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dimanche, 15 mai 2011

Obama, le Pakistan, Ben Laden: des manoeuvres tortueuses...

Obama, le Pakistan, Ben Laden : des manoeuvres tortueuses...

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com/

Nous reproduisons ci-dessous une analyse de Jean-Paul Baquiast, publiée sur son site Europe solidaire, à propos de l'opération "Ben Laden" et de ses développements stratégico-médiatiques.

 

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Obama, le Pakistan, Ben Laden

Des nuages de fumées de plus en plus opaques continuent à être émis par les Etats-Unis pour camoufler aux yeux du monde les manoeuvres tortueuses impliquant les relations entre l'administration fédérale, le lobby militaro-industriel, le Pakistan, nombre d'autres protagonistes moins importants et dont l'affaire Ben Laden représente la partie émergée.

Nous avons dans un article précédent parlé d'enfumage, principalement dirigé contre ceux qui dans le monde entier ont le tort de chercher à comprendre le dessous des cartes. L'enfumage continue plus que jamais mais on peut regretter que Barack Obama, présenté à l'intérieur et à l'extérieur comme un parangon de bonne foi, en soit l'instrument sinon l'instigateur principal.

Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les éditorialistes non alignés de la presse américaine pour se rendre compte que plus personne sauf les naïfs invétérés ne croit en Amérique au récit héroïque présenté par Obama lui-même en annonçant le coup de mains ayant permis de supprimer Ben Laden. Existait-il encore un personnage de ce nom doté du curriculum vitae que le renseignement américain lui avait inventé. Dans l'affirmative, à supposer qu'un Ben Laden très diminué ait survécu en se cachant à Abbottabad, près d'Islamabad, comment croire que tant le Pakistan que l'Amérique aient pu l'ignorer jusqu'à ces derniers jours. Mais s'ils ne l'ignoraient pas, pourquoi faisaient-ils comme s'ils l'ignoraient et pourquoi, subitement, manifestement de connivence, l'ont-ils fait disparaître un beau jour.

L'hypothèse la plus répandue, dans les médias américains non conformistes, est que le Pentagone, la CIA et Obama, les trois grands protagonistes de cette aventure, ont eu besoin du « mythe Ben Laden » pour justifier ces dernières années, non seulement une mobilisation permanente de type sécuritaire qualifiée de « global war on terror » mais l'occupation de l'Afghanistan. Il s'est cependant trouvé que le coût de la guerre, comme ses résultats de plus en plus désastreux, obligent Obama à précipiter le retrait. Mais devant l'hostilité de la CIA représentée par son omniprésent directeur Léon Panetta, comme plus généralement de celle du lobby militaire représenté par le Pentagone, qui n'auraient pas accepté un départ pur et simple, le trio a été obligé d'inventer un éclatant fait d'armes qui rendra dans les semaines à venir ce retrait beaucoup plus acceptable. L'économie budgétaire en résultant, comme sa nouvelle aura de chef de guerre, permettra ainsi à Barack Obama d'aborder se réélection dans de bien meilleurs conditions qu'auparavant. Il saura en compensation mettre un frein aux propositions de réduction du budget militaire qui continuent à circuler dans certains cercles démocrates. 

Il semble que Panetta ait été convaincu d'accepter ce deal. En tant que sympathisant démocrate, il devrait en principe « rouler pour Obama », que ce soit aujourd'hui ou demain. Mais la CIA se garde des biscuits si l'on peut dire. Elle vient d'annoncer que Ben Laden, loin d'être un grand malade inoffensif comme le prétendaient les conspirationnistes, préparait de nouveaux attentats sur le sol américain. La CIA dispose surtout de l' « immense » réserve des documents saisis sur les ordinateurs et disques durs de Ben Laden, qu'elle sera la seule à déchiffrer. Elle pourra donc annoncer au monde exactement ce qu'elle voudra pour justifier les politiques futures du Pentagone – Pentagone dont assez normalement Panetta devrait prendre la tête en remplacement de Robert Gates apparemment disqualifié. Il s'ensuit que la liberté d'action future de Barack Obama sera nécessairement très contrainte par les révélations que les militaires et les gens du renseignement jugeront bon de faire (nous allions dire d'inventer) à partir de tous les documents qu'ils analyseront.


