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mercredi, 29 octobre 2008
H. von Hofmannsthal et "l'enténèbrement du monde"
Hugo von Hofmannsthal et « l’enténèbrement du monde »
Hugo von Hofmannsthal (1874-1929), un des inventeurs si ce n’est l’inventeur de la notion de Révolution conservatrice, écrivait en 1928 à un de ses amis : « avec l’effondrement de l’Autriche, j’ai perdu le terreau dans lequel j’étais enraciné » (Les écrits comme espace spirituel de la nation). La langue nous fait peuple et c’est en tant que la langue nous habite que nous pouvons être créateur. Pas de nation sans langue, et pas de mémoire sans langue. Hofmannsthal écrit : « le passé nous parle » (…) dans la langue et une « cohésion particulière se met à agir entre les générations. Nous pressentons derrière elle le gouvernement d’un quelque chose que nous nous risquons à appeler l’esprit de la nation ». Ce lien entre les lettres et l’existence nationale est indissoluble sauf à voir les nations mourir en même temps que les lettres.
Hofmannsthal remarquait : « La littérature des Français leur garantit leur réalité… Rien n’est réalité dans la vie politique de la nation qui n’existerait pas en esprit dans sa littérature, rien n’est contenu dans cette littérature pleine de vie et sans rêves qui ne se réaliserait pas dans la vie de la nation. Sur l’homme de lettres, dans ce ‘’paradis des morts‘’, rayonne une dignité sans pareille. Jusqu’au journaliste, fût-il le plus petit, qui peut se ranger à côté de Bossuet, de La Bruyère. Le maître d’école est compagnon de Montaigne, de Molière et de La Fontaine. Voltaire et Montesquieu parlent encore aujourd’hui pour tous, tous parlent par leur bouche ». Précisément, si « la littérature des Français leur garantit leur réalité », il n’y a plus de réalité de la France – et c’est d’ailleurs pour cela que l’on ne peut faire l’Europe car nous sommes comme des maçons dont les matériaux de base n’existeraient plus : ni poutres, ni briques, ni ardoises. L’écrivain Richard Millet note : « nation, paradis des morts, dignité, spirituel, psychologie des peuples, voilà qui ne peut que répugner aux vertueux – du moins à tous ceux qui (…) contribuent à la liquidation des valeurs dont Hofmannsthal les investissait et, au premier chef, l’idée même de nation et, par conséquent, la littérature » (Désenchantement de la littérature, Gallimard, 2007).
La France n’est plus un pays qui se donne à vivre et nous donne la vie. C’est n’est plus le lieu hérité, habité des destins de nos pères, de nos mères, de nos fils. Nous sommes condamnés à vivre, écrit Richard Millet, « dans cet espace (espace et « non plus terre, territoire, patrie ») déspiritualisé, fictif, illisible, lui aussi, qu’est devenue la France ». ll n’y a plus de « communauté de destin avec ceux que l’on appelle encore les Français ». Ne pratiquent plus qu’une « langue de Bas-Empire », ils « marchent dans les décombres d’une grande civilisation » – et j’ajoute que le pire est qu’ils ne le savent même pas. Les Français sont devenus des hommes invisibles et surtout invisibles à eux-mêmes dans « l’enténèbrement du monde »,
00:05 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lettres, lettres allemandes, littérature allemande, allemagne, autriche, révolution conservatrice, conservatisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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