dimanche, 23 juin 2019
SAGESSE POUR L’AGE DU LOUP Une conversation avec le Dr. Stephen Flowers
SAGESSE POUR L’AGE DU LOUP
Une conversation avec le Dr. Stephen Flowers
Propos recueillis par Michael Moynihan
L’un des paradigmes dominants de la société moderne est la fragmentation. Dans le monde de la culture populaire cela se traduit par des distractions éblouissantes et des éphémères incessants, alors que dans le monde académique cela engendre une spécialisation excessive et un refus tacite d’une simple tentative de comprendre « l’ensemble du tableau », particulièrement d’un point de vue métaphysique.
Dans cet environnement atomisé, quiconque faisant l’éloge d’une vision cohésive marquée par les valeurs traditionnelles – pour ne pas parler de standards élevés – devient automatiquement une anomalie. Et c’est le cas pour le Dr. Stephen Flowers, qui est la plus rare des espèces : un érudit avec de l’esprit, qui a un esprit obstiné mais néanmoins ouvert. Pendant plus d’un quart de siècle il a consacré ses énergies à décoder les mystères non seulement de l’ancien alphabet symbolique des Runes, mais aussi des domaines les plus profonds du mythe et de la culture germaniques dont ils provenaient. Pour Flowers, cette quête est résumée dans un seul mot, RUNA, qui est l’ancienne forme de la vieille langue gothique pour « rune » et qui était équivalente au terme grec mysterion (« mystère »). Ce fut au début des années 1970 que Flowers entendit distinctement ce mot murmuré à son oreille, et depuis ce moment il a infatigablement suivi un chemin pour comprendre ses implications.
Suivant un travail en philologie germanique et celtique sous la direction de l’estimé professeur Edgar Polomé (1920–2000), Flowers reçut son doctorat en 1984 avec une thèse intitulée Runes and Magic: Magical Formulaic Elements in the Elder Tradition (plus tard publiée par Lang, 1986). Au milieu des années 1980, Flowers commença aussi une carrière d’auteur plus publique sous le nom d’Edred Thorsson. Ses livres sur les Runes et la magie germanique (Futhark, Runelore, At the Well of Wyrd, Rune-Might, Northern Magic, The Nine Doors of Midgard, et A Book of Troth) sont devenus des classiques du genre, et bien qu’ils visent le marché du livre occulte, ils révèlent une profondeur de compréhension et un degré de connaissance qu’il est inhabituel de trouver dans ce genre.
Sous son propre nom il publia aussi des écrits moins spéculatifs, par exemple Fire & Ice [Feu et Glace], sur l’ordre magique allemand Fraternitas Saturni, et sa traduction du Galdrabók, un grimoire islandais médiéval. Son intérêt pour les sujets germaniques s’étend non seulement au passé lointain, mais aussi aux manifestations plus récentes et plus controversées, telles que la période völkisch au tournant du XIXe siècle ou les aspects ésotériques du Troisième Reich, et ses traductions du Secret des Runes de Guido von List, de Rune-Magic [Magie runique] de S.A. Kummer, ou des écrits de Karl Maria Wiligut (The Secret King: Himmler’s Lord of the Runes) ont toutes jeté une lumière érudite sur ces sujets. Il a aussi écrit Lords of the Left-Hand Path [Seigneurs de la Voie de la Main Gauche], une longue étude des courants occultes plus obscurs, et une analyse innovante des textes magiques grecs intitulée Hermetic Magic [Magie hermétique].
A la différence de beaucoup de gens qui possèdent des références académiques, Flowers ne se contenta jamais de reléguer ses intérêts à un niveau purement intellectuel, et ainsi il a été longtemps actif dans le renouveau contemporain du paganisme germanique, généralement appelé Odinisme ou Asatrù (un néologisme dérivé du vieux norrois, signifiant « loyauté aux dieux »). Il fut un membre précoce de l’organisation séminale de Stephen McNallen, l’Ásatrú Free Assembly (qui existe encore aujourd’hui sous le nom de Ásatrú Folk Assembly), et en 1979 il fonda son propre groupe initiatique, la Rune-Gild [Guilde runique], dédiée à l’exploration sérieuse des niveaux ésotériques les plus profonds de la tradition germanique, ainsi que de la culture indo-européenne dans son ensemble dont la tradition germanique n’est qu’une branche.
Au fondement de tout ce travail se trouve une croyance en l’importance profonde de la pensée germanique traditionnelle et l’éternelle pertinence de son expression mythologique. Après tout, l’anglais est une langue germanique, et notre société – fragmentée ou décadente comme elle peut l’être aujourd’hui – doit ses vraies origines autant, sinon plus, à l’Europe nordique qu’à Athènes ou Rome. Consterné par l’érosion en cours de l’appui pour les études germaniques dans la plupart des universités du monde occidental, Flowers a récemment [en 2003] dévoilé son projet le plus récent : le Woodharrow Institute [Institut Woodharrow]. Cette institution éducationnelle non-lucrative vise à maintenir et à encourager la tradition des études germaniques, proposant des cours et des publications, et interagissant avec les milieux académiques partout où cela sera possible. En plus d’administrer l’Institut, Flowers et sa femme Crystal dirigent aussi la maison d’édition Rûna-Raven, qui publie un catalogue de titres concernant des aspects variés de l’ancienne culture germanique, avec des études linguistiques spécialisées et des travaux dans des domaines apparentés.
