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dimanche, 13 octobre 2024

Hugo et Nietzsche face au rétrécissement des hommes

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Hugo et Nietzsche face au rétrécissement des hommes

Nicolas Bonnal

On a découvert Quatre-vingt-treize grâce au texte d’un camarade espagnol ; et cette sensationnelle tirade du vrai héros du film (sic), le marquis de Lantenac. Tout cela nous rappelle que Victor Hugo est un des plus grands génies du monde, et que l’homme qui rit, qui a inspiré le Joker de Batman (pas moins) est le roman préféré d’Ayn Rand et de tous ceux qui rêvent d’histoire fantastique et expressionniste (revoir le Jeudi de Chesterton et découvrir l’adaptation sensationnelle de Paul Léni, aux temps héroïques du cinéma muet). 

Lantenac annonce l’essentiel : la France va devenir petite.

« Ce n’est pas la question. La question est ceci : être un grand royaume ; être la vieille France, être ce pays d’arrangement magnifique, où l’on considère premièrement la personne sacrée des monarques, seigneurs absolus de l’État, puis les princes, puis les officiers de la couronne, pour les armes sur terre et sur mer, pour l’artillerie, direction et surintendance des finances. Ensuite il y a la justice souveraine et subalterne, suivie du maniement des gabelles et recettes générales, et enfin la police du royaume dans ses trois ordres. »

C’est la fin d’un ordre organique et de la France européenne :

« Voilà qui était beau et noblement ordonné ; vous l’avez détruit. Vous avez détruit les provinces, comme de lamentables ignorants que vous êtes, sans même vous douter de ce que c’était que les provinces. Le génie de la France est composé du génie même du continent, et chacune des provinces de France représentait une vertu de l’Europe ; la franchise de l’Allemagne était en Picardie, la générosité de la Suède en Champagne, l’industrie de la Hollande en Bourgogne, l’activité de la Pologne en Languedoc, la gravité de l’Espagne en Gascogne, la sagesse de l’Italie en Provence, la subtilité de la Grèce en Normandie, la fidélité de la Suisse en Dauphiné. Vous ne saviez rien de tout cela ; vous avez cassé, brisé, fracassé, démoli, et vous avez été tranquillement des bêtes brutes. Ah ! vous ne voulez plus avoir de nobles ! Eh bien, vous n’en aurez plus. Faites-en votre deuil. »

La fin des nobles va précipiter la fin du pays. On relira mes textes sur Bonald et on admirera la plume de Hugo qui, quoiqu’ennemi de l’Ancien Régime, laisse vivre et enfler une telle parole (Stendhal lui regrette déjà l’Ancien Régime vers 1840, voir Lucien Leuwen) :

« Vous n’aurez plus de paladins, vous n’aurez plus de héros. Bonsoir les grandeurs anciennes. Trouvez-moi un d’Assas à présent ! Vous avez tous peur pour votre peau. Vous n’aurez plus les chevaliers de Fontenoy qui saluaient avant de tuer, vous n’aurez plus les combattants en bas de soie du siège de Lérida ; vous n’aurez plus de ces fières journées militaires où les panaches passaient comme des météores ; vous êtes un peuple fini ; vous subirez ce viol, l’invasion ; si Alaric II revient, il ne trouvera plus en face de lui Clovis ; si Abdérame revient, il ne trouvera plus en face de lui Charles Martel ; si les Saxons reviennent, ils ne trouveront plus devant eux Pépin ; vous n’aurez plus Agnadel, Rocroy, Lens, Staffarde, Nerwinde, Steinkerque, la Marsaille, Raucoux, Lawfeld, Mahon ; vous n’aurez plus Marignan avec François Ier ; vous n’aurez plus Bouvines avec Philippe Auguste faisant prisonnier, d’une main, Renaud, comte de Boulogne, et de l’autre, Ferrand, comte de Flandre. Vous aurez Azincourt, mais vous n’aurez plus pour s’y faire tuer, enveloppé de son drapeau, le sieur de Bacqueville, le grand porte-oriflamme ! Allez ! allez ! faites ! Soyez les hommes nouveaux. »

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J’aime cette idée que cet homme nouveau, c’est surtout un homme qui se laisse envahir sans réagir : 1814, 1815, 1870, 1914, 1940, et depuis les années soixante c’est un même un homme qui se laisse remplacer en se croisant les doigts.

Le Maître poursuit :

« Devenez petits !

Le marquis fit un moment silence, et repartit :

– Mais laissez-nous grands. Tuez les rois, tuez les nobles, tuez les prêtres, abattez, ruinez, massacrez, foulez tout aux pieds, mettez les maximes antiques sous le talon de vos bottes, piétinez le trône, trépignez l’autel, écrasez Dieu, dansez dessus ! C’est votre affaire. Vous êtes des traîtres et des lâches, incapables de dévouement et de sacrifice. J’ai dit. Maintenant faites-moi guillotiner, monsieur le vicomte. J’ai l’honneur d’être votre très humble…. »

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Remercions Hugo et relisons Zarathoustra alors sur ce dernier homme qui rapetisse tout :

« Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même. Voici ! Je vous montre le dernier homme. « Amour ? Création ? Désir ? Étoile ? Qu’est cela ? » – Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l’œil. La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout. Sa race est indestructible comme celle du puceron ; le dernier homme vit le plus longtemps. « Nous avons inventé le bonheur, » – disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil. Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur. On aime encore son voisin et l’on se frotte à lui : car on a besoin de chaleur. »

La réalité sera supportée ou ignorée grâce aux drogues :

« Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poisons enfin, pour mourir agréablement. On travaille encore, car le travail est une distraction. Mais l’on veille à ce que la distraction ne débilite point. On ne devient plus ni pauvre ni riche : ce sont deux choses trop pénibles. Qui voudrait encore gouverner ? Qui voudrait obéir encore ? Ce sont deux choses trop pénibles. Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous. « Autrefois tout le monde était fou, » – disent ceux qui sont les plus fins, et ils clignent de l’œil. »

Dans un autre passage admirable Nietzsche écrit – toujours sur cet homme petit qui rapetisse tout :

« Et un jour il aperçut une rangée de maisons nouvelles ; alors il s’étonna et il dit : Que signifient ces maisons ? En vérité, nulle grande âme ne les a bâties en symbole d’elle-même ! Un enfant stupide les aurait-il tirées de sa boîte à jouets ? Alors qu’un autre enfant les remette dans la boîte ! Et ces chambres et ces mansardes : des hommes peuvent-ils en sortir et y entrer ? Elles me semblent faites pour des poupées empanachées de soie, ou pour des petits chats gourmands qui aiment à se laisser manger. Et Zarathoustra s’arrêta et réfléchit. Enfin il dit avec tristesse : Tout est devenu plus petit ! Je vois partout des portes plus basses : celui qui est de mon espèce peut encore y passer, mais – il faut qu’il se courbe ! Oh ! quand retournerai-je dans ma patrie où je ne serai plus forcé de me courber – de me courber devant les petits ! » – Et Zarathoustra soupira et regarda dans le lointain. »

Sources:

https://www.dedefensa.org/article/visite-aux-morts-pour-l...

https://www.dedefensa.org/article/le-vicomte-de-bonald-et...

https://www.dedefensa.org/article/le-vicomte-de-bonald-et...

18:25 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : victor hugo, friedrich nietzsche, nicolas bonnal | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 01 avril 2024

Lou Salomé, cette intellectuelle vorace qui a fait du génie un sujet érotique

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Lou Salomé, cette intellectuelle vorace qui a fait du génie un sujet érotique

Gennaro Malgieri

Source: https://electomagazine.it/lou-salome-la-vorace-intellettuale-che-trasformava-il-genio-in-soggetto-erotico/

Entre la seconde moitié du 19ème siècle et les trente premières années du 20ème siècle, une femme "fatale" a déferlé sur la culture européenne comme un coup de tonnerre. Lou Salomé (1861-1937), muse inspiratrice, séductrice vorace, intellectuelle raffinée, enchanteresse des hommes et des femmes, a lié son nom, sa vie, son histoire et ses expériences intellectuelles à ceux qui, pour des raisons diverses, sont entrés en contact avec elle, l'ont aimée, détestée, désirée, se sont laissés subjuguer par sa beauté et son intelligence raffinée.

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Friedrich Nietzsche, d'abord et avant tout, fut surtout aimé/haï, recherché/rejeté, flétri/supprimé. Admiré, cependant, de manière flagrante et inconsciente. Mais l'amour inassouvi entre les deux est resté et reste une énigme que même Freud, autre divinité subjuguée par la belle et envoûtante Russe-Allemande, n'a pu déchiffrer. Et puis bien d'autres, entre amour charnel et amour spirituel, se sont disputés des lambeaux de son âme, de son corps et de sa pensée, de Paul Rée à Friedrich Carl Andreas, son seul mari légitime, à Rainer Maria Rilke, avec qui la fureur des sens a éclaté au plus haut point, à bien d'autres "moindres sujets" qui lui ont donné une affection sensuelle et intellectuelle à laquelle elle a répondu tantôt avec générosité, tantôt avec cynisme.

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Mais il est indéniable, quelle que soit la lecture que l'on en fait, que l'histoire humaine de Lou a été sensationnelle, extrêmement vitale, anéantissante pour ceux qui sont tombés amoureux d'elle tout en sachant qu'il n'y aurait pas de réciprocité. Elle a cherché le secret de leur intelligence chez les hommes, comme chez les nombreuses femmes qui furent ses amies, mais chez l'une d'entre elles en particulier, elle a tenté, peut-être sans y parvenir totalement, de pénétrer les recoins les plus inaccessibles de son esprit. La relation avec Nietzsche était de ce type.

On le comprend en parcourant les pages de son autobiographie.

Lou y avoue ne pas pouvoir donner au philosophe ce qu'il attend, mais ne peut non plus se passer de sa douceur, ni du tourment dans lequel s'enracine la préfiguration de Zarathoustra.

Contradictions, dira-t-on, mais dans la psychologie complexe de la jeune femme, tout se tient, comme le montre le récit de la rencontre avec Nietzsche dont le philosophe et elle-même sortiront "transformés", même si Lou tente de le minimiser dans son autobiographie. En effet, l'arrivée à Rome de Nietzsche en provenance de Messine, également invité de Malwida von Meysenburg, a provoqué un événement tout à fait inattendu pour Lou, qui avait prévu un voyage avec son soupirant Paul Rée. Dès que Nietzsche a été informé du projet, se souvient-elle, "il s'est joint à notre union en tant que tiers. Le lieu de notre future trinité fut même choisi : ce devait être Paris (initialement Vienne), où Nietzsche entendait approfondir certaines études et où Paul Rée et moi-même, depuis Pétersbourg, avions pour référence notre connaissance d'Ivan Tourgueniev".

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Mais le projet est vite tombé à l'eau. Nietzsche tombe amoureux de Lou, la demande en mariage, essuie un refus catégorique, mais n'abandonne pas. L'érotisme chaleureux, même platonique, qui s'est installé dans le groupe le satisfait en quelque sorte. En vain, écrit Lou, "j'ai refusé catégoriquement l'institution du mariage et je lui ai expliqué que je jouissais d'une maigre pension en tant que fille de veuve", pension qu'elle perdrait si elle se mariait. Lou fut le tourment de Nietzsche, mais aussi celui de Rée, qui connut plus tard une fin tragique : il tomba d'une montagne de l'Engadine, à l'endroit où le philosophe eut l'illumination de l'éternel retour et où Zarathoustra prit forme.

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La dominatrice du triangle amoureux n'offre dans ses mémoires aucun détail qui puisse éclairer le développement de la relation singulière, mais elle n'hésite pas à rappeler les détails qui l'ont liée à d'autres hommes, en plus de son mari avec lequel elle a établi un ménage alterné de haute intensité érotique, comme avec le jeune poète Rilke, une rencontre, celle-ci, qui a eu lieu, de l'aveu même de Lou, "entre des personnes qui s'étaient transformées depuis longtemps en une intimité à deux, partagée à chaque instant". Elle a compris le génie et en a fait un sujet érotique, sous et sur les draps, en somme. Vorace d'hommes et d'idées.

Après tout, elle seule pouvait écrire dans une lettre à Paul Rée en août 1882, des mots qui seraient confirmés par les faits bien des années plus tard: "Je crois que nous allons assister à la transformation de Nietzsche en prophète d'une nouvelle religion, et ce sera une religion qui fera des héros ses apôtres".

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Elle avait raison, la jeune vagabonde qui a laissé dans les milieux littéraires européens l'odeur de sa soif de savoir. Et elle s'est trompée sur Nietzsche en bien des points, mais pas en le jugeant. Ses mémoires ont un parfum de justification, mais ils révèlent un regret (et pas seulement envers Nietzsche) qu'elle a cultivé presque amoureusement jusqu'à la fin de sa vie. Regret (peut-être) de son abandon précoce de Dieu, d'une sexualité cultivée au milieu d'innombrables épreuves, de l'absence d'un véritable amour à l'orée de son aventure terrestre. Ni le tout jeune Rilke, ni l'Andreas mûr, ni même Freud, d'après ce que nous savons et comprenons de ses mémoires, n'ont comblé son besoin désespéré d'amour, sublimé dans des expériences intellectuelles auxquelles elle doit encore sa célébrité et le souvenir d'une existence qui continue d'alimenter les interrogations, près de quatre-vingts ans après sa mort.

Sans aucun doute, Lou Salomé a été et reste une femme fatale hors pair, audacieuse, sensuelle, une véritable aventurière dans les forêts de l'intellectualité européenne.

mardi, 06 février 2024

Exprimer l'expérience: la philosophie de Giorgio Colli

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Exprimer l'expérience: la philosophie de Giorgio Colli

Giovanni Sessa

Source: https://www.paginefilosofali.it/esprimere-il-vissuto-la-filosofia-di-giorgio-colli-giovanni-sessa/

Depuis mes lectures d'adolescent, je considère Giorgio Colli comme un philosophe d'une grande profondeur. Trop souvent, son travail a été valorisé exclusivement en référence à la traduction et l'exégèse de l'œuvre de Nietzsche. Certains ont même critiqué son approche philo-théorique du monde des Sages. En réalité, il était "un philosophe au sens classique [...] engagé dans une refonte radicale de la tradition philosophique occidentale à la lumière d'une nouvelle configuration de la relation entre la connaissance et la vie" (p. 13). C'est ce que l'on peut déduire de la lecture d'un ouvrage collectif qui lui est consacré par l'"Istituto Italiano per gli studi filosofici", Esprimere il vissuto. La filosofia di Giorgio Colli, édité par Ludovica Boi, Giulio M. Cavalli et Sebastian Schwibach (sur commande : info@scuoladipitagora.it, pp. 260, euro 24.00).

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Le texte rassemble les contributions présentées lors des journées d'étude qui se sont tenues à Naples, dans les locaux de l'Institut, du 4 au 6 octobre 2021. Le volume se compose de quatre sections. La première contient les textes de Riccardo Cavalli, Carlo Gentili et Alessio Santoro. Cavalli traite de l'interprétation collienne du Parménide de Platon, un dialogue dans lequel la prétention à définir l'idée en termes rationnels a été perdue. Dans ses pages, pour la dernière fois, selon Colli, "revit la raison saine et vitale des "philosophes surhumains", dont la nature destructrice [...] ne compromet pas la possession inébranlable que le sage a conquise une fois pour toutes en lui-même" (p. 25). Dans Parménide brille à nouveau la Sagesse, dont l'éclat sera éteint par la réduction de l'idée à un concept, qui induit la séparation de la vie et de la pensée. L'auteur souligne comment, dans l'attitude esthétique platonicienne, on peut trouver une articulation du lien idée-monde qui n'est pas encore complètement détachée du sensible : "On peut saisir ici l'écho de la théorie de Schopenhauer [...] mais aussi l'écart décisif avec elle, en insistant sur le caractère non formel de la subjectivité pure [...] et en soulignant [...] sa vitalité" (p. 29). Le principe, compris sur un mode statique et transcendant, est, selon Colli, aveugle à la vie toujours en devenir.

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Gentili déplace le discours vers l'idée que le jeune Colli se faisait de la politique. Le philosophe turinois s'appuie alors sur les analyses de Julius Stenzel et de Christian Meier, sans oublier la vision schmittienne. Le thème est abordé en partant des "aperçus offerts par la tragédie attique" (p. 10). Le sens du "politique" se révèle dans les cas mis en lumière par certains poèmes tragiques, où l'association politique rencontre et se heurte à son contraire, la dissociation, donnant lieu à la stasis : "Le politique implique une réflexion sur les modes de la démocratie et ses rapports avec son contraire apparent : la tyrannie" (p. 61). Colli est conscient que la tyrannie naît de la "tracotence", le trait spirituel "désordonné", noté par Voegelin, de l'homme de la démocratie extrême. Le tyran radicalise le trait anthropologique de l'homme démocratique : il veut étendre son pouvoir sur une infinité d'hommes. En cela s'identifie son "dionysisme", même si le "politicien", par définition, appartient au versant apollinien.

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Alessio Santoro s'attarde sur la lecture que fait Colli d'un passage du De Interpretatione d'Aristote (16b19-25), consacré au verbe "être". Le texte montre que la critique de la raison chez le philosophe italien n'est pas réductible à l'irrationalisme, mais part de la raison elle-même et utilise ses outils, en premier lieu la logique, pour induire un retour à la Sagesse. Colli relativise le rôle cognitif du sujet: "point de vue partiel et provisoire sur le monde" (p. 81). L'expression est la définition que le penseur attribue aux nexus désengagés du sujet, qui sont : "manifestation de quelque chose d'autre dont l'expression s'est éloignée et qu'elle ne pourra jamais récupérer - "l'immédiateté"" (p. 81). Valerio Meattini attire l'attention sur la raison et l'histoire dans Colli. Il montre comment leur critique peut redonner de la valeur à la philosophie, en en faisant une "grammaire de la limite" et un savoir thérapeutique régénérant. La raison et l'histoire ne doivent pas être niées, car elles sont le signe d'un détachement par rapport à l'immédiateté. La première est une cause, la seconde un effet. Dans les deux cas se cache l'immédiat qui peut revenir se révéler, même si c'est de manière allusive et symbolique. Giulio M. Cavalli distingue deux moments dans la critique de la ratio de Colli. Le premier est donné par l'approche historique-généalogique nietzschéenne, le second par l'approche logique-dialectique, issue de l'éléatisme. L'exégèse de l'auteur retrace l'élément crucial de ce second moment dans la notion de contradiction.

ugcnphnnamed.jpgLudovica Boi s'amuse, avec une argumentation pertinente, de l'influence de la théosophie de Böhme sur le jeune Colli. Le penseur a lu Böhme à la fin des années 1930. Son exégèse du théosophe s'appuie sur les études de Paul Dessen et de Karl Joël. Pour ce dernier, les présocratiques et le théosophe sont porteurs d'une pensée vivante, dont les échos se répercuteront jusqu'au romantisme. Les sages et Böhme ont vécu, pour Colli, une expérience extra-réelle, une cosmosisation de l'intériorité. Une expérience incommunicable, même s'il arrive parfois, comme au théosophe lorsqu'il entreprend d'écrire Morgenröte (Aurore), d'être frappé par une "urgence expressive" (p. 142). Colli montre un intérêt particulier pour la métaphysique et la cosmologie chez Böhme. Pour l'Allemand, la réalité est le résultat du processus d'autorévélation de l'Urgrund, un principe infondé qui "transcende le plan même de l'être" comme ce qui, dans son essence la plus propre, n'est pas du tout une essence" (p. 145). Cet élément possède en lui-même une volonté qui l'incite à se manifester. Il ne s'agit pas simplement d'immobilité et de transcendance, mais d'un désir: "un aiguillon pour exister" (p. 145). L'autorévélation se compose de sept déterminations qui, dans la plupart des cas, correspondent à un élément alchimique. Le cosmos est constitué de ce septénaire et de l'action rythmique inépuisable de l'Amour-Dieu. Cette action rythmique renvoie à l'unité divine. Tous les contraires sont dans le principe, à commencer par l'être et le néant, l'unité et la multiplicité, l'essence et l'existence. L'"abandon" mystique de Böhme fait allusion à "la réintégration dans l'ordre cosmique, c'est la consommation de l'illusion du deux" (p. 152), qui est vécue comme une expérience, à travers le corps. La pensée et le principe ont des traits corporels et, comme pour les Sages, le Geist est donné dans le Leib. Essence et existence, principe et physis, disent la même chose.

Les autres contributions sont également dignes d'intérêt. Sebastian Schwibach traite de ce qui unit et de ce qui sépare Colli d'Elémire Zolla. Rossella Attolini entre dans le vif du débat sur l'apollinien et le dionysiaque dans la philosophie de l'expression. Toffoletto inaugure, de manière pertinente, l'étude de la philosophie de la musique chez Colli, tandis que Corriero situe l'expérience collienne au sein de la pensée italienne. Un volume riche en stimuli théoriques. Il indique une voie à suivre.

Giovanni Sessa

dimanche, 21 janvier 2024

La pensée philosophique de Nietzsche et l'Allemagne des années 30

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La pensée philosophique de Nietzsche et l'Allemagne des années 30

La partie qui nous a semblé la plus intéressante dans l'essai publié par Controcorrente est la troisième, dans laquelle l'auteur aborde l'intérêt du philosophe pour le "quotidien", l'"humain".

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/112654-il-pensiero-filosofico-di-nietzsche-e-la-germania-negli-anni-trenta/?fbclid=IwAR1tphmP0aDtQTmzSpnadf8JfOb__6MxNEo4udrM1aucOueFO2zWL5qNaSU

Nietzsche est l'un des penseurs les plus lus de tous les temps. Différents facteurs ont contribué à cet engouement: le style poético-aphoristique qui caractérise son œuvre, son a-systématicité, le caractère radicalement dépassé de ses thèses, ainsi que l'exemplarité de leur apodicticité. Des aspects qui, de différentes manières, ont conduit à des lectures parfois divergentes de sa philosophie. Le moment le plus discuté et le plus problématique de la propositionphilosophique du penseur de Röcken se trouve dans ses rapports avec la politique. Matteo Martini, dans un volume récent publié par Controcorrente, Friedrich Nietzsche e il nazionalsocialismo e altre questioni nietzscheane (Friedrich Nietzsche et le national-socialisme et autres questions nietzschéennes), repropose la quaestio vexata des liens entre le penseur et le régime hitlérien (sur commande : controcorrente_na@alice.it, pp. 191, euro 18.00). Le volume comprend une préface de Francesco Ingravalle et une postface de Marina Simeone.

