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jeudi, 06 septembre 2007

Pour l'Europe: ni USA ni Islam

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Enrique RIPOLL :

Pour l'Europe : ni USA ni Islam

Communisme ou capitalisme ? Etats-Unis ou Union Soviétique ? La recherche d'une troisième voie entre ces deux options politiques et économiques ou la construction d'un espace géopolitique entre ces deux puissances étrangères ont été effectivement les options potentielles qui ont caractérisé la politique européenne entre 1945 et 1991. Cette recherche s'est ensuite muée en défi, avant que tout ne se solde par un colossal effondrement. Depuis l'effondrement du bloc communiste, en effet, une seule et unique puissance vise à exercer son contrôle sur la planète entière : ce sont les Etats-Unis d'Amérique, mais, sur la voie triomphale qui les mène à la domination de tout le globe, ils rencontrent des écueils, se heurtent à des réalités culturelles qui résistent au rouleau compresseur du mondialisme; parmi elles, il y en a une qui semble résister avec davantage de force que les autres et qui, peut-être —mais nous en doutons fortement—, se transformera un jour en un pôle indépendant de puissance : c'est le monde arabe et musulman —que nous appellerons l'Islam dans la suite de cet exposé. En Europe, nous voyons une nouvelle fois des doutes s'exprimer, des incertitudes se faire jour, notre classe politique s'avérant absolument incapable de canaliser la volonté des gouvernants, afin que notre vieux continent devienne à son tour une puissance mondiale de premier plan. La discorde s'installe, avec force, ente ceux qui militent pour une alternative proprement européenne mais qui finissent tourmentés par leurs frustrations face aux difficultés qu'il y a à renforcer l'idée d'une Europe autonome. Dans un tel contexte, ils voient en ces deux pôles  —dont l'un est l'Islam, mais qui est finalement plus imaginaire que réel— des alliés potentiels pour consolider le projet de construction nationale-européenne, ou, pour être plus précis, voient dans l'un ou l'autre un allié face à la menace qu'est censée représenter l'autre. Nous sommes une fois de plus en face de la même erreur : aucun de ces deux pôles ne jouera jamais la carte de la liberté européenne; tous les deux sont des ennemis de la renaissance européenne. Une fois de plus, la question est mal posée, ou, pour dire mieux, c'est d'office une mauvaise question dès le moment où nous la posons; avant, certains disaient "Ni USA ni URSS" et, aujourd'hui, face à la question "Les Etats-Unis ou l'Islam?", la réponse doit être sans circonlocutions inutiles : "Ni les Etats-Unis ni l'Islam! Pour une Europe unie, grande et… armée!". Le problème de fond est le suivant : tant les Etats-Unis que l'Islam sont doublement en conflit avec l'Europe; ils le sont sur le plan purement politique, parce qu'ils ont tous deux la volonté de s'étendre et de dominer; ils le sont aussi sur le plan idéologique, car en dépit du fait que ces deux pôles de puissance sont sous-tendus par des conceptions du monde fondamentalement différentes, ils sont néanmoins tous deux antithétiques par rapport aux valeurs et visions de nos peuples d'Europe.

 

Simplismes et manichéismes

 

Aux Etats-Unis, mis à part tout ce que veulent faire voir les producteurs de cette grande machine de propagande qu'est Hollywood, mis à part le fameux "melting pot" tant vanté et le "rêve américain" tout en paillettes et en chansonnettes de Broadway, il n'y a pas de culture commune. Il n'y a nul point de comparaison entre les fermiers du Minnesota et les citadins de Harlem ou de Little Italy, ni entre les Chinois de Californie et les Hispaniques de Floride. L'"American Way of Life" est une "culture entéléchie", dans la mesure où ce sont des minima communs que partagent les Anglo-Américains, les Irlando-Américains, les Italo-Américains, les Judéo-Américains, les Germano-Américains (peu de gens le savent, mais c'est le groupe ethnique le plus nombreux du pays), les Américains d'origine scandinave, les Américains de souche haïtienne ou chinoise, etc. Seuls quelques traits communs unissent vaille que vaille cette mosaïque d'ethnies et font que la cohabitation entre ces groups reste supportable et ne dégénère pas en conflits quotidiens et continus. Ces traits sont vraiment un minimum commun, l'essence de l'"American way of Life" n'est rien de plus que le base-ball, les hamburgers, une idée bien définie de la liberté individuelle, combinée à une forte dose de sensiblerie infantile, à un puritanisme moralisant, à une intolérance de facture biblique contre tout ce qui ne correspond pas à ce "way of life" et à un fondamentalisme libéral-démocratique. Nous avons donc affaire à une société simple, animée par des notions simples et manichéennes qui réclament toujours des explications tout aussi simples et des réponses violentes à l'endroit de tout ce que cet américanisme considère comme une menace contre son rêve.

 

Pour ce qui concerne l'Islam, il nous paraît difficile, pour ne pas dire erroné, de s'y référer comme s'il était une unité ou de le penser comme un bloc arabo-islamique unique et compact, capable de se manifester comme tel sur la scène politique internationale. Mis à part le traditionnel clivage entre Sunnites et Chiites, nous rencontrons, dans l'immense corridor d'Ouest en Est, qui va du Maroc à l'Indonésie, des réalités politiques et culturelles absolument différentes les unes des autres, recelant forcément des antagonismes : cela va des Alaouites du Maroc à ceux qui structurent l'armée syrienne et des Wahhabites saoudiens aux régimes religieux semblables à celui des Chiites iraniens —qui appuient la lutte de la minorité chiite du Sud de l'Irak contre Saddam Hussein—  en passant par un régime comme celui du Colonel Khadafi en Lybie, qu'il nous paraît bien difficile à cataloguer car il est passé d'un panarabisme fort enthousiaste à un panafricanisme très déconcertant, tout en ponctuant sa trajectoire de coups d'éclat, visant à lui donner un leadership sur un Maghreb unifié. Ensuite, nous avons le régime laïc égyptien et les deux pays héritiers du socialisme nationaliste et panarabe de Nasser, la Syrie et l'Irak, tous deux gouvernés par un même parti, le Baath, mais scindé en deux factions différentes et devenues mortellement ennemies l'une de l'autre. Enfin, nous avons les talibans en Afghanistan —et tout se qui se rapporte à leur mouvement— puis les pétro-monarchies corrompues du Golfe, l'intégrisme d'inspiration saoudienne qui sévit au Pakistan, les guérilleros tchétchènes ou le "Frente Moro de Liberación" aux Philippines. Face à cette extrême diversité, réellement, de qui peut-on espérer une aide ou un appui, comme l'imaginent les Européens qui voient en l'Islam un allié potentiel pour assurer la renaissance européenne? Cette question reçoit toujours des réponses changeantes et variées au gré des événements qui ponctuent la politique internationale : tantôt c'est l'Iran de Khomeyni qui apparaît comme l'allié providentiel, à la place de la Libye de Khadafi, et, ultérieurement, les mêmes voient en l'Irak de Saddam Hussein la pièce maîtresse de leur dispositif imaginaire; les plus lamentables de tous avancent même aujourd'hui que Ben Laden et ses bandes de brigands pourraient jouer ce rôle.

 

A plusieurs reprises au cours de l'histoire, les Etats-Unis n'ont pas hésité à utiliser leurs ennemis théoriques du moment comme pièce essentielle de leur stratégie de domination mondiale. Ils ont fait de l'Arabie Saoudite, le pays musulman le plus intégriste, le gendarme du Golfe Persique; ils ont financé la guérilla séparatiste tchétchène en lutte contre la Russie; ils se sont alliés avec les musulmans d'Albanie et de Bosnie (1) pour justifier leur présence militaire permanente dans les Balkans et pour mettre un terme à toute entente constructive entre les puissances européennes, jadis antagonistes, et, plus spécialement, pour empêcher l'entente qu'ils craignent le plus, celle entre l'Allemagne et la Russie.

 

Même pendant la période soviétique, ils ont utilisé les extrémistes musulmans à leur avantage; la CIA fut chargée de créer de toutes pièces Ben Laden et de donner forme à son mouvement, Al-Qaeda et ses talibans. Bien au-delà de leurs fantasmagoriques menaces terroristes  —en effet, beaucoup de commentaires pointent des doigts accusateurs vers d'autres cibles que CNN pour désigner les barbares responsables des attentats du 11 septembre 2001— Ben Laden et ses amis talibans représentent tout ce qui est opposé à l'âme européenne : le fait d'avoir détruit les statues millénaires des Bouddhas de Bamiyan démontre qu'ils seraient parfaitement capables de dynamiter le Parthénon, la Cathédrale de Burgos ou la Chapelle Sixtine s'ils en avaient l'occasion. Le vandalisme contre les Bouddhas suffit à démontrer à quel type d'individus on a affaire. Qui plus est, l'islamisme d'inspiration wahhabite que pratiquent Ben Laden & Co. n'a rien à voir avec l'islam traditionnel : c'est précisément une sorte d'islam dépouillé de tous rites profonds, de toute doctrine ésotérique, qui considère son propre héritage traditionnel comme étant "païen"; il cherche ainsi à imposer une interprétation particulière de la doctrine originelle du Prophète. Il faut bien se rendre compte que l'intégrisme wahhabite est aussi l'ennemi de l'islam traditionnel, ce qui explique l'opposition radicale entre l'Iran, d'une part, et le trinôme Pakistan/Arabie Saoudite/Ben Laden, d'autre part. S'il était possible de faire un parallélisme avec le christianisme, on pourrait dire qu'une même opposition se retrouve entre un catholicisme ancestral et paysan, d'une part, et un protestantisme puritain et exalté, d'autre part, justement semblable à celui que les Etats-Unis imposent avec force dans le monde.

 

L'Europe doit se tourner vers elle-même

 

Si l'Europe cherche les piliers sur lesquels construire sa puissance pour le millénaire qui commence, elle doit cesser d'être à la remorque des événements spectaculaires actuels, et tourner son regard vers elle-même : vers une Russie qui reste une grande puissance militaire, vers une Allemagne qui devrait abandonner définitivement ses complexes de nanisme politique et jouer à plein son rôle de locomotive économique, capable de lui rendre sa fonction d'axe du continent, vers une France qui, depuis 1945, a été le seul Etat européen qui a refusé fermement de devenir une colonie yankee, vers une Italie où les enjeux idéologiques sont encore véritablement débattus, vers une Espagne qui est consciente de ses énormes potentialités politiques et stratégiques. C'est dans ces pays, et dans ces pays seuls, que nous trouverons tous les éléments pour donner naissance à une Europe, puissance mondiale. Nous n'oublions pas les peuples britanniques (anglais, gallois, écossais, scoto-ulstérien) et irlandais, héritiers des meilleures traditions européennes, qu'elles soient celtiques, romaines, germaniques, scandinaves, traditions qui sont une part essentielle et incontournable de l'Europe. Nous devons aussi prendre en considération la côte orientale de l'Amérique du Nord, car ses habitants, eux aussi, doivent participer à la mission historique de maintenir leur héritage et leur identité, car ils sont appelés, très logiquement, à conserver une relation spéciale avec leurs frères aînés de ce côté-ci de l'Atlantique. L'Europe ne doit pas oublier qu'elle doit œuvrer avec tous les Euro-Américains du Nord comme du Sud (2), car ils restent un fragment de l'Europe et il nous paraît impossible de penser l'Europe complètement sans eux.

 

Lorsque certains dirigeants soviétiques ou communistes parlaient à Staline du pouvoir du Pape, le chef géorgien de l'URSS répondait toujours par une question : « Combien de Panzerdivisionen possède le Pape? Telles sont effectivement les réalités de la politique mondiale, et l'Europe, si elle veut devenir une véritable puissance, devra joindre en un indéfectible faisceau les acquis de son développement économique, le principe de l'unité politique et une armée puissante. Ce n'est que par la ferme conjonction de ces atouts que l'Europe parviendra un jour à une unité réelle. Voilà pourquoi, au début de cet article, nous avons exprimé la nécessité de forger une Europe armée et que nous lançons l'idée de créer une grande et unique armée européenne, qui devra se montrer capable d'affronter avec succès n'importe quelle menace qui pèserait sur nos terres, tant pour garder la frontière méridionale (face aux peuples islamiques) que pour contrer la prépondérance américaine sur le sol européen.

 

La crise internationale provoquée par les attentats du 11 septembre 2001 semble désormais se dénouer : l'incursion des troupes occidentales en Afghanistan arrive à sa fin et, en guise de conclusion, nous pouvons dire que sont désormais patentes les contradictions dans lesquelles va se dépêtrer le "nouvel ordre mondial" au moment il doit imposer sa domination sur ce monde si complexe des débuts du troisième millénaire, même si en apparence il semble mettre en œuvre des plans infaillibles. Malgré ces projets mirobolants, les échecs sont évidents et les situations que provoque ce "nouvel ordre mondial" ne donnent pas toujours les résultats espérés. Au début des événements d'Afghanistan, il était clair que les Etats-Unis appuyaient l'Alliance du Nord, parce qu'ils n'osaient pas se risquer à une invasion terrestre ; les mudjahidins devaient faire le sale travail et subir les rigueurs du combat que craint l'armée impérialiste, plus prompte à bouffer des hot dogs, à fréquenter les night-clubs et à visiter le psychanalyste qu'à se lancer dans des combats au corps à corps. Au fur et à mesure que la situation évoluait, le scepticisme s'imposait quant à l'identité réelle de l'Alliance du Nord, qui ne partageait évidemment pas les options idéologiques occidentales; les positions idéologiques de cette Alliance, sa soif de revanche et ses appuis extérieurs ne correspondaient pas tout à fait à ce qu'espéraient les Américains. Finalement, nous voyons que la peur américaine d'affronter l'ennemi taliban sur le terrain a conduit à appuyer d'autres islamistes, ceux du Nord, a conduit à un résultat désastreux pour les Etats-Unis sur le plan des relations internationales :

 

(1)     Les Etats-Unis ont détruit un régime qu'ils avaient eux-mêmes créé pour freiner l'influence soviétique (puis russe) et l'influence iranienne dans la région.

 

(2)     Les Etats-Unis ont perdu beaucoup de crédit auprès de leur plus fidèle allié parmi les musulmans non arabes : le Pakistan, dont le régime est fragilisé à l'intérieur comme à l'extérieur.

 

(3)     Les Etats-Unis ont envenimé leurs relations avec leur meilleur allié arabe : les Saoudiens.

 

(4)     Les deux grands bénéficiaires de la nouvelle situation, née par l'installation du nouveau gouvernement à Kaboul, sont les deux bêtes noires de la diplomatie américaines, tous deux alliés potentiels de l'Europe : l'Iran, qui, malgré les intentions de Khatami d'introduire des réformes, reste un môle de résistance au mondialisme; et l'Inde, ennemie traditionnelle des Etats-Unis et du Pakistan, gouvernée aujourd'hui par les traditionalistes hindous du BJP.

 

Le "nouvel ordre mondial" est vulnérable. L'hégémonie yankee présente des faiblesses rédhibitoires. L'Europe, dans ce contexte, doit simplement avoir la volonté de se muer en grand protagoniste de la politique mondiale, comme elle l'avait été jadis, en faisant face aux Etats-Unis et en faisant face à l'Islam, en faisant face à tous les adversaires qui voudront l'affronter. Cette volonté, il faut la réveiller, en la criant dans les rues, en la défendant et l'illustrant dans les revues, dans les fora d'opinion, pour défendre ses forêts et ses lacs, ses cathédrales et ses musées, les tombes de ses héros et de ses artistes. Il faut œuvrer pour l'éveil de cette volonté à Galway, à Moscou, à Stonehenge, dans les ruines de Delphes, dans le théâtre romain de Sagonte, dans la cathédrale de Strasbourg, sur le parvis de Notre-Dame de Paris, à Poitiers, à Lépante et partout ailleurs. Cet article aussi est un cri qui appelle à l'éveil.

 

Enrique RIPOLL.

 

Notes:

◊ 1. Rappelons que les Bosniaques ont pris pour référence à l'identité de leurs pays, l'Islam, parmi d'autres possibilités qui auraient pu s'offrir à eux. Alors que cet islam s'était fortement estompé au point de venir quasi anecdotique chez eux, sa réactivation a provoqué une nouvelle division idéologique en une région très sensible en Europe. Elle a amené une division interne en Bosnie-Herzégovine entre Musulmans, d'une part, et Croato-Bosniaques catholiques et Serbo-Bosniaques ortohodoxes, d'autre part, ruinant les assises de cet "Etat-avorton" qui prétendait être islamique et uni, tourné vers La Mecque.

 

◊ 2. Nous devrions éviter d'utiliser des termes confus comme "hispano-américain" ou "latino-américain", car ils imposent une confusion entre les "Euro-Américains" originaires de pays de langue romane, d'une part, et les indigènes, les Afro-Américains et tous les autres types de symbiose raciale et culturelle qui composent l'Amérique tout en ayant pour dénominateur commun l'usage de la langue castillane ou portugaise. Nous assistons, étonnés, à la mode actuelle de la musique dite "latina", baptisée ainsi par les demi-analphabètes qui officient dans les grands médias de communication nord-américains : la salsa, la merengue et autres phénomènes analogues ne sont pas autre chose que des rythmes afro-caribéens adaptés et chantés en espagnol ; si nous suivions le même raisonnement, nous devrions dire que les orchestres de rap new-yorkais relèvent d'"auteurs anglo-germaniques". 

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La guerre en Irak affaiblit l'US Army

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La guerre en Irak affaiblit l’US Army

Peter Pace, général américain qui part à la retraite, a exigé, avant son départ, la diminution des effectifs US en Irak. La présence de plus de 100.000 soldats en Irak constitue une charge trop lourde pour les forces armées américaines et diminue leurs capacités à réagir à d’autres menaces, a déclaré cet officier de haut rang aux journalistes du « Los Angeles Times ». Cet officier du Corps des Marines peut partir à la retraite car George Bush n’a pas réclamé le renouvellement de son contrat ; il quittera donc ses fonctions en septembre 2007. Il présentera ses réflexions et conclusions au Président américain mais à titre privé seulement, précise le « Los Angeles Times ». Le quotidien précise en outre que les chefs d’état-major ont exprimé leurs inquiétudes : en effet, la guerre menée en Irak empêche de faire face à d’autres menaces, comme celle que pourrait constituer l’Iran. Pour sa part, le Sénateur républicain John Warner de l’Etat de Virginie a demandé au Président Bush d’annoncer, le 15 septembre, le retour prochain de 5000 soldats du théâtre irakien. Les Etats-Unis doivent montrer au Premier Ministre irakien Nouri al-Maliki que l’engagement américain en Irak ne sera pas éternel, a déclaré le Sénateur, qui est également membre de la Commission des forces armées. Et il a ajouté : « Le gouvernement irakien a laissé tomber nos troupes ».

(source : Junge Freiheit, Berlin,n°36/2007).

Commentaires:

L’hypertrophie impériale est une constante de la politique extérieure et militaire des Etats-Unis. Les engagements militaires finissent par s’avérer très lourds, sur le plan budgétaire, pour faire face simultanément à d’autres impératifs (sociaux, investissements structurels, etc.). De plus, l’intervention en Mésopotamie, au fond de ce bras de mer profondément enfoncé dans les terres de la masse continentale eurasienne implique un bouleversement tel de l’équilibre régional et de sa périphérie, qu’il implique, bien plus qu’au Vietnam, l’émergence de nouveaux conflits et défis ; ainsi, nous voyons une Turquie qui vacille, ne montre plus la même fidélité inconditionnelle à l’alliance atlantique ; un Iran qu’il faut déstabiliser par insurrections tribales interposées au Baloutchistan et dont l’invasion exigerait des troupes bien plus considérables ; une Asie centrale ex-soviétique qui lorgne, du coup, à nouveau vers Moscou ; une effervescence dans le Caucase que les Etats-Unis ne peuvent maîtriser en dépit des promesses faites à leurs nouveaux alliés, etc. Dans un tel contexte, la Vieille Europe, vilipendée par la clique néo-conservatrice autour de Bush, pourrait faire valoir ses droits à un environnement stable, de concert avec la Russie de Poutine, voire avec la Chine et l’Inde, mais cette réaction salubre ne s’avère plus possible avec la disparition de facto de l’Axe Paris-Berlin-Moscou, les positions d’Angela Merkel étant plus molles et vagues que celle de son prédécesseur social-démocrate et l’alignement de Sarközy, le nouveau président français, sur les Etats-Unis devenant de plus en plus patent.

 

 

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lundi, 03 septembre 2007

Arménie: nation martyr

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Arménie: nation martyr de l'orthodoxie

Notes d'un voyage au pays détruit par les invasions turques

Plus d'un touriste s'émerveillait jadis, en 1988, à Erivan, capitale de l'Arménie, de pouvoir aller se promener dans les montagnes du Nagorno Karabagh, une région dont le nom signifie “jardin noir” en langue turque. Aujourd'hui, ce pays merveilleux est l'endroit, sur la planète, le plus couvert de mines anti-personnel. Le Nagorno Karabagh, que les Arméniens appellent “Artzhak”, est un nouvel Etat, né de la résistance et de la guerre des partisans menée par la population arménienne contre l'invasion islamique turque venue d'Azerbaïdjan. Les Azéris, effectivement, se sont rendus maîtres du pays au moment de l'effondrement de l'Union Soviétique. Si on s'y rend en voiture en venant de la cité de Berdzor, il faut traverser un no man's land encore infesté de bandes azéries et passer entre deux colonnes frappée d'un symbole identique au “Soleil des Alpes” placé sur une épée marquée d'une croix. On se trouve alors dans le district de Shushi, une ville accrochée à une montagne escarpée, où Sergey Tsaturian reçoit les visiteurs. Il est le commandant de la Garde Nationale. Il est l'un des sept frères de la première famille qui, guidée par le patriarche Grigory Shendyan, âgé de 98 ans, a pris les armes contre les envahisseurs. Avec grande fierté, il nous montre une église dont on achève la construction: les azéris d'ethnie turque l'avaient incendiée puis faite sauter à la dynamite, il y a trois ans. Aujourd'hui, un jeune prêtre orthodoxe à longue barbe enseigne le catéchisme à de jeunes garçons à l'air libre, alors qu'il pleut. Il me dit: «Nous ne sommes pas encore en mesure de reconstruire l'école primaire et l'école moyenne qui ont été détruites à coups de canon, sous prétexte qu'elles n'étaient pas des “écoles coraniques”». D'une autre petite chapelle de Shushi, il ne reste plus rien d'autre que les fondements; des destructions similaires ont frappé Berdadzor, Kanatckala, Zarisli, Kanintak; avant de se retirer les Azéris d'ethnie turque ont systématiquement détruit les églises, les écoles et les fours à pain. A Stephanakert, capitale de la nouvelle république d'Artzhak, de nombreuses églises ont également été frappées et fortement endommagées par des missiles ou des obus, mais le Musée de la Tradition tient encore debout, malgré les attaques au missile, au beau milieu de maisons disloquées. La directrice de ce musée, Mme Mélanie Balayan, me raconte que les familles et les enseignants y emmenaient les enfants et les élèves pour visiter cet écrin de la mémoire arménienne, même sous une pluie d'obus. Les Arméniens de cette région n'ont plus connu la liberté depuis longtemps: domination turque, 70 années de communisme après l'arrivée des bolcheviques, puis, récemment, l'arrivée des Azéris d'ethnie turque. Pire: l'ONU, sous la double pression de la Turquie et de l'Azerbaïdjan, n'a pas reconnu le nouvel Etat, alors que des élections démocratiques y ont été tenues, qui ont porté au pouvoir des gouvernements sociaux-démocrates ou libéraux.

 

Dans le district d'Askeran, seul un monastère isolé dans la montagne a échappé à la furie destructrice. La plupart des villages ou des hameaux n'ont plus que des églises ou des écoles de fortune, installées dans des maisons d'habitation ou dans des vestiges d'anciennes forteresses russes. La ville morte d'Aghdam, dans le no man's land situé entre la frontière incertaine de l'Artzhak et l'Etat islamique d'Azerbaïdjan, est le véritable monument funéraire de l'“heureuse coexistence” entre orthodoxes et musulmans. Là-bas, tout est miné et les grenades en chapelets de couleur jaune, très semblables à celles que l'OTAN a utilisé contre les Serbes, maculent le vert des champs qui furent jadis fertiles. Les carcasses calcinées des chars de combat émergent des cratères creusés par les obus. Quelqu'un a apporté des fleurs pour les placer sous une petite croix blanche dessinée sur le flanc d'un T-34 détruit. Un calcul approximatif nous permet de dire qu'environ 300 églises et écoles orthodoxes arméniennes ont été détruites par les Turco-Azéris entre 1989 et 1997 au Nagorno Karabagh et dans le Nakhitchevan.

 

Epilogue: dans la vallée du fleuve Araxe, sur la frontière turco-iranienne, en 1999, je rencontre un colonel, qui ressemble à l'un de ces Immortels de Cyrus II le Grand. Il me fait visiter l'ancien monastère de la Kelissa Darré Sham, c'est-à-dire l'église de Saint-Bartolomée, arrivé dans la région en l'an 62. Elle a été détruite  à plusieurs reprises par les invasions successives des Turco-Azéris, depuis le 16ième siècle jusque dans les années 70. Aujourd'hui, le complexe monastique est sous la protection de l'UNESCO et le ministère des monuments iranien est en train de le restaurer. Mais le panorama sur la vallée qui s'étend au-delà de la frontière azérie et du chemin de fer me rappelle le passé, aux blessures toujours béantes: des milliers et des milliers de katchar arméniennes, c'est-à-dire de croix rustiques taillées dans la pierre, révèlent des tombes chrétiennes orthodoxes, les tombes de ceux qui ont dû sans cesse fuir les persécutions déchaînées par le Sultan rouge, le génocide scientifiquement planifié par le gouvernement des Jeunes Turcs et, très récemment, les incursions des Azéris. Une seule chose a changé, ce ne sont plus des cimeterres ou des fusils que manient génocideurs ou envahisseurs, mais des chars d'assaut et des lance-roquettes munis de viseurs laser. La civilisation moderne…

 

Archimede BONTEMPI.

(article paru dans La Padania, le 26 octobre 2000; http://www.lapadania.com ).    

dimanche, 02 septembre 2007

Drogues d'Asie centrale

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Article d'archives : toujours d'actualité !

 

Archimede BONTEMPI:

L'Union Européenne contre le trafic des stupéfiants

Un document sur l'Asie centrale, berceau mondial de la drogue

Finalement, un document important a été édité avec l'accord des participants aux sessions de travail sur la drogue du Conseil de l'Union Européenne. Il s'agit de l'ébauche d'un plan d'action contre la drogue, à signer entre l'UE et les pays d'Asie centrale comme le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l'Ouzbékistan, c'est-à-dire, à l'exception du Tadjikistan, tous les Etats turcophones situés au-delà de la Mer Caspienne, où se trouve aussi l'Afghanistan qui est le principal producteur de drogues aujourd'hui. Dans ces pays se trouvent les plus grandes cultures du pavot, plante à la base de l'opium; par conséquent, ils abritent les organisations criminelles les plus importantes et les mieux ramifiées qui vendent la drogue en Europe. Tous ces pays signeront avec l'UE un traité d'assistance commune et de coopération pour élaborer des projets communs dans la lutte contre l'écoulement, le trafic, la production et la culture de la drogue.

Le choix de l'UE n'est pas de type militaire, comme celui pour lequel ont opté les Etats-Unis en Colombie. L'Europe ne dispose pas des crédits pour sa machine de guerre et pour utiliser celle-ci contre les organisations de trafiquants. L'Europe a choisi de renforcer des organisations internationales du type d'Interpol et de la DIA, favorisant la formation et la mise à jour professionnelle du personnel des polices, des gardes-frontières et des douanes. Mais surtout l'Europe a choisi de contribuer au développement économique des zones concernées par le problème, permettant l'éclosion de cultures à haut rendement économique pouvant se substituer aux "cultures de la drogue", ce qui permettra aux citoyens des républiques turcophones de rester dans leurs pays et d'y bénéficier de revenus suffisants. Il a également été décidé d'envoyer un Coordinateur européen sur place, pour conduire la lutte contre le narco-trafic.

La Conférence d'Europol, la coordination des services de police européens, s'est tenue en septembre de l'année passée; elle a mis en évidence que 80% de toute l'héroïne consommée en Europe proviennent de l'Afghanistan, dont la production est estimée à 4600 tonnes d'opium par an. Une grande partie de l'héroïne et des résines de cannabis et d'éphédra en provenance de l'Afghanistan et du Pakistan voisin est acheminée via les autres pays d'Asie centrale. Une petite partie reste sur place pour la consommation locale. La majeure partie transite par la Russie, la Turquie et l'Albanie pour aboutir en Europe.

Les mesures draconiennes prises par l'Iran le long de ses frontières avec l'Afghanistan et le Pakistan ont été couronnées de succès et ont réussi à barrer la route des trafiquants. Rien qu'au début de l'année 2000, la police et l'armée iraniennes ont éliminé plus de 400 trafiquants et en ont emprisonné le double. Ces mesures ont contraint les narco-trafiquants afghans à utiliser d'autres routes pour acheminer la drogue, notamment à travers le désert du Kazakhstan et via les autres pays de la région de la Caspienne. Le trajet des drogues s'est ainsi allongé, donc les prix ont augmenté en conséquence. Au départ de ces pays d'Asie centrale, les drogues passent en Russie, en Turquie, en Albanie, au Kosovo et en Macédoine occidentale.

Une partie de la drogue se consomme le long du trajet; aujourd'hui, on compte déjà 500.000 cas de toxicomanie banale dans les pays d'Asie centrale. Ensuite, on est déjà passé  —surtout au Kazakhstan, l'Etat le plus développé sur le plan industriel—  des drogues “naturelles” à la production de drogues chimiques, parmi lesquelles les fameuses “pilules du bonheur” que l'on consomme aujourd'hui dans toutes les discothèques d'Europe; ce sont des euphorisants, responsables des accidents mortels du samedi soir, car qui en fait usage perd ses freins inhibiteurs, provoquant l'ivresse de la vitesse incontrôlée.

Les frontières entre les pays d'Asie centrale et les Etats caucasiens sont perméables car peu surveillées par les polices, occupées à d'autres tâches sur d'autres fronts; en plus, les effectifs de ces polices sont peu nombreux et leurs capacités opérationnelles sont limitées. En plus, les conflits de compétence entre les tribunaux et les polices, dans ces différents pays et dans leurs rapports avec l'Union, aggravent encore leurs faