandre le Grand, qui a amené la civilisation grecque jusqu'à l'Indus, le Syr-Darya, Assouan et le golfe d'Aden, inaugurant une nouvelle phase dans l'histoire de l'Eurasie.
Les eurasistes des années 1920
L'idée de l'Eurasie qui émerge des travaux de chercheurs tels que Giuseppe Tucci, Mircea Eliade et Franz Altheim [17] est très différente de celle qui inspire l'eurasisme ou eurasiatisme dit "classique" [18], caractérisé par une aversion radicale pour la culture européenne, identifiée comme "romano-germanique" [19].
L'eurasisme "classique" [20] est représenté par un groupe d'intellectuels russes émigrés après la défaite des armées blanches et actifs dans les années 1920, parmi lesquels il convient de citer les plus éminents : le prince Nikolaï S. Trubeckoj (1890-1938), célèbre dans le domaine linguistique pour avoir élaboré, avec les autres savants du Cercle de Prague, la "nouvelle phonologie" [21], l'historien Georgii V. Vernadskij (1887-1973), le géographe et économiste Pyotr N. Savickij (1895-1965), le musicologue Pyotr P. Suvčinskij (1892-1985) et le théologien Georgij V. Florovsky (1893-1973). Dans ce qui est considéré comme le "manifeste" du mouvement, à savoir dans le recueil d'essais intitulé Ischod k Vostoku ["Chemin vers l'Est"] et publié à Sofia en 1921 par une maison d'édition russo-bulgare [22], les eurasistes "classiques" ont exprimé l'idée fondamentale que les peuples de Russie et des régions adjacentes d'Europe et d'Asie forment une unité naturelle, car ils sont liés par des affinités historiques et culturelles. Fondée non seulement sur l'héritage byzantin, mais aussi sur la conquête mongole et donc identifiable comme "eurasienne", l'identité culturelle russe avait été niée, selon les auteurs d'Ischod k Vostoku, à la fois par les réformes de Pierre le Grand et de la classe politique qui avait ensuite gouverné la Russie, et par le courant slavophile, qu'ils accusaient de vouloir imiter l'Europe. Quant à la révolution bolchevique, s'ils l'évaluent négativement, les "eurasistes" de Sofia cherchent néanmoins à en étudier la signification dans le contexte de l'histoire russe ; Savicky, en particulier, voit dans la révolution d'Octobre un développement de la révolution bourgeoise des années 1880, mais observe d'autre part qu'elle déplace l'axe de l'histoire universelle vers l'Est.
Dans un essai de 1925 intitulé Nasledie Čingis Chana ["L'héritage de Gengis Khan"], Trubeckoj entend souligner la relation étroite entre la culture russe authentique et l'élément turco-mongol, en se référant à un événement historique spécifique: l'unification de l'espace eurasien par Gengis Khan et ses successeurs. L'Eurasie", écrit Trubeckoj, "constitue un ensemble unitaire en termes géographiques et anthropologiques. (...). Par conséquent, en vertu de sa nature même, elle est historiquement destinée à constituer une entité étatique unique. Dès le début, l'unification de l'Eurasie s'est avérée historiquement inévitable, et la géographie elle-même a indiqué les moyens de sa réalisation" [23].
Il est évident que par le nom d'Eurasie, Trubeckoj et les autres "eurasistes" des années 1920 n'entendaient pas, comme l'aurait exigé le contenu sémantique du terme, le grand continent situé entre les océans Atlantique et Pacifique et entre les océans Arctique et Indien, mais se référaient à un grand espace intermédiaire entre l'Europe et l'Asie, distinct à la fois de l'Europe et de l'Asie. Pour eux, l'Asie était l'ensemble des régions périphériques orientales, sud-orientales et méridionales du grand continent : le Japon, la Chine, l'Indochine, l'Inde, l'Iran et toute l'Asie mineure. Quant à l'Europe, elle coïncidait avec le "monde romano-germanique", se réduisant essentiellement à l'Europe occidentale et centrale, tandis que ce qu'ils appelaient habituellement "l'Europe orientale", jusqu'à l'Oural, était pour eux une partie de l'Eurasie. D'autre part, ils considéraient que la division de la Russie en une partie européenne et une partie asiatique était erronée et trompeuse. Dans l'essai intitulé Povorot k Vostoku ["Tournez-vous vers l'Est"], Pyotr Savicky est explicite : "La Russie n'est pas seulement l'Ouest, mais aussi l'Est, pas seulement l'Europe, mais aussi l'Asie ; en fait, elle n'est pas l'Europe, mais l'Eurasie" [24]. En substance, pour les auteurs du "manifeste" de 1921, l'Eurasie était identifiée à l'Empire russe, plus ou moins le même grand espace historiquement délimité par les frontières de l'Union des républiques socialistes soviétiques.
L'historien, ethnologue et anthropologue Lev N. Gumilëv (1912-1992) [25], dont les travaux [26] ont réévalué la contribution des peuples turcs, mongols et tatars à la naissance de la Russie, en reconnaissant le caractère multiethnique et la multiplicité des racines culturelles de cette dernière, s'apparente dans une certaine mesure aux "eurasianistes" des années 1920. Gumilëv a également identifié l'Eurasie à la zone géographique de l'Empire russe et de l'Union soviétique. Divisée du nord au sud en quatre ceintures horizontales caractérisées respectivement par la toundra sans végétation, la taïga forestière, la steppe et enfin le désert, cette aire géographique se situe entre deux ceintures climatiques, la séparant d'une part du climat européen plus doux et, d'autre part, du climat de mousson typique des zones périphériques de l'Asie. Une telle conformation, selon Gumilëv, a conduit à la formation d'une civilisation autonome fortement distincte des autres qui l'entouraient.
Le néo-eurasisme
D'une refonte de l'eurasisme dit "classique", enrichie des apports de la géopolitique et d'éléments de la pensée traditionaliste (René Guénon, Julius Evola, etc.), le "néo-eurasianisme" est né en Russie à la fin des années 1980. Son principal théoricien et représentant est Aleksandr G. Douguine (1962-), fondateur du Mouvement eurasien international (Meždunarodnoe Evrazijskoe Dviženie) et, au fil des ans, collaborateur ou partisan de différents sujets politiques: d'abord du parti communiste de Gennadij Zjuganov, puis du parti national bolchevique d'Eduard Limonov, ensuite du parti libéral-démocrate de Vladimir Žirinovskij et enfin du parti Russie unie (Edinaja Rossija) de Vladimir Poutine.
La vision de Douguine diffère de l'eurasisme "classique", car à l'incompatibilité de la Russie avec l'Europe "romano-germanique", il substitue (du moins dans la première phase de sa pensée) l'antithèse radicale entre les intérêts continentaux de l'ensemble de la masse eurasienne et l'Occident hégémonisé par les États-Unis. L'Europe, le monde musulman, la Chine et le Japon ne sont plus considérés comme des adversaires irréductibles entourant la Russie, mais plutôt comme ses alliés potentiels, au nom de l'opposition de type schmittien entre puissances terrestres et maritimes.
L'Eurasie, qui de Trubeckoj à Gumilëv avait été identifiée à l'espace correspondant d'abord à la Russie impériale puis à l'Union soviétique, n'a pas, dans le néo-eurasisme de Douguine, un profil univoque et défini. Parfois, en effet, Douguine appelle l'Eurasie le continent tout entier ; parfois, il affirme que "ni l'idée eurasienne ni l'Eurasie en tant que concept ne correspondent strictement aux limites géographiques du continent eurasien" [27] ; parfois encore, il considère l'Eurasie et l'Europe comme deux civilisations distinctes [28].
Dans la perspective géopolitique de Douguine, qu'il a largement exposée dans le premier numéro d'Eurasia [29], l'ancien continent, c'est-à-dire la masse terrestre de l'hémisphère oriental, est divisé en trois grandes "ceintures verticales", qui s'étendent du nord au sud, chacune d'entre elles étant constituée de plusieurs "grands espaces". La première de ces "ceintures" est l'Eurafrique, formée par l'Europe, le grand espace arabe et l'Afrique transsaharienne. La deuxième "ceinture" est la zone Russie-Asie centrale, constituée de trois grands espaces qui se superposent parfois : le premier est la Fédération de Russie avec les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale, le deuxième est le grand espace de l'Islam continental (Turquie, Iran, Afghanistan, Pakistan), le troisième grand espace est l'Inde. Enfin, la troisième "ceinture verticale" est la zone Pacifique, condominium de deux grands espaces (Chine et Japon) qui comprend également l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines et l'Australie.
Cette subdivision constitue une reprise des Panideen de Karl Haushofer (1869-1946), qui avait théorisé un hémisphère oriental géopolitiquement subdivisé en un espace eurafricain, un espace panafricain s'étendant jusqu'à l'océan Indien mais sans débouché sur le Pacifique, et enfin un espace extrême-oriental comprenant le Japon, la Chine, l'Asie du Sud-Est et l'Indonésie [30]. Au schéma haushoferien, Douguine a apporté quelques changements requis par la situation internationale actuelle, en assignant le Proche-Orient et la Sibérie jusqu'à Vladivostok à la deuxième ceinture (la zone Russie-Asie centrale).
La perspective géopolitique "verticale" théorisée par Douguine a fait l'objet, dans les pages d'"Eurasia", de remarques critiques de Carlo Terracciano (1948-2005) [31]. L'Eurasie, observait Terracciano, "est un continent "horizontal", par opposition à l'Amérique, qui est un continent "vertical"" [32]; en effet, toute la masse continentale de notre hémisphère, l'hémisphère oriental du globe, est constituée d'unités homogènes disposées horizontalement. Traduisant cette vision géographique en termes géopolitiques, Terracciano envisage "l'intégration de la grande plaine septentrionale de l'Eurasie de la Manche au détroit de Béring" [33]. Cette première bande horizontale est flanquée, par bandes horizontales successives, des autres unités géopolitiques de l'Eurasie et de l'Afrique : le grand espace arabe de l'Afrique du Nord et du Proche-Orient, le grand espace transsaharien, le grand espace islamique entre le Caucase et l'Indus, etc. Dans une telle perspective, il est naturel que l'Europe s'intègre dans une sphère de coopération économique, politique et militaire avec la Russie, faute de quoi, écrit Terracciano, l'Europe sera utilisée par les Américains "comme un fusil pointé sur Moscou" [34]. Pour sa part, la Russie ne peut se passer de l'Europe, au contraire, elle en a besoin. Du point de vue russe, "la seule sécurité pour les siècles à venir ne peut être représentée que par le contrôle, sous quelque forme que ce soit, des côtes du nord de la masse continentale eurasienne, ces côtes qui bordent les deux principaux océans du monde, l'Atlantique et le Pacifique" [35]. La nécessité de l'intégration géopolitique de l'Europe et de la Russie impose aux Européens comme aux Russes la révision définitive de certaines oppositions, à commencer par l'"opposition "raciale" entre Euro-Allemands et Slaves" [36]. Mais les Russes doivent aussi éliminer les résidus de cette europhobie qui, née du juste besoin de revaloriser leur composante turco-tatare, les a parfois conduits à opposer radicalement la Russie à l'Europe germanique et latine. Par conséquent, "si l'on peut et doit encore parler d'Occident et d'Orient, la ligne de démarcation doit être placée entre les deux hémisphères, entre les deux masses continentales séparées par les grands océans" [37], de sorte que le véritable Occident, la terre du couchant, se révélera être l'Amérique, tandis que l'Orient, la terre de la lumière, coïncidera avec l'ancien Continent.
Selon la perspective géopolitique qui caractérisait la pensée de Douguine jusqu'en 2016, l'Eurasie - l'ensemble du continent eurasiatique - est l'objet de l'agression des États-Unis d'Amérique, qui sont poussés à la conquête du Heartland et donc de la puissance mondiale par leur propre nature thalassocratique (et pas simplement par l'orientation idéologique d'une partie de leur classe politique). Mais au moment de la campagne électorale de Donald Trump et de son élection à la présidence des États-Unis, la pensée de Douguine subit un changement radical : adoptant un critère plus idéologique que géopolitique et désignant l'"ennemi principal" non plus dans la puissance nord-américaine mais dans la faction libérale et mondialiste, Douguine salue l'élection de Trump avec un enthousiasme fervent et écrit textuellement: "Pour moi, il est évident que la victoire de Trump a marqué l'effondrement du paradigme politique mondial et, simultanément, le début d'un nouveau cycle historique (...). À l'ère de Trump, l'antiaméricanisme est synonyme de mondialisation (...). En d'autres termes, dans le contexte politique actuel, l'antiaméricanisme devient partie intégrante de la rhétorique de l'élite libérale elle-même, pour qui l'avènement de Trump a été un véritable coup dur". Pour les opposants à Trump, le 20 janvier 2017 était la 'fin de l'histoire', alors que pour nous, il représentait une passerelle vers de nouvelles opportunités et options" [38]. Trois ans plus tard, le 3 janvier 2020, le jour même où Trump revendiquait fièrement l'assassinat du général iranien Qasem Soleimani, Douguine lui a souhaité - dans un message posté sur Facebook - quatre années supplémentaires en tant que président: "Four more years". En 2021, Douguine réitère sa position pro-Trump dans un Manifeste du Grand Réveil [39], dans lequel il affirme que le Grand Réveil " vient des États-Unis, de cette civilisation dans laquelle le crépuscule du libéralisme est plus intense que partout ailleurs" [40], ne manquant toutefois pas de reconnaître le " rôle important joué dans ce processus par l'agit-prop américain d'orientation conservatrice Steve Bannon" [41]. La conclusion est que "notre lutte n'est plus contre l'Amérique. L'Amérique que nous avons connue n'existe plus. La division de la société américaine est désormais irréversible. Nous sommes partout dans la même situation, aux États-Unis et à l'extérieur. La même bataille se joue à l'échelle mondiale" [42].
"L'Empire européen est, par postulat, eurasien"
Dans la perspective "horizontale" de Carlo Terracciano, l'influence de la pensée de Jean Thiriart (1922-1992) est évidente, qui en est venu à théoriser, après une longue élaboration, la fusion politique de l'Europe et de la Russie en une seule république impériale. En 1964, dans une Europe divisée entre deux blocs, Thiriart avait publié dans les principales langues européennes un livre intitulé Un empire de 400 millions d'hommes : l'Europe, dans lequel il affirmait la nécessité historique de construire une Europe unitaire, indépendante à la fois de Washington et de Moscou. Dans le cadre d'une géopolitique et d'une civilisation communes, écrit-il, l'Europe unitaire et communautaire s'étend de Brest à Bucarest. (...) Aux 414 millions d'Européens s'opposent les 180 millions d'habitants des États-Unis et les 210 millions d'habitants de l'URSS" [43].
Conçu comme une troisième force souveraine et armée, l'"empire de 400 millions d'hommes" imaginé par Thiriart devra établir une relation de coexistence avec l'URSS basée sur des conditions précises: "La coexistence pacifique avec l'URSS ne sera possible qu'après que toutes nos provinces orientales auront recouvré leur indépendance. La coexistence pacifique avec l'URSS commencera le jour où l'URSS reviendra à l'intérieur des frontières de 1938. Mais pas avant : toute forme de coexistence qui impliquerait la division de l'Europe n'est qu'une supercherie" [44]. Selon Thiriart, la coexistence pacifique entre l'Europe unifiée et l'URSS trouverait son développement logique dans "un axe Brest-Vladivostok. (...) Si l'URSS veut garder la Sibérie, elle doit faire la paix avec l'Europe, avec l'Europe de Brest à Bucarest, je le répète. L'URSS n'a pas, et aura de moins en moins, la force de conserver Varsovie et Budapest d'une part, Tchita et Khabarovsk d'autre part. Elle devra choisir, sous peine de tout perdre. (...) L'acier produit dans la Ruhr pourrait bien servir à défendre Vladivostok" [45]. L'axe Brest-Vladivostok théorisé par Thiriart à l'époque semble avoir davantage le sens d'un accord visant à définir les sphères d'influence respectives de l'Europe unie et de l'URSS, puisque "dans la première moitié des années 1960, Thiriart raisonne encore en termes de géopolitique "verticale", ce qui l'amène à penser selon une logique plus "eurafricaine" qu'"eurasienne", c'est-à-dire à esquisser une extension de l'Europe du Nord au Sud et non d'Est en Ouest.
Le scénario esquissé en 1964 a été développé par Thiriart au cours des années suivantes, de sorte qu'en 1982, il pouvait le définir ainsi : "Nous ne devons plus raisonner ou spéculer en termes de conflit entre l'URSS et nous, mais en termes de rapprochement puis d'unification. (...) nous devons aider l'URSS à se compléter dans la grande dimension continentale. Cela triplera la population soviétique qui, de ce fait, ne pourra plus être une puissance à dominante "russe". (...) C'est la physique de l'histoire qui obligera l'URSS à chercher des rivages sûrs : Reykjavik, Dublin, Cadix, Casablanca. Au-delà de ces limites, l'URSS ne sera jamais en sécurité et devra vivre dans une préparation militaire incessante. Et coûteux" [47]. La vision géopolitique de Thiriart est alors devenue ouvertement eurasienne : "L'empire euro-soviétique", écrit-il en 1987, "s'inscrit dans la dimension eurasienne" [48]. Ce concept a été réitéré dans le long discours qu'il a prononcé à Moscou trois mois avant sa mort : "L'Empire européen", a-t-il déclaré à cette occasion, "est, par postulat, eurasien" (49).
L'idée d'un "Empire euro-soviétique" a été exposée par Thiriart dans un livre écrit en 1984 et publié à titre posthume. En 1984, l'auteur écrivait : "L'histoire donne aux Soviétiques l'héritage, le rôle, le destin qui avait été brièvement attribué au [Troisième] Reich : l'URSS est la principale puissance continentale en Europe, c'est le cœur de la géopolitique. Mon discours s'adresse aux chefs militaires de ce magnifique instrument qu'est l'armée soviétique, un instrument qui manque d'une grande cause" [50]. Partant du constat que dans la mosaïque européenne composée de pays satellites des Etats-Unis ou de l'URSS, le seul Etat véritablement indépendant, souverain et militairement fort était l'Etat soviétique, Thiriart assignait à l'URSS un rôle analogue à celui joué par le Royaume de Sardaigne dans le processus d'unification italienne ou par le Royaume de Prusse dans le monde allemand; ou, pour citer un autre parallèle historique proposé par Thiriart lui-même, par le Royaume de Macédoine dans la Grèce du 4ème siècle av. J.C.: "La situation de la Grèce en 350 av. J.C., divisée en cités-états rivales et partagée entre les deux puissances de l'époque, la Perse et la Macédoine, présente une analogie évidente avec la situation de l'Europe occidentale actuelle, divisée en petits États territoriaux faibles (Italie, France, Angleterre, Allemagne fédérale) soumis aux deux superpuissances" [51]. Par conséquent, de même qu'il existait un parti macédonien à Athènes, il aurait été opportun de créer en Europe occidentale un parti révolutionnaire collaborant avec l'Union soviétique qui, en plus de se libérer des entraves idéologiques d'un dogmatisme marxiste handicapant, aurait dû éviter toute tentation d'établir une hégémonie russe sur l'Europe, faute de quoi son entreprise aurait inévitablement échoué, tout comme avait échoué la tentative de Napoléon d'établir une hégémonie française sur le continent. Il ne s'agit pas, précise Thiriart, de préférer un protectorat russe à un protectorat américain. Non. Il s'agit de faire découvrir aux Soviétiques, qui l'ignorent probablement, le rôle qu'ils pourraient jouer: s'élargir en s'identifiant à l'ensemble de l'Europe. Tout comme la Prusse, en s'élargissant, est devenue l'Empire allemand. L'URSS est la dernière puissance européenne indépendante dotée d'une force militaire significative. Elle manque d'intelligence historique" [52].
L'échiquier eurasien
L'échiquier eurasien est le titre du deuxième chapitre d'un livre écrit en 1997 par Zbigniew Brzezinski (1928-2017) [53], qui fut conseiller à la sécurité nationale de 1977 à 1981, sous la présidence de Jimmy Carter. S'inspirant des thèses de Sir Halford Mackinder (1861-1947), dont il ne manque pas de citer la célèbre formule [54], Brzezinski explique aux milieux de l'impérialisme nord-américain la nécessité d'adopter une "géostratégie pour l'Eurasie" [55], estimant indispensable que les Etats-Unis, s'ils veulent dominer le monde, exercent leur contrôle sur le continent eurasiatique. "Pour l'Amérique, écrit-il, l'Eurasie est le principal butin géopolitique. Pendant un demi-millénaire, les affaires mondiales ont été dominées par les puissances eurasiennes (...) Aujourd'hui, une puissance non eurasienne domine l'Eurasie, et la primauté mondiale de l'Amérique dépend directement de la durée et de l'efficacité de sa prépondérance sur le continent eurasien" [56]. Brzezinski attire l'attention sur un fait : "L'Eurasie est le plus grand continent du globe et est géopolitiquement axiale" [57], de sorte qu'une puissance capable de la dominer contrôlerait deux des trois régions les plus avancées et économiquement productives du monde. D'autre part, "un simple coup d'œil sur la carte montre également que le contrôle de l'Eurasie impliquerait presque automatiquement la subordination de l'Afrique, ce qui rendrait l'hémisphère occidental et l'Océanie géopolitiquement périphériques par rapport au continent central du monde" [58]. En outre, "l'Eurasie abrite également les États les plus dynamiques et les plus affirmés sur le plan politique. Après les États-Unis, les six plus grandes économies et les six plus grands acheteurs d'armes se trouvent en Eurasie. Les deux pays les plus peuplés qui aspirent à l'hégémonie régionale et à l'influence mondiale sont eurasiens. Tous les adversaires politiques et/ou économiques potentiels de la primauté américaine sont eurasiens. Au total, la puissance de l'Eurasie dépasse de loin celle de l'Amérique. Heureusement pour l'Amérique, l'Eurasie est trop grande pour être politiquement unie. L'Eurasie est donc l'échiquier sur lequel la lutte pour la primauté mondiale continue de se dérouler" [59].
Pour donner une idée de "cet immense échiquier eurasien aux formes étranges qui s'étend de Lisbonne à Vladivostok" [60], sur lequel se joue "le grand jeu", Brzezinski insère une carte du continent divisé en quatre grands espaces, qu'il nomme respectivement Espace médian (correspondant approximativement à la Fédération de Russie et aux territoires adjacents d'Asie centrale), Ouest (Europe), Sud (Proche et Moyen-Orient), et Est (Extrême-Orient et Asie du Sud-Est). "Si l'espace médian, écrit Brzezinski, peut être attiré de plus en plus dans l'orbite expansive de l'Occident (où l'Amérique est prépondérante), si la région méridionale n'est pas soumise à la domination d'un seul acteur et si l'Extrême-Orient n'est pas unifié de manière à provoquer l'expulsion de l'Amérique des bases qu'elle maintient en dehors de son territoire, alors on peut dire que l'Amérique l'emporte. Mais si l'espace moyen rejette l'Occident, devient une entité affirmée et prend le contrôle du Sud ou établit une alliance avec le principal acteur oriental [la Chine, ndlr], on peut dire que l'Amérique l'emporte. Il en irait de même si les deux grands acteurs d'Extrême-Orient [la Chine et le Japon, ndlr] s'unissaient d'une manière ou d'une autre" [61].
La "géostratégie pour l'Eurasie" élaborée par Brzezinski identifie l'Europe comme le principal moyen pour les États-Unis de projeter leur puissance sur le continent eurasien. Selon la définition brutalement réaliste utilisée par l'ancien conseiller de Carter, l'Europe est la "tête de pont géopolitique fondamentale de l'Amérique sur le continent eurasien" [62] ; en outre, il s'agit d'une "tête de pont démocratique" [63] puisque "les mêmes valeurs" [64] qui ont été exportées de l'Amérique vers l'Europe en 1945 et 1989 ont fait de cette dernière "l'allié naturel [sic !] de l'Amérique" [65]. Par conséquent, Brzezinski nous assure que l'élargissement de l'Union européenne, politiquement non pertinente et militairement soumise, ne devrait pas inquiéter outre mesure la Maison Blanche, au contraire: "Une Europe plus large élargira le rayon de l'influence américaine (...) sans créer en même temps une Europe politiquement si intégrée qu'elle puisse immédiatement défier les États-Unis ailleurs dans des affaires géopolitiques de grande importance pour l'Amérique, en particulier au Moyen-Orient" [66].
En ce qui concerne le rôle géopolitique de la Russie, le grand pays au centre de la masse continentale eurasienne, Brzezinski se réfère aux éventualités envisagées par les analystes à la fin des années 1990. De toutes les théories formulées à l'époque, celle qui a été pratiquement réalisée était que la Russie, tôt ou tard, formerait un ensemble eurasien avec l'Iran et la Chine : "la puissance islamique la plus militante du monde et la puissance asiatique la plus peuplée et la plus forte" [67].
NOTES:
[1] George Orwell, Nineteen Eighty-Four, Secker & Warburg, London 1949.
[2] Roderigo Di Castiglia (pseudonimo di Palmiro Togliatti), Hanno perduto la speranza, “Rinascita”, anno VI, n° 11-12, novembre-dicembre 1950.
[3] Giulio Meotti, Ecco perché ho scritto 1984, “Il Foglio” (versione digitale), 26 agosto 2013.
[4] Eduard Suess, Das Antlitz der Erde, 3 vol., F. Tempsky, Prag-Wien-Leipzig 1885-1909.
[5] Carl Gustav Reuschle, Handbuch der Geographie oder Neueste Erdbeschreibung mit besonderer Rücksicht auf Statistik, Topographie und Geschichte, Schweizerbart, Stuttgart 1859.
[6] Esiodo, Teogonia, 346-348.
[7] Eschilo, Persiani, 185-186.
[8] Raniero Gnoli, Ricordo di Giuseppe Tucci, ISIAO, Roma 1985, p. 9.
[9] Giuseppe Tucci, Ciro il Grande. Discorso commemorativo tenuto in Campidoglio il 25 maggio 1971, ISIAO, Roma 1971, p. 14.
[10] Mircea Eliade, L’épreuve du labyrinthe. Entretiens avec Claude-Henri Rocquet, Pierre Belfond, Paris 1978, p. 70.
[11] Mircea Eliade, L’Europe et les rideaux, “Comprendre”, 3, 1951, p. 115.
[12] Roberto Scagno, Mircea Eliade: un Ulisse romeno tra Oriente e Occidente, in: AA. VV., Confronto con Mircea Eliade, Jaca Book, Milano 1998, p. 21.
[13] Mircea Eliade, Struttura e funzione dei miti, in Spezzare il tetto della casa, Jaca Book, Milano 1988, pp. 74-75.
[14] Franz Altheim, Storia della religione romana, Settimo Sigillo, Roma 1996, p. 30.
[15] Franz Altheim, Attila et les Huns, Payot, Paris 1952, p. 5.
[16] Franz Altheim, Attila et les Huns, cit., p. 225.
[17] Onpourrait ajouter quelques autres figures exemplaires: cfr. C. Mutti, Esploratori del Continente. L’unità dell’Eurasia nello specchio della filosofia, dell’orientalistica e della storia delle religioni, Effepi, Genova 2011.
[18] Eurasisme ou eurasiatisme? Eurasiste ou eurasiatiste? Il est vrai que les termes eurasisme et eurasiste (sont) désormais entrés dans l'usage commun" (Aldo Ferrari, La Foresta e la Steppa. Il mito dell’Eurasia nella cultura russa, Libri Scheiwiller, Milano 2003, p. 197, n. 89). Toutefois, si nous nous basons sur un critère analogique et sinous retenons comme préférable les formes eurasiatisme et eurasiatiste puisque il existe des termes similaires comme le montrent les exemples d'européisme, d'africanisme, d'américanisme, etc., ainsi que les adjectifs correspondants formés par l'ajout des suffixes -isme, -iste (pour les adjectifs) et non au substantif. Autrement nous aurions "europiste", "afriquiste", "amériquiste".
[19] "La cultrure européenne (...) est la résultante de l'histoire d'un groupe ethnique déterminé. Les tribus germaniques et celtiques, ayant subi en diverses mesures l'influence de la culture romaine et s'étant fortement mélangées entre elles, ont, au départ d'éléments propres à leurs cultures nationales et d'éléments issus de la culture romaine, créé un mode particulier de vie commune. En vertu des conditions ethnographiques et géographiques communes, ils ont vécu pendant longtremps des formes de vie commune et dans leurs coutumes et dans leurs histoire, grâce à des rapports réciproques continus, les éléments communs se sont avérés tellement pertinents que le sentiments d'unité romano-germanique est pour toujours présents, inconsciemment, en eux" (Nikolaj Trubeckoj, L’Europa e l’umanità, Einaudi, Torino 1982, p. 12).
[20] Pour accéder à un panorama de la pensée eurasiatiste "classique", outre l'étude déjà citée d'Aldo Ferrari, La Foresta e la Steppa, on consultera Otto Böss, La dottrina eurasiatica. Contributi per una storia del pensiero russo nel XX secolo, Società Editrice Barbarossa, Cusano Milanino, s.d.
[21] Nicolas S. Troubetzkoy, Principes de Phonologie traduits par J. Cantineau, Paris 1949.
[22] AA. VV., Ischod k Vostoku. Predčuvstrija i sverženija. Utverždenie evrazijcev, Rossijsko-Bolgarskoe izdatel’stvo, Sofija 1921.
[23] Nikolaj Sergeevič Trubeckoj, L’eredità di Gengis Khan, Società Editrice Barbarossa, Milano 2005, p. 24.
[24] Pëtr Savickij, Povorot k Vostoku, in AA. VV., Ischod k Vostoku, cit., pp. 1-13.
[25] Martino Conserva – Vadim Levant, Lev Nikolaevič Gumilëv, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2005; Luigi Zuccaro, La geofilosofia con Lev Gumilëv, Anteo, Cavriago 2022.
[26] In italiano: Lev Gumilëv, Gli Unni. Un impero di nomadi antagonista dell’antica Cina, Einaudi 1972.
[27] Aleksandr Dugin, L’idea eurasiatista, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 1/2004, p. 9.
[28] Alain De Benoist – Aleksandr Dugin, Eurasia. Vladimir Putin e la grande politica, Controcorrente, Napoli 2014, p. 100.
[29] Aleksandr Dugin, L’idea eurasiatista, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, cit., pp. 7-23.
[30] Cfr. Karl Haushofer, Il blocco continentale. Mitteleuropa-Eurasia-Giappone, Anteo, Cavriago 2023.
[31] Claudio Mutti, Carlo Terracciano redattore di Eurasia, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 1/2021, pp. 19-24.
[32] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 2/2005, p. 181.
[33] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 191.
[34] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 184.
[35] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 184.
[36] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 186.
[37] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 190.
[38] “For me it is obvious that Trump’s victory marked the collapse of the global political paradigm, and simultaneously the beginning of a new historical cycle. (…) in the ‘Age of Trump’ anti-Americanism is already synonymous with globalization (…) In other words, anti-Americanism in the current political context is becoming an integral part of the rhetoric of the very same liberal elite for whom the arrival of Trump was a real blow. For the opponents of Trump, January 20 was the ‘end of history’, while for us it represented a window for new opportunities and options” (“Les Amis d’Alain de Benoist”, 28 marzo 2017, alaindebenoist.com). Pour une analyse de l'erreur d'évaluation commise par Douguine quant au phénomène trumpiste, cfr. Daniele Perra, La visione strategica di Aleksandr Dugin, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 1/2020, pp. 19-26.
[39] Alexandre Douguine, Contre le Great Reset. Le Manifeste du Grand Réveil, Ars Magna, 2021. Ed. it.: Aleksandr Dugin, Contro il Grande Reset. Manifesto del Grande Risveglio, AGA Editrice, Cusano Milanino 2022.
[40] Alexandre Douguine, Contre le Great Reset. Le Manifeste du Grand Réveil, cit., p. 47. Sulla rinnovata fortuna del tema evangelico del “Grande Risveglio”, cfr. Claudio Mutti, Le sètte dell’Occidente, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 2/2021, pp. 9-17.