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L'analyse des textes est menée par l'auteur avec une méthode très différente de celle adoptée par Giorgio Colli. Le grand spécialiste de l'antiquité estimait que l'exégèse du philosophe ne pouvait être abordée par le biais de simples citations, car cela conduirait à la "falsification" d'une pensée qui, au contraire, était articulée, complexe, voire en spirale. En outre, Martini cite, par choix explicite, presque exclusivement des textes écrits par Nietzsche dans les dernières années de sa vie, en particulier dans La Volonté de puissance. Cette méthode l'incite à soutenir que "Nietzsche a préparé sans équivoque les fondements philosophico-éthico-culturels sur lesquels le national-socialisme [...] allait proliférer" (p. 30). Cette affirmation peut être vraie dans le même sens qu'il est tout aussi vrai d'affirmer que la révolution conservatrice a préparé l'humus existentiel et politique qui a permis à Hitler de s'établir dans la société allemande de l'époque. Le problème est que, pour l'auteur, le national-socialisme a réalisé la trahison des idéaux nietzschéens et révolutionnaires-conservateurs (de nombreux révolutionnaires conservateurs ont vécu en marge, reclus ou à l'étranger pendant le régime). On ne peut donc pas affirmer que le programme nazi d'extermination des "indésirables" et des "différents" découle directement des aphorismes décontextualisés de Nietzsche, dont Martini reconnaît d'ailleurs les traits humains aimables et courtois.

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Au contraire, il ressort à juste titre de ces pages que la référence aux valeurs aristocratiques chez le philosophe ne renvoie pas à des "exigences raciales" (p. 31), bien qu'une certaine ambiguïté de jugement caractérise certains fragments se référant aux juifs. Nietzsche "a tantôt des mots élogieux à leur égard, tantôt des mots méprisants, mais il ne fait jamais allusion à quoi que ce soit qui puisse ressembler à une exhortation à l'élimination systématique du peuple juif" (p. 33). Le penseur, note l'auteur, était totalement étranger aux idéaux du nationalisme allemand, ce qui avait notamment provoqué la rupture de ses relations avec Wagner. Pour le philosophe, la décadence grecque et européenne avait été préparée par la primauté donnée par Socrate au concept, qui avait contribué à occulter la conception tragique de la vie propre aux Hellènes archaïques. Avec le "socratisme", c'est la course au surmonde, au téléologisme, aux dualismes essence/existence, être/néant, qui trouvera son apogée dans la vision chrétienne. La "mort de Dieu" chez Nietzsche a le sens d'une constatation de fait d'une réalité historico-spirituelle en cours, qui concerne aussi bien son époque que la nôtre, ce qui ne coïncide pas, bien entendu, avec une position athée, comme semble le croire l'auteur. L'un des interprètes qu'il cite, Eugen Fink, était bien conscient que la construction du penseur était centrée sur un effort "théologique", certainement pas chrétien, ayant pour centre la récupération de la sacralité de la physis, lieu de l'origine printanière à laquelle tout revient.

Martini a certainement raison d'affirmer qu'Hitler n'a pas incarné l'idéal de l'"au-delà de l'homme", mais qu'il a tenté de reproposer, sans y parvenir et en la détournant tragiquement, une autre figure créée par Nietzsche, celle du "grand homme", du dominateur (princes de la Renaissance, Napoléon). Le "Surhomme" est celui qui accepte le tragique du monde et l'ennoblit par la création de nouvelles tables de valeurs.  De "nouvelles valeurs" centrées sur le mensonge "anagogique" et non sur le mensonge "catagogique" (le surmonde et Dieu) qui produit la décadence. Il est prophète d'un avenir à venir (non incarné par le nazisme, qui au contraire, comme le reconnaissait de Benoist, avec sa devise "Un chef, un peuple, un empire", laissait entrevoir sa propre vocation monothéiste, loin d'être païenne !): il se savait "dynamite" parce qu'il était conscient que son annonce d'époque allait bouleverser la vie du "dernier homme", certainement pas comme prophète des drames de la Seconde Guerre mondiale !

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La partie la plus intéressante du volume est la troisième, dans laquelle Martini aborde l'intérêt du philosophe pour le "quotidien", l'"humain". En fait, cet intérêt est lié au fait que Nietzsche, comme les Grecs, a en vue la vie nue. Son regard sur le corps, sur l'alimentation, sur le climat sont des preuves qu'il était conscient que tout ce qui est vivant est "animé", qu'il n'y a pas de dualisme âme/corps. Martini semble le sentir lorsqu'il écrit: "pour une raison qui n'est pas facile à expliquer [...] dans cette philosophie, pourtant caractérisée par un matérialisme débridé, il y a (...) quelque chose de spirituel, une sorte de "matérialisme raffiné"" (p. 120). Non, pas de "matérialisme", en Grèce le corps était sacré en tant qu'expression de la dynamis, la puissance du possible qui l'anime et qui anime pour Nietzsche tout ce qui est. C'est précisément dans la mesure où elle est possible que la dynamis n'a rien de providentiel, comme le voudrait l'auteur (la "confiance" dans la Volonté de puissance). Le philosophe de Röcken représente le dernier maillon de la dissolution de l'hégélianisme. Dans cette suite de penseurs, il y a beaucoup de noms qui ont contribué plus que Nietzsche à la définition de la culture politique nationale-socialiste. On peut tout au plus reprocher à Nietzsche de ne pas être parvenu à une récupération effective de la physis grecque. En témoignent les ambiguïtés de la doctrine de l'éternel retour de l'identique (également relevée à juste titre par Martini), pensée à travers la catégorie métaphysique par excellence, le principe d'identité. Cette limite a été saisie par Klages, qui l'a corrigée en parlant de l'éternel retour du semblable, en vigueur dans la nature et dans l'histoire.

Avec Klages, l'héritage nietzschéen et la volonté de puissance elle-même peuvent être lus et vécus au-delà de l'onto-théo-logie dont le penseur, selon Heidegger, était le dernier interprète. Si tel est le cas, la philosophie imaginaire de Nietzsche pourrait donner lieu à un nouveau départ de la civilisation européenne.

Giovanni Sessa

mardi, 26 décembre 2023

Friedrich Nietzsche et les fascismes européens

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Friedrich Nietzsche et les fascismes européens

L'influence du penseur allemand est à l'origine de la naissance du mouvement mussolinien. Le Duce avait déjà reconnu son ascension en 1908

par Sandro Marano

Source: https://www.barbadillo.it/112167-friedrich-nietzsche-e-i-fascismi-europei/

La question de savoir si et dans quelle mesure la philosophie de Nietzsche a influencé le fascisme et le nazisme est l'une des plus débattues, et tant les apologistes que les détracteurs de sa pensée se sont disputés et se disputent encore à ce sujet.

2399_10462382_0.jpgDans l'un des chapitres d'un essai publié en 1934, Le socialisme fasciste, intitulé "Nietzsche contre Marx", l'écrivain français Pierre Drieu La Rochelle, soulignant l'influence des philosophies de Nietzsche et de Marx sur les mouvements politiques et sociaux de son époque, s'interrogeait: "L'esprit de Nietzsche ne se retrouve-t-il pas au cœur de tous les grands mouvements sociaux qui se sont déroulés depuis vingt ans sous nos yeux ? Il est désormais bien établi que Nietzsche a eu une influence décisive sur Mussolini. Mais n'a-t-il pas aussi influencé Lénine ? Et tout en admettant que l'enseignement de Nietzsche est "multiforme, sibyllin comme celui de tous les artistes. Un enseignement qui échappera toujours à toute tentative de possession définitive par un parti, par une époque", il n'hésite pas à conclure que la philosophie poétique de Nietzsche est "plus efficace et plus irrésistible sur les artistes et les hommes politiques que la pensée d'un philosophe comme Bergson". (1)

Un écrit de Mussolini

9788889515150_0_536_0_75.jpgPar ailleurs, il faut noter que Benito Mussolini a été le premier en Italie à faire une lecture politique de Nietzsche avec un petit essai, La filosofia della forza (La philosophie de la force), paru en fascicules de novembre à décembre 1908 dans "Il pensiero romagnolo", et qui prend comme point de départ une conférence du député socialiste Treves. Dans cet examen concis et lucide, Mussolini identifie, entre autres, le point faible de la philosophie de Nietzsche dans son approche trop individualiste: "Il ne suffit pas de créer de nouvelles tables de valeurs, il faut aussi produire humblement du pain". (2) Et il a jeté les bases d'une interprétation du Surhomme compris non pas comme un individu héroïque qui défie les conventions, mais comme une nation, qui est peuple et aristocratie, car "dans la nation, il y a la tradition et la promesse d'un avenir d'expansion, il y a l'élitisme des minorités qui dirigent et se distinguent comme les porte-drapeaux d'un peuple et il y a l'implication du peuple lui-même qui se sent appartenir à cette communauté". (3)

Parmi les interprétations possibles, celle du fascisme ne peut donc être exclue a priori, étant donné que "le concept nietzschéen qui est parvenu en Italie sous la forme la moins déformée est précisément celui du surhomme, popularisé par Mussolini dès 1908. Il était compris, certes, comme le symbole du peuple conquérant et dominateur selon la politique de puissance chère au nationalisme et à l'impérialisme ; mais aussi et surtout comme le présage d'un homme nouveau, d'un nouveau type de citoyen, porteur d'un nouveau mode de vie". (4)

512cHsVNxkL._AC_SY580_.jpgSur la critique de l'individualisme dans la philosophie de Nietzsche, Sossio Giametta est d'accord, notant que Nietzsche, "bien qu'il ait été conscient comme personne d'autre, sauf peut-être Marx, du déclin des valeurs et de la décadence en général, d'où sa renommée en tant que critique de la civilisation, ne pouvait penser qu'en termes individuels, alors que les maux moraux qu'il percevait étaient pour la plupart causés par des transformations sociales, en particulier économiques, et étaient des répercussions de celles-ci". (5)

Cependant, la question de l'influence de la philosophie nietzschéenne sur le fascisme rappelle la question plus générale de l'influence de la pensée philosophique sur la politique. Et ceci est particulièrement vrai pour des penseurs comme Platon, Machiavel, Rousseau, Marx, ainsi que Nietzsche lui-même, dont les philosophies ont une dimension prophétique et se prêtent donc à être utilisées par la politique.

On pourrait peut-être sourire de la boutade d'Ortega y Gasset selon laquelle "l'homme politique devient nerveux lorsque le philosophe se met en avant pour dire ce qui doit être dit sur les questions politiques". Mais elle implique, d'une part, la nécessaire distinction de rang entre la philosophie, qui est pensée de la vérité, et la politique, qui est "pensée utilitaire" ; et d'autre part, l'influence indéfectible de la philosophie sur toutes les activités de l'esprit, puisque "l'homme vit d'une philosophie et dans une philosophie". Cette philosophie peut être savante ou populaire, la sienne ou celle d'un autre, ancienne ou nouvelle, brillante ou stupide, mais dans tous les cas, notre être a ses racines vivantes fermement dans une philosophie". (6)

Il y a donc toujours une responsabilité du philosophe, aussi indirecte et subtile soit-elle. Comme l'écrit Sossio Giametta avec des arguments qui nous semblent irréfutables : "La culture ne communique pas directement avec la politique. Une idéologie philosophique n'est donc jamais directement traduisible en idéologie politique. (...) Cependant, les idéologies culturelles ont des relations souterraines très importantes avec les événements sociaux et politiques, à la fois dans un sens actif et passif, en tant que parties d'un même phénomène global, et c'est certainement aussi le cas pour Nietzsche. (...) Le philosophe n'est pas responsable, en tant que tel, de ses actes sur le plan éthique. De même, il n'est pas responsable des conséquences de sa philosophie sur le plan politique, social ou autre. Il n'est jamais responsable que devant la vérité. Et celle-ci, cependant, ne doit pas être comprise comme une responsabilité "faible", partielle, diminuée, mais plutôt comme la plus forte et la plus sérieuse qu'un homme puisse avoir, de l'homme qu'est le philosophe et pour laquelle seules les autres, aussi importantes, "incontournables" soient-elles, deviennent secondaires". (7)

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Lorsque Nietzsche décrit "le dernier homme", avec ses clins d'œil au bonheur stéréotypé, à la médiocrité, à l'égalité, et qu'il nie le socialisme, la démocratie et le christianisme; lorsqu'il souhaite l'avènement du Surhomme (quel que soit le sens qu'on lui donne: chef politique, esthète armé à la D'Annunzio, ou nouvelle aristocratie du sang et du sol et de l'ordre nouveau); quand il exalte la lutte entre les hommes et la volonté de puissance, il met en place une série d'éléments et de suggestions qui trouvent un terrain fertile et "naturel" dans le fascisme. "Et en ce sens, écrit Sossio Giametta, non sans raison, il fournira toujours de formidables arguments à toutes les droites, car les droites, tout comme les gauches, ne manquent pas de justifications profondes". (8)

La réflexion de Sossio Giametta

Et à ceux qui trouvent répugnant d'admettre le lien étroit entre Nietzsche et le fascisme, Sossio Giametta objecte que, sur la base des textes, ce lien existe et est indubitable et que leur répugnance provient du fait qu'ils "ne sont pas prêts à prendre le fascisme au sérieux, c'est-à-dire à le considérer non pas comme le résultat de l'arbitraire et de la férocité gratuite, mais comme un accomplissement historique, comme un phénomène de vieillesse et de décadence, oui, et de violence aussi, mais naturel et grandiose, comme le déclin d'une époque et de la puissance mondiale de l'Europe, (...) comme un mouvement qui, même s'il n'est pas encore en mesure de s'adapter à l'évolution de l'histoire, n'en est pas moins un mouvement d'opposition. ) comme un mouvement qui, même dans sa négativité, a aussi incorporé toutes les bonnes raisons que Nietzsche plaide précisément en sa faveur et qui resteront à jamais les raisons de la droite, au grand dam de ceux qui rêvent ou plutôt fulminent de pouvoir un jour, avec leurs sophismes, récupérer Nietzsche pour la gauche". (9)

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Pour Augusto Del Noce

De la même opinion sont généralement les interprètes qui n'ont pas de préjugés, parmi lesquels nous citons le philosophe catholique Augusto Del Noce (photo), qui observe qu'il est "absolument faux, donc, de juger le pré-nazisme de Nietzsche, parce que son œuvre ne peut avoir, même contre la volonté de son auteur, qu'un caractère de diagnostic ; mais il est en même temps absolument vrai que, si l'on veut l'interpréter comme une doctrine d'action, la forme ultime à laquelle on doit arriver est la "fureur nazie"": D'autre part, peut-on citer un disciple pratique de Nietzsche dans lequel on ne puisse pas reconnaître un précurseur du fascisme et du nazisme?". (10)

En fin de compte, il faut reconnaître honnêtement, de la même manière que l'on prêche d'un côté ses limites et son unilatéralisme et de l'autre ses mérites et sa grandeur, que Nietzsche a certainement été un précurseur du fascisme.

Notes:

(1) Pierre Drieu La Rochelle, Le socialisme fasciste, EGE, 1974, pp. 87-95 ;
(2) Benito Mussolini, La filosofia della forza, en annexe au texte d'Ernst Nolte, Il giovane Mussolini, Sugarco, 1993, p. 131 ;
(3) Marcello Veneziani, Mussolini le politicien, Ciarrapico, 1981, p.105 ;
(4) Augusto Simonini, Il lingaggio di Mussolini, Bompiani, 1978, p. 107 ;
(5) Sossio Giametta, Commentaire sur Zarathoustra, Bruno Mondadori, 1996, p. 10 ;
(6) José Ortega y Gasset, Bonheur et technique, in Méditations sur le bonheur, Sugarco, 1994, pp. 170-171 ;
(7) Sossio Giametta, op. cit. p. 313-314 ;
(8) Sossio Giametta, op. cit. p. 13 ;
(9) Sossio Giametta, op. cit. p. 119-120 ;
(10) Augusto Del Noce, Tramonto o eclissi dei valori tradizionali, Rusconi, 1971, p. 192.

samedi, 07 octobre 2023

Réponses de Clotilde Venner au Questionnaire de la Nietzsche Académie

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Réponses de Clotilde Venner au Questionnaire de la Nietzsche Académie

Source: http://nietzscheacademie.over-blog.com/2023/10/clotilde-venner.html

Veuve de l'historien Dominique Venner (figure nietzschéenne par excellence), Clotilde Venner, qui a fait des études de philosophie, est l'auteur avec Antoine Dresse du livre "A la rencontre d'un coeur rebelle. Entretiens sur Dominique Venner" aux éditions La Nouvelle Librairie (cliquer pour commander).

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- Nietzsche Académie : Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

- Clotilde Venner : Bien que j’aie fait des études de philosophie, je ne pense pas l’avoir compris avant l’âge de 40 ans. Il m’a fallu une certaine maturité pour le comprendre de l’intérieur. Ce que j'apprécie chez Nietzsche, c'est sa lecture du monde grec qu'il a magnifiquement renouvelé et rééquilibré. En effet, on avait vu chez les Grecs, tout au long du Moyen Âge et à l'âge classique essentiellement le logos, le raisonnement rationnel alors que les Grecs sous l'influence des présocratiques et des tragiques mettaient à égalité le raisonnement intellectuel et l'énergie vitale. Nietzsche nous fait aimer et comprendre les Grecs. L'autre aspect de sa pensée que j'apprécie, c'est l'importance qu'il accorde au corps, pas au sens hédoniste et narcissique actuel, mais dans le sens où l'on ne peut dissocier le corps de l'âme.

R160212248.jpgQuand on se soucie de son âme, ce n'est en rien une activité superficielle et vaine : " Comment faut-il que tu te nourrisses, toi, pour atteindre ton maximum de force, de virtu, dans le sens que la Renaissance donne à ce mot, de vertu libre de moraline ? " Ecce Homo. Pour moi, il est le penseur de l'énergie vitale, c'est ce que j'aime le plus chez lui. Il écrit également dans La Généalogie de la Morale : " nos idées ne s'enracinent pas dans notre raison, mais en nous, dans notre corps, dans notre chair, dans notre être le plus profond. "

 

- Nietzsche Académie : Être nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?

- Clotilde Venner : C’est vouloir constamment se dépasser, s’élever, ne pas se contenter d’être ce que l’on est ou d’être ce que les autres voudraient qu’on soit. C’est être animée par une tension intérieure qui nous pousse à créer. La triade homérienne de Dominique [Venner] traduit magnifiquement cet élan spirituel qui nous vient des Grecs : la nature comme socle, l’excellence comme but, la beauté comme horizon.

9782080278043.jpg- Nietzsche Académie : Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

- Clotilde Venner : Mes deux livres préférés sont La naissance de la tragédie et Le Crépuscule des Idoles.

- Nietzsche Académie : Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

- Clotilde Venner : Ni l’un ni l’autre. Car l’éthique aristocratique de Nietzsche est très loin des idées de la gauche qu’elle soit de tendance socialiste ou marxiste. Et aussi de la droite surtout si elle est libérale.

- Nietzsche Académie : Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

- Clotilde Venner : Je pense à trois auteurs que j'aime beaucoup.

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Le premier est le Dr Alexis Carrel qui reçut le prix Nobel de médecine en 1912. Ses réflexions dans L'homme cet inconnu sur le corps, la santé, sur ce qui provoque la décadence physique et mentale d'un peuple rejoint la pensée de Nietzsche.

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Le second c'est René Quinton (également un biologiste), l'auteur de Maximes sur la Guerre, écrites pendant la guerre de 14-18, c'est une sorte de Jünger français mais en beaucoup plus musclée. Sa pensée est par certains côtés très nietzschéenne mais aussi darwinienne.

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Le troisième auteur est Mircea Eliade, l'historien des religions, qui fut l'ami de Ionesco et Cioran. Pendant sa jeunesse, il écrivit un roman très autobiographique Gaudeamus, qui relate le combat intérieur d'un jeune  intellectuel qui souhaite vivre selon des principes nietzschéens.

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J'aimerais évoquer également le roman de Muriel Barbery, L'élégance du Hérisson qui est pour moi un roman à bien des égards nietzschéen. Le personnage principal est une adolescente qui éprouve une profonde révolte contre la médiocrité de son milieu social. Je dirais que c'est elle le personnage le plus nietzschéen de l'histoire. Il est rare de trouver des personnages de femmes nietzschéennes dans la littérature mais c'est encore plus rare que ce soit des adolescentes.

- Nietzsche Académie  : Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?

- Clotilde Venner : Si je devais donner une définition personnelle je dirais que le surhomme, c'est avant tout un créateur, un bâtisseur, un inventeur, quelqu'un qui s'élève au-dessus de la commune humanité. Tous les grands artistes de la Renaissance appartiennent d'une certaine manière à cette catégorie. Je pense à Léonard de Vinci, Michel Ange.

- Nietzsche Académie : Votre citation favorite de Nietzsche ?

- Clotilde Venner : " La beauté n’est pas un accident - La beauté d’une race, d’une famille, sa grâce, sa perfection dans tous les gestes est acquise péniblement : elle est comme le génie, le résultat final du travail accumulé des générations. Il faut avoir fait de grands sacrifices au bon goût, il faut à cause de lui avoir fait et abandonné bien des choses (…) Règle supérieure : on ne doit pas « se laisser aller » même devant soi-même (…) Tout ce qui est bon est héritage, ce qui n’est pas hérité est imparfait, n’est qu’un commencement. " Le Crépuscule des Idoles 47 §

 

Considérations sur la torture et la cruauté - Entre Nietzsche et Foucault

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Considérations sur la torture et la cruauté - Entre Nietzsche et Foucault

JOÃO FRANCO

Introduction 

Le choix du thème de cet essai s'explique par le regain d'intérêt pour la question du conditionnement des corps et le changement d'approche de la dialectique entre les corps et les esprits au cours des derniers siècles. Friedrich Nietzsche dans Généalogie de la morale, notamment dans le deuxième essai, fait une excellente genèse de la cruauté et de la torture, établissant des thèses originales sur leur origine. Michel Foucault s'inspirera de ce deuxième essai comme point de départ de son ouvrage Surveiller et punir, dans lequel il traite du passage du modèle de la torture à celui de la discipline, passage d'une action sur le corps à une action sur l'esprit. Dans ce travail, nous utiliserons non seulement le mot esprit, mais aussi d'autres mots comme mental ou même âme pour désigner la même chose.

couv69664492.jpgLa première partie de cet article se concentrera sur l'approche nietzschéenne de la question de la torture et de la cruauté, en se focalisant sur une genèse de la cruauté qui est faite de manière innovante par Nietzsche, avec un accent sur les mnémoniques, le concept de dette et les punitions physiques et cruelles. D'où vient la cruauté et comment a-t-elle été ensuite opprimée et cachée dans l'homme ?

Dans la deuxième partie, nous aborderons les deux premiers chapitres de Surveiller et punir, d'inspiration fortement nietzschéenne et qui touchent à un tournant historique, lorsque le pouvoir politique, alarmé par les résultats souvent contre-productifs des exécutions publiques, se lance dans de nouvelles formes de discipline, de surveillance et de punition. Qu'est-ce que la torture, comment et pourquoi passe-t-on de la torture au système carcéral ?

Pour conclure, la troisième et dernière partie proposera une brève considération générale des pensées de Nietzsche et de Foucault sur cette question, abordées dans les deux parties précédentes, dans le cadre plus global de ce thème de la dialectique entre les corps et les esprits, en mentionnant quelques autres auteurs pertinents.

La genèse de la cruauté dans Généalogie de la morale

Friedrich Nietzsche écrit Généalogie de la morale en réponse à deux de ses antagonistes : Schopenhauer et Paul Rée. Tous deux avaient inspiré Nietzsche à un stade précoce, surtout Schopenhauer avec son monumental Le monde comme volonté et représentation, qui avait conduit Nietzsche de la philologie à la philosophie, mais entre-temps, Nietzsche avait écarté les deux. L'ouvrage de Paul Rée de 1877, L'Origine des sensations morales, dont les titres et les thèmes (notamment le libre arbitre, la responsabilité et la punition) présentent des similitudes, constitue ainsi le point de départ de la réplique de Nietzsche, divisée en trois essais[1].

Nietzsche commence le deuxième essai de la Généalogie de la morale par quelques considérations sur la nature morale de l'homme, sur l'apparition de la conscience et sur ce qu'il considère comme l'un des principaux traits de l'être humain : être un animal qui peut faire des promesses[2]. Cette émergence du concept de responsabilité, qui va à l'encontre de la faculté d'oubli, est à l'origine de l'émergence de l'individu souverain, de l'homme qui peut promettre et à qui on peut faire confiance[3]. La morale, malgré tout, est pour Nietzsche une sorte de camisole de force sociale, qui va agir sur les instincts et les passions innés et les plus irrationnels, c'est-à-dire un élément de castration de la liberté humaine.

Pour Nietzsche, la conscience est un fruit tardif[4], qui provient de la création en l'homme d'une mémoire par une mnémotechnique appliquée avec un fer rouge[5]. C'est la terreur qui accompagne l'acte d'engagement, avec des sacrifices, des mutilations et des rituels sanglants. Il serait préférable que l'Homme, comme les autres animaux, conserve la faculté d'oublier.

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Friedrich Nietzsche énumère plusieurs tortures historiquement germaniques, telles que la lapidation, la roue, l'empalement, l'écartement et l'écrasement par des chevaux, l'immersion du condamné dans de l'huile ou du vin bouillants, l'écorchement, l'excision de la chair de la poitrine, l'exposition du malfaiteur au soleil brûlant et aux mouches après avoir été recouvert de miel[6]. Ils ont aidé à fixer dans l'esprit certaines idées, sur ce qui était permis et ce qui était interdit. "Derrière les bonnes choses, combien de sang, combien d'horreur", écrivait-il [7].

Mais où est donc l'origine de la conscience de culpabilité, de la mauvaise conscience ? Elle est associée à la notion de dette, à la punition comme compensation, étrangère à la liberté ou à la non-liberté de la volonté. Il s'agissait d'une punition pour la colère provoquée par une perte et on cherchait une équivalence avec la perte subie par le créancier. Ces relations transactionnelles entre créancier et débiteur sont à l'origine de la cruauté et de la punition. Le débiteur, pour renforcer la force de sa promesse, met en gage une chose qui sera perçue en cas de défaillance[8]. Toutes sortes d'humiliations et de tortures seront appliquées au corps du débiteur s'il ne paie pas ce qu'il doit. C'est ici qu'apparaît l'une des innovations de la pensée de Nietzsche, en plaçant la genèse de la cruauté à la naissance de l'économie et des transactions commerciales."...Au lieu d'un avantage qui compenserait directement la perte (donc au lieu d'une compensation en argent, en terre ou en tout autre bien), le créancier reçoit comme compensation et indemnité une sorte de satisfaction intérieure, la satisfaction de pouvoir, sans remords, exercer son pouvoir sur un impuissant (...) La joie de violer, plus bas dans l'échelle sociale est le créancier, qui connaît ainsi les délices de ceux qui commandent, de ceux qui détiennent le pouvoir.(...) Le droit à la cruauté, était quelque chose de consacré et que les créanciers n'hésitaient pas à revendiquer[9]. Cette préférence pour la compensation cruelle, part d'un postulat qui a duré longtemps, le postulat que le débiteur doit payer, mais avec son corps et non avec des biens matériels équivalents à ceux que le créancier n'a pas reçus et qui lui ont fait beaucoup plus plaisir.

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Nietzsche abordera ensuite le caractère festif de la cruauté et de la torture, quelque chose qui selon lui s'éloigne de plus en plus de l'homme moderne," ...n'est pas pour nos pessimistes qui s'ennuient dans la vie... [10]", écrit-il dans une critique de ses contemporains imprégnés du pessimisme schopenhauerien ou du nihilisme du désespoir provoqué par la mort de Dieu, qui conduit à la prise de conscience que rien n'a de sens, et il avance un peu plus loin :"Aujourd'hui, la souffrance est l'un des principaux arguments contre l'existence, mais il fut un temps où elle était une attraction de premier ordre, un authentique leurre qui séduisait à la vie.[11]" La cruauté était même la grande joie des communautés archaïques, et ce désir de violence et d'atrocité se manifestait de manière naturelle et insouciante, sans que le remords ou la conscience ne s'en mêlent. La cruauté a même été spiritualisée et déifiée, impliquant un nombre incalculable de divinités, certaines même créées à cet effet, dans diverses religions, pour lesquelles les rites cruels, les sacrifices humains, faisaient partie de la vie quotidienne et, en tant que tels, de la vie sociale et culturelle de la communauté. Et même les jours de fête, la cruauté était à l'ordre du jour :"Quoi qu'il en soit, il n'y a pas si longtemps encore, il était impossible d'imaginer des mariages royaux ou de grandes fêtes populaires qui n'intégraient pas d'exécutions publiques, de tortures ou, par exemple, d'autodafés...[12]" Sans cruauté il n'y avait pas de fête, c'était un plaisir particulier de voir souffrir et encore plus de faire souffrir les autres, et c'est pourquoi même la personne la plus humble n'abdiquerait pas ce plaisir si elle avait l'occasion d'en profiter, le préférant à la réception de biens équivalents aux dommages qui avaient été causés.

Nietzsche, grand admirateur de la culture grecque, par laquelle il a commencé son œuvre[13], remonte aux débuts de la civilisation européenne, une civilisation encore balbutiante, à la recherche de justifications. Les dieux seraient créés pour être les spectateurs de la cruauté la plus violente et la plus atroce. "Tout mal dont un dieu se nourrit en spectacle est justifié."[14] Même le grand Homère présentait les dieux comme des amateurs de spectacles cruels et violents. Contrairement au christianisme, que Nietzsche ne cesse de critiquer pour sa morale esclavagiste, et pour ce péché originel qui culpabilise chacun dès sa naissance, obligeant à une expiation permanente et peut-être éternelle, dans le monde grec, les hommes n'avaient pas leur destin à la merci d'un quelconque déterminisme castrateur, ils forgeaient le destin de leurs propres mains, ils créaient des peuples et des royaumes à partir de rien. La vie était une tragédie, la plus belle forme de théâtre, à la grecque. "Une pièce sur la scène du monde"[15] pour Nietzsche. L'idée d'un libre arbitre domine... il n'y avait pas de déterminisme qui épuisait la nouveauté du spectacle pour les dieux, ils ne savaient pas ce qui allait se passer, même si parfois ils essayaient aussi de participer à la pièce. Il s'agissait d'attentions envers le spectateur, qui devenait aussi acteur par moments.

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L'évolution des communautés archaïques, a donné lieu à de nouveaux types de connexions, a approfondi l'économie et l'idée que tout a son prix, tout peut être payé[16].  En ce qui concerne la communauté et ses membres, il existe également une relation de créancier à débiteur. C'est là qu'apparaît la figure du paria, poussé dans une existence d'isolement et de misère, comme celui qui fracture la communauté. Le banni se retrouve au même niveau que l'ennemi, il se retrouve dans le domaine de la guerre, qui est à ce moment-là un domaine sans loi, un domaine de cruauté et d'atrocité absolues. "À mesure que la communauté se renforce, les actes d'individus isolés ont moins d'importance et les lois pénales deviennent plus clémentes. Les prêteurs deviennent plus puissants et peuvent supporter des pertes plus importantes sans être affectés.[17]" Cette réalité conduit à un brouillage de la cruauté, ainsi que des sentiments réactifs et de la prise à cœur des offenses subies, les offensés jouant alors le rôle de juges, de jurés et de bourreaux, mus par des sentiments personnels de vengeance. La survie de la communauté n'est plus facilement mise en danger par les actions d'un individu ou d'un petit groupe d'individus, ce qui rend également les punitions moins sévères. L'émergence des lois, conduit à une appréciation de plus en plus impersonnelle et prétendument impartiale des faits, par un tiers sans intérêt direct dans l'affaire, le juge. Cela va à l'encontre des sentiments et des instincts de vengeance et de réaction impulsive aux infractions reçues et conduit les parties en litige à devoir se soumettre à une autorité extérieure et accepter son verdict.

Nietzsche affirme même que la répression de la volonté de vivre et de cette cruauté vengeresse qui a longtemps dominé la vie de l'homme est due à la conception d'unités politiques de plus en plus grandes qui exigeront des lois plus complexes, la capacité de les imposer, et de plus en plus à l'idée de concentrer le monopole de la violence sur l'État, quelle que soit sa forme, même naissante ou décentralisée : " Incidemment, il faut admettre quelque chose de plus grave encore : c'est que, du point de vue de la strate biologique la plus élevée, les états de justice, ne peuvent être que des états d'exception, en tant que restrictions partielles de la volonté réelle de vivre, orientée vers l'exercice du pouvoir, et ils doivent être subordonnés aux objectifs globaux de cette volonté, en tant que moyens particuliers qu'ils sont, à savoir destinés à permettre la création d'unités de pouvoir plus grandes[18]." Les formes impériales, comme l'Empire romain, exigeraient un contrôle beaucoup plus grand sur le peuple, la concentration de la justice et de la "vengeance" dans leurs propres organes et instruments.

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Quant à l'origine et à la finalité des punitions, elles n'avaient pas pour but d'éveiller chez le condamné un sentiment de culpabilité, mais plutôt de punir celui qui avait causé du tort aux autres ou à la communauté. Ce sentiment de mauvaise conscience n'apparaîtra que plus tard, et pour Nietzsche, comme quelque chose de profondément négatif. Jusqu'alors, le remords était rare chez les criminels et les détenus. La punition ne rendait pas les condamnés plus dociles et plus faciles à contrôler, mais au contraire plus durs et plus froids, d'autant plus que la Justice, au niveau de "œil pour œil et dent pour dent" pratiquait le même type d'actions que les criminels, sans aucun prurit de conscience et au milieu de l'approbation générale voire de l'acclamation. Nietzsche expose brillamment cette situation :"Pendant des millénaires, les malfaiteurs soumis au châtiment ont eu la même impression de leurs crimes que celle de Spinoza : "inopinément, quelque chose a mal tourné", et non "je n'aurais pas dû faire cela"..... Ils se sont soumis au châtiment comme ceux qui acceptent la maladie, la calamité ou la mort, avec le même fatalisme courageux, dénué de révolte, avec lequel, par exemple, aujourd'hui encore, les Russes disposent de leur vie, dans laquelle ils sont supérieurs à nous, Occidentaux. À cette époque, si l'on critiquait l'acte, c'était une critique exercée sur l'intelligence : il ne fait aucun doute que le véritable effet de la punition doit être recherché dans l'affinement de l'intelligence, dans la prolongation de la mémoire, dans la volonté d'agir à l'avenir avec plus de prudence, plus de secret et de méfiance, dans la compréhension qu'il y a beaucoup de choses pour lesquelles on est définitivement trop faible, c'est-à-dire dans une sorte de correction de l'évaluation que l'individu fait de ses capacités.[19]" Cela va à l'encontre de l'idée de Nietzsche selon laquelle le criminel est souvent un homme supérieur, mais placé dans une situation défavorable, et trouve des échos dans les idées de Foucault que nous verrons dans la deuxième partie de ce travail, car bien souvent, le peuple regardait l'homme torturé avec admiration, comme le type d'homme intelligent et courageux qui agissait contre les puissants, en de nombreuses occasions, prenant temporairement le dessus sur eux.

Ce n'est qu'avec la stabilité politique et sociale apportée par la solidification d'États consolidés et complexes, avec la construction de véritables sociétés qui imposent et maintiennent la paix, avec des codes législatifs élaborés et des mécanismes policiers et juridiques pour en assurer le respect, que la mauvaise conscience apparaît. Une chose d'une importance capitale apparaît également, selon Nietzsche, l'âme. Cette domestication de l'homme, désormais sédentaire, socialisé, privé de véritable liberté, sans ennemis sur lesquels exercer son besoin de cruauté et de violence, apparaît comme la cause d'une profonde maladie morale pour Nietzsche. Ce plaisir de la chasse, de la destruction et de la domination, retiré à l'Homme, le conduit, dans la conception nietzschéenne, à retourner ces instincts cruels sur lui-même, sur son moi intérieur, qui augmente de façon exponentielle et devient la proie de tous les tourments et tortures mentales, une souffrance plus profonde et plus significative que celles qui ont agi sur le corps. La citation suivante est peut-être l'un des extraits les plus emblématiques et les plus révélateurs de La Généalogie de la morale, raison pour laquelle nous transcrivons ce long et magistral passage : "Tous les instincts qui ne se libèrent pas vers l'extérieur se tournent vers l'intérieur : ce processus, je l'appelle l'intériorisation de l'homme. Ce n'est qu'avec lui que ce que l'on appellera plus tard "l'âme" commence à émerger dans l'homme. Tout le monde intérieur, qui était à l'origine aussi mince que s'il était comprimé entre deux épidermes, s'est développé et élargi, a gagné en profondeur, en largeur et en hauteur, à mesure que les décharges extérieures étaient limitées. Les redoutables remparts que l'organisation étatique a érigés pour se défendre contre les anciens instincts de liberté (et les punitions sont surtout un élément intégral de ces remparts) ont fait que tous ces instincts de l'homme sauvage, libre et nomade se sont retournés contre l'homme lui-même. L'hostilité, la cruauté, le plaisir de la persécution, de l'attaque, de la transformation, de la destruction, tout cela se retourne contre les possesseurs de ces mêmes instincts : voilà l'origine de la "mauvaise conscience". L'homme qui, faute d'ennemis et de facteurs de résistance extérieurs, faute d'être contraint dans l'étroitesse oppressante de la régularité des mœurs, se déchire impitoyablement, se poursuit, se ronge, se détruit et se maltraite, cet animal qu'on veut "apprivoiser" et qui se déchire contre les barreaux de la cage où on l'a mis.... cet animal qu'on veut "apprivoiser" et qui se déchire contre les barreaux de la cage dans laquelle on l'a mis, cet être à qui on a tout volé, qui est rongé par la nostalgie de son désert et qui se voit obligé de se transformer en aventure, en chambre de torture, en jungle insécurisée et dangereuse...., ce fou, ce prisonnier désireux et désespéré était l'inventeur de la "mauvaise conscience".[20]

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C'était quelque chose de nouveau, quelque chose d'inouï. Ce nouveau type de spectacle dans lequel l'homme cherche à l'intérieur de lui-même quelque chose à déchirer, dans cet intérieur où se déroulent désormais les événements les plus violents et les plus fascinants, comme un animal sauvage qui se jette contre les barreaux d'une cage qui est son intérieur et qui, en temps de crise, fait sauter le vernis de la civilisation et quitte la cage ou qui, en temps ordinaire, cherche le danger de la liberté dans une vie de crime ou d'excès, a également besoin d'un nouveau type de spectateur :" En fait, il fallait des spectateurs divins pour que l'on puisse apprécier le spectacle qui avait commencé et dont on ne peut prévoir la fin, même aujourd'hui... Un spectacle trop spécial, trop merveilleux et paradoxal pour qu'on le laisse se dérouler à l'aveuglette, sans qu'on le remarque, sur une planète ridicule ![21] C'était pour Nietzsche le spectacle suprême, la Terre comme scène et l'Humanité comme acteur, et un spectacle aussi grandiose, violent et hypnotique devait avoir des spectateurs à sa hauteur, des demi-dieux, des dieux et autres divinités plus, intéressés par le déroulement d'événements aussi tragiques, sur lesquels ils n'ont aucun contrôle et qui avaient besoin de nouveauté, de nouveaux sommets de souffrance, d'héroïsme, de passion, de violence, pour maintenir leur intérêt.

La mauvaise conscience apparaît alors au cours de l'évolution politique et sociale de l'Humanité non pas comme un progrès ou une adaptation, mais comme une fracture qui laisse une marque indélébile sur l'Humanité, désormais réduite au niveau d'un animal domestique, docile, aux ordres de son maître, apte à être modelé par ceux qui ont gardé intact leur instinct violent, ceux qui sont guidés par leur volonté de puissance comme une étoile polaire. Même la création de l'État présuppose un acte de violence contre ceux qui s'y soumettent, et à partir de là, les actes violents ne cessent jamais. Pour Nietzsche, c'est ainsi que le peuple émerge, ce qui n'est possible que parce que les gens ont été rendus malléables et donc également façonnés à cette fin[22]. Mais Nietzsche va plus loin et explicite ce qu'il entend par État :"J'ai utilisé le mot "État" et il est facile de voir ce que j'entends par là : une bande de bêtes blondes, une race de seigneurs et de conquérants qui, organisés pour la guerre et possédant la force d'organiser, plantent sans pitié leurs griffes redoutables dans une population peut-être largement supérieure en quantité, mais encore errante et informe. C'est ainsi que l'"État" naît dans le monde, et je suppose que cela met fin à l'idée visionnaire qui identifie son début avec un "contrat". Qui peut commander, qui est par nature "maître", qui porte la violence dans ses faits et gestes..., a besoin de contrats pour quoi faire ?[23]" La critique de nombreux théoriciens libéraux et philosophes politiques, tels que Thomas Hobbes, John Locke ou Jean-Jacques Rousseau, qui ont marqué une ère politique en Europe et dans le Nouveau Monde, est évidente ici. Certains d'entre eux ont eu une influence concrète sur deux événements majeurs, les révolutions française et américaine, qui ont porté un coup fatal à l'Ancien Régime.

Nietzsche fait ainsi l'éloge de ces"créateurs d'états"[24], artistes involontaires qui, sans être soumis aux concepts de culpabilité et de responsabilité, sont dominés par l'égoïsme de l'artiste, qui voit dans son œuvre sa justification devant l'éternité. La mauvaise conscience serait donc la répression de l'instinct de liberté, qui inclut la liberté d'être cruel, et la répression de cette liberté conduirait l'homme à exercer la cruauté sur lui-même, souvent en s'autodétruisant.

La chronique de la torture et sa disparition, selon Foucault

004527084.jpgMichel Foucault a reçu de nombreuses influences dans son travail, non seulement de Nietzsche mais aussi de Heidegger, et sa philosophie est assez originale en unissant ce domaine à d'autres sciences sociales comme l'histoire, la psychologie, le droit ou la médecine[25].

Les disciplines, notamment dans le contexte du système carcéral, les pouvoirs disciplinaires dans le conditionnement spatial du corps, les réseaux carcéraux, de la colonie pénitentiaire de type agricole, à la prison cellulaire, au panopticon bénédictin, ou à la maison de correction pour mineurs, sont au cœur de Surveiller et punir. Mais aux mains des autorités, le complexe disciplinaire est beaucoup plus polyvalent et va beaucoup plus loin : casernes, écoles, hôpitaux, hospices, sont également intégrés, selon Foucault, dans la logique de la surveillance, de la punition et du formatage[26].

Foucault commence Surveiller et punir par une description vivante de la torture, suivie de l'exécution sur quatre chevaux, de Damiens, qui avait tenté un régicide en France et avait été condamné en 1757. En revanche, suit une description de l'emploi du temps quotidien d'une prison, la Maison des jeunes détenus de Paris,[27] quelques décennies plus tard. La punition de Damiens a été particulièrement cruelle et violente car le régicide était le plus grave de tous les crimes. Sa mort a donc été lente, agonisante et même après sa mort, son corps a été brûlé et ses cendres dispersées. Dans l'autre cas, celui de la prison pour jeunes, les corps sont soigneusement limités dans leurs mouvements, et l'esprit soumis à des horaires serrés, qui sont méticuleusement respectés afin de créer un conditionnement chez les détenus.

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Les tortures, comme nous l'avons vu plus haut, agissent sur le corps même après la mort du supplicié. Il était courant d'exposer le corps sur des piliers, au bord des routes, de le traîner dans les rues, de le brûler et de disperser ses cendres, à une époque où cela n'était pas courant dans les sociétés européennes (les enterrements avaient lieu dans les églises et plus tard dans les cimetières). Cette exposition avait un rôle prophylactique, car elle servait à dissuader et à imprimer dans la mémoire du peuple le prix que devaient payer ceux qui défiaient le pouvoir souverain et absolu du roi, dans une similitude avec la mnémotechnique de Nietzsche du fer rouge, qui crée chez l'Homme le souvenir et la responsabilité de tenir ses promesses. Derrière la torture se cache une légitimation politique du pouvoir du souverain et une politique de contrôle des masses basée sur la peur. La concentration de la violence sur les corps permettrait de sauver les âmes qui étaient à l'époque considérées comme plus importantes que les corps.

Selon Foucault, il y a eu un rôle de l'atelier, de l'usine, bref de la révolution industrielle dans le passage de la torture aux institutions disciplinaires. Le corps n'est plus la cible principale des punitions, l'action sur le corps existe toujours, mais elle est secondaire, la cible est quelque chose d'immatériel, de plus intime et de plus profond, et elle est effectuée dans le but de transformer le caractère des prisonniers, ou de créer des travailleurs efficaces capables de se conformer aux horaires, dans des positions souvent inconfortables ou en effectuant des mouvements répétitifs. Les punitions sur le corps deviennent plus voilées, le corps et le sang sont cachés à l'aide de crêpes, de capuches ou de vêtements amples[28].

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Des mesures de sécurité pour les personnes inaptes ont également été mises en place, selon des méthodes beaucoup plus strictes et scientifiques. Outre les criminels, intégrés dans les nouveaux réseaux de structures pénitentiaires, un réseau d'asiles, d'hospices et de maisons de repos a vu le jour pour l'internement des personnes inaptes, détenues manifestement contre leur gré et dans la plupart des cas sans aucun trouble clinique, ou soumises à des expériences scientifiquement justifiées. Il s'agissait de personnes devenues gênantes, souvent pour leur propre famille, et qui ont été longtemps privées de tout droit, traitées de manière compulsive avec des bains froids, des sédatifs, des coups ou même des chocs électriques. Il s'agissait d'un système pénitentiaire en marge du système pénal et, contrairement au premier, il était fondé sur un arbitraire beaucoup plus grand, souvent à la discrétion de la famille ou de médecins facilement soudoyés.

L'emprisonnement est devenu un élément commun et fondamental du système pénal, contrôlant la vie quotidienne comme une forme de formation à des fins économiques. Il faut se souvenir du rôle de l'École et de son importance dans la formation des futurs ouvriers des usines nées de la révolution industrielle, mais aussi de la Caserne, de l'Hôpital et de la Prison comme action sur la capacité de résistance politique des citoyens, leur apprenant à suivre les ordres sans les contester. Cette technologie politique du corps repose sur une microphysique du pouvoir, qui agit individuellement sur chacun, façonnant les consciences et les corps, dans un perfectionnement du processus de construction de l'État déjà illustré par Nietzsche et qui agit toujours et de plus en plus dans le sens d'une limitation des libertés individuelles.

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Les emplois du temps sont nés dans les communautés monastiques, particulièrement actives à l'époque médiévale, puis se sont répandus dans le reste de la population au sein des disciplines. Auparavant, de nombreuses personnes n'étaient gouvernées que par le lever et le coucher du jour, qui variaient en fonction des saisons, et les horloges étaient absentes de la vie des citoyens ordinaires. La conjonction des horaires avec le système des prisons cellulaires avait pour but d'agir non seulement sur l'espace, mais aussi sur le temps. La prison est devenue un lieu de rééducation, un lieu d'isolement cellulaire, pour mieux agir sur l'esprit des détenus, en utilisant même des tranquillisants si nécessaire et d'autres drogues. L'émergence d'une pharmacopée moderne, et son rôle dans la docilisation des éléments criminels et inadaptés, ferait l'objet d'une étude approfondie à part entière, sans parler des méthodes chirurgicales qui verront le jour, comme la tristement célèbre lobotomie.

Dans cette émergence du système carcéral, il faut noter le panoptisme, une idée de Jeremy Bentham, une disposition circulaire de la prison, dans laquelle toutes les cellules s'ouvrent sur une cour centrale, où depuis une tour un gardien peut voir n'importe laquelle d'entre elles sans être vu. Ainsi, les prisonniers ne savent jamais si, à un moment donné, ils sont surveillés ou non par le gardien. Cela renforce l'idée d'un contrôle absolu sur les prisonniers, tout en épargnant à l'État la nécessité d'engager un grand nombre de gardes pour surveiller l'intérieur des prisons.

Les juges, qui, à l'époque de la torture, dirigeaient l'ensemble du processus, sans que le prisonnier n'y participe, puisqu'il n'apparaissait au procès que pour arracher des aveux ou lire la sentence, ont commencé à être assistés par d'autres spécialistes. Il ne s'agit plus de punir le corps, dont un criminel peut facilement sortir, comme un chien qui se secoue après un coup de pied, mais d'agir sur l'esprit et le caractère dans une véritable orthopédie morale et psychique (Peter Sloterdijk parle aussi de ce genre d'orthopédie, pour redresser non pas les os, mais l'esprit et le caractère).

Nous avons déjà vu plus haut que la poursuite des châtiments physiques tels que la peine de mort n'a pas pris fin, mais s'est humanisée à l'infini. C'était la fin des mille morts. Autrefois, la torture devait prolonger la mort et le torturé devait mourir mille fois dans la plus grande souffrance, mais aujourd'hui, l'objectif est d'avoir une mort rapide et discrète, qui épargne au condamné et aux personnes qui assistent invariablement aux exécutions des souffrances ou des images inutiles. Monsieur Guillotin a inventé l'appareil d'exécution qui porte son nom et qui permet une exécution rapide et efficace, ce que souhaitait son inventeur, et qui était utilisé assez fréquemment à la fin du XVIIIe siècle. On estime que pendant la période la plus violente de la Révolution française, entre 1793 et 1795, environ quinze mille personnes ont été tuées sur la guillotine, qui restait une méthode d'exécution habituelle. La dernière mort par guillotine a eu lieu en 1977.

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Entre 1830-1848, selon Foucault, on assiste à une disparition progressive de la torture en France, mais aussi dans la plupart des pays européens, certains pays comme l'Angleterre, la Prusse ou la Russie conservant certains châtiments corporels, comme la flagellation, et la peine de mort, lorsqu'elle persiste, fait l'objet de modifications afin d'être une exécution rapide, scientifique et efficace, sans souffrance considérée comme n'étant plus nécessaire et une marque d'un passé que le monde moderne veut en partie oublier.

Dans le deuxième chapitre de son ouvrage, Surveiller et punir, Foucault examine de plus près la torture, ses détails et ses gradations, les processus pénaux et les changements qui ont conduit de la torture au système pénitentiaire. À l'époque, avant le système pénitentiaire, la plupart des peines étaient des bannissements ou des amendes, les peines capitales, qui impliquaient la torture, représentaient entre 9 et 10 %, mais en raison de leur caractère public et de la publicité s'y rapportant, même avec l'exposition des condamnés et de leurs cadavres, elles avaient un grand impact sur la société.

Mais qu'est-ce que la torture après tout ? Selon Foucault, "la punition est une technique et ne doit pas être comparée aux extrêmes d'une rage sans loi. Une punition, pour être une torture, doit obéir à trois critères principaux : d'abord, produire une certaine quantité de souffrance que l'on peut, sinon mesurer exactement, du moins apprécier, comparer et hiérarchiser. La mort est un supplice dans la mesure où elle n'est pas simplement la privation du droit de vivre, mais l'occasion et la fin ultime d'une graduation calculée de souffrances : de la décapitation - qui réduit toutes les souffrances à un seul geste et en un seul instant : le degré zéro de la torture - à l'écartèlement qui les porte presque à l'infini, en passant par la pendaison, le bûcher et la roue, dans lesquels on agonise longtemps. La mort-suplice est l'art de conserver la vie dans la souffrance, de la subdiviser en "mille morts" et d'obtenir, avant que l'existence cesse, les agonies les plus exquises. La torture repose sur l'art quantitatif de la souffrance.[29]" Comme nous pouvons le constater, il s'agit d'une technique aux règles très précises et il existait même une gradation très détaillée des souffrances et des manuels pour sa mise en œuvre.

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Nous avons déjà noté que les prisons, mais aussi les écoles, les casernes, les hôpitaux et les hospices faisaient non seulement partie du système des disciplines, qui commençait par la formation des enfants et se poursuivait tout au long de la vie du citoyen[30]. La prison a adopté le modèle cellulaire, un modèle qui agit plus efficacement sur les esprits et établit un espace strict et rigide pour le corps. En isolement, le détenu avait le temps de réfléchir à ses crimes et de parfaire son caractère, sans profiter de la compagnie des autres prisonniers, la solitude étant une des armes supplémentaires utilisées par les autorités pour "briser" les prisonniers. Outre les cellules individuelles, un isolement encore plus strict, empêchant tout contact avec d'autres personnes, parfois pendant des périodes prolongées, a contribué à exercer une pression accrue sur les détenus, laissant souvent des séquelles physiques et psychologiques.

Dans le contexte des condamnations et des tortures ultérieures, les aveux du prisonnier jouent un rôle important. D'une part, l'accusé jurait de dire la vérité, sous peine de commettre un parjure, et d'autre part, la torture était une pratique courante pour faire avouer ses actes à l'accusé. Mais pendant longtemps, si l'accusé résistait à la torture sans avouer, il était considéré comme innocent, un héritage de l'ordalie médiévale. Plus tard, cela a cessé d'être simple s'il existait d'autres preuves ou témoignages pouvant être utilisés contre le suspect. En fait, le simple fait d'être accusé était déjà quelque chose de criminel, il n'aurait pas été accusé s'il n'avait rien fait. La question était de connaître le degré de culpabilité, c'était l'attitude générale envers les personnes accusées de crimes. La torture prend ainsi un caractère fortement théâtral, dans lequel le torturé joue également un rôle, avec diverses actions qui lui sont assignées au cours de la torture.

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Foucault, à propos de la torture, la qualifie même de" Théâtre de l'enfer, le corps est condamné, l'âme doit être sauvée[31]" . Le corps pouvait recevoir tous les châtiments, les tortures et les douleurs, mais il était important que l'âme soit sauvée par le repentir et la confession avant le dernier moment. Malgré cela, certains condamnés injuriaient, crachaient et blasphémaient jusqu'au bout, dans une hystérie justifiée par l'horreur dans laquelle ils étaient plongés, tandis que d'autres faisaient stoïquement face à leur destin, suscitant l'admiration de la population qui assistait invariablement à ce spectacle grotesque et finissait souvent par demander la libération des condamnés. Comme nous le verrons plus loin, le rôle que la population a joué et le parti qu'elle a souvent pris dans ces exécutions publiques et ces tortures a été un facteur décisif dans le changement de paradigme du modèle de la torture au modèle de l'incarcération.

9782729841799_1_75.jpgJudith Revel, dans son glossaire foucaldien,[32] fait également mention du corps et de l'investissement politique qui en est fait, dans le cadre du passage du corps de réceptacle de punitions, souvent pour tirer profit de l'âme, à un système de réclusion où l'intention était de... par des méthodes scientifiques bien étudiées pour corriger avant tout l'esprit et le caractère, agissant ainsi indirectement sur les corps, qui subissent également les effets de l'isolement, d'un emploi du temps rigide et d'une restriction physique marquée par le modèle cellulaire des prisons ou par le tristement célèbre panopticon de Jeremy Bentham. Le concept de discipline associé à cette modalité pénale développée entre le 18ème et le 19ème siècle a également été abordé et selon elle, "le régime disciplinaire se caractérise par un certain nombre de techniques de coercition qui exercent un contrôle systématique du temps, de l'espace et des mouvements des individus et qui affectent particulièrement les attitudes, les gestes, les corps..."[33].

Les tortures et les exécutions prennent l'aspect d'une liturgie pénale mais aussi politique. Il s'agissait d'une domination par la peur du peuple, la présence et le pouvoir du roi étant au cœur des tortures et des exécutions. Le peuple, en tant que témoin du châtiment, était également l'objet d'une intimidation de la part du pouvoir, en l'occurrence un pouvoir monarchique absolu. Mais il a aussi participé : insultes, crachats, ou même vengeance physique sur le condamné s'ils le laissent faire, parfois. D'autre part, il y eut aussi une révolte du peuple contre certaines sentences et des tentatives de libération des condamnés. Il s'agissait d'une solidarité du peuple avec les petits délinquants, tels que les mendiants, les petits voleurs et autres, qui subissaient des peines sévères. Il y avait souvent un aspect de carnaval, d'expiation collective de la culpabilité dans ces épreuves publiques, toujours bondées de monde, où l'on mangeait et buvait comme à un festin et auxquelles participaient des enfants jusqu'aux personnes âgées.

Dans le sens inverse, lorsque le peuple ne croyait pas à la justice de la peine infligée, il fallait déployer suffisamment de soldats pour tenir le peuple à distance et veiller à l'exécution de la sentence, car il est arrivé que les quelques soldats déployés en raison d'une mauvaise évaluation de la situation soient submergés par le peuple et que le bourreau et ses aides soient tués par la colère populaire et que les condamnés soient emmenés dans un endroit incertain ou cachés pour échapper à l'exécution. Parfois, la révolte populaire, bien que localisée, a conduit à des soulèvements violents, avec des actes de vandalisme, des pillages et des actions contre les autorités publiques. L'accentuation de ces situations a été l'un des facteurs qui ont conduit à la fin des supplices, elles avaient le pouvoir d'enflammer le peuple et les monarchies absolues avaient déjà leurs propres problèmes, elles étaient remises en question par un nombre croissant de penseurs et par une bourgeoisie mécontente qui voulait participer au partage du pouvoir, exigeant de profondes réformes politiques.

1008409-Michel_Foucault.jpgComme nous le dit Foucault : "Dans toute infraction, il y a un crimen majestatis, et dans le plus petit des criminels un petit régicide potentiel. Et le régicide, à son tour, n'est ni plus ni moins que le criminel total et absolu, car au lieu d'attaquer, comme tout délinquant, une décision ou une volonté particulière du pouvoir souverain, il attaque le principe dans la personne physique du prince. La punition du régicide devrait être la somme de toutes les tortures possibles.[34]" D'où tout le spectacle violent, rituel et progressiste autour du corps de Damiens, coupable du crime le plus grave qui soit.

Le bourreau était un peu comme le champion du roi. Il représentait le roi, qui ne pouvait pas se salir les mains dans le processus de la torture et dans l'application du coup de grâce, mais qui était représenté par le bourreau, qui avait une obligation lugubre mais nécessaire. En faisant payer un crime par une violence égale ou supérieure, le bourreau était souvent persécuté par le peuple, voire tué, surtout si les peines étaient injustes ou excessives. Rappelons que, souvent, les membres du clergé ou de la noblesse échappaient à leurs crimes avec des peines légères, tandis que les crimes commis par des éléments du peuple étaient plus sévèrement punis, même comme moyen de contrôler et de prévenir les bouleversements politiques et sociaux. Le roi pouvait suspendre l'exécution et le faisait parfois lorsqu'il voyait qu'il avait quelque chose à y gagner, ou lorsque les manifestations populaires étaient très fortes et que le roi voulait s'attirer la sympathie du peuple. Au fil du temps, le bourreau a commencé à agir de manière anonyme, encapuchonné, pour se protéger d'une éventuelle colère populaire. Nous trouvons ici un lien entre ce qu'Agamben écrira plus tard sur les deux corps du roi, l'un mystique et perpétuel et l'autre physique, et aussi comment l'attentat contre la vie et le corps du roi a été le plus grand crime de tous[35]. Le crime contre le roi est entré dans une catégorie à part, le régicide, très éloigné de l'homicide ordinaire, comme le crime le plus terrible de tous[36].

Le changement observé dans le dernier quart du 18ème siècle et au début du 19ème siècle est également lié au triomphe des Lumières, des idées libérales et démocratiques, les nouvelles institutions qui ont émergé après la chute de l'Absolutisme, ne voulaient pas punir par des atrocités les atrocités commises par les criminels. La peine de mort continue d'exister, mais elle est appliquée d'une manière différente et humanisée. La torture n'est plus associée aux exécutions, mais à un nouveau paradigme de conditionnement mental et corporel.

La dialectique entre le corps et l'esprit comme question d'actualité

De ce qui précède, nous pouvons affirmer que l'établissement de l'État en tant qu'entité politique complexe, qu'il s'agisse d'un royaume féodal, d'une république ou même d'un empire, a apporté avec lui la mauvaise conscience, et cette focalisation sur l'intérieur qui, selon Nietzsche, donne naissance à la dimension de l'âme. Si dans l'Antiquité, le corps était considéré de manière naturelle, que ce soit dans la dimension de la punition et de la cruauté, mais aussi dans celle de l'amour et de l'érotisme, le passage de l'Antiquité au Moyen Âge, l'avènement de la vie monastique et l'intériorisation de la morale chrétienne sont venus conditionner le corps de manière beaucoup plus étroite qu'auparavant. La chair devenait quelque chose d'intrinsèquement mauvais, il fallait agir sur elle pour la soumettre, en élevant en même temps l'esprit, qui émergeait ou ré-émergeait avec une grande force dans le monde européen, fruit d'un conditionnement politique et social plus étroit, puisque l'Empire romain avait été suivi par une myriade de royaumes et d'autres domaines de possession territoriale féodale, comme les duchés et les comtés, qui agissaient sur le peuple de manière beaucoup plus étroite.

9782707192370.jpgIl s'agissait d'une exacerbation de l'esprit, reléguant le corps au domaine du mal, de l'impureté, de la souffrance et de la dissimulation. Rappelons que les horaires, comme l'a bien expliqué Foucault, trouvent leur origine dans le domaine monastique, qui malgré ce grand déséquilibre entre le corps et l'esprit, était presque une oasis dans le monde violent, cruel et mortel de l'Europe médiévale, dans lequel les guerres et la violence, la faim et la maladie faisaient des ravages et où la mort était une présence constante. La vie en isolement et de contemplation, que ce soit dans des régions sauvages comme les montagnes ou les déserts, ou dans des monastères aux murs solides, dans une victoire temporaire de l'esprit ascétique que Nietzsche esquisse dans la troisième partie de Généalogie de la morale, contraste avec la vie mondaine d'action et de mouvement, souvent sujette aux tentations et aux déviations de la conduite jugée appropriée pour un chrétien.

À la fin du VIe siècle, la publication officielle d'une liste des péchés capitaux par le pape Grégoire Ier en fait une recommandation pour tous les chrétiens et conduit à une plus grande vigilance de la communauté envers les croyants et de chaque individu envers lui-même. Des peintres renommés comme Hieronymus Bosch ont consacré une grande partie de leur travail à dresser la liste des péchés et des châtiments que les pécheurs recevraient en enfer. La peinture et la sculpture sont apparues comme une prophylaxie du comportement pécheur, exposées dans les églises et les cathédrales pour l'édification du peuple.

Les phénomènes qui ont conduit à la Révolution française et le changement conséquent du paysage politique et social européen et nord-américain, créé par les mauvaises conditions de vie d'un peuple exploité qui vivait le plus souvent dans la misère et par une bourgeoisie qui continuait à accroître sa richesse, bien qu'elle restât largement exclue du partage du pouvoir, ont fait naître de nouveaux principes de philosophie politique de type libéral, qui, en matière religieuse, prônaient la laïcité, l'extinction des ordres religieux, la confiscation des biens de l'Église, entre autres options qui allaient parfois jusqu'à l'athéisme. Ce phénomène d'athéisme, combiné à un pessimisme omniprésent, donnera naissance, selon Nietzsche, au nihilisme, l'ennui de vivre qui imprègnera la société européenne à partir du XIXe siècle.

Avec la perte d'influence de l'Église, une ère de revalorisation du corps a commencé, d'où également la perception de son importance croissante et l'impact de la torture. Alors que le corps retrouvait une partie de l'importance et de la liberté qu'il avait dans l'Antiquité, la répulsion à l'égard des châtiments corporels, et notamment de la torture, s'est également accrue. Cela ne veut pas dire que les courants et mouvements puritains n'ont pas subsisté ou émergé, comme dans l'Angleterre victorienne, par exemple. Ce changement de paradigme a rendu beaucoup plus acceptable le fait d'agir selon l'esprit plutôt que selon la chair. Nietzsche est l'un des philosophes qui, le premier, s'est penché sur l'importance du corps, en tant que philosophe de l'action et philosophie en mouvement, abandonnant le modèle du philosophe enfermé dans son bureau, le modèle du philosophe contemplatif qui avait dominé le Moyen Âge, au profit du philosophe qui vit dans le monde et écrit sur ce qu'il vit. Dans son empressement à vivre selon ses maximes, à la limite, Nietzsche a terminé sa carrière en serrant le cou d'un cheval à Turin.

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Le refoulement de la cruauté, dont parle Nietzsche, a conduit à l'élargissement du forum intérieur de l'homme et à l'apparition à grande échelle des névroses et de certains types de maladies psychiatriques dont le monde souffre beaucoup aujourd'hui et que Freud et Jung ont commencé à analyser systématiquement au début du XXe siècle, ouvrant à la médecine au sens large la voie vers l'intérieur impalpable de l'homme.

Le XXe siècle a connu une évolution encore plus favorable vers la libération du corps, mais en tombant dans l'excès du signe opposé qui avait enveloppé le Moyen Âge, plongeant souvent dans un matérialisme et un consumérisme effrénés, tandis que le processus de contrôle de l'être humain se développait, agissant de plus en plus sur cette "âme" tombée en désuétude, voire en disgrâce. En plus de Foucault, qui s'est consacré à l'étude des corps, nous pouvons souligner d'autres noms comme Giorgio Agamben ou Maurice Merleau-Ponty (bien que ce dernier soit dans une perspective très différente).

merleau-ponty.jpgMerleau-Ponty, qui a été fortement influencé par Husserl et Heidegger, met en évidence le rôle du corps dans son rôle d'expression et de perception, les gestes apparaissent comme une construction du réel, comme un être au monde, dans le cadre de ses travaux dans le domaine de la phénoménologie et de l'existentialisme. Ses théories sur l'art et sa conception de l'espace profondément liée au corps lui-même sont également intéressantes[37].

Agamben concentre une partie de son attention sur la question de la pornographie dans le monde contemporain, associée au concept de profanation[38]. Dans le monde d'aujourd'hui, nous vivons des situations aux deux extrêmes, le culte du corps associé au désir de jeunesse éternelle et à des sports tels que le bodybuilding. D'autre part, on assiste à une banalisation de l'exposition des corps qui s'éloigne de l'exposition associée à l'art classique et relève davantage d'une exposition forcée, souvent à des fins commerciales. Le concept d'âme a été pratiquement expurgé, en raison des connotations historiques auxquelles il a été associé. D'autre part, l'action des institutions sur l'esprit n'a jamais été aussi forte, dans une tentative de conditionnement qui commence de plus en plus tôt, avec les crèches et les garderies qui agissent sur l'esprit des enfants et la virtualisation de la vie contemporaine, dans un simulacre de réalité, qui laisse un vide dans l'être humain. Pour le reste, nous n'avons pas encore réussi à atteindre un équilibre sain entre l'esprit et le corps, à la manière du Romain Juvénal, et nous alternons depuis des siècles entre deux extrêmes.

Conclusion

Nous pouvons conclure que Foucault s'inspire de Nietzsche pour résumer la situation de la torture en France dans les premiers chapitres de Surveiller et punir comme un contraste avec ce qui suit, le passage du régime de la torture à celui de l'incarcération. Les autorités ont cessé d'agir sur les corps, en raison d'une série d'inconvénients que nous avons déjà mentionnés plus haut, et ont commencé à agir sur l'esprit, en assumant un conditionnement non seulement spatial et physique mais aussi psychique, en réglementant la vie quotidienne des détenus jusque dans les moindres détails. La transition s'est faite vers quelque chose que l'on pourrait qualifier d'orthopédie morale, un terme récupéré plus tard par Sloterdijk, un type d'orthopédie visant à redresser non pas les os, mais l'esprit et le caractère.

Dans la première partie de l'article, nous avons vu comment Nietzsche construit une généalogie de la torture et de la cruauté et présente la thèse novatrice selon laquelle celles-ci sont liées au concept de dette, mais aussi comment naissent la mauvaise conscience et l'âme.

Dans la deuxième partie, l'accent a été mis sur l'ouvrage Surveiller et punir et sur la manière dont Foucault relate les événements et les phénomènes qui ont conduit de l'ère de la torture à celle du système carcéral. Nous avons vu comment des facteurs économiques, politiques et sociaux ont conduit à l'abandon d'un système pour faire place à un nouveau.

Dans la troisième partie de ce bref essai, nous avons exploré de manière plus dynamique les confluences entre ces deux penseurs, en nous appuyant également sur plusieurs autres noms pour approfondir la question du passage d'une focalisation sur le corps à l'esprit dans la punition moderne et la dialectique entre ces deux concepts.

Notes bibliographiques

Homo-Sacer-1997-2015.jpgAGAMBEN, Giorgio, Homo Sacer - O poder soberano e a vida nua I , Éditeur UFMG, Belo Horizonte, 2007.

AGAMBEN, Giorgio, Profanações , Livros Cotovia, Lisbonne, 2006.

CARMAN, Taylor et HANSEN, Mark B. N., (Eds.), The Cambridge Companion to Merleau-Ponty, Cambridge University Press, Cambridge, 2005.

DRIVER, Felix, "Bodies in Space-Foucault's account of disciplinary power", dans JONES, Colin et PORTER, Roy (Eds.), Reassessing Foucault - Power, Medicine and the Body, Routledge, London, 1994.

FOUCAULT, Michel, Surveiller et punir - Naissance de la prison, 20e édition, Editora Vozes, Petrópolis, 1999.

GUTTING, Gary (Ed.), The Cambridge Companion to Foucault, Cambridge University Press, Cambridge, 2005.

JANAWAY, Christopher, "Naturalism and Genealogy", in PEARSON, Keith Ansell (Ed.), A Companion to Nietzsche, Blackwell Publishing, Oxford, 2006.

NIETZSCHE, Friedrich, Généalogie de la morale, Relógio D'Água, Lisbonne, 2000.

REVEL, Judith, Foucault - concepts essentiels , Claraluz, São Carlos (SP), 2005.

Notes:

[1]

                        [1] Voir Christopher Janaway, "Naturalism and Genealogy", in Keith Ansell Pearson, Keith Ansell (Ed.), A Companion to Nietzsche, Blackwell Publishing, Oxford, 2006, pp. 353 et suivantes.

[2]

                        [2] Cf. Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, Relógio d' Água, Lisbonne, 2000, p.59.

[3]

                        [3] Voir Friedrich Nietzsche, op. cit, p. 60 et suivantes.

[4]

                        [4] Idem, p.63.

[5]

                        [5] Idem, p.64.

[6]

                        [6] Idem, pp. 65, 66.

[7]

                        [7] Idem, ibid.

[8]

                        [8] Voir Friedrich Nietzsche, op. cit. p. 67 et 68.

[9]

                        [9] Idem, p. 69 et 70.

[10]

                        [10] Idem, p.72.

[11]

                        [11] Idem, p.73.

[12]

                        [12] Idem, pp.71, 72.

[13]

                        [13] Nous faisons ici référence à La naissance de la tragédie, l'une de ses premières œuvres.

[14]

                        [14] Cf. Friedrich Nietzsche, op. cit.

[15]

                        [15] Idem, ibid.

[16]

                        [16] Cf. Friedrich Nietzsche, op. cit.

[17]

                        [17] Idem, p.79.

[18]

                        [18] Idem, p. 85.

[19]

                        [19] Idem, p. 95.

[20]

                        [20] Idem, pp. 97,98.

[21]

                        [21] Idem, p. 98.

[22]

                        [22] Cf. Friedrich Nietzsche, op. cit.

[23]

                        [23] Idem, ibid.

[24]

                        [24] Idem, p.101.

[25]

                        [25] Voir Gary Gutting (Ed.), The Cambridge Companion to Foucault, Cambridge University Press, Cambridge, 2005.

[26]

                        [26] Felix Driver, "Bodies in Space-Foucault's account of disciplinary power", in Colin Jones and Roy Porter, (Eds.), Reassessing Foucault - Power, Medicine and the Body, Routledge, London, 1994, pp. 113 ff.

[27]

                        [27] Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison , 20e édition, Editora Vozes, Petrópolis, 1999, p.10.

[28]

                        [28] Idem, p.21.

[29]

                        [29] Idem, p.38.

[30]

                        [30] Idem, p.41.

[31]

                        [31] Idem, p.64.

[32]

                        [32] Cf. Judith Revel, Foucault - conceitos essenciais , Claraluz, São Carlos (SP), 2005, pp. 31 et suivantes et 35 et suivantes.

[33]

                        [33] Judith Revel, op.cit.

[34]

                        [34] Michel Foucault, op. cit.

[35]

                        [35] Giorgio Agamben, Homo Sacer - O poder soberano e a vida nua I , Editora UFMG, Belo Horizonte, 2007, p.100.

[36]

                        [36] Idem, p. 109.

[37]

                        [37] Cf. Taylor Carman et Mark B. N. Hansen, (Eds.), The Cambridge Companion to Merleau-Ponty, Cambridge University Press, Cambridge, 2005.

[38]

                        [38] Cf. Giorgio Agamben, Profanações, Livros Cotovia, Lisbonne, 2006.

samedi, 30 septembre 2023

Georg Brandes, premier exégète de Nietzsche

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Georg Brandes, premier exégète de Nietzsche

par Franco Brogioli

Source: https://www.centrostudilaruna.it/georg-brandes.html

L'intellectuel danois Georg Brandes (1842-1927) a été le premier à écrire un livre sur l'œuvre de Frederich Nietzsche du vivant du philosophe, en 1889. Le livre qui est présenté au public dans l'édition italienne, éditée par Edizioni di Ar en 1995, contient dans son titre l'expression "radicalisme aristocratique", un nom que le penseur de Röcken considérait comme l'une des meilleures choses écrites sur sa pensée.

Comme on le sait, l'auteur d'Ainsi parlait Zarathoustra n'était pas très apprécié de son vivant et ses œuvres étaient peu diffusées, alors qu'après avoir été saisi par la folie en 1889, son œuvre a pris de l'importance, jusqu'à être considérée comme l'un des plus grands philosophes de tous les temps. Mais qu'entend Brandes par ces deux termes ?

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L'écrivain de Copenhague interprète certainement la pensée de Nietzsche comme une opposition aux valeurs dominantes de la société du 19ème siècle : la démocratie bourgeoise est rejetée en raison de l'abaissement de la politique au niveau de la populace, dans une grisaille et une platitude lugubres ; le socialisme et l'anarchisme sont également rejetés en raison de l'arrivée au pouvoir des masses prolétariennes et matérialistes ; le féminisme est rejeté en raison de la conception anti-égalitaire que le penseur allemand avait des droits de la femme. Enfin, nous avons l'aversion la plus connue et encore débattue aujourd'hui, qui est celle de l'antichristianisme.

Nietzsche condamne l'Église principalement pour l'idée d'amour du prochain, de compassion, de miséricorde et comme refuge pour tous les ratés et les perdants de la vie, c'est-à-dire ceux qui n'éprouvent que ressentiment et hostilité envers une race d'hommes supérieurs qui proclament leur propre morale de seigneurs, par opposition à la morale piétiste du troupeau. Le philosophe exprime ainsi également son dégoût pour la pensée de Marx, qu'il juge dangereuse, car avec la libération des masses de l'esclavage capitaliste et l'avènement de la classe ouvrière au pouvoir, les valeurs les plus nobles et donc aristocratiques se dissoudraient dans un magma humain indifférencié et sans visage. Le livre comprend également la correspondance que les deux hommes de lettres ont entretenue entre novembre 1887 et janvier 1889, c'est-à-dire jusqu'à l'effondrement mental du philosophe à Turin et les dix années suivantes qu'il a passées dans le silence et dans l'obscurcissement de ses facultés mentales, jusqu'à sa mort en 1900. Depuis l'étude de Brandes, on a beaucoup écrit sur Nietzsche, des interprétations de sa pensée et des biographies, mais l'ouvrage de l'écrivain danois reste pionnier dans son genre, car il a contribué à faire connaître à un public de plus en plus large son œuvre, parfois controversée mais néanmoins indispensable à la connaissance d'un penseur qui a laissé sa marque sur la scène de la philosophie et de l'histoire du monde.

Brandes est né le premier à Copenhague dans une famille bourgeoise d'origine juive ; cependant, plus tard dans sa vie, il ne se considérait plus comme juif. En 1859, il entame des études de droit à l'université de Copenhague, comme le souhaitaient ses parents, mais se tourne ensuite vers la philosophie et l'esthétique. En 1862, l'université lui décerne une médaille d'or pour un essai intitulé The Idea of Nemesis among the Ancients, sur lequel il travaille depuis 1858. Il étudie principalement les écrits de Johan Ludvig Heiberg et la pensée de Søren Kierkegaard.

Pendant ses études universitaires, il écrit des poèmes qu'il publie en 1898 dans un recueil, après avoir abandonné l'idée de devenir poète.

Il quitte l'université en 1864.

Entre 1865 et 1871, il a beaucoup voyagé en Europe, ce qui lui a permis d'accroître ses connaissances culturelles. Fort de ces expériences, il prend part en 1866 à la controverse soulevée par les travaux de Rasmus Nielsen avec un traité intitulé Dualism in our Recent Philosophy ("Dualismen i vor nyeste Philosophie").

En 1868, il publie Studies on Aesthetics ("Æsthetiske Studier"), son premier grand ouvrage, après avoir commencé son travail de critique par de courtes monographies sur les principaux poètes danois. Il continue cependant à étudier la philosophie et s'intéresse aux théories de Taine, sur la base desquelles il écrit L'Esthétique française de notre temps en 1870. Il se plonge également dans les études de John Stuart Mill sur la "sujétion naturelle de la femme".

Il devient maître de conférences en Belles Lettres à l'université de Copenhague, où il continue à donner des conférences intéressantes et célèbres, comme celle du 3 novembre 1871. Lorsque la chaire d'esthétique devient vacante en 1872, Brandes semble être le candidat naturel pour le poste, mais son ascendance juive et les accusations de radicalisme et d'athéisme pèsent lourdement sur lui. Les autorités universitaires refusent de l'élire, mais elles ne choisissent pas non plus de remplaçant, si bien que la chaire reste vacante pendant une vingtaine d'années.

Malgré la controverse, il écrit Hovedstrømninger i det 19e Aarhundredes Lieteratur (Principaux courants de la littérature du XIXe siècle), la plus ambitieuse de ses œuvres, publiée en quatre volumes entre 1872 et 1875, mais qui n'est connue des autres critiques européens qu'en 1901, avec la première traduction en anglais et en allemand. C'est ainsi que la renommée de Brandes s'est accrue, notamment en Russie et en Allemagne.

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En 1877, il écrit une monographie sur Kierkegaard et en 1899 sur Henrik Ibsen, deux ouvrages considérés comme sa plus haute expression critique.

Il a reçu l'une des notes de Nietzsche sur la folie.

En 1877, il s'installe à Berlin et devient rapidement une référence en matière d'études esthétiques dans cette ville. Cependant, ses opinions politiques ne sont pas partagées par la plupart des Prussiens et, mal à l'aise, il décide de retourner à Copenhague en 1883.

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De 1897 à 1898, il approfondit son étude de l'œuvre de William Shakespeare et publie ses analyses dans diverses revues, qui sont très appréciées, notamment en Angleterre, où elles sont introduites par William Archer. En 1900, il commence à rassembler toutes ses œuvres dans une édition populaire complète, qui sera traduite en allemand en 1902.

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Entre 1886 et 1888, il a eu une liaison avec l'écrivaine suédoise Victoria Benedictsson (photo), qui s'ennuyait de la banalité de son propre mariage. Cette relation fut brève et se termina de manière dramatique pour Victoria Benedictsson, qui se suicida en se tranchant la carotide avec quatre coups de rasoir en 1888.

À partir de 1890, Brandes se consacre à l'étude des grandes personnalités qui influencent particulièrement la culture de son temps. Il commence ainsi à étudier la pensée du grand Friedrich Nietzsche, à qui il écrit une lettre en 1888 pour lui demander de lire les œuvres de Kierkegaard. Ses travaux ultérieurs ont été particulièrement influencés par ces études : Wolfgang Goethe (une monographie sur Goethe écrite entre 1914 et 1915), François de Voltaire (sur Voltaire, écrite en 1916-17), César (sur Jules César, 1918) et Michel-Ange (1921).

Brandes a cependant presque disparu de la scène culturelle internationale, bien qu'il soit toujours considéré comme le principal philosophe danois.

Au Danemark, certains comparent Brandes à Voltaire pour sa condamnation constante du mauvais traitement des minorités et du fanatisme, toujours avec une grande autorité morale. Pendant la Première Guerre mondiale, il revient sur la scène internationale en condamnant l'impérialisme, le colonialisme et en s'engageant dans une polémique antireligieuse.

C'est également à cette époque qu'il fait la connaissance des écrivains Henri Barbusse, Romain Rolland et E. D. Morel, avec lesquels il entretient une vaste correspondance.

Aujourd'hui, Brandes est considéré comme l'un des principaux philosophes danois avec Søren Kierkegaard, Grundtvig et Holberg, mais il est certainement le plus critiqué et le moins étudié. La droite danoise l'a fermement condamné, le qualifiant de subversif et d'ennemi de la patrie, de blasphémateur et de fornicateur ; la gauche a critiqué son attitude trop élitiste, à l'exception du mouvement féministe, qui considère ses idées sur l'égalité sexuelle comme positives.

lundi, 24 juillet 2023

Nietzsche, Solon et la dialectique du commandement et de l'obéissance

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Nietzsche, Solon et la dialectique du commandement et de l'obéissance

Par Chad Crowley

Source: https://arktos.com/2023/07/14/nietzsche-solon-and-the-dialectic-of-command-and-obedience/

Chad Crowley explore l'interaction entre la philosophie de la maîtrise de soi de Nietzsche et l'accent mis par Solon sur la responsabilité communautaire, mettant en lumière la dynamique complexe de l'autorité, de l'obéissance et de la poursuite de l'excellence.

La dialectique de l'autorité, de l'obéissance et du commandement a captivé les philosophes pendant des siècles. Deux citations, l'une de Friedrich Nietzsche, "Celui qui ne peut s'obéir à lui-même sera commandé", et l'autre de Solon, législateur athénien du 6ème siècle avant J.-C., "Celui qui a appris à obéir saura commander", fournissent un cadre intrigant pour explorer cette dialectique. Malgré l'abîme temporel, ces philosophes s'engagent dans un dialogue qui éclaire notre compréhension de l'identité, de l'autorité et de la dynamique du pouvoir.

L'interaction profonde entre la philosophie de Nietzsche et la tradition intellectuelle grecque fournit un contexte riche pour interpréter ces déclarations. Nietzsche, d'abord philologue classique, vouait une profonde vénération à la philosophie et à la culture grecques. Il considérait les Grecs, notamment les philosophes présocratiques, comme les incarnations de la créativité, de la force et de la sagesse humaines.

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Nietzsche vouait une profonde admiration au concept grec d'arète, généralement traduit par excellence, qui signifie la réalisation de son plein potentiel. Cette quête de l'excellence résonne fortement avec la philosophie de Nietzsche, qui prône le dépassement et la création de soi, comme le montre son concept de l'Übermensch. L'Übermensch nietzschéen représente un homme qui conquiert ses propres limites, se maîtrise lui-même et affirme ainsi sa volonté sur le monde extérieur. Cette incarnation du triomphe personnel et de la réalisation de soi symbolise la réalisation ultime de l'arète.

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L'idéal aristocratique grec, qui valorise des vertus telles que le courage, l'honneur et les prouesses intellectuelles, trouve un écho chez Nietzsche. Cette noblesse d'esprit est liée au concept grec d'agon, la lutte concurrentielle qui pousse à l'excellence. La philosophie de Nietzsche, bien que profondément inspirée par la tradition grecque, dépasse la simple imitation, créant une réinterprétation nuancée imprégnée de ses idées sur la volonté, le pouvoir et la nature de l'être et du devenir.

L'affirmation de Nietzsche, "Celui qui ne peut s'obéir à lui-même sera commandé", résume sa philosophie de la volonté de puissance. Elle met en avant l'acte d'auto-obéissance comme une manifestation de force, une affirmation de soi qui équivaut à l'exercice d'un pouvoir. Pour Nietzsche, le moi qui commande et le moi qui obéit sont les facettes d'une même entité, incarnant une dynamique interne complexe de pouvoir. Cette dynamique de pouvoir est fondamentalement une question de maîtrise et de force: la capacité à se contrôler soi-même est une affirmation de sa force personnelle, un testament de son pouvoir individuel. À l'inverse, ne pas s'affirmer, ne pas s'obéir, c'est se soumettre à des ordres et à des valeurs extérieurs - un abandon du pouvoir personnel et un affront à la volonté de puissance inhérente à la vie, dans la perspective de Nietzsche.

Un autre concept nietzschéen essentiel à considérer est le pathos de la distance. Cette notion fait référence à la séparation émotionnelle que Nietzsche juge nécessaire entre le haut et le bas, le noble et le commun, une séparation née de valeurs et de réalisations supérieures. Fortement influencé par l'éthique de l'aristocratie grecque, Nietzsche considérait cette distance émotionnelle comme une composante intégrale du voyage vers le dépassement de soi et l'établissement de l'Übermensch. Cette séparation est également un élément essentiel de la dialectique commandement-obéissance : ceux qui se conquièrent eux-mêmes et résistent aux normes extérieures créent une distance émotionnelle qui non seulement les distingue du troupeau, mais leur confère également l'autorité de commander, ce qui éclaire davantage la dynamique complexe de la dialectique.

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En revanche, la citation de Solon, "Celui qui a appris à obéir saura commander", introduit une dimension communautaire dans la dialectique autorité-obéissance. Solon envisage la société comme une entité vivante et harmonieuse où l'homme doit adhérer à des traditions ancestrales établies afin de favoriser un monde équilibré. Apprendre à obéir n'est pas une capitulation de l'individualité, mais un acte de responsabilité sociale. De plus, par l'obéissance, on comprend la trame éthique du commandement et on devient capable de commander aux autres.

Malgré leurs différences, les perspectives de Nietzsche et de Solon ne s'excluent pas mutuellement, mais s'engagent dans une interaction dialectique. Elles reflètent différentes facettes de la condition humaine : l'accent mis sur le moi et la dynamique du pouvoir intérieur (Nietzsche) par rapport à la concentration sur la responsabilité sociale et l'harmonie communautaire (Solon). Les deux perspectives soulignent le rôle de l'obéissance dans la compréhension et l'exercice du commandement.

En bref, la philosophie de Nietzsche encourage un voyage vers la maîtrise de soi et la poursuite de l'idéal grec de l'arête, qui se manifeste dans l'Übermensch. La sagesse de Solon met l'accent sur la vertu sociétale de l'obéissance aux normes communautaires, essentielle pour un leadership efficace. Ces perspectives, malgré leurs disparités, créent une dialectique complexe entre l'autorité et l'obéissance, prônant un équilibre entre l'affirmation de soi et la responsabilité collective. Cet équilibre reflète une interprétation moderne du noble esprit grec incarné par l'Übermensch. Ainsi, le dialogue permanent entre Nietzsche et Solon, ancré dans la philosophie grecque, continue d'éclairer notre compréhension de l'identité, de l'autorité et de l'excellence.

En soutenant Arktos, vous défendez des points de vue alternatifs et contribuez à préserver le riche patrimoine ethnoculturel de l'Europe.

Qui est Chad Crowley? 

Chad Crowley est un homme polyvalent qui a travaillé à la fois dans le monde universitaire et dans celui des affaires. Il vit au Canada, adhère aux principes de la Nouvelle Droite et s'intéresse profondément à l'histoire, à la culture et aux arts.

jeudi, 15 juin 2023

Nietzsche et les Grecs : une compilation de l'Institut italien d'études philosophiques

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Nietzsche et les Grecs: une compilation de l'Institut italien d'études philosophiques

Giovanni Sessa

Source: https://www.paginefilosofali.it/nietzsche-e-i-greci-una-silloge-dellistituto-italiano-per-gli-studi-filosofici-giovanni-sessa/

L'expérience spéculative et existentielle de Friedrich Nietzsche représente un tournant dans l'histoire de la pensée européenne, distinguant deux époques différentes de la philosophie : avant Nietzsche et après lui. Cette affirmation est confirmée dans l'ouvrage Nietzsche e i Greci. Tra mito e disincanto (Nietzsche et les Grecs. Entre mythe et désenchantement), actuellement dans les librairies d'Italie grâce aux presses de l'Istituto Italiano per gli Studi Filosofici-Scuola di Pitagora (pp. 175, euro 18.00), édité par Ludovica Boi. Le volume rassemble une série de contributions sur le thème "Nietzsche et les Grecs", élaborées au cours de deux journées d'étude qui se sont tenues les 21 et 22 octobre 2019 dans les locaux de l'Institut au Palazzo Serra di Cassano à Naples. Il s'agissait de réunions et de séminaires organisées dans le cadre du projet "Les Grecs au miroir des Modernes". Le livre se compose de deux parties, chacune contenant trois essais. La préface est signée par Francesco Fronterotta, tandis que l'introduction est signée par l'éditeur.

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L'idée centrale, qui traverse tous les essais, est l'existence d'une continuité philologique-philosophique substantielle dans le parcours du penseur de Röcken. Ludovica Boi note que "s'il est indéniable que Nietzsche n'a jamais fait l'éloge de la méthode historiciste [...], il est tout aussi vrai que l'habitus philologique s'est enraciné en lui dès ses jeunes années et ne l'a jamais abandonné" (p. 13). La philologie fut en effet l'instrument avec lequel le penseur de l'éternel retour donna de l'ordre à sa propre nature intuitive et géniale. Nietzsche l'a transformée en : "un savoir-faire d'orfèvre qui contrecarre l'accélération de la modernité tardive [...] avec ses lectures superficielles et hâtives" (p. 13). D'un point de vue général, la civilisation grecque s'est révélée être, pour le philosophe, un marqueur indispensable de sa propre recherche, un engagement intellectuel intensément vécu. Ces deux éléments doivent donc être dûment pris en compte par quiconque entreprend l'exégèse du parcours théorique de l'Allemand, qui ne peut être distingué en "phases" rigidement opposées, puisqu'il met en évidence des traits unitaires. Nietzsche, tout en voulant reproposer le modus vivendi hellénique, reste un moderne, où l'instance épistrophique se conjugue avec le désir de démythification. C'est autour de cette ambiguïté que les auteurs ont développé leur travail herméneutique.