– Michael Moynihan
Entretien
Michael Moynihan : Pouvez-vous rappeler les événements initiaux qui vous conduisirent à prendre le chemin que vous avez pris vers la compréhension des mystères de la tradition germanique ?
Stephen Flowers : J’ai commencé ma « carrière » dans la compréhension des mystères de la tradition germanique comme ce que je finirai plus tard par considérer comme un « nigaud occultistoïde ». J’étais intéressé par beaucoup de choses assez stupides. L’une de mes premières passions fut les films sur les monstres. Ma première bible fut peut-être Famous Monsters of Filmland. Mon « monstre préféré » était celui créé par Frankenstein. Il y avait simplement quelque chose sur l’origine germanique et « gothique » du mythe qui m’attirait. Avant cela je me souviens que j’étais attiré par tout ce qui était germanique (et scandinave) ; les films Les Vikings (que je vis pendant un voyage d’enfance à San Antonio) et La chute de l’empire romain m’inspirèrent vaguement par certaines scènes de « barbarie » germanique. Plus tard cela mûrit un peu en un intérêt pour la mythologie du genre Le matin des magiciens ou La lance du destin, et cela culmina dans mon « audition » du mot RUNA en 1974. Ce fut un catalyseur pour un saut qualitatif dans mon évolution. Cela me poussa à me plonger dans le fondement scientifique et académique de ce qui m’avait tant fasciné depuis l’enfance. Toute cette expérience posa le fondement de la nature de mon propre enseignement, suivant ce motif : inspiration (irrationnelle), conduisant à une étude objective (rationnelle), conduisant à une intériorisation (subjective), ce qui conduit finalement à une action objective (= compréhension/transformation personnelle).
Michael : Qu’est-ce qui amena votre initiation dans l’Asatru ou l’Odinisme organisés, et comment regardez-vous cette période aujourd’hui ?
Stephen : Au milieu des années 1970 il y avait très peu d’individus qui entretenaient l’idée d’un renouveau de l’ancienne religion germanique. Mon propre voyage individuel commença dès 1972. Cependant, je dirais que cela resta plutôt aléatoire et sans direction jusqu’en 1974, quand j’entendis le mot RUNA murmuré à mon oreille. Mais même à ce moment, avec l’inspiration venant d’une source supérieure, la lutte pour comprendre la pleine signification de tout cela était une lutte significative qui devait être menée sur le plan terrestre. Je vis des annonces à des endroits comme le magazine Fate pour l’Ásatrú Free Assembly et je fus intrigué, mais pour quelque raison je pensai qu’il ne serait pas sage de contacter ce groupe tant que je n’avais pas quelque chose de significatif à offrir. En 1975 mon travail avait pris la direction d’être davantage guidé par la discipline universitaire. Dès que j’eus fait des progrès significatifs dans la reformulation de ma philosophie runique (qui trouva une expression dans le manuscrit qui devint le livre Futhark) et dans mes études à l’Université du Texas à Austin, je me sentis prêt à prendre contact avec des groupes Asatrù.
Je rencontrai d’abord le leader de l’AFA, Stephen McNallen, au premier Althing [= Assemblée] de l’AFA durant l’été 1979. Rencontrer Steve fut une expérience qui changea ma vie. Il est l’incarnation d’un genre de spiritualité germanique qui met les paroles en action. C’est à cette époque que je fus nommé godhi [la désignation en vieux norrois pour un leader spirituel] dans l’AFA. C’est aujourd’hui la seule référence que je considère comme étant d’une certaine importance dans le monde de l’Ásatrú /Odinisme. En dépit de tout ce qui a pu se passer à la fin des années 1980 et au début des années 1990, il ne peut y avoir de doute que Stephen McNallen est la lumière de l’Asatrù américain. Je compte Steve McNallen comme un ami et un collègue et j’apprécie beaucoup le fait que c’est de lui que je reçus mon godhordh – ou « autorité en tant que godhi ».
Michael : Vous avez souvent dit à quel point la formation érudite disciplinée et fondamentale est essentielle pour comprendre les aspects ésotériques de la religion et parlé de la manière de mettre le plus efficacement ceux-ci en pratique. On peut présumer qu’un tel échange fonctionne aussi simultanément dans la direction opposée – en d’autres mots, de quelle manière positive votre implication active avec la religion a-t-elle impacté votre travail universitaire ?
Stephen : Les aspects spirituels ésotériques fonctionnent comme des formes initiales d’inspiration pour l’esprit. Cela est essentiel pour l’approche odienne [= odinique] de la vie. Il y a d’abord une impulsion « irrationnelle » ou supra-rationnelle – un éclair soudain qui place l’esprit conscient sur sa course mystérieuse. Cette impulsion, pour beaucoup, peut être une attaque déstabilisatrice dont ils ne se remettent jamais. Ils sombrent simplement de plus en plus profondément dans un océan de subjectivité. Pour d’autres, le subjectivisme est finalement équilibré par un travail rationnel. Une compréhension de l’inspiration est acquise, sans pouvoir l’« expliquer ». Permettre à l’expérience et à la vision intérieures subjectives de coexister avec une analyse rationnelle objective est essentiel pour le processus de développement personnel basé sur la symbologie traditionnelle.