[41] Alexandre Douguine, Contre le Great Reset. Le Manifeste du Grand Réveil, cit., p. 37. Sur le rôle de Steve Bannon, cfr. Claudio Mutti, Sovranisti a sovranità limitata, in AA. VV., Inganno Bannon, Cinabro Edizioni, Roma 2019, pp. 83-102.
[42] “Our fight is no more against America. America we knew doesn’t exists anymore. The split of American society is henceforth irreversible. We are in same situation everywhere – inside of US and outside. So the same combat on global scale” (Alexander Dugin, Great Awakening: the future starts now, “Katehon”, 9 gennaio 2021, katehon.com).
[43] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, Volpe, Roma 1965., pp. 17-18.
[44] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, cit., p. 21.
[45] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, cit., pp. 26-29.
[46] Lorenzo Disogra, L’Europa come rivoluzione. Pensiero e azione di Jean Thiriart, Prefazione di Franco Cardini, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2020, p. 30.
[47] Jean Thiriart, Entretien accordé à Bernardo Gil Mugurza [rectius: Mugarza] (1982), in: AA. VV., Le prophète de la grande Europe, Jean Thiriart, Ars Magna 2018, p. 349.
[48] Jean Thiriart, La Turquie, la Méditerranée et l’Europe, “Conscience européenne”, n. 18, luglio 1987.
[49] L'essai L’Europe jusqu’à Vladivostok, diffusé en sa tradution russe par le périodique “Den’” a été publié en français dans le n°9 de “Nationalisme et République” en septembre 1992, est une reprise dela conférence de presse que tint Jean Thiriart à Moscou le 18 août dela même année. La traduction italienne est parue dans Eurasia: la première partie dans le n°4/2013 (pp. 177-183), la seconde partie dans le n°4/2017 (pp. 131-145).
[50] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2018, p. 204.
[51] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, cit., p. 190.
[52] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, cit., p. 191.
[53] Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard. American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Basic Books, New York 1997. Ed. it.: La grande scacchiera, Longanesi, Milano 1998.
[54] “Who rules East Europe commands the Heartland; Who rules the Heartland commands the World-Island; Who rules the World-Island commands the world” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 38).
[55] “A geostrategy for Eurasia” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 197).
[56] “For America, the chief geopolitical prize is Eurasia. For half a millennium, world affairs were dominated by Eurasian powers (…) Now a non-Eurasian power is preeminent in Eurasia – and America’s global primacy is directly dependent on how long and how effectively its preponderance on the Eurasian continent is sustained” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 30).
[57] “Eurasia is the globe‘s largest continent and is geopolitically axial” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 31).
[58] “A mere glance at the map also suggests that control over Eurasia would almost automatically entail Africa’s subordination, rendering the Western Hemisphere and Oceania geopolitically peripheral to the world’s central continent” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 31).
[59] “Eurasia is also the location of most of the world’s politically assertive and dynamic states. After the United States, the next six largest economies and the next six biggest spenders on military weaponry are located in Eurasia. The world’s two most populous aspirants to regional hegemony and global influence are Eurasian. All of the potential political and/or economic challengers to American primacy are Eurasian. Cumulatively, Eurasia’s power vastly overshadows America’s. Fortunately for America, Eurasia is too big to be politically one. Eurasia is thus the chessboard on which the struggle for global primacy continues to be played” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 31).
[60] “This huge, oddly shaped Eurasian chessboard – extending from Lisbon to Vladivostok” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 35).
[61] “If the middle space can be drawn increasingly into the expanding orbit of the West (where America preponderates), if the southern region is not subjected to domination by a single player, and if the East is not unified in a manner that prompts the expulsion of America from its offshore bases, America can then be said to prevail. But if the middle space rebuffs the West, becomes an assertive single entity, and either gains control over the South or forms an alliance with the major Eastern actor, then America’s primacy in Eurasia shrinks dramatically. The same would be the case if the two major Eastern players [Cina e Giappone] were somehow to unite” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 35).
[62] “America’s essential geopolitical bridgehead in Eurasian continent” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 59).
[63] “The Democratic Bridgehead” est le titre du troisième chapitre de The Grand Chessboard, cit., p. 57.
[64] “the same values” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 59).
[65] “America’s natural ally” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 57).
[66] “A larger Europe will expand the range of American influence (…) without simultaneously creating a Europe politically so integrated that it could soon challenge the United States on geopolitical matters of high importance to America elsewhere, particularly in the Middle East” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 199).
[67] “the world’s most militant Islamic power, and the world’s most populated and powerful Asian power” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 116).
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dimanche, 05 février 2023
De Zalmoxis à Gengis Khan: religions et folklore de la Dacie et de l'Europe de l'Est selon Eliade
De Zalmoxis à Gengis Khan: religions et folklore de la Dacie et de l'Europe de l'Est selon Eliade
Giovanni Sessa
Source: https://www.paginefilosofali.it/da-zalmoxis-a-gengis-khan...
Mircea Eliade, l'éminent historien roumain des religions, bien qu'ayant vécu la majeure partie de sa vie en exil à l'étranger, a conservé un lien étroit avec la culture de son propre peuple et, surtout, un intérêt jamais dissimulé pour la spiritualité de l'ancienne Dacie. En témoigne, de manière très détaillée, son ouvrage intitulé Da Zalmoxis a Genghis Khan. Le religioni e il folklore dell'Europa orientale (= "De Zalmoxis à Gengis Khan. Les religions et le folklore de l'Europe orientale"), que l'on peut trouver en librairie grâce aux Edizioni Mediterranee, édité par Horia Corneliu Cicortaş et avec une traduction d'Alberto Sobrero (pour les commandes : 06/3235433, ordinipv@edizionimediterranee.net, pp. 275, euro 27,00). Ce volume a été publié pour la première fois en France en 1970. Il est sorti en Italie en 1972 et, vu son discret succès critique et commercial, a été traduit dans de nombreuses langues en peu de temps. Le texte se compose de huit chapitres: six d'entre eux sont des reprises d'essais précédents publiés dans des magazines et des périodiques. Deux chapitres sont spécialement conçus pour ce livre.
Le premier d'entre eux fait référence à Zalmoxis et traite de l'histoire religieuse des Gétes & Daces. Un autre essai est consacré à la relation entre cette ancienne population et les loups, tandis qu'un article sur la "Ballade du mouton devin" est destiné, selon les intentions d'Eliade, à compléter les cinq autres essais sur les traditions populaires roumaines. Ils traitent respectivement des mythes cosmogoniques dualistes, de la chasse rituelle, de la légende de Maître Manole, des pratiques chamaniques et du culte de la mandragore. La référence du titre à Gengis Khan, nous rappelle Cicortaş, est purement symbolique: "puisque les invasions mongoles ne sont pas mentionnées dans le livre" (p. 8), alors qu'elles ont joué un rôle fondamental dans la formation de l'imaginaire des Daco-Romains, notamment par rapport à l'ancêtre totémique identifié dans le Loup gris. Il ne faut pas oublier que, pour Eliade, "le culte de Zalmoxis et tous les mythes, symboles et rituels qui informent le folklore religieux des Roumains ont leurs racines dans un univers de valeurs spirituelles antérieur à l'apparition des grandes civilisations du Proche-Orient ancien et de la Méditerranée" (p. 17).
Cela explique l'intérêt pour ce patrimoine spirituel, qui n'a jamais failli chez l'érudit. Elle s'est d'abord manifestée à la fin des années 1920, après le séjour du savant en Inde, mais est revenue se manifester dans les années 1940, avant et après la fin de la Seconde Guerre mondiale. De plus, Eliade avait fondé, en 1938, la première revue internationale roumaine d'études historico-religieuses, intitulée, non par hasard, Zalmoxis. Sur le texte que nous présentons, l'intellectuel a travaillé entre 1968 et 1969, à une époque où il était occupé à peaufiner certaines de ses œuvres les plus érudites. Sans cette concomitance d'engagements, De Zalmoxis à Genghis Khan "aurait probablement été beaucoup plus vaste" (p. 11). En effet, l'auteur avait prévu d'ajouter à la première édition des chapitres consacrés à d'autres aspects de la ritualité et du folklore de la Roumanie et de l'Europe de l'Est. Le lecteur de la nouvelle édition italienne trouvera en annexe l'essai que l'historien des religions a consacré à l'exégèse des căluşari, fêtes masquées saisonnières.
Cet essai confirme également l'importance méthodologique attribuée par Eliade, dans le comparatisme historico-religieux, à la dimension ethnologique. Il recourt continuellement, pour aller au fond des choses, au sens caché des mythes et des rituels: "à l'héritage culturel du folklore [...] Une source précieuse surtout dans le cas des peuples dits "non scripturaires"" (p. 11). Le chercheur est fermement convaincu que l'humus spirituel des Daces ne pouvait être appréhendé que "dans l'univers des valeurs spécifiques des chasseurs et des guerriers, ou plus précisément à la lumière des rites initiatiques de nature militaire" (p. 18). Plus précisément, la duplicité ambiguë, chthonique et tellurique, de Zalmoxis "devient compréhensible lorsque le sens initiatique de l'occultation et de l'épiphanie du dieu est révélé" (p. 18). Le mythe cosmogonique roumain, à la lumière de cette intuition, ne peut être réduit, sic et simpliciter, aux dualismes des Balkans et de l'Asie centrale, mais doit être lu, note Eliade, à travers le thème de la "lassitude de dieu": "une expression surprenante de ce deus otiosus réinventé plus tard par le christianisme populaire, dans la tentative désespérée de rendre dieu étranger aux imperfections du monde et à l'apparition du mal" (p. 18).
La même "chasse rituelle", pratiquée aux premiers temps de la Dacie, pour l'intellectuel roumain doit être placée à l'origine de la principauté de Moldavie. Le monastère d'Argeş parvient également à rendre son symbolisme explicite, non pas simplement par rapport aux mythes de construction, mais par rapport aux autres: "le sens originel d'un sacrifice humain primitif" (p. 18). L'une des ballades populaires les plus connues de Roumanie, la Mioriţa présente la fonction oraculaire des animaux dans la Dacie antique.
Le culte de la mandragore, s'il est interprété correctement, met en évidence le lien étroit entre la Vie et la Mort. Lire ce livre, c'est être projeté dans un univers archaïque d'une grande profondeur symbolique. Eliade, dans ces pages, a transmis à l'époque contemporaine l'héritage immémorial sur lequel s'est construite la civilisation européenne. Une occasion à ne pas manquer, à ne pas gaspiller, à l'heure où la culture de l'annulation entend faire une tabula rasa de notre mémoire historique.
Giovanni Sessa
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jeudi, 03 février 2022
Mircea Eliade et la Garde de Fer
"Mircea Eliade et la Garde de Fer", livre de Claudio Mutti
Une critique de Riccardo Rosati
Ex: https://www.ereticamente.net/2016/05/mircea-eliade-e-la-guardia-di-ferro-di-claudio-mutti-recensione-a-cura-di-riccardo-rosati.html?fbclid=IwAR0WbrOzMm5iO54pYlDuR3BiIDhO6foulDq0JPzsXhA2WOxqxBzHtcjF8RA
Le livre de Claudio Mutti est un outil précieux pour comprendre le passé gardiste d'Eliade. C'est un livre petit mais important, qui présente une recherche méticuleuse des sources, une opération qui n'est certainement pas facile, puisque pendant la période de la dictature en Roumanie, beaucoup de documents ont été détruits. Il s'agit d'un ouvrage qui éclaire la période all'ant de 1936 à 1938, alors qu'Eliade était membre du mouvement de la Légion de l'Archange Michel, ou Garde de Fer, comme on l'appelle souvent en Europe occidentale. Cette relecture actualisée de l'ouvrage que Mutti a consacré en 1989 au célèbre historien des religions démontre une fois de plus combien le savant italien est un point de référence pour approfondir le "légionnaire" Eliade.
Le texte s'ouvre sur une citation de Franco Cardini, qui soutient que la Garde de Fer est un phénomène qui doit être étudié : "[...] d'un point de vue sociologique et anthropologique-ethnologique plutôt qu'idéologico-politique [...]". Mutti est bien conscient de la nécessité d'analyser l'implication directe d'Eliade dans les événements de son pays non pas dans une perspective idéologique qui serait limitative, mais dans une perspective spirituelle, active et participative. L'esprit et l'âme, comme l'a fait l'érudit roumain pendant une partie de sa vie, doivent être mis au service du Peuple et non de soi-même, et c'est déjà une leçon importante que nous pouvons tirer de ce livre.
Un autre élément souligné par Mutti concerne la pertinence autobiographique dans la fiction d'Eliade : "Il existe cependant une partie de la production d'Eliade dans laquelle la donnée autobiographique n'est pas déclarée, mais est souvent habilement dissimulée dans le contexte d'une intrigue fictive, tout en conservant une transparence lucide". Il le fait avec un style d'écriture très particulier : un ton apparemment "froid" et enclin à la synthèse, mais qui s'avère captivant, poussant à lire la page suivante et ainsi de suite, posant des questions auxquelles on tente, et souvent on réussit, à donner des réponses.
C'est le cas de Forêt interdite (1955)... s'agit-il d'un roman autobiographique ? Mutti conclut qu'il ne l'est pas, bien qu'il se déroule dans le camp de prisonniers de Miercurea Ciuc, où le philosophe des religions a été emprisonné. Le voyage de Mutti dans le militantisme d'une certaine jeunesse roumaine, à travers le récit d'Eliade, avec des épisodes aussi héroïques que vrais, est vraiment évocateur. Nous nous rappelons, par exemple, comment dans le camp d'internement, Nae Ionescu (le professeur d'Eliade) a créé une "université légionnaire" ou lorsque les membres de la Garde se relayaient avec une précision militaire dans la prière et le jeûne.
Il y a des universitaires qui ont connu la prison ou, comme dans ce cas, un camp d'internement. Aux yeux de la droite progressiste d'aujourd'hui, cela suscite la peur et la suspicion, comme si cela diminuait la valeur du chercheur qui se heurte à une politique oppressive, corrompue et injuste. Mais c'est précisément tout ce qui relève du militantisme et de l'engagement qui les dérange, ainsi que les actes de courage. C'est ce qui est arrivé à Fosco Maraini au Japon, mais on ne parle jamais de son emprisonnement volontaire, on se contente de dire qu'il s'est coupé le doigt pour obtenir les faveurs des militaires japonais. Un intellectuel qui vit en captivité génère un monde en lui-même, il doit le faire pour survivre. Dans le cas de Gramsci, la prison a été paradoxalement sa grande chance, mais quand il s'agit d'un penseur de droite, tout devient hooliganisme, subversion, ille nihil dubitat qui nullam scientiam habet.
Un chapitre du livre s'intitule "La dernière chance de la Roumanie", reprenant les mots d'Emil Cioran. Pouvons-nous emprunter cette phrase aujourd'hui pour affirmer que la pensée traditionnelle est la dernière chance de l'Occident ? Cioran avait-il donc raison de croire que le salut de la société moderne résidait dans la "destruction de la démocratie"? Le texte de Mutti n'évite pas les réflexions de ce genre, étant empreint de ce courage nécessaire aujourd'hui pour dénoncer les ténèbres qui dominent le monde, comme lorsqu'il parle, sans mâcher ses mots, du "veto sioniste" qui a empêché la candidature d'Eliade au prix Nobel.
En outre, Mutti n'hésite pas à aborder de front les problèmes socioculturels de la société contemporaine, en utilisant avec profit une perspective traditionnelle. C'est ce qu'il a fait lors d'une conférence sur René Guénon qui s'est tenue à Rome il y a quelques années, au cours de laquelle il a réussi à proposer une lecture du philosophe français qui n'était finalement pas cérébrale et "alchimique" - comme cela arrive ponctuellement chez presque tous les soi-disant guénoniens - en stigmatisant le rôle occulte de Basile Zaharoff (1849 - 1936) (photo) : une figure malheureuse, peu connue et étudiée, mais qui a dirigé le destin du monde tel que nous le connaissons aujourd'hui. Cela nous semble être la seule façon possible d'être un traditionaliste, l'audace d'entrer dans la lutte, même politique si nécessaire !
Eliade lui-même le dit clairement avec ses propres mots : "Pour moi, qui ne croyais pas au destin politique de notre génération (ni à l'étoile de Codreanu), une déclaration par laquelle je me dissociais du Mouvement semblait non seulement inacceptable, mais même absurde". Il y a donc un temps pour la recherche et un temps pour l'engagement ; l'un ne doit jamais prévaloir sur l'autre, mais ils ne doivent pas non plus entrer en conflit. Le monde occidental dans lequel nous vivons ne peut pas s'abreuver d'ésotérisme pur, c'est une étape complexe et il a besoin, avant de l'atteindre, d'un éveil, qui passe inexorablement par le fait de rendre la Tradition compréhensible, d'expliquer comment elle n'est pas une "fuite du monde", mais une puissante rentrée dans celui-ci, non pas tant pour le détruire, dans une tentative de remettre anachroniquement les mains de l'histoire à zéro, mais pour le "rectifier" de manière évolutive.
Riccardo Rosati.
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mardi, 08 juin 2021
Religion cosmique et folklore: l'Europe de Mircea Eliade
Religion cosmique et folklore: l'Europe de Mircea Eliade
Par Luca Siniscalco
Ex: https://www.grece-it.com/2021/03/28/religiosita-cosmica-e-folklore-leuropa-di-mircea-eliade/
"Tant de gens ont reproché à Eliade de ne pas être resté en Inde. Nous devons nous réjouir, au contraire, parce qu'il a accepté de se compromettre lui aussi, ici avec nous, et voir en cela un renoncement plus important que le renoncement contemplatif. Accepter l'histoire me semble être le plus grand héroïsme."
(E. Cioran, Mircea Eliade et ses illusions, 1936)
Mircea Eliade (1907-1986) est connu, même du grand public, comme l'un des plus importants historiens des religions du 20ème siècle. Pour certains, il est le plus important. Ce titre, obtenu en vertu de la richesse et de la profondeur de ses interminables recherches et productions scientifiques, doit cependant être associé, pour se faire une idée organique de l'auteur, à son activité culturelle "non académique" si particulière et si débordante. C'est précisément dans cette partie de son opus, qui se compose de romans, de nouvelles, de pièces de théâtre, d'articles de journaux, de pages de journaux intimes et de lettres (pensons à la splendide anthologie épistolaire avec Emil Cioran), qu'Eliade exprime tous les "non-dits" - pour reprendre une expression efficace de Marcello de Martino - de sa spéculation. La "sphère diurne" de son génie est ainsi flanquée d'une "sphère nocturne". Au cœur de cette prose, à la fois intime et métaphysique, Eliade se révèle un intellectuel curieux et passionné, un enquêteur sismographique, au sens jüngerien - et ce n'est pas un hasard si, avec le ‘’Contemplateur solitaire’’, il a dirigé pendant une dizaine d'années l’excellente revue Antaios -, un rhapsodiste des interférences entre le visible et l'invisible.
Dans l’ensemble de ce type d'écrits sont également inclus les entretiens accordés par l'auteur à plusieurs grands intellectuels de son temps. L'un des plus célèbres est celui avec l'écrivain français Claude-Henri Rocquet, qui est devenu un livre avec le titre La prova del labirinto (1978). Les dialogues contenus dans Mythes des origines et Rythmes cosmiques sont également importants. Il y a aussi Conversations (1973-1984), un texte récemment publié par Bietti et édité par Andrea Scarabelli et Horia Corneliu Cicortaş, dont s'inspire le présent article. Le volume rassemble également quatre entretiens avec Eliade, réalisés entre les années 1970 et 1980 par Alain de Benoist, Jean Varenne, Alfredo Cattabiani et Fausto Gianfranceschi. Avec une approche fluide et populaire, Eliade aborde certains des points fondamentaux de sa doctrine: la méthodologie herméneutique morphologique et comparative appliquée à l'histoire des religions, la dialectique hiérophanique, l'essence ontologique et cosmogonique du mythe, la fuite de l'histoire, la démythologisation à l'ère de la sécularisation, les "nouveaux mythes" modernes, le "camouflage du sacré dans le profane".
Il en ressort également une question sur laquelle les critiques d'Eliade se sont rarement attardés, mais sur laquelle Eliade lui-même a développé des intuitions brillantes - même si elles n'étaient pas du tout systématiques: la recherche et la problématisation des racines et des perspectives métaphysiques de la tradition européenne. Déjà dans le Traité d'histoire des religions (1948), Eliade, dans sa construction de l'architecture universelle, avait attribué une importance particulière à l'étude comparative du folklore européen. Un aspect toujours présent dans les spéculations d'Eliade, et présenté de façon pionnière dans l'essai Folklorul ca instrument de cunoaștere, publié dans Revista Fundațiilor Regale (4, 1937). Parmi les rituels les plus fascinants mentionnés dans le traité, il y a certainement ceux typiques des sociétés paysannes, qui se déroulent aussi bien au printemps que pendant la récolte des cultures. En ces occasions, de manière cyclique, la "puissance", ou l'"esprit", est représentée directement par un arbre, ou une gerbe d'épis, et un couple humain, et les deux cérémonies ont une influence fertilisante sur la végétation, le bétail et les femmes. C'est toujours le même besoin, ressenti par l'homme archaïque, de faire les choses "en commun", "d'être ensemble". Le couple qui personnifie la puissance ou le génie de la végétation est lui-même un centre d'énergie, capable d'accroître les forces de l'agent qu'il représente. La force magique de la végétation est accrue par le simple fait qu'elle est représentée par un jeune couple, riche au plus haut degré de possibilités - voire de réalisations - érotiques. Ce couple, "le marié" et "la mariée", n'est qu'un simulacre allégorique de ce qui s'est réellement passé autrefois: la répétition du geste primordial, la hiérogamie".
Dans l'entretien de 1973 avec Jean Varenne, Eliade propose une intuition fondamentale: l'Europe contemporaine, malgré l'avancée inéluctable de la modernité culturelle et socio-politique, paradigmatiquement associée à la sécularisation ou, tout au plus, à des formes de "seconde religiosité" (l'expression est d'Oswald Spengler), continuerait à conserver des traces significatives de son passé archaïque, celui où la dimension supra-historique de l'Origine - le temps de l'Éternel, l'illud tempus - s'incarnait dans le substrat germinal de l'histoire. En particulier, souligne Eliade dans un excursus typologique sur l'identité européenne, la culture néolithique "est encore bien vivante en Europe orientale, au sein de ce que nous avons l'habitude d'appeler le folklore". Selon l'historien des religions, cet horizon de civilisation est particulièrement évident dans les "cultes agraires" déjà mentionnés, qui présentent une phénoménologie similaire sur tout le continent européen. De tels paradigmes cultuels témoignent "toujours de la même structure : c'est ce que j'appelle la religion (ou religiosité) cosmique, c'est-à-dire que le sacré s'y manifeste à travers le sens humain des rythmes cosmiques".
Il existe, en somme, une unité spirituelle qui se manifeste dans un corpus mythico-symbolique, cultuel et rituel riche et multiple, dont l'origine remonte à l'aube de l'histoire. En ce point où l'Ineffable informe la réalité, selon un vecteur émanationniste, descendant au cœur de l'immanence et lui donnant une structure phénoménale. Les paradigmes religieux institutionnalisés, ainsi que, à différents niveaux, les voies ésotériques et initiatiques, viseraient notamment à rétablir la connexion subtile et intérieure entre l'individu, avec ses limites biologiques et égoïques, et cette Origine extratemporelle vers laquelle les civilisations, aussi modernes ou postmodernes soient-elles, ne cessent de tendre avec nostalgie. Le mythe cosmogonique assume alors en Europe une déclinaison archétypale spécifique en direction d'une religiosité cosmique qui est sa forme spécifique de sacralité. Eliade, faisant allusion à la notion de religiosité cosmique, semble se référer à une époque véritablement ancienne, qui fait apparemment abstraction du débat historique sur le rapport entre l'invasion des peuples indo-européens et les civilisations antérieures (de structure matrilinéaire et gilanique, selon les études de Gimbutas), pour rappeler une dimension encore plus archaïque, dans laquelle l'éternel rayonne hors du temps.
Ce qui est certain, c'est que la culture sécularisée de l'Occident vise depuis plusieurs siècles à éradiquer cette tradition. Selon les mots de Drieu la Rochelle, "l'Europe en est réduite à porter ses églises sans Dieu, ses palais sans rois comme des bijoux étincelants sur un sein défait". Pourtant, rien ne nous empêche de supposer, logiquement et face à la puissance mythopoétique de l'histoire, que l'avenir peut révéler des manifestations nouvelles et plus claires de l'unité spirituelle archaïque et éternelle. Citant une conversation avec Teilhard de Chardin, Eliade note : "Si le dogme est éternel, les expressions dogmatiques sont transitoires". C'est précisément dans ce passage que se révèle l'optimisme cosmique et métaphysique d'Eliade, ancré dans la conviction que les formes du sacré sont destinées à revenir dans le futur, dans ce côté lumineux du post-modernisme qui est resté jusqu'à présent occulté dans l'obscurité de son double négatif. La "fuite des dieux" et la "pauvreté du monde" (Friedrich Hölderlin), caractéristiques de l'ère de la démythologisation, sont des phénomènes transitoires, auxquels l'Occident devra remédier en se tournant tout autant vers l'Orient - et Eliade fait ici écho à Simone Weil : "L'Europe n'a peut-être pas d'autre moyen pour éviter d'être décomposée par l'influence américaine qu'un nouveau contact, vrai, profond, avec l'Orient" (Une constituante pour l'Europe) - autant que, et surtout ajouterions-nous, en elle-même, dans ses propres profondeurs et abîmes, dans cette suppression de la verticalité anthropologique (de l'homo religiosus, dirait Eliade, repris plus tard par Julien Ries) qui est l'héritage le plus funeste du réductionnisme moderne. Pour conquérir l'avenir, il est nécessaire de récupérer le passé, dans sa dimension métaphysique-symbolique plus que dans sa dimension chronologique. Un passé, pour ainsi dire, qui est toujours contemporain de tous les âges ou pas du tout: " Nous nous libérons de l'œuvre du Temps - explique Eliade dans Mythe et réalité - avec la mémoire, avec l'anâmnèsis. L'essentiel est de se souvenir de tous les événements". La connaissance ne passe pas par l'invention, en somme, mais plutôt par le souvenir.
"Je crois", déclarait Eliade avec confiance à Fausto Gianfranceschi en 1983, "qu'en Occident aussi, nous commençons à réapprendre le langage symbolique qui enrichit le sens de la réalité".
Au niveau diachronique, nous pouvons voir comment la religiosité cosmique archaïque a été intégrée de manière métamorphique dans les polythéismes antiques, pour être rejetée par le monothéisme juif et finalement réabsorbée par le christianisme: au niveau historique, rappelle Eliade dans un entretien avec Alain de Benoist en 1979, également contenu dans le livre dont nous parlons, "il s'agissait d'homologuer des univers religieux différents, afin d'uniformiser culturellement l'écoumène". Ainsi, par exemple, les nombreux héros et dieux tueurs de dragons de la tradition indo-européenne étaient identifiés à saint Georges. De même, en Grèce, après l'incendie du sanctuaire d'Éleusis en 396, événement symbolisant la fin du paganisme, un saint Démétrius, patron sacré de l'agriculture, est suspendu de manière tout à fait naturelle à la place de la déesse Déméter...". C'est le christianisme cosmique d'Origène, de Denys, de Saint Bonaventure et de Nicolas de Cues, dans lequel le domaine de l'histoire et celui de la méta-histoire sont toujours entrelacés.
On ne peut comprendre l'identité européenne, dans ses manifestations historiques et religieuses différentes et parfois antagonistes, sans considérer son expérience du sacré, qui est " l'expérience d'une réalité absolue, transcendante, [...] à travers laquelle le monde prend un sens organique ", sous la forme d'une religiosité cosmique. C'est une sensibilité, celle d'Elias, vers une sophia prisca, de matrice universelle, presque dans un sens pérénnaliste, mais déclinée dans un sens proprement européen. Elle a trouvé l'une de ses manifestations les plus marquantes dans l'histoire récente au sein de la Renaissance italienne et de sa redécouverte, dans le sillage de l'hermétisme et du néoplatonisme, de l'Orient symbolique qui a toujours été situé au cœur de l'Eurasie. Et l'Europe dont parle Eliade, dans une perspective qui a dépassé de manière critique tout provincialisme et revanchisme, a sans aucun doute une dimension eurasienne, en étant un pont et, en même temps, une singulière conjonction polaire de l'Est et de l'Ouest, un horizon de voies alternatives mais syntoniques par rapport à "l'instinct fondamental touché par le destin à la nature humaine": Sortir de soi, se fondre dans l'autre, échapper à une solitude limitée, tendre vers une liberté parfaite dans la liberté de l'autre" (Eliade, La bibliothèque et les soliloques du Mahārājah). Dans une tension destinale entre la subordination amère et passive au divin (subordination à la loi, la Voie de la Main Droite) et la joie extatique qui naît de la perception de notre pouvoir magique-démiurgique (victoire sur la loi, la Voie de la Main Gauche). Ainsi, lorsque le jeune Eliade révèle dans une lettre à son ami Cioran, en novembre 1935, qu'il éprouve du dégoût pour l'Europe et souhaite l'indépendance de sa chère Roumanie vis-à-vis de "ce continent qui a découvert les sciences profanes", philosophie et égalité sociale", il comprenait déjà que la vérité traditionnelle s'était éteinte dans l'Europe moderne, et pourtant, peut-être, accompagnant un certain pessimisme tragique et fataliste de sa jeunesse, il n'avait pas encore saisi les signes que, dans sa maturité, il apprendrait à lire comme les signes d'une possible renaissance du sacré. De plus, nous ne faisons que mentionner ici, les études ethnologiques les plus récentes révèlent comment l'Europe de l'Est (y compris, évidemment, la Roumanie d'Héliades) a été une zone centrale dans la formation du substrat rural, historique et symbolique du continent (Aleksandr Douguine note à cet égard, dans son récent Noomachìa, que "l'Europe de l'Est, communément considérée comme périphérique et marginale par la civilisation gréco-romaine et plus tard par la civilisation occidentale, devrait être considérée au contraire comme un pôle central de la civilisation européenne. C'est en Europe orientale qu'a eu lieu l'événement clé de l'histoire ontologique et sémantique européenne - la rencontre entre les deux horizons existentiels paléo-européen [gynocratique] et indo-européen").
Quoi qu'il en soit, c'est précisément dans le rapport complexe entre l'Un et le multiple, l'univocité et la pluralité, que se construit l'identité européenne, dans le rapport dialectique entre deux niveaux de complexité que le philosophe Massimo Cacciari a bien exposé dans sa Géo-philosophie de l'Europe, avec l'image suivante: "D'une part, elle [l'Europe] ne peut pas se concevoir sans l'idée d'une commune originalité de toutes choses. Si la différenciation était originale, comment l'ordre harmonique pourrait-il se déterminer sinon comme une simple contingence, un simple hasard? D'autre part, elle est le produit d'un concours entre les multiples, d'où naît cette connexion, cette harmonie visible, composée d'éléments différents. Cette harmonie visible coïncide avec la direction, avec le sens de la dispute". L'accord, en somme, naît de la discorde. L'harmonie est, pour citer à nouveau Cacciari, "l'âme insaisissable, la psyché de la contention, le "coup de foudre" qui guide tous ses mouvements". C'est la particularité, la Gestalt du mythe européen, un horizon culturel et géographique qui se définit, avant tout, en termes métaphysiques et anthropologiques. C'est ce que révèle son mythe fondateur, le viol d'Europe (épiphanie de la Mère) par Zeus (le dieu Père par excellence): ici, la hiérophanie solaire et ouranique se heurte à l'archétype féminin, dans une polarité de rencontre-choc où la médiation s'opère symboliquement dans la même figure de Zeus, qui, pour conquérir la fascinante Europe, doit devenir un taureau, une figure féconde et créatrice (virile-solaire) et en même temps tellurique-lunaire.
Sur les chemins d'un "nouvel humanisme", intégral, holistique, multidimensionnel, Eliade a ainsi élaboré une interprétation raffinée et inhabituelle du rapport entre mythe et réalité. Une herméneutique à matrice universelle, dont les lentilles interprétatives offrent des clés particulièrement fécondes pour comprendre et repenser l'identité européenne.
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dimanche, 27 décembre 2020
Eliade et Cioran : l’échange épistolaire sur la fin de l'Europe
Eliade et Cioran : l’échange épistolaire sur la fin de l'Europe
Par Andrea Scarabelli
Ex : https://blog.ilgiornale.it/scarabelli
Le 22 avril 1986, Mircea Eliade meurt à Chicago. Il avait perdu connaissance deux jours auparavant, abandonné dans sa chaise de lecture : il tenait dans ses mains un livre fraîchement imprimé, contenant un portrait de lui-même, aussi net que sacrément génial. Il s'agissait du livre Exercices d'admiration ; son auteur, Emil Cioran, il l’avait rencontré pour la première fois, de nombreuses années auparavant, autant dires plusieurs vies antérieures, en 1932 de l'autre côté de l'océan. L'"ontologue" Constantin Noica le lui avait présenté. De retour d'une conférence sur Tagore, Eliade était alors l'enfant prodige de la "jeune génération" qui s'était surtout rassemblée autour du "Socrate roumain" Nae Ionescu, chef spirituel d'un groupe d'intellectuels nés à l'aube du XXe siècle, dont beaucoup se sont ensuite répandus à travers l'Europe et le monde dans ce qui fut l'une des dernières diasporas modernes. L'une des plus fécondes, comme l'a souligné Adolfo Morganti il y a quelques années dans le numéro d'Antarès consacré à ce sujet. Elle a dispersé dans le monde entier des génies absolus tels que Cioran et Eliade mais aussi, notamment, Ioan Petru Culianu et Paul Celan, sans oublier Eugène Ionesco, Camilian Demetrescu et Vintilă Horia (selon qui, comme l'indique le titre de l'une de ses œuvres les plus célèbres, même Dieu est né en exil).
Entre les deux hommes, presque des contemporains, séparés par seulement quatre ans de vie, est née une amitié qui - entre les hauts et les bas de l’existence, comme cela arrive souvent aux hommes dotés de caractère et de profondeur spirituelle - a duré jusqu'à la fin des jours d'Eliade (Cioran le suivra en 1995). Un monument littéraire à cette relation de longue durée entre deux géants de l’esprit est Una segreta complicità (Adelphi), la première édition mondiale de la correspondance entre les deux exilés roumains, d'où émerge une incroyable complémentarité, mêlée d'antagonisme, souvent non exempte de virulente controverse, comme le rappellent les deux éditeurs, Massimo Carloni et Horia Corneliu Cicortaş, mais toujours sous la bannière d’une entente secrète que Cioran a témoigné à Eliade le jour de Noël 1935 :
"Bien que j'éprouve une sympathie infinie pour vous, je ressens parfois le désir de vous attaquer, sans argument, sans preuve, et sans idées. Chaque fois que j'ai eu l'occasion d'écrire quelque chose contre vous, mon affection s'est accrue. Envers tous les gens que j'aime, j'ai un sentiment si complexe, chaotique et ambigu, que le simple fait d'y penser me donne le vertige. Je suis peut-être le seul, parmi les amis que vous avez, à comprendre vos accès de colère, votre désir de supprimer la continuité de la vie".
C'est, après tout, l'expression vivante d'un personnage titanesque, qui survit non seulement dans la lutte, mais peut-être précisément grâce à la lutte, l'incarnation d'une vision tragique du cosmos, mais en même temps une force vitaliste et foudroyante (ceux qui croient que le sentiment tragique implique une conception sombre et pessimiste de l'existence devraient lire quelque passagers de l’oeuvre de Nietzsche).
Mais l'intérêt de cette correspondance n'est pas seulement biographique. En plus d'enregistrer les étapes et les bifurcations de deux vies exemplaires et paradigmatiques, la succession des lettres - surtout les toutes premières, plus intéressantes de ce point de vue - rend compte directement d'une civilisation à l'agonie, étouffée par la pression des événements, un kaléidoscope des tragédies du XXe siècle, un sinistre prélude à la catastrophe finale, qui retirera à jamais l'Ancien Monde de la liste des acteurs de l'Histoire du Monde. Eliade écrivit à Cioran ce qui suit en novembre 1935, depuis Bucarest:
"Ces dernières semaines, je n'ai fait que penser à la fin apocalyptique de notre époque. J'ai la conviction que tout va s'arrêter très bientôt, peut-être même dans trente, quarante ans ; l'art, la culture, la philosophie - tout ira en enfer. Tout ce qui concerne notre époque (Kali-yuga) va s'effondrer de manière apocalyptique. L'Europe est en train de craquer - de stupidité, d'orgueil, de luciférisme, de confusion. J'espère que la Roumanie n'appartient plus à ce continent qui a découvert les sciences profanes, la philosophie et l'égalité sociale".
Ceux qui naguère auraient défini ces mots comme des "prophéties noires" n'ont qu'à considérer l'état "culturel" actuel de notre civilisation. En comparaison, ces perspectives ne sont peut-être que trop édifiantes.
De même, la différence entre deux visions du monde opposées concernant l'Est et l'Ouest apparaît chez les deux hommes, Cioran cherchant pour ainsi dire à trouver un Est dans l'Ouest, et Eliade étant poussé à aller dans la direction opposée, sans toutefois se laisser aller à l'exotisme facile, tant à la mode à l’époque que maintenant. Il écrit à Cioran le 23 avril 1941 depuis Lisbonne, où il séjourne en tant qu'attaché de presse à la légation roumaine (le magnifique Journal portugais, publié en italien par Jaca Book, témoigne de son séjour en terres lusitaniennes) : "Vivant face à l'Atlantique, je me sens de plus en plus attiré par des géographies qui m'étaient autrefois insignifiantes. J'essaie de trouver mon salut en dehors de l'Europe. Vasco de Gama est toujours arrivé en Inde".
D'ailleurs, avant que son imagination ne revienne des rives ensoleillées de la Lusitanie, l'historien des religions avait été physiquement en Inde une décennie plus tôt. De 1928 à 1931, pour être précis, avant d'être diplômé en 1933 de l'université de Bucarest. Il avait retravaillé et élargi sa thèse de doctorat (dont la version originale a été récemment publiée par les Edizioni Mediterranee, éditée par Cicortaş) pour en faire le volume Yoga. Essai sur les origines du mysticisme indien, publié en 1936 et rapidement envoyé à Cioran, qui le commente comme suit : "En lisant votre Yoga, j'ai réalisé à quel point je suis européen. À chaque étape, j'ai comparé Nietzsche avec lui. Je me sens plus proche des derniers bolcheviks ou derniers hitlériens que de la technique de la méditation. Vos raisons de revenir d'Inde me lient à une vision politique de l'univers".
Leur relation épistolaire et humaine survivra à cette Europe dont ils avaient tous deux rédigé le rapport d’autopsie, vivant en ses derniers moments comme l’on vit la fin d'une saison, avec cette amère conscience qui transparaît d'une note du Journal portugais d'Eliade datant de novembre 1942 (un an après la lettre précitée) et écrite dans la ville espagnole d'Aranjuez avec ses mille palais et jardins caressés par le Tage : "Le palais rose. Les magnolias. A côté du palais, des groupes de statues en marbre. Vous pouvez entendre le bruit des eaux du Tage qui se déversent dans la cascade. Une promenade dans le parc du palais : de nombreuses feuilles sur le sol. L'automne est arrivé. Les rossignols. Le minuscule labyrinthe d'arbustes. Des bancs, des ronds-points. Nous sommes les derniers". J'aime à penser que dans cette lointaine année 1942, dans l'œil de la tempête, Eliade parlait implicitement de lui et de son vieil ami, à des centaines de kilomètres de là, mais partageant avec lui un destin bien plus élevé, que même la tragédie européenne qui a suivi n'a pas pu écraser.
A partir de 1945, pendant onze ans, ils vivent tous deux à Paris, puis Eliade s'installe aux Etats-Unis, où il reste jusqu'à la fin de ses jours, rencontrant Cioran en France pendant les vacances d'été. Ces "deux Roumains de la ‘jeune génération’, jetés par le destin en Occident" ne cesseront jamais de s'écrire, avec leur patrie tourmentée désormais loin derrière eux, dans une relation destinée à dépasser ce Minuit de l'Histoire qu'était le XXe siècle ("Tout est religieux, puisque l'histoire ne l'est pas" écrivait Cioran à Eliade en 1935, faisant inconsciemment écho au concept de terreur de l'histoire qu'Eliade développerait dans ses écrits, l'idée qu'en dehors de la sphère du sacré, l'histoire s'épuise dans un ensemble d'abattoirs).
Leur relation n'a cessé de se poursuivre, au-delà de l'histoire, au-delà de la douleur: en découvrant le portrait dessiné par son ami, il semble qu'Eliade, juste avant de fermer les yeux et de ne plus jamais les ouvrir, ait souri.
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lundi, 17 août 2020
Mircea Eliade: Illo Tempore, "Boicot de la historia", y Tradicionalismo campesino
Mircea Eliade: Illo Tempore, "Boicot de la historia", y Tradicionalismo campesino
Traducción de Juan Gabriel Caro Rivera
Para Mircea Eliade, el problema del tiempo es uno de los más importantes, si no es el más importante. La división del tiempo en sagrado y profano, el concepto de "Eterno Retorno" y "el horror de la historia" son quizás los primeros conceptos que se me ocurren al mencionar el nombre del gran historiador de las religiones. Y todos ellos están de alguna manera relacionados con el problema del tiempo.
El terror de la historia
En su famosa obra "El mito del retorno eterno", Eliade observa cómo, en los rituales que imitan los actos ejemplares de un dios o un héroe mítico, en la historia de un mito, un hombre de una sociedad arcaica es arrancado del tiempo profano y mágicamente vuelve a entrar en el Gran Tiempo, Illo Tempore, "el tiempo que es", el tiempo sagrado, el tiempo original, es lo más cercano posible de la eternidad.
La conexión de una persona con este tiempo primordial causa un "horror de la historia": una persona tradicional trata de evitar la secuencia lineal de los eventos (que Eliade ve como vacía y sin contenido) y trata de regresar al tiempo primordial.
El Eterno Retorno no es solo la vida en los ciclos cósmicos. Este es precisamente el deseo del hombre de volver al "tiempo": el tiempo radial del alma, que pasa a través de los anillos del tiempo y se dirige hacia la imagen de la Eternidad.
Podemos decir que la existencia del hombre en el mundo según Eliade siempre fluctúa entre dos polos: la historia y el tiempo original del mito.
Además, por "historia", Eliade no se refiere al tiempo dirigido hacia un objetivo determinado, por ejemplo, escatológico, sino a la comprensión del tiempo como "una cadena de eventos inevitables, imprevistos y que tienen su propio valor autónomo".
La escatología presupone la abolición de la historia, y el cristianismo contiene la oportunidad de ingresar al illo tempore en este momento a través de la metanoia, "la historia puede actualizarse, por la influencia de cada creyente y por medio de él, incluso antes de la Segunda Venida del Salvador, cuando ésta y toda la creación serán completamente destruidas".
Una "historia" pura como duración pura aparece solo con la abolición de Dios en la estructura de la cosmovisión del hombre de los Nuevos Tiempos.
Para Eliade, el "tiempo lineal de la historia" es lo que priva a una persona de la libertad. Esta vez como una acumulación constante de experiencias, eventos, estructuras históricas, privados de la posibilidad de restablecer, de corregir los errores, a través de un retorno al tiempo sagrado arquetípico, que aplasta y encadena a una persona.
“Por el contrario, cuanto más se vuelve moderno en otras palabras, sin protección contra el horror de la historia, menos posibilidades tiene de crear la historia. Porque esta historia se hace sola (gracias a esos eventos que surgieron de actos hechos en el pasado, hace varios siglos o incluso hace varios milenios: solo mencionaremos las consecuencias del descubrimiento de los cultivos agrícolas o los métodos de procesamiento de los metales, la revolución industrial del siglo XVIII, etc. .), o lo hecho por un número cada vez más limitado de personas que no solo prohíben que sus contemporáneos interfieran directa o indirectamente en la historia creada por ellos (o por él), pero, además, tienen amplias oportunidades para hacer que cada individuo sufra las consecuencias de esta historia, es decir, vivir con un miedo constante y creciente. La libertad de crear la historia de la que el hombre moderno está tan orgulloso es realmente ilusoria para casi toda la raza humana", dice Eliade en El mito del retorno eterno. "El hombre arcaico, aunque comete errores, pero a través de la posibilidad de referirse al tiempo original", conserva la libertad de destruir tales errores, abolir el recuerdo de su "caída en la historia y hacer un nuevo intento de salir finalmente del tiempo".
Noaptea de Sanziene
La lucha con el tiempo, la nostalgia por el Paraíso y la oposición del Cosmos y la Historia son importantes no solo para el trabajo científico, sino también para el trabajo artístico de Eliade.
En este sentido, se puede destacar la novela "Noaptea de Sânziene". El nombre se refiere a un festival folklórico en honor de una determinada categoría de hadas, Sinzien (en singular). En sus trabajos científicos, Eliade mismo señaló que el nombre de Sinzien, posiblemente proviene de San(cta) Diana y el culto de Diana en Dacia, que puede haber estado entrelazado con el culto local de la diosa Bendis, Ileana Cosânzeana, la heroína de los cuentos rumanos, una hechicera con ciertos rasgos ctónicos, la novia del personaje principal, secuestrada por una serpiente y liberada por el personaje principal, pertenece al mismo círculo de imágenes.
Otra figura folclórica con un nombre similar, Iana Sânziana, el mes femenino, la hermana del sol, quien, sin embargo, escapa del incesto y se casa con esta luminaria celestial. Aquí vemos otra encarnación astral del mismo aspecto de la feminidad.
Noaptea de Sânziene se celebra la noche del 23 al 24 de junio. Según la creencia popular, esa noche "las puertas del cielo se abren" y el otro mundo entra en contacto con este mundo. En este momento, los animales también pueden hablar y se cree que cualquiera que los escuche puede aprender muchos secretos. En general, en otros aspectos (las hogueras, saltar sobre una hoguera), estas fiestas son similares a las de Ivan Kupalo o a Ligo del Báltico y otras fiestas del solsticio similares.
El protagonista: Stefan Viziru durante toda la acción está obsesionado con el problema del tiempo, más precisamente, el problema de abandonar el tiempo. La vida del héroe estuvo marcada por dos estados paradisíacos: una habitación a la que tuvo acceso cuando era niño y una reunión de la bella Ilena en el bosque en las afueras de Bucarest en Noapte de Zanziene (23-24 de junio).
La reunión en la noche cuando las puertas del cielo están abiertas devuelve a Stefan al conocimiento del "estado inicial", a la profunda experiencia de su propia existencia. Ileana, que no es una coincidencia llamada la novia arquetípica de los cuentos populares, se convierte en el símbolo del Conocimiento y la Vida. El anhelo de Ileana se convierte en el anhelo del paraíso perdido, en el momento de la salida del tiempo profano y la familiarización con lo sagrado.
Por cierto, aunque esto lleva lejos, Stefan en este momento está casado con una mujer llamada Joana. Un momento que solo se puede entender si se tiene conocimiento del contexto popular rumano.
En busca de una pista sobre la posibilidad de dejar el tiempo, Stefan se encuentra con un personaje llamado Anisius, un hombre que, después de haber tenido un accidente, repensó el tiempo y su posición en él.
"Este hombre reveló un gran secreto", susurró Stefan, inclinándose sobre la mesa. Aprendió a vivir. La vida, como un ser integral (total)". Esta vida se opone a la vida que viven los demás, donde ellos mismos no viven, sino que los tejidos, las glándulas y los reflejos son los que viven automáticamente.
Al describir a Anisius, el héroe y, al mismo tiempo, Eliade mismo, notan la tremenda majestuosidad y grandeza con que este hombre limpió los árboles del jardín de orugas.
“Estaba limpiando sus árboles de oruga. Lo observé y sentí su presencia en cada gesto. Frente al árbol, no estaba distraído por nada, no pensaba en otra cosa. Pero supuse que el árbol estaba completamente abierto para él. No era un objeto simple, uno de los miles como parece para la mayoría de las personas. El árbol que estaba limpiando le reveló en ese momento todo el universo, lo vio por completo".
La experiencia del trauma y la inmovilidad hizo que Anisius comprendiera el movimiento del tiempo. Y decide salir de la historia y pasar al tiempo cósmico, que es un paso hacia una salida completa del tiempo.
“Solo tiene en cuenta el tiempo cósmico: día y noche, salida de la luna y puesta del sol, las estaciones. Y este tiempo cósmico, me dijo, algún día será cancelado por él. Pero ahora necesita tiempo para encontrarse a sí mismo. Encontrarse, en el sentido metafísico de la palabra: llegar a conocerse como un ser integral. Y luego ya no se distrae de la experiencia de cada momento significativo de este tiempo cósmico".
Para una persona así, “la luna nueva o la luna en su conjunto, el equinoccio y el solsticio, los amaneceres y el crepúsculo no poseen, para nosotros, solo una función de calendario. Cada uno de ellos le abre un nuevo aspecto de todo el Cosmos ".
El principio central de tal existencia es "no aceptar ningún tiempo excepto el espacio-tiempo, no tomar, en primer lugar, el tiempo histórico, el momento en que, por ejemplo, se celebran elecciones, Hitler se arma, y en España hay una guerra civil". Entonces, la naturaleza, el mundo se convierte no solo en un lugar de descanso del espíritu, sino, por el contrario, "la clave de las primeras revelaciones metafísicas: el secreto de la muerte y la resurrección, la transición del no ser al ser".
Al mismo tiempo, este hombre, que regresó a una simple existencia campesina en la novela, también se nos revela como el Emperador que vive en el espacio de un cuento de hadas, el Emperador Anisius, quien está en comunión directa con Dios (por cierto, recuerda la característica del cristianismo cósmico, donde Cristo y los apóstoles vienen a la tierra y viven precisamente entre los campesinos). Sin embargo, Anisius y Stefan expresan dos puntos de vista sobre la posibilidad de salir del tiempo.
Anisius espera que al final del ciclo actual, la humanidad fundamentalmente equivocada sea reemplazada por una nueva que "no vive, como nosotros, en el tiempo histórico", sino solo en el instante, es decir, en la Eternidad ". Stefan cree que "una salida del tiempo es posible incluso en nuestro mundo histórico. La Eternidad siempre está disponible para nosotros. El Reino de Dios siempre es alcanzable ".
La salida de la historia
El rechazo de la historia por Eliade, la concentración específica en el momento de salir del tiempo en momentos de experiencia o colisión con lo sagrado, se explican de diferentes maneras. Incluso hay un punto de vista de que esto expresa nostalgia por la Patria, como un paraíso perdido, de un autor que ha vivido una parte importante de su vida en el exilio.
De hecho, existe una conexión específica con el contexto étnico, pero de una manera ligeramente diferente. Lo anti-temporal (es decir, la orientación predominantemente anti-histórica de Eliade) puede correlacionarse con la naturaleza anti-histórica fundamental de la cultura campesina rumana.
De hecho, tenemos un caso especial, el pueblo rumano se forma en una síntesis de dacios y colonos romanos, pueblos que viven en la dimensión del Estado y la gran historia.
Sin embargo, cuando, después de 271, las legiones y colonos romanos abandonan Dacia, pasan más de mil años hasta que aparecen los primeros Estados rumanos en la antigua Dacia. Durante más de mil años, los descendientes de los dacios y romanos parecen estar fuera de la historia.
Lucian Blaga señala que durante este período tiene lugar un evento fundamental para la cultura rumana: una desviación de la historia hacia la "existencia mental-orgánica" temporal. Señala algunas palabras rumanas cuya etimología refleja mejor este giro.
La palabra pământ significa tierra. Proviene del latín "pavimentum", un piso de piedra, una calle adoquinada. La palabra "bătrân", un anciano, proviene del latín veteranus. Sobre ambos casos en el idioma rumano, estas palabras perdieron su "importancia histórica", "urbana" y adquirieron un nuevo significado campesino.
El caso de la palabra "oaste" es especialmente indicativo - en el "ejército" rumano. "Oaste" viene del latín "hostis", que significa "enemigo". Esta palabra en sí refleja precisamente el horizonte de la existencia campesina, cuando el ejército y los militares son principalmente enemigos que vienen del exterior.
El campesino tradicionalista
El "boicot a la historia", que Blaga ve como la base de la existencia histórica del mundo campesino rumano, también es un componente importante de la visión del mundo de Eliade.
Lucian Blaga
Eliade, especialmente en su atracción hacia las mitologías arcaicas y "primitivas", no puede entenderse sin darse cuenta de su profunda solidaridad interna con la cosmovisión del campesino rumano. Por cierto, el concepto de cristianismo cósmico aparece en Eliade en el análisis de la "Mioritsa", una obra de especial importancia para Lucian Blaga.
Eliade llama al cristianismo cósmico la fe popular del cristianismo europeo, especialmente del campesinado del sudeste de Europa. Esto, en su opinión, no es una reliquia del paganismo, "no es una nueva forma de paganismo, ni un sincretismo del paganismo con el cristianismo. Es una creación religiosa completamente única, donde la escatología y la soteriología van hacia dimensiones cósmicas".
Como señala Eliade en su Aspectos del mundo: “El cristianismo cósmico en las zonas rurales está lleno de nostalgia por la naturaleza, santificado por la presencia de Jesús, nostalgia por el paraíso, el deseo de transformación de la naturaleza, prístino y primaveral, protegido de constantes agitaciones, conquistas, guerras, ruinas. Este es el "ideal" de los pueblos agrícolas, constantemente arruinado por las hordas guerreras de nómadas y explotado por varios "amos". “También es una forma de protesta pasiva contra la tragedia y la injusticia de la historia, contra el hecho de que el mal no aparece solo como resultado de la voluntad individual y la decisión individual, sino que resulta ser una estructura supra-personal del mundo histórico".
No hace mucho tiempo, en una conferencia en el seminario sobre la metafísica de la tercera casta y el campesinado, Alexander Guélievich planteó la cuestión del tradicionalismo de la tercera casta, señalando que Guénon puede correlacionarse con la primera casta sacerdotal y Evola con la segunda casta guerrera.
Eliade, por supuesto, no es del todo tradicionalista, en el sentido en que Guénon y Evola son tradicionalistas. Sin embargo, de los pensadores más cercanos a los tradicionalistas, es Eliade quien tiene una actitud más cercana a los representantes de la tercera casta.
Guénon se centra en la contemplación de los principios inmutables. Evola a la lucha heroica y la existencia militar intransigente. Eliade: en el espacio, lo opuesto a la historia, a la actualización ritual y al mantenimiento del equilibrio. Si Evola se enfocó estilísticamente en los ejemplos de las destrezas militares, entonces Eliade lo hizo en los rituales campesinos y arcaicos, de ahí la simpatía especial por el "cristianismo cósmico".
Su filosofía es menos trágica, porque Eliade está en todas partes tratando de leer los signos de lo sagrado oculto, no solo para exponer la crisis del mundo moderno, el cierre del huevo del mundo desde arriba, sino para ver la posibilidad de la revelación en las cosas más comunes. La hierofanía puede manifestarse en las cosas más comunes: este es el significado de la mayor parte de su obra literaria.
Al mismo tiempo, Eliade es sorprendentemente étnico, lo que tampoco puede entenderse sin referencia a su literatura. Eliade es historiador de las religiones y profesor estadounidense que escribe obras teóricas en inglés y francés. Eliade escribe solo en rumano principalmente sobre su patria, razón por la cual las traducciones a veces aparecen antes que los originales.
Se presta especial atención a los problemas de la relación de los sexos en la obra literaria, el equilibrio entre el hombre y la mujer, el peculiar simbolismo matrimonial de Eliade, claramente manifestado en su obra literaria, también se refiere al principio característico de la tercera función según Dumézil: la relación entre los sexos y "estar en la boda".
La figura de Anisius de Noapte de Sanziene, un "emperador" campesino que ve el paso del tiempo histórico al tiempo cósmico como un paso en el camino del tiempo a la Eternidad, es un hombre campesino separado del tradicionalismo. Así es como la figura de una persona separada se realiza en un contexto campesino, donde en el trabajo esa persona rompe con el mundo moderno y logra una visión de todo el cosmos en su conjunto.
Por otro lado, el final Noapte de Sanziene es indicativo: Stefan finalmente conoce a Ileana, la heroína con el nombre de una novia de cuentos de hadas rumanos en un bosque en las afueras de París, su reunión es coronada con la muerte en un accidente automovilístico. La muerte y el estar en la boda coinciden. Pero, como termina la novela de Eliade, este "último momento infinito será suficiente".
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mercredi, 17 février 2016
La doctrina eurasiática del sacrificio
La doctrina eurasiática del sacrificio
Claudio Mutti*
Ex: http://culturatransversal.wordpress.com
En los Comentarios a la leyenda del Maestro Manole, dedicados al tema del sacrificio en el que se inspira la leyenda rumana de Maestro Manole, Eliade muestra que tal tema está ampliamente difundido en las culturas del continente eurasiático. En una página de este estudio se indica como ejemplar la historia de una heroína que inspiró al autor la más hermosa de sus obras teatrales: Ifigenia (1).
“Ifigenia –escribe Eliade –es sacrificada para que pueda efectuarse la expedición contra Troya. Podríamos decir que Ifigenia adquiere un ‘cuerpo de gloria’ que es la propia guerra, la propia victoria; vive en esta expedición, del mismo modo que la mujer del Maestro Manole vive en el cuerpo de piedra y cal del monasterio” (2). El sacrificio de Ifigenia pertenece por tanto a la categoría de los sacrificios de construcción de los cuales encontramos testimonios de un lado al otro de Eurasia. “Las prácticas y las creencias referentes a los sacrificios de construcción –escribe de hecho el propio Eliade –se encuentran un poco por todas partes en Europa, pero en ninguna parte han dado lugar a una lectura popular comparable a la del Sureste” (3).
Por “Sureste” Eliade entiende la península balcánica, pero las tradiciones populares húngaras nos muestran que una leyenda idéntica a la del Maestro Manole está presente también en la cuenca carpática: la balada de székely de Kömives Kelemen, de hecho, se refiere a la construcción de la ciudadela de Déva, en Transilvania (4). Según Ladislao Bo’ka, “la variante székely es probablemente de origen griego, pero transmitida por los eslavos mediorientales” (5).
En todo caso, “el motivo de una construcción cuyo cumplimiento exige un sacrificio humano encuentra testimonios en Escandinavia, y entre los Fineses y los Estonios, entre los Rusos y los Ucranianos, entre los Germanos, en Francia, en Inglaterra, en España (…) El descubrimiento de esqueletos en los fundamentos de los santuarios y de los edificios del Oriente Próximo antiguo, en la Italia prehistórica y en otros lugares, pone fuera de duda la realidad de tales sacrificios” (6).
Pero entre los hermanos espirituales de la Ifigenia de Eliade no está sólo Maestro Manole: está también el pastorcillo de la balada popular rumana de Mioriţa [La ovejita]. Es algo que hace observar oportunamente Mircea Handoca, que indica que “la visión de conjunto, los valores y los significados que el escritor atribuye al mito [se sitúan] en un espacio espiritual y miorítico” (7) y llama la atención sobre estas palabras de Ifigenia: “¡He aquí cómo caen los astros en mis nupcias! El murmullo de las aguas, el susurro de los abetos, el gemido de la soledad: ¡todas las cosas son como las he conocido!”. En efecto, el tema de la muerte como casamiento es dominante en las últimas palabras de Ifigenia: “Recordad –dice la heroína de Eliade a Agamenón – es una tarde de nupcias. Ahora, de un momento a otro, seré esposa… ¿Por qué todos han callado y no se oyen ya los cantos serenos de las vírgenes? […]Pero, ¿por qué no se oyen ya cantos de boda? ¿Por qué los invitados no enlazan guirnaldas de flores de colores encendidos y la esposa se ha quedado con el vestido negro del día? […] ¡Traedme el velo de esposa!” Son palabras esencialmente análogas a las del pastorcillo de Mioriţa: “Diles sólo –que me he casado –con una reina –la esposa del mundo; -que en mi boda –ha caído una estrella”. Estudiando la balada de la Ovejita vidente, Eliade dirá que “la muerte asimilada a un matrimonio es [un motivo folclórico] arcaico y hunde sus raíces en la prehistoria” (8).
El tema del sacrificio generador de victoria estaba ya claramente presente en la Ifigenia de Eurípides. “Yo –dice la protagonista de la tragedia en cuestión – vengo a dar a los Griegos una salvación que aportará la victoria. Llevadme, yo soy la que expugnará la ciudad de Ilio y de los Frigios” (9). Por tanto, no le falta razón a François Jouan cuando ha equiparado la “devotio” (10) de los Romanos al sacrificio de la heroína de Eurípides. Devotio, como se sabe, era en la religión romana la forma particular de votum según la cual el general se inmolaba a sí mismo con el fin de conseguir la victoria en el combate. “Fuerza y victoria” (vim victoriamque) pide a los dioses el cónsul Decio Mure, al mismo tiempo ofreciente y víctima sacrificial (11). Esta concepción del autosacrificio que libera la fuerza y produce la victoria tiene ecos en Racine, que hace decir a su Ifigenia: “La sentencia del destino quiere que vuestra felicidad sea fruto de mi muerte. Pensad, señor, pensad en los sembrados de gloria que la Victoria ofrece a vuestras manos valerosas. Ese campo glorioso, al cual todos vosotros aspiráis, si mi sangre no lo riega, es estéril para vosotros[…] Ya Príamo palidece; ya Troya alarmada teme mi fuego” (12).
En las leyendas referentes a los rituales de construcciones y en las creaciones artísticas inspiradas por el mito de Ifigenia circula por tanto una misma concepción: la que un famoso folclorista ha resumido en estos términos: “El padre (en el caso de Ifigenia) o el marido (en los cantos populares), ofreciendo a la hija o a la mujer, se ofrecen a sí mismos, de ahí que esa sustitución une en el ámbito humano y divino al sacrificante y a la víctima” (13). Pero también este concepto, en definitiva, había ya sido expresado por las Escrituras hindúes: “La víctima (pashu) es sustancialmente (nidânêna) el sacrificante mismo” (14).
1. M. Eliade, Ifigenia (traducción y ensayo de introducción de C. Mutti), Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2010.
2. M. Eliade, Commenti alla leggenda di Mastro Manole, en: M. Eliade, I riti del costruire, Jaca Book, Milán 1990, p. 90. Cfr. M. Eliade, Mastro Manole e il Monastero d’Arges, en Da Zalmoxis a Gengis-Khan, Ubaldini, Roma 1975, pp. 146-168.
3. M. Eliade, Struttura e funzioni dei miti, en Spezzare il tetto della casa, Jaca Book, Milán 1988, p. 74. Para la amplia literatura referente a este tema, véase G. Cocchiara, Il ponte di Arta, en Il paese di Cuccagna, Einaudi, Turín 1956, pp. 84-125. Dado que ni Cocchiara ni Eliade hacen mención de la leyenda ligada a la construcción de los juros de Kazan’ (República Autónoma Tátara), que de 1239 a 1552 fue capital del Canato tártaro, permítaseme remitir a la traducción de la respectiva balada mordovina, en: C. Mutti, Kantele e krez. Antologia del folklore uralico, Arthos, Carmagnola 1979, pp. 60-63.
4. C. Mutti, Canti e ballate popolari ungheresi, Quaderni italo-ungheresi, Parma 1972, pp. 95-104.
5. L. Bóka, Ballate popolari transilvane, “Corvina”, Budapest, octubre 1940.
6. M. Eliade, Struttura e funzioni dei miti, cit., p. 75.
7. M. Handoca, Mitul jertfei creatoare, [Il mito del sacrificio creatore], “Manuscriptum” (Bucarest), a. V, n. 1 (1974).
8. M. Eliade, La pecorella veggente, en Da Zalmoxis a Gengis-Khan, cit., p. 208.
9. “soterìan Héllesi dòsous’ érchomai nikefòron. Ágeté moi tàn Ilìou kaì Frygôn heléptolin” (Iphig. Aulid., 1473-1476).
10. F. Jouan, Notes complémentaires, en: Euripide, Iphigénie à Aulis, Les Belles Lettres, París 1983, p. 152.
11. T. Livio, Ab Urbe condita, VIII, 9.
12. “Et les arrêts du sort – Veulent que ce bonheur soit un fruit de ma mort. – Songez, Seigneur, songez à ces moissons de gloire – Qu’à vos vaillantes mains présente la Victoire. – Ce champ si glorieux, où vous aspirez tous, – Si mon sang ne l’arrose, est stérile pour vous. […] Déjà Priam pâlit. Déjà Troie en alarmes – Redoute mon bûcher” (J. Racine, Iphigénie, 1535-1540, 1549-1550).
13. G. Cocchiara, Il paese di Cuccagna, Einaudi, Turín 1956, p. 120.
14. Aitareya Brahmana, II, 11.
*Claudio Mutti es licenciado en Filologia Finohúngara por la Universidad de Bolonia. Se ha ocupado del área cárpato-danubiana desde un perfil histórico (A oriente di Roma e di Berlino, Effepi, Genova 2003), etnográfico (Storie e leggende della Transilvania, Oscar Mondadori, Milano 1997) y cultural (Le penne dell’Arcangelo. Intellettuali e Guardia di Ferro, Società Editrice Barbarossa, Milano 1994; Eliade, Vâlsan, Geticus e gli altri. La fortuna di Guénon tra i Romeni, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 1999). Entre sus últimas publicaciones están Gentes. Popoli, territori, miti, (Effepi, Genova 2010), L’unità dell’Eurasia (Effepi, Genova 2008), Imperium. Epifanie dell’idea di Impero (Effepi, Genova 2005).
Traducido por Javier Estrada
Fuente: Revista Eurasia
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lundi, 23 mars 2015
Mircea Eliade et la Redécouverte du Sacré (1987)
Mircea Eliade et la Redécouverte du Sacré (1987)
Évocation de la pensée de Mircea ELIADE (1905-1986) à travers son œuvre, avec des textes sur ses conceptions, dits par Pierre VANECK.
- Interview de Mircea ELIADE sur le sens du sacré chez l'homme, sa découverte des cultures primitives, sa passion pour les religions, la valeur sacramentaire dans tout acte chez l'être humain, le sacré qui se trouve dans le rite, la pensée symbolique, la mythologie de l'homme. Il aborde ensuite la crise de l'homme moderne avec la désacralisation du cosmos, la pensée théologique occidentale dérivée, il dit son optimisme malgré tout car il croit en une nouvelle génération de créativité culturelle.
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vendredi, 13 mars 2015
Unité spirituelle et multipolarité planétaire
Unité spirituelle et multipolarité planétaire
par Georges FELTIN-TRACOL
Le penseur français René Guénon (1886 – 1957) ne suscite que très rarement l’intérêt de l’université hexagonale. On doit par conséquent se réjouir de la sortie de René Guénon. Une politique de l’esprit par David Bisson. À l’origine travail universitaire, cet ouvrage a été entièrement retravaillé par l’auteur pour des raisons d’attraction éditoriale évidente. C’est une belle réussite aidée par une prose limpide et captivante.
René Guénon est le théoricien de la Tradition primordiale. de santé fragile et élevé dans un milieu catholique bourgeois de province à Blois, il fréquente tôt les milieux férus d’ésotérisme et y acquiert une somme de savoirs plus ou moins hétéroclites tout en développant une méfiance tenace à l’égard de certains courants occultistes tels le théosophisme et le spiritisme. Côtoyant tour à tour catholiques, gnostiques et francs-maçons, René Guénon édifie une œuvre qui couvre aussi bien la franc-maçonnerie que le catholicisme traditionnel et l’islam.
En effet, dès 1911, René Guénon passe à cette dernière religion et prend le nom arabe d’Abdul Waha-Yaha, « le Serviteur de l’Unique ». Puis, en 1931, il s’installe définitivement au Caire d’où il deviendra, outre une référence spirituelle pour des Européens, un cheikh réputé. David Bisson explique les motifs de cette implication orientale. Guénon est réputé pour sa fine connaissance des doctrines hindoues. La logique aurait voulu qu’il s’installât en Inde et/ou qu’il acceptât l’hindouisme. En quête d’une initiation valide et après avoir frayé avec le gnosticisme et la franc-maçonnerie, l’islam lui paraît la solution la plus sérieuse. Même s’il demande aux Européens de retrouver la voie de la Tradition via l’Église catholique, ses propos en privé incitent au contraire à embrasser la foi musulmane.
Réception de la pensée de Guénon
Les écrits de René Guénon attirent les Occidentaux qui apprécient leur enseignement clair, rigoureux et méthodique. David Bisson n’a pas que rédigé la biographie intellectuelle de l’auteur de La Crise du monde moderne. Il mentionne aussi son influence auprès de ses contemporains ainsi que son abondante postérité métaphysique. La revue Le Voile d’Isis – qui prendra ensuite pour titre Études Traditionnelles – publie avec régularité les articles du « Maître » qui « constituent […] une sorte de guide grâce auquel les lecteurs peuvent s’orienter dans le foisonnement des traditions ésotériques en évitant les contrefaçons spirituelles (théosophisme, occultisme, etc.) (p. 146) ». Guénon se montre attentif à examiner à l’aune de la Tradition le soufisme, l’hindouisme, le taoïsme, le confucianisme, etc., « ce qui permet […] d’évaluer le caractère régulier de telle ou telle branche religieuse. Ainsi, la doctrine tantrique est-elle déclarée conforme et, donc, “ orthodoxe ” au regard des principes posés par la Tradition. De même, la kabbale est considérée comme le véritable ésotérisme de la religion juive et remonte, à travers les signes et symboles de la langue hébraïque, jusqu’à la source de la tradition primordiale (p. 147) ». Il élabore ainsi une véritable « contre-Encyclopédie » spiritualiste et prévient des risques permanentes de cette « contrefaçon traditionnelle » qu’est la contre-initiation.
C’est dans ce corpus métaphysique que puisent les nombreux héritiers, directs ou putatifs, de René Guénon. David Bisson les évoque sans en omettre les divergences avec le maître ou entre eux. Il consacre ainsi de plusieurs pages à l’influence guénonienne sur l’islamologue du chiisme iranien et traducteur de Heidegger, Henry Corbin, sur le sociologue des imaginaires, Gilbert Durand, sur le rénovateur néo-gnostique Raymond Abellio et sur les ébauches maladroites – souvent tendancieuses – de vulgarisation conduites par le duo Louis Pauwels – Jacques Bergier. David Bisson s’attache aussi à quelques cas particuliers comme le Roumain Mircea Eliade.
Au cours de l’Entre-deux-guerres, le futur historien des religions affine sa propre vision du monde. Alimentant sa réflexion d’une immense curiosité pluridisciplinaire, il a lu – impressionné – les écrits de Guénon. D’abord rétif à tout militantisme politique, Eliade se résout sous la pression de ses amis et de son épouse à participer au mouvement politico-mystique de Corneliu Codreanu. Il y devient alors une des principales figures intellectuelles et y rencontre un nommé Cioran. Au sein de cet ordre politico-mystique, Eliade propose un « nationalisme archaïque (p. 252) » qui assigne à la Roumanie une vocation exceptionnelle. Son engagement dans la Garde de Fer ne l’empêche pas de mener une carrière de diplomate qui se déroule en Grande-Bretagne, au Portugal et en Allemagne. Son attrait pour les « mentalités primitives » et les sociétés traditionnelles pendant la Seconde Guerre mondiale s’accroît si bien qu’exilé en France après 1945, il jette les premières bases de l’histoire des religions qui le feront bientôt devenir l’universitaire célèbre de Chicago. Si Eliade s’éloigne de Guénon et ne le cite jamais, David Bisson signale cependant qu’il lui expédie ses premiers ouvrages. En retour, ils font l’objet de comptes-rendus précis. Bisson peint finalement le portrait d’un Mircea Eliade louvoyant, désireux de faire connaître et de pérenniser son œuvre.
Le syncrétisme ésotérique de Schuon
Contrairement à Eliade, la référence à Guénon est ouvertement revendiquée par Frithjof Schuon. Ce Français né en Suisse d’un père allemand et d’une mère alsacienne se convertit à l’islam et adopte le nom d’Aïssa Nour ed-Din. En Algérie, il intègre la tarîqa (confrérie initiatique) du cheikh al-Alawî. Instruit dans le soufisme, Schuon devient vite le cheikh d’une nouvelle confrérie. Dans sa formation intellectuelle, Guénon « apparaît comme un “ maître de doctrine ” (p. 160) ». On a très tôt l’impression que « ce que Guénon a exposé de façon théorique, Schuon le décline de façon pratique (p. 162) ».
En étroite correspondance épistolaire avec Guénon, Schuon devient son « fils spirituel ». cela lui permet de recruter de nouveaux membres pour sa confrérie soufie qu’il développe en Europe. D’abord favorable à son islamisation, Schuon devient ensuite plus nuancé, « la forme islamique ne contrevenant, en aucune manière, à la dimension chrétienne de l’Europe. Il essaiera même de fondre les deux perspectives dans une approche universaliste dont l’ésotérisme sera le vecteur (p. 172) ». Cette démarche syncrétiste s’appuie dès l’origine sur son nom musulman signifiant « Jésus, Lumière de la Tradition».
Frithjof Schuon défend une sorte d’« islamo-christianisme ». Cette évolution se fait avec prudence, ce qui n’empêche pas parfois des tensions avec l’homme du Caire. Construite sur des « révélations » personnelles a priori mystiques, la méthode de Schuon emprunte « à plusieurs sources. Principalement fondée sur la pratique soufie, elle est irriguée de références à d’autres religions (christianisme, hindouisme, bouddhisme, etc.) et donne ainsi l’impression d’une mise en abîme de l’ésotérisme compris dans son universalité constitutive (p. 203) ». En 1948, dans un texte paru dans Études Traditionnelles, Schuon, désormais fin ecclésiologue, explique que le baptême et les autres sacrements chrétiens sont des initiations valables sans que les chrétiens soient conscients de cette potentialité. Cette thèse qui contredit le discours guénonien, provoque sa mise à l’écart. Dans les décennies suivants, il confirmera son tournant universaliste en faisant adopter par sa tarîqa la figure de la Vierge Marie, en s’expatriant aux États-Unis et en intégrant dans les rites islamo-chrétiens des apports chamaniques amérindiens.
Avec René Guénon, Frithjof Schuon et leurs disciples respectifs, on peut estimer que « la pensée de la Tradition semble de façon irrémédiable se conjuguer avec la pratique soufie (p. 175) ». Or, à l’opposé de la voie schuonienne et un temps assez proche de la conception de Mircea Eliade existe en parallèle la vision traditionnelle de l’Italien Julius Evola, présenté comme « le “ fils illégitime ” de la Tradition (p. 220) » tant il est vrai que sa personnalité détonne dans les milieux traditionalistes.
Ayant influencé le jeune Eliade polyglotte et en correspondance fréquente avec Guénon, Evola concilie à travers son équation personnelle la connaissance ésotérique de la Tradition et la pensée nietzschéenne. De sensibilité notoirement guerrière (ou activiste), Julius Evola se méfie toutefois des références spirituelles orientales, ne souhaite pas se convertir à l’islam et, contempteur féroce des monothéismes, préfère redécouvrir la tradition spécifique européenne qu’il nomme « aryo-romaine ». Tant Eliade qu’Evola reprennent dans leurs travaux « la définition que Guénon donne du folklore : ce n’est pas seulement une création populaire, mais aussi un réservoir d’anciennes connaissances ésotériques, le creuset d’une mémoire collective bien vivante (p. 269) ». Mais, à la différence du jeune Roumain ou du Cairote, Evola n’hésite pas à s’occuper de politique et d’événements du quotidien (musiques pop-rock, ski…). Quelque peu réticent envers le fascisme officiel, il en souhaite un autre plus aristocratique, espère dans une rectification du national-socialisme allemand, considère les S.S. comme l’esquisse d’un Ordre mystico-politique et collabore parfois aux titres officiels du régime italien en signant des articles polémiques.
Tradition et géopolitique
Tout au cours de sa vie, Julius Evola verse dans la politique alors que « Guénon n’a cessé de mettre en garde ses lecteurs contre les “ tentations ” de l’engagement politique (p. 219) ». Les prises de position évoliennes disqualifient leur auteur auprès des fidèles guénoniens qui y voient une tentative de subversion moderne de la Tradition… De ce fait, « la plupart des disciples de Guénon ne connaissent pas les ouvrages du penseur italien et, lorsqu’ils les connaissent, cherchent à en minorer la portée (p. 220) ». Néanmoins, entre la réponse musulmane soufie défendue par Guénon et la démarche universaliste de Schuon, la voie évolienne devient pour des Européens soucieux de préserver leur propre identité spirituelle propre l’unique solution digne d’être appliquée. Ce constat ne dénie en rien les mérites de René Guénon dont la réception est parfois inattendue. Ainsi retrouve-t-on sa riche pensée en Russie en la personne du penseur néo-eurasiste russe Alexandre Douguine.
Grande figure intellectuelle en Russie, Alexandre Douguine écrit beaucoup, manifestant par là un activisme métapolitique débordant et prolifique. Depuis quelques années, les Éditions Ars Magna offrent au public francophone des traductions du néo-eurasiste russe. Dans l’un de ses derniers titres traduits, Pour une théorie du monde multipolaire, Alexandre Douguine mentionne Orient et Occident et La Grande Triade de Guénon. Il y voit un « élément, propre à organiser la diplomatie inter-civilisationnel dans des circonstances de ce monde multipolaire, [qui] réside dans la philosophie traditionaliste (p. 183) ».
Pour une théorie du monde multipolaire est un livre didactique qui expose la vision douguinienne de la multipolarité. Il débute par l’énoncé de la multipolarité avant de passer en revue les principales théories des relations internationales (les écoles réalistes, le libéralisme, les marxismes, les post-positivismes avec des courants originaux tels que la « théorie critique », le post-modernisme, le constructivisme, le féminisme, la « sociologie historique » et le normativisme). Il conclut qu’aucun de ces courants ne défend un système international multipolaire qui prend acte de la fin de l’État-nation.
Mais qu’est-ce que la multipolarité ? Pour Alexandre Douguine, ce phénomène « procède d’un constat : l’inégalité fondamentale entre les États-nations dans le monde moderne, que chacun peut observer empiriquement. En outre, structurellement, cette inégalité est telle que les puissances de deuxième ou de troisième rang ne sont pas en mesure de défendre leur souveraineté face à un défi de la puissance hégémonique, quelle que soit l’alliance de circonstance que l’on envisage. Ce qui signifie que cette souveraineté est aujourd’hui une fiction juridique (pp. 8 – 9) ». « La multipolarité sous-tend seulement l’affirmation que, dans le processus actuel de mondialisation, le centre incontesté, le noyau du monde moderne (les États-Unis, l’Europe et plus largement le monde occidental) est confronté à de nouveaux concurrents, certains pouvant être prospères voire émerger comme puissances régionales et blocs de pouvoir. On pourrait définir ces derniers comme des “ puissances de second rang ”. En comparant les potentiels respectifs des États-Unis et de l’Europe, d’une part, et ceux des nouvelles puissances montantes (la Chine, l’Inde, la Russie, l’Amérique latine, etc.), d’autre part, de plus en plus nombreux sont ceux qui sont convaincus que la supériorité traditionnelle de l’Occident est toute relative, et qu’il y a lieu de s’interroger sur la logique des processus qui déterminent l’architecture globale des forces à l’échelle planétaire – politique, économie, énergie, démographie, culture, etc. (p. 5) ». Elle « implique l’existence de centres de prise de décision à un niveau relativement élevé (sans toutefois en arriver au cas extrême d’un centre unique, comme c’est aujourd’hui le cas dans les conditions du monde unipolaire). Le système multipolaire postule également la préservation et le renforcement des particularités culturelles de chaque civilisation, ces dernières ne devant pas se dissoudre dans une multiplicité cosmopolite unique (p. 17) ». Le philosophe russe s’inspire de certaines thèses de l’universitaire réaliste étatsunien, Samuel Huntington. Tout en déplorant les visées atlantistes et occidentalistes, l’eurasiste russe salue l’« intuition de Huntington qui, en passant des États-nations aux civilisations, induit un changement qualitatif dans la définition de l’identité des acteurs du nouvel ordre mondial (p. 96) ».
Au-delà des États, les civilisations !
Alexandre Douguine conçoit les relations internationales sur la notion de civilisation mise en évidence dans un vrai sens identitaire. « L’approche civilisationnelle multipolaire, écrit-il, suppose qu’il existe une unicité absolue de chaque civilisation, et qu’il est impossible de trouver un dénominateur commun entre elles. C’est l’essence même de la multipolarité comme pluriversum (p. 124). » L’influence guénonienne – entre autre – y est notable, tout particulièrement dans cet essai. En effet, Alexandre Douguine dessine « le cadre d’une théorie multipolaire de la paix, qui découpe le monde en plusieurs zones de paix, toujours fondées sur un principe particulier civilisationnel. Ainsi, nous obtenons : Pax Atlantide (composée de la Pax Americana et la Pax Europea), Pax Eurasiatica, Pax Islamica, Pax Sinica, Pax Hindica, Pax Nipponica, Pax Latina, et de façon plus abstraite : Pax Buddhistica et Pax Africana. Ces zones de paix civilisationnelle (caractérisées par une absence de guerre) ainsi qu’une sécurité globale, peuvent être considérées comme les concepts de base du pacifisme multipolaire (p. 130) ».
Les civilisations deviennent dès lors les nouveaux acteurs de la scène diplomatique mondiale au-dessus des États nationaux. Cette évolution renforce leur caractère culturel, car, « selon la théorie du monde multipolaire, la communauté de culture est une condition nécessaire pour une intégration réussie dans le “ grand espace ” et, par conséquent, pour la création de pôles au sein du monde multipolaire (p. 127) ». Mais il ne faut pas assimiler les « pôles continentaux » à des super-États naissants. « Dans la civilisation, l’interdépendance des groupes et des couches sociales constituent un jeu complexe d’identités multiples, qui se chevauchent, divergent ou convergent selon les articulations nouvelles. Le code général des civilisations (par exemple, la religion) fixe les conditions – cadres, mais à l’intérieur de ces limites, il peut exister un certain degré de variabilité. Une partie de l’identité peut être fondée sur la tradition, mais une autre peut représenter des constructions innovantes parce que dans la théorie du monde multipolaire, les civilisations sont considérées comme des organismes historiques vivants, immergés dans un processus de transformation constante (p. 131). » Par conséquent, « dans le cadre multipolaire, […] l’humanité est recombinée et regroupée sur une base holistique, que l’on peut désigner sous le vocable d’identité collective (p. 159) ». Ces propos sont véritablement révolutionnaires parce que fondateurs.
Piochant dans toutes les écoles théoriques existantes, le choix multipolaire de Douguine n’est au fond que l’application à un domaine particulier – la géopolitique – de ce qu’il nomme la « Quatrième théorie politique ». Titre d’un ouvrage essentiel, cette nouvelle pensée politique prend acte de la victoire de la première théorie politique, le libéralisme, sur la deuxième, le communisme, et la troisième, le fascisme au sens très large, y compris le national-socialisme.
Cette quatrième théorie politique s’appuie sur le fait russe, sur sa spécificité historique et spirituelle, et s’oppose à la marche du monde vers un libéralisme mondialisé dominateur. Elle est « une alternative au post-libéralisme, non pas comme une position par rapport à une autre, mais comme idée opposée à la matière; comme un possible entrant en conflit avec le réel; comme un réel n’existant pas mais attaquant déjà le réel (p. 22) ». Elle provient d’une part d’un prélèvement des principales théories en place et d’autre part de leur dépassement.
Une théorie pour l’ère postmoderniste
Dans ce cadre conceptuel, le néo-eurasisme se présente comme la manifestation tangible de la quatrième théorie. Discutant là encore des thèses culturalistes du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, il dénie à la Russie tout caractère européen. Par sa situation géographique, son histoire et sa spiritualité, « la Russie constitue une civilisation à part entière (p. 167) ». Déjà dans son histoire, « la Russie – Eurasie (civilisation particulière) possédait tant ses propres valeurs distinctes que ses propres intérêts. Ces valeurs se rapportaient à la société traditionnelle avec une importance particulière de la foi orthodoxe et un messianisme russe spécifique (p. 146) ». Et quand il aborde la question des Russes issus du phylum slave – oriental, Alexandre Douguine définit son peuple comme le « peuple du vent et du feu, de l’odeur du foin et des nuits bleu sombre transpercées par les gouffres des étoiles, un peuple portant Dieu dans ses entrailles, tendre comme le pain et le lait, souple comme un magique et musculeux poisson de rivière lavé par les vagues (p. 302) ». C’est un peuple chtonien qui arpente le monde solide comme d’autres naviguent sur toutes les mers du globe. Son essence politique correspond donc à un idéal impérial, héritage cumulatif de Byzance, de l’Empire mongol des steppes et de l’internationalisme prolétarien.
Alexandre Douguine fait par conséquent un pari risqué et audacieux : il table sur de gigantesques bouleversements géopolitiques et/ou cataclysmiques qui effaceront les clivages d’hier et d’aujourd’hui pour de nouveaux, intenses et pertinents. Dès à présent, « la lutte contre la métamorphose postmoderniste du libéralisme en postmoderne et un globalisme doit être qualitativement autre, se fonder sur des principes nouveaux et proposer de nouvelles stratégies (p. 22) ».
Dans l’évolution politico-intellectuelle en cours, Douguine expose son inévitable conséquence géopolitique déjà évoquée dans Pour une théorie du monde multipolaire : l’idée d’empire ou de « grand espace ». Cette notion est désormais la seule capable de s’opposer à la mondialisation encouragée par le libéralisme et sa dernière manifestation en date, le mondialisme, et à son antithèse, l’éclatement nationalitaire ethno-régionaliste néo-libéral ou post-mondialiste. Dans cette optique, « l’eurasisme se positionne fermement non pas en faveur de l’universalisme, mais en faveur des “ grands espaces ”, non pas en faveur de l’impérialisme, mais pour les “ empires ”, non pas en faveur des intérêts d’un seul pays, mais en faveur des “ droits des peuples ” (p. 207) ».
L’auteur ne cache pas toute la sympathie qu’il éprouve pour l’empire au sens évolien/traditionnel du terme. « L’Empire est la société maximale, l’échelle maximale possible de l’Empire. L’Empire incarne la fusion entre le ciel et la terre, la combinaison des différences en une unité, différences qui s’intègrent dans une matrice stratégique commune. L’Empire est la plus haute forme de l’humanité, sa plus haute manifestation. Il n’est rien de plus humain que l’Empire (p. 111). » Il rappelle ensuite que « l’empire constitue une organisation politique territoriale qui combine à la fois une très forte centralisation stratégique (une verticale du pouvoir unique, un modèle centralisé de commandement des forces armées, la présence d’un code juridique civil commun à tous, un système unique de collecte des impôts, un système unique de communication, etc.) avec une large autonomie des formations sociopolitiques régionales, entrant dans la composition de l’empire (la présence d’éléments de droit ethno-confessionnel au niveau local, une composition plurinationale, un système largement développé d’auto-administration locale, la possibilité de cœxistence de différents modèles de pouvoir locaux, de la démocratie tribale aux principautés centralisées, voire aux royaumes) (pp. 210 – 211) ».
La démarche douguinienne tend à dépasser de manière anagogique le mondialisme, la Modernité et l’Occident afin de retrouver une pluralité civilisationnelle dynamique à rebours de l’image véhiculée par les relais du Système de l’homme sans racines, uniformisé et « globalitaire ». L’unité spirituelle des peuples envisagée par René Guénon et repris par ses disciples les plus zélés exige dans les faits une multipolarité d’acteurs politiques puissants.
Georges Feltin-Tracol
• Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique. La Russie et les idées politiques du XXIe siècle, avant-propos d’Alain Soral, Ars Magna, Nantes, 2012, 336, 30 €.
• Alexandre Douguine, Pour une théorie du monde multipolaire, Ars Magna, Nantes, 2013, 196 p., 20 €.
• David Bisson, René Guénon. Une politique de l’esprit, Pierre-Guillaume de Roux, Paris, 2013, 527 p., 29,90 €.
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lundi, 13 octobre 2014
MIRCEA ELIADE'S 'TRADITIONALISM': APPEARANCE AND REALITY
Relatively recently, certain academics with an interest in those who admit a perennial tradition and expound esoteric doctrines have profiled what they call the ‘traditionalist school’. In their characterization, some individuals have been assimilated wrongly to this category, most notably the famous scholar of ‘comparative religion’, Mircea Eliade. Others, who should be aware of the fundamental differences in outlook between Eliade and modern exponents of traditional metaphysics, have seen him as a sort of sympathetic ‘Trojan horse’ who would subtly alter the course of his field of study in academia, by way of a ‘phenomenological’ view of spirituality in human history, contrasted with the sterile, purely analytical outlook that predominates in the universities.
Eliade’s encounter with the works of René Guénon and Julius Evola certainly had a significant, or perhaps even a primary influence on his methods of research and ways of interpreting what he called ‘archaic’ systems, but, as he himself stated frankly in his journals, he always kept his distance and was apprehensive about endorsing the views of the latter.
It should be made clear that clarifying Eliade’s position is not necessarily a condemnation, as, obviously, one can accept some ideas of a given thinker without accepting all. However, given the importance and the rarity of the ideas of Guénon and Evola, and the incomprehension of some major ones displayed by Eliade, a firm appraisal is called for, since some are eager to assume an identity of substance in the thought of the former and the latter, where it is really only an appearance.
He states his position most directly in a journal entry on 11 November 1966:
What Guénon and the other ‘hermetists’ say of the tradition should not be understood on the level of historical reality (as they claim). These speculations constitute a universe of systematically articulated meanings: they are to be compared to a great poem or a novel. It is the same with Marxist or Freudian ‘explanations’: they are true if they are considered imaginary universes. The ‘proofs’ are few and uncertain – they correspond to the historical, social, psychological ‘realities’ of a novel or of a poem.
All these global and systematic interpretations, in reality, constitute mythological creations, highly useful for understanding the world; but they are not, as their authors think, ‘scientific explanations’. [1]
The classification of Guénon as a ‘hermetist’ is rather strange since, in his writings, he rarely discussed the hermetic doctrines. Since his main focus was metaphysics (a domain not subject to becoming), it is incorrect to classify him with a title pertaining to cosmological doctrines (which pertain to the domain of becoming). Comparing the formulations of Guénon and those similar in outlook to poems and novels is completely wrong: in poetic creations the subjective is primary, while in Guénon’s writings (as in those of Aristotle, Plotinus or Proclus) a precise objectivity is evident. As far as proofs, in this domain there cannot be empirical demonstration, only support by way of logic and analogy on one end, and identifying principles within oneself on the other. One either understands or does not. That this is a major obstacle for many is apparent. We assume the term ‘scientific explanations’ was not taken from Guénon or another’s writing, but used to imply erroneously that they would describe their interpretations as scientific; this is also an error since none of them would claim their interpretations could be explained scientifically.
We can assume this is Eliade’s basic view, since by 1966 his outlook was more or less fully developed, and since he shows similar opinions later on. This was also an opinion he had long held, as shown in an entry from 1947:
Only after you’ve studied Coomaraswamy’s writings in detail do you discover, suddenly, the poverty, the ‘elementarism’ [rom. primarism], of René Guénon’s œuvre. And the insufferable self-importance with which he hides, so often, his ignorance! [2]
We are not sure what he means here by ‘elementarism’, but perhaps it is Guénon’s focus on principial reality, which is the whole point of his works, contrasted with Ananda Coomaraswamy’s much greater emphasis on factual analysis and use of citations and academic sources. Although Coomaraswamy was indeed a (celebrated) academic, he was in agreement with nearly all of Guénon’s fundamental positions. If this is what Eliade means, it is simply another instance of his incomprehension of the primacy of metaphysics over confirming individual facts. We have found that Coomaraswamy’s writings do not reveal any significant ‘poverty’ in Guénon’s works, but instead complement them nicely.
Incomprehension of some major ideas is also apparent much later. In the early 1980s he writes: ‘Like René Guénon, Evola presumed a ‘primordial tradition’, in the existence of which I could not believe; I was suspicious of its artificial, ahistorical character’ [3]. To modern ears, the term ‘primordial tradition’ is likely to evoke visions of some perfect civilization in the sky, but first and foremost it is to be understood as atemporal (and thus, also, correctly described by Eliade as ahistorical) principles on which all genuinely traditional cultures are based. These principles are superior to, but are as immutable, in a similar manner, as the laws of logic or mathematics. To call them artificial is to demand that they be intelligible only as a particular, empirical example, and so displays, again, his incomprehension.
Worth quoting is his admission of a use for these authors:
I try once again, but I don’t succeed: Yeats’ ‘occultism’, over which so much fuss is made, doesn’t interest me. It’s cheap, ‘literary’, suspect – and, ultimately, uninteresting. Out of all the modern occultist authors whom I have read, only R. Guénon and J. Evola are worthy of being taken into consideration. I’m not discussing here to what extent their assertions are ‘true’. But what they write makes sense. [4]
And another, a response to a student of his interested in occultism: ‘. . . if one is truly attracted to hermetism, he ought to read the ‘authorized’, if not Cardanus, at least Coomaraswamy and René Guénon’ [5]. Clearly he still thought highly of some of their formulations, if only as comprehensible reference points for what is often and wrongly passed off as ‘esotericism’.
The critical attitude appears again in his dismissive appraisal of Evola’s intellectual autobiography. Eliade’s instinct to privilege academic authorities and those who have received wide acceptance is revealed clearly here:
I’m reading the intellectual autobiography of J. Evola, Il Cammino del mercurio [the title written is wrong: it is cinabro (cinnabar), not mercurio –ed.], with much melancholy. The chapter in which he presents and discusses the idealistic ‘university philosophy’, represented by Croce and Gentile: he speaks about his two theoretical volumes in which he supposedly destroyed those ‘professors,’ etc. etc. The naïveté (full of resentment) with which he situates himself in the history of contemporary thought – even though he states repeatedly that his volumes have not been reviewed and have not evoked any response . . .
There must be, indeed, several tons of printed paper in Italy alone on which the philosophy of Croce and Gentile has been discussed. Of what use, then, has Evola’s ‘radical criticism’ and ‘destruction’ been? And abroad, poor J. Evola is viewed as an ultra-fascist. The copy of the English translation of his book on Buddhism in Swift Library is disfigured with polemical annotations (written in indelible lead!): they say (even on the cover) that Evola is a fascist and a ‘racist’, that his theories about ‘Aryans’ were borrowed from A. Rosenberg, etc. I remember the brief, harsh review in Journal asiatique written by J. Filliozat in the same vein: J. E. is a racist, ultra-fascist, etc.