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Gherardo Ugolini lit La naissance de la tragédie dans une perspective anti-aristotélicienne, en se concentrant notamment sur le décryptage de la "catharsis tragique". À ce sujet, les lectures de Lessing, Goethe et Bernays étaient pertinentes à l'époque. Le premier était porteur d'une exégèse "morale" de la catharsis, le second l'interprétait à la lumière de l'autonomie de l'esthétique, le troisième dans une clé "médico-pathologique". Nietzsche n'est pas convaincu de l'existence dans les représentations tragiques d'une libération "morale" et, reprenant le langage de Bernays, "ne croit pas du tout au potentiel thérapeutique inhérent à la tragédie" (p. 38). Il nie qu'il puisse y avoir une résolution "positive" de la condition tragique, la tragédie reproduisant l'extase dionysiaque. Dans la tragédie attique, le déchargement du dionysiaque, dont le chœur est témoin, dans le monde des images apolliniennes était évident. La seule catharsis possible était donc dans le dionysiaque : "compris comme la dissolution de l'identité et des catégories spatio-temporelles" (p. 43). Il est resté fidèle à cette conception jusqu'aux œuvres de sa maturité.

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Dionysos, tel que saisi par Ludovica Boi, est le fil rouge omniprésent chez Nietzsche. Dans ses premiers écrits, il fait allusion à l'"unité essentielle" (Ur-eine), qui peut être expérimentée par le dépassement du principuum individiationis dans l'expérience extatique. Il la conçoit, en vertu de l'influence schopenhauerienne, en termes transcendantaux. Par la suite, grâce à la leçon tirée du préplatonisme et en particulier d'Héraclite, il s'approche de la coïncidentia oppositorum. Dans les écrits ultérieurs, ce sera précisément la réflexion sur le pouvoir de Dionysos qui déterminera dans sa vision la "dissolution de l'opposition du devenir et de la mort": "dissolution de l'opposition du devenir et de l'être, du moment et de l'éternité, du "monde vrai" et du "monde apparent"" (p. 50). À ce stade, l'"unité essentielle" sera expérimentée en termes de pure immanence, au-delà de tout dualisme ontologique et métaphysique. En conclusion, "Nietzsche radicalise les hypothèses déjà présentes dans la Geburt, en affirmant [...] une divinisation du devenir" (p. 51). Plus précisément, Dionysos symbolise la totalité de l'être ; il enseigne à l'humanité que la mort est liée à la vie. Pour l'auteur, ce dépassement du dualisme représente l'héritage le plus significatif du philosophe, qui réapparaîtra au 20ème siècle dans l'idéalisme magique de Deleuze, Klossowski et Evola.

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Max Bergamo traite du "caractère mixte" de Platon. Pour l'exégèse, il utilise des sources inédites telles que les notes du brillant élève de Nietzsche, Jakob Wackernagel. Par "caractère mixte", Nietzsche entend se référer à Platon, le lisant comme un philosophe chez qui l'écho de la sagesse hellénique archaïque pythagorico-heraclitéenne-socratique peut encore être entendu, présent même dans son choix de dialogue, par rapport auquel, en même temps, la spéculation de l'Athénien marque une rupture claire avec l'introduction du dualisme onto-gnoséologique. Le caractère "non original" de Platon aurait été déduit par Nietzsche à la lecture d'un passage de Diogène Laertius. Valeria Castagnini évoque la vie de l'érudit dans sa jeunesse : "exposant le lien entre le choix de la profession académique [...] et le tempérament du jeune Nietzsche" (p.16). On comprend comment, de cette manière, l'universitaire a fait sien un élément qualificatif de l'enseignement de Nietzsche, à savoir le rapport incontournable entre la vie et la pensée, l'existence et la science.

Edmondo Lisena aborde le rapport du philosophe avec les Grecs autour de l'"admirable année" 1875. À cette époque, le penseur était fermement convaincu que seule une pensée "impure" était capable de réagir face à l'illogisme de la réalité, à la dimension chaotique de la vie. Enfin, Andrea Orsucci exerce son analyse des pages de Umano, troppo umano (Humain, trop humain), en tenant compte de la crise des fondements de la connaissance qui se manifeste à la fin du 19ème siècle. La généalogie de l'esprit libre naîtra d'une confrontation étroite avec les développements de la science.

Un recueil extrêmement intéressant qui entre dans le cœur vital de la philosophie de Nietzsche : la potestas dionysiaque.

Giovanni Sessa

lundi, 11 juillet 2022

Le dernier homme et la critique nietzschéenne de l’Etat moderne

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Le dernier homme et la critique nietzschéenne de l’Etat moderne

Nicolas Bonnal

Un ami me dit qu’en France tout le monde est préoccupé de Covid et de vacances. Pour le reste, me dit un autre, ils attendent impatiemment le rationnement de Le Maire et d’Ursula. Rien ne les préoccupe vraiment sauf le masque et la prochaine dose. Côté énergie, tout le monde ou presque est d’accord : il faut mourir pour BHL et son prophète.

La situation est désespérée mais elle n’est pas grave : c’est que le peuple nouveau de Macron – si bien soutenu par Marine et consorts – répond au dernier homme de Nietzsche. Relisons Ainsi parlait Zarathoustra alors :

« Je vais donc leur parler de ce qu’il y a de plus méprisable : je veux dire le dernier homme. »

Nietzsche ajoute dans son insurpassable élan poétique et prophétique :

« Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même. Voici ! Je vous montre le dernier homme. « Amour ? Création ? Désir ? Étoile ? Qu’est cela ? » – Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l’œil. »

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Nietzsche prévoit non pas le grand remplacement mais le grand rétrécissement mental, spirituel et cérébral :

« La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout. Sa race est indestructible comme celle du puceron ; le dernier homme vit le plus longtemps. « Nous avons inventé le bonheur, » – disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil. Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur. On aime encore son voisin et l’on se frotte à lui : car on a besoin de chaleur. »

Ah, cette durée de vie…

On est obsédé par les maladies et les médicaments :

« Tomber malade et être méfiant passe chez eux pour un péché : on s’avance prudemment. Bien fou qui trébuche encore sur les pierres et sur les hommes ! Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poisons enfin, pour mourir agréablement. »

Les RTT ? Lisez Nietzsche :

« On travaille encore, car le travail est une distraction. »

Après on crée une société à la Jospin, une société un peu paresseuse :

« Mais l’on veille à ce que la distraction ne débilite point. On ne devient plus ni pauvre ni riche : ce sont deux choses trop pénibles. Qui voudrait encore gouverner ? Qui voudrait obéir encore ? Ce sont deux choses trop pénibles. »

La cancel culture est déjà là au sens strict (lisez l’admirable deuxième considération inactuelle sur l’anéantissement de l’histoire) qui consiste à ne plus supporter son passé ou son Histoire nationale ou autre (cf. Biden, Macron ou Bergoglio) :

« Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous. « Autrefois tout le monde était fou, » – disent ceux qui sont les plus fins, et ils clignent de l’œil. On est prudent et l’on sait tout ce qui est arrivé : c’est ainsi que l’on peut railler sans fin. On se dispute encore, mais on se réconcilie bientôt – car on ne veut pas se gâter l’estomac. On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais on respecte la santé. « Nous avons inventé le bonheur, » – disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil. »

Voilà pour le dernier homme dont a si mal parlé Fukuyama (sans doute parce que le piteux bureaucrate hégélien Kojève en avait mal parlé lui-même). Puis survient l’Etat dans le fabuleux chapitre : De la nouvelle idole. Quelques citations rafraichissantes alors dont la plus connue sur le monstre froid :

« L’État, c’est le plus froid de tous les monstres froids : il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l’État, je suis le Peuple. »

L’Etat s’est renforcé avec les guerres, avec l’Europe, avec les banques centrales, et les dettes immondes, avec le sozial comme disait Céline. C’est le Warfare state et le Welfare State de Rothbard. Tout cela écrit Nietzsche est lié à des « appétits » :

« Ce sont des destructeurs, ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appellent cela un État : ils suspendent au-dessus d’eux un glaive et cent appétits. Partout où il y a encore du peuple, il ne comprend pas l’Etat et il le déteste comme le mauvais œil et une dérogation aux coutumes et aux lois. »

Nietzsche rappelle justement que l’Etat moderne a tout volé :

« Mais l’État ment dans toutes ses langues du bien et du mal ; et, dans tout ce qu’il dit, il ment – et tout ce qu’il a, il l’a volé. Tout en lui est faux ; il mord avec des dents volées, le hargneux. Même ses entrailles sont falsifiées. »

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La culture de la mort, la volonté de mort sont liées à l’Etat :

« Une confusion des langues du bien et du mal – je vous donne ce signe, comme le signe de l’État. En vérité, c’est la volonté de la mort qu’indique ce signe, il appelle les prédicateurs de la mort ! Beaucoup trop d’hommes viennent au monde : l’État a été inventé pour ceux qui sont superflus ! Voyez donc comme il les attire, les superflus ! »

Cette notion d’homme superflu fait penser aux mangeurs inutiles (nous tous ou presque) que les mondialistes veulent exterminer maintenant. Ils ont fait pulluler sur les plages ou devant les télés ce troupeau et maintenant ils veulent l’éliminer. Et le troupeau se laisse liquider sans regimber, surtout en Occident. Il ne se sent ni très utile ni très sûr de lui-même il est vrai !

Nietzsche voit que l’Etat-providence va remplacer la Providence (à cet égard lisez l’Australien Charles Pearson qui rivalise avec Nietzsche ou Tocqueville en ce roi des siècles analytiques – le dix-neuvième) :

« Certes, il vous devine, vous aussi, vainqueurs du Dieu ancien ! Le combat vous a fatigués et maintenant votre fatigue se met au service de la nouvelle idole ! »

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La vie moderne devient un lent suicide – sensible au niveau des nations comme des personnes. Thoreau parle de désespoir tranquille dans Walden. Et Nietzsche :

« L’État est partout où tous absorbent des poisons, les bons et les mauvais : l’État, où tous se perdent eux-mêmes, les bons et les mauvais : l’État, où le lent suicide de tous s’appelle – « la vie ». Voyez donc ces superflus ! Ils volent les œuvres des inventeurs et les trésors des sages : ils appellent leur vol civilisation – et tout leur devient maladie et revers ! Voyez donc ces superflus ! Ils sont toujours malades, ils rendent leur bile et appellent cela des journaux. »

C’est que ces journaux, subventionnés à 100% comme on sait…

On me reproche mon pessimisme. C’est que Nietzsche, Thoreau ou Tocqueville, ça ne date pas d’hier. Et rappelons aux distraits que Marx voulait aussi la fin de l’Etat.

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lundi, 14 mars 2022

Les philistins de la culture, vrais barbares modernes (Friedrich Nietzsche)

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Les philistins de la culture, vrais barbares modernes (Friedrich Nietzsche)

 
Dans cette vidéo, nous aborderons la pensée de Nietzsche à partir de sa première "Considération inactuelle - David Strauss, sectateur et écrivain". Dans ce texte, Nietzsche, en philosophe-médecin, tente d’établir un diagnostic de la culture allemande de son temps et dresse une symptomatologie de la maladie de l’homme moderne. Ce qui ressort de cet essai, c’est que la culture de l’homme moderne n’est au fond qu’une accumulation désordonnée de connaissances tournées contre la vie elle-même. Derrière une apparence de civilisation, l’homme moderne pseudo-cultivé se révèle être un barbare et un anarchiste.
 
 
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Musique utilisée :
- Friedrich Nietzsche : Eine Sylvesternacht, for violin and piano
- Friedrich Nietzsche : Das zerbrochene Ringlein
- Friedrich Nietzsche : Heldenklage, NWV 2
- Friedrich Nietzsche : Ungarischer Marsch, NWV 5
- Friedrich Nietzsche : Beschwörung

vendredi, 22 octobre 2021

Le mysticisme de Nietzsche

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Le mysticisme de Nietzsche

Un classique du philosophe Gustave Thibon ("Nietzsche ou le déclin de l'esprit") sur le philosophe allemand a été republié chez Iduna.

par Giovanni Sessa

Ex: https://www.barbadillo.it/101348-la-mistica-di-nietzsche/

Gustave Thibon, Nietzsche ou le déclin de l'esprit

50733274._SX318_SY475_.jpgCertains livres, ceux qui éclairent des problèmes théoriques et des besoins existentiels déjà présents en nous, peuvent être lus d'une traite. Nous sortons, nous, d'une telle lecture, qui ne nous a pas peu fascinés. Nous faisons référence à un texte capital du philosophe français Gustave Thibon, Nietzsche ou le déclin de l'esprit, qui est paru dans le catalogue d'Iduna editrice (pour les commandes : associazione.iduna@gmail.com, pp. 299, €25.00). Le texte est accompagné d'une préface de Massimo Maraviglia, visant à contextualiser la figure de l'auteur dans le panorama culturel du vingtième siècle et à clarifier le rapport paradoxal qui liait ce dernier au penseur de l'Au-delà de l'homme. En premier lieu, il nous semble que le volume montre comment les choix intellectuels divergents des uns et des autres n'ont pas du tout pesé sur l'exégèse faite par le penseur français. Le catholique Thibon trouve chez le philosophe allemand un trait mystique, totalement négligé par les interprètes proches des perspectives nietzschéennes.

Naturellement, comme on le verra, nous faisons référence à une sorte de mysticisme négatif qui aurait agi comme un pôle d'attraction sur le théoricien de l'éternel retour. Pour entrer dans le cœur vital du nietzschéisme, Thibon présente le drame intime vécu par l'homme Nietzsche, dans la mesure où, à la manière fichtienne, il est conscient que derrière toute philosophie il y a un homme, avec ses propres idiosyncrasies, ses passions et un trait de caractère donné. En effet, il avoue explicitement "Nous pensons [...] que chez Nietzsche la doctrine est toujours déterminée par les passions et les réactions de l'homme" (p. 9). Et si Nietzsche n'avait pas soutenu que: "il n'y a pas de vérités, sauf les vérités individuelles"? (p. 9). En raison de l'accent mis sur l'homme, sur son esprit convulsivement tendu vers l'infini, le volume que nous présentons ici va au-delà de la "lettre" du penseur de Röcken, mais en retrace la substance. Cette méthode herméneutique est une conséquence des choix existentiels faits par Thibon. Fils de paysans, lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il est contraint de prendre la place de son père parti au front et de travailler dans les champs.

Schermata-2021-10-20-alle-15.53.47-323x500.pngLa nature est devenue son premier professeur de sagesse. Il a observé et apprécié sa dimension cyclique, montrant à l'homme le chemin de l'éternité. De la vie rurale qu'il a menée dans son manoir ancestral de Saint-Marcel-d'Ardèche, à laquelle il s'est consacré définitivement après une période d'errance et de voyages, il a tiré l'idée que la limite est le caractère distinctif et insurmontable de la vie. L'étude et la lecture occupaient ses journées, ainsi que les travaux des champs. D'où l'épithète, qui l'a accompagné jusqu'à ses derniers jours, de paysan-philosophe. Ami du premier Maritain, il a accueilli en 1941 Simone Weil, de qui il a appris, comme le rappelle la préface, que: "L'homme désire toujours quelque chose au-delà de l'existence" (p. III). Autodidacte exceptionnel, il est profondément influencé par l'enseignement de Léon Bloy, qui fait de lui un "chrétien extrême": "Je suis un extrémiste à cause de mon attirance pour la théologie négative, la mystique de la nuit, le "Dieu sans base ni appui" qui était celui de saint Jean de la Croix et qui est le mien aujourd'hui" (p. II). Cette tendance spirituelle le met également en contact avec Gabriel Marcel: ce dernier avait compris le caractère énigmatique de l'existence, car il était conscient de "la différence fondamentale entre la pensée scientifique objectivante [...] et une ontologie consciente qui voit (dans la vie) essentiellement le mystère " (p. III).

La critique de la modernité par Thibon s'appuie sur un constat qui, à ses yeux, semblait aller de soi. A l'époque actuelle, "le ciel est fermé et l'égout est grand ouvert" (p. III). La société contemporaine a un trait catagogique, dans la mesure où en elle la vie a été privée de son essence, de sa raison d'être. Thibon, tout comme Nietzsche, voulait redonner un sens au monde. Les deux ont suivi des chemins différents: le chemin chrétien pour le premier, le chemin du retour à Hellas pour le second. Pourtant, ils partageaient tous deux une donnée existentielle commune: le désir de dépasser la simple existence, sensible à l'appel de l'infini et de l'éternel.

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Le Français est, en effet, fasciné par la soif d'absolu qui se dégage des pages de l'Allemand. En eux, il semble percevoir un "pressentiment" du divin, qui disparaîtra bientôt chez Nietzsche, en raison de la montée orgueilleuse de l'ego. Pour Thibon, le "oui à la Terre" du penseur de l'Au-delà de l'homme finit par rencontrer le Néant, il ne s'ouvre pas à la Fondation: "Le monde du devenir, totalement imprégné de Néant, Nietzsche ne le veut plus comme un pont jeté vers la rive divine, mais comme le but fascinant de toute destinée" (p. 277).

En tout cas, pour Thibon, l'antichristianisme de Nietzsche est compensé par sa fascination pour Dieu. De manière appropriée, Maraviglia rappelle le jugement de Karl Löwith sur Nietzsche. Le disciple de Heidegger interprète la "volonté de puissance" comme la volonté d'avenir, la dernière manifestation de la théologie de l'histoire chrétienne, désormais définitivement immanentisée. Au contraire, la civilisation antique, notamment hellénique, avait en son centre la physis, la nature, avec ses cycles éternels, la montée et la chute des entités, d'où le primat de la volonté était totalement absent. La critique acerbe du moralisme, c'est-à-dire la pédagogie de l'anti-morale de Nietzsche, la tabula rasa des pseudo-valeurs du monde bourgeois, aurait pu induire chez le penseur allemand cette dénudation de l'ego, opérée par les mystiques chrétiens, en particulier par saint Jean de la Croix, auquel Thibon dédie la troisième partie du volume. Nietzsche et Jean de la Croix "avaient l'âme de l'adorateur ardent" (p. 225), et s'efforçaient de chasser d'eux-mêmes toute impureté "humaine, trop humaine".

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De Nietzsche jaillit "un torrent furieux de négation" (p. 228) des faux idéaux de la modernité. Thibon relie la négation des nouvelles idoles à Dieu, à l'immuable. Le philosophe français attribue la catastrophe existentielle de l'Allemand au fait qu'il soit resté fidèle au devenir. En réalité, à notre avis, si l'on doit parler d'échec nietzschéen, il faut l'attribuer au résidu chrétien qui a fait de l'éternel retour une énième philosophie de l'histoire, incapable, pour cette raison, de rencontrer réellement la physis grecque. Ce n'est que face à cela que l'homme se dépense stoïquement, comme le répétait Löwith: "Il n'espère pas, il ne désespère pas", pour une vie persuadée.

L'option de la foi nous sépare de Thibon. Néanmoins, nous considérons que ce livre est d'une grande pertinence exégétique. Il saisit ce qui est "caché" chez Nietzsche et le transmet au lecteur d'une manière passionnée et engageante.

lundi, 31 mai 2021

Le Nihilisme en Six Questions

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Café Noir N.25

Le Nihilisme en Six Questions

 
Friedrich Nietzsche, Arthur Schopenhauer, Johann Wolfgang von Goethe, Martin Heidegger, etc.
Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde.
Émission du vendredi 28 mai 2021 avec Pierre Le Vigan & Gilbert Dawed.
 
Pierre Le Vigan – Achever le Nihilisme (Éditions Sigest) https://edsigest.blogspot.com/2019/01...
 

mardi, 18 mai 2021

La philosophie comme mode de vie

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La philosophie comme mode de vie

Natella Speranskaya

Ex: https://syg.ma/@natella-speranskaja/filosofiia-kak-obraz-zhizni

Il y a longtemps que la philosophie a cessé d'être un mode de vie, une manière d'être, pour se transformer en un champ de recherche, en une analyse détachée, en un "discours philosophique" ; elle ne pense plus au primordial, elle ne s'occupe plus de la transformation de la pensée, de la formation de l'esprit et de l'âme, de la transformation intérieure de l'homme. Le Grec ancien s'adonnait à la philosophie, qui était pour lui un choix existentiel, une forme de vie, une manière de penser, tandis que la lecture des œuvres d'Héraclite, de Phérécyde ou d'Empédocle conduit à un "exercice spirituel" (Pierre Hadot), une pratique personnelle volontaire.

Les écrits philosophiques des penseurs de l'époque hellénistique et romaine ne visaient pas à informer, mais à façonner et à transformer la pensée des lecteurs. Pythagore, Platon et Aristote ne philosophaient pas devant leurs disciples pour leur fournir un maximum d'informations, ils s'occupaient exclusivement de former les esprits, ils révélaient à leurs auditeurs d'autres niveaux ontologiques, d'autres modes d'être, en fait ils les poussaient vers une transformation intérieure comparable à celle vécue par les initiés des Mystères.

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Pierre Hadot

Comme le souligne à juste titre Pierre Hadot, les œuvres des premiers penseurs n'étaient pas l'exposition d'un quelconque système (l'idée de philosophie systématique n'apparaît pour la première fois que chez le scolastique médiéval Francisco Suarez); il s'agissait d'"exercices spirituels" visant à la transformation de la personnalité. La philosophie dans l'Antiquité était un mode d'existence qui exigeait de la part du philosophe une transformation intérieure et une implication personnelle à chaque instant de sa vie. Les exercices spirituels impliquaient l'ensemble de l'esprit. Néanmoins, les historiens modernes de la philosophie continuent à aborder la philosophie de l'Antiquité avec les normes du Moyen Âge et du Nouvel Âge, c'est-à-dire qu'ils persistent à la considérer comme une activité théorique et abstraite, mais en aucun cas comme une pratique. La philosophie n'était plus considérée comme un mode de vie. Hadot pensait que c'était une conséquence de l'absorption de la philosophia par le christianisme.

Dans la scolastique du Moyen Âge, la theologia et la philosophia étaient très éloignées l'une de l'autre et la philosophie était reléguée au rang de "servante de la théologie". Ce n'est qu'à la Renaissance que nous avons redécouvert Sénèque, Épictète et, plus tard, Marc-Aurèle, puis aussi Cicéron et l'épicurisme, et que nous avons réalisé que la philosophie pouvait être un mode de vie. Le fait que la philosophie ait cessé d'être un mode de vie avec la montée du christianisme est également écrit par André van der Braak. Il souligne que Nietzsche a cherché à faire revivre l'approche grecque de la philosophie en tant que mode de vie. On peut ajouter à cela que Michel Foucault et Ludwig Wittgenstein ont rejoint ces rangs.

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En ouvrant les œuvres des penseurs anciens, nous devrions une fois pour toutes abandonner l'habitude de leur appliquer le système de valeurs de la modernité. Hors du temps sont les idées, les universaux, mais pas leur compréhension à différentes époques! "Avant, je considérais les textes philosophiques - qu'il s'agisse de textes d'Aristote, de Saint Thomas ou de Bergson - comme s'ils étaient intemporels et que les mots avaient toujours la même signification, indépendante de l'époque. Je me suis rendu compte qu'il fallait prendre en compte l'évolution des pensées et des mentalités à travers les âges", lit-on dans Pierre Hadot. J'ai appris que nous devons tenir compte de l'évolution des pensées et des mentalités au fil des siècles", admet Pierre Hadot. Pour moi, c'est le point de départ. On ne peut pas prendre en compte de la même manière les textes de la philosophie ancienne et ceux de la philosophie moderne". Qu'il s'agisse des dialogues de Platon ou des manuels d'Aristote, des traités de Plotin ou des commentaires de Proclus, les œuvres des philosophes ne peuvent être interprétées sans tenir compte de la situation spécifique dans laquelle elles sont nées : elles sont issues d'une école de philosophie au sens le plus concret du terme, où le précepteur façonne les élèves, en essayant de les conduire à la transformation et à l'accomplissement de soi. Au fond, si toute composition est un monologue, une œuvre philosophique est toujours un dialogue sous une forme implicite; la figure de l'interlocuteur possible est toujours présente", conclut Pierre Hadot. Il conclut en considérant que les textes philosophiques de l'Antiquité étaient toujours destinés à un public restreint et avaient des destinataires bien précis, soit un groupe de disciples, soit un adepte spécifique à qui ils étaient écrits. Par exemple, selon Porphyre, Plotin a produit ses œuvres en réponse aux questions posées par ses auditeurs. L'enseignement de la philosophie au cours des trois siècles, c'est-à-dire de Socrate au premier siècle, était presque toujours présenté selon le schéma question-réponse. Le dialogue en tant que genre philosophique a presque disparu aujourd'hui, remplacé par des traités systématiques. Hadot lui-même est assez sceptique quant à la possibilité de faire revivre de nos jours le caractère dialogique de la philosophie antique. Il estime que cette forme d'enseignement n'est possible que dans des communautés telles que les écoles de l'Antiquité "organisées au nom de la convivialité de la philosophie".

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Pour comprendre ce que Pierre Hadot entend par "exercices spirituels", il faut savoir ce qu'il entend par "Esprit". Il appelle Esprit ce que Plotin appelait l'Intellect, le Nous, la Réalité suprême. Le Nous est ce qui se trouve entre l'Un et le multiple. Pierre Hadot : "Personnellement, je définirais l'exercice spirituel comme une pratique personnelle volontaire destinée à provoquer la transformation de l'individu, la transformation de soi. Avant de se fixer sur l'épithète "spirituel", il a passé en revue différentes options: exercices intellectuels, éthiques, mentaux, exercices de pensée, exercices d'âme, et finalement, dans son intention de parler de la tradition philosophique dans l'antiquité gréco-romaine, il s'est fixé sur les exercices spirituels. Puis il a longuement expliqué ce que ces exercices très spirituels ne sont pas (par exemple, ils ne sont pas synonymes de "théologique" ou de "religieux", car ces derniers n'en sont qu'une partie).

Si Pierre Hadot s'était arrêté à l'épithète "éthique", il aurait dû se lancer dans de longues explications. Comment avons-nous l'habitude d'interpréter le mot "éthique"?

L'éthique est communément considérée comme la doctrine de la moralité et de la vertu, mais prêtons attention au mot grec ancien ἦθος, ethos ("moralité", "disposition", "caractère") et surtout à la célèbre phrase d'Héraclite: ἦθος ἀνθρώπῳ δαίμων (que l'on peut traduire par: "l'ethos de l'homme est son daimon").

Daimon, c'est-à-dire le médiateur entre le monde divin et le monde humain (sans les connotations négatives apparues à l'époque post-antique). Le mot ἦθος a aussi le sens de "demeure". Et qu'est-ce que cette demeure sinon ce point intermédiaire où l'homme et la divinité se rencontrent/se confondent/et/ou se heurtent? Selon Aristote, le point médian est ce que la vertu choisit toujours. C'est sa demeure. "Entre" l'excès et la carence, l'humain et le divin, etc. En fait, lorsque l'immoraliste Nietzsche s'est attaqué à la morale moderne, il l'a fait au nom de la "vertu de style renaissanciste, virtu, une vertu libérée du moralisme". Mais si Hadot avait pris l'épithète "noétique" (pour se tourner vers le grec νόησις pour "penser", νόημα pour "pensée", νοῦς pour " esprit "), son exercice n'aurait pas eu à se distancier des mauvaises connotations associées au concept de "spirituel".

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Selon Hadot, la formation des esprits est le fondement des sciences humaines. La philosophie peut-elle être classée parmi les sciences humaines? Andrei Baumeister souligne que le terme "humanités" est apparu à la Renaissance, au XVe siècle, mais que la philosophie est bien plus ancienne. Peut-elle donc être une science des sciences humaines? Les humanités se concentrent sur l'être humain, sur une compréhension anthropocentrique du monde, alors que la philosophie peut émerger comme une manière de dépasser "l'humain, trop humain".

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Peter Kingsley

Le philosophe contemporain Peter Kingsley a réussi à faire revivre l'approche grecque de la philosophie en tant que mode de vie. Kingsley dit qu'il était EXIGÉ par Parménide, comme il était EXIGÉ par Empédocle. "En retournant dans le monde des présocratiques, en me plongeant dans les textes grecs anciens qu'ils nous ont laissés en héritage, j'ai immédiatement commencé à découvrir quelque chose de tout à fait différent. Ces soi-disant philosophes n'étaient pas des penseurs théoriques ou des escrocs, ils n'étaient pas du tout des rationalistes au sens moderne du terme. Beaucoup d'entre eux se présentaient comme des êtres spirituels extrêmement puissants. Les textes grecs avec lesquels j'ai rapidement été en contact - mal interprétés et mal traduits au cours des siècles - ont montré - lorsque les distorsions et les interprétations déplacées étaient mises de côté - qu'ils représentaient des enseignements spirituels exceptionnels et des techniques de méditation extrêmement puissantes qui pouvaient encore être appliqués et pratiqués aujourd'hui. Je les ai pratiqués moi-même et j'ai ressenti une transformation. Je suis entré en contact avec la lignée de succession et les enseignements des anciens maîtres qui, à l'aube de notre civilisation, ont contribué à façonner le monde occidental et à faire naître notre culture", déclare Peter Kingsley.

John Bussanich écrit: "Il [Kingsley] raconte une conversation qui s'est déroulée au département de philologie classique de l'université de Californie, à Los Angeles, après une conférence sur Parménide. Un représentant du ministère s'est plaint que Kingsley était trop dogmatique et que son interprétation n'était pas meilleure que celle des autres. Kingsley a répondu: "Mais vous et moi ne sommes pas les mêmes. Vous lisez Parménide de manière à pouvoir changer son sens à votre guise. Moi, par contre, j'ai lu Parménide de telle manière qu'il peut me changer’’.

Dans-les-antres-de-la-sagesse.jpgLa notion même de "philosophie" devrait acquérir un autre sens. Rappelez-vous les mots de Nietzsche : "Que les dieux aussi philosophent me semble une pensée digne et pieuse, qui peut donner de la joie même au croyant dévot" ? C'est ce qu'il a écrit dans les brouillons de son livre Dionysos. Expérience de la philosophie divine. On sait que Nietzsche se disait élève du philosophe Dionysos. Sans doute, qu'en philosophant on entre dans la sphère du divin. Et, se référant une fois de plus à Nietzsche, on ne peut s'empêcher de souligner que "tous les philosophes sont des gens qui ont fait l'expérience de quelque chose d'inhabituel". Bien plus tôt, à l'époque de la Renaissance, Pic de la Mirandole avait dit quelque chose de similaire: "Si l'on examine la signification et le sens secret des noms sacrés d'Apollon, on verra qu'ils témoignent que Dieu est un philosophe non moins qu'un devin".

Être philosophe, c'est être celui qui accomplit une action, car la pensée est une action. Si vous n'avez pas encore compris cela, vous n'avez pas encore commencé à penser. Débarrassez-vous de l'idée erronée selon laquelle le philosophe est un employé de bureau qui interagit avec le monde en regardant par la fenêtre et en se livrant à des études académiques sans fin. De même, il faut bannir l'autre notion selon laquelle le fatras sans signification que la plupart des gens produisent est une action.

La philosophie implique une intervention active dans un acte cosmogonique infiniment durable en transformant le monde extérieur, en l'influençant subtilement par l'identification des structures paradigmatiques qui sous-tendent l'univers; la philosophie est, si l'on veut, une tentative de transférer les "images archétypales" du mundus imaginalis dans le monde matériel, le monde des formes.

"Imprimer au devenir les signes de l'être" (comme disait Nietzsche), c'est philosopher, et donc agir.

Le philosophe n'est pas l’homme d’un métier, il est impossible de le devenir. Il s'agit d'une sorte d'assignation ontologique, que l'on réalise ou que l'on laisse s'effacer. Une vieille et belle légende parle de l'ange de la mort, dont les ailes sont constellées d'innombrables yeux. Lorsque l'Ange arrive trop tôt, il se contente de toucher un homme de son aile et, de peur qu'il n'oublie la rencontre, lui donne une paire d'yeux supplémentaire. Des yeux qui regardent la préexistence. La philosophie est donc ce "regard" sur la préexistence. Un philosophe reçoit sa deuxième paire d'yeux en même temps que la première, mais ces yeux ne s'ouvrent pas tout de suite. Ils ont parfois besoin d'un professeur, d'un livre, d'un choc soudain, d'une rencontre avec la mort, d'une expérience du numineux. Les mystères servaient cet objectif dans les temps anciens.

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Nietzsche, qui se sentait contemporain d'Héraclite plutôt que du XIXe siècle, savait que la vraie pensée (et donc, oser penser dangereusement) était une expérience de philosophe divin. La philosophie comme action, comme mode de vie. Dans le livre Nietzsche. Une biographie de sa pensée, Rüdiger Safranski écrit:

"Pour le jeune Nietzsche, la philosophie est une occupation qui envahit puissamment la vie. Elle n'est pas seulement un reflet de la vie, elle contribue aussi à son changement, elle est déjà ce changement elle-même. Penser, c'est agir. Cependant, cela ne fait pas référence à une quelconque pensée et pas à un quelconque penseur. Pour que les vérités soient non seulement trouvées, mais aussi incarnées, il faut ajouter le charisme particulier d'un penseur et le pouvoir vitalisant des idées. Une décennie plus tard, dans Humain, trop humain, Nietzsche qualifiera de tels philosophes, capables d'incarner des idées, de "tyrans de la pensée". Nous en voyons l'exemple le plus classique dans la Grèce antique. Parménide, Empédocle, Héraclite, Platon - tous voulaient "se mettre d'un seul coup au milieu de tout l'être".

mercredi, 24 mars 2021

Pierre Le Vigan : Nietzsche et l'Europe, une mise au point

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Pierre Le Vigan: Nietzsche et l'Europe, une mise au point

Pierre Le Vigan, urbaniste et essayiste, répond aux questions de Marianne Corvellec à l'occasion d'une mise au point sur Nietzsche et L'Europe. 
 
 
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mardi, 16 février 2021

L'Allemagne dionysiaque d'Alfred Bäumler

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L'Allemagne dionysiaque d'Alfred Bäumler

par Luca Lionello Rimbotti

Recension : Alfred Baeumler, L'Innocenza del divenire, Edizioni di Ar

Baeumler fut le prophète du retour aux racines de la Grèce présocratique, lorsque la dévotion primordiale aux dieux de l'Europe était pratiquée.

show-photo.jpgAlfred Baeumler a été le premier philosophe allemand à donner à Nietzsche une interprétation politique. Avant Jaspers et Heidegger, qui ont été influencés par lui, il a vu dans l'Allemagne "hellénique" envisagée par Nietzsche la représentation héroïque d'une révolution des valeurs primordiales incarnées dans la Grèce archaïque, dont le pivot philosophique et idéologique a été perçu dans le texte controversé de Nietzsche sur la volonté de puissance. Non systématique dans la forme, mais très cohérent sur le fond.

Dans une série d'écrits allant de 1929 à 1964, Baeumler s'est engagé dans une lutte culturelle pour ramener Nietzsche à sa place naturelle de penseur historique et politique, le sauvant des tentatives de ceux - alors comme maintenant – qui insistaient sur des interprétations métaphysiques ou psychologiques et voulaient, de ce fait, désamorcer le potentiel perturbateur de la vision du monde de Nietzsche, afin de le réduire à un cas purement intellectuel donc inoffensif.

Ces écrits de Baeumler sont maintenant rassemblés et publiés par les Edizioni di Ar sous le titre L'innocenza del divenire, dans une édition de grande valeur philologique et documentaire, mais surtout philosophique et historico-politique. Un événement culturel unique et rare dans le panorama de l'édition savante italienne, si souvent consacré à des répétitions stériles plutôt qu'au travail scientifique de fouille en profondeur.

En outre, l'édition en question comporte un appendice avec une postille de Marianne Baeumler, épouse du philosophe, dans laquelle sont précisés les thèmes de la célèbre controverse déclenchée par Mazzino Montinari, éditeur d'une édition italienne des œuvres de Nietzsche qui est resté célèbre pour ses efforts tenaces de rééducation de la pensée de Nietzsche, en déformant souvent les passages culminants.

La controverse, vieille de plusieurs décennies (vu l'amour fou de la "gauche" pour Nietzsche : car dans les replis de sa pensée et de ses aphorismes, cette « gauche » philosophique a cherché en vain la consolation au regard de l'insurmontable rupture culturelle et idéologique qu’ils recelaient, consolation qui s’est précipitée dans le syndrome de la "pensée faible"), est toujours d'actualité, étant donné l'impasse jamais dépassée du progressisme. La ‘’gauche philosophique‘’ n'a pas encore pu faire une analyse honnête de son échec historique ; elle a donc consacré de longues années à des opérations de peinturlurage instrumental de la culture européenne du XXe siècle. C'est aussi pour cette raison que le bref écrit de Marianne Baeumler acquiert une signification particulière, voire symbolique, de redressement de l'exégèse nietzschéenne, après de longues saisons d'altération opiniâtre et/ou frénétique par le biais d’interprétations incontrôlées.

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En effet, une falsification de Nietzsche a existé - surtout en ce qui concerne la volonté de puissance, mais pas du côté d'Elisabeth Nietzsche, mais précisément de ceux qui, comme Montinari et Colli, ont cherché à transformer l'héroïsme tragique exprimé par Nietzsche dans la métaphore du lion rugissant pour en faire le bêlement d'un agneau bon enfant : un coup d'œil à la postface de l'éditeur et traducteur Luigi Alessandro Terzuolo, suffira pour se rendre compte, textes en main, de la volonté de mystification idéologique poursuivie lucidement par les habituelles célébrités du nietzschéisme officiel, avec des résultats révélant une falsification ouverte et démocratique.

Dans les écrits (études, postfaces, essais ou extraits d'autres ouvrages) rassemblés dans L'Innocence du devenir, Alfred Baeumler mesure la force conceptuelle de Nietzsche par rapport à l'histoire, au caractère culturel germanique et au destin de la culture européenne. Il identifie l'esprit bourgeois comme le dernier élément de division, qui s'est inséré sous la dialectique hégélienne pour opérer une malheureuse superposition entre l'ancien monde classique et le christianisme, obtenant ainsi un infâme obscurcissement du premier et du second. Un procédé, tel celui-ci, Nietzsche le considérait comme déterminant pour la perte de contact entre la culture européenne et l'identité originelle de l’Europe (hellénique). C’est là une catastrophe de la pensée qui se serait répercutée sur le destin européen, l’aurait oblitéré du moralisme et l’aurait soustrait à toute authenticité, d'abord pour des raisons spéculatives, puis politiques. C'est seulement dans une nouvelle Hellas qu'allait pouvoir se retrouver l'Allemagne ; annoncée d'abord par la culture romantique et sa sensibilité aux traditions mythiques et populaires, puis par Hölderlin et enfin par Nietzsche, la reconquête de l'unité de l'homme se réalisera, selon Baeumler, enfin libérée des intellectualisations rationalistes et ramenée à la vérité première faite d'esprit, de corps, de volonté, de lutte organisée, d'héroïsme dionysiaque, de liens entre l'histoire et la nature, de virginité des instincts et des pulsions, de coexistence sereine avec la nature tragique du destin, de dépassement vers une vision du mythe comme âme religieuse primordiale, comme volonté surhumaine de pouvoir. Avec son travail d'érudit, c'est comme si Baeumler nous rendait, en somme, le vrai Nietzsche. Le prophète du retour aux sources des peuples de la Grèce présocratique, lorsque la première dévotion aux dieux de l'Europe était encore pratiquée, selon ce que chantait Hölderlin, dans un passage repris non par hasard par Baeumler dans son Hellas und Germanien publié en 1937 : "Ce n'est qu'en présence des Célestes que les peuples / obéissent à l'ordre hiérarchique sacré / érigent des temples et des villes . .".

md17016551612.jpgLa publication des écrits de Baeumler - due à la seule maison d'édition italienne qui s'intéresse méthodiquement au philosophe allemand, délibérément occulté à cause des blocages mentaux persistants - s'inscrit dans l'effort culturel pour mettre fin, autant que possible, à l’époque des falsifications dogmatiques. Un document décisif qui va dans le même sens est, entre autres, le travail récent de Domenico Losurdo sur Nietzsche en tant que rebelle aristocratique. Publier Baeumler - comme l'ont fait les Edizioni di Ar avec les précédentes Estetica. e Nietzsche filosofo e politico (= Esthétiques et Nietzsche, philosophe et homme politique) - c'est laisser des traces visibles de cette contre-pensée intimement ancrée dans l'âme européenne et articulée sur la dénonciation du modernisme progressif comme masque du chaos final. Une telle démarche, aujourd'hui, est tout simplement ignorée, faute de moyens intellectuels, ou est pliée aux besoins du pouvoir censurant, ou est reléguée au placard où sont exilées les voix de la dissonance. Ce qui, dans la logique de la pensée unique, signifie condamnation et diffamation.

 Luca Lionello Rimbotti,

in Linea, 1/12/2003) [source].

lundi, 01 février 2021

Romain D'Aspremont répond aux questions de la"Nietzsche Académie"

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Romain D'Aspremont répond aux questions de la"Nietzsche Académie"

Romain D'Aspremont est l'auteur de The Promethean Right (La Droite Prométhéenne) et de Penser l'Homme nouveau.

 Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

Il est moins le penseur qui m'a le plus influencé que celui dans lequel je me suis le plus retrouvé. Un auteur qui nous influence transforme nos opinions ; Nietzsche les a affinées, perfectionnées.

L'auteur qui a réellement transformé ma vision du monde est le philosophe idéaliste Bernardo Kastrup, pour lequel la matière n'est que la projection, l'apparence de la conscience. Tout comme Nietzsche, Kastrup est influencé par la métaphysique de Schopenhauer (la nature de la réalité est la volonté, non pas rationnelle mais instinctive).

indexbk.jpgKastrup m'a toutefois permis de réaliser que la vision cosmologique de Nietzsche, selon laquelle la nature de la réalité est la volonté de puissance qui gouverne le vivant comme l'inerte, est compatible avec les dernières découvertes dans le domaine de la physique quantique (qui rendent le matérialisme et le dualisme intenables).

Nietzsche est toutefois le seul penseur idéaliste (le “volontarisme métaphysique” de Schopenhauer et de Nietzsche est une forme d'idéalisme) à ne pas sombrer dans une vision de type bouddhiste : le cosmos ne reflète aucun “amour universel” venant apaiser le coeur des êtres maladifs pour lesquels l'existence n'est que souffrance dont il faut se libérer.

Etre nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?

Viser le dépassement de soi, du groupe, de l'espèce. Ne pas se complaire dans une nostalgie morbide, mais créer les conditions propices à l'éclosion d'une nouvelle espèce, plus énergique et créative qu'Homo Sapiens, délivrée du ressentiment, du nihilisme et de la haine de soi. Nietzsche a compris que l'Homme était une espèce maladive, qui s'est issée trop rapidement au sommet de la chaîne alimentaire, sans avoir eu le temps de développer la confiance en soi propre à tout prédateur. Notre conscience est « notre organe le plus faible et le plus faillible »; y voir un accomplissement de l'évolution darwinienne est une erreur. La nature humaine n'est qu'une ébauche, une construction branlante.

Le plus grand crime contre l'espèce serait de vouloir figer son évolution et, par là même, l'empêcher de prendre le contrôle de son avenir biologique. Voir en Nietzsche un penseur conservateur et anti-transhumaniste est erreur. Nietzsche est l'inverse d'un penseur de l'impuissance et de l'auto-limitation. Il nous intime d'affronter le danger qu'implique toute entreprise de dépassement : « L'homme est une corde tendue entre la bête et le Surhomme, une corde au-dessus d'un abîme.» Ce fil au-dessus au-dessus de l'abîme, c'est le transhumanisme ; c'est précisément la raison pour laquelle il nous faut nous y aventurer. Le dysgénisme est un abîme plus effroyable encore.

Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

Généalogie de la morale est son livre majeur car il dévoile la nature du poison qui ronge l'Occident : le Christianisme, la matrice de la gauche, de l'égalitarisme, du pacifisme, de la haine de soi. Les personnes de droite attachées à la défense du christianisme se doivent de lire ce texte, qui leur permettra de réaliser leur formidable incohérence intellectuelle. La droite se sent l'obligation de tout conserver du passé. Nietzsche souligne l'importance de l'oubli, de la purge – nécessité biologique et civilisationnelle. La mauvaise conscience faite religion ne saurait être conservée. Généalogie de la morale doit toutefois être complété par les Ecrits posthumes dans lesquels Nietzsche esquisse sa vision du Surhomme.

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Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ? 

Nietzsche est le père de la droite prométhéenne (révolutionnaire ou faustienne). Ses valeurs sont  de droite (hiérarchie, amour de la lutte) mais anti-conservatrices. Il considère les conservateurs comme une version appauvrie de la volonté de puissance : ils se contentent de conserver au lieu de croître. C'est là notre droite : une droite du juste-milieu, de la juste-limite, à taille humaine. Une droite-bonsaï. Tandis que la droite conservatrice s’interroge sur « comment conserver l’homme […], Zarathoustra demande […] comment l’homme sera-t-il surmonté [1]? »

La droite est tellement sclérosée dans son conservatisme que la volonté nietzschéenne de forger un homme nouveau – le Surhomme – est parfois assimilée à une entreprise gauchiste. Depuis la défaite du fascisme, le concept de progrès est tout entier assimilé à la gauche : que l'on ne cherche pas plus loin la cause profonde de la mort de l'Occident et de la suprématie  idéologique de la gauche. Nietzsche nous permet de comprendre, ou plutôt de redécouvrir, que la volonté de dépassement et de progrès (osons nous emparer de ce concept !) est intrinsèquement de droite, car elle est le moteur même du vivant. La gauche est le royaume de l'égalitarisme, de la conservation, c'est-à-dire de la mort. La droite doit être celui du dépassement, de la rupture : « L’homme est le prétexte à quelque chose qui n’est plus l’homme ! C’est la conservation de l’espèce que vous voulez ? Je dis : dépassement de l’espèce[2]. » 

unnamedfnz.jpgPour notre époque, cela signifie embrasser le transhumanisme, au moins dans sa dimension génétique (plutôt que cybernétique). Dans Zarathoustra, la dimension eugéniste est explicite, avec cet appel à améliorer l’espèce : « C’est un corps supérieur que tu dois créer (...) – c’est un créateur que tu dois créer. Mariage : ainsi je nomme de deux être le vouloir de créer un seul être qui soit plus que ses créateurs. »

Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?

Trop peu parmi les auteurs majeurs. Spengler s'en approche, mais il demeure hélas trop conservateur. Pour Nietzsche, l'âge d'or est à venir tandis que Spengler demeure désespérement décliniste.

La Doctrine du Fascisme, co-écrit par Giovanni Gentile et Mussolini, est une remarquable tentative de transformer l'individualisme de Nietzsche en une idéologie du dépassement collectif, dans le cadre d'un Etat totalitaire. Si cette oeuvre semble trahir la pensée de Nietzsche (penseur de l'individu, aux antipodes d'un Etat totalitaire), il faut garder à l'esprit qu'il nous exhorte souvent à ne pas concevoir ses écrits comme formant une doctrine.

Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?

 Par-delà le bien et le mal, il est créateur de valeurs nouvelles, c'est pourquoi il est si délicat à définir. Il est un processus de dépassement permanent vers un surplus maîtrisé de vitalité, d'instincts, de sensibilité et de chaos intérieur.

L’élitisme nietzschéen, qui affirme qu’ « un peuple est le détour que prend la nature pour produire six ou sept grands hommes – et ensuite pour s’en dispenser » est individualiste, ce qui le rend difficile à traduire politiquement. Ses surhommes semblent des demi-dieux solitaires et nomades, hermétiques les uns aux autres ; dans ces conditions, la société est à peine possible. Il semble qu’il n’y ait pas un seul type de surhomme, mais une infinité.

Le rapport entre les surhommes et les hommes du troupeau n’est pas non plus hiérarchique. Nulle volonté de gouverner la masse, ni même de l’élever : « Le but n’est absolument pas de comprendre [les Surhommes] comme maîtres des premiers, mais au contraire : il doit y avoir deux espèces qui coexistent : les uns comme les dieux épicuriens, ne se souciant pas des autres ». C’est un élitisme de la frontière, de l’éloignement. Toute relation entre les surhumains et le troupeau est synonyme d’abaissement des premiers.

Si l’homme fasciste se sacrifie pour la communauté, Nietzsche préfère sacrifier la communauté pour qu’advienne le surhumain. Cet individualisme est séduisant pour la jeunesse, mais il est également la raison pour laquelle la pensée de Nietzsche ne saurait, telle quelle, régénérer l'Occident, enferré dans un individualisme jouisseur. Il nous faut penser un juste milieu entre Nietzsche et Mussolini.

Votre citation favorite de Nietzsche ?

« L'homme est une corde tendue entre la bête et le Surhomme, une corde au-dessus d'un abîme.»

Notes:

[1]Zarathoustra, livre IV, « De l'homme supérieur ».

[2]Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes, IX, Gallimard. p. 214.  

dimanche, 17 janvier 2021

Rémi Soulié: Nietzsche, l'avenir des Européens ?

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Nietzsche, l'avenir des Européens ?

Le Zoom avec Rémi Soulié - TVL

Philosophe et écrivain de renom, Rémi Soulié a écrit la postface d'une anthologie des œuvres de Friedrich Nietzsche réalisée Pierre-Marie Durand. Rémi Soulié évoque les deux parties de l'ouvrage : décadence et renaissance. Il définit la notion de "derniers hommes" que Pierre-Marie Durand qualifie d'avortons et autres crevettes bien-pensantes de notre temps. Pour Rémi Soulié, toute l'œuvre de Nietzsche vise à laisser mourir le vieil homme en nous, "le dernier homme", pour retrouver les voix de la volonté et de la puissance. Un message qui reste d'une vibrante actualité.
 
 
Retrouvez-nous sur : https://www.tvlibertes.com/
 

rémi soulié,philosophie,friedrich nietzsche

Anthologie Friedrich Nietzsche : L’Avenir des Européens

21,00 (port compris)

Pour commander : https://www.tvlibertes.com/produit/anthologie-friedrich-nietzsche-lavenir-des-europeens

Nietzsche demeure un éveilleur que les âmes nobles et fortes se doivent de connaître et de fréquenter assidûment, sans préjugés ni certitudes. Mais comment aborder ce massif de textes et s’en faire un allié dans la tempête ? En laissant mourir le vieil homme en nous ― le Dernier Homme ― pour retrouver les voies de la volonté, de la puissance et du devenir.
Cette anthologie originale mobilise une centaine de textes pour répondre à l’une des questions sans doute les plus cruciales de notre temps : l’avenir des Européens.
La première partie, « Décadence », analyse l’origine de la déchéance de l’Europe depuis son effondrement intérieur sous l’Empire romain jusqu’au nihilisme contemporain. La deuxième partie, «Renaissance», explore les pistes de la grande aventure à venir de l’Europe pour ceux de ses fils qui sauront renouer avec son héritage antique sur les chemins étroits et héroïques de la surhumanité.
G. K. Chesterton dénonçait des «vertus chrétiennes devenues folles ». Nietzsche commande : « Deviens ce que tu es. »

jeudi, 17 septembre 2020

Julien Rochedy : « Lire Nietzsche est très intéressant au moment où l’Europe est en danger de mort »

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Julien Rochedy : « Lire Nietzsche est très intéressant au moment où l’Europe est en danger de mort » [Interview]

Ex: https://www.breizh-info.com

Julien Rochedy se présente comme « un retraité de la politique, jeune essayiste, combattant pour le futur et l’identité de l’Europe ». Il vient de publier un livre intitulé Nietzsche l’actuel, consacré au philosophe allemand comme son nom l’indique, avec dans la foulée Nietzsche et l’Europe.

Un livre qui permettra à ceux qui ont du mal à pénétrer l’univers de Nietzsche d’enfin le faire, car particulièrement accessible. Nous le recommandons vivement (il a été publié en auto édition, et peut se commander ici).

Nous nous sommes entretenus avec Julien Rochedy de son ouvrage.

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Breizh-info.com : Question qui fâche : n’êtes-vous pas un peu jeune encore pour prétendre avoir compris et analysé l’œuvre de Nietzsche dans son ensemble ?

Julien Rochedy : J’ai commencé à lire Nietzsche quand j’avais quatorze ans. Cela fait donc plus de dix-huit ans ans que je le lis, et mieux, qu’il m’accompagne. De surcroît, je n’ai pas d’approche « universitaire » de son œuvre, ce qui rend la lecture de mon livre d’autant plus accessible.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous attire, vous fascine, chez le philosophe allemand ?

Julien Rochedy : Il a été mon maître pendant des années et je lui dois l’essentiel de ma vision du monde. J’aime la force de son écriture, l’amoralisme de ses idées, l’actualité brûlante de ses questions. Il est à la fois un roboratif dans le cadre d’un développement personnel exigeant, et une lumière pour éclairer les phénomènes qui nous entourent.

Breizh-info.com : Vous écrivez que nous vivons aujourd’hui l’apogée, ou plutôt l’acmé, de ce que Nietzsche avait vu et prévu en Europe, c’est-à-dire ?

Julien Rochedy : Nietzsche pose la question du nihilisme après l’évènement colossal de ce qu’il appelle « la mort de Dieu », c’est-à-dire la quasi-suppression de la religion dans les déterminants majeurs de notre civilisation. Les conséquences de cette « mort », à entendre d’un point de vue symbolique, peuvent être funestes pour les coupables de ce crime, à savoir les Européens. Nous vivons aujourd’hui l’acmé de ce nihilisme, dont l’un des symptômes est cette volonté radicale d’en finir avec notre civilisation, c’est-à-dire avec nous-mêmes.

Breizh-info.com : Au même titre que le marxisme semble aujourd’hui – eu égard à l’évolution de nos sociétés – en partie dépassé, la philosophie de Nietzsche ne l’est-elle pas également, lui qui a pensé en un autre temps, profondément différent ?

Julien Rochedy : Je crois au contraire que Nietzsche est plus actuel que jamais. Lui même disait qu’il ne serait vraiment compris que dans un siècle, autrement dit à notre époque. Nietzsche a vu la plupart des phénomènes qui allaient conduire à la situation que nous sommes en train de vivre. Maintenant arrive le moment de vérité : c’est au bord du précipice que nous pourrons nous sauver.

Breizh-info.com : En quoi votre ouvrage, Nietzsche et l’Europe, prolonge-t-il votre introduction à sa philosophie ? En quoi est-ce profondément d’actualité ?

Julien Rochedy : J’ai ajouté à mon introduction à la philosophie nietzschéenne « Nietzsche l’actuel » le mémoire que j’avais écrit durant mes années universitaires : « Nietzsche et l’Europe ». Il est très intéressant de lire celui qui se considérait comme un bon Européen, car au moment où l’Europe est en danger de mort, il est peut-être celui qui la connaissait le mieux, qui décrivit parfaitement les terribles menaces planant au dessus de sa tête, et qui révéla surtout les idées pour qu’elle se métamorphose.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V

jeudi, 02 juillet 2020

DEVENEZ DES SURHOMMES

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DEVENEZ DES SURHOMMES

Le Soleil se lève #8

( @Julien Rochedy @Thomas Ferrier)

 
 
 
Bienvenue pour le huitième podcast du Soleil se lève, l'émission mensuelle de l'ECP avec comme invités spéciaux @Julien Rochedy et @Thomas Ferrier .
 
Autres intervenants : Lucien Lachance, Djuky (@Jacky l'espoir) et Philosophischer Stahl.
 
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THÈME DU MOIS : NIETZSCHE L'ACTUEL - NIETZSCHE ET L'EUROPE, Julien Rochedy, 2020 https://www.rochedy.com/livres/nietzs... 
LA PROMO DU MOIS : Noir Sur Noir (jeu de société) https://cutt.ly/siteweb_NoirSurNoir 
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SOMMAIRE 00:00:00
Introduction et présentation des invités 00:02:49
L'invité du jour (Julien Rochedy, Nietzsche l'actuel) 00:58:58
Le JT de vv 01:20:28
L'info du mois : Communautarisme Tchétchène 01:39:50
La promo du mois : Noir Sur Noir (jeu de société) 01:47:25
Présentation des initiatives des invités ------------------------------------------------------------------------------------------------
REMERCIEMENTS
Un grand merci à experts audiovisuels : Juigi di Pesto, Crusty, MacMucus, Prince NoBongo et Hektor ! Un grand merci aussi à tous ceux, connus ou non, qui nous ont partagés. Merci à tous ceux qui nous soutiennent sur Tipeee (notamment Salt Piotr) et sans qui ce travail ne serait plus possible. Enfin, merci à vous tous pour votre soutien et votre confiance ! ------------------------------------------------------------------------------------------------

lundi, 22 juin 2020

Nietzsche, la souffrance et la maladie

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Nietzsche, la souffrance et la maladie

par Jean-Marc Dupuis

Ex: https://www.santenatureinnovation.com

A l’âge de 4 ans, le jeune Friedrich Nietzsche perd son père, qu’il adorait.

Peu après survient la mort de son petit frère, Joseph.

Etudiant, il attrape la syphilis, une maladie infectieuse mortelle et très douloureuse.

Il passera le reste de sa vie accablé de nausées, de terribles maux de tête, de vomissements. Il restera parfois des journées entières dans une cécité complète. Il est obligé d’abandonner la carrière universitaire brillante qui l’attendait, et se réfugie dans une chambre modeste qu’il loue à un fermier au plus profond de la Suisse, seul endroit où sa santé fragile lui permet de survivre.

En hiver 1880, il tombe dans le “trou noir de son existence”. Il est au fond de l’abîme, au bord du suicide. Il rencontre une jeune Russe, Lou Salomé, et semble trouver enfin le bonheur. Mais l’aventure tourne au fiasco.

Elle laisse Nietzsche profondément blessé, en 1883 :

«Je ne comprends plus du tout à quoi bon vivre, ne fût-ce que six mois de plus. Tout est ennuyeux, douloureux, dégoûtant !», écrit-il.

Il n’eut que des déceptions avec les femmes, qui étaient il est vrai effrayées par son énorme moustache. “Grâce à ta femme, tu es cent fois plus heureux que moi”, écrit-il à un ami.

Mais la syphilis, qui attaque le cerveau, gagne du terrain. Il perd la raison. Il est interné en hôpital psychiatrique puis meurt dans une misère noire.

Ses livres ne connaissent, durant sa vie, aucun succès, tant il est en décalage avec ses contemporains. Nietzsche vit dans une grande pauvreté, presque totalement incompris.

Nietzsche avait l’expérience de la souffrance, et voici ce qu’il recommandait de faire

Nous avons tous des zones sombres dans notre vie. Nous avons tous des difficultés qui paraissent insurmontables. Nous connaissons tous des échecs.

La plupart des philosophes ont essayé de nous aider à réduire nos souffrances. Ils nous ont donné des conseils pour nous consoler, et nous aider à nous débarrasser de nos douleurs.

Friedrich Nietzsche ne voyait pas les choses ainsi.

Il pensait que toutes les sortes de souffrances et d’échecs sont en réalité la clé vers le bonheur, et devraient donc être accueillies avec joie.

Pour lui, il ne peut y avoir de joie que dans le fait de surmonter des défis.

Plus grands sont les défis, plus grande est la joie, comme l’alpiniste recherche des montagnes plus hautes et plus difficiles à vaincre. C’est du haut de ces montagnes que l’on peut contempler les vues les plus belles, respirer l’air le plus pur. Et les parois les plus vertigineuses sont aussi celles qui ont la plus fascinante beauté.

“A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire”

A l’inverse de tous les philosophes, Nietzsche pensait que c’était un avantage, que d’avoir de graves déconvenues dans sa vie !

Il écrivait :

“À tous ceux à qui je porte intérêt, je souhaite la souffrance, l’abandon, la maladie, les mauvais traitements, le déshonneur ; je souhaite que ne leur soient épargnés ni le profond mépris de soi, ni le martyr de la méfiance envers soi; je n’ai point pitié d’eux, car je leur souhaite la seule chose qui puisse montrer aujourd’hui si un homme a de la valeur ou non : de tenir bon…”

Pour atteindre quoi que ce soit de valable, estimait Nietzsche, il faut faire des efforts gigantesques.

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Nietzsche avait une vie routinière. Il se levait à 5h du matin, écrivait jusqu’à midi, puis allait marcher sur les immenses montagnes qui entouraient son village. De sa fenêtre, il pouvait contempler de magnifiques paysages qui parlaient à son âme.

“ Ne venez surtout pas me parler de dons naturels, de talents innés ! On peut citer dans tous les domaines de grands hommes qui étaient peu doués. Mais la grandeur leur est venue, ils se sont faits « génie » (comme on dit)”, écrivait-il.

Et ils l’ont fait en surmontant les difficultés.

“Ce n’est pas par le génie, c’est par la souffrance, par elle seule, qu’on cesse d’être une marionnette”, écrira après lui le philosophe nietzschéen Emil Cioran.

La difficulté est la norme

La difficulté est la norme.

Nous éprouvons de la douleur à cause de la différence que nous constatons entre la personne que nous sommes, et celle que nous pourrions être.

Mais évidemment, souffrir ne suffit pas. Sinon, nous serions tous des génies ! Le défi, c’est de bien réagir à la souffrance.

Nietzsche pensait que nous devions considérer nos problèmes comme un jardinier regarde ses plantes. Le jardinier transforme des racines, des oignons, des tubercules, qui paraissent très laides, en de jolies plantes portant des fleurs et des fruits.

Dans nos vies, il s’agit de prendre des choses qui paraissent “moches”, et essayer d’en sortir quelque chose de beau.

L’envie peut nous conduire à nuire à notre voisin, mais aussi à une émulation nous conduisant à donner le meilleur de nous-même. L’anxiété peut nous paralyser, mais aussi nous conduire à une analyse précise de ce qui ne va pas dans notre vie, et ainsi à la sérénité. Les critiques sont douloureuses mais elles nous poussent, en général, à adapter notre conduite.

Concernant la maladie elle-même, Nietzsche a écrit ceci :

« Quant à la longue maladie qui me mine, ne lui dois-je pas infiniment plus qu’à ma bonne santé ? Je lui dois une santé supérieure, que fortifie tout ce qui ne tue pas ! Je lui dois ma philosophie. Seule la grande douleur affranchit tout à fait l’esprit. ”

Mais bien entendu, les choses se passent en plusieurs temps : la “joie”, le “sens” de la maladie ne surviennent pas au moment où vous êtes en train de souffrir. Cela n’apparaît que lentement, et après coup, lorsque la vie offre une forme de répit. C’est alors, seulement, qu’on peut se retourner et voir le côté positif de l’épreuve.

“D’abord il y a la crucifixion ; ensuite seulement vient la résurrection”, me disait un ami. Mais au moment où l’on est cloué sur la croix, ce n’est jamais drôle, évidemment… Ce qui me fait penser que, au fond, ces réflexions de Nietzsche ne peuvent être comprises que par les personnes d’un certain âge, qui ont déjà vécu, eu le temps de cicatriser leurs épreuves, et de prendre du recul.

Tout le monde n’a pas cette chance, et Nietzsche qui est mort à 56 ans, un âge respectable pour l’époque, aurait sans doute pu insister un peu plus sur ce point…

A votre santé !

Jean-Marc Dupuis

 

dimanche, 24 mai 2020

Nietzsche et l'Histoire, Nietzsche dans l'Histoire

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Nietzsche et l'Histoire, Nietzsche dans l'Histoire

"La Grande H.", Dorian Astor

 
fn-cons.jpgL'histoire est indispensable pour comprendre le présent : assurément... et voilà un lieu commun somme toute rassurant. Mais quelle(s) histoire(s), faite(s) par qui, et comment ? Y-a-t-il une manière neutre d'aborder le passé, ou plus recommandable que d'autres qui seraient trop orientées ou militantes ? Les historiens peuvent-ils s'ériger en arbitres des usages du passé – en particulier de ses usages ou instrumentalisations politiques ? Le savoir et l'érudition sont-ils en mesure de dire le dernier mot sur ce qui a eu lieu, et quelles seraient les conséquences de cette prétention ? La pensée d'un philosophe du XIXe siècle, Friedrich Nietzsche (1844-1900), peut aider à poser ces problèmes très actuels. En 1874, dans sa deuxième "Considération inactuelle", intitulée "De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie", Nietzsche mettait en évidence les enjeux cruciaux de la "science historique" et de notre rapport au passé.
 
Pour en parler, "La grande H." a sollicité Dorian Astor, philosophe, germaniste et spécialiste de Nietzsche.
 
Motion design Jaques Muller, montage Bérénice Sevestre.
Une émission de Julien Théry.
 
** Pour en savoir plus
– D. Astor, Nietzsche, Biographies Gallimard, 2011
– D. Astor, Nietzsche. La détresse du présent, Folio, 2014
– D. Astor, Dictionnaire Nietzsche, Robert Laffont, 2017
– G. Colli, Après Nietzsche, trad. fr. L'éclat, 1987, rééd. 2000.
– G. Deleuze, Nietzsche, PUF, 1965, rééd. 1999
– G. Deleuze, Nietzsche et la philosophie, PUF, 4e éd. 1974
– M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l'histoire », dans Hommage à Jean Hippolyte, PUF, 1971, p. 145-172, téléchargeable en ligne : https://www.unil.ch/files/live/sites/...
– M. Montinari, Friedrich Nietzsche, trad. fr. PUF, 2001.
– M. Perrot (dir.), L'impossible prison, Le Seuil, 1980
– Ainsi parlait Zarathoustra, livre 1 lu par Michael Lonsdale : https://youtu.be/MlvHSb_0IiE

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vendredi, 22 mai 2020

Dorian Astor - Le Dionysos de Nietzsche

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Dorian Astor - Le Dionysos de Nietzsche

 
Interview de Dorian Astor sur le Dionysos de Nietzsche, de La Naissance de la Tragédie (1872) à Ecce Homo (1888). Dorian Astor a écrit une biographie de Nietzsche (2011), un essai sur Nietzsche (La Détresse du Présent, 2014), a dirigé le dictionnaire Nietzsche (2017), a coordonné un ouvrage collectif sur Nietzsche (Pourquoi nous sommes nietzschéens, 2016), et collabore à la direction des oeuvres complètes de Nietzsche dans la collection de la Pléiade (tome 2 publié en 2019), et écrit nombre d'articles sur le "philosophe au marteau".
 

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lundi, 13 avril 2020

Friedrich Nietzsche: das Leben bejahen mit Volker Gerhardt

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Friedrich Nietzsche: das Leben bejahen mit Volker Gerhardt

Sternstunde Philosophie | SRF Kultur

 
Barbara Bleisch diskutiert in der SRF Sternstunde Philosophie mit Nietzsche-Experte Volker Gerhardt. Die Beziehung Nietzsche-Wagner begann als Freundschaft: Beide verehrten Schopenhauer und liebten die Musik. Doch während Wagner die jenseitige Erlösung pries, feierte Nietzsche die diesseitige Bejahung des Lebens. Ein Gespräch über Lebensfreude, über den Tod Gottes und den Triumph der Kunst.
 
Sternstunde Philosophie vom 12.05.2013
 
 
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00:26 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, friedrich nietzsche, allemagne | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook