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vendredi, 03 octobre 2025

Emergence et développement des BRICS: un point de vue européen

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Emergence et développement des BRICS: un point de vue européen

Robert Steuckers

(Texte rédigé en septembre 2024)

Par le poids déterminant mais non oblitérant de la Russie et de la Chine dans le phénomène des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), ce dernier apparaît bien évidemment comme un fait géopolitique et géoéconomique propre à la masse continentale eurasienne, située à l’Est du Niémen, du Dniepr, du Bosphore et du Caucase. Notre espace, situé à l’Ouest de cette ligne floue n’aurait rien à voir avec ce monde de steppes infinies, au-delà duquel la race jaune domine. C’est oublier un peu vite que l’Europe a été matériellement une pauvre civilisation repliée sur elle-même (ce qui ne minimise aucunement la richesse spirituelle du moyen âge), une civilisation « enclavée », et qui cherchait désespérément à se désenclaver (1), position fragile que l’esprit de croisade tentera en vain d’annuler. Seules les villes marchandes italiennes, Venise et Gênes, resteront vaille que vaille branchées sur les routes de la Soie. La pression ottomane, surtout après la chute de Byzance (1453), semblait inamovible. Les initiatives maritimes portugaises suite aux travaux scientifiques et géographiques du Prince Henri le Navigateur, la découverte de l’Amérique par Colomb et la conquête russe du bassin de la Volga et des premières terres sibériennes effaceront cet enclavement européen. On connaît la suite. Toutefois, à la fin du 18ème siècle, avant la totale mainmise britannique sur le sous-continent indien, la Chine et l’Inde demeuraient les principales puissances industrielles, les civilisations les plus riches. La parenthèse miséreuse de l’Inde et de la Chine n’aura finalement duré que moins de deux siècles. Nous assistons aujourd’hui, voire depuis trois décennies, au retour à la situation d’avant 1820 (2).

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Le désir de désenclavement était bien présent dans l’esprit de nos ancêtres aux 15ème et 16ème siècles. Pour ce qui concerne la Moscovie (on ne parlait pas encore de « Russie »), le personnage le plus emblématique fut Sigismund von Herberstein (3) (illustration). Diplomate au service des empereurs germaniques Maximilien I, Charles-Quint et Ferdinand I, il exécuta deux missions en Russie en 1517-1518 et 1526-1527, à l’époque où régnait Vassili III, père d’Ivan IV le Terrible. Sigismund von Herberstein ramène de ces deux voyages une description détaillée et inédite du territoire de la Russie-Moscovie, plus particulièrement de son hydrographie, les fleuves étant les principales voies de communication depuis les Varègues (et probablement de peuples divers avant eux) (4). La mission de von Herberstein était de plaider la paix entre la Pologne-Lituanie et la Moscovie afin d’organiser une vaste alliance entre ces puissances slaves ou balto-slaves et le Saint-Empire contre les Ottomans, puissance montante à l’époque. Dès les premières décennies du 16ème siècle, la raison civilisationnelle postulait une alliance entre l’Europe centrale (et bourguignonne car Philippe le Bon et Charles le Hardi entendaient tous deux reprendre pied sur le littoral de la mer Noire) et les Etats polono-lituanien et moscovite, tout en annulant, par l’art de la diplomatie, les belligérances entre ces derniers. Une sagesse qui n’a pas été réitérée dans l’actuel conflit russo-ukrainien.

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Plus tard, après que le Saint-Empire a été ravagé par les armées de Louis XIV (allié aux Ottomans pour prendre l’Autriche à revers), les universités, dont Heidelberg, avaient été réduites en cendres, laissant une quantité d’étudiants et de professeurs sans emploi. Le Tsar Pierre le Grand entreprend, au même moment, une modernisation-germanisation de la Russie et fait appel à ces cadres déshérités, tout en recevant les conseils de Gottfried Wilhelm Leibniz (portrait), le célèbre philosophe et mathématicien allemand. Pour Leibniz, intéressé par la pensée chinoise, la Moscovie du Tsar Pierre, en commençant à gommer le chaos de toutes les terres sises entre l’Europe et la Chine, fera de cet espace un « pont » entre l’écoumène européen, centré sur le Saint-Empire (à reconstituer), et la Chine. L’harmonie devra alors, à terme, régner sur cet ensemble à trois piliers. L’eurasisme, avant la lettre, est donc né dans la tête de ce philosophe et mathématicien hors pair (pour son époque), qui oeuvrait sans relâche dans la bonne ville de Hanovre, à la charnière des 17ème et 18ème siècles.

