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vendredi, 21 septembre 2012

Problématique et prospective géopolitiques de la question pakistanaise

 

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Andrea Jacopo SALA:

Problématique et prospective géopolitiques de la question pakistanaise

 

Ce sont les événements qui ont immédiatement suivi la fin de la seconde guerre mondiale qui constituent le point de départ à analyser pour comprendre les tensions qui ont affecté la zone la plus méridionale du continent asiatique. La fin des empires coloniaux et la volonté d’émancipation des nations émergentes ont entraîné un partage nouveau des territoires, tenant compte des réalités culturelles qui, auparavant, avaient cohabité sous une hégémonie étrangère unique, britannique en l’occurrence. On ne peut nullement se référer au découpage arbitraire que les puissances dominantes et coloniales ont imposé car elles sont une des causes premières des tensions qui ont ensanglanté ces pays, lesquels, aujourd’hui encore, présentent des cicatrices difficilement guérissables. Ces cicatrices, béantes, sont autant de bonnes opportunités pour tous ceux qui veulent s’immiscer dans les querelles intérieures et dans les contentieux diplomatiques qui affectent ces pays du Sud et du Sud-est de l’Asie, comme si les castes dirigeantes de l’Occident avaient la nostalgie du statut colonial d’antan, que ces jeunes nations ont rejeté; ces castes préfèrent encore et toujours contrôler ces pays indirectement, au bénéfice de leurs prorpes intérêts, plutôt que de prendre acte, sereinement, des maturations et des changements qui se sont effectués au fil du temps.

 

Il faut donc esquisser un bref panorama historique des événements les plus marquants qui ont accompagné la désagrégation de l’ancien “Raj” britannique, ainsi que de leurs conséquences directes, puis il faut passer au tamis toutes les problématiques liées au terrorisme, car ce terrorisme est un des moyens les plus utilisés pour intervenir dans et contre les choix politiques posés par les anciennes colonies britanniques, aussi pour s’immiscer dans les potentialités émergentes germant dans ces pays mêmes et pour freiner ou ralentir les nouvelles perspectives géopolitiques qui se révèlent réalisables depuis quelques temps.

 

Après le “Raj” britannique

 

Le “Raj” britannique des Indes (au pluriel!), on le sait, a été subdivisé en deux pays, le Pakistan et l’Inde, en 1947. C’était l’aboutissement de cette longue lutte indienne pour l’indépendance qui s’était radicalisée dans les années 20 et 30 du 20ième siècle, lutte dont les vicissitudes sont bien connues du public occidental grâce à la fascination qu’avait exercée sur bien des esprits la forte personnalité politique et spirituelle que fut Mohandas Karamchand Gandhi. Parallèlement au Parti du Congrès National Indien (PCNI), dont le “Mahatma” (Gandhi) était le membre le plus influent, existait aussi le Parti de la Ligue Musulmane (PLM), dirigé par Mohammed Ali Jinnah, tout aussi âpre dans sa lutte contre le colonialisme britannique. Dans une première phase de la lutte pour l’indépendance indienne, le PLM était allié au PCNI puisqu’ils avaient des objectifs communs. Mais, dès que les Britanniques promirent de résoudre la question indienne en renonçant à toutes prérogatives coloniales dans la région, les rapports entre le leader musulman et Gandhi se sont détériorés: tandis que le “Mahatma”, inspiré par les thèses théosophiques, rêvait d’une seule et unique nation indienne où coexisteraient pacifiquement plusieurs religions, Mohammed Ali Jinnah revendiquait l’instauration d’un Etat exclusivement islamique. La résolution du problème fut confiée à Lord Mountbatten qui a accepté la requête des Musulmans et a, par voie de conséquence, partagé le territoire du “Raj” britannique entre les dominions du Pakistan et de l’Inde.

 

Le plan Mountbatten contenait toutefois beaucoup d’approximations et de concessions arbitraires (et parfois inutiles), si bien qu’on ne pouvait guère le faire appliquer tout en voulant maintenir la paix: la zone d’influence du Pakistan était divisée fort maladroitement en un Pakistan occidental et un Pakistan oriental, séparé l’un de l’autre par un immense territoire sous juridiction indienne; de nombreux territoires, comme le Cachemire, n’avaient été attribués officiellement à aucun des deux nouveaux Etats souverains; malgré la volonté affichée d’attribuer aux uns et aux autres des territoires sur base de critères religieux et culturels, la partition laissait des zones à majorité hindoue au Pakistan et des zones à majorité musulmane au nouveau “dominion” de l’Inde.