Evola tries to appear indifferent to such criticisms, although he prefers them to the ‘conspiracy of silence’ of which he claims he has suffered all his life. And yet, what a melancholic spectacle to see him talking about what he has done, how he has ‘destroyed’ and ‘surpassed’ everyone, even Nietzsche and Heidegger (whom he claims, moreover, to have anticipated . . .). [6]
Eliade does not admit that the soundness and truth of arguments are more important than how widely read, received and reviewed they are. The quantity of inferior and false ideas that are celebrated in the universities, then and now, is very high. Many are unable to comprehend, nevertheless, how curtly and effectively false ideas, however celebrated they are or however voluminously they are presented, can be dismissed. Of the mass of writings discussing the thought of Croce and Gentile, only Evola’s had looked at these philosophies from the traditional perspective, which is of use, simply, because it is the only one not subject to the movement of opinion and history. Mention of the idiotic slurs applied to him by those who have misunderstood his perspective are not relevant; if one does not take the time to adequately understand a given idea or formulation, his opinion does not matter. It is clear that Eliade is displaying a historicist prejudice; because his writings have been ignored (apparently, at least) and since no admission of the soundness of his criticisms has manifested visibly, the value of the writings in themselves, as formulations to be judged solely by their truth-value, is ignored, and Evola’s observation of this is considered a ‘spectacle’, the judgment of the history of ideas being obviously the decisive factor for Eliade. We might also add, like Eliade did when he compared Coomaraswamy and Guénon vis-à-vis other ‘occultists’ above, that, unlike Heidegger’s and much of Nietzsche’s writing, what Evola writes makes sense.
Despite praise of some aspects of his work, on at least one occasion he engaged in rather irresponsible gossip about Evola. In 1958, in a letter to the poet and former Iron Guard member Vasile Posteucă, regarding a request for information about Evola’s encounter with Corneliu Codreanu, Eliade warned him that Evola was a ‘racist’ and a ‘Nazi’, and liable to generate confusion if used as a source [7]. Never mind that he made it clear that his ‘racism’ was of a type quite different from that of the National Socialists, from whom he explicitly distanced himself ideologically, even during the war, and that several mainstream and semi-mainstream publishers in Europe found his works fit to print! A man of Eliade’s sophistication should have known better than to describe Evola so falsely and simplistically. One would not have thought that, being himself the target of similar slurs by certain elements in academia, he would engage in this kind of rumor-mongering. If the account of the exchange is not a fabrication or an exaggeration, then our opinion of Eliade is lowered considerably.
Evola demonstrated quite well the limits of Eliade’s formulations in a review of the latter’s book on Yoga:
Our fundamental opinion of Eliade’s work on Yoga may be expressed by saying that it is the most complete of all those that have been written on this subject in the domain of the history of religions and of Orientalism. One cannot mention another that for wealth of information, for comparisons, for philological accuracy, for the examination and utilization of all previous contributions, stands on the same level. But when once this has been admitted, some reservations have to be made. In the first place it would seem that the material he handles has often got the better of the writer. I mean to say that in his anxiety to make use of all, really all, that is known on the several varieties of Yoga and on what is directly or indirectly connected therewith, he has neglected the need of discriminating and selecting so as to give importance only to those parts of Yoga that are standard and typical, avoiding the danger that the reader lose track of the essential features by confusing them with the mass of information on secondary matters, variations, and side products. Looking at it from this standpoint, we are even led to wonder whether Eliade’s previous book Yoga, essai sur les origines de la mystique indienne (Paris, 1936), is not in some respects superior to this last one, which is a reconstruction of the former. In the first book the essential points of reference were more clearly outlined, they were less smothered by the mass of information brought together, and the references to less-known forms of Yoga, such as the Tantric and others, were more clearly pointed out [ . . . ]
After this glance at the contents of Eliade’s new book we are tempted to inquire of him a somewhat prejudicial question: to whom is the book addressed? As we have openly declared, it is a fundamental work for specialists in the field not only of Oriental research, but also in that of the history of religions. But in his introduction Eliade states that the book is addressed also to a wider public and he speaks of the importance that a knowledge of a doctrine such as that of Yoga may have for the solution of the existential problems of the modern Westerner, confirmed as that doctrine is by immemorial experience.
Here complications arise. To meet such a purpose it would be necessary to follow a different plan and to treat the matter in a different way. A Westerner who reads Eliade’s book may be able to acquire an idea of Yoga as ‘la science intégrale de l’homme [the integral science of man]’, he may acquire knowledge of a teaching that has faced in practice as well as in theory the problem of ‘deconditioning’ man; he will thus add yet one other panorama to the list of the many modern culture has provided him with. His interest will perhaps be more lively than the ‘neutral’ interest of the specialist; he may flirt with the aspects of a ‘spiritualite virante’. But on the existential plane the situation will be pretty much the same as it was before, even if the information available be deeper, more accurate, better documented. The possibility of exercising a more direct influence could only be looked for from a book addressed to those who have shown an interest in Yoga and similar sciences not because they seek for information but because they are seeking for a path; a book that in this special field would remove the misunderstandings, the popular notions, the deviations, and the delusions spread by a certain kind of literature to which we referred at the beginning of this article; a book displaying the accuracy and knowledge that we find in this work of Eliade, in as far as it is an exposition kept within the limits of the history of religions. Such a book has perhaps still to be written. But even so the essential need would not be met, for it is the unanimous opinion of the true masters of Yoga that the key to their science cannot be handed on by the written word. [8]
It could be said figuratively that if one who comprehends and adopts the traditional perspective can be said to have a view from the peaks that allows the most complete survey, then Eliade could be described as not having completed the ascent, his vision being obscured by clouds above or enamored by objects on the path to the summit. If he could see individual rocks on the path more closely, we must remember that the view from summit is still the most important one.
SOURCES
[1] Eliade, Mircea. No Souvenirs: Journal 1957-1969, p. 291.
[2] Eliade. Jurnal, 26 August 1947, M.E.P., box 15/2 (trans. Mac Linscott Ricketts). *
[3] Eliade. Autobiography, Volume II, p. 152.
[4] Eliade. Jurnal, 5 September 1964, M.E.P., box. 16/6 *
[5] Ibid., 4 March 1969, box 15/4 *
[6] Ibid., 20 December 1964, box. 16/6, pp. 2640-2641 *
[7] Posteucă, Vasile. Jurnal, in: Gabriel Stănescu (ed.), Mircea Eliade în conştiinna contemporanilor săi din exil, Norcross: Criterion, [2001], pp. 272-277 (275 – entry of 28 October 1958). *
[8] Evola, Julius. Yoga, Immortality & Freedom. East and West, vol. 6, no. 3, 1955.
* Quotes and citations from: Bordas, Liviu. The difficult encounter in Rome: Mircea Eliade’s post-war relation with Julius Evola – new letters and data. International Journal on Humanistic Ideology, IV, no. 2, Autumn-Winter 2011, pp. 125-158. Retrieved from: Academia.edu
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samedi, 03 mai 2014
Artaud, Castaneda, Eliade e il viaggio iniziatico
di Chiara Donnini
Fonte: ideeinoltre
Tante altre notizie su www.ariannaeditrice.it
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samedi, 13 avril 2013
La presencia de René Guénon en Mircea Eliade y Carl Schmitt
La presencia de René Guénon en Mircea Eliade y Carl Schmitt
por Francisco García Bazán (Universidad A.J.F. Kennedy-CONICET)
Ex: http://culturatransversal.wordpress.com/
Al final de mi libro en colaboración René Guénon y la tradición viviente (1985), apuntaba algunos rasgos sobre la influencia de René Guénon en una diversidad de estudiosos contemporáneos. Allí escribí:
«El mundo de habla española, por su parte, se abre velozmente en los últimos decenios a la gravitación guenoniana. Hemos de reconocer que la Argentina, en este sentido, no sólo ha jugado un papel preponderante, sino que incluso fue oportunamente una verdadera precursora de este florecimiento del pensamiento de Guénon [en la geografía hispana].
Ya en 1945 se publicó en Buenos Aires la Introducción general al estudio de las doctrinas hindúes y la crítica periodística porteña recibió favorablemente la novedad de [la presencia] de un credo de inspiración tradicionalista [en la cultura francesa]. A esta traducción siguieron en años sucesivos: El teosofismo (1954), con varias ediciones, La crisis del mundo moderno (1967), Símbolos fundamentales de la ciencia sagrada (1969 y El esoterismo de Dante (1976). Mucho más reciente, [por el contrario], es el interés de los españoles por nuestro autor. Pero aunque la traducción de la primera de las obras citadas es de la década del 40, la evidencia de una lectura y conocimiento del autor francés ya se reflejó con anterioridad en individuos y grupos de intelectuales argentinos.
Los primeros que demostraron interés por el pensamiento de R. Guénon en nuestro país fueron pensadores del campo católico, hondamente preocupados por la esencia y el futuro de la nación. Se agruparon en Buenos Aires y Córdoba, en torno a las revistas Número y Sol y Luna, y Arx y Arkhé, respectivamente. Entre estos [escritores] por la influencia y uso que hicieron de las obras de Guénon sobresalen: César Pico, José María de Estrada y, muy probablemente, el poeta Leopoldo Marechal –todos ellos en Buenos Aires y vinculados a los Cursos de Cultura Católica-. En la Provincia mediterránea, Fray Mario Pinto y Rodolfo Martínez Espinosa, autor [este último] del primer artículo escrito en la Argentina sobre nuestro pensador [tradicional] y su corresponsal [con un intercambio de correspondencia entre los años 1929 y 1934], cuando Guénon residía en El Cairo. [Las dos cartas del autor franco-egipcio son del 24 de agosto de 1930 y del 23 de febrero de 1934. La última es una larga misiva de ocho carillas, en la que a las dudas expuestas por Martínez Espinosa responde Guénon condensando en ella la doctrina tradicional y anticipando incluso soluciones sobre las diversas vías espirituales, que posteriormente hará públicas. Estas cartas fueron primeramente publicadas por mí traducidas al castellano el domingo 13 de julio de 1980 en el Suplemento Literario de “La Nación”, cuando era dirigido por Jorge Emilio Gallardo, posteriormente fueron publicadas en edición bilingüe en el libro al que nos estamos refiriendo y poco después aparecieron en Francia en Les Dossier H René Guénon, dirigido por Pierre-Marie Sigaud, editado por L’Age d’Homme, Lausana, 1984, 286-289, gracias al contacto del que tomó la iniciativa André Coyné]…El ilustre filósofo de la ciencia, Armando Asti Vera, ofreció al público hispanohablante en 1969 una elegante y correcta primicia sobre la vida, obra y filosofía de Guénon de amplísima difusión. La casi totalidad de su obra escrita y de dirección docente llevan el sello indeleble del pensamiento guenoniano que frecuentaba desde su madura juventud» (pp. 171-172 y notas).
Lo dicho se refiere a nuestro país y medio cultural, pero en ese mismo libro, páginas más adelante, hacíamos referencia a la influencia de René Guénon en investigadores franceses, judíos e indios, sobre todo en el gran especialista en Shankara, T.M.P. Mahadevan, en cuya tesis sobre Gaudapâda. A Study in Early Advaita (University of Madras, 1975), el tradicionalista nacido en Blois está a menudo citado y es altamente reconocido por su profunda comprensión del Vedânta advaita o no dual. En esa ocasión, sin embargo, apenas nos habíamos referido a Mircea Eliade. Pero, posteriormente, y después de haber leído el artículo del profesor rumano, «Some Notes on Theosophia perennis» publicado en la revista de la Universidad de Chicago History of Religions (1979), pp. 167-176, nuestra opinión cambió y admitimos la influencia de Guénon en su obra como historiador de las religiones. Posteriormente hemos comprobado que un investigador particularmente calificado en el conocimiento de la vida y obra de Guénon, como lo es Jean-Pierre Laurant, de L’ École Pratique des Hautes Études. Section Sciences des Religions, escribe en el Diccionario Crítico del Esoterismo, dirigido por Jean Servier, publicado en 1998 por P.U.F. y recientemente traducido por la Ed. AKAL al castellano, en la entrada correspondiente a “René Guénon”, que firma: «También desempeñó [Guénon] un papel muy importante [lo subrayamos] en la formación del pensamiento de Mircea Eliade e influyó sobre el conjunto de la renovación de la historia de las religiones, hasta tal punto que Gaétan Picón lo integra dentro de su Panorama des idées contemporaines (1954). Su influjo [en esta dirección] se prolonga, hasta nuestros días, a través de una renovada reflexión sobre el simbolismo, la “Tradición” y las tradiciones en los trabajos de J. Borella en Francia, R. Martínez Espinosa y F. García Bazán en Argentina o, en Estados Unidos, en los de Joseph E. Brown sobre los indios» ( Vol. I, p. 754). [Permítaseme hacer la aclaración en paralelo que respecto del cultivo de los estudios sobre Guénon en nuestro medio y la recepción de su pensamiento, también Piero Di Vona, profesor de la Universidad de Nápoles y autor de un respetable libro sobre Evola e Guénon. Tradizione e civiltà (1985), en su ponencia sobre “René Guénon e il pensiero de destra”, presentada en la Università degli Studi di Urbino, a fines de los 80’, ya reconocía asimismo en confrontación con el desarrollo de la teología de la liberación sudamericana, que frente a ella: «Tutte queste osservazioni rivestono almeno per noi una grande importanza perché nell’attuale cultura sudamericana Guénon è oggetto di attento studio in ambienti qualificati. (Rimandiamo al libro di F. García Bazán, René Guénon y la tradición viviente, etc.)»].
Pero más recientemente todavía y con motivo de la publicación consecutiva de las Memorias de Eliade, la perspectiva sobre la irradiación guenoniana se ha ampliado y así hemos tenido la oportunidad de leer un erudito artículo del estudioso italiano Cristiano Grottanelli, bajo el acápite de «Mircea Eliade, Carl Schmitt, René Guénon, 1942», en la Revue de l’Histoire des Religions Tome 219, fascículo 3, julio-septiembre 2002, pp. 325-356, que arroja nuevas luces y sombras sobre la cuestión claramente anticipada en el título y que amplia el panorama con la mención del gran jurista y experto en derecho internacional, Carl Schmitt, tan apreciado en los comienzos de los años 30 por el régimen nacionalsocialista, como posteriormente repudiado tanto por la SS y el nazismo que representaban, como por sus vencedores aliados.
El período más difícil de determinar en la vida de Eliade es el que va de los años 1934, cuando ya ha residido tres años en la India (1929-1931) dirigido por el eminente profesor de filosofía hindú Surendranath Dasgupta, y ha cumplido prácticas de Yoga en Rishikesh, en el Himalaya, en Svargashram con Swami Shivananda. Vuelto a Bucarest ha publicado la novela Maitreyi de gran éxito de ventas (1934) y ha presentado hacia fines de año su tesis de doctorado sobre la filosofía y prácticas de liberación yóguicas como una perspectiva dentro del pensamiento indio, siendo nombrado asistente de Naë Ionesco, profesor de Lógica y Metafísica en la Universidad de Bucarest. Desde esa fecha hasta fines de 1944 en que fallece su esposa Nina Mares y en que al año siguiente (1945) establece relaciones culturales y esporádicamente docentes en París como exiliado con el apoyo de la colonia rumana y colegas y amigos como Georges Dumézil, su biografía es bastante movida y es también durante ese período en el que apoyado en su formación de indólogo incipiente, se cimentó asimismo su método e ideas como teórico de las religiones. Después que obtiene la adjuntía de cátedra a través de su titular Ionesco traba relación estrecha con los cuadros de la Legión del Arcángel San Miguel o Guardia de Hierro, formación política de extrema derecha y de ideología nacionalista, agrega sus actividades de escritor a sus responsabilidades universitarias regulares con el dictado de seminarios: “Sobre el problema del mal en la filosofía india”, “Sobre la Docta ignorancia de Nicolás de Cusa”, “Sobre el libro X de la Metafísica de Aristóteles”, “Las Upanishads y el budismo”, etc.; publica el libro Yoga. Ensayo sobre los orígenes de la mística india, con pie de imprenta París-Bucarest, por lo editores Paul Geuthner/Fundación Real Carol I y aparecen tres números de la revista de historia de las religiones con colaboradores internacionales y de muy buen nivel que dirige, Zalmoxis. En l940 es nombrado agregado cultural de la Embajada Real de Rumania en Londres y al año siguiente Consejero de la Embajada Real de Rumania en Lisboa, aquí reside hasta 1945, cuando concluida la segunda guerra europea, le sobreviene la condición de exiliado. Durante este período que estamos teniendo en cuenta de gran fecundidad intelectual y de estabilidad político-laboral, se da el acontecimiento que registra el autor en el II volumen de las Memorias, Las promesas del soltiscio:
«Nos detuvimos durante dos días en Berlín. Uno de los agregados de prensa, Goruneanu, me llevó hasta Dahlem, a la casa de Carl Schmitt. Éste acababa de concluir en ese tiempo su librito sobre la Tierra y el mar y quería hacerme algunas preguntas sobre Portugal y las civilizaciones marítimas. Le hablé de Camoens y en particular del simbolismo acuático –Goruneanu le había ofrecido el volumen segundo de Zalmoxis en donde habían aparecido las “Notas sobre el simbolismo acuático”-. En la perspectiva de Carl Schmitt, Moby Dick constituía la mayor creación del espíritu marítimo después de la Odisea. No parecía entusiasmado por Los Lusiadas, que había leído en una traducción alemana. Conversamos durante tres horas. Nos acompañó hasta el subterráneo y, mientras caminábamos, nos explicó por qué consideraba la aviación como un símbolo terrestre….».
El encuentro tuvo lugar en julio de 1942, según precisa Mac Linscott Rioketts en su extensa y bien documentada biografía de Eliade.
Ahora bien, Ernst Jünger, gran amigo de Schmitt, que por esas fechas era oficial del Ejército alemán, estaba en Berlín con permiso y fue llamado a París para hacerse cargo de sus obligaciones militares. El 12 de noviembre fue a visitar a Dahlem a su amigo Schmitt a modo de despedida, estando con él del 12 al 17. El 15 estaba Jünger en casa del amigo y escribe lo siguiente en su Diario:
«Lectura de la revista Zalmoxis, cuyo título procede de un Hércules escita citado por Heródoto. He leído dos ensayos de ella, uno dedicado a los ritos de la extracción y uso de la mandrágora y el otro trataba del Simbolismo acuático, y de las relaciones entre la luna, las mujeres y el mar. Ambos de Mircea Eliade, el director de la revista. C.S. me proporcionó informaciones detalladas sobre él y sobre su maestro René Guénon. Las relaciones etimológicas entre las conchas marinas y el órgano genital de la mujer son particularmente significativas, como se ve en la palabra latina conc[h]a y en la danesa Kudefisk, en donde kude tiene el mismo sentido que vulva.
La mentalidad que se dibuja en esta revista es muy prometedora; en lugar de una escritura lógica, se trata de una escritura figurada. Son estas las cosas que me hacen el efecto del caviar, de las huevas de peces, se siente la fecundidad en cada frase».
En vísperas de Navidad del mismo año Eliade recibió Tierra y mar de parte de Schmitt, y Goruneanu le informa que el número 3 de Zalmoxis que había enviado a Schmitt lo acompañaba a Jünger en su mochila. Y esta triple relación de personas, directa, en un caso, e indirecta en el otro – por medio de la revista Zalmoxis-, se repite en 1944 y posteriormente. El primer caso se concretó por un nuevo encuentro de Schmitt -quien consideraba a Guénon: “El hombre más interesante de su tiempo” según señala Eliade en Fragmentos de Diario- con éste en Lisboa. En la visita de 1942, conjetura Grottanelli, de acuerdo con los testimonios de una simpatía recíproca de ambos personajes sobre Guénon, conversarían sobre él posiblemente no sólo como maestro sino también como teórico de la Tradición. El segundo encuentro a que nos hemos referido de Jürgen y Eliade y que nos interesa menos en este trabajo, llevó a que un tiempo después Jünger y Eliade dirigieran la revista Antaios.
Pues bien, de la mutua admiración que Schmitt y Eliade confesaban a mediados del año 1942, en plena guerra europea, por Guénon, el caso de C. Schmitt es documentalmente más accesible y claro, puesto que éste en un notable y bien conocido libro de 1938, Der Leviathan in der Staatslehre des Thomas Hobbes. Sinn und Fehlschlag eines politisches Symbols (El Leviatán en la teoría del estado de Thomas Hobbes. Sentido y fracaso de un símbolo político), entendía la componente esotérica como central en su composición, ya que Hobbes, exaltado por él dos años antes como el “gran inventor de la época moderna”, aparecía ahora en una nueva dimensión como quien había utilizado por error un símbolo en su tesis de política, el del monstruo marino de ascendencia religioso-cultural judía, que lo superaba en sus intenciones y se le imponía por su misma fuerza simbólica interna, poniéndolo bajo su control y manejándolo como un aprendiz de brujo. Y ahí mismo en el libro, en la nota 28, Schmitt recordaba a René Guénon, quien en la Crisis del mundo moderno de 1927, afirmaba la noción paralela y clave para la interpretación simbólica de que: «La rapidez con la que toda la civilización medieval sucumbió al ataque del siglo XVII es inconcebible sin la hipótesis de una misteriosa voluntad directriz que queda en la sombra y de una idea preconcebida». La ambivalencia del símbolo que tanto señala a la permanencia oculta de la Tradición como a los ataques aparentemente invisibles que asimismo recibe de la antitradicón y de la contratradición, y que puede aplicarse como un modo de justificación de la teoría política del complot o la conjuración político-social basada en la metafísica de la historia, es lo que le interesaba hacer notar a Schmitt, quien había sufrido dos años antes siendo Presidente de la Asociación de Juristas Alemanes y Consejero de Estado un ataque contra él en la revista de los SS Das Schwarze Korps, viéndose obligado a renunciar a todas sus funciones públicas. El empleo de la capacidad velada del símbolo para mostrar y ocultar por su poder esotérico de comunicación, es lo que veía Schmitt en Leviatán, serpiente marina guardiana del tesoro a veces para la enseñanza semítica y en otros momentos monstruo destructivo que proviene del mar, en el caso concreto aplicado su dimensión oscura y demoledora a la civilización cristiana y occidental más que milenaria. En este sentido igualmente el personaje que el libro encubría como destructor era Himmler y no Hitler.
Pero resultaba que si en este momento el libro de Guénon citado es La crisis del mundo moderno, Schmitt conocía mucho más del autor francés lo que explica el entusiasmo por él, según registra Eliade, pues en correspondencia entrecruzada unos años después con Armin Moler quien prepara su tesis sobre el jurista, al que le envía una carta el 19 de octubre de 1948 y que es respondida por Schmitt el 4 de diciembre. En las cartas cruzadas tenemos los siguientes datos:
«A la noche, después de haber trabajado en la tesis, siempre leo sus escritos, incluso los que aún no conozco. Os lo he referido ya que después de la visita que le hecho en Plettemberg, todo me parece más claro, con la sola excepción del Leviatán. Esta obra me sigue desorientando, y no sólo allí en donde, como al final del segundo capítulo, se hace alusión a un tema absolutamente nuevo [...]. La aparición de Guénon me ha sorprendido. ¿Conoce usted los escritos de este hombre singular? Siegfried Lang, uno de nuestros poetas más inspirados, me ha introducido hace algún tiempo en el estudio de su pensamiento».
Y esta es la contestación de C. Schmitt:
«Respecto del Leviatán, ya le he dicho que se trata de una obra totalmente esotérica; recuerde la “nota del autor” y las consideraciones del final del Prefacio, incluso si se trata de fórmulas evasivas. He leído mucho de Guénon, pero no la totalidad [de lo que ha escrito], lamentablemente. Nunca le he encontrado personalmente, pero he conocido a dos de sus amigos. Os interesará saber que el barón Julius Evola ha sido uno de sus fieles discípulos, pero no sé si Guénon vive todavía; según las últimas noticias que he recibido, pero que son de algunos años, vivía en el Cairo, con amigos musulmanes» (ver Grottanelli, 739).
Se advierte, por lo tanto, más allá del respeto intelectual y estimulante para la comprensión de los hechos histórico-políticos que Guénon inspiraba al jurista y filósofo político alemán, el uso aplicado que hacia del esoterismo, basado en el esoterismo riguroso de Guénon y Evola.
Está llegando el momento de dejar a C. Schmitt, porque estas jornadas están más centradas en Eliade y Guénon, pero para terminar con él, en confirmación de lo dicho vienen otras manifestaciones del autor, que la traducción española de la Ed. Trotta de Tierra y Mar ha incluido en una “Nota Final” debida a Franco Volpi. En ella se escribe, por medio de Nicolás Sombart, el hijo del famoso sociólogo e historiador de la economía, en referencia a Schmitt, que él se auto percibía como el guardián de un misterio, como un “iniciado”, al punto de que arcanum era una de las palabras que más repetía. Así Sombart cuenta esta anécdota en su relación con C. Schmitt, que:
«Un día [el mismo] Nicolaus preparaba una ponencia sobre la crítica teatral hebrea… Y consultado el profesor Schmitt, éste le repuso, no sabes en dónde te estás metiendo ¿Conoces la cuestión judía de C. Marx?, ¿Y a Disraeli?: Ni siquiera conoces a Disraeli y pretendes ocuparte de los judíos…Así puso en sus manos su novela Tancredo o la nueva cruzada, final de la trilogía que Benjamín Disraeli había publicado en 1847. Allí el gran político inglés, como buen esotérico, había encerrado en una obra literaria sus convicciones políticas más profundas. De este modo, en un pasaje borrado en la segunda edición de Tierra y mar lo llama Schmitt: “un iniciado, un sabio de Sión” y en Dahlen no tenía el jurista colgado un retrato de Hitler, sino de Disraeli. Y Schmitt asimismo le apunta a Nicolaus cual es la frase decisiva del libro, la que dice que: “El cristianismo es judaísmo para el pueblo”. Es la frase que da vuelta a dos mil años de historia. El conflicto entre judaísmo y catolicismo sobre la interpretación del sentido de la historia obsesionaba a Schmitt y la Modernidad era el campo de batalla del enfrentamiento…Los grandes pensadores hebreos del siglo XIX habían entendido que para llegar a la victoria en el plano de la historia universal necesitaban romper con el antiguo orden cristiano del mundo y acelerar la secularización y la disgregación de ese orden. El más temible teórico habría sido Disraeli, pues según su frase el cristianismo sería la estrategia urdida por los judíos para conquistar el sentido de la historia universal…La escatología estaba a punto de imponerse sobre el mesianismo…un orden universal en el que la “Nueva Jerusalén” colocada en el más acá es buscada por la élite judía…La Revolución Francesa aceleró el camino y la visión judía de dominio universal y la potencia marítima inglesa se fundieron en una simbiosis como un inmenso proyecto para la humanidad…El concepto de “retención” (katékhon) del cristianismo es ineficaz para poder guiar a la humanidad. Todo ello, remarca Schmitt, porque los judíos manejan el arte secreto de tratar con el Leviatán, saben domesticarlo para en el momento oportuno descuartizarlo. Era necesario descubrir las técnicas ocultas para penetrar en los arcana imperii y salir sin daños definitivos de la lucha, una lucha por el simbolismo y su tradición, frente a los intentos destructivos de sus dominadores profanos e inmanentes».
Resulta transparente que de esta convicción y familiaridad con los diversos niveles de sentido del símbolo y del contacto con el fondo subyacente que circula ocultamente en el tiempo histórico, había extraído Schmitt confianza y serenidad para profundizar la comprensión teórica y sobrellevar la existencia práctica. Así lo demostró al haber aceptado voluntariamente ser juzgado por el Tribunal de Núremberg, denunciado por un ex colega de la Universidad de Berlín docente ahora en una universidad estadounidense, Karl Loewenstein y legal adviser del Jurado. La defensa personal que llevó a cabo Schmitt le exige trazar una sutil, pero precisa frontera, entre su pensamiento y la ideología nacionalsocialista y de este modo afirma que de ninguna manera podría haber influido en la política de los grandes espacios del III Reich, ni a preparar la guerra de agresión con sus consecuencias criminales, ni a gravitar en cualquier tipo de decisiones de los funcionarios de alto rango. Por ejemplo, defendió que su concepto de Grossraum (gran espacio) se basaba en el derecho internacional y no en el sentido nacionalista que le dio el régimen. A la categoría moderna de estado, válida desde Hobbes a Hegel, él contrapone la de “gran espacio”, que no es simplemente “espacio terrestre”, sino también “espacio imperial”. Aquí es en donde se juega el nuevo ordenamiento político-jurídico del planeta. Esta categoría no depende de la concepción biológico-racista del “espacio vital” (Lebensraum) ni de la categoría nacionalista (völkisch) nacionalsocialistas, para entender su concepción del “gran espacio”; sino que mejor, este último concepto se aproxima más a la doctrina Monroe norteamericana del principio de no injerencia de una potencia extranjera en un gran espacio terrestre ajeno, organizado según un orden jurídico-político propio. Un gran espacio imperial se forma cuando un estado desarrolla una potencia que excede sus propios límites y tiende a agregar en torno a sí a otros estados y es esta conveniencia de formar grandes bloques continentales la que puede generar un nuevo escenario de organización internacional, rompiendo la impotencia de las Naciones Unidas de Ginebra y conteniendo el ascenso de una superpotencia individual. Justamente el pequeño libro Tierra y mar si de entrada parecía aportarle complicaciones, explicado en su doctrina, le trajo la definitiva absolución en mayo de 1947, con curiosos diálogos durante el interrogatorio como el siguiente: «”En aquel tiempo me sentía superior. Quería dar un sentido propio a la palabra nacionalsocialismo”. “Por tanto, ¿Hitler tenía un nacionalsocialismo y usted otro distinto?”. “Yo me sentía superior”. “¿Superior a Hitler?” “Desde el punto de vista intelectual, infinitamente”.
Mircea Eliade, sin embargo, más joven y perteneciente a un país de cultura minoritaria, Rumania, si bien padeció el exilio y los severos obstáculos de un intelectual emigrado en París, no tuvo que enfrentarse con tan grandes dificultades. Las bases guenonianas de la organización de sus ideas, aunque menos conocidas por estar escritas en rumano y hechas conocer en publicaciones locales y muy poco difundidas, igualmente están registradas. Escribe así por primera vez M. Eliade en la revista Azi en abril de 1932, refiriéndose a Guénon, en una cita que se refiere al Teosofismo: historia de una falsa religión:
«Remito al lector al libro de Guénon, quien es un ocultista muy importante y muy bien informado, con una mentalidad sólida y que, al menos, sabe de lo que habla [a diferencia de Elena Blavatsky]» (Grottanelli, p. 346).
En 1937 escribe un artículo sobre Ananda Coomaraswamy en la Revista Fundaitilior Regale, republicado en 1943, y allí expresa que «es de lamentar que los escritos de Guénon, como Oriente y Occidente (1924) y La crisis del mundo moderno (1927), no hayan tenido sino una difusión limitada, ya que ellos mostraban que el tradicionalismo religioso no tenía nada que temer en Europa a la influencia de la metafísica oriental, contrariamente a lo que pensaban algunos escritores católicos» (Grottanelli, 346). Es razonable deducir, sin embargo, pese a las lamentaciones de Eliade y si se piensa en Schmitt y Evola, que el libro de Guénon La crisis del mundo moderno había tenido al menos repercusión propia en la derecha europea, como también lo tuvo en la Argentina, como hemos dicho, poco después de ser publicado.
En otro artículo aparecido en Vremea el l° de mayo de 1938, nuevamente Eliade se queja de la falta de difusión de la obra de Guénon y que sea tan poco conocida como la de Evola y Coomaraswamy . Hace igualmente aquí un curioso elogio de la personalidad de René Guénon como testigo de la tradición, «que era capaz de mostrar un desprecio absoluto y olímpico por el mundo moderno en su conjunto. Un menosprecio sin cólera, sin irritación y sin melancolía. Un desdén que alejaba a este pensador de los hombres de su tiempo y de su obsesión por la historia. Una actitud heroica, comparable, aunque preferible, a aquella de que hablaba André Malraux en su libro Le temps du mépris, que era el tema del ensayo de Eliade” (Grottanelli, 347).
Eliade en estos tiempos en los inicios de sus treinta años, cuando está forjando su personalidad de teórico e investigador considera a Guénon como un auténtico maestro en el campo de las ideas tradicionales, lo que incluso ratifica a su juicio la serena posición de desapego ante las corrientes de ideas modernas, aunque no emite el mismo juicio favorable en el campo de la investigación, como también lo ha expresado en el artículo dedicado a Coomaraswamy. A éste sí lo considera lingüística y filológicamente competente, mientras que para Guénon y Evola, en este campo, se le escapa la baja calificación de “dilettantes”. La evaluación en este último caso de M. Eliade es compleja, porque incluye aproximación y simpatía respecto de las ideas de fondo, pero alejamiento en el método de llegar a ellas, un fenómeno que vamos enseguida a comentar, pero antes debemos facilitar también otra ratificación que es de la misma época, y que se contiene en el libro Comentarii la legenda Mesterului Manole, que se refiere a las leyendas rumanas y balcánicas de los sacrificios de niños durante la construcción de edificios, en particular de monasterios y de puentes, que es publicado en Lisboa siete años después, en marzo de 1943, y en donde el autor confirma en el prefacio:
«Esta obra se publica con una demora de al menos seis años. En uno de los cursos de historia y de filosofía de las religiones que habíamos profesado en la Facultad de Letras de Bucarest (1936-1937, en reemplazo del curso de metafísica del Prof. Nae Ionescu), tuvimos la oportunidad de exponer en sus grandes líneas, el contenido y los resultados de este libro. Una versión técnica de estas lecciones, provista de todo el aparato científico necesario, se preparó hace ya bastante tiempo – bajo el título de Manole et les rites de cosntruction – para la revista Zalmoxis. Pero las circunstancias, y sobre todo la larga residencia del editor en el extranjero, han impedido la aparición regular de Zalmoxis, de modo que antes de publicar la versión técnica, hemos considerado que no estaría desprovisto de interés publicar los presentes Comentarios». Y prosigue el prólogo aportando esclarecimientos críticos y justificativos del mayor interés:
«Evidentemente es indispensable reunir, clasificar e interpretar los documentos etnográficos, pero esto no puede revelar mucho sobre la espiritualidad arcaica. Es necesario ante todo un conocimiento satisfactorio de la historia de las religiones y de la teoría metafísica implícita en los ritos, los símbolos, las cosmogonías y los mitos. La mayor parte de la bibliografía internacional que trata del folclore y de la etnografía es valiosa en la medida en que presenta el material auténtico de la espiritualidad popular, pero deja mucho que desear cuando trata de explicar este material, por medio de “leyes” al uso, a la moda del tiempo de Taylor, Mannhardt o Frazer. No es este el lugar de entablar un examen crítico de los diferentes métodos de interpretación de los documentos de la espiritualidad arcaica. Cada uno de estos métodos ha tenido, en su tiempo, determinados méritos. Pero casi todos se han ajustado a la historia (correcta o incorrectamente comprendida) de este o aquel documento folclórico o etnográfico, con preferencia a tratar de descubrir el sentido espiritual que ha tenido y restaurar su consistencia íntima. La reacción contra estos métodos positivistas no ha tardado en hacerse sentir y es especialmente expresada por un Olivier Leroy, entre los etnólogos, por un René Guénon y un Julius Evola, entre los filósofos, por un Ananda Coomaraswamy entre los arqueólogos, etcétera. Ella ha ido tan lejos que a veces ha negado la evidencia de la historia e ignorado en su totalidad los hechos recogidos por los investigadores» (Grottanelli, 350-351).
Nuevamente en este texto transparente están reunidas por Eliade las dos puntas de su posición de aceptación y crítica en relación con Guénon y otros autores vecinos por las ideas: simbolismo e ideas tradicionales garantizadores de la universalidad de las creencias sagradas como fondo organizador, pero a partir de la investigación científica. El reunir y avecinar documentos no es erudición positivista ni vacía, sino que en el allegamiento surgen ante la mente sensible y perspicaz a los fenómenos aproximadamente las ideas y principios transcendentes que subyacen. Las hierofanías, como manifestaciones de lo sagrado, revelan uniones o integraciones mediadoras que ligan a los contrarios –lo profano y lo sagrado- con equilibrio, lo organizan en sistemas estructurales en el lenguaje del símbolo y del mito, y permiten al alma religiosa arcaica y actual ascender a los orígenes constitutivos. No hay una diferencia insalvable acerca del reconocimiento del fondo espiritual entre Eliade y Guénon, sí lo hay en cuanto al método de acceso. Firmeza de la tradición y de la iniciación en cuanto a Guénon, ingreso por el reconocimiento de los fenómenos sagrados reflejados en la conciencia que cada vez exigen mayor comprensión, para Mircea Eliade. Guénon aspira a romper con lo profano para tener acceso no reflejo, sino directo a lo sagrado; Eliade, se sumerge en la dialéctica de lo sagrado y lo profano que acompaña a la vida del cosmos y la sociedad. Lo primero da una existencia digna de iniciados; lo segundo, de hombres en el mundo vitalmente sacro, que eligen diferentes destinos.
Esta diferencia de posiciones explica las relaciones entre ambos autores, que parecen incluir fuertes contrastes. Guénon desde 1940 en adelante comenta libros y artículos de Mircea Eliade en la revista Études Traditionelle, reconociendo sus aciertos de exposición e interpretación por momentos, así como desautorizándole agriamente en otras, abrogándose la postura de señor indiscutido del campo tradicional que le compete (Técnicas del Yoga, el tomo II de Zalmoxis, «Le “dieu lieur” et le symbolisme des noeuds» -RHR y referencia positiva en “Ligaduras y nudos”É.T., marzo 1950-, Le mythe de l’éternel retour, y otros escritos incluidos en Compte Rendus), una especie de rictus del tradicionalista francés que también ha dado origen a lo que podemos considerar lo más alejado de su magisterio, la “ideología guenoniana”. Mircea Eliade, por su parte, cuando comienza a publicar su difundida obra de especialista en Historia de la religiones a partir del Tratado de historia de las religiones que le publica Payot en l947, en donde recoge materiales anteriormente redactados y otros nuevos, apenas tiene en cuenta en la bibliografía del último capítulo sobre “La estructura de los símbolos”, un escrito de Guénon, Le symbolisme de la croix. Ni siquiera aparece el magisterio expressis verbis del maestro Guénon en los capítulos V (“Las aguas y el simbolismo acuático”) del Tratado y el IV de Imágenes y símbolos (1955), que reedita el primitivo artículo del número 2 de Zalmoxis que tanto le había interesado a Ernst Jünger. Sin embargo, en Le Voile d’Isis (Octubre de 1931) hay un artículo sobre Shet con una referencia a Behemot -en plural- del Libro de Job, como una designación general para todos los grandes cuadrúpedos, lo que es ampliado en el número de agosto-septiembre de 1938 en Études Traditionnelle en una colaboración sobre “Los misterios de la letra nun” (ambos artículos están recogidos más tarde por Michel Valsan –otro rumano- en Símbolos fundamentales de la ciencia sagrada) en donde Guénon se refiere al aspecto benéfico y maléfico de la ballena, con su doble significado de muerte y resurrección, y su vinculación con el Leviatán hebreo y Behemot, como “los hijos de la ballena”. Este trabajo está dentro de la línea de símbolos desarrollados por C. Schmitt en Tierra y mar –Behemot, Leviatán, Grifo- y puede haber sido conocido por el autor alemán.
Mircea Eliade, sin embargo, en su fecunda y subsiguiente producción hace silencio sobre Guénon. Recién en escritos de la década del setenta, el artículo que hemos citado antes sobre la “Theosophia oculta” se refiere a él con elogios y en Ocultismo, brujería y modas culturales, publicado por la Universidad de Chicago en la segunda mitad de los 70, le dedica dos referencias elogiosas a su postura intransigente y bien fundada frente al ocultismo acrítico y optimista de la segunda mitad del siglo XX y algo más de tres páginas para presentarlo como el renovador del esoterismo contemporáneo. Por otra parte, su interpretación de la doctrina cíclica del autor como pesimista y catastrófica en esas páginas demuestra no haber comprendido la concepción guenoniana de los ciclos cósmicos fundada en el Vedânta no dualista de Shankara que incluye ciclos internos espiralados contenidos en el ciclo mayor de un kalpa o “día de Brahman”, con sus manvantaras y yugas, identificando esta visión hindú con la mítico-greca de los pueblos arcaicos, una ligereza de interpretación que el mismo Guénon le había reprochado en la reseña que le dedicó al Mito del eterno retorno. Los silencios y lagunas de comprensión de Eliade sobre R. Guénon, al que reconocía como maestro y orientador en su juventud son sospechosos y el haberlo acantonado a ser “el representante más prominente del esoterismo moderno” sin rastros de su influencia docente sobre él mismo, tal vez despunte una solución en la opinión enseguida proferida en el escrito al que nos estamos refiriendo: «Durante su vida Guénon fue más bien un autor impopular. Tuvo admiradores fanáticos, pero muy pocos. Sólo después de su muerte, y en especial en los diez o doce años últimos, sus libros fueron reeditados y traducidos, difundiendo ampliamente sus ideas» (p. 107).
Casi contemporáneamente en los diálogos sostenidos con Claude-Henri Rocquet y que se han publicado en español bajo el título de La prueba del laberinto (1980) respondiendo a una pregunta del entrevistador, torna a hacer Eliade declaraciones sobre Guénon, pero en este caso resultan incluso más desconcertantes para el lector, por ser contradictorias con lo que hasta ahora se ha podido demostrar. Porque afirma primero el estudioso rumano: «Leí a René Guénon muy tarde y algunos de sus libros me han interesado mucho, concretamente L’Homme et son devenir selon le Vedanta, que me ha parecido bellísimo, inteligente y profundo». A continuación vienen expresadas algunas reservas del autor acerca de lo que no le agrada del escritor francés: su lado exageradamente polémico, un cierto tic de superioridad y un balance de repulsa de toda la cultura occidental -incluida la universitaria- y el respaldo persistente en un concepto complejo y carente de univocidad como es el que pretende sostener sobre la tradición. Este último análisis es bastante discutible, porque Eliade no demuestra poder facilitar un concepto rigurosamente diáfano de tradición, pero sobre todo, creemos que hay que llamar la atención sobre la aclaración de que «leyó a René Guénon muy tarde», puesto que los datos recopilados de su historia de juventud confirman lo contrario. Parece ser que el libro que era el estandarte de la cruzada en la que participaba con otros jóvenes intelectuales en los años treinta en Bucarest, La crisis del mundo moderno, era un obstáculo difícil de salvar para un exitoso profesor que se movía con facilidad en el ambiente universitario estadounidense.
Conclusiones sobre René Guénon y su influencia sobre Eliade y Schmitt.
La atmósfera cultural de la posguerra en París en la que un estudioso rumano de las religiones próximo a los cuarenta años o ya entrados en ellos, hubo de abrirse camino en la Sorbona y los círculos de investigación que la rodeaban, debieron gravitar pesadamente sobre el refugiado político Mircea Eliade. Se sabe de los problemas que tuvo Guénon para que le fuera admitida como tesis universitaria la Introducción general a las doctrinas hindúes, la que finalmente le fue rechazada, y su reacción de abandono del medio universitario. Si el refugiado Eliade, no obstante el apoyo que le prodigaron especialistas franceses como H.Ch. Puech, G. Dumézil, M. Masson-Oursel, L. Renou y otros, tuvo muy serias dificultades para insertarse en el entorno universitario parisino e incluso que en ciertos momentos las dificultades provinieron de la presión política con que lo asediaba el aparato de la inteligencia policial de su país de origen, el silenciar los contactos doctrinales con Guénon cuando era integrante de la Guardia de Hierro durante parte de los años 30 y los primeros del cuarenta, miembro activo de sus avatares políticos y publicaba en sus órganos de prensa y, además, la previsión de no irritar a sus benefactores parisinos inmediatos rompiendo “la conspiración del silencio” que pesaba sobre Guénon en los grupos universitarios oficiales franceses, era cuestión de vida o muerte en aquella etapa para la existencia académica y de investigación del notable universitario que llegó a ser el exiliado rumano. Posteriormente insertado sólidamente en el contexto de la vida universitaria de occidente, el prejuicio lo persiguió como un fantasma. En el fondo, del entramado teórico de sus trabajos quedaba, sin embargo, la influencia teórica subyacente con la que gracias al estímulo doctrinal de Guénon organizó sus aspiraciones de transcendencia al definir la naturaleza religiosa, simbólica y mítica del hombre arcaico y de su desarrollo cósmico.
El caso de Carl Schmitt, sin embargo, fue diverso y transparente, puesto que cuando tiene casi concluido Tierra y mar y está obsesionado por su contenido y recibe a un joven funcionario de Embajada rumano -el que había llevado un mensaje privado a Antunesco, el hombre fuerte del régimen militar de Bucarest del par portugués Salazar-, tiene 54 años. Alemania está en plena guerra europea y el jurista prestigioso se encuentra enfrentado con parte del entorno nacionalsocialista. Las lecturas que había realizado de Guénon estimulaban sus creencias católicas firmes y le permitían utilizar el simbolismo para la interpretación transcendente y velada de los acontecimientos histórico-políticos. Ningún riesgo de fondo corría, al contrario, con este tipo de incursiones culturales profundas, según su mejor inclinación, le era posible ampliar su figura de gran jurista del derecho internacional y afirmarse como filósofo e intérprete político-jurídico del difícil momento del proceso bélico alemán.
El tiempo transcurrido desde entonces hasta hoy parece darnos la razón. Y al ver confluir las tres poderosas personalidades sobre un mismo tema, el de la interpretación de los fenómenos visibles y próximos de la religión, la política y la historia, permite dar asimismo una pincelada de profundidad a lo que hoy día se está mostrando incontrolable y difícil de silenciar en la esfera de la política práctica y de la teoría política: que no es posible pensar en los hechos actuales si no nos liberamos de ellos elevándonos al plano de la metapolítica, bien sea desde la teología o desde la metafísica. La teología política de Jacobo Taubes y de Jian Assmann así lo están reclamando en los centros de estudio internacionales, pero las dos figuras que hemos tratado inspiradas por René Guénon, confirman que la necesidad de implantar el llamado “modelo dualista”, que no es ni simplemente teocrático ni representativo individualista, ofrece matices y recursos para que el ciudadano de los comienzos del siglo XXI se ponga a pensar seriamente que la marcha de los pueblos y sus ordenamientos políticos, jurídicos y económicos son inseparables de algún modo de trascendencia sagrada y tradicional.
Bibliografía
C. Bori, «Théologie politique et Islam. À propos d’Ibn Taymiyya (m. 728/1328) et du sultanat mamelouk», en RHR, 224 (207), 1, 5-46.
A. Désilets, René Guénon. Index-Bibliographie, Les Presses de L’Université Laval, Québec, 1977.
P. Di Vona, «René Guénon e il pensiero di destra», en La destra como categoria, Hermeneutica, Istituto di Scienze Religiose dell’Università degli Studi di Urbino, 1988, 59-85.
M. Eliade, Tratado de historia de las religiones, Inst. de Est. Políticos, Madrid, 1954.
M. Eliade, Imágenes y símbolos. Ensayos sobre el simbolismo mágico-religioso, Taurus, Madrid, 1955.
M. Eliade, «El ocultismo y el mundo moderno», en Ocultismo, brujería y modas culturales, Marymar, Buenos Aires, 1977, 79-108.
M. Eliade, La prueba del laberinto, Cristiandad, Madrid, 1980.
M. Eliade, Memoria I. 1907-1937. Las promesas del equinoccio, Taurus, Madrid, 1982.
M. Eliade, De Zalmoxis a Gengis-Khan. Religiones y folklore de Dacia y de la Europa Oriental, Cristiandad, Madrid, 1985.
M. Eliade, Diario. 1945-1969, Kairós, Barcelona, 2000.
F. García Bazán y otros, René Guénon o la tradición viviente, Hastinapura, Buenos Aires, 1985.
F. García Bazán, René Guénon y el ocaso de la metafísica, Obelisco, Barcelona, 1990.
C. Grottanelli, «Mircea Eliade, Carl Schmitt, René Guénon, 1942», en Revue de l’Histoire des Religions, tome 219, 3 (2002), 325-356.
J.-P. Laurant, «Guénon, René», en J. Servier (dir.), Diccionario AKAL crítico de esoterismo, 2 vols., Akal, Madrid, 2006, A-H, 753-756.
T.M.P. Mahadevan, Guadapâda. A Study in Early Advaita, University of Madras, 1975.
C. Schmitt, Tierra y mar. Una reflexión sobre la historia universal con un prólogo de Ramón Campderrich y un epílogo de Franco Volpi, Trotta, Madrid, 2007.
J. Taubes, La teología política de Pablo, Trotta, Madrid, 2007
Fuente: Centro de Estudios Evoliano
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dimanche, 17 mars 2013
Youth Without Youth
Youth Without Youth
By Trevor Lynch
Ex: http://www.counter-currents.com/
Youth Without Youth [2] (2007) is Francis Ford Coppola’s stunning film adaptation of a novella of the same name [3] by Mircea Eliade [4] (1907–1986), the Romanian scholar of comparative religion and Iron Guard sympathizer. I highly recommend this beautiful, mysterious, endlessly captivating movie. In style, it is classic; in substance, it is eternal.
Filmed on location in Romania, Switzerland, India, and Malta, Youth Without Youth looks, feels, and sounds like a European movie from the 1950s. The color is sumptuous and the cinematography astonishingly detailed, almost tactile. The pacing and editing are generally languid and sinuous, although they are often intercut with annoying, herky-jerky interludes, to farcical effect. The special effects date from the silent age and are entirely effective. The score [5] by Osvaldo Golijov (who describes himself as an East European Jew born in Argentina) is in the lush, late Romantic idiom, although it avails itself of Oriental and “modernist” styles when the film requires it.
Since this movie is long gone from the theaters, I have no compunction about summarizing the whole story. Youth Without Youth strikes me as a retelling of the Faust myth, particularly Goethe’s Faust. As in Faust, the main character is a scholar who late in life despairs that his life’s work is a failure but who is given miraculous gifts, including restored youth, by which he might continue his quest for knowledge.
Youth Without Youth begins in Piatra Neamț, Romania in 1938. Dominic Matei (played by Tim Roth), a former teacher in a provincial college or lycée, has just turned 70. He is experiencing the onset of senility and despairs of finishing his life’s work, an investigation into the origins of language and consciousness that has stalled before the dark abysses of prehistory. He decides to kill himself and chooses a particularly horrible death: strychnine.
He travels to Bucharest on Easter weekend to take the poison far from home, where nobody will know him. But as he approaches his final destination, he is caught in a sudden downpour and struck by lightning, which incinerates his clothes and burns every inch of his body.
Astonishingly, he is not killed. He is taken to a hospital, where he is bandaged from head to toe and watched over by doctors who fully expect him to die. But to everyone’s surprise, he slowly recovers, and when the bandages are removed, they find a man in his 30s. Dominic Matei has been miraculously regenerated. He also discovers that his memory and other mental faculties have not just been regenerated but enormously enhanced, eventually developing into powers of telepathy and telekinesis. He can learn other languages telepathically and “read” books simply by holding them for a few seconds and concentrating on them.
Furthermore, he encounters a “double”: an entity that looks exactly like him but who is wiser and more powerful and who can thus offer him guidance and protection. (The double first appears in mirrors and dreams before being seen in the real world. We learn that he is not an illusion when another character sees him as well.) The double functions as a guardian angel, a daimon, a spiritual guide. Perhaps he can do this because he is Dominic, but a Dominic whose powers are fully actualized. As an interlocutor, however, the double has a Mephistophelean quality, for he clearly rejects Dominic’s Western ethical humanism in favor of a Hindu-like non-dualism and transhumanism, and the double urges Dominic to do and accept things he finds abhorrent.
As with Faust, Dominic’s new form of existence can, apparently, be prolonged indefinitely under the right conditions. But as with Faust, it can also end. When Faust feels satisfaction, he dies, and his soul if forfeit. Dominic’s double tells him he is free to accept or reject his gift and free to use it for good or for evil.
Word of Dominic’s astonishing transformation spreads around the world. He is placed under constant surveillance by the Romanian Secret Police, who are in a heightened state of alert because they are doing battle with the Iron Guard. (Corneliu Codreanu had been arrested in April, 1938 and was murdered that November.) They even suspect that Dominic may be an Iron Guard leader hiding in the hospital under a false identity. (There is, of course, something autobiographical about the character of Dominic Matei, for Eliade too was a scholar of language and myth who was suspected, rightly, of Iron Guard connections. Eliade also wrote the novella in old age, when time is short and the mind is given to nostalgia and fantasies of regeneration.)
The Gestapo also take an interest in Dominic because he seems to confirm the theories of a German scientist, Dr. Joseph Rudolf, who hypothesizes that high voltage electrocution might spark the evolution of a higher form of humanity. Matei’s doctor and host, Professor Stanciulescu (Bruno Ganz), realizes Dominic’s powers when he sees two roses from his garden materialize in Dominic’s room with the help of the double. Thus the Professor refuses to allow the Germans to take Matei, citing medical grounds. They threaten to return with a German doctor who will do their bidding. Thus Stanciulescu arranges false papers so that Matei can leave Romania for Switzerland.
Coppola’s treatment of the Germans is one of the few places the movie rings false and silly. He seems to think that Romania was under German occupation in 1938 or ’39, which never happened. The Germans, of course, are portrayed as fanatics and martinets, and their leader even gives the Hitler salute to Professor Stanciulescu. I have not read the novella, but it is impossible to believe that such farcical inaccuracies are found in the original.
Dominic Matei spends the Second World War in neutral Switzerland, where he leads a life that is part Mircea Eliade, part James Bond. He continues his research into the origins of language and consciousness. He also develops new powers, including abilities to create false identities and beat the house in casinos, which is how he supports himself.
One night, Dominic is confronted in an alleyway by the Nazi scientist Dr. Rudolf. Rudolf explains to Dominic that he must return with him to Germany, because only with his help can Rudolf construct a bridge from man to superman, which is the only way that mankind can survive the coming nuclear apocalypse. Rudolf wishes to preserve the high culture of the West: music, art, philosophy, and science. He claims that Dominic was sent by some sort of providence to help save mankind. He promises to admit him to the godlike presence of Adolf Hitler. But Dominic refuses to cooperate with the Nazis. Rudolf pulls a gun and tries to abduct Dominic. When a female Romanian agent of the Gestapo tries to defend Dominic, Rudolf shoots her. The double, who evidently wants Dominic to go with Rudolf, tells him that he has no choice in the matter. But Dominic does have a choice: he telekinetically forces Rudolf to shoot himself, then he escapes.
Dominic is also convinced that the Second World War will not be the last. He anticipates that mankind will be almost annihilated by nuclear warfare, and he fears that “post-historical man” will succumb to despair. Thus be begins to tape a record of his transformation, depositing the tapes in a bank vault. He hopes that they will somehow survive the end of history and be deciphered by men in the future, giving them hope that humanity might evolve. Of course he has no assurance that the tapes will survive, but believes it anyway, because without this belief, his life would have no meaning.
The second half of the movie begins in 1955, when Dominic encounters a young German woman on vacation in Switzerland (Alexandra Maria Lara). Her name is Veronica, but she is the very image of Laura, Dominic’s former fiancée, who a lifetime ago had broken off their engagement because he was too involved in his work. She then married another man and died in childbirth a year later. The double confirms that Veronica is the reincarnation of Laura. (She is roughly analogous to Gretchen in Goethe’s Faust.)
Veronica’s car is struck by lightning, and her companion is killed. When Dominic finds Veronica, she is speaking in an ancient Indian dialect and claims that her name is Rupini, a woman of the Kshatriya caste, a descendant of one of the first families to convert to Buddhism, who had left the world behind to meditate in a cave.
Veronica/Rupini becomes an international sensation, because she seemingly provides proof of reincarnation. (Veronica herself later suggests spirit possession as an alternative hypothesis.) Veronica/Rupini demonstrates knowledge that Veronica did not and could not have learned during her lifetime. Dominic becomes her caretaker. He summons leading orientalists to study her case, and eventually she is flown to India, where she finds Rupini’s cave, complete with her mortal remains. Then Rupini’s peronality disappears and Veronica’s re-emerges. She and Dominic fall in love. Veronica tires quickly of being a world celebrity, so she and Dominic flee India to a private villa on Malta.
On Malta, Dominic discovers he has to power to induce trances in which Veronica regresses to past lives, speaking Ancient Egyptian, then Akkadian and Sumerian, then unknown protolanguages which Dominic eagerly records and transcribes. He recognizes that Veronica might be the vehicle he needs to pierce the veil of prehistory and reach the origins of language and consciousness. The double confirms this.
But with each trance, Veronica becomes increasingly drained and begins to age rapidly. Dominic realizes that if he continues to induce regressions, she will wither and die, so he has to choose between Veronica and the completion of his life’s work. He tells Veronica that they must part. If they stay together, she will die. If they part, her youth and beauty will be restored.
In 1969, when he is 101 years old, Dominic sees Veronica and her two children get down from a train. Heartbroken, he surreptitiously photographs her. He returns to his home town in Romania. In the mirror of his hotel room, he has a conversation with his double. The double reveals that he is indeed the harbinger of a new race, which will arise from the electromagnetic pulse released by an approaching nuclear holocaust. Most of mankind will perish in the process, but a superhumanity will emerge. Disgusted at the sacrifice of man to create the superman, Dominic smashes the mirror, rejecting his gift. The double, gibbering some unknown language, disappears.
Dominic then goes to his old haunt, the Café Select, where he hallucinates an encounter with friends from the 1930s. During the conversation, he rapidly ages, then stumbles out into the night. The next morning, he is found frozen to death in the snow.
But the end is ambiguous, for at the very end of the film, we hear Veronica’s voice ask Dominic, “Where do you want me to put the third rose?” which then appears in his hand. So is Dominic Matei really dead? He has been all but dead before, remember. So is this just another start? Will he keep coming back until he learns his lesson and his mission is fulfilled? Or is he really dead, but under the protection of Veronica, like Faust whose soul is saved in the end by the intercession of the Eternal Feminine?
Youth Without Youth is a movie about transcending the human condition: backwards, toward the pre-human origins of language and consciousness, and forwards, toward the advent of the superhuman. Dominic Matei is given the power to do both.
He could have arrived at the origin of human language and consciousness through Veronica’s trances, but he was unwilling to sacrifice her to his quest for knowledge.
He is already superhuman, but he could choose to help prepare the way for superhumanity. He had a chance to assist Dr. Rudolf, but he rejected it because he thought that Hitler was the devil himself. In the end, he rejected his own superhumanity simply because he was repelled by the idea that superhumanity would emerge from the destruction of humanity.
In both cases, the path to transcendence of the human realm was blocked by Dominic’s humanistic ethics, the idea that every human being has a dignity or worth that forbids its sacrifice for higher values. Thus Youth Without Youth explores the same fundamental conflict that animates Christopher Nolan’s The Dark Knight Trilogy [6]: the ethic of egalitarian humanism versus the ethic of superhumanism, of the individuals who raise themselves above humanity either through a Nietzschean rejection of slave morality and a Heideggerian encounter with mortality and contingency (the Joker) or through the initiatory knowledge of the League of Shadows. (As I argue in my review [7] of The Dark Knight Rises, the two forms of superhumanism are compatible, but Nietzsche, Heidegger, and the Joker only grasp a small part of a much greater truth.)
Youth Without Youth is, in short, a deeply serious film: a feast for the intellect as well as the senses. A commercial and critical flop when it was released in 2007, Youth Without Youth is in truth one of Francis Ford Coppola’s finest films.
Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com
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[1] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2013/03/youth-without-youth.jpg
[2] Youth Without Youth: http://www.amazon.com/gp/product/B0014I4TR2/ref=as_li_ss_tl?ie=UTF8&camp=1789&creative=390957&creativeASIN=B0014I4TR2&linkCode=as2&tag=countercurren-20
[3] novella of the same name: http://www.amazon.com/gp/product/0226204154/ref=as_li_ss_tl?ie=UTF8&camp=1789&creative=390957&creativeASIN=0226204154&linkCode=as2&tag=countercurren-20
[4] Mircea Eliade: https://en.wikipedia.org/wiki/Eliade
[5] score: http://www.amazon.com/gp/product/B000WVPXD6/ref=as_li_ss_tl?ie=UTF8&camp=1789&creative=390957&creativeASIN=B000WVPXD6&linkCode=as2&tag=countercurren-20
[6] The Dark Knight Trilogy: http://www.counter-currents.com/tag/lynch-dark-knight/
[7] review: http://www.counter-currents.com/2012/07/the-dark-knight-rises/
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jeudi, 14 juin 2012
Quando Evola e Eliade vollero «fare fronte» spirituale
Quando Evola e Eliade vollero «fare fronte» spirituale
Ex: http://www.centrostudilaruna.it/
Quella fra Julius Evola e Mircea Eliade fu, come scrisse molti anni fa Philippe Baillet, «una amicizia mancata», o meglio fu Un rapporto difficile: è questo il titolo di un saggio scritto da Liviu Bordas, dell’Istituto Studi Sud-Est Europei dell’Accademia Romena di Bucarest, pubblicato sul nuovo numero di Nuova Storia Contemporanea.
Uno studio ricco di analisi e interrogativi sull’incontro fra i due studiosi, che si basa sul ritrovamento di 8 lettere inedite del periodo 1952-1962 dell’italiano al romeno, scovate da Bordas tra i Mircea Eliade Papers custoditi all’Università di Chicago e che si aggiungono alle 16 pubblicate poco tempo fa dalla casa editrice Controcorrente (Julius Evola, Lettere a Mircea Eliade 1930-1954).
I rapporti tra Evola e Eliade furono soprattutto epistolari e sicuramente comprendono molte più missive di quelle sino a oggi rintracciate: nell’immediato dopoguerra, Evola cercò di riprendere i contatti con le sue maggiori conoscenze culturali, scrivendo loro sin da quando era in ospedale, nel 1948-49: a Carl Schmitt, a René Guénon, a Gottfried Benn, a Ernst Jünger e a diverse altre personalità fra cui, appunto, Eliade. Lo scopo ideale era non solo riallacciare contatti personali ma cercare di ricostruire una specie di fronte spirituale nella nuova situazione pubblicando in Italia la traduzione di alcune delle opere delle sue antiche conoscenze. Non tutti compresero le sue intenzioni.
Nell’epistolario con Eliade, a esempio, il problema che si pose in quei primi anni Cinquanta nei quali Evola si diede molto da fare per la pubblicazione dei più importanti libri dello studioso romeno, come documentano le nuove e vecchie lettere, fu quello di quanta poteva essere l’influenza degli autori «tradizionalisti» sugli scritti scientifici e divulgativi di Mircea Eliade e il fatto che questi non citasse quasi mai certe sue fonti che alla «Accademia» potevano sembrare sospette. Erano anni turbolenti e anche pericolosi per chi era stato sul fronte degli sconfitti e lo studioso di certo non amava che gli si ricordasse la sua vicinanza prima della guerra alla Guardia di Ferro di Codreanu. Sta di fatto che, nonostante l’aiuto concreto che Evola diede alla pubblicazione dei libri di Eliade, dopo l’uscita della sua autobiografia Il cammino del cinabro (1963) in cui venivano ricordati certi precedenti «politici» eliadiani, questi sospese ogni contatto e, come rivela Bordas, che ha esaminato i diari inediti dello storico delle religioni romeno, confessò nelle sue note di essere molto amareggiato.
Insomma, il rapporto fra i due andò avanti sempre fra alti e bassi, comprensioni e incomprensioni che avevano radici culturali e psicologiche, come ben documenta Bordas. Il quale ha fatto un ottimo lavoro di esegesi incurante dei pregiudizi «politici» che man mano negli anni sembrano accentuarsi sia per Evola sia per Eliade. Ultimo esempio è un recentissimo articolo di Claudio Magris, in cui l’autore, elogiando lo scrittore romeno Norman Manea, afferma che Eliade è «il più grande rappresentante» di quella «grande e spesso cialtronesca cultura romena che genialmente ha indagato e talora pasticciato e falsificato l’universo del mito, disprezzando le ideologie (quelle liberali e democratiche) in nome delle ineffabili verità dell’occulto». Parole che rispecchiano una conoscenza di seconda e terza mano, sorprendente in una personalità come Magris, il quale confonde «occulto» con «esoterismo».
Eliade fu sempre contro l’occulto (anche Guénon ed Evola lo furono) e, come dimostra il saggio di Bordas, elaborò studi «scientifici» anche se si interessava degli autori «tradizionalisti».
* * *
Tratto da Il Giornale del 21 maggio 2012.
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dimanche, 03 juin 2012
Intervista a Claudio Mutti
Intervista a Claudio Mutti
La traduzione della tragedia “Ifigenia” di Mircea Eliade è pubblicata dalle Edizioni all’insegna del Veltro
Ultimamente fioccano le “censure di presentazione” di libri ritenuti - per lo più a torto - politicamente o culturalmente scorretti. Tutti lettori sanno qualcosa del recente divieto di presentazione del “Così parlò Zarathustra” edito da Ar. O della richiesta dell’associazione “Gherush” di sospendere l’insegnamento di Dante e della sua “Comoedia” perché... antisemita.
Ma c’è un altro precedente, forse ignoto, che riassumiamo in breve.
Un paio d’anni fa Claudio Mutti - il filologo di Parma tacciato di rossobrunismo e eresia - aveva tradotto e pubblicato in italiano una tragedia di Mircea Eliade, “Ifigenia”, che fu messa in scena un paio di volte in Romania (prima sotto Antonescu e poi sotto Ceausescu).
Alcuni mesi fa un regista teatrale, Gianpiero Borgia, ha letto il libro e gli è piaciuto. Così ha preparato un allestimento dell’Ifigenia di Eliade per il Teatro Festival di Napoli (12 giugno) e per la stagione teatrale del Teatro Stabile di Catania (26 giugno).
Qualche giorno fa, però ha ricevuto un diktat dall’erede dei diritti d’autore di Eliade, tale Sorin Alexandrescu, attivista liberale e fondatore di un Comitato per i diritti umani: la tragedia non deve essere rappresentata nella traduzione di Claudio Mutti, perché ha pubblicato tre saggi storici sul rapporto di Eliade con la Guardia di Ferro di Corneliu Codreanu. Proponiamo ai lettori di “Rinascita” un’intervista al professore fatta da un giovane studioso della lingua romena, che ha appena pubblicato un libro presso Aliberti un libro sul colpo di Stato del dicembre 1989.
Bistolfi:
Claudio Mutti, antichista, filologo, linguista, poliglotta, traduttore e molto altro: una delle Sue ultime fatiche è stata la traduzione della tragedia Ifigenia di Mircea Eliade, pubblicata dalle Edizioni all’insegna del Veltro. Lei ha così portato alla luce un testo pressoché sconosciuto dello studioso romeno. Quando ha scoperto questo lavoro? Di che cosa tratta?
Mutti: Sono debitore della prima lettura di Ifigenia al mio amico Ion Marii, che alcuni decenni fa mi donò un esemplare dell’ormai irreperibile edizione uscita grazie ai suoi sforzi nel 1951, quando era esule in Argentina. A tale proposito, Mircea Eliade scrisse nel dicembre di quell’anno su un periodico dell’emigrazione romena: “Talvolta arrivano degli operai dall’anima angelica e donano i loro averi affinché si possano stampare i versi e le prose dei nostri sognatori o dei nostri veglianti; è il caso di quell’operaio che sta in Argentina, Ion Marii, il quale ha donato all’editore di Cartea Pribegiei tutto quello che aveva risparmiato in un anno e mezzo di lavoro (Ion Marii, primo membro d’onore della Società degli Scrittori Romeni, quando ritorneremo a casa…)”. Norman Manea invece raccontò su “Les Temps Modernes” che Ifigenia venne pubblicata… dal proprietario “della stampa di destra argentina” (sic)!
Di che cosa si tratta? Ifigenia è una tragedia che riprende il mito trattato da Euripide nell’Ifigenia in Aulide, ma si caratterizza per il risalto attribuito al motivo del sacrificio, motivo di cui Eliade si occupò, in quegli stessi anni, nei Commenti alla leggenda di Mastro Manole. La figlia di Agamennone accetta e sollecita il proprio sacrificio affinché la spedizione contro Troia possa compiersi con successo.
La tesi di Eliade è che Ifigenia, accettando e sollecitando il proprio sacrificio, acquisisce un “corpo di gloria” che consiste nel successo della spedizione bellica; essa vive nell’impresa degli Achei proprio come la moglie di Mastro Manole vive nel corpo di pietra e calce del monastero.
Nel mese di giugno il regista Gianpiero Borgia presenterà la versione italiana di Ifigenia, in prima assoluta per l’Italia, al Teatro Festival di Napoli e al Teatro Greco-Romano di Catania. Abbiamo però notato che il Suo nome non compare più nel cartellone. Si tratta di un “refuso” oppure c’è stato qualche problema “tecnico”?
L’erede di Mircea Eliade, suo nipote Sorin Alexandrescu, ha posto come condizione irrinunciabile per la concessione dei diritti che la rappresentazione dell’opera non si avvalesse della mia traduzione e che questa venisse sostituita dalla traduzione inedita di Horia Corneliu Cicortas. Il motivo di questo aut-aut dell’erede di Eliade è dovuto ad un puro e semplice pregiudizio ideologico. Infatti Sorin Alexandrescu, già fondatore di un comitato per i “diritti umani”, ritiene che oggi, “grazie al trionfo mondiale del liberalismo, noi comprendiamo più facilmente quello che molti intellettuali e cittadini non potevano comprendere allora [cioè nel periodo interbellico], ossia che la società liberale è la società meno imperfetta”. Ora, siccome lo zio non ebbe la possibilità di comprendere quello che invece è stato compreso dal nipote, quest’ultimo si trova in grande imbarazzo allorché il nome di Eliade viene associato alla cultura del tradizionalismo o, peggio ancora, al movimento legionario; perciò si sforza di dissociare Eliade da tutto ciò che è culturalmente e politicamente scorretto. Ai suoi occhi io ho commesso la grave colpa di pubblicare in più lingue alcuni studi che sine ira et studio documentano le liaisons dangereuses di Eliade sia col tradizionalismo (Eliade, Vâlsan, Geticus e gli altri. La fortuna di Guénon tra i Romeni) sia con il legionarismo (Mircea Eliade e la Guardia di Ferro e Le penne dell’Arcangelo). Di qui il diktat di Sorin Alexandrescu al regista italiano.
Leggendo Eliade si ha l’impressione che egli abbia rivelato di se stesso molto di più nei romanzi e, scopriamo oggi, in questa tragedia, che non nei diari e nella sua produzione saggistica. Qual è la Sua impressione a riguardo?
Credo di essere stato il primo, oltre una ventina d’anni fa, ad affermare che “sotto il velame” della narrazione romanzesca Eliade ha celato qualcosa che non poteva o non voleva dire esplicitamente in altra maniera: un qualcosa che aveva a che fare con il “culturalmente e politicamente scorretto” di cui ho detto poc’anzi. La mia convinzione è stata poi confermata da altri studiosi, i quali hanno scrutato le pagine della narrativa eliadiana cercando di mettere in luce quelli che Marcello De Martino definisce come i “non detti” e i “frammenti di un insegnamento sconosciuto”.
In Romania è mai stata rappresentata questa tragedia? Quali riscontri ha avuto?
Eliade si trovava all’estero allorché il 12 febbraio 1941 Ifigenia venne rappresentata per la prima volta al Teatro Comedia di Bucarest (il Teatro Nazionale era in restauro in seguito ad un terremoto). Una ventina di giorni prima, il generale Antonescu aveva espulso i legionari dal governo ed aveva instaurato una dittatura militare; dato il successo riscosso dalla prima dell’opera, la moglie di Eliade temeva che le autorità potessero vietare ulteriori rappresentazioni, perché, come si legge nel Diario di Petru Comarnescu, con la figura di Ifigenia “Eliade vuole ricordare Codreanu”. Col Diario di Comarnescu converge il Diario di Mihail Sebastian, il quale non si era recato alla prima di Ifigenia: “Avrei avuto l’impressione di assistere – annotò il drammaturgo ebreo – ad una seduta di cuib”, ossia ad una riunione legionaria. Dovette trascorrere una trentina d’anni, prima in Romania si potesse leggere di nuovo il testo di Ifigenia o assistere ad una rappresentazione della tragedia. Il testo fu pubblicato su “Manuscriptum”, una rivista culturale edita a Bucarest, nel 1974, nel quadro di un’operazione di “recupero” della produzione eliadiana da parte del regime nazionalcomunista. Negli anni Ottanta, la tragedia di Eliade venne rappresentata due o tre volte.
Qual è la percezione che oggi in Romania si ha dell’adesione di Eliade al Movimento legionario? E in Italia?
Per i Romeni che hanno un’opinione positiva del Movimento legionario, l’adesione di Eliade (così come quella della maggior parte dell’intellettualità romena dell’epoca) è motivo d’orgoglio. Per gli altri, a partire dall’erede dei diritti delle sue opere, è motivo d’imbarazzo. Quanto all’Italia, alcuni hanno demonizzato Eliade come un aguzzino che “consegnava alle SS gli ebrei romeni” (così scrisse testualmente “Repubblica”), mentre altri hanno cercato a lungo di sottacerne l’impegno legionario, poi si sono arrampicati sugli specchi per negarlo o minimizzarlo.
26 Maggio 2012 12:00:00 - http://rinascita.eu/index.php?action=news&id=15103
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mardi, 03 janvier 2012
Mircea Eliade, il genio
Mircea Eliade, il genio
Il 13 marzo di cent’anni fa nasceva a Bucarest Mircea Eliade. Fin dall’infanzia i genitori spostano il compleanno al 9 marzo. Al suo nome di battesimo non corrispondeva infatti alcun patrono nel calendario ortodosso, sicché la famiglia decise di festeggiare il giorno 9, che non era consacrato a nessun santo particolare bensì ai Quaranta Martiri uccisi a Sebaste durante le persecuzioni di Luciano.
Studioso del mito e delle religioni, esperto di yoga e sciamanesimo, di occultismo ed esoterismo, romanziere fecondo, saggista dall’erudizione prodigiosa e a suo agio in otto lingue, Eliade è stato tra le intelligenze più acute e versatili del Novecento. Ma l’intelligenza è un dono di dèi invidiosi, un dono avvelenato: il confine che la separa dall’ottusità è mobile.
«Che uomo straordinario sono!», annota il trentaquattrenne intellettuale nel suo Jurnalul din Portugalia, l’inedito diario dei cinque anni, dal 1941 al 1945, trascorsi come consigliere culturale all’ambasciata rumena di Lisbona (in Italia sarà pubblicato da Bollati Boringhieri). Il giovane Eliade, all’epoca ancora sconosciuto al grande pubblico europeo, passa parte delle sue giornate a rileggere alcune sue pagine e si paragona ai grandi della letteratura: «La mia capacità di comprendere e percepire tutto ciò che appartiene alla sfera culturale è illimitata … Comunque sia, i miei orizzonti intellettuali sono più vasti di quelli di Goethe». Il 15 luglio 1943 annota con ineffabile disinvoltura: «Mi rendo conto che dopo Eminescu [il poeta nazionale rumeno], la nostra razza non ha mai più conosciuto una personalità tanto (…) potente e tanto dotata quanto la mia».
I diari integrali saranno desecretati solo nel 2018, ma tutto fa pensare che l’autocritica non appartenesse al pur vastissimo repertorio di Eliade. Né che egli sia mai guarito dalla megalomania di cui evidentemente andava affetto. A quattordici anni aveva già pubblicato il suo primo racconto: Come ho scoperto la pietra filosofale. In un successivo Romanzo dell’adolescente miope (1923) elabora la quasi umiliante scoperta della propria sessualità. Qualche anno dopo, in Gaudeamus (1928), entrano in scena la femminilità e l’amore, e per converso il concetto di «virilità», mutuato dall’adorato Papini, autore di Maschilità. Il suo io è superalimentato dall’ambizione e da una «religione della volontà» fatta di astinenza e disciplina (dormiva cinque ore per non sottrarre tempo allo studio).
Iscrittosi nel 1925 a Lettere e Filosofia dell’università di Bucarest, emerge come leader della giovane «Generazione», un gruppo di intellettuali anticonformisti che aspira a rinnovare la tradizione rumena. Tra gli altri «latini d’Oriente» ci sono Cioran (che nel 1986 gli dedicherà uno dei suoi superbi Exercises d’admiration), Ionesco, Costantin Noica e Mihail Sebastian, un ebreo a lui molto caro.
Nel 1927 e 1928 visita l’Italia, avendo alle spalle una serie di letture rapaci che mettono le ali alla sua passione per nostra cultura (documentata esaurientemente da Roberto Scagno per Jaca Book). Su tutti Papini ed Evola, a proposito del quale scriverà un testo, Il fatto magico, andato perduto. Dopo la laurea su La filosofia italiana da Marsilio Ficino a Giordano Bruno, alla fine del 1928, parte alla volta dell’India per studiare la filosofia orientale con Surendranath Dasgupta. Vi rimane fino al dicembre del 1931, imparando il sanscrito e raccogliendo materiali, conoscenze ed esperienze che lo segnano profondamente. C´è anche una storia d’amore con Maitreyi, la figlia di Dasgupta, nella cui casa a Calcutta era andato ad abitare. La ragazza è la protagonista dell’omonimo romanzo, che Eliade pubblica in Romania nel 1933. Sarà un grande successo, che trasfigura Maitreyi in un simbolo dell’immaginario rumeno.
Incrinatisi i rapporti con Dasgupta, viaggia nellHimalaya occidentale soggiornando nell’ashram di Shivananda e facendosi iniziare allo yoga. Nel contempo lavora alla tesi di dottorato, che discute a Bucarest nel ‘33 e pubblica a Parigi nel ‘36 con il titolo Yoga, saggio sulle origini della mistica indiana. Un libro che lo lancerà come autore di culto quando lo yoga si diffonderà in Occidente.
Dal 1933 al 1940 è di nuovo a Bucarest come assistente di Nae Ionescu, il leggendario maestro della giovane Generazione. Ionescu lo avvicina alla Guardia di Ferro, l’organizzazione di estrema destra capeggiata da Codreanu. Costui era convinto, tra l’altro, che gli ebrei cospirassero per fondare una nuova Palestina tra il Mal Baltico e il Mar Nero, e il suo vice, Ion Mota, aveva tradotto in rumeno I protocolli dei Savi di Sion. Eliade non era antisemita, ma all’epoca si lasciò intruppare. Il diario che l’amico ebreo Sebastian tenne fra il 1935 e il 1944, pubblicato nel 1996, è un’accorato lamento per il comportamento ambiguo di Eliade. Che è tutto preso dalle sue carte: pubblica vari saggi (tra cui Oceanografia e Il mito della reintegrazione), romanzi (tra cui Ritorno dal Paradiso, La luce che si spegne, i due volumi Huliganii), un’importante rivista di studi mitologici, Zalmoxis, che richiamerà l’attenzione di Carl Schmitt ed Ernst Jünger.
Alla fine della guerra si trasferisce a Parigi dove, aiutato da Dumézil, insegna all’Ecole des Hautes Etudes. Il Trattato di storia delle religioni (1949) lo consacra come massimo studioso del fenomeno religioso su scala mondiale. Ostile al metodo positivistico e storicista, Eliade riprende la prospettiva aperta da Rudolf Otto e sviluppa uno studio comparativo del sacro e delle sue manifestazioni, le «ierofanie». La sua non è una storia bensì una morfologia del sacro, le cui forme appaiono e si ripetono nel tempo, con le feste, e nello spazio, con i «centri del mondo», riattualizzando miti primordiali. Per lui il mito non è affatto arcaico né fuori gioco. Si è piuttosto ritirato negli interstizi della modernità, dove si tratta di scovarlo. Contro la presunta superiorità dell’uomo moderno sui «primitivi».
Nel 1950 è invitato da C.G. Jung al primo incontro di «Eranos» ad Ascona. Nel 1956 passa a insegnare alla Divinity School di Chicago, dove rimarrà fino alla morte (avvenuta il 22 aprile 1986 per un ictus). Dal 1960 al 1972 dirige con Ernst Jünger una straordinaria rivista di storia delle religioni, Antaios. Intanto seguita a pubblicare a ritmo martellante un’infinità di lavori, culminati nella grande Storia delle credenze e delle idee religiose (1976-1983). È anche candidato al Nobel per la letteratura.
Purtroppo, un dettaglio ne stoppa l’apoteosi, e gli schizza addosso una macchia infamante. Un dettaglio biografico, sul quale la sua intelligenza si incaglia e si rovescia in ottusità.
Nel 1972 lo storico Theodor Lavi (pseudonimo di Lowenstein), in base al diario ancora inedito di Sebastian e ad altre testimonianze, rivela su Toladot, una piccola rivista dell’emigrazione rumena in Israele, che Eliade era stato vicino alla Guardia di ferro. Eliade fa finta di nulla, cerca di sbarazzarsi del suo passato come un serpente della sua pelle. Ma la notizia fa il giro del mondo, in Italia è ripresa da Furio Jesi. Un suo viaggio a Gerusalemme nella primavera del 1973 dev’essere annullato in extremis, tra lo sconcerto dell’amico Gershom Scholem. Nei suoi diari, silenzio.
Da quel momento Eliade adopera la sua intelligenza per dissimulare e insabbiare. Cerca coperture, si stringe ad amici insospettabili, come Paul Ricoeur e lo scrittore ebreo Saul Bellow. Quest’ultimo diventa suo intimo, ma nel romanzo Ravelstein inscena il dubbio che lo tormenta. Il protagonista, alias Allan Bloom, mette in guardia l’amico narratore da Radu Grielescu, alias Eliade: è stato «un seguace di Nae Ionescu che fondò la Guardia di Ferro», avverte, un jew-hater che denunciò «la sifilide ebraica che contagiava la raffinata civiltà balcanica», «ti strumentalizza» per «rifarsi una verginità». Il tarlo del sospetto non soffocherà la compassione, e ai funerali di Eliade Bellow prenderà la parola per dire il suo dolore e la sua compassione.
È difficile giudicare del caso Eliade. Come è difficile giudicare di Heidegger, Carl Schmitt o Céline. Certo, la loro opera non può più essere letta solo in chiave scientifica o letteraria, separandola dalla biografia. Eppure, la loro vita mediocre non basta a oscurare la grandezza dell’opera che ha generato. Ci chiediamo: perché intellettuali di tale statura si sono ostinati a tacere il loro passato? La verità è che gli uomini sono molto meno uguali di quello che dicono, e molto più di quello che pensano.
È probabilmente questa saggezza che ha indotto perfino il regista Francis Coppola a rendere omaggio a Eliade. Il suo nuovo film, Youth without Youth, prende spunto da un omonimo racconto di Eliade (Tinerete fara tinerete): un settantenne professore, colpito da un fulmine, diventa più giovane anziché più vecchio, attirando l’attenzione dei servizi segreti. Il professore deve scappare attraverso vari paesi fino in India… Anche questa singolare fortuna è un dettaglio in cui si nasconde il buon Dio, e ci avverte che l’opera di Eliade rimane un capitolo inevitabile della storia intellettuale del Novecento, un passaggio obbligato per capirne le convulsioni.
* * *
Tratto da Repubblica del 12 marzo 2007.
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dimanche, 11 septembre 2011
Mircea Eliade: Liberty
Liberty
By Mircea Eliade
"Iconar", March 5, 1937
There is an aspect of the Legionary Movement that has not been sufficiently explored: the individual’s liberty. Being primarily a spiritual movement concerned with the creation of a New Man and the salvation of our people – the Legion can’t grow and couldn’t have matured without treasuring the individual’s liberty; the liberty that so many books were written about with which so many libraries were stacked full, in defense of which many
democratic speeches have been held, without it being truly lived and treasured.
The people that speak of liberty and declare themselves willing to die for it are those who believe in materialist dogmas, in fatalities: social classes, class war, the primacy of the economy, etc. It is strange, to say the least, to hear a person who doesn’t believe in God stand up for “liberty,” who doesn’t believe in the primacy of the spirit or the afterlife.
Such a person, when they speak in good faith, mix “liberty” up with libertarianism and anarchy. Liberty can only be spoken of in spiritual life. Those who deny the spirit its primacy automatically fall to mechanical determinism (Marxism) and irresponsibility.
There are, however, spiritual movements wherein people are tied by liberty. People are free to join this spiritual family. No exterior determination forces them to become brothers. Back in the day when it was expanding and converting, Christianity was a spiritual movement that people joined out of the common desire to spiritualize their lives and overcome death. No one forced a pagan to become a Christian. On the contrary, the state on the one hand, and its instincts of conservation on the other, restlessly raised obstacles to Christian conversion.
But even faced with such obstacles, the thirst of being free, of forging your own destiny, of defeating biological and economic determinations was much too strong. People joined Christianity, knowing that they would become poor overnight, that they would leave their still pagan families behind, that they could be imprisoned for life, or even face the cruelest death—the death of a martyr.
Being a profoundly Christian movement, justifying its doctrine on the spiritual level above all – legionarism encourages and is built upon liberty. You adhere to legionarism because you are free, because you decided to overcome the iron circles of biological determinism (fear of death, suffering, etc.) and economic determinism (fear of becoming homeless). The first gesture a legionnaire will display is one born out of total liberty: he dares to free himself of spiritual, biological and economic enslavement. No exterior determinism can influence him. The moment he decides to be free is the moment all fears and inferiority complexes instantaneously disappear. He who enters the Legion forever dons the shirt of death. That means that the legionnaire feels so free that death itself no longer frightens him. If the Legionnaire nurtures the spirit of sacrifice with such passion, and if he has proven to be capable of making sacrifices – culminating in the deaths of Mota and Marin – these bear witness to the unlimited liberty a legionnaire has gained.
http://www.archive.org/details/Liberty_7
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lundi, 22 novembre 2010
Il mito, per Eliade, dà valore e significato al mondo e alla vita
di Francesco Lamendola
Fonte: Arianna Editrice [scheda fonte]
L’uomo non può vivere senza miti; meglio: non può vivere senza un sistema di pensiero mitico, che integri in se stesso l’intero fenomeno dell’esistenza.
Poiché l’universo mitico è proprio delle culture arcaiche e di quelle tradizionali, comunque del mondo pre-moderno, esiste un atteggiamento di sufficienza e di distacco nei suoi confronti, quasi che si trattasse della espressione di un pensiero bambino, giustificato in un conteso “primitivo”, ma assolutamente incongruo nella razionale società odierna.
Questo grossolano pregiudizio scientista fa sì che la cultura occidentale moderna stenti a trovare gli strumenti operativi e le stesse categorie concettuali atti a comprendere il fenomeno della mitologia dall’interno, ossia cogliendone le vitali articolazioni con l’orizzonte spirituale dei popoli che l’hanno elaborata, per dare fondamento alla loro esistenza e per stabilire una relazione di corrispondenza fra se stessi e la realtà circostante.
Il mito non è soltanto uno strumento per razionalizzare i fenomeni naturali e per rassicurare le paure ancestrali dell’uomo, come vorrebbe la Vulgata scientista, ma qualcosa di molto più complesso e di molto più elevato: è una finestra sulla dimensione trascendente spalancata nell’immanente, sull’atemporale nel temporale, sull’assoluto nel relativo.
Grazie al mito, la realtà assume un significato e si presenta all’uomo sotto la categoria dei valori: a cominciare dalla sua stessa esistenza, collegata al passato (antenati) e al futuro (discendenti), nonché a tutti gli altri viventi, vegetali ed animali, al cielo, alla terra, alle stagioni, al giorno e alla notte; e pervasa da poderose correnti di presenze sovrumane, ora benevole ora maligne, che l’uomo stesso può, a determinate condizioni, comprendere e, talvolta, padroneggiare.
Se l’animale cade sotto la freccia del cacciatore, ciò non avviene per esclusivo merito dell’abilità di quest’ultimo; se la spiga di grano germoglia e giunge a maturazione, ciò non è solamente effetto del lavoro dell’agricoltore. Esiste un patto fra l’uomo e le forze della natura, sottoscritto dagli antenati e rinnovato continuamente mediante i riti sciamanici e le prescrizioni totemiche, grazie al quale la Terra offre all’uomo ciò di cui ha bisogno, purché ne usi con saggezza e con moderazione e purché si riconosca debitore di tutto ciò che riceve.
Il mito è la struttura di pensiero che rende ragione di tutto ciò e, di conseguenza, che offre all’uomo la prospettiva di un significato insito nelle cose, in tutte le cose, ivi compreso il suo stesso esistere; in questo senso, si può anche dire che il pensiero mitico è una forma embrionale di pensiero filosofico, o, per dir meglio, una forma di pensiero parallela al pensiero filosofico. Infatti la mitologia non è una sorta di filosofia bambina, ma una forma di pensiero che, come la filosofia, tende a spiegare l’origine delle cose e della vita; non limitandosi - però - alla dimensione del pensiero logico, né ad una conoscenza di tipo oggettivo ed esterno alle cose, ma calandosi, per così dire, nelle cose stesse, onde rivelarne il volto nascosto ed i significati profondi, che parlano all’uomo per mezzo di simboli.
Ciò non significa in alcun modo che il mito sia una forma di conoscenza inferiore alla filosofia; tanto è vero che un filosofo della statura di Platone si è servito del mito proprio per tentare di esplorare alcune delle verità più profonde e difficili. (Ma su tutto questo, vedi anche il nostro precedente articolo: «Il pensiero mitico è diverso, non certo inferiore a quello scientifico», particolarmente dedicato alla riflessione dell’epistemologo tedesco Kurt Hübner, apparso sul sito di Arianna Editrice in data 15/01/2008).
Il grande storico delle religioni Mircea Eliade ha dedicato gran parte dei suoi studi e delle sue riflessioni proprio ad illuminare il significato del mito nel contesto delle culture arcaiche, con particolare riguardo allo sciamanesimo; e, su tale argomento, ha scritto alcune delle pagine più significative che l’intera cultura europea abbia prodotto.
Osserva, dunque, Eliade in «Mito e realtà» (titolo originale: «Myth and Reality»; trasduzione italiana di Giovanni Cantoni, Roma, Borla Editore, 1974, pp. 144-46):
«In un mondo simile [ossia quello del mito], l’uomo non si sente rinchiuso nel suo modo d’esistenza; anch’egli è “aperto”, comunica con il mondo, perché utilizza lo stesso linguaggio: il simbolo. Se il mondo gli parla attraverso i suoi astri, le sue piante e i suoi animali, i suoi fiumi e i suoi monti, le sue stagioni e le sue notti, l’uomo gli risponde con i suoi sogni e la sua vita immaginativa, con i suoi antenati oppure con i suoi “totem” - ad un tempo natura, sovranatura ed esseri umani -, con la sua capacità di morire e risuscitare ritualmente nelle sue cerimonie di iniziazione (né più né meno della luna e della vegetazione), con il suo potere di incarnare uno spirito mettendosi una maschera, ecc. Se il mondo è trasparente per l’uomo arcaico, anche questo si sente “guardato” e compreso dal mondo. La selvaggina lo guarda e lo comprende (spesso l’animale si lascia catturare perché sa che l’uomo ha fame), come pure la roccia, o l’albero, o il fiume. Ciascuno ha la sua storia da raccontargli, un consiglio da dargli.
Pur sapendosi essere umano e accettandosi come tale, l’uomo delle società arcaiche sa anche di essere qualche cosa di più. Per esempio, sa che il suo antenato è stato un animale, oppure che può morire e tornare alla vita (iniziazione, trance sciamanica) , che può influenzare i raccolti con le sue orge (che può comportarsi con la sua sposa come il cielo con la terra o che può avere la parte del vomere e sua moglie quella del solco). Nelle culture più complesse, l’uomo sa che il suo respiro è vento, che le sue ossa sono simili a montagne, che un fuoco brucia nel suo stomaco, che il suo ombelico può diventare “centro del mondo”, ecc.
Non bisogna immaginare che questa “apertura” verso il mondo si traduca in una concezione bucolica dell’esistenza I miti dei “primitivi” e i rituali che ne dipendono non ci rivelano un’Arcadia arcaica. Come si è visto, i paleocoltivatori, assumendosi la responsabilità di far prosperare il mondo vegetale, hanno accettato ugualmente la tortura delle vittime a vantaggio dei raccolti, l’orgia sessuale, il cannibalismo, la caccia di teste.
Si tratta di una concezione tragica dell’esistenza, risultato della valorizzazione religiosa della tortura e della morte violenta. Un mito come quello di Hainuwele [tramandato nelle Isole Molucche, nella parte più orientale dell’odierna Indonesia], e tutto il complesso socio-religioso che esso articola e giustifica, forza l’uomo ad accettare la sua condizione di essere mortale e sessuato, condannato a uccidere e a lavorare per potersi nutrire. Il mondo vegetale e animale gli “parla” della sua origine, cioè, in ultima analisi, di Hainuwele; il paleo coltivatore comprende questo linguaggio e scopre un significato per tutto ciò che lo circonda e per tutto ciò che fa. Ma questo lo obbliga ad accettare la crudeltà e l’uccisione come parte integrante del suo modo d’essere. Certamente, la crudeltà, la tortura, l’uccisione, non sono comportamenti specifici ed esclusivi dei “primitivi”. Li si incontra lungo tutta la storia, talvolta con un parossismo sconosciuto alle società arcaiche. La differenza consiste soprattutto nel fatto che, per i “primitivi”, questa condotta violenta ha un valore religioso ed è ricalcata su modelli sovrumani. Questa concezione si è protratta a lungo nella storia. Gli stermini di massa di un Gengis Khan, per esempio, trovano ancora una giustificazione religiosa.
Il mito non è, in se stesso, una garanzia di “bontà” e di moralità. La sua funzione consiste nel rivelare dei modelli e nel fornire così un significato al mondo e al’esistenza umana. Anche il suo ruolo nella costituzione dell’uomo è immenso. In virtù del mito, lo abbiamo detto, le idee di REALTÀ, di VALORE, di TRASCENDENZA, vengono lentamente alla luce. In virtù del mito, il mondo si lascia cogliere come cosmo perfettamente articolato, intelligibile e significativo. Raccontando come le cose sono state fatte, il mito svela per chi e per che cosa sono state fatte e in quale circostanza. Tutte queste “rivelazioni” impegnano direttamente l’uomo, perché costituiscono una “storia sacra”.»
Come si vede, la visione di Eliade è lontanissima da ogni edulcorazione in chiave roussoiana delle società arcaiche; nessun mito del buon selvaggio, nessuna “bontà” intrinseca del mondo mitico: e, del resto, basta un minimo di conoscenza della storia e della letteratura antiche per rendersene immediatamente conto.
Non è forse per espletare un rito di natura espiatoria e propiziatoria che Achille uccide i dodici giovinetti troiani sulla pira di Patroclo; episodio che perfino il raffinato Virgilio, esponente di una cultura molto più “moderna”, riprende nella sua «Eneide»? Ebbene, si tratta di un’azione che acquista significato alla luce della credenza in un legame tra l’aldiqua e l’Aldilà, che trae origine e significato alla luce del mito: nel caso specifico, la credenza che il sangue di alcune vittime innocenti possa placare i Mani di un defunto strappato anzitempo alla vita.
E non sono forse piene le tombe etrusche, a cominciare dalla celeberrima Tomba François di Vulci, di simili raffigurazioni, addirittura impressionanti nella loro carica di tragicità e di cruento realismo, con il demone infernale Charun (latrino Charon), dall’aspetto spaventoso, che accompagna le anime nel loro viaggio al Regno dei morti?
