WikiLeaks a fait fuiter le mois dernier un document de travail datant d’avril 2014, portant sur le chapitre des services financiers. S’il ne s’agit pas du texte définitif, puisque les négociations sont encore en cours, il permet de se faire une idée de ce à quoi pourrait ressembler cet accord de libéralisation déjà tant décrié.
C’est quoi l’idée ?
TiSA est une négociation commerciale lancée début 2013 entre 23 Etats, qui se baptisent eux-même les « très bons amis des services », à l’initiative des Américains et des Australiens. Leur objectif est de poursuivre la libéralisation des services engagée par l’Accord général sur le commerce des services (AGCS, GATS en anglais) de 1994, qui combattait le protectionnisme et ouvrait certains secteurs à la concurrence.
50 pays négocient TiSA
Outre les Etats-Unis et l’Union européenne (au nom de ses 28 Etats), 22 pays sont associés à ce jour aux négociations.
TiSA vise à réduire au maximum les barrières empêchant les entreprises d’un pays A de mener leurs activités de service dans un pays B, pour stimuler la croissance internationale des entreprises. Barrières que sont, par exemple, les quotas nationaux, les marchés publics réservés, voir les monopoles, ou les normes protectrices.
Selon le Peterson Institute, un think tank qui s’intéresse aux problèmes économiques internationaux, un service a aujourd’hui cinq fois moins de chances d’être exporté qu’un bien matériel.
Lire nos explications détaillées : TiSA : les trois dangers du nouvel accord mondial de libéralisation
Pourquoi un tel accord ?
L’idée sous-jacente de TiSA est que les négociations de libéralisation multilatérales incluant tous les Etats de la planète sont trop compliquées : le cycle de Doha, mené depuis 2001 sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), n’a péniblement réalisé que 10 % de ses objectifs en dix ans.
Les « très bons amis des services » espèrent trouver entre eux leur propre consensus, avant de revenir en force à la la table des négociations de l’OMC pour l’imposer au reste du monde. « Si nous n’arrivons pas à convaincre tout le monde, pourquoi ne pas se mettre dans un coin pour commencer cet accord de dérégulation financière, et peut-être ensuite y intégrer tout le monde ? », résume ironiquement Lori Wallach de Public Citizen, une ONG opposée à TiSA.
Quels intérêts sont en jeu ?
On voit à travers la constitution des groupes de lobbying, aussi bien américains qu’européens, les intérêts se dégager clairement pour certains secteurs : le transport maritime, les technologies de l’information et de la communication, l’e-commerce, les services informatiques, le courrier et la livraison, les services financiers et les monopoles publics.
« A titre d’exemple, TiSA représente l’opportunité que les Etats-Unis nous laissent enfin accéder à leur marché de transport aérien », explique-t-on à la Commission. Autres entreprises très impliquées dans le lobbying, les géants des échanges de données bancaires, dont PayPal et Visa.
Dans son plaidoyer pour l’accord, le lobby américain Team Tisa déplore la permanence de barrières au commerce international, comme « le mouvement limité des données à travers les frontières », « la compétition déloyale des entreprises publiques » ou « la propriété locale obligatoire ».
En France, ce sont Veolia Environnement et Orange qui accompagnent le Medef dans les négociations. Ces derniers n’ont pour l’instant pas accepté de nous expliquer les raisons de leur implication dans ce travail de lobbying.
Que changera concrètement TiSA ?
Pour le savoir, la seule source dont nous disposons aujourd’hui est le document de travail publié par WikiLeaks, qui concerne un seul chapitre de l’accord, consacré aux services financiers. Les outils qui y apparaissent favorisent la libéralisation des secteurs que couvrira l’accord.
Concrètement, sur le volet financier, TiSA propose la mise en place d’outils permettant de revenir sur les quelques avancées régulatoires héritées de la crise financière. « On a déjà commencé à rogner sur la régulation, en déclarant notamment que certaines de ces règles relevaient de la simple prudence, alors qu’elles sont absolument nécessaires à la stabilité du système », dénonce Myriam Vander Stichele, militante dans une association en faveur de la régulation financière.
Pour la chercheuse, TiSA est la « tête de pont » d’un autre accord de libre-échange, Fatca, discuté actuellement entre les mêmes partenaires principaux, les Etats-Unis et l’Europe.
D’ailleurs, TiSA reprend l’une des idées maîtresses de Tafta : le principe de « coordination », qui empêche d’imposer une régulation qui porterait tort à l’un des signataires. Autant dire, un moins-disant régulatoire généralisé.
Une tendance à la dérégulation qui ne s’infirme pas. Ainsi, les représentants des produits dérivés, produits spéculatifs en vogue sur les marchés financiers, ont récemment attaqué en justice le régulateur américain, la CFTC, dont ils estimaient l’action trop zélée dans un cadre de coopération internationale qui présuppose, selon eux, que les règles soient plus souples si l’on veut les appliquer au plus grand nombre.
Lire également : Comment les Européens poussent les Américains à déréguler la finance
Les négociations sont-elles secrètes ?
Pas totalement. Si l’administration américaine a commencé à communiquer largement sur TiSA en juin 2014, elle était restée longtemps discrète. Le Congrès américain avait toutefois été officiellement informé de l’ouverture des discussions début 2013.
De son côté, le Parlement européen a, avec les votes de la droite et des sociaux-démocrates (qui ne comprenaient visiblement pas toujours pour quoi ils votaient), accordé un mandat de négociation à la Commission. Laquelle a mené une consultation publique ouverte aux lobbies industriels et aux ONG après le lancement des négociations.
On en sait peu sur le contenu-même des négociations. Seules la Suisse, la Norvège et l’Islande ont publié leurs propositions, comme le note le site BastaMag.
Autre point problématique : le projet d’accord révélé par Wikileaks, comme tous les autres documents de travail de TiSA, était ainsi censé rester secret pendant les cinq années suivant une éventuelle entrée en vigueur du traité. Seul le texte officiel final aurait été connu ; or, maintenir secrets les documents de travail préparatoires empêche une compréhension optimale des implications des accords commerciaux.
Les commentaires sont fermés.