Quant au Pakistan, bien malin, même à Washington, qui pourrait dire ce qu'il veut vraiment, compte tenu des diverses factions qui se disputent le gouvernement, dont l'ISI et l'armée ne sont pas les moindres. On peut penser que ces dernières années, il avait intérêt lui-aussi à encourager le mythe Ben Laden, peut-être en accord secret avec la CIA. Il ne pouvait pas cependant laisser supposer qu'en fonction de cet accord il protégeait directement ledit Ben Laden, aux yeux par exemple de l'Inde.

Mais aujourd'hui, plus que les survivances d'El Qaida, aujourd'hui, ce sont les Talibans qui importent aux yeux du Pakistan. Il semble que le départ américain étant désormais programmé, il lui est devenu impératif de s'entendre avec eux pour que l'Afghanistan à ses frontières occidentales continue à lui assurer un potentiel back-up à l'égard de l'Inde. Or Ben Laden n'était en rien apprécié par les Talibans, qui y voyaient plutôt semble-t-il une émanation de l'Arabie saoudite.


Certes, orchestrée par la classe politique unanime - et pas seulement par l'opposition -, la colère monte au Pakistan. Elle éclabousse à la fois les responsables du gouvernement civil et le tout puissant appareil militaire. On leur reproche indifféremment leur dissimulation ou leur aveuglement. Mais on peut penser qu'une fois sorti du guêpier que représentait la présence de Ben Laden, ces deux forces dirigeantes s'entendront à nouveau pour continuer à ménager l'Amérique tout en jouant divers double-jeux avec les gouvernements de la région.

Ce que nous continuons pour notre compte à trouver affligeant, c'est la candeur avec laquelle les Européens admettent le récit héroïque présenté par Obama lui-même, alors que, comme nous l'avons indiqué, un nombre croissant de ses compatriotes refusent dorénavant de le laisser duper.

Jean-Paul Baquiast (Europe solidaire, 9 mai 2011)

 

lundi, 23 août 2010

Le fondamentalisme islamiste en Afghanistan et au Pakistan

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Robert STEUCKERS :

Le fondamentalisme islamiste en Afghanistan et au Pakistan

 

Extrait d’une conférence tenue à Genève au « Cercle Proudhon » en avril 2009 et à la tribune de « Terre & Peuple » (Flandre-Hainaut-Artois)

 

Quand le pouvoir royal afghan de Zaher Shah a cédé devant les modernisateurs précommunistes puis communistes, qui firent appel à l’intervention civile puis militaire de l’URSS, l’Afghanistan perdait sa neutralité, son statut d’Etat tampon entre la masse territoriale soviétique du temps de la Guerre Froide, héritière volens nolens de la masse territoriale de l’empire tsariste. En perdant cette qualité d’Etat tampon, de zone neutralisée, l’Afghanistan abandonnait le destin que lui avaient imposé les accords de Yalta et les dispositions anglo-russes antérieures de 1842 et de 1907, suite aux guerres anglo-afghanes et aux accords anglo-russes sur le partage en zones d’influence du territoire persan. La Russie, en vertu de ces accords de 1907, ne pouvait pas dépasser la ligne Téhéran-Kaboul. L’URSS, en franchissant cette ligne et en occupant le réseau routier afghan au Sud de Kaboul, enfreignait ces règles et entamait ainsi une guerre larvée contre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, très soucieux de maintenir le statu quo ante.

 

Pour répondre au défi que représentait l’Armée Rouge au sud de Kaboul, les stratégistes américains et britanniques ont mis en œuvre la tactique de l’ « insurgency », préconisée par Zbigniew Brzezinski, théoricien d’un plan plus vaste : les puissances anglo-saxonnes, et plus particulièrement la thalassocratie américaine, devaient non seulement chasser les Soviétiques d’Afghanistan, les éloigner de l’Océan Indien, mais aussi leur contester la maîtrise de l’Asie centrale, dont le territoire avait servi de tremplin à toutes les tentatives russes d’avancer en direction de l’Inde et de l’Océan Indien. Pour mettre en œuvre l’insurrection afghane destinée à épuiser l’Armée Rouge dans le guêpier que deviendra le massif de l’Hindou Kouch, les services anglo-saxons créeront de toutes pièces le mouvement des « moudjahidines », recrutés dans les tribus afghanes mais aussi dans tous les pays musulmans et dans la diaspora arabe (10.000 volontaires). Ces « moudjahidines » seront formés par le MI6 britannique et commandés par des « Seigneurs de la Guerre », des « Warlords », comme Dostan ou Massoud. Le gros des troupes proviendra de l’ethnie pachtoune, ethnie guerrière de langue indo-européenne. Ces combattants pachtounes et ces « moudjahidines » venus de tous les coins du monde islamique recevront des armes américaines et britanniques modernes, dont des missiles « Blowpipes » et « Stingers » (ces derniers étant à tête chercheuse). Jusqu’en 1992, le « Warlord » Hekmatyar recevra l’appui des Saoudiens et des Américains et ses troupes seront flanquées des pré-talibans, dans les rangs desquels Ben Laden servira d’intermédiaire saoudien. Il est le disciple d’un frère musulman palestinien formé en Egypte et replié sur Peshawar au Pakistan, dans ce que l’on appelle aujourd’hui la zone tribale pachtoune le long de la frontière afghane. Les pré-talibans, les réseaux saoudiens mâtinés de frères musulmans installés à Peshawar obtiennent rapidement le soutien des services secrets pakistanais, le fameux ISI.

 

Les « moudjahiddines » d’Hekmatyar ont donc précédé sur la scène afghane les talibans de Ben Laden. Celui-ci n’est pas le créateur de cette milice de croyants radicaux : la paternité de ce mouvement militant et armé revient au général pakistanais Naseerullah Babar. Le raisonnement de ce militaire et stratégiste pakistanais était le suivant : le Pakistan procède, dès sa création lors de la partition de l’Inde en 1947, de la tradition islamique radicale dite « déobandiste », issue de musulmans expulsés d’Inde. Le déobandisme n’a jamais cessé, au cours de l’histoire pakistanaise, d’exciter les esprits ; pour le Général Babar, il convient de recycler les têtes brûlées du déobandisme dans la Djihad, tout à la fois en Inde, et plus particulièrement au Cachemire, et en Afghanistan, puisque les Saoudiens et les Américains demandent du personnel pour une insurrection locale contre les Soviétiques ou les pouvoirs prosoviétiques en place après le départ de l’Armée Rouge. Cette disposition va dans le sens des intérêts géopolitiques du Pakistan : en effet, depuis la partition de 1947, Islamabad est préoccupé par l’absence de réelle profondeur stratégique du Pakistan face à son ennemi héréditaire indien. Si le Général Babar, par la stratégie qu’il propose aux Américains, peut ajouter la zone de peuplement pachtoune de l’Afghanistan au territoire pakistanais, il obtient ipso facto cette profondeur stratégique qui manque à son pays. Telles sont les raisons nationales qui ont poussé les services pakistanais à soutenir le projet d’insurgency, voulu par Brzezinski, et à créer une force islamiste, financée par des capitaux saoudiens, sur le territoire pakistanais. L’objectif était certes de diffuser un islam fondamentaliste mais consistait surtout à élargir l’espace stratégique pakistanais à la zone pachtoune de l’Afghanistan.

 

Dans le cadre de la guerre pour les hydrocarbures et leur acheminement, qui constitue la véritable raison de toutes les conflictualités entre les Balkans et l’Indus, les services du Général Babar et les talibans de Ben Laden sont les alliés des pétroliers américains d’UNOCAL contre leurs concurrents argentins de BRIDAS. Cette alliance durera jusqu’en 1998. A partir de ce moment-là, les talibans cessent brusquement, dans la propagande occidentale, d’être de « courageux combattants de la liberté », des « Freedom Fighters », et deviennent en un tournemain des « obscurantistes ». Des voix interpellent même brutalement l’allié officiel pakistanais : le Pakistan devient le « craddle of terror », le « berceau de la terreur ».

 

Mais était-ce une nouveauté ? Non. Naseerullah Babar était depuis longtemps déjà un obsédé de l’Afghanistan. Son rêve était de fusionner les deux pays pour avoir une profondeur géographique suffisante pour défier l’Inde. Effectivement, l’histoire nous enseigne que l’Inde est à la merci d’un ennemi extérieur qui tient les territoires du Pakistan et de l’Afghanistan actuels. C’était vrai à la veille des invasions indo-européennes de l’Inde à la protohistoire ; c’était vrai au temps de Mahmoud de Ghazni ; c’était vrai à la veille des invasions mogholes. En 1973, Mohammed Daoud renverse Zaher Shah et instaure un régime moderniste, porté par une gauche anti-islamique et « pan-pachtoune ». Daoud et les siens rêvent d’un grand Pachtounistan, réunissant les zones tribales pachtounes de l’Afghanistan et du Pakistan. L’intégrité territoriale pakistanaise est dès lors en danger et l’idéal d’une plus grande profondeur stratégique, face à l’Inde, battu en brèche. Un certain Rabbani, accompagné de deux étudiants, Hekmatyar et Massoud, se rend au Pakistan et obtient l’accord d’Ali Bhutto pour tenir, contre le nouveau pouvoir progressiste de Daoud, la vallée du Panshir. Cette menace intimide Daoud qui évitera dorénavant d’évoquer trop bruyamment l’idéal d’un grand « Pachtounistan ».  C’est alors que Naseerullah Babar présente Hekmatyar et Massoud à l’ambassadeur américain en poste au Pakistan. Nous sommes en 1979 : l’alliance entre les « moudjahiddines » et les services pakistanais et américains vient de naître.

 

Mais l’idylle est interrompue par les vicissitudes violentes de la vie politique pakistanaise. Le Général Zia ul-Haq prend le pouvoir à Islamabad. Ali Bhutto est condamné à mort et pendu. Naseerullah Babar est jeté en prison. Mais Zia ul-Haq accepte que les Américains protègent et arment le poulain de Babar, Hekmatyar, qui devient le principal représentant des « moudjahiddines ». Cette situation dure jusqu’en 1988. Cette année-là, les troupes soviétiques quittent l’Afghanistan et restituent ipso facto la situation qui existait avant leur entrée dans le pays. L’URSS ne franchit plus la ligne Téhéran-Kaboul. Elle n’est plus en contradiction avec les accords de Yalta et les modi vivendi anglo-russes de 1842 et 1907. Zia ul-Haq est tué, en même temps que l’ambassadeur américain, dans un attentat. Plus de témoins ! Et on met alors en selle la propre fille d’Ali Bhutto, Benazir Bhutto. En coulisses ressuscite le plan pakistanais d’absorber l’Afghanistan, de se doter ainsi d’une profondeur stratégique face à l’Inde et d’avoir un accès plus direct aux richesses d’Asie centrale. Ce plan, issu des cogitations de Babar, prévoit la construction d’un oléoduc d’UNOCAL. Pour le réaliser, il faut une provocation. L’ISI va la créer de toutes pièces. Une colonne de camions se dirige vers les Turkménistan mais une milice la bloque à hauteur de Kandahar. Aussitôt, téléguidés par l’ISI, le mollah Omar et les talibans prennent cette localité clef du territoire afghan. Nous sommes à un moment de l’histoire tragique de l’Afghanistan où convergent les intérêts d’UNOCAL (donc des Etats-Unis), du Pakistan et des talibans. Une fois Kandahar pris, les talibans marchent sur Kaboul, pour éliminer un pouvoir jugé trop « moderniste » et trop favorable à la Russie. Mais, coup de théâtre, Benazir Bhutto parie sur BRIDAS et non plus sur UNOCAL : on ne l’assassine pas, on ne la pend pas à un gibet comme son père mais on la fait tomber pour « corruption », avant de la remettre en selle, pour démontrer qu’il existe une alternance de pouvoir, même au Pakistan, et de la faire assassiner en pleine rue et en pleine campagne électorale. A la suite de l’éviction violente de Benazir Bhutto, Nanaz Sharif prend le pouvoir, renoue avec UNOCAL. Son successeur Musharraf sera sommé d’arrêter tout soutien aux talibans. Depuis ces événements, le Pakistan est une poudrière instable qui fragilise dangereusement les positions des Etats-Unis et de l’OTAN en Afghanistan.   

 

Ces vicissitudes de l’histoire afghane et pakistanaise démontrent que le fondamentalisme islamiste et son expression la plus virulente, les talibans, sont une pure création des services, voire un golem qui leur échappe et prend parfois des formes inattendues, et hostiles aux Etats-Unis, dans les pays musulmans et dans les diasporas musulmanes d’Europe et d’ailleurs.

 

Robert STEUCKERS.