Eliade ci ricorda che la pratica del sacrificio umano è indissolubilmente legata alle culture dei paleocotivatori; e l’archeologia ce ne dà conferma, da un capo all’altro del mondo, dall’Europa alle Americhe: ad esempio con le cerimonie dei Maya per scongiurare la siccità mediante il sacrificio di una fanciulla vergine, che veniva precipitata in un pozzo, o con quella degli Skidi Pawnee dedicata alla Stella del mattino, nella quale, sempre per propiziarsi le forze magiche della natura, essi uccidevano una vergine, all’alba, trafiggendola con piccole frecce infuocate.
Sbagliano, dunque, sia coloro i quali ostentano disprezzo verso la concezione mitica del mondo, sia coloro i quali la idealizzano in maniera ingenuamente acritica, proiettando su di essa il loro vagheggiamento di un Eden incontaminato e perfetto, che nasce dalla frustrazione di essere membri di una società esasperatamente individualista e materialista.
La funzione del mito era ed è essenzialmente quella di rivelare la dimensione nascosta, originaria, delle cose, mostrando la stretta interconnessione che tutte le congiunge e che unisce ad esse anche l’uomo.
Al tempo stesso, il mito tramanda il ricordo di un tempo in cui un ordine felice regnava nel mondo e l’uomo stesso godeva di uno statuto privilegiato; cose entrambe che sono andate perdute a causa di un disordine, di una perturbazione, di una caduta che ha incrinato l’assetto originario, ma che appunto il mito è in grado di recuperare, almeno parzialmente, consentendo all’uomo di ricollegarsi a quella fortunata condizione originaria.
In questo senso, è corretto affermare che il mito punta a reintegrare l’uomo nella sua pienezza ontologica e che tale reintegrazione assume le forme e la prospettiva di una elevazione, ossia di un superamento della sua condizione presente, limitata e precaria, per sviluppare e potenziare in lui le facoltà superiori, ivi compresa quella di parlare alle cose, alle piante, agli animali e, pertanto, di rinsaldare i vincoli magici che tengono in equilibrio le forze cosmiche.
Il mito si collega anche da questo lato allo sciamanesimo e dischiude all’uomo la possibilità di inserirsi non più da spettatore inerme o da vittima rassegnata, ma da autentico protagonista, nel gioco di tali forze cosmiche, dalle quale può attingere poteri e possibilità che, nello stato ordinario di esistenza, sono per lui inimmaginabili.
Infine il mito delinea una concezione sacrale del reale; una concezione, cioè, che, rivestendo di mistero e di potenza gli elementi del cosmo, si pone agli antipodi della nostra cultura secolarizzata e della sua pretesa di capire tutto, di spiegare tutto, di misurare e quantificare ogni cosa, alla luce del Logos strumentale e calcolante.
Il mito, infatti, non è, semplicemente, conoscenza del reale, ma rivelazione: e, come tale, presuppone un “corpus” di dottrine esoteriche che solo nei tempi e nei modi stabiliti possono venir trasmessi di generazione in generazione, essendo di origine superiore all’umana; ciò che va propriamente sotto il nome di Tradizione.
Riconoscendo una Tradizione sovrumana, dalla quale derivano tanto l’ordine cosmico, quando le dottrine iniziatiche che permettono all’uomo di scorgerlo, di rispettarlo e di porsi in sintonia con esso, il mito si pone, in effetti, come una forma di approccio al reale radicalmente diversa, e antagonista, rispetto a quella cui noi moderni siamo ormai talmente abituati, da considerarla l’unica vera e realmente efficace.
Una cosa è certa: finché non scenderemo dal piedistallo della nostra presunzione scientista, non potremo capire nulla del mito e continueremo o a denigrarlo, o a idealizzarlo, senza mai penetrarne l’intima essenza.
Che non si lascia catturare in schemi di tipo esclusivamente logico e scientifico, quali quelli cui siamo abituati da quattro secoli di razionalismo materialista e meccanicista; ma che richiede un salto, una discontinuità nel nostro atteggiamento verso il reale, che coinvolga non solo il Logos, ma tutte le nostre facoltà, a cominciare dai sensi interni e dalle potenzialità sopite dell’anima.
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samedi, 11 septembre 2010
La metafisica del sesso in Mircea Eliade
di Giovanni Casadio* Mircea Eliade nacque nel marzo 1907 e morì nel 1986, quindi a poco più di 79 anni. Trascorse 3 anni in India, quasi un anno in Inghilterra, quasi 5 anni in Portogallo (Lisbona e Cascais), 11 anni a Parigi, 30 anni in America (Chicago) e naturalmente 33 anni in Romania, gli anni della formazione, durante i quali fece continui viaggi in Italia e in Germania. Durante i 30 anni di relativa stabilità a Chicago, quasi tutte le estati traslocava in Francia, con lunghe trasferte prima nel Canton Ticino e poi in Italia.
Fonte: Rinascita [scheda fonte]
“La vita è fatta di partenze”
Jurnalul Portughez, 19 luglio 1945
Si sposò due volte (come adombrato nel proverbio “di Venere e di Marte non si sposa e non si parte”, le nozze sono come un imbarco per un viaggio assai incerto). La prima moglie Nina Mareş (dal 1934 al 1944), la seconda Christinel Cottescu (dal 1950 al 1986) furono devotissime amanti, massaie e segretarie. Ebbe una decina di amori extraconiugali importanti (i più notevoli, quello con Maitreyi, per il contesto orientale e il libro – anzi i due libri – che ne seguirono, e quello con Sorana, per l’exploit orgasmico di cui parlerò nel seguito). E svariate altre donne: non tantissime come il coetaneo Georges Simenon (1903-1989), che si vantava di aver consumato un numero di donne superiore a quello delle matite usate nei suoi innumerevoli scritti (quattrocento e più romanzi e migliaia di articoli) e in un’intervista al vitellone romagnolo Federico Fellini dichiarava: “Fellini, je crois que, dans ma vie, j’ai été plus Casanova que vous! J’ai fait le calcul, il ya un an ou deux. J’ai eu dix mille femmes depuis l’âge de treize ans et demi. Ce n’est pas du tout un vice. Je n’ai aucun vice sexuel, mais j’avais besoin de communiquer!”
Ma anche i libri o gli articoli che si scrivono e poi (non sempre) si pubblicano sono partenze. Un elenco provvisorio, probabilmente in difetto, potrebbe essere il seguente: Romanzi o racconti lunghi: 15 - volumi di novelle: 4 - diari: 5 - volumi di memorie: 2 - drammi: 4 - saggi di storia delle religioni, di filosofia, di critica letteraria: 34 e più - curatele di opere singole o collettive: 2 tomi (Bogdan Hasdeu); 1 tomo (Nae Ionescu); 4 tomi (From Primitives to Zen: fonti di storia delle religioni), 15 voll. (Encyclopedia of Religion) - riviste fondate e dirette o co-dirette: 1. Zalmoxis, 2. Antaios, 3. History of Religions.
Aggiungiamo più di 1900 articoli, pubblicati in riviste e miscellanee di varia cultura soprattutto nel periodo romeno, ripresi solo in minima parte nelle opere menzionate sopra. E non parliamo degli infiniti frammenti inediti: abbozzi di libri non condotti a termine, note erudite, appunti di diario smarriti nei vari traslochi o da lui stesso gettati nelle fiamme o distrutti nel grande incendio che devastò il suo ufficio all’Università di Chicago un anno prima della morte. Molto si trova ancora nei 177 scatoloni del fondo Eliade conservato allo “Special Collections Research Center” presso la Regenstein Library della Università di Chicago, insieme alla corrispondenza, i manoscritti e le prime copie a stampa di tutti i libri pubblicati da Eliade, scritti su di lui e altro materiale interessante, compreso la famosa pipa, 5 temperini e un calzascarpe. Certo una bagattella al confronto della produzione del quasi coetaneo teologo indo-catalano Raimon Panikkar (1918-), al quale si devono più di 60 voll. e più di 1500 articoli, ma – si sa – i teologi scrivono sotto la dettatura di Dio (ed Eliade non era un teologo, contrariamente a quanto molti pensano). Ma un numero abbastanza cospicuo per comprendere che siamo di fronte a un essere fenomenale: un individuo ossessionato da una specie di delirio della scrittura-confessione, in funzione di una fuga dalla realtà (in gergo psicologico “escapismo”), che è poi una forma estrema di svago o distrazione, il cui scopo è d’estraniarsi da un’esistenza nei confronti della quale si prova disagio.
Infinite (in svariate lingue) le monografie, le miscellanee, gli articoli, le voci d’enciclopedia, le recensioni, le tesi di laurea sui più disparati aspetti della sua vita e della sua opera. E – ed è ciò che più conta – infinite citazioni dei suoi scritti in opere di storia delle religioni e di ogni altro genere letterario; per fare un esempio, Eliade è l’unico storico delle religioni menzionato in due opere chiave di due papi, Karol Józef Wojtyła (Varcare la soglia della speranza) e Joseph Ratzinger (Fede, verità, tolleranza).
La sua vita in Portogallo
In questa sede, ci proponiamo di affrontare alcuni momenti del suo vissuto interiore nel periodo portoghese. Premettiamo che Eliade stette in Portogallo, prima come addetto stampa, poi come consigliere culturale, poi di nuovo come addetto stampa, poi come privato cittadino (in ragione dei mutamenti del vento politico romeno) dal 10 febbraio 1941 al 13 sett. 1945, esattamente 4 anni e 7 mesi: sono date che parlano da sé …
Il Jurnal portughez è il più importante dei diari di Eliade per due motivi. Anzitutto esso si diversifica da Şantier (“Cantiere”, noto in Italia come Diario d’India) e dai tre voll. di Fragments d’un journal ovvero Journalul in romeno (che vanno dall’arrivo in Francia nel ’45 alla morte dell’autore nell’86) perché non fu ridotto (e censurato) dall’Autore per la pubblicazione, sia perché non ne ebbe il tempo sia perché non si trovò mai nella disposizione d’animo adatta per fare i conti con il vissuto psichico di quegli anni colmi di avvenimenti funesti per lui, per il suo paese e per il resto del mondo. Sia chiaro: quando Eliade scrive, scrive sempre col pensiero al lettore. Una volta, infatti, osserva che solo quando lui avrà sessant’anni quei pensieri potranno essere resi di pubblico dominio, e solo allo stato di “frammenti”, estrapolati dall’insieme delle confessioni: così scrive il 5 febbraio 1945. Alla sua morte la moglie Christinel non si è mai decisa a dare il permesso della pubblicazione: solo pochissimi intimi hanno avuto accesso al manoscritto conservato nel fondo Eliade della Biblioteca Regenstein di Chicago, tra i quali l’amico romeno Matei Calinescu (1934-2009) e il fedelissimo allievo e biografo McLinscott Ricketts. Ricapitolando, il testo manoscritto è stato pubblicato così come era stato buttato giù dall’autore, e sarebbe dunque la prima volta che ci troviamo di fronte ai pensieri immediati di Eliade, un autore che anche critici benevoli come N. Spineto e B. Rennie considerano un grande bugiardo, costruttore e manipolatore del proprio personaggio per la posterità.
Abbiamo detto che il Jurnal del periodo portoghese è più importante di tutti gli altri diari per due motivi. Il primo, si è visto, risiede nel suo carattere di documento genuino, immediato, in quanto presenta i suoi pensieri senza tagli o rielaborazioni. Il secondo motivo è di ordine contenutistico, e non è meno essenziale. In esso infatti sono narrati: 1) i pensieri e le emozioni che fanno da sostrato alle due opere di Eliade (apparse entrambe nel 1949 ma cominciate in quegli anni luttuosi) di gran lunga più lette e citate, cioè il Traité d’histoire des religions (prima concepito come “Prolegomeni” e poi ripresentato in inglese come Patterns) e il Mythe de l’éternel retour (successivamente presentato in inglese col titolo più descrittivo Cosmos and History); 2) le emozioni e i pensieri generati dal progressivo disfacimento – cui seguirà un inesorabile collasso – delle due cose che al Nostro erano più care, la patria -nazione romena, neamul românesc (sotto il rullo compressore delle armate sovietiche e per la inettitudine o complicità di “piloti orbi” di varie tendenze), e la sposa Nina Mareş (in seguito agli effetti devastanti di un cancro all’utero). E – come è stato notato anche da Alexandrescu, che definisce il Diario portoghese “Apocalisse di Eliade” o “secondo Mircea Eliade” (p. 317, trad. ital.; p. 26, ed. romena) – tra le due catastrofi esiste un inscindibile nesso, quale quello che può sussistere tra le vicende del macrocosmo-mondo e quelle del microcosmo-uomo, per restare nei termini di una polarità derivata da una tradizione – quella indiana – a lui estremamente familiare (si veda, ad es. nel Diario, la riflessione del 25 sett. 1942: “Quando l’uomo scopre sé stesso, ātman, scopre l’assoluto cosmico, brahman, e nello stesso tempo coincide con esso”, p. 49, trad. it.). In queste circostanze, e da esse condizionato e afflitto, egli elabora una serie di formule ermeneutiche che anticipano la filosofia delle due opere. Da queste circostanze, in maniera ancora più evidente, nascono una serie di riflessioni assolutamente brutali sulla situazione politica del tempo e sulla propria intimità personale, riflessioni che non mancheranno di suscitare gli strilli indignati delle anime belle e dei corifei della correttezza politica. Diamo quindi la parola all’autore stesso: all’Eliade intimo.
La bella giudea di Cordova
Anzitutto una riflessione sulla donna come virtuale soggetto e oggetto di desiderio e di innamoramento. Il 5 ottobre 1944 Eliade è a Cordova per un congresso in cui avrebbe parlato di miti sull’origine delle piante. Nella piazzetta di Maimonide adocchia “dal gruppo di curiosi che ci guardano passare, una ragazza straordinariamente bella, con una macchia bruna sotto gli occhi. Un tipo marcatamente ebraico” (p. 169 trad. it.). In lui si accende la fiamma del desiderio; non lo dice – secondo lo stile reticente e allusivo che è tipico del suo diario –, ma è evidente dalla narrazione che segue. “Al Depósito de Sementales (cioè il deposito degli stalloni), perché ci vengano mostrati i cavalli. Il primo cavallo che ci presentano è da monta: poderoso, ma terribile. In effetti il sesso non è mai bello, manca di grazia, non ha altra qualità tranne quella della riproduzione potenziata in modo mostruoso. Sono convinto che la maggior parte dei cavalli arabi e arabo-ispanici che ci vengono fatti vedere, superbi, nervosi e fieri, siano impotenti, o quasi. Il pensiero che la forza generativa che sento turbarmi sin dall’adolescenza potrebbe essere il grande ostacolo tra me e lo spirito puro, l’uccello del malaugurio del mio talento, mi deprime. Che cosa avrei potuto creare se fossi stato meno schiavo della carne!”. Eliade fu certo ossessionato dall’antitesi tra libido copulandi e libido scribendi (sentite entrambe come forme di creazione potenziale), ma non ricorse mai come il giudeo greco alessandrino Origene al rimedio estremo della castrazione. Per domare le urgenze della carne dovette attendere il naturale sedarsi dell’istinto sessuale, in seguito al trascorrere degli anni e grazie alla compagnia di una donna castrante come Christinel Cottescu. Lì a Cordova, la visione in rapida successione della bella giudea e dei potenti/impotenti stalloni fa scattare nella sua mente un’intuizione sulle modalità dell’eros femminile che è certo basata sulla sua ventennale esperienza di seduttore ma anche su una raffinata capacità di cogliere gli aspetti sottili della realtà, capacità che è poi anche quella che contraddistingue la sua ermeneutica dei fenomeni religiosi nei loro aspetti simbolici. “Dubito che le donne amino la violenza come stile erotico e abbiano un debole per gli uomini brutali. La donna è sensibile in primo luogo all’intelligenza (come la intende lei, ovviamente: “vivacità di spirito”, “facezia” [spirt, drăcos, glumeţ], ecc.); più che alla stessa bellezza. In secondo luogo, è sensibile alla bontà. Tutti i racconti con donne ossessionate da uomini brutali, ecc., sono invenzioni letterarie di certi decadenti. Statisticamente, e soprattutto nei villaggi, ciò che attrae nel 90 % le donne è il “cervello” (deşteptăciunea) e la bontà. Non è la capacità generativa a distinguerci dalle donne, ma l’intelligenza” (p. 170 trad. it.).
La conclusione di Eliade, per quanto generalizzante, è sicuramente fondata e potrebbe assegnare al suo autore un posto d’onore tra i trattatisti dell’amore nella serie che va da un Andrea Cappellano a un Henri Stendhal, fino a un Francesco Alberoni, si licet parvis componere magnis. Merita attenzione il corollario di questa riflessione che sembra caratteristico di una mentalità tipicamente maschilista, piuttosto disinvolta nei riguardi delle capacità intellettuali del gentil sesso: “Non è la capacità generativa a distinguerci dalle donne, ma l’intelligenza”.
Intelligenza e gentil sesso
Vuole egli intendere, con questa asserzione, che le donne sono prive di intelligenza?
Probabilmente sì, nel senso che le donne sarebbero prive di quel certo tipo di intelligenza o prontezza di spirito che esse prediligono in quegli uomini che ai loro occhi ne appaiono dotati. E credo invero che quel suo insistere sulla differenza (quella certa cosa che ci distingue dalle donne, “ne distingue de femei”), debba intendersi nel senso che le donne – come del resto gli uomini – sono naturalmente attratte (per la nota legge chimico-fisica sull’attrazione tra poli contrari) da quegli uomini che possiedono in maniera marcata una caratteristica di cui esse si sentono prive: il che naturalmente è vero solo in certi casi. E sarà lo stesso Eliade a notarlo in un pensiero successivo che sembra in netta contraddizione con questo.
L’11 aprile 1945, meno di un anno dopo, il Nostro è in uno stato di acuta irritazione nei riguardi dei suoi compatrioti maschi (in particolare i funzionari del ministero degli Esteri, pronti a inchinarsi di fronte al nuovo padrone sovietico) e in più soggetto a una crisi nevrastenica, “alimentata in modo naturale dalla mia insoddisfazione erotica”. Il suo pessimismo “per quel che riguarda la condizione attuale dell’uomo” lo induce ad impietose considerazioni che smascherano la (presunta) superiorità dell’intelligenza maschile. “Certe volte mi deprime l’enorme ruolo che continua a svolgere la vanità nella vita di quasi tutti gli uomini; superiore a quello del sesso, della fame o della paura della morte. Mi convinco egualmente che il maschio ‘in generale’ è di gran lunga più stupido di quello che ritenevo sino a qualche anno fa. La lucidità del maschio è una leggenda. Conosco, oggi, moltissimi uomini che sono stati scelti, menati per il naso e ‘acchiappati’ da donne completamente prive di ogni tipo di attrattiva – senza che essi avessero anche solo il sospetto del ruolo passivo che hanno avuto. (…) In moltissime coppie che ho conosciuto negli ultimi sette, otto anni, le mogli sono molto al di sotto del livello dei mariti, ma infinitamente più intelligenti e abili di loro, prova ne sia il fatto che se li tengono. Al contrario, quasi tutte le donne ammirevoli che ho conosciuto in questo lasso di tempo sono rimaste senza marito, perché nessun uomo ha saputo sceglierle. D’altronde, credo che quasi nessun uomo scelga. È sempre scelto. Come spiegarmi, altrimenti, tante coppie assurde che conosco? La stupidità dei maschi non è mai tanto evidente come quando, dopo molti amoreggiamenti e avventure, decidono di sposarsi. Quasi sempre la sposa ‘scelta’ è di gran lunga inferiore alle donne con le quali hanno flirtato, ecc.” (p. 264-265, trad. it.). Sei mesi prima, come abbiamo visto, pare che egli pensasse esattamente il contrario. Anche se sembra evidente che nell’un caso egli si riferisce alle condizioni in base alle quali la donna si lascia sedurre, nell’altro alla strategia che mette in atto per sedurre – a fini matrimoniali. Sulla donna, sul mistero della mente femminile, comunque, fa cilecca la razionalità di Mircea Eliade, come faceva cilecca la razionalità di un Platone o di un Schopenhauer.
L’eros come emozione
e orgasmo
E dall’eros come “innamoramento” passiamo a un’altra serie di riflessioni attorno a un altro aspetto paradossale della tematica erotica: l’eros come emozione legata all’evento fisiologico dell’eccitazione e dell’orgasmo, di nuovo da un punto di vista prettamente maschile. Tra il 2 e il 3 di febbraio del 1945, quando la disperazione per la “sparizione di Nina” gli pare intollerabile, quando la lettera di quasi licenziamento del Ministero degli Esteri lo getta praticamente sul lastrico, egli giunge, come avrebbe detto Eschilo, al mathein attraverso il pathein: a un intuizione geniale attraverso l’angoscia e la sofferenza (p. 227, trad. it.). Egli si domanda: “Che cosa significa la perdita di tua moglie, in confronto alla grande catastrofe mondiale, nella quale lasciano la vita decine di migliaia di persone al giorno, che annienta città e strema nazioni?”. La risposta che Eliade dà è lucidissima, e getta, per così dire, un ponte tra il macro- e il microcosmo; e significa, nel fondo, che la massa non è che una somma di individui tra loro incomunicabili. “Gli risponderei: immaginati un giovane innamorato da tanto tempo, che, un bel giorno, riesce a far sua la donna amata. È felice, e nel vederlo traboccare di felicità tu gli dici: ‘Che interesse può avere il fatto che tu oggi abbia posseduto una donna! Alla stessa ora, in tutto il mondo, almeno un milione di coppie stavano facendo, come te, l’amore. Non c’è nulla di straordinario in quello che ti è successo!’. E, malgrado ciò, lui, innamorato, sa che ciò che gli è successo è stato straordinario”. In questa minirealtà – che poi tanto minima non è – Eliade dà mostra di una capacità introspettiva che gli fa cogliere quel tanto di banale e di balordo che è implicito nell’atto della consumazione, che assume significato solo attraverso l’amore, amore che è in grado di produrre una trasformazione quasi alchemica dell’evento fisiologico. Una capacità introspettiva che è in fondo in sintonia (ci sia concesso questo accostamento che ad alcuni potrà apparire irriverente o impertinente) con la sua riflessione su tempo ed eternità, quale si ritroverà appunto nel libro alla stesura del quale si accingerà il mese successivo e che apparirà in Francia quattro anni dopo col titolo Le mythe de l’éternel retour. Archétypes et répétition (Paris 1949). Per il resto della notte lo rode l’insonnia, durante la quale si accavallano pensieri dominati da una disperazione atroce e senza apparente via di uscita (“sento che qualsiasi cosa faccia il risultato è la disperazione”). E di nuovo si rifugia nell’escamotage del libertinaggio fine a se stesso, svuotato di ogni dimensione romantica.
“E ho un’alternativa: se mi getterò di nuovo in esperienze (leggi: erotismo), mi consumerò invano, perché nessun piacere fisico può essermi di consolazione una volta estinto (può forse consolarmi l’aver stretto tra le braccia Rica, Maitrey, Sorana e qualche altra? Mai un ricordo erotico consola; tutto si consuma per sempre nell’atto; si ricorda l’amore, l’amicizia, la storia legata a una donna, ma ciò che è stato essenzialmente erotico, il fatto in sé diventa nulla nell’istante successivo alla sua consumazione). Così, mi dico che devo accontentarmi di un equilibrio fisiologico acquisito senza grattacapi (un’avventura qualunque e comoda) e concentrarmi sulla mia opera, lasciandomi passare accanto la vita senza sentirmi costretto ad assaporarla, a cambiarla né ad avvicinarmela”. Alla lucidità della diagnosi (effettivamente è così: il ricordo erotico non consola, tutto si consuma per sempre nell’atto, da cui il pessimismo sull’eros come adempimento fisiologico frustrante di Lucrezio nel IV libro del De Rerum Natura e l’insaziabile concupiscenza di Don Giovanni nel mito e nella letteratura) segue la banalità della terapia: “un’avventura qualunque e comoda”, cioè evidentemente mercenaria.
Insomma, per salvarsi dalla depressione conseguente alla débacle sua personale e della sua patria, Eliade (in fondo ha solo 38 anni, un’età in cui gli ormoni sono ancora assai attivi) si rifugia nel sesso come atto biologico di puro consumo. Nei giorni e nelle notti che vanno dal 5 marzo al 15 aprile 1945, mentre la storia macina gli eventi (per usare un’espressione carducciana) come in nessun altro momento del secolo testé trascorso, il Nostro macina i propri testicoli con accanimento per così dire terapeutico. Negli intervalli della cronaca del pellegrinaggio a Fatima, “per il riposo dell’anima di Nina e la salvezza della mia integrità spirituale” (18 marzo, p. 252, trad. it.), e del successivo ritorno a Cascais ove si ritrova a lottare con i tira e molla del Ministero degli Esteri romeno e con i fantasmi del proprio passato, è tutto un susseguirsi di annotazioni di eventi crudamente neurologici e fisiologici (p. 249-269 trad. it.). Il 5 marzo egli comincia a sperimentare la sua inedita tecnica di liberazione dalla crisi nevrastenica dando briglia sciolta alla sua sensualità e ad una sfrenata ginnastica sessuale. “Oggi – annota – sono tornato alla fisiologia. In un’ora ho fatto l’amore tre volte con la stessa donna, un po’ meravigliata, bisogna dirlo, del mio vigore. Domani o dopodomani consulterò un neurologo: voglio tentare tutto. Mi affliggerebbe apprendere, ad esempio, che la mia nevrastenia e la mia melanconia sono dovute alle adorabili funzioni seminali” (p. 249, trad. it.). Il 14 marzo, alla vigilia della partenza per Fatima, annota: “Ripeterò la mia arcinota tecnica di liberazione attraverso l’eccesso, di purificazione attraverso l’orgia. (…) Voglio sapere se la mia melanconia ha o no radici fisiologiche. Voglio liberarmi da ogni influenza seminale, anche se questa liberazione implicherà sedurre un centinaio di donne” (p. 251, trad. it.). Il 16 marzo riceve dal neurologo la risposta che si attendeva: “le melanconie dipendono da cause spirituali”, ma la crisi generale ha motivazioni più biologiche, legate alla sua ipersessualità insoddisfatta: “non posso raggiungere l’equilibrio se non solo dopo la realizzazione di quello erotico” (p. 252, trad. it.). E durante il viaggio, nonostante le consolazioni spirituali del paesaggio “archetipico” si ritrova a lottare coi soliti fantasmi ormonali: “Tutto ieri e oggi ossessionato dal sesso” (22 marzo, p. 257, trad. it.). L’11 aprile, di nuovo a Cascais, ripete a sé stesso che la crisi nervosa è basata sull’insoddisfazione erotica. Ma i rapporti saltuari, per quanto spinti al massimo della sollecitazione ormonale, non lo soddisfano abbastanza: “avrei bisogno di un’amante giorno e notte” (11 aprile, p. 264, trad. it).
La politica, la pausa,
il lavoro
Il 15 aprile finalmente il Nostro riprende a lavorare (dopo la crisi di melanconia del giorno precedente in cui ha vissuto “un distacco definitivo dall’opera, dalla cultura, dalla filosofia, dalla vita e dalla salvezza”), ed è alle prese con la rilettura di Isabel şi apele diavolului (1929/30), in vista di un’eventuale nuova edizione. E allora, quasi proustianamente, riaffiorano in lui sensazioni e ossessioni che lo perseguitavano al momento della stesura del libro e immediatamente dopo la sua apparizione in Romania. “Un particolare mi turba: l’accento che pongo sulla sterilità, sull’impotenza. … Mi sono chiesto se il mio rifiuto (nel romanzo) di possedere Isabel non potrebbe interpretarsi psicoanaliticamente come un’ossessione di impotenza. Visto che non ho mai avuto tale ossessione, mi chiedo da dove provenga il rifiuto di possedere una ragazza che ti si offre, complicato dalla gioia sadica di vederla posseduta da un altro. È probabile che questa domanda se la siano posta anche gli altri. Rammento che Sorana, dopo una giornata eroica [meglio: “brava”, romeno: zi de vitejie] nel rifugio di Poiana Braşov dove feci dieci volte l’amore con lei, mi confessò che il mio vigore l’aveva sorpresa; perché, dopo aver letto Isabel, mi credeva quasi impotente. Ma, spaventata dalla mia energia, si confidò con Lily Popovici, che lei riteneva avesse avuto più esperienze in fatto di uomini. Lily le disse che, se non mi avesse conosciuto, avrebbe pensato che mi fossi drogato, che avessi preso delle pillole, ecc. La cosa più divertente è che io neppure mi rendevo conto d’essere in realtà messo tanto “bene”. Mi sembrava che qualsiasi uomo, se una donna gli piaceva, ed era rilassato, poteva fare l’amore dieci volte! Più tardi, ho capito che questo è un privilegio abbastanza raro” (p. 268, trad. it.). Questa ossessione della virilità, presente nella sua narrativa giovanile, è certo esistente allo stato latente nella sua psiche (per quanto egli si affretti a precisare il contrario: “Il problema della potenza o dell’impotenza non mi ha mai preoccupato”), altrimenti mal si spiegherebbe questa sua ricorrente, quasi puerile compiacenza nell’esibizione delle sue prodezze priapiche, ed è da Eliade ricollegata a un rifiuto ben più radicato e conscio: il rifiuto di generare prole, che si lega poi al lacerante senso di colpa prodotto dalla morte di Nina per cause probabilmente legate a un aborto violento che lui stesso le aveva imposto.
In queste meditazioni di un Eliade alla soglia dei quarant’anni è teorizzata, sul piano individuale, una tecnica di liberazione dall’angoscia (in altre parole, una tecnica di “salvezza”), basata sulla ginnastica copulatoria e l’estasi eaiaculatoria, senza che si tenti di elevarla su un piano di trascendenza metafisica o di stabilire alcun rapporto con i valori catartici e salvifici dell’orgia, temi peraltro assai familiari all’Eliade autore, nel 1936, di Yoga, essai sur les origines de la mystique indienne. L’aggancio di questo tema con più ampie realtà filosofiche e storico-religiose sarà invece compiuto da un altro storico e pensatore che è stato un suo dialettico compagno di strada in varie imprese, l’italiano Julius Evola (1898-1974), in Metafisica del sesso (1958; II ed. 1969). Un libro, questo, anch’esso frutto di una catastrofe personale mirabilmente metabolizzata, un libro che Eliade non avrebbe mai potuto scrivere, anche se fu testimone della sua gestazione in un incontro avvenuto nel maggio del 1952. In esso, in particolare nel terzo capitolo (Fenomeni di trascendenza nell’amore profano), Evola tratta dell’amplesso da un punto di vista superiore, cercando di cogliere quegli effetti trascendenti che rappresentano l’acme dell’atto sessuale. Come ha scritto Franco Volpi nel Dizionario delle opere filosofiche (Milano 2000, p. 357), nella voce appositamente dedicata a quest’opera apparentemente così poco filosofica, “Evola sviluppa una considerazione metafisica del sesso, ritenendo tale fenomeno un elemento troppo importante nella vita degli esseri per lasciarlo a spiegazioni semplicemente positivistiche e sessuologiche. Il sesso è la forza magica più intensa della natura, capace di esercitare su tutti i viventi un’attrazione irresistibile e tale da fornire, secondo Evola, l’occasione per trascendere la mera corporeità ed elevarsi fino al piano dello spirito. Il fenomeno del sesso implica dunque un potenziale estatico, iniziatico, che può essere portato alla luce soltanto guardando a esso dalla prospettiva metafisica”. E, conclude Volpi, “nell’eros – nei suoi attimi sublimi, ma a volte anche in esperienze d’amore quotidiane particolarmente intense – balugina la trascendenza, la quale può infrangere i limiti della coscienza quotidiana e produrre un’apertura spirituale. Il fenomeno del sesso getta così un ponte tra la fisica e la metafisica, tra la natura e lo spirito”. Ma queste cose l’Eliade del 1945, innamorato senza speranza di una donna che è ormai un fantasma e soggetto ancora a violente tempeste ormonali, non poteva o non voleva dirle.
*Ordinario di Storia delle Religioni all’Università di Salerno
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