Des observateurs extérieurs, mes mentors dans le monde universitaire, ont remarqué que j’avais une aptitude étrange à expliquer des mythes obscurs et à appréhender les connexions cachées entre et parmi diverses structures mythiques. Cette aptitude provenait de mon expérience intérieure qui était construite sur une base se trouvant en-dehors des modèles purement rationnels. Si l’on essaie de plonger dans les mystères de la culture symbolique d’un monde archaïque – un monde très éloigné de notre société contemporaine et de ses valeurs –, alors évidemment il faut trouver une clé qui soit autre chose que de la logique pesante ou de la spéculation hasardeuse. Pour moi cette clé est l’ouverture équilibrée à l’esprit mythique d’Odin. J’eus suffisamment de chance pour avoir des mentors académiques qui m’appuyèrent dans cette approche, qui étaient eux-mêmes des hommes spirituels. Sans leur appui intérieur, je n’aurais rien pu accomplir de ce que j’ai accompli.
Michael : Pourquoi l’idée d’un spécialiste de la religion préchrétienne qui adhère vraiment aux idées spirituelles qu’il étudie est-elle si dérangeante ? Est-ce simplement un sous-produit de la situation en Occident où tout chemin religieux sortant des croyances monothéistes « majoritaires » est décrit comme sectaire et marginal ?
Stephen : Je pense que cette attitude vient presque entièrement de deux sources : (1) l’antagonisme entre la vision-du-monde matérialiste et la vision-du-monde spirituelle traditionnelle, et (2) le fait que les adhérents de la vision-du-monde matérialiste ont saisi l’occasion d’attaquer la vision spirituelle en se basant sur les événements historiques liés à la Seconde Guerre mondiale. Cette vision-du-monde matérialiste est « monothéiste » au sens où elle autorise un seul ensemble de valeurs orthodoxes. De cette manière elle est vraiment une forme laïcisée de la religion monothéiste. Le système de pensée judéo-chrétien s’est très bien prêté à une laïcisation d’une manière telle qu’il peut être transformé en un modèle pour des théories politiques et économiques. Comme remarque additionnelle, l’islam a été beaucoup plus obstiné dans son adhésion à ses valeurs d’origine, ce qui l’a rendu très « arriéré » par rapport à ses cousins monothéistes.
Le judaïsme et le christianisme peuvent être tolérés par le monde académique de l’establishment parce qu’ils peuvent être vus comme des prototypes théoriques du modèle matérialiste et positiviste qui domine aujourd’hui l’Occident. Les modèles traditionnels antérieurs ne sont pas tant vus comme une menace pour la religion que comme une menace pour l’ordre politique et économique monolithique. Les philosophies traditionnelles préchrétiennes sont trop divergentes et multivalentes pour être contraintes à entrer dans un « marché » unique d’idées. Cela révèle l’hypocrisie fatale de l’actuel groupe de « penseurs » modernistes, qui parlent sans cesse de « multiculturalisme » et de tolérance, mais qui soutiennent exclusivement des modèles socio-économiques monolithiques qui mettent en œuvre le contraire de ce qu’ils approuvent publiquement. L’ancien monde traditionnel et préchrétien est sûrement plus en accord avec ce qui sonne vraiment le mieux pour la plupart des gens. Les anciennes et préchrétiennes Athènes et Alexandrie ne sont-elles pas des modèles plus idéaux pour l’avenir, plutôt que la Rome ou la Constantinople du Moyen Age ?
Il est clair que l’animosité envers ceux qui voient une valeur dans les modèles préchrétiens ne vient pas du coté religieux du débat, mais plutôt du défi laïc que le traditionalisme représente pour l’ordre politique actuel. Ce qui est nécessaire, c’est une campagne pour la rééducation du monde universitaire pour montrer qu’un futur idéalisé a plus de chances d’être basé sur la mosaïque des traditions préchrétiennes plutôt que sur le modèle chrétien monolithique.
Les spécialistes de la tradition préchrétienne doivent en fait être sympathiques et même empathiques vis-à-vis des paradigmes qu’ils étudient. S’ils n’ont pas un lien subjectif avec le paradigme qu’ils cherchent à comprendre, alors ils ont catégoriquement placé une barrière infranchissable entre eux-mêmes et l’« objet » qu’ils cherchent à comprendre. C’est pourquoi ils se sont en fait disqualifiés pour la simple capacité de vraiment comprendre les modèles de pensée en question.
Michael : Vous avez toujours tenté d’encourager ceux qui sont impliqués dans le néo-paganisme à maintenir un haut niveau intellectuel, et dès que possible de poursuivre activement une étude universitaire sérieuse. Avez-vous remarqué un nombre significatif de gens prêts à relever ce défi ?
Stephen : Jusqu’ici je dirais qu’il y a eu en effet un nombre significatif de gens qui ont relevé ce défi de poursuivre des buts universitaires comme un moyen pour placer leurs vies spirituelles intérieures sur un fondement plus solide. Le nombre peut être significatif, mais pas grand. On peut espérer qu’avec l’arrivée du nouveau Woodharrow Institute un plus grand nombre de gens « saisira » ce que je tente de transmettre dans cette tendance. Tout le monde « néo-païen » a été transformé en un secteur de la mentalité « underground » bohême de la culture anglo-saxonne (cela inclut l’Américain imitatif). Ce que j’essaie de faire, c’est simplement de reconnecter la culture anglo-saxonne avec ses racines germaniques plus organiques. Cela inclut la manière dont l’idée de « néo-paganisme » est approchée.
Comme je l’ai exposé dans mon essai « How to Be a Heathen » [Comment être un païen], publié dans le volume Blue Runa (Rûna-Raven, 2001), il y eut un temps où la « connaissance païenne » désignait d’abord quelque chose qui était rigoureux, et qui évoluait graduellement vers des domaines supérieurs de ce qui est ordinairement ineffable. La « foi chrétienne » était quelque chose qui s’opposait à la « connaissance païenne » et qui était caractérisée par le subjectivisme et des appels incessants à des autorités invérifiables du début à la fin du processus. De cette manière, on peut voir que le « New Ager » ou le « Wiccan » typique est en fait paradigmatiquement beaucoup plus proche du modèle de pensée chrétien originel que ne l’est le « croyant chrétien » moyen aujourd’hui. Les séminaristes chrétiens sérieux ne songeraient pas à ignorer l’étude du latin, du grec et de l’hébreu, et pourtant les nombreux aspirants à la « prêtrise » d’Asatru aujourd’hui pensent qu’il est déraisonnable de leur demander d’apprendre le vieux norrois. Il est remarquable de noter le nombre de gens qui ne connaissent même pas correctement la grammaire de leur « nom nordique » supposé !
Les raisons de cette apparente quasi-hostilité à l’étude font partie de la mentalité « anti crâne d’œuf » anglo-saxonne. Par contre on peut remarquer que certains des revivalistes allemands du tournant du siècle étaient en fait des professeurs, par exemple Jakob Wilhelm Hauer (Tübingen) et Ernst Bergmann (Leipzig). Ce préjugé culturel intérieur doit d’abord être reconnu avant de pouvoir être surmonté. Ne pensez pas une minute que je fasse l’éloge de la grande sagesse ou du grand caractère de l’universitaire moderne typique. Le monde universitaire est actuellement en déclin. Cependant, la connaissance fondamentale et systématique possédée par ceux qui ont passé des décennies dans des études spécialisées, et qui ont été les récipients traditionnels de la connaissance transmise par plusieurs générations antérieures d’érudits est une ressource qui nous est indispensable.
Michael : Si votre centre d’intérêt est généralement la culture germanique ou nord-européenne traditionnelle, vous avez aussi traité d’autres domaines dans une partie de votre travail, comme avec le livre Hermetic Magic [Magie hermétique]. Quelle était votre motivation pour faire cela – et comment ces domaines apparemment distincts s’accordent-ils ou se fécondent-ils mutuellement ?
Stephen : Dans Hermetic Magic, je me suis concentré sur les opérations des papyri magiques grecs qui utilisaient le pouvoir symbolique du langage et de l’alphabet (c’est-à-dire les opérations les plus influencées par le grec). En fait il y a beaucoup d’enrichissements mutuels possibles entre les traditions germaniques et grecques de magie verbale et alphabétique. Le livre Hermetic Magic fut une expérimentation pour l’usage du principe des RUNA dans le décodage d’une tradition autre que la germanique. Cela se révéla généralement fructueux. Une grande partie de ce qu’était la magie hermétique a été perdue dans la magie du style Golden Dawn/OTO des gentlemen de l’époque victorienne. Hermetic Magic est une tentative pour aller au fond des choses, c’est-à-dire à revenir aux sources de ce qu’est la magie hermétique, afin d’arriver à une perspective fraiche et éternelle sur le pouvoir de la volonté humaine. C’est un exercice sur le pouvoir des RUNA, des Mysterion, tel que je le vois. Hermetic Magic montre ce qui peut être fait avec le principe des RUNA/Mysterion. Que cela ait été généralement ignoré par la foule de l’« hermétisme » ordinaire ne fait que montrer à quel point la véritable tradition est ésotérique.
Michael : L’œuvre de Georges Dumézil, le spécialiste français de l’étude comparative des religions indo-européennes, a eu une forte influence sur votre propre attitude. Quels sont d’après vous les aspects les plus importants de son œuvre, et pourquoi vous ont-ils inspiré à un tel degré ?
Stephen : Avant tout, je suppose que j’y suis venu par tradition. Mon propre enseignant, et Doktorvater, Edgar Polomé, était un dumézilien (qualifié). En plus de ce que j’ai appris dans ses cours, cependant, j’ai compris que ses études objectives (qui impliquaient de faire des dossiers détaillés sur les divers dieux indo-européens, etc.) associées à son approche structuraliste permettaient les débuts d’une synthèse contemporaine et vivante des idées anciennes et de celles de Jung et d’autres. Les idées de Dumézil sont (1) exactes et objectivement vérifiables à un grand degré, et (2) sont des outils puissants pour un travail réel d’auto-transformation.
Michael : Ces dernières années il semble y avoir eu un effort conséquent de la part de certains segments de la communauté universitaire pour discréditer l’œuvre de Dumézil, et spécialement sa formulation du modèle tripartite/trifonctionnel. De telles tentatives rappellent celles qui furent dirigées contre Mircea Eliade et d’autres spécialistes de la religion et du mythe. Pourquoi cette animosité, et de quoi ces discréditeurs ont-ils si peur ?
Stephen : Ils craignent la résurgence de la culture indo-européenne. Ils ont intellectuellement adopté l’idée que l’internationalisme est bon et que tout ce qui glorifie le monde non-européen est préférable à tout ce qui semble accorder du prestige à la culture européenne. Tout cela est très ironique parce que les idéaux dont ils s’inspirent sont entièrement d’origine européenne. Cependant, par idéologie, mais probablement plus par une sorte de mode intellectuelle, l’establishment universitaire fronce les sourcils devant tout ce qu’il considère comme « glorifiant » la culture européenne. Ils diraient probablement que leurs raisons pour cela ont vaguement à voir avec l’Allemagne des années 1930. Dans des conversations avec des spécialistes allemands en runologie, j’ai découvert que les mêmes choses arrivent maintenant dans les universités allemandes que celles qui arrivèrent dans les universités américaines dans les années 1980 et 1990 – tout ce qui a un lien avec l’Europe nordique antique ou médiévale est démantelé.
Il y a aussi la crainte que l’Europe soit vraiment capable de faire la paix avec elle-même en se basant sur le modèle indo-européen, plutôt que sur le modèle chrétien et/ou marxiste. Cela discréditerait leurs préjugés intellectuels une fois de plus. Spécifiquement avec Dumézil et la théorie tripartite, ses théories ont le potentiel pour former la base d’une unité culturelle pan-indo-européenne. Elles sont le plus grand défi au christianisme et au positivisme matérialiste au XXe siècle. Donc ce n’est pas sans quelque justification que Dumézil a été si souvent attaqué. Ses théories représentent un défi, et ne sont pas de simples curiosités intellectuelles. Elles appellent une certaine sorte d’action et une certaine sorte de changement pour le lecteur de ses idées.
Le vilain petit secret est probablement simplement que dans le milieu universitaire l’étude des langues anciennes et de l’histoire ancienne est difficile, alors que ce par quoi ils remplacent tout cela est relativement facile. De sorte que la « guerre contre les Indo-Européens » fait en réalité partie de l’« abêtissement » général du milieu universitaire.
Michael : Il n’y a pas si longtemps vous avez assisté à une conférence internationale de spécialistes en runologie au Danemark. Quelles ont été vos impressions sur la manière dont cette discipline se comporte dans le monde universitaire d’aujourd’hui ?
Stephen : Le domaine universitaire de la runologie, comme toute autre discipline universitaire, est sujet aux dictats de la mode et du changement des tendances intellectuelles (c’est en cela qu’une discipline universitaire diffère d’une discipline Traditionnelle). La plupart des runologues du XIXe siècle et du début du XXe acceptaient la relation entre la religion ou la magie et les runes comme un fait. Ils acceptaient cela sans sens critique parce que cela leur semblait être (peut-être à juste titre) la conclusion la plus évidente basée sur toutes les indications à première vue. Parce qu’ils n’étaient pas critiques dans leur acceptation, cependant, cela laissa la porte ouverte à une génération ultérieure de runologues pour contester les hypothèses de la génération précédente. Dans le monde de la science c’est une bonne chose. Si ceux qui ne contestaient pas la nature « magique » des runes n’avaient pas été si dépourvus de sens critique, alors une exploration plus profonde et plus perspicace de l’idée des runes et de la magie n’aurait jamais pu être entreprise.
Je suis très satisfait de voir de jeunes individus – beaucoup encore étudiants – à la conférence runique m’approcher discrètement et me dire qu’une partie de la raison pour laquelle ils vinrent à la conférence était de me rencontrer, et qu’ils avaient été exposés pour la première fois au monde merveilleux des runes et la tradition germanique ésotérique par mes travaux plus « populaires ».
Le visage changeant du monde universitaire dicte que ce qui est « dedans » aujourd’hui, sera « dehors » demain. Les germes de la prochaine génération de runologues ont déjà été plantés. A un certain niveau, peut-être, ceux qui sont des ennemis de la tradition ont senti cela. Leur stratégie est peut-être d’empêcher les germes de grandir en ne permettant pas aux germes d’exister dans un sol fertile. Tous les domaines de la runologie, de la religion comparative, des études indo-européennes, etc., sont systématiquement extirpés des institutions universitaires. Spécialement en Amérique cela se passe avec une impulsion simultanée de la « droite » tout comme de la « gauche ». La gauche internationale voit la tradition européenne comme étant au pouvoir, et leur mythe de la dialectique détermine qu’ils doivent chercher à désétablir tout ce qui est au pouvoir, pour des raisons « révolutionnaires ». La droite, de son coté, est dominée en Amérique par un sentiment chrétien, qui voit l’intérêt pour nos traditions anciennes comme étant hostile au modèle chrétien. Il est intéressant de remarquer que ces intérêts apparemment divergents de la « gauche » et de la « droite » sont, en Amérique du moins, d’accord sur le fait qu’au moins l’un de leurs « ennemis » communs est celui représenté par les traditions nationales organiques de l’Europe.
Cela ne se passe pas seulement en Amérique, mais en Europe aussi. Récemment le poste du Prof. Dr. Klaus Düwel de l’Université de Göttingen en Allemagne a été supprimé par l’administration de l’université. Lors de la conférence runique au Danemark, les runologues signèrent une pétition destinée à l’administration de l’université pour demander que ce poste prestigieux soit maintenu. Les racines de l’étude universitaire des runes dans cette institution remontent jusqu’aux frères Grimm.
Michael : La fondation du Woodharrow Institute for Germanic and Runic Studies [Institut Woodharrow pour les études germaniques et runiques] est-elle d’une certaine manière une réponse à la situation actuelle concernant ces domaines d’étude ?
Stephen : Le Woodharrow Institute n’est pas seulement une réponse à cette situation actuelle dans le milieu universitaire, mais aussi aux inconvénients, tels que je les vois, de la « sous-culture ésotérique ». L’Institut se tient à part de l’actuelle « sous-culture magique » en ce qu’il est informé par, et à son niveau le plus basique doit se conformer à, toutes les règles et règlementations légitimes de la procédure scientifique – qui sont toutes bénéfiques pour le processus global s’il est gardé en perspective. Ces méthodes infiltrent notre manière d’approcher les domaines ésotériques, ou les domaines de travail intérieur, aussi bien. Comme cela a toujours été le cas avec la Rune-Gild [Guilde Runique] – qui dans le futur sera rétablie dans le contexte du Woodharrow Institute –, nous partons de ce qui est objectivement connu et nous partons de cette base pour passer à l’exploration des coins plus sombres de l’inconnu.
Donc le Woodharrow Institute est destiné à relever le défi des deux extrémités d’un pôle : c’est pour apporter une base objective et scientifique au début du travail intérieur, et pour re-envisager le but final du travail intellectuel lui-même comme un accomplissement de soi. C’est pour apporter des standards objectifs à un bourbier de subjectivité (la culture occultistoïde) et pour donner un but intérieur aux recherches souvent stériles et sans intérêt du monde universitaire. C’est un défi formidable, à coup sûr. Mais c’est aussi ce qui le rend digne de l’entreprendre.
Michael : Quel rôle accomplira d’après vous l’Institut finalement, et comment pourrait-il interagir avec des institutions universitaires plus établies ou plus formelles ?
Stephen : Il est clair d’après ce qui a déjà été dit que la discipline universitaire de runologie, ainsi que certaines des études germaniques et des études indo-européennes plus anciennes, sont en danger. Si la runologie scientifique est laissée à son cycle normal de mode intellectuelle, il n’y a pas de mal. Le runologue traditionnel radical serait libre comme toujours de partager les fruits de ce travail intellectuel et de voir son travail intérieur enrichi par celui-ci. Mais si les domaines universitaires traditionnels sont déracinés et marginalisés pour l’extinction, alors cela ne serait plus possible.
Le Woodharrow Institute est conçu pour être un refuge pour la tradition universitaire – et pour encourager dans une certaine mesure une sorte d’érudition de guérilla. Le travail fondamental pour l’Institut ne doit en aucune façon être compromis par la « pensée occulte » ; il doit être entièrement historique et académique. Nous « jouerons le jeu universitaire » en accord avec ses règles et ses standards. Alors seulement l’Institut pourra accomplir une autre de ses tâches majeures : agir comme un « think tank » pour ceux qui s’intéressent au travail intérieur. Le fait que le mot « académique » soit utilisé pour décrire seulement le genre de travail qui est « purement scientifique » est en un sens une mauvaise utilisation du terme. L’école de Platon, l’Académie, dont notre usage moderne du terme provient en fin de compte, n’avait pas pour but final la production de données scientifiques limitées à ce qui peut être quantifié et connu objectivement. C’était seulement un tremplin vers le vrai but de l’école, qui était la transformation de l’individu en une forme supérieure d’être – en d’autres mots, le « produit » final était l’âme complétée. Tout ce but ultime a été perdu dans l’institution académique moderne, sauf peut-être là où des poches secrètes d’érudits peuvent la préserver non-officiellement.
Le Woodharrow Institute cherche à restaurer le modèle complet de l’Académie antique dans un contexte germanique. En tant que tel, son but ultime est transformationnel et pas simplement « scientifique » comme cela est compris dans le jargon moderne. Les participants ou les membres de l’Institut ne se verront cependant pas demander de poursuivre ce travail intérieur comme une sorte de condition préalable pour devenir membre. L’Institut développera un éventail complet de zones d’intérêt et de recherche.
On espère que l’Institut pourra dans le futur établir de bonnes relations avec le milieu universitaire majoritaire. Nous pourrions proposer des programmes pratiques dans l’étude des langues, l’archéologie expérimentale et, plus important, l’idéologie expérimentale. Notre mission dans le milieu universitaire majoritaire serait simplement de restaurer des zones d’étude traditionnelle où elles ont été perdues et à aider à les conserver là où elles sont en danger.
L’Institut a alors deux buts principaux dans le monde :
(1) Agir comme un refuge pour le travail scientifique déplacé dans les champs de la runologie, les études germaniques, et les études indo-européennes générales ; et (2) agir comme un « think tank » pour les individus intéressés à faire usage du travail scientifique comme une base pour le développement intérieur. Le Woodharrow Institute est une arme dans le combat contre le modernisme et le subjectivisme occultistoïde.
Michael : Dans l’ancienne cosmologie germanique, une dynamique cyclique existe où l’ancien ordre s’effondre et est déchiré à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, mais c’est une étape nécessaire qui précède le déploiement d’un nouveau commencement. Est-ce excessif de regarder les événements contemporains sous cette lumière ? Et si ça ne l’est pas, quelle est la meilleure manière pour l’individu conscient d’approcher la situation actuelle ?
Stephen : Je soutiens que les idées traditionnelles sont éternellement valables et toujours pleines de sens. La cosmologie germanique, le Ragnarök, qui peut en fait désigner le commencement, le milieu ou la fin du processus cosmologique, implique certains âges à la fin du processus. Ceux-ci sont désignés dans les poèmes de l’Ancienne Edda [= Edda poétique] par des termes tels que l’« Age du Loup », qui désigne la nature « avide », « cupide » ou « appétitive » de l’âge. Il est clair que le monde dans son ensemble se trouve dans un « Age du Loup ». L’individu, et certains groupes d’élus peuvent, comme le dit Evola, « chevaucher le tigre ». Cela signifie que certains individus et certains groupes peuvent, en exerçant leur volonté contre le courant de la réalité du consensus et en s’inspirant de la Tradition, poser les fondements personnels et transpersonnels du prochain (et inévitable) développement cyclique. Ce prochain cycle sera (naturellement) plus imprégné de Tradition, à mesure que la roue du développement tournera.
Des portions de cette interview avec le Dr. Flowers ont précédemment paru dans le journal britannique Rûna: Exploring Northern European Myth, Mystery and Magic, disponible chez BM: Sorcery, London WC1N 3XX, UK. Pour en apprendre plus sur le Woodharrow Institute, ou pour demander un catalogue de livres disponibles, contacter Rûna-Raven Press, PO Box 557, Smithville, Texas 78957, USA.
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Michael Moynihan est un auteur, artiste et éditeur de la Nouvelle-Angleterre. Il est corédacteur du journal TYR: Myth – Culture – Religion, publié à Atlanta, Géorgie. Il contribue régulièrement à des périodiques culturels et musicaux, et est aussi le rédacteur nord-américain de Rûna.
Cet article est paru dans New Dawn n° 77 (mars-avril 2003)
© New Dawn Magazine and the respective author.
For our reproduction notice, click here.
[Il semble malheureusement que ce Woodharrow Institute n’existe plus aujourd’hui en 2016. Il aurait été fermé. – NdT.]
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vendredi, 25 septembre 2009
M. Eemans: introduction à la runologie
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES & du CENTRO STUDI EVOLIANI de Bruxelles - 1990
Introduction à la runologie
par Marc. EEMANS
Notre ami le peintre surréaliste Marc. Eemans, décédé le 28 juillet 1998, a été l'un des premiers à introduire en Belgique les thèses de Hermann Wirth et de Gustav Neckel. L'article que nous reproduisons ici est un document. Il provient d'une publication à tirage limitée, Le Bulletin de l'Ouest, paraissant pendant les années sombres de la dernière grande guerre civile européenne (Bulletin de l'Ouest, 1942, 8, pp. 93-94).
La runologie, ou science des runes, n'a guère été abordée jusqu'ici que d'une manière fort superficielle par les rares germanistes français ou belges spécialisés dans les études nordiques, aussi peut-on dire que la runologie est demeurée jusqu'ici une science quasi-inconnue des intellectuels de formation française.
La runologie, cependant, n'est pas une science moderne, puisque le premier auteur qui fasse mention de l'existence de runes n'est personne d'autre qu'Hérodote, l'historien des anciens Scythes. De son côté, Diodore de Sicile, un contemporain de l'empereur Auguste, nous apprend que les runes furent rapportées du Nord par l'aëde thrace Lion et son disciple Orphée. Quant à Tacite (Ann. XI. 14), il prétend que les anciens Germains auraient emprunté leur alphabet aux Phéniciens, sans toutefois pouvoir en fournir la moindre preuve, mais abondant ainsi comme à priori dans le sens de tous ceux qui depuis la Renaissance prétendent que toute lumière nous vient du bassin méditerranéen .
Les récentes acquisitions de la runologie nous permettent, au contraire, de parler davantage d'une dépendance des alphabets méditerranéens de certains signes préhistoriques d'origine nordique, aussi le Prof. Neckel défend-il la thèse que les alphabets italiques, phéniciens, grecs et runiques ont une racine commune. Tous proviendraient d'une écriture préhistorique. En fait les inscriptions runiques les plus antiques datent au moins de 3000 ans avant notre ère. On les retrouve depuis les parois rocheuses de l'extrême-nord européen jusque sur les bords du Nil, ainsi que sur les flancs du Sinaï, où elles furent gravées par des peuplades migratrices venues du Nord en Egypte et sur les rives de la Mer Rouge, l'épée à la main.
Après Tacite, il faut attendre plusieurs siècles avant de retrouver mention des runes dans quelque texte historique, aussi n'est-ce qu'au VI° siècle que l'évêque Venantius Fortunatus de Poitiers signale l'existence d'une écriture propre aux barbares germaniques, cependant que Saxo Grammaticus (XII° siècle), secrétaire de l'évêque de Roskilde, les mentionne à son tour. Avant lui le fameux archevêque de Mayence, Rhabanus Maurus, qui vécut sous le règne de Charlemagne, fit mention d'un alphabet ou plutôt d'un futhark runique, accompagné du nom de chacune des lettres qui le composent. Dans un manuscrit du couvent de Saint-Gall, en Suisse, qui date de la même époque, nous trouvons également un futhark runique avec figuration des sons correspondants. Signalons d'autre part le «Codex Argenteus», de l'évêque Ulfilas, ainsi que le «Codex Runicus», de la Bibliothèque de Copenhague, qui constituent certainement les documents les plus précieux pour la connaissance des runes médiévales.
En l'année 1544, l'archevêque Johannes d'Upsala signale l'existence des runes bien avant l'introduction de l'alphabet latin dans les pays nordiques.
Avec Johannes Bure, un archiviste suédois, qui vécut de 1568 à 1652, nous pénétrons enfin dans le domaine de la runologie moderne. Il est le premier, en effet, à avoir publié un recueil d'inscriptions runiques conservées en pays scandinave. Il trouva un disciple enthousiaste en la personne du savant danois Olaf Worm, qui publia à son tour un ouvrage sur les runes en l'année 1636.
Citons encore parmi les premiers runologues le Suédois Olaf Verelius et l'Anglais Georg Hicks, qui publia toute une série d'alphabets runiques conservés dans les bibliothèques anglaises, et le Suédois Johannes Goransson, qui publia en 1750, un ouvrage intitulé «Bautil», dans lequel nous pouvons trouver quelque 1130 reproductions d'inscriptions runiques. C'est lui également qui fut le premier à situer l'origine des runes dans la préhistoire, tandis que nombre de runologues s'obstinent toujours à vouloir trouver celle-ci aux premiers siècles de notre ère.
Au XIX° siècle, la jeune science allemande s'occupe à son tour des runes et dès l'année 1821, W. C. Grimm publia à Göttingen un ouvrage demeuré classique, «Ueber Deutsche Runen», dans lequel il fait pour la première fois une distinction entre les alphabets nordiques germaniques et anglo-saxons. Après ses travaux viennent ceux de Ludwig Wilser, du Prof. Neckel et, plus près de nous, de H. Wirth, de Reichardt, de Schilling et de tant d'autres encore.
Si les signes runiques furent employés aux premiers siècles de notre ère au même titre que les autres alphabets que nous connaissons (1), l'on peut cependant dire qu'à l'origine ils furent de simples signes symboliques, dont le sens était intimement lié aux divers exercices du culte. Les Eddas nous montrent, d'autre part, que les runes servaient de signes divinatoires et magiques, et Hérodote, de son côté, nous apprend que les Scythes se servaient également des runes pour connaître l'avenir (2).
Les runes ne révélaient pas seulement l'avenir, mais elles dispensaient également la sagesse et la puissance, ainsi que l'amour et la victoire. En un mot, tout ce que les hommes peuvent souhaiter ou craindre dépendait des runes, et les dieux eux-mêmes ne dédaignaient point leur puissance, comme nous l'apprend plus d'un chant des Eddas.
D'après le runologue Hermann Wirth, les runes trouveraient leur origine dans les connaissances astronomiques, ou plutôt astrologiques, de nos ancêtres qui divisaient l'année solaire en périodes qui correspondent aux 16 signes de l'alphabet runique primitif. Il a notamment appuyé ses théories sur les calendriers runiques qui étaient encore en usage un peu partout dans les pays nordiques au début du siècle dernier. Mais point n'est ici l'endroit d'analyser par le détail les théories d'Hermann Wirth.
Qu'il nous suffise encore de dire que les runes, malgré l'interdit dont elles furent frappées par l'Eglise, n'ont jamais complètement disparu du monde germanique et de nos jours encore elles appartiennent, sous forme de signes symboliques, pour la plupart de nature bénéfique, au patrimoine commun du monde nordique. On les retrouve seules ou associées à d'autres signes symboliques, également d'origine aryenne comme la roue du soleil et l'arbre de vie, dans les motifs architecturaux et décoratifs. Elles constituent notamment certains des ornements les plus caractéristiques de nombreux monuments gothiques, ainsi que d'innombrables spécimens de l'architecture rurale nordique.
Cet aspect particulier de la runologie appliqué à nos régions fera l'objet d'une prochaine étude. Nous y montrerons, à l'appui de quelques exemples pris au hasard, combien nos régions sont demeurées fidèles, et cela malgré plusieurs siècles de dénordisation systématique, à leurs
traditions nordiques.
Marc. EEMANS.
Notes :
(1) Il nous faut alors distinguer plusieurs alphabets, notamment l'alphabet ou futhark germanique composé de 24 signes, l'alphabet nordique composé de 16 signes et l'alphabet anglo-saxon également de 24 signes, ainsi que plusieurs variantes de ceux-ci, dont le second alphabet nordique de 12 signes.
(2) C'est sur la foi d'Hérodote que d'aucuns prétendent situer le berceau des runes sur les rives de la Mer Noire, comme si les Scythes qui vécurent quelques siècles avant notre ère au nord du Pont-Euxin n'avaient pas pu apporter les runes de leur patrie d'origine qui est le haut nord?
Ouvrages à consulter :
WIRTH (H.) — Die Heilige Urschrift der Menschheit (Verlag Köhler u. Amelang, Leipzig). NECKEL — Herkunft der Runen (Forschungen und Fortschritte, 9. Jahrgang, Nr. 20-21). REISZ — Runenkunde (Reclam-Verlag, Leipzig).
SCHILLING — Herkunft der Runen (NordlandVerlag).
URNSZ — Handbuch der Runenkunde (Verlag Niemeyer, Halle).
JAFFE — Geschichte der Runenforschung (Verlag Behr und F. Feddersen, Leipzig-Berlin). WEIGEL (K. Th.) — Runen und Sinnbilder (Alfred Meszner-Verlag, Berlin).
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