 

 

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A cette situation délicate s’ajoutaient les prétentions chinoises sur quelques territoires de l’ancien “Raj” britannique. Le tout a enflammé la région pendant la seconde partie du 20ème siècle, aux dépens des populations. Pas moins de quatre guerres ont sévi et, suite à l’une d’elles, la zone baptisée par Lord Mountbatten “Pakistan oriental” est devenue indépendante, avec l’aide des Indiens, pour devenir l’actuel Bengladesh; la région du Cachemire a été divisée selon les lignes des fronts où s’étaient successivement affrontés Pakistanais, Indiens et Chinois. Il ne faut pas oublier non plus les nombreuses migrations qui ont suivi la partition, où les Hindous quittaient en masse les territoires sous juridiction pakistanaise-musulmane et où les Musulmans quittaient les zone attribuées à la nouvelle Inde indépendante, majoritairement hindoue. Ces transferts de population ont eu des effets fortement déstabilisants pour les équilibres internes des deux nouveaux Etats. Entretemps, alors que l’Inde optait pour la voie de la modernisation sous l’impulsion du gouvernement de Nehru, le Pakistan fut secoué par une série de coups d’Etat militaires, renversant à intervalles réguliers les régimes démocratiques.

 

Terrorisme et guerre au terrorisme

 

Après avoir déployé une politique fièrement hostile aux Etats-Unis sous la houlette de Zulfiqar Ali Bhutto, qui a ouvert le Pakistan aux technologies nucléaires, le pays tombe ensuite sous une nouvelle dictature militaire, dirigée par le Général Muhammad Zia-ul-Haq et fortement inspirée par le fondamentalisme musulman. La période de la dictature de Zia-ul-Haq fut celle d’une collaboration étroite avec les bandes anti-soviétiques actives dans le conflit afghan; ensuite, l’amitié entre Zia-ul-Haq et le chef d’une faction insurrectionnelle afghane, Gulbuddin Hekmatyar —appuyée par un financement d’au moins 600 millions de dollars en provenance des circuits de la CIA et transitant par le Pakistan— favorisait un soutien direct à la puissante guérilla intégriste qui luttait contre les Soviétiques (1).

 

L’existence même d’Al-Qaeda est issue de ce contexte conflictuel entre, d’une part, le gouvernement légal afghan, soutenu par l’Union Soviétique, et, d’autre part, l’insurrection des “moudjahiddins”. D’après l’ancien ministre britannique des affaires étrangères, Robert Cook, Al-Qaeda serait la traduction en arabe de “data-base”. Et ce même Cook affirmait dans un entretien accordé à “The Guardian”: “Pour autant que je le sache, Al-Qaeda était, à l’origine, le nom d’une ‘data-base’ (base de données) du gouvernement américain, contenant les noms des milliers de moudjahiddins enrôlés par la CIA pour combattre les Soviétiques en Afghanistan” (2). Ce que confirme par ailleurs Saad al-Fagih, chef du “Movement for Islamic Reform” en Arabie Saoudite: Ben Laden s’est bel et bien engagé, au départ, pour s’opposer à la présence soviétique en Afghanistan (3). Si cet appui initial des Américains à de telles organisations (qui seraient ensuite partiellement passées dans les rangs du terrorisme anti-occidental) explique les raisons stratégiques qui ont forcé les Etats-Unis à se rapprocher des organisations fondamentalistes islamiques, celles-ci, dès qu’elles ne fournissent plus aucun avantage stratégique et ne servent plus les intérêts géopolitiques immédiats de Washington, deviennent automatiquement “ennemies” et sont donc combattues en tant que telles.

 

Dans cette logique, on peut s’expliquer la ruine actuelle du Pakistan, sombrant dans le chaos sous le regard des Américains. Après la chute du régime de Zia-ul-Haq et pendant toute la durée du régime de Pervez Mucharraf, le gouvernement du Pakistan a été continuellement accusé de soutenir les talibans (4), surtout depuis l’opération, parachevée avec succès, visant l’arrestation du troisième personnage dans la hiérarchie d’Al-Qaeda, Khalid Shaykh Muhammad. Dans un tel contexte (et un tel imbroglio!), le ministre indien des affaires étrangères n’a pas hésité à déclarer “que le Pakistan a échoué dans ses projets d’éradiquer le terrorisme qui puise ses racines sur son prorpe territoire”: c’était immédiatmeent après les attentats de Mumbai (Bombay) (5). Ce bref rapprochement entre l’Inde et les Etats-Unis, prévisible et dirigé contre le Pakistan, ne devrait pourtant pas mener à une éventuelle intervention occidentale dans la zone du Cachemire, vu que tous les Etats impliqués dans cette zone se sont toujours montrés très rétifs à des interventions extérieures, même si de telles interventions pouvaient faire pencher la balance dans le sens de leurs propres intérêts géopolitiques. Il me paraît inutile, ici, d’évoquer la prétendue exécution du terroriste Osama Ben Laden, justement sur le territoire du Pakistan lui-même.

 

Mais pourquoi les relations américano-pakistanaises se sont-elles détériorées à ce point, et de manière assez inattendue?

 

Le tracé des gazoducs

 

La Pakistan est devenu membre observateur de l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghai) en 2005, ce qui constitue déjà un motif d’inquiétude pour les pays inféodés à l’OTAN. Cependant, ce qui constitue probablement la cause principale de la mobilisation des énergies et des médias pour discréditer la République Islamique du Pakistan est la proposition des Iraniens, séduisante pour les Pakistanais, de construire un gazoduc qui reliera les deux pays et dont Islamabad a prévu la parachèvement pour 2014. Le projet initial aurait dû également impliquer l’Inde, dans la mesure où un terminal du gazoduc y aurait abouti, mais les pressions américaines ont empêché l’adhésion de l’Inde au projet suggéré par l’Iran.

 

 

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Le projet déplait à l’évidence aux Etats-Unis non seulement parce qu’il renforce les relations entre deux pays islamiques mais aussi et surtout parce que le nouveau choix du Pakistan est diamètralement contraire aux plans prévus pour un autre gazoduc, le gazoduc dit “TAPI”, qui devrait partir du Turkménistan et passer par l’Afghanistan et le Pakistan pour aboutir en Inde, tout en étant étroitement contrôlé par des investisseurs américains.

 

Dans ce jeu, la région du Beloutchistan joue un rôle de premier plan, région habitée majoritairement par une ethnie très apparentée aux Pachtouns. Les Pachtouns sont un peuple originaire de régions aujourd’hui afghanes et se sont rendus tristement célèbres pour leurs violences et pour leurs velléités indépendantistes (tant en Iran qu’au Pakistan), sans oublier leurs trafics d’opium et d’héroïne qui posent quantité de problèmes au gouvernement pakistanais.

 

Les jeux stratégiques demeurent toutefois peu clairs et peu définis jusqu’à présent, si bien qu’il me paraît difficile de se prononcer d’une manière définitive sur les problèmes de la région. Le Pakistan reçoit encore et toujours un soutien financier de la part des Etats-Unis, en provenance directe du Pentagone; officiellement, cet argent sert à lutter contre le terrorisme mais, forcément, on peut très bien imaginer qu’il s’agit surtout de convaincre Islamabad de refuser l’offre iranienne.

 

Andrea Jacopo SALA,

Article paru sur le site italien http://www.eurasia-rivista.org/ en date du 6 août 2012.

 

Notes:

 

(1)   http://it.wikipedia.org/ Entrée sur Gulbuddin Hekmatyar.

(2)   http://www.guardian.co.uk/ , 8 juillet 2005

(3)   http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/binladen/interviews/al-fagih.html/

(4)   http://www.asiantribune.com/index.php?q=node/3231/

(5)   http://www.repubblica.it/2008/11/sezioni/esteri/india-attentato-3/dimissioni-capo-provincia/dimissioni-capo-provincia.html/

 

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