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mardi, 18 mai 2021

La philosophie comme mode de vie

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La philosophie comme mode de vie

Natella Speranskaya

Ex: https://syg.ma/@natella-speranskaja/filosofiia-kak-obraz-zhizni

Il y a longtemps que la philosophie a cessé d'être un mode de vie, une manière d'être, pour se transformer en un champ de recherche, en une analyse détachée, en un "discours philosophique" ; elle ne pense plus au primordial, elle ne s'occupe plus de la transformation de la pensée, de la formation de l'esprit et de l'âme, de la transformation intérieure de l'homme. Le Grec ancien s'adonnait à la philosophie, qui était pour lui un choix existentiel, une forme de vie, une manière de penser, tandis que la lecture des œuvres d'Héraclite, de Phérécyde ou d'Empédocle conduit à un "exercice spirituel" (Pierre Hadot), une pratique personnelle volontaire.

Les écrits philosophiques des penseurs de l'époque hellénistique et romaine ne visaient pas à informer, mais à façonner et à transformer la pensée des lecteurs. Pythagore, Platon et Aristote ne philosophaient pas devant leurs disciples pour leur fournir un maximum d'informations, ils s'occupaient exclusivement de former les esprits, ils révélaient à leurs auditeurs d'autres niveaux ontologiques, d'autres modes d'être, en fait ils les poussaient vers une transformation intérieure comparable à celle vécue par les initiés des Mystères.

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Pierre Hadot

Comme le souligne à juste titre Pierre Hadot, les œuvres des premiers penseurs n'étaient pas l'exposition d'un quelconque système (l'idée de philosophie systématique n'apparaît pour la première fois que chez le scolastique médiéval Francisco Suarez); il s'agissait d'"exercices spirituels" visant à la transformation de la personnalité. La philosophie dans l'Antiquité était un mode d'existence qui exigeait de la part du philosophe une transformation intérieure et une implication personnelle à chaque instant de sa vie. Les exercices spirituels impliquaient l'ensemble de l'esprit. Néanmoins, les historiens modernes de la philosophie continuent à aborder la philosophie de l'Antiquité avec les normes du Moyen Âge et du Nouvel Âge, c'est-à-dire qu'ils persistent à la considérer comme une activité théorique et abstraite, mais en aucun cas comme une pratique. La philosophie n'était plus considérée comme un mode de vie. Hadot pensait que c'était une conséquence de l'absorption de la philosophia par le christianisme.

Dans la scolastique du Moyen Âge, la theologia et la philosophia étaient très éloignées l'une de l'autre et la philosophie était reléguée au rang de "servante de la théologie". Ce n'est qu'à la Renaissance que nous avons redécouvert Sénèque, Épictète et, plus tard, Marc-Aurèle, puis aussi Cicéron et l'épicurisme, et que nous avons réalisé que la philosophie pouvait être un mode de vie. Le fait que la philosophie ait cessé d'être un mode de vie avec la montée du christianisme est également écrit par André van der Braak. Il souligne que Nietzsche a cherché à faire revivre l'approche grecque de la philosophie en tant que mode de vie. On peut ajouter à cela que Michel Foucault et Ludwig Wittgenstein ont rejoint ces rangs.

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En ouvrant les œuvres des penseurs anciens, nous devrions une fois pour toutes abandonner l'habitude de leur appliquer le système de valeurs de la modernité. Hors du temps sont les idées, les universaux, mais pas leur compréhension à différentes époques! "Avant, je considérais les textes philosophiques - qu'il s'agisse de textes d'Aristote, de Saint Thomas ou de Bergson - comme s'ils étaient intemporels et que les mots avaient toujours la même signification, indépendante de l'époque. Je me suis rendu compte qu'il fallait prendre en compte l'évolution des pensées et des mentalités à travers les âges", lit-on dans Pierre Hadot. J'ai appris que nous devons tenir compte de l'évolution des pensées et des mentalités au fil des siècles", admet Pierre Hadot. Pour moi, c'est le point de départ. On ne peut pas prendre en compte de la même manière les textes de la philosophie ancienne et ceux de la philosophie moderne". Qu'il s'agisse des dialogues de Platon ou des manuels d'Aristote, des traités de Plotin ou des commentaires de Proclus, les œuvres des philosophes ne peuvent être interprétées sans tenir compte de la situation spécifique dans laquelle elles sont nées : elles sont issues d'une école de philosophie au sens le plus concret du terme, où le précepteur façonne les élèves, en essayant de les conduire à la transformation et à l'accomplissement de soi. Au fond, si toute composition est un monologue, une œuvre philosophique est toujours un dialogue sous une forme implicite; la figure de l'interlocuteur possible est toujours présente", conclut Pierre Hadot. Il conclut en considérant que les textes philosophiques de l'Antiquité étaient toujours destinés à un public restreint et avaient des destinataires bien précis, soit un groupe de disciples, soit un adepte spécifique à qui ils étaient écrits. Par exemple, selon Porphyre, Plotin a produit ses œuvres en réponse aux questions posées par ses auditeurs. L'enseignement de la philosophie au cours des trois siècles, c'est-à-dire de Socrate au premier siècle, était presque toujours présenté selon le schéma question-réponse. Le dialogue en tant que genre philosophique a presque disparu aujourd'hui, remplacé par des traités systématiques. Hadot lui-même est assez sceptique quant à la possibilité de faire revivre de nos jours le caractère dialogique de la philosophie antique. Il estime que cette forme d'enseignement n'est possible que dans des communautés telles que les écoles de l'Antiquité "organisées au nom de la convivialité de la philosophie".

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Pour comprendre ce que Pierre Hadot entend par "exercices spirituels", il faut savoir ce qu'il entend par "Esprit". Il appelle Esprit ce que Plotin appelait l'Intellect, le Nous, la Réalité suprême. Le Nous est ce qui se trouve entre l'Un et le multiple. Pierre Hadot : "Personnellement, je définirais l'exercice spirituel comme une pratique personnelle volontaire destinée à provoquer la transformation de l'individu, la transformation de soi. Avant de se fixer sur l'épithète "spirituel", il a passé en revue différentes options: exercices intellectuels, éthiques, mentaux, exercices de pensée, exercices d'âme, et finalement, dans son intention de parler de la tradition philosophique dans l'antiquité gréco-romaine, il s'est fixé sur les exercices spirituels. Puis il a longuement expliqué ce que ces exercices très spirituels ne sont pas (par exemple, ils ne sont pas synonymes de "théologique" ou de "religieux", car ces derniers n'en sont qu'une partie).

Si Pierre Hadot s'était arrêté à l'épithète "éthique", il aurait dû se lancer dans de longues explications. Comment avons-nous l'habitude d'interpréter le mot "éthique"?

L'éthique est communément considérée comme la doctrine de la moralité et de la vertu, mais prêtons attention au mot grec ancien ἦθος, ethos ("moralité", "disposition", "caractère") et surtout à la célèbre phrase d'Héraclite: ἦθος ἀνθρώπῳ δαίμων (que l'on peut traduire par: "l'ethos de l'homme est son daimon").

Daimon, c'est-à-dire le médiateur entre le monde divin et le monde humain (sans les connotations négatives apparues à l'époque post-antique). Le mot ἦθος a aussi le sens de "demeure". Et qu'est-ce que cette demeure sinon ce point intermédiaire où l'homme et la divinité se rencontrent/se confondent/et/ou se heurtent? Selon Aristote, le point médian est ce que la vertu choisit toujours. C'est sa demeure. "Entre" l'excès et la carence, l'humain et le divin, etc. En fait, lorsque l'immoraliste Nietzsche s'est attaqué à la morale moderne, il l'a fait au nom de la "vertu de style renaissanciste, virtu, une vertu libérée du moralisme". Mais si Hadot avait pris l'épithète "noétique" (pour se tourner vers le grec νόησις pour "penser", νόημα pour "pensée", νοῦς pour " esprit "), son exercice n'aurait pas eu à se distancier des mauvaises connotations associées au concept de "spirituel".

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Selon Hadot, la formation des esprits est le fondement des sciences humaines. La philosophie peut-elle être classée parmi les sciences humaines? Andrei Baumeister souligne que le terme "humanités" est apparu à la Renaissance, au XVe siècle, mais que la philosophie est bien plus ancienne. Peut-elle donc être une science des sciences humaines? Les humanités se concentrent sur l'être humain, sur une compréhension anthropocentrique du monde, alors que la philosophie peut émerger comme une manière de dépasser "l'humain, trop humain".

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Peter Kingsley

Le philosophe contemporain Peter Kingsley a réussi à faire revivre l'approche grecque de la philosophie en tant que mode de vie. Kingsley dit qu'il était EXIGÉ par Parménide, comme il était EXIGÉ par Empédocle. "En retournant dans le monde des présocratiques, en me plongeant dans les textes grecs anciens qu'ils nous ont laissés en héritage, j'ai immédiatement commencé à découvrir quelque chose de tout à fait différent. Ces soi-disant philosophes n'étaient pas des penseurs théoriques ou des escrocs, ils n'étaient pas du tout des rationalistes au sens moderne du terme. Beaucoup d'entre eux se présentaient comme des êtres spirituels extrêmement puissants. Les textes grecs avec lesquels j'ai rapidement été en contact - mal interprétés et mal traduits au cours des siècles - ont montré - lorsque les distorsions et les interprétations déplacées étaient mises de côté - qu'ils représentaient des enseignements spirituels exceptionnels et des techniques de méditation extrêmement puissantes qui pouvaient encore être appliqués et pratiqués aujourd'hui. Je les ai pratiqués moi-même et j'ai ressenti une transformation. Je suis entré en contact avec la lignée de succession et les enseignements des anciens maîtres qui, à l'aube de notre civilisation, ont contribué à façonner le monde occidental et à faire naître notre culture", déclare Peter Kingsley.

John Bussanich écrit: "Il [Kingsley] raconte une conversation qui s'est déroulée au département de philologie classique de l'université de Californie, à Los Angeles, après une conférence sur Parménide. Un représentant du ministère s'est plaint que Kingsley était trop dogmatique et que son interprétation n'était pas meilleure que celle des autres. Kingsley a répondu: "Mais vous et moi ne sommes pas les mêmes. Vous lisez Parménide de manière à pouvoir changer son sens à votre guise. Moi, par contre, j'ai lu Parménide de telle manière qu'il peut me changer’’.

Dans-les-antres-de-la-sagesse.jpgLa notion même de "philosophie" devrait acquérir un autre sens. Rappelez-vous les mots de Nietzsche : "Que les dieux aussi philosophent me semble une pensée digne et pieuse, qui peut donner de la joie même au croyant dévot" ? C'est ce qu'il a écrit dans les brouillons de son livre Dionysos. Expérience de la philosophie divine. On sait que Nietzsche se disait élève du philosophe Dionysos. Sans doute, qu'en philosophant on entre dans la sphère du divin. Et, se référant une fois de plus à Nietzsche, on ne peut s'empêcher de souligner que "tous les philosophes sont des gens qui ont fait l'expérience de quelque chose d'inhabituel". Bien plus tôt, à l'époque de la Renaissance, Pic de la Mirandole avait dit quelque chose de similaire: "Si l'on examine la signification et le sens secret des noms sacrés d'Apollon, on verra qu'ils témoignent que Dieu est un philosophe non moins qu'un devin".

Être philosophe, c'est être celui qui accomplit une action, car la pensée est une action. Si vous n'avez pas encore compris cela, vous n'avez pas encore commencé à penser. Débarrassez-vous de l'idée erronée selon laquelle le philosophe est un employé de bureau qui interagit avec le monde en regardant par la fenêtre et en se livrant à des études académiques sans fin. De même, il faut bannir l'autre notion selon laquelle le fatras sans signification que la plupart des gens produisent est une action.

La philosophie implique une intervention active dans un acte cosmogonique infiniment durable en transformant le monde extérieur, en l'influençant subtilement par l'identification des structures paradigmatiques qui sous-tendent l'univers; la philosophie est, si l'on veut, une tentative de transférer les "images archétypales" du mundus imaginalis dans le monde matériel, le monde des formes.

"Imprimer au devenir les signes de l'être" (comme disait Nietzsche), c'est philosopher, et donc agir.

Le philosophe n'est pas l’homme d’un métier, il est impossible de le devenir. Il s'agit d'une sorte d'assignation ontologique, que l'on réalise ou que l'on laisse s'effacer. Une vieille et belle légende parle de l'ange de la mort, dont les ailes sont constellées d'innombrables yeux. Lorsque l'Ange arrive trop tôt, il se contente de toucher un homme de son aile et, de peur qu'il n'oublie la rencontre, lui donne une paire d'yeux supplémentaire. Des yeux qui regardent la préexistence. La philosophie est donc ce "regard" sur la préexistence. Un philosophe reçoit sa deuxième paire d'yeux en même temps que la première, mais ces yeux ne s'ouvrent pas tout de suite. Ils ont parfois besoin d'un professeur, d'un livre, d'un choc soudain, d'une rencontre avec la mort, d'une expérience du numineux. Les mystères servaient cet objectif dans les temps anciens.

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Nietzsche, qui se sentait contemporain d'Héraclite plutôt que du XIXe siècle, savait que la vraie pensée (et donc, oser penser dangereusement) était une expérience de philosophe divin. La philosophie comme action, comme mode de vie. Dans le livre Nietzsche. Une biographie de sa pensée, Rüdiger Safranski écrit:

"Pour le jeune Nietzsche, la philosophie est une occupation qui envahit puissamment la vie. Elle n'est pas seulement un reflet de la vie, elle contribue aussi à son changement, elle est déjà ce changement elle-même. Penser, c'est agir. Cependant, cela ne fait pas référence à une quelconque pensée et pas à un quelconque penseur. Pour que les vérités soient non seulement trouvées, mais aussi incarnées, il faut ajouter le charisme particulier d'un penseur et le pouvoir vitalisant des idées. Une décennie plus tard, dans Humain, trop humain, Nietzsche qualifiera de tels philosophes, capables d'incarner des idées, de "tyrans de la pensée". Nous en voyons l'exemple le plus classique dans la Grèce antique. Parménide, Empédocle, Héraclite, Platon - tous voulaient "se mettre d'un seul coup au milieu de tout l'être".

jeudi, 27 février 2020

Philosophy as a Way of Life

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Philosophy as a Way of Life

Natella Speranskaya
Ex: https://medium.com

The Philosophy has long ceased to be a way of life, a manner of being, it has become a field of research, a “philosophical speech”; it no longer thinks of the basic principles, it no longer deals with the transformation of thinking, the formation of the mind and soul, the inner transformation of man. The ancient Greek was engaged in philosophy, which was for him an existential choice, a form of life, a way of thinking. And reading the works of Heraclitus, Pherecides, or Empedocles was for him a “spiritual exercises” (Pierre Hadot), a strong-willed personal practice.

The philosophical writings of thinkers of the Hellenistic and Roman era were not aimed at informing, but at forming and transforming the thinking of readers. Pythagoras, Plato, and Aristotle did not philosophize in front of their students to provide them with as much information as possible, they were engaged exclusively in the formation of minds, opening up to their listeners other ontological levels, other modes of being they pushed them to an internal transformation comparable to that experienced by initiates in the mysteries.

9782253943488-475x500-1.jpgAs Pierre Hadot rightly points out, the texts of early thinkers were not a statement of a certain system (for the first time the idea of systematic philosophy will appear only in the medieval scholar Francisco Suarez), they were “spiritual exercises” aimed at transforming the individual. Philosophy in Antiquity was a mode of existence that required the philosopher to be internally transformed and personally involved in every moment of his life. Spiritual exercises involved the whole Mind. Nevertheless, modern historians of philosophy continue to approach the philosophy of Antiquity with the standards of the Middle Ages and Modern times, i.e. they persist in seeing it as a theoretical and abstract activity, but not as a practice. Philosophy has ceased to be thought of as a way of life. Hadot believed that this was a consequence of the absorption of philosophy by Christianity.

In the scholastics of the Middle Ages, theology and philosophy were at a considerable distance from each other, and philosophy was relegated to the rank of “the Handmaid of Theology”. It was only during the Renaissance that we rediscovered Seneca, Epictetus, and later Marcus Aurelius, and then also Cicero, and Epicureanism, and realized that philosophy can be a way of life. Andre van der Braak also writes that philosophy ceased to be a way of life with the rise of Christianity. He points out that Nietzsche sought to revive the Greek approach to philosophizing as a way of life. We can add that the same goal was pursued by Michel Foucault and Ludwig Wittgenstein.

When we begin to read the texts of ancient thinkers, we should once and for all abandon the habit of applying to them the value system of modernity. “Before that, I considered philosophical texts — whether they are texts of Aristotle, or St. Thomas, or Bergson-as if they are timeless and words always have the same meaning that does not depend on the epoch. I realized that we need to take into account the evolution of thoughts and mentalities over the centuries, “ admits Pierre Hadot. The texts of ancient philosophy and the texts of modern philosophy cannot be perceived in the same way. Hadot believes that the philosophical texts of Antiquity were always intended for limited public and had very specific recipients-either a group of students or a specific follower to whom they were written. For example, according to the testimony of Porphyry, Plotinus wrote his work in response to the questions asked by the audience. The teaching of philosophy for three centuries, that is, from Socrates to the first century, was almost always presented in a question-and-answer scheme. Dialogue as a philosophical genre has almost disappeared today, replaced by systematic treatises. Hadot himself is very skeptical about the possibility of reviving the Dialogic character of ancient philosophy in our days.

PH-philo.jpgTo know that Pierre Hadot means by “spiritual exercises”, need to find out what he invests in the concept of “Spirit.” Spirit he calls what Plotinus called Intellect, Nous, the Highest Reality. Nous is that which is between the One and the plurality. Pierre Hadot: “I would define spiritual exercises as voluntary, personal practices intended to bring about a transformation of the individual, a transformation of the self.” Before to stop the choice on the epithet of “spiritual”, he considered various options: intellectual exercises, ethical exercises, mental exercises, soul exercises, and finally, in his intention to talk about the philosophical tradition in Greco-Roman antiquity, Hadot stopped at «spiritual exercises». Then he explained at length than these spiritual exercises are not exactly (for example, they are not synonymous with “theological” or “religious”, since the latter are no more than a part of them).

If Pierre Hadot had stopped at the adjective “ethical”, he would have had to go into lengthy explanations. How do we interpret the word “ethics”? Commonly it is believed that ethics is a doctrine of morality, of virtue, however, let’s turn our attention to the Greek word ἦθος, ethos (“character”, “disposition”, “temper”), and especially to the famous dictum of Heraclitus: ἦθος ἀνθρώπῳ δαίμων (which can be translated as: “A man’s character is his daimon”). Daimon, i.e. the intermediary between the divine world and the human world (without the negative connotations that appeared in the post-antique era). The word ἦθος also has the meaning of “whereabouts”. And what are these whereabouts, if not the intermediate midpoint where a person and a deity meet/merge and/or collide? The middle, according to Aristotle, is that which always chooses virtue. This is her whereabouts. When the immoralist Nietzsche attacked modern morality, he did it in the name of “virtue in the Renaissance style, virtù, virtue free of moralic acid.”

71sddGtqu+L.jpgAccording to the Hadot, the formation of minds was the basis of the Humanities. Can philosophy be attributed to the Humanities? Andrii Baumeister emphasizes that the term “Humanities” appeared in the Renaissance, in the XV century, but the philosophy is much older. In this case, can philosophy be considered a humanitarian science? The Humanities focus on man, on an anthropocentric understanding of the world, while philosophy can act as a path that leads beyond the “ Human, All Too Human”. (Nietzsche).

The philosopher Peter Kingsley was able to revive the Greek approach to philosophy as a way of life. “As I was drawn back into the world of the Presocratics, as I became absorbed into the ancient Greek texts they had left behind, I soon started discovering something different. These so-called philosophers weren’t theoretical thinkers or speculators, and they were nothing like rationalists in the modern sense. Many of them were immensely powerful spiritual beings. Greek texts which I was soon to realize had been misunderstood and mistranslated for centuries reveal when the distortions and mistaken interpretations are blown away, extraordinary spiritual teachings and extremely potent meditation techniques that can still be applied and practiced nowadays. I practiced them myself and was transformed. I had been brought into direct contact with the lineage and teachings of the ancient Masters who, at the dawn of our civilization, helped shape the Western world and bring our culture into being, “ says Peter Kingsley.

“He recounts a conversation in the Classics Department at UCLA after a talk on Parmenides. A faculty member complained that Kingsley is too dogmatic, that his interpretation is no better than anyone else’s. Kingsley responded: “But you and I are not the same. You read Parmenides so that you can change his meaning to suit yourself. I read Parmenides so that he can change me,” John Bussanich writes.

PH-citadelle.gifThe very concept of “philosophy” should receive a different meaning. Remember Nietzsche’s words: “The very fact that Dionysus is a philosopher, and that therefore Gods also philosophize, seems to be a novelty which is not unensnaring”? It is known that Nietzsche called himself a disciple of the philosopher Dionysus. It is certain that by philosophizing, the man enters into the sphere of the divine. Much earlier, in the Renaissance, Pico della Mirandola had said something similar: “The sacred names of Apollo, if anyone examines their meanings and hidden mysteries, will sufficiently show that that god is no less philosopher than prophet.”

You can only be a philosopher if you are the one who carries out the action, for thought is action. Get rid of the misconception that a philosopher is a boring know-it-all who communicates with the world through endless scientific studies. Similarly, we should banish the other idea that the mindless fuss that most people produce is an action.

Philosophy implies active intervention in an endlessly lasting cosmogonic act by transforming the external world, subtly influencing it by identifying the paradigmatic structures that underlie the universe; philosophy is an attempt to transfer “archetypal images” from mundus imaginalis to the material world, the world of forms.

A philosopher is not a profession, it is impossible to become one. This is a kind of ontological task that a person either implements or allows it to fade away. There is an old beautiful legend about the Angel of Death, whose wings are dotted with countless eyes. When an Angel arrives too early, it only touches the person with its wing and, so that the person does not forget about this meeting, gives him an additional pair of eyes. An eye that looks into pre-being. So, philosophy is such a “gazing” into pre-being. The philosopher receives his second pair of eyes at the same time as the first, but these eyes do not open immediately. Sometimes this requires a teacher, a book, a sudden shock, a collision with death, an experience of the numinous. In ancient times, Mysteries were used for this purpose.

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Russian philosopher, cultural scientist, a specialist in Antiquity, curator of Janus Academy.

mercredi, 11 décembre 2019

La physique comme exercice spirituel chez Marc Aurèle

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La physique comme exercice spirituel chez Marc Aurèle

Nombreux sont les exercices spirituels dans la philosophie stoïcienne: méditation de la mort, prévision des maux, examen de conscience, regard d’en haut, concentration sur l’instant présent, contemplation de la nature, méditation de maximes, lecture, écriture, etc. La liste pourrait s’allonger encore, et j’ai eu l’occasion, au cours des dernières années, d’en présenter quelques-uns. Pour Epictète, il est nécessaire que le véritable philosophe mette en pratique le discours théorique, et cette mise en pratique du discours philosophique passe, précisément, par un certain nombre d’exercices spirituels. Pour bien comprendre le lien étroit entre discours et mode de vie philosophique, c’est-à-dire entre theôria et praxis, et pour comprendre comment le discours philosophique est mis en pratique par le véritable philosophe à travers les exercices, je prendrai aujourd’hui l’exemple de la physique[1], à partir de la lecture des Pensées de Marc Aurèle. Comment mettre en pratique la physique stoïcienne, et quels exercices proposent Marc Aurèle à cet égard ?

Marc Aurèle, empereur romain et philosophe stoïcien

Au livre X des Pensées pour moi-même, Marc Aurèle revient à plusieurs reprises sur les principes de la physique stoïcienne, rappelant non seulement à quoi correspond l’étude de la nature (phusis), mais montrant également comment faire de la physique un exercice à part entière, permettant au philosophe d’atteindre l’ataraxie, c’est-à-dire l’absence de trouble ou la tranquillité de l’âme, fondement du bonheur stoïcien. Le premier passage, tout en rappelant ce qu’étudie la physique, à savoir la nature des choses, rappelle l’importance de cette partie du discours philosophique :

« Le mime, la guerre, la peur, l’engourdissement, l’esclavage effaceront jour par jour en toi ces dogmes sacrés que tu imagines, sans les appuyer sur l’étude de la nature, et que tu négliges. Il faut tout voir, tout faire pour que, tout en accomplissant ce qu’exigent les circonstances, reste en même temps active ta faculté d’étudier et se conserve, de la science de chaque objet, une confiance inaperçue, mais non pas cachée. Quand pourras-tu en effet jouir de la simplicité, de la gravité, de la connaissance de chaque chose : ce qu’elles sont essentiellement, leur place dans le monde, la durée naturelle de leur existence, de quoi elles se composent, à qui elles doivent appartenir, qui peut les donner et les enlever ? » (Marc Aurèle, Pensées, X, 9)

La connaissance de la nature de chaque chose est essentielle pour la vie philosophique, et nécessite de la part du philosophe une étude de la nature qu’il doit prendre au sérieux. Plus encore, l’étude de la nature doit être un exercice quotidien. Pourquoi ? Qu’est-ce que la connaissance de la nature de chaque objet apporte au philosophe ? Qu’est-ce que la physique apporte au philosophe dont le but est d’atteindre le bonheur ? Marc Aurèle esquisse une réponse dans la pensée suivante, toujours au livre X :

« Acquiers une méthode pour observer comment les choses se changent l’une en l’autre ; fais-y continuellement attention, et exerce-toi de ce côté ; car rien n’est plus capable de produire les grandes pensées. Il s’est dépouillé de son corps, celui qui pense qu’il faudra sans délai abandonner tout cela en quittant les hommes ; il s’en remet à la justice en ce qui concerne ses propres actions, et à la nature universelle dans toutes les autres circonstances. Ce qu’on peut dire ou penser de lui, ce qu’on peut contre lui, ne lui vient même pas à la pensée ; il se contente de ces deux règles : agir avec justice dans ses actions présentes, aimer le sort qui lui est présentement attribué ; il laisse de côté toutes les affaires, tous les soucis ; il ne veut rien autre que marcher droit grâce à la loi, et suivre Dieu qui marche droit. » (Marc Aurèle, Pensées, X, 11)

Dans ce passage, Marc Aurèle précise que l’étude quotidienne de la nature, donc la physique, considérée ici comme un exercice quotidien, permet au philosophe de se détacher de son corps, et de manière générale, de tout ce qui ne dépend pas de lui (y compris « ce qu’on peut dire ou penser de lui, ce qu’on peut contre lui », c’est-à-dire le jugement des autres, et leurs méfaits contre lui), d’agir avec justice et d’accepter les choses telles qu’elles arrivent. Telles sont les « pensées » que produit l’étude de la nature et qui permet au philosophe de vivre de manière droite, c’est-à-dire de manière conforme à la nature. Le but de la physique, pour Marc Aurèle, est de prendre conscience de la nature des choses par l’étude et d’agir conformément aux résultats de cette enquête : « Qu’est tout cela [la physique] sinon les exercices d’un discours qui se rend compte exactement, d’après la science de la nature, des choses de la vie ? » (Marc Aurèle, Pensées, X, 31)

MA-p2.jpgIl existe plusieurs types d’exercices spirituels liés à l’étude de la nature, et donc à la physique. Pour Pierre Hadot, le premier exercice stoïcien qui permet de mettre en pratique la physique stoïcienne, c’est l’exercice qui consiste à « se reconnaître comme partie du Tout, à s’élever à la conscience cosmique, à s’immerger dans la totalité du cosmos » (P. Hadot, 1995, p. 211). C’est l’exercice du regard d’en haut, qui consiste à s’élever par l’imagination et considérer toutes choses dans la perspective de la raison universelle[2]. Regarder les choses humaines d’en haut, en prenant de la distance, c’est permettre de relativiser, de remettre toutes choses, y compris notre propre existence, dans le contexte plus large de l’ordre universel auquel nous appartenons, c’est considérer la petitesse de l’homme dans l’immensité de l’univers et la courte durée de notre existence comparée à l’histoire des hommes et du monde.

Quelques exemples de cet exercice du regard d’en haut tel qu’il est décrit et pratiqué par Marc Aurèle dans les Pensées :

« L’Asie, l’Europe, des coins du monde ; la mer entière, une goutte d’eau dans le monde ; l’Athos, une motte de terre dans le monde ; le présent tout entier, un point dans l’éternité. Tout est petit, fuyant, évanouissant. » (Marc Aurèle, Pensées, VI, 36)

« [Platon] ”Pour une pensée généreuse, qui contemple le temps tout entier et la substance entière, crois-tu que la vie humaine paraisse être une grande chose ? – Impossible, dit-il. – Donc elle ne verra dans la mort rien de terrible ? – Nullement”. » (Marc Aurèle, Pensées, VII, 35)

« Belle idée de Platon. Oui, quand on parle des hommes, il faut examiner aussi de haut les choses terrestres, les rassemblements, les armées, les mariages et les ruptures, les naissances et les morts, le tumulte des tribunaux, les contrées désertes, les diverses populations barbares, les fêtes, les deuils, les marchés, tout ce mélange et l’ordre qui naît des contraires. » (Marc Aurèle, Pensées, VII, 48)

« Tu peux t’enlever bien des obstacles superflus, s’ils dépendent entièrement de ton jugement ; et tu te donneras un champ très vaste, si tu embrasses par la pensée le monde entier, si tu penses à l’éternité du temps et au changement rapide de chaque être en particulier, si tu vois combien est court le temps qui va de sa naissance à sa dissolution, quel temps immense il y a eu avant sa naissance, quelle infinité il y aura après sa dissolution. » (Marc Aurèle, Pensées, IX, 32)

« Lucilla vit mourir Vérus ; puis Lucilla mourut. Secunda vit mourir Maximus ; puis Secunda mourut ; Epitychanos vit mourir Diotime ; puis il mourut ; Antonin vit mourir Faustine ; puis il mourut. Tout est pareil : Hadrien avant Céler, puis Céler. (…) Tout est éphémère ; tout est mort depuis longtemps ; de certains on ne se souvient même pas, si peu que ce soit ; d’autres se sont changés en personnages mythiques ; d’autres ont même déjà été effacés des mythes. Donc se souvenir que le composé qui est toi-même devra se disperser, ton souffle ou bien s’éteindre ou bien s’en aller et être transporté ailleurs. » (Marc Aurèle, Pensées, VIII, 25)

L’exercice du regard d’en haut, lié à la physique, c’est-à-dire à l’étude de l’homme, des choses et de l’univers tels qu’ils sont, permet au stoïcien de « regarder les choses avec détachement, distance, recul, objectivité, telles qu’elles sont en elles-mêmes » (P. Hadot, 1995, p. 316), sans être dans l’illusion, sans accorder une trop grande valeur à ce qui n’est qu’une minuscule partie de l’univers dans lequel nous vivons. Cette prise de conscience de soi et des choses qui nous entourent comme faisant partie d’un Tout qui nous dépasse, c’est cela la conscience cosmique, cette expansion du moi vers le Tout qui caractérise la philosophie stoïcienne, et qui s’exerce au quotidien par un certain nombre d’exercices comme ceux que pratiquent Marc Aurèle. L’objectif de ces exercices est de prendre conscience d’être un rouage du Tout, une partie de la Nature universelle, et d’être capable de dire, comme Marc Aurèle :

« Il t’est arrivé quelque chose ? C’est fort bien ; tout ce qui t’arrive vient de l’univers et dès le principe était dans ta destinée et dans ton lot. » (Marc Aurèle, Pensées, IV, 26)

« Quoi qu’il t’arrive, cela t’était préparé dès l’éternité ; c’est dans l’entrelacement des causes que, dès l’éternité, a été filée ton existence et ce qui t’arrive. » (Marc Aurèle, Pensées, X, 5)

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Vouloir que ce qui arrive arrive comme il arrive est le but avoué de l’étude de la nature. La physique, comme exercice spirituel, doit donc être quotidienne, afin de permettre au philosophe d’accepter chaque jour son destin. Se connaître soi-même comme partie de la nature permet en effet au philosophe d’accepter l’ordre de l’univers, de ne pas aller contre le destin mais d’y assentir, au contraire : « Le propre de l’homme de bien est d’aimer les dieux, d’accueillir les événements et tout ce qui lui vient du destin » (Marc Aurèle, Pensées, III, 16).

L’étude de la physique est un bon exemple du lien étroit qui existe, pour les stoïciens, entre le discours philosophique et la pratique d’un mode de vie philosophique. À la base de la physique comme exercice spirituel, on a un dogme ou un principe physique, par exemple la position stoïcienne concernant la Nature et la Providence, ainsi que la place de l’homme dans cet ordre universel (unité et rationalité de la Nature universelle, dont l’homme est une partie en tant que raison individuelle). Et par un certain nombre d’exercices pratiqués quotidiennement, le philosophe stoïcien peut mettre en pratique ces principes de la physique stoïcienne et intérioriser de plus en plus, dans ses pensées et dans son comportement, les principes de la physique. Ainsi, par l’étude de la physique, l’assentiment au destin lui permettra, petit à petit, de ne plus être troublé par les événements extérieurs auxquels il est confronté, et lui permettra d’atteindre l’ataraxie recherchée par la philosophie stoïcienne.

Notes

[1] Sur la physique comme exercice spirituel, voir P. Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique?, Paris, Gallimard, 1995, p. 316-322 et surtout P. Hadot, “La physique comme exercice spirituel ou pessimisme et optimisme chez Marc Aurèle”, in P. Hadot, Exercice spirituels et philosophie antique, Paris, Editions Albin Michel, 2002, p. 145-164.

[2] Sur l’exercice du regard d’en haut, voir P. Hadot, 1995, p. 314-316.


Crédits photographiques: Marc Aurèle, par gregory lejeune, Domaine Public; Morpho sp., par Thomas bresson, Licence CC BY; La Bataille d’Issos, par Altdorfer, Domaine Public; Hubble sees spiral in Serpens, par Nasa Goddard Flight Space Center, Licence CC BY.

Citer ce billet: Maël Goarzin, "La physique comme exercice spirituel chez Marc Aurèle". Publié sur Comment vivre au quotidien? le 19 février 2017. Consulté le 11 décembre 2019. Lien: https://biospraktikos.hypotheses.org/2706.