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Plus tard, sous la République de Weimar, les cercles nationaux-révolutionnaires, qu’Armin Mohler comptait parmi les avatars de la « révolution conservatrice », évoquaient une « Triade » germano-soviéto-chinoise, reposant sur le Kuo Min Tang de Tchang Kai Tchek, le PCUS sous la houlette de Staline et un pôle révolutionnaire allemand anti-occidental qui devait encore prendre le pouvoir : cet aspect de la diplomatie et de la géopolitique nationales-révolutionnaires de l’ère de Weimar n’a guère été exploré jusqu’ici. En effet, mis à part une thèse de doctorat de Louis Dupeux (5), ni la littérature scientifique ni la très nécessaire littérature militante et vulgarisatrice n’ont abordé en profondeur cette notion de « Triade » qu’analyse pourtant un témoin direct des activités de ces cercles nationaux-révolutionnaires sous la république de Weimar, Otto-Ernst Schüddekopf (6). Ce dernier fréquenta les cercles autour d’Ernst Niekisch, Ernst Jünger et Friedrich Hielscher à partir de 1931. Il se spécialisa dans l’histoire de la marine et des forces aériennes britanniques et dans la politique des points d’appui du Reich de Guillaume II au cours de ses études de 1934 à 1938. Plus tard, il fut affecté à l’Abwehr (pour des opérations antibritanniques, notamment en Irlande) puis à l’Ahnenerbe (dont le directeur Wolfram Sievers était un ami de Hielscher) et, finalement, au RSHA. En dépit de cette inféodation aux sphères prétoriennes du Troisième Reich, Schüddekopf et Sievers aideront des dissidents proches des cercles NR et seront au courant de la tentative d’attentat contre Hitler, qui fut ultérieurement perpétrée par Stauffenberg, sans pour autant subir les foudres de la police politique. En 1945, Schüddekopf sera incarcéré pendant trois ans dans une prison de haute sécurité à Londres puis entamera une carrière universitaire en République Fédérale (7).

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Un autre personnage précurseur de l’eurasisme, style BRICS, sera l’officier Richard Scheringer (1904-1986) (photo), natif d’Aix-la-Chapelle. Sa qualité d’officier ne l’empêcha pas d’avoir eu plutôt une carrière rouge de rouge. L’analyse des textes parus dans sa revue Aufbruch (8) révèle un tropisme chinois, inséré dans l’espoir de voir triompher une « Triade » anti-occidentale, tropisme chinois qui agitait certains esprits dans les coulisses de la diplomatie belge (et dont la trace la plus visible reste la présence de Tchang, l’ami d’Hergé, à Bruxelles dans les années 30 et la parution de l’album de Tintin, Le Lotus bleu, clairement sinophile). En dépit de son militantisme communiste, Scheringer servira dans la Wehrmacht en territoire soviétique sans être inquiété par les services allemands et reprendra son militantisme rouge, avec ses fils et sa petite-fille (qui seront tous députés PDS, ancêtre de Die Linke). Au soir de sa vie, il appellera à manifester contre la « double décision de l’OTAN » et contre l’implantation de missiles américains sur le territoire de la RFA. Il tentera de mobiliser son vieux camarade Ernst Jünger pour qu’il en fasse autant. Jünger envoya une couronne de fleurs à son enterrement à Hambourg avec la mention « Au vieil ami ». Il resterait à analyser les rapports entre les universités allemandes de l’entre-deux-guerres et des dizaines d’étudiants indiens, désireux de secouer le joug britannique. Ces étudiants appartenaient à toutes les tendances révolutionnaires et indépendantistes possibles et imaginables et cherchaient des appuis allemands tant sous la république de Weimar que sous le régime national-socialiste. La question des rapports germano-indiens est extrêmement complexe et excède le cadre de ce modeste article (9). Aujourd’hui, les étudiants indiens sont, dans Allemagne en déclin du Post-Merkelisme et de Scholz, les plus nombreux parmi les étudiants étrangers inscrits dans les universités.

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La « Triade » semble être aujourd’hui une chimère imaginée par des personnages en marge des politiques dominantes et triomphantes de l’entre-deux-guerres allemand. Mais son émergence, même marginale et diffuse, est la hantise des services anglo-saxons. Or, force est de constater qu’en dépit des élucubrations impolitiques répandues par les médias, en coulisses, la « Triade » était devenue, tacitement, un fait accompli. La Russie fournissait le gaz de l’Arctique à un prix défiant toute concurrence, lequel gaz passait dans les eaux de la Baltique, bordée jusqu’il y a quelques mois par des Etats neutres non inféodés à l’OTAN (Finlande, Suède). La Chine était le premier partenaire commercial de l’Allemagne. L’Ostpolitik des socialistes (Brandt, Schmidt, Schröder), préconisant des relations normalisées avec l’Union Soviétique d’abord avec la Russie ensuite, et la Fernostpolitik des démocrates-chrétiens (Strauss), favorisant tous les liens possibles avec la Chine, avaient, avec un réel succès, pris le relais des spéculations sans lendemain des intellectuels non conformistes du temps de la république de Weimar.

La Terre du Milieu russe (ou le « Pont » de Leibniz) avait apaisé le Rimland centre-européen, apaisé l’Iran des mollahs et forgé une alliance pragmatique avec une Chine qui se débarrassait des colifichets idéologiques du maoïsme de la « révolution culturelle », tout en gardant les bons rapports avec l’Inde forgés depuis l’indépendance du sous-continent en 1947. Deux cauchemars de la géopolitique anglo-saxonne de MacKinder et de Spykman s’étaient installés dans le réel : 1) la Terre du Milieu avait avancé pacifiquement ses glacis, rendant plus difficile toute stratégie d’endiguement ; 2) Un morceau considérable du rimland sud-asiatique, l’Iran, était désormais relié aux réseaux ferroviaires financés par la Chine et branchés sur le Transsibérien russe, qui, en fait, est le véritable « pont », bien concret, rêvé par Leibniz du temps de Pierre le Grand. Les deux gazoducs de la Baltique soudaient, dans une concrétude énergétique tout aussi tangible, l’alliance germano-russe préconisée par quantité d’hommes d’Etats depuis Gneisenau, Clausewitz, Bismarck, Rathenau, etc. 

