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dimanche, 16 octobre 2016

Des communautés alternatives centenaires : Sol Veritas Lux

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Des communautés alternatives centenaires : Sol Veritas Lux

Ex: http://rebellion-sre.fr

Les mouvances alternatives des années 1970 à 2010 n’ont rien inventé. A l’aube du 20ème siècle, la modernisation de l’Europe sous les coups de l’industrialisation et du capitalisme faisait naître des expériences culturelles et communautaires très particulières. ( article paru dans le Rébellion 42 de juin 2010 )

Des anarchistes illégalistes, buveurs d’eau et végétariens

En France, les milieux anarchistes individualistes menaient campagne pour une vie saine, avec la nécessité affirmée de suivre une éthique de vie basée sur la lutte contre l’alcoolisme (véritable fléau social qui garantit au Capital la passivité de la classe ouvrière), la promotion de l’alimentation végétarienne, le refus des règles de l’ordre bourgeois et la mise en place d’une éducation populaire émancipatrice.

A Paris, avant la Grande Guerre, des associations et des foyers anarchistes (mais aussi syndicalistes et socialistes révolutionnaires) développent de manière pratique ce mode d’existence qui se veut en dehors du système. C’est une affirmation radicale du refus de « participer » aux règles de la société qui trouve un écho particulier chez les anciens partisans de la « propagande par le fait » (c’est-à-dire les anarchistes qui utilisaient le terrorisme et la « reprise individuelle » comme moyen d’action). Militant révolutionnaire accusé par la police d’être un complice de la « bande à Bonnot », Louis Rimbault (1877-1949) fut une farouche figure de cette mouvance. Léo Malet, le meilleur auteur de polar français, connu ce genre de foyer dans les années 1930 et l’évoque dans les aventures de Nestor Burma, son personnage d’ ancien anar reconverti en détective privé.

monteverita.jpgOmbres et lumières de Monte Verità

En Allemagne, le mouvement de « réforme de la vie » prônait la fuite des villes, le retour à la nature comme solution à la crise causée par le mercantilisme grandissant, le végétarisme, le refus de l’alcool et du tabac, le nudisme, les médecines naturelles (notamment les débuts de l’homéopathie), la liberté sexuelle, le mysticisme et la découvertes des spiritualités orientales.

Cas emblématique, qui à lui seul incarne les richesses et les ambiguïtés de ce genre d’expérience, la colonie de Monte Verità fut fondée par un groupe issus de la bohème bavaroise. Dans le cadre naturel magnifique du Tessin suisse, une petite communauté d’hommes et de femmes s’installe pour fonder une communauté idéale et libre. Le fils d’un industriel belge, Henri Oedenkoven finance les travaux de création d’une sorte de sanatorium végétarien. Sa femme, Ida Hofmann, professeur de piano, wagnérienne et féministe aura un rôle central dans l’expérience.

Il s’agissait de créer ce qui était voulu comme un lieu de renaissance et de régénération, de jeter les fondements d’une « nouvelle vie » hors de la structure corrompue du monde en édification. Vie communautaire, alimentation végétarienne et frugale, séances d’héliothérapie (en quelque sorte des bains de soleil, les « colons » vouaient un véritable culte à l’astre solaire) et de gymnastique : Monte Verità fut une apogée du culte du corps retrouvé. Une compagnie de danse séjourna de manière régulière dans les installations de la communauté.

Très vite, Monte Verità fut un point de rencontre pour des naturistes, des réformateurs sociaux, des militants révolutionnaires (dont beaucoup feront partis des activistes des conseils ouvriers de Bavière après la défaite de 1918), des artistes, des anthroposophes et autres théosophes de toutes les nationalités. Des dissensions se produisirent assez rapidement entre le couple des fondateurs (qui voulait développer l’image de marque de la communauté et créer un centre hôtelier de remise en forme avant l’heure) et la frange la plus radicale de la communauté. Les frères Graser reprochaient les compromis passés avec le système pour faire vivre financièrement le projet. Gusto Graser mènera la fronde et se retira dans une caverne en ermite avec sa femme Jenny Hofmann (sœur d’Ida). Sous l’influence des religions et philosophies orientales, il devient un prophète ambulant d’un panthéisme pacifique. L’écrivain allemand, Hermann Hesse fut très lié à Graser et lui rend hommage dans son œuvre la plus importante, Demian.

MVascona-arton3845.jpgLe choc de la Grande Guerre devait anéantir ses tentatives alternatives, mais d’autres devaient naitre sur les ruines de notre continent. L’expérience révolutionnaire et poétique de Fiume en 1917 sera une autre forme de cette recherche d’une communauté idéale. Mais cela est déjà une autre histoire.

A lire sur le sujet :

Nous avons repris pour l’écriture de cet article la mine d’informations représentée par les deux numéros de la revue (DIS)CONTINUITE. Ces deux volumes contiennent plus de 400 pages chacun de textes du courant anarchiste naturien.

  • Naturiens, végétariens, végétaliens et crudivégétaliens dans le mouvement anarchiste français (1895-1938), juillet 1993, 485 p. 16, 80 euros
  • Communautés, naturiens, végétariens, végétaliens et crudivégétaliens dans le mouvement anarchiste français ; février 1994, 485p. 21,30 euros.

Disponible auprès de François Bochet, Moulin des Chapelles, 87800 Janailhac

Sur les divers dimensions et aspects du culte solaire, nous conseillons vivement la lecture de la revue Solaria. Publication traitant de la solarité autant du côté scientifique que spirituel, elle est une référence dans le domaine. Abonnent : 2 numéros ( un an ): 12€.

Contact : Jean-christophe Mathelin, 7 rue Christian Dewet 75012 Paris

lundi, 08 novembre 2010

Fidus: c'est ainsi que se voyait la jeunesse

Michael MORGENSTERN :

Fidus : c’est ainsi que se voyait la jeunesse

 

fidus45.jpg« Ce qui s’avère nécessaire pour nous, maintenant, ce n’est pas encore davantage d’artificialité ou de luxe technique, mais de nous habituer à éprouver à nouveau de la joie face à notre authenticité spirituelle et à la naturalité de nos corps ; oui, vraiment, nous avons besoin d’apprendre à tolérer la beauté naturelle, du moins dans le domaine de l’art », écrivait Fidus dans le volume édité par Eugen Diederichs pour donner suite de la fameuse rencontre organisée par le mouvement de jeunesse allemand sur le sommet du Hoher Meissner en 1913. Le motif qui l’avait incité à écrire ces lignes fut l’exposition d’un dessin qu’il avait réalisé à l’occasion de cette réunion des jeunes du Wandervogel, un dessin qui s’intitulait « Hohe Wacht » et qui représentait de jeunes hommes nus portant l’épée et aux pieds desquels se trouvaient couchées des jeunes filles, également nues. L’image avait causé un scandale. Plus tard, un dessin de Fidus deviendra l’image culte et le symbole du mouvement de jeunesse ; il était intitulé « Lichtgebet », « Prière à la Lumière ». Sur un rocher isolé, un jeune homme nu étendait les bras et le torse vers le soleil, le visage empreint de nostalgie.

 

Fidus, un artiste célèbre de l’Art Nouveau (Jugendstil) et l’interprète graphique de la « Réforme de la Vie » (Lebensreform) et du néopaganisme, était né sous le nom de Hugo Höppener à Lübeck en 1868, dans le foyer d’un pâtissier. Ses parents l’envoyèrent à l’Académie des Beaux-Arts de Munich, où, très rapidement, il se lia d’amitié avec un peintre excentrique, apôtre d’une nouvelle adhésion à la nature, Karl-Wilhelm Diefenbach. Celui-ci, accompagné de quelques-uns de ses élèves, se retirait régulièrement dans une ancienne carrière abandonnée sur une rive de l’Isar pour y vivre selon les  principes du mouvement « Réforme de la Vie ». Diefenbach pratiquait le naturisme, ce qui alerta les autorités bavaroises qui, très vite, firent condamner le fauteur de scandale à la prison. Höppener accepta de suivre son maître en prison, ce qui induisit Diefenbach à le surnommer « Fidus », le Fidèle.

 

Plus tard, revenu à Berlin, il prendra pour nom d’artiste le surnom que lui avait attribué son maître. Dans la capitale prussienne, il fut d’abord l’illustrateur d’une revue théosophique, Sphinx, ce qui lui permit d’accéder assez vite à la bohème artistique et littéraire berlinoise. Dès ce moment, on le sollicita constamment pour illustrer des livres et des revues ; il travailla aussi pour la revue satirique Simplizissimus puis pour la revue munichoise Jugend, créée en 1896. Cette revue doit son nom au Jugendstil, au départ terme injurieux pour désigner les nouvelles tendances en art. Contrairement au naturalisme, alors en vogue, le Jugendstil voulait inaugurer un style inspiré d’un monde posé comme harmonieux et empreint de spiritualité, que l’on retrouve dans l’univers onirique, dans les contes, dans les souvenirs d’enfance ; et inspiré aussi d’une nostalgie de la plénitude. Une ornementation végétale devait symboliser le refus du matérialisme banal de la société industrielle. Suite à une cure végétarienne de blé égrugé, qui le débarrassa d’une tumeur qui le faisait souffrir depuis son enfance, Fidus/Höppener devint un végétarien convaincu, ouvert, de surcroît, à toutes les médecines « alternatives ».