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Pour briser cette dynamique, il fallait agir en actualisant de vieilles stratégies d’endiguement, de propagande et de zizanie belliciste. Rendre purulent l’abcès ukrainien, en réactivant de vieilles querelles entre Slaves (le contraire de la politique préconisée par Sigmund von Herberstein), en hissant partout au pouvoir en Europe des politiciens de bas étage, des idéologues fumeux et incultes, des juristes ou des banquiers dépourvus de culture historique, des écologistes véhiculant les délires woke, etc. Ce personnel, en rupture de ban avec toutes les écoles diplomatiques, fera une politique dictée par Washington : reniement des politiques socialistes en Allemagne (avec ostracisme à l’encontre de Schröder, qui présidait la gestion des gazoducs de la Baltique), réalignement de la France sur les délires atlantistes depuis Sarközy, abandon des politiques de neutralité en Suède, Finlande et même Suisse (seule l’Autriche résiste mieux grâce à la solide présence de la FPÖ dans les assemblées fédérale et régionales et à la proximité de la Hongrie), création du chaos wokiste et multiculturel dans toutes les sociétés ouest-européennes et même en Pologne depuis le retour de Tusk au pouvoir.

L’émergence, le développement et la consolidation du Groupe BRICS vient donc d’une volonté d’organiser l’ensemble du territoire eurasien des rives orientales du Don et de la Volga jusqu’aux littoraux du Pacifique, d’échapper à un Occident devenu fou, plus rébarbatif encore que l’Occident fustigé par les intellectuels non conformistes des années 1920 et 1930, d’une volonté d’appliquer les recettes d’un économiste pragmatique du 19ème siècle, Friedrich List. Pour cet économiste libéral, ou considéré tel, le rôle premier de l’Etat est d’organiser les communications à l’intérieur de ses frontières, de rendre ces communications rapides et aisées, de créer des flux permanents de marchandises et de personnes, notamment afin de fixer les populations sur leur propre sol et d’empêcher toute hémorragie démographique, telle celle que les Etats allemands (avant l’unification) avaient connu au bénéfice des Etats-Unis.

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List (illustration) a exercé une influence prépondérante dans l’Allemagne de son temps mais a également œuvré aux Etats-Unis, préconisant de grands travaux (chemins de fer, canaux, etc.) qui, après leur réalisation, ont donné aux Etats-Unis les assises de leur puissance et permis l’éclosion de leur atout majeur : la bi-océanité. L’idée d’organiser les communications terrestres sera reprise par les dirigeants russes qui créeront le Transsibérien et par des penseurs pragmatiques du Kuo Min Tang chinois, oubliés suite aux vicissitudes tragiques de l’histoire chinoise des 19ème et 20ème siècles. C’est cette volonté véritablement politique de créer des infrastructures, présente en Chine, qui incitera Xi Jinping à lancer son fameux projet des « routes de la Soie » ou BRI (« Belt and Road Initiative »).

La Chine est passée ainsi du maoïsme et de son interprétation naïve et schématique de Marx à un listisme concret et créatif et, ensuite et surtout, à un intérêt pour Carl Schmitt, théoricien qui refusait explicitement toute immixtion étrangère dans les affaires intérieures d’un autre « grand espace ». Dès la fin des années 1980, la Chine avait émis « les cinq principes de la coexistence pacifique », l’adoption planétaire desquels garantissant à tous d’emprunter les « bons taos » (les « bonnes voies », les « bon chemins ») (10). Parmi ces cinq principes figure, bien évidemment, celui qui vise à préserver chaque entité étatique de toute immixtion indue et corruptrice en provenance de puissances lointaines, développant un programme hégémonique ou cherchant à monter des alliances interventionnistes à prétention planétaire, comme l’est, par exemple, l’OTAN. Les BRICS, le noyau initial comme les nouveaux pays adhérents, entendent justement emprunter de « bon taos », qui postulent le contraire diamétral de ce que préconise le « nouvel ordre mondial » de Bush et de ses successeurs à la Maison Blanche ou des dispositifs que veut mettre en place la nouvelle direction de l’OTAN (Stoltenberg, Rutte).

Les deux postulats principaux qui animent les pays du groupe BRICS sont : 1) le développement sans entraves de voies de communications terrestres et maritimes sur la masse continentale ou autour d’elle (le long des littoraux des pays du rimland selon MacKinder et Spykman) et le refus de toute immixtion visant l’hégémonie unipolaire (américaine) ou le blocage des communications entre les rimlands et l’intérieur des continents ou l’endiguement de toute exploitation des nouvelles routes maritimes (Arctique, Mer de Chine du Sud, côtes africaines de l’océan Indien). Voyons comment cela s’articule pour chaque pays participant à la dynamique des BRICS :

La Russie a toujours cherché un débouché sur les mers chaudes ; elle est actuellement attaquée sur deux fronts : celui de l’Arctique-Baltique et celui de la mer Noire. Elle n’a les mains libres qu’en Extrême-Orient, justement là où l’appui britannique au Japon en 1904 avait manœuvré pour lui interdire un accès facile au Pacifique, quatre ans après les 55 jours de Pékin ; les sanctions, forme d’immixtion et de guerre hybride, permettent paradoxalement de développer un commerce des matières premières avec l’Inde et la Chine, totalisant près de trois milliards d’habitants. Le chaos créé en mer Noire bloque (partiellement) l’exportation des céréales russes et ukrainiennes vers la Méditerranée et l’Afrique : le développement de l’agriculture russe sous Poutine est un atout de puissance, que la Russie des Tsars était sur le point de se doter avant que certains services n’utilisent des révolutionnaires utopistes pour éliminer Stolypine et ne favorisent l’émergence d’un bolchevisme anti-agraire. Cette défaillance sur le plan agricole a rendu le communisme soviétique faible et caduc au bout de sept décennies. Il est dans l’intérêt de tous de voir les agricultures russe et ukrainienne se développer et trouver des débouchés, notamment en Afrique. La création d’un foyer durable de turbulences aux embouchures du Don, du Dniepr et du Dniestr contrecarre les intérêts de bon nombre de pays, d’où l’intérêt pour le groupe BRICS de l’Ethiopie, de l’Egypte et de l’Algérie, voire d’autres pays d’Afrique subsaharienne.

La Chine a développé, dans la phase post-maoïste de son histoire récente, une modernité technologique étonnante pour tous ceux qui la croyaient condamnée à une stagnation archaïsante. Dès la moitié du 19ème siècle, les visées américaines sur l’Océan Pacifique, entendaient conquérir le marché chinois pour une industrie américaine à développer qui ne comptait pas encore sur les marchés européens. Ce marché chinois, espéré mais jamais conquis, relevait d’une puissance sans forces navales, non thalassocratique, qui pouvait s’étendre vers l’Ouest, le « Turkestan chinois » (ou Sinkiang) et le Tibet. Washington acceptait une Chine continentale et refusait implicitement une Chine dotée d’un atout naval. L’industrialisation de pointe de la Chine au cours de ces trois dernières décennies a obligé Pékin à protéger les lignes de communications maritimes en mer de Chine du Sud, autour du « point d’étranglement » (choke point) qu’est Singapour pour accéder aux sources d’hydrocarbures que sont les rivaux iranien et saoudien. Par ailleurs, Chinois et Russes tentent de rentabiliser la route arctique qui mène plus rapidement à l’Europe, aux ports de Hambourg, Rotterdam et Anvers-Zeebrugge (ces deux derniers alimentant la Lorraine, l’Alsace, la Bourgogne, la Champagne et partiellement la Franche-Comté, via l’axe du Rhin) (11).

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La fonction de « pont » passant ainsi à l’Arctique et doublant le Transsibérien et les nouvelles voies ferroviaires prévues par les Chinois. La construction du Transsibérien et son parachèvement en 1904 avait suscité les réflexions de MacKinder sur la nécessité d’endiguer le « Heartland » russe. Le projet à tracés multiples de Xi Jinping suscite le bellicisme actuel des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l’OTAN. A cela s’ajoute que la Chine dispose de réserves considérables de terres rares, indispensables à la fabrication de matériels informatiques, fait qui ne devraient pas laisser nos dirigeants indifférents et les inciter à poursuivre une politique européenne rationnelle, visant à ne pas être dépendants et à ne pas être entraînés dans les stratégies vengeresses et destructrices des Etats-Unis.

L’Inde britannique était une masse territoriale capable d’offrir une vaste base territoriale pour contrôler le rimland de la Méditerranée à l’Indochine, sans oublier la façade africaine de l’Océan Indien jusqu’au Grands Lacs et jusqu’au-delà du Nil ; au Soudan et en Egypte. Le combat pour l’indépendance fut long pour tous les Indiens, qu’ils soient musulmans, sikhs ou hindous.  L’émancipation de l’Inde impliquait une nouvelle orientation géopolitique : le sous-continent ne devait plus être la base principale, la plus vaste et la plus peuplée, destinée à parfaire la stratégie de l’endiguement de la Russie/de l’Union Soviétique mais devenir à terme une éventuelle fenêtre du Heartland sur l’Océan du Milieu. Les rapports indo-soviétiques furent toujours optimaux, puisque l’URSS restait seule en piste après l’élimination de l’Allemagne en 1945, mais l’Inde a toutefois servi de barrage contre la Chine, abondant ainsi directement dans le sens de la géopolitique thalassocratique anglo-américaine : dans l’Himalaya (Ladakh) et dans toutes ses entreprises visant à soutenir le Tibet. Le conflit indo-pakistanais a induit une géopolitique particulière : les Etats-Unis incluaient le Pakistan dans l’alliance endiguante que fut le Pacte de Bagdad (Turquie, Irak avant 1958, Iran, Pakistan), ce qui obligeait l’Inde à maintenir ses bons rapports avec l’URSS, tout en demeurant l’un des pays-phares du non-alignement de Bandoeng. Le Pakistan demeurait l’ennemi et cet ennemi était ancré dans des structures militaires « défensives » pilotées par les Etats-Unis. Et pour être plus précis, quand la Chine et les Etats-Unis deviennent de facto alliés à partir de 1972, suite à l’œuvre diplomatique de Kissinger, le Pakistan offre à la Chine un débouché sur l’Océan Indien.

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L’art de la diplomatie des Indiens est subtil : il navigue entre l’amitié traditionnelle avec la Russie, le non-alignement et ses avatars actuels et une ouverture méfiante mais réelle à l’anglosphère, héritage de son imbrication dans l’ancien Commonwealth britannique et résultat du statut de langue véhiculaire qu’y revêt l’anglais. On s’aperçoit ainsi que l’Inde bascule vers la multipolarité, surtout à cause de ses relations économiques avec la Russie et de sa volonté de « dé-dollariser », mais participe aux manœuvres militaires de l’AUKUS dans la zone indo-pacifique, lesquelles manœuvres visent la Chine. L’Inde entend réactiver les initiatives des « non-alignés » qui avaient joint leurs efforts dès le grand congrès de Bandoeng (Indonésie) en 1955. Le non-alignement avait perdu de son aura : avec la multipolarité qui se dessine à l’horizon, il semble revenir à l’avant-plan avec Narendra Modi.

L’Iran, dont on ne saurait juger la politique extérieure en ne tenant compte que des aspects du régime des mollahs à l’intérieur, a été une grande puissance jusqu’à l’aube du 19ème siècle. Comme l’Inde et la Chine, l’irruption de l’impérialisme anglais dans l’espace des océans Indien et Pacifique a induit un ressac dramatique de la puissance persane, laquelle avait déjà subi les coups de butoir russes dans l’espace sud-caucasien. L’Iran s’est alors retrouvé coincé entre deux empires : celui des Russes puis des Soviétiques, menace terrestre, au nord et surtout dans les zones de peuplement azerbaïdjanais ; celui des Britanniques à l’Est d’abord, dans les régions du Beloutchistan, à l’Ouest ensuite, dès sa présence en Irak suite à l’effondrement de l’Empire ottoman en 1918 et dès sa mainmise sur les pétroles de Mésopotamie (Koweit, Kirkouk, Mossoul).

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Comme Atatürk en Turquie post-ottomane, le premier Shah de la dynastie de Pahlavi opte pour une modernisation qu’il ne peut réellement mener à bien malgré des aides européennes (allemandes, italiennes, suisses, suédoises). La neutralité iranienne est violée par les Britanniques et les Soviétiques en 1941, immédiatement après le déclenchement de l’Opération Barbarossa : l’Iran est partagé en zones d’influences et, en 1945, après l’élimination de l’Axe, Staline entend rester dans les régions azerbaïdjanaises, quitte à y faire proclamer une république provisoire qui demanderait bien vite son inclusion dans l’URSS. Le nouveau Shah, dont le père venait de mourir en exil dans les Seychelles britanniques, perçoit le danger soviétique comme la menace principale et s’aligne sur les Américains qui n’ont pas de frontière commune avec l’Iran. Son ministre Mossadegh, qui voulait nationaliser les pétroles de l’Anglo-Iranian Oil Company, est évincé en 1953, suite à des opérations que le peuple iranien n’oublia pas. L’Iran adhère au Pacte de Bagdad ou au CENTO, prolongement de l’OTAN et de l’OTASE, organisant au profit des Etats-Unis et selon les doctrines géopolitiques de Nicholas Spykman l’ensemble du rimland euro-asiatique pour endiguer et l’URSS et la Chine. Le CENTO ne durera que jusqu’en 1958, année où la révolution baathiste irakienne arrive au pouvoir à Bagdad.

La révolution chiite fondamentaliste de 1978-79, dont les avatars actuels sont anti-américains, a d’abord été favorisée par les Etats-Unis, Israël, le Royaume-Uni et la France de Giscard d’Estaing. Le Shah évoquait un « espace de la civilisation iranienne », qu’il entendait faire rayonner sans tenir compte des projets stratégiques américains, avait signé avec la France et l’Allemagne les accords de l’EURATOM (déjà la question du nucléaire !), avait développé une marine en toute autonomie, avait eu des velléités « gaulliennes », avait conclu des accords gaziers avec Brejnev et réussi quelques coups diplomatiques de belle envergure (liens renforcés avec l’Egypte, paix avec les Saoudiens et accords pétroliers avec Riyad, accords d’Alger avec l’Irak pour régler la navigation dans les eaux du Shat-el-Arab). Ces éléments ne sont plus mis en exergue par les médias aujourd’hui et le rôle joué par les Occidentaux dans l’élimination du Shah est délibérément occultée, notamment par une gauche qui fut, à la fin des années 1970, le principal agent de propagande pour justifier, dans l’opinion publique, ces manœuvres américaines contre leur principal allié théorique dans la région.

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Plusieurs historiens et l’ancien ministre du Shah, Houchang Nahavandi, ont cependant analysé les événements d’Iran en ce sens, ce que j’ai bien mis en évidence dans un texte antérieur (12). Il semble que les services américains aient voulu agir sur deux plans : premièrement, éliminer le Shah qui avait créé une synergie nucléaire et industrielle avec l’Europe et gazière avec l’URSS (l’objectif premier a été de nuire à l’Europe et de ruiner toute coopération énergétique avec l’URSS) ; deuxièmement, installer un régime très différent des régimes occidentaux, ce qui permettait d’orchestrer sans cesse une propagande dénigrante contre lui, de créer une sorte de « légende noire » anti-iranienne, comme il en existe contre l’Espagne, l’Allemagne, la Russie, la Chine ou le Japon qui peuvent être réactivées à tout moment.  L’Iran est donc un exemple d’école pour démontrer a) la théorie de l’occupation d’une part du rimland asiatique à des fins d’endiguement ; b) la relativité de la notion d’« allié », dans la pratique américaine, dans la mesure où un « allié », sur le rimland, ne peut chercher à se réinscrire dans sa propre histoire, à développer une diplomatie originale neutralisant des inimitiés que l’hegemon entend laisser subsister pour créer des conflits régionaux affaiblissants, à renforcer son potentiel militaire, à sceller des accords énergétiques avec des pays tiers même alliés (en l’occurrence l’Europe, l’URSS et l’Arabie Saoudite) ; c) la pratique de créer des mouvements extrémistes déstabilisateurs, de les appuyer dans un premier temps puis de les dénigrer une fois leur pouvoir établi et d’organiser boycotts et sanctions contre eux sur le long terme afin de prévenir la réactivation de toutes les synergies autonomes qu’avaient amorcé à feu doux le régime initial.

Ce sont précisément ces exemples d’école, perceptibles dans le cas iranien, qui ont donné aux puissances émergentes (ou réémergentes comme la Russie de l’après-Eltsine) l’impulsion première qui les amènent, aujourd’hui, à joindre leurs efforts économiques. Il convenait d’échapper à ce quadruple danger qu’avait révélé l’histoire iranienne de ces cinquante dernières années. Les stratégies économiques des BRICS, suivies de l’organisation de la nécessaire protection militaire des nouvelles voies ou systèmes de communication, visait à annuler la stratégie d’endiguement en organisant des routes nouvelles reliant le Heartland russo-sibérien aux périphéries (rimlands), les régions orientales de la Chine à l’intérieur des terres (Sinkiang) et au reste de l’Asie centrale (Kazakhstan), les réseaux intérieurs chinois aux ports du Pakistan (et, de là, aux sources arabiques d’hydrocarbures). Ces axes de communications se portent vers l’Europe, réalisant le vieux vœu de Leibniz. Les diabolisations russophobes, sinophobes (etc.) ne permettent pas de créer une diplomatie globale efficace et fructueuse. L’entretien médiatique de « légendes noires » n’est donc pas de mise, comme le soulignaient déjà les « amendements » chinois au programme du « nouvel ordre mondial » dans les années 1990.

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La notion d’« allié », battue en brèche par la doctrine Clinton depuis ces mêmes années 1990, n’existe plus en réalité car elle a été bel et bien remplacée par la notion d’« alien countries », ce qui explique l’adhésion aux BRICS d’anciens alliés des Etats-Unis comme l’Arabie Saoudite ou l’Egypte et les velléités turques. Enfin, la pratique de soutenir des mouvements extrémistes déstabilisateurs ou de monter des « révolutions de couleur » ou des « printemps arabes » oblige les puissances du monde entier à une vigilance commune contre l’hyperpuissance unipolaire, allant bien au-delà d’inimitiés ancestrales ou de la fadeur de l’internationalisme simpliste des communismes de diverses moutures. La leçon iranienne a été retenue partout, sauf en Europe.

Il est évident que les BRICS ont leur noyau solide en Asie, plus exactement en Eurasie, l’Afrique du Sud, bien que potentiellement riche, est une projection afro-australe de cette nouvelle grande synergie eurasiatique qui ne pourra être pleinement intégrée à la dynamique si les Etats de la Corne de l’Afrique, dont l’Ethiopie, nouvelle adhérente aux BRICS, retrouvent stabilité et organisent leurs réseaux de communication intérieurs. Le Brésil, où les Etats-Unis ont encore de solides alliés, est certes un géant mais il est fragilisé par la défection de l’Argentine de Miléi. Seules les communications transcontinentales en Amérique du Sud, reliant les littoraux du Pacifique à ceux de l’Atlantique, donneront corps à un véritable pôle ibéro-américain dans la multipolarité de demain. De même, la coopération sino-brésilienne sur le plan de l’agro-alimentaire, sur base d’échanges dé-dollarisés, laisse envisager un avenir prometteur.

La multipolarité en marche dispose d’atouts de séduction réels :

Le gaz russe et les autres hydrocarbures sont incontournables pour l’Europe, l’Inde, la Chine et le Japon. L’effondrement économique de l’Allemagne (but visé par Washington) et de son industrie automobile est dû aux sanctions et au sabotage des gazoducs de la Baltique, renforcé par la politique énergétique inepte dictée par les Verts, téléguidés en ultime instance par le soft power américain et les services de Washington : le refus du nucléaire (et la politique de s’attaquer au nucléaire français) s’inscrit bel et bien dans le cadre d’une vieille politique américaine d’affaiblir l’Europe, le pari sur les énergies solaire et éolienne correspond aux objectifs du fameux « Plan Morgenthau », visant, en 1945, avant la généralisation du Plan Marshall, à transformer le centre du sous-continent européen en une aimable société pastorale, comme l’a souligné avec brio la Princesse Gloria von Thurn und Tassis (13). Ces énergies, dites « renouvelables » ne suffisent pas pour alimenter une société hautement industrialisée.

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Autre atout : le blé (14). La fin du communisme et aussi du néolibéralisme en Russie, en 1991 et en 1999, a permis, sous Poutine, de relancer l’agriculture et d’en faire un atout majeur de la politique russe. De même, avant les événements, l’Ukraine, elle aussi, était devenue une puissance agricole qui comptait. Ce blé est indispensable à de nombreux pays d’Afrique, qui, sans lui, risqueraient en permanence la famine et l’exode vers l’Europe d’une bonne fraction de leur jeunesse. La confrontation russo-ukrainienne, outre qu’elle ramène la guerre en Europe, ruine les bénéfices qu’avait apportés la résurrection de l’agriculture dans les anciennes républiques slaves de l’URSS. La coordination des productions agricoles est en voie de réalisation rationnelle dans les pays BRICS, y compris en Inde qui, de vaste pays souvent victime de famines jusque dans les années 1960, est devenu un exportateur de céréales et de riz (15).

La consolidation lente de pays BRICS, malgré les embûches systématiques perpétrés par les services américains, progresse, accompagnée du phénomène de la « dé-dollarisation », qui inquiète les décideurs étatsuniens. Ainsi, le sénateur américain Marco Rubio, de Floride, vient de présenter au Congrès un projet de loi visant à punir les pays qui se désolidariseraient du dollar. Le projet de loi vise à exclure du système mondial du dollar les institutions financières qui encouragent précisément la dédollarisation et utilisent les systèmes de paiement russe (SPFS) ou chinois (CIPS) (16).  

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Cette pression constante et ces interminables sanctions, procédés éminemment vexatoires, n’empêchent nullement l’ANASE (ASEAN), le marché commun de l’Asie du Sud-Est, de se rapprocher de la Chine et donc du groupe BRICS, détachant ainsi partiellement un marché de 600 millions de clients potentiels des réseaux dominés par les Etats-Unis (17). Des basculements de telle ampleur risquent à terme de réduire considérablement, voire d’annuler, la suprématie occidentale et de la ramener à ce qu’elle était à la fin du 18ème siècle. L’Europe, par son inféodation inconditionnelle et irrationnelle à Washington, risque tout bonnement une implosion de longue durée si elle persiste dans cette alliance atlantique contre-nature. Il est donc temps d’unir les esprits véritablement politiques de notre sous-continent et de combattre les tenants délirants de toutes les nuisances idéologiques, insinués dans les mentalités européennes par le soft power américain. Car l’Europe est perdante sur tous les tableaux.

A l’Est de l’Europe, une guerre lente persiste, handicapant les communications entre des parties du monde qui ont toujours été des débouchés pour nous, depuis la plus haute antiquité : origines steppiques des cultures kourganes, présence grecque en Crimée et à l’embouchure du Don, domination des fleuves russes par les Varègues et présence scandinave dans la place de Bolgar en marge de l’Oural, nécessité des croisades pour reprendre pied dans toutes les régions-portails du Pont, du Levant et du delta du Nil, présence des Génois et des Vénitiens aux terminaux pontiques de la route de la Soie, etc. Une Ukraine qui serait demeurée neutre, selon les critères mis au point lors des pourparlers soviéto-finlandais à partir de 1945, aurait été bénéfique à tous, y compris aux Ukrainiens qui seraient demeurés maîtres de leurs richesses minérales et agricoles (au lieu de les vendre à Monsanto, Cargill et Dupont).

La pire défaite de l’Europe (et de la Russie !) dans le contexte hyper-conflictuel que nous connaissons aujourd’hui se situe dans la Baltique. La Baltique était un espace neutre, où régnait une réelle sérénité : l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN fait de cette mer intérieure du Nord de l’Europe un espace de guerre chaude potentielle. Le territoire finlandais, désormais otanisé, permet de faire pression sur la mer Blanche et sur l’espace arctique, à l’heure où la « route de la Soie maritime » du Grand Nord permettrait de raccourcir considérablement la distance entre l’Europe et l’Extrême-Orient chinois, japonais et coréen, sans compter l’ensemble des pays de l’ANASE.

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L’Europe est donc face à un triple verrou : a) le verrou baltique-arctique (avec suppression des gazoducs Nord Stream, et blocage potentiel de la route arctique) ; b) le verrou pontique en mer Noire qui entrave la ligne Danube-Pont-Don-Volga-Caspienne-Iran et que les Russes cherchent à contourner en organisant avec les Iraniens et les Indiens le « Corridor économique Nord-Sud », partant de Mumbai, traversant l’Iran et la Caspienne ou longeant celle-ci à travers l’Azerbaïdjan (18) ; c) le verrou est-méditerranéen ou israélien, qu’il serait judicieux de nommer le « mur hérodien », érigé par les Britanniques et ensuite entretenu par les Américains, afin de créer un chaos permanent au Levant et en Mésopotamie. Les lecteurs de Toynbee et de Luttwak sauront que les rois Hérode de l’antiquité étaient en place grâce à l’appui romain pour contrer toute avancée perse en direction de la Méditerranée : le sionisme israélien est un avatar moderne de ce mur romain, incarné par les rois Hérode. L’énergie russe ne passe plus par les gazoducs de la Baltique ; dans quelques semaines, le gouvernement Zelenski fermera les gazoducs ukrainiens qui amènent le gaz aux Slovaques, aux Hongrois et aux Autrichiens, trois pays récalcitrants dans l’OTAN et l’UE. Il restera le gazoduc turc mais quid si Erdogan pique une crise d’anti-européisme ou si l’Occident américanisé impose des sanctions à Ankara, si la Turquie s’aligne sur les BRICS ou continue à avoir des relations normales avec Moscou ?