 

Il cherchait une synthèse entre l’art et la religion et se sentait comme le précurseur d’une nouvelle culture religieuse de la beauté qui entendait retrouver le sublime et le mystérieux. Cela fit de lui un visionnaire qui s’exprima en ébauchant des statues pour autels et des plans pour des halls festifs monumentaux (qui ne furent jamais construits). A ses côtés, dans cette quête, on trouve les frères Hart, Bruno Wille et Wilhelm Bölsche du cercle de Friedrichshagen, avec lesquels il fonda le « Bund Giordano Bruno », une communauté spirituelle et religieuse. En 1907, Fidus se fit construire une maison avec atelier dans le quartier des artistes « réformateurs » de Schönblick à Woltersdorf près de Berlin. Plus tard, une bâtisse supplémentaire s’ajouta à cet atelier, pour y abriter sa famille ; elle comptait également plusieurs chambres d’amis. Bien vite, cette maison devint le centre d’un renouveau religieux et un lieu de pèlerinage pour Wandervögel, Réformateurs de la Vie, Adorateurs de la Lumière et bouddhistes, qui voyaient en Fidus leur gourou. Le maître créa alors le « Bund de Saint Georges », nommé d’après le fils d’un pasteur de Magdebourg qui, après une cure de jeûne, était décédé à Woltersdorf. Fidus flanqua ce Bund d’une maison d’édition du même nom pour éditer et diffuser ses dessins, tableaux, impressions diverses et cartes postales. Dans le commerce des arts établis, le Jugendstil fut éclipsé par l’expressionisme et le dadaïsme après la première guerre mondiale.

 

fidus1.jpgLes revenus générés par cette activité éditoriale demeurèrent assez sporadiques, ce qui obligea les habitants de la Maison Fidus, auxquels s’était jointe la femme écrivain du mouvement de jeunesse, Gertrud Prellwitz, à adopter un mode de vie très spartiate. L’avènement du national-socialisme ne changea pas grand chose à leur situation. Fidus avait certes placé quelque espoir en Adolf Hitler parce que celui-ci était végétarien et abstinent, voulait que les Allemands se penchent à nouveau sur leurs racines éparses, mais cet espoir se mua en amère déception. La politique culturelle nationale-socialiste refusa de reconnaître la pertinence des visions des ermites de Woltersdorf et stigmatisa « les héros solaires éthérés » de Fidus comme une expression de l’ « art dégénéré ». Dans le catalogue de l’exposition sur l’ « art dégénéré » de 1937, on pouvait lire ces lignes : « Tout ce qui apparaît, d’une façon ou d’une autre, comme pathologique, est à éliminer. Une figure de valeur, pleine de santé, même si, racialement, elle n’est pas purement germanique, sert bien mieux notre but que les purs Germains à moitié affamés, hystériques et occultistes de Maître Fidus ou d’autres originaux folcistes ». L’artiste ne recevait plus beaucoup de commandes. Beaucoup de revues du mouvement « Lebensreform » ou du mouvement de jeunesse, pour lesquelles il avait travaillé, cessèrent de paraître. Sa deuxième femme, Elsbeth, fille de l’écrivain Moritz von Egidy, qu’il avait épousée en 1922, entretenait la famille en louant des chambres d’hôte (« site calme à proximité de la forêt, jardin ensoleillé avec fauteuils et bain d’air, Blüthner-Flügel disponibles »). L’ « original folciste » a dû attendre sa 75ème année, en 1943, pour obtenir le titre de professeur honoris causa et pour recevoir une pension chiche, accordée parce qu’on avait finalement eu pitié de lui.

 

Pour les occupants russes, qui eurent à son égard un comportement respectueux, Fidus a peint des projets d’affiche pour la célébration de leur victoire, pour obtenir « du pain et des patates », comme il l’écrit dans ses mémoires en 1947. Le 23 février 1948, Fidus meurt dans sa maison. Ses héritiers ont respecté la teneur de son testament : conserver la maison intacte, « comme un lieu d’édification, source de force ». Jusqu’au décès de sa veuve en 1976, on y a organisé conférences et concerts. La belle-fille de Fidus a continué à entretenir vaille que vaille la maison, en piteux état, jusqu’à sa propre mort en 1988. La RDA avait classé le bâtiment. Les œuvres d’art qui s’y trouvaient avaient souffert de l’humidité et du froid : en 1991, la « Berlinische Galerie » a accepté de les abriter. La maison de Fidus est aujourd’hui vide et bien branlante, une végétation abondante de ronces et de lierres l’enserre, d’où émerge sa façade en pointe, du type « maison de sorcière ». Il n’y a plus qu’un sentier étroit qui mène à une porte verrouillée.

 

Michael MORGENSTERN.

(article paru dans « Junge Freiheit », n°5/1995 ; http://www.jungefreiheit.de/ - « Serie : Persönlichkeiten der Jugendbewegung / Folge 2 : Fidus » - « Série : Personnalités du Mouvement de Jeunesse / 2ième partie : Fidus » ; trad.. franc. : octobre 2010).