Le monde bouge, les cartes sont redistribuées chaque jour qui passe. Cette mobilité et cette redistribution postule une adaptation souple, allant dans nos intérêts. L’Europe n’était pas une aire enclavée mais était ouverte sur le monde. Elle risque désormais l’enclavement. Elle se ferme au risque de l’implosion définitive, parce qu’elle s’est alignée sur les Etats-Unis et a adopté, contre ses intérêts, des idéologies nées aux Etats-Unis : hippisme, néolibéralisme, irréalisme diplomatique (alors que Kissinger préconisait un réalisme hérité de Metternich), wokisme. Il est temps que cela change. La montée des BRICS est un défi, à relever avec des dispositions mentales très différentes, que nous enseignent les grandes traditions pluriséculaires, surtout celles nées aux périodes axiales de l’histoire.

Notes :

  • (1) Lire le livre de Jean-Michel Sallmann, Le grand désenclavement du monde 1200-1600, Payot, 2011.
  • (2)Ian Morris, Why the West Rules – For Now, Profile Books, London, 2011.
  • (3) Gerd-Klaus Kaltenbrunner, « Sigmund von Herberstein – Ein österreichischer Diplomat als ‘Kolumbus Russlands’ », in : Vom Geist Europas – Landschaften – Gestalten – Ideen, Mut-Verlag, Asendorf, 1987.
  • (4) Lecture indispensable : Cat Jarman, River Kings. The Vikings from Scandinavia to the Silk Roads, Collins, London, 2021.
  • (5) Louis Dupeux, Stratégie communiste et dynamique conservatrice. Essai sur les différents sens de l'expression « National-bolchevisme » en Allemagne, sous la République de Weimar (1919-1933), (Lille, Service de reproduction des thèses de l'Université) Paris, Librairie H. Champion, 1976.
  • (6) Otto-Ernst Schüddekopf, National-Bolschewismus in Deutschland 1918-1933, Ullstein, Frankfurt/M-Berlin-Wien, 1972. J’inclus bon nombre de faits, mentionnés par Schüddekopf dans le chapitre intitulé « Conférence de Robert Steuckers à la tribune du ‘Cercle non-conforme’ » (Lille, 27 juin 2014), in : R. S., La révolution conservatrice allemande, tome deuxième, Editions du Lore, s. l., 2018.
  • (7) Fiche Wikipedia d’Otto-Ernst Schüddekopf : https://de.wikipedia.org/wiki/Otto-Ernst_Sch%C3%BCddekopf
  • (8) Reprint partiel de cette revue « nationale-communiste » : « Aufbruch » - Dokumentation einer Zeitschrift zwischen den Fronten, Verlag Dietmar Fölbach, Koblenz, 2001.
  • (9) On lira toutefois la passionnante étude de Kris Manjapra, Age of Entanglement. German and Indian Intellectuals Across Empire, Harvard University Press, Cambridge/London, 2014.
  • (10) Robert Steuckers, « Les amendements chinois au ‘Nouvel Ordre Mondial’ », in ; Europa – vol. 2 – De l’Eurasie aux périphéries ; une géopolitique continentale, Bios, Lille, 2017.
  • (11) Voir : https://market-insights.upply.com/fr/la-carte-verite-des-...
  • (12) Robert Steuckers, « L’encerclement de l’Iran à la lumière de l’histoire du Grand Moyen-Orient » & « Réflexions sur deux points chauds : l’Iran et la Syrie », in Europa, vol. III – L’Europe, un balcon sur le monde, Bios, Lille, 2017. Voir aussi, R. S., « Le fondamentalisme islamiste en Iran, négation de l’identité iranienne et création anglo-américaine », in Europa, vol. II – De l’Eurasie aux périphéries, une géopolitique continentale, Ed. Bios, Lille, 2017.
  • (13) Daniell Pföhringer, « Plan Morgenthau et Nord Stream: Gloria von Thurn und Taxis en remet une couche », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/10/08/m...
  • (14) Stefan Schmitt, « Les céréales et la guerre », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/07/31/l...; Enrico Toselli, « Le blé ukrainien contre les agriculteurs polonais. Et le blé russe nourrit l'Afrique », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2023/04/14/l...; un point de vue russe sur le problème : Groupe de réflexion Katehon, « La crise du blé et la sécurité alimentaire », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/07/19/l... ; pour réinsérer la question dans une vaste perspective historique : Andrea Marcigliano, « Sur le blé: de l'antiquité à la guerre russo-ukrainienne », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/06/22/s...
  • (15) Pour bien comprendre la problématique, ainsi que celle du stockage stratégique du grain (dont la Chine est l’incontestable championne), lire le chapitre IV de : Federico Rampini, Il lungo inverno – False apocalissi, vere crisi, ma nonci salverà lo Stato, Mondadori, Milan, 2022.
  • (16) Le dossier présenté par Thomas Röper, sur base d’une analyse d’Asia Times : «La dédollarisation, voie vers la liberté financière mondiale », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/09/09/l...; voir aussi : Bernhard Tomaschitz, « Les États-Unis veulent désormais sanctionner les pays qui abandonnent le dollar - Un sénateur veut stopper la dédollarisation progressive par des sanctions », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/08/18/l...
  • (17) Enrico Toselli, « Pour la première fois, les pays de l'ANASE préfèrent la Chine aux États-Unis en matière d'investissement dans la défense militaire », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/04/05/p...
  • (18) Arthur Kowarski, « L'Inde intensifie sa coopération avec l'Iran dans le domaine des infrastructures de transport », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/05/15/l... ; Pepe Escobar, « L'interconnexion de la BRI et de l'INSTC complètera le puzzle eurasien », http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/08/22/l...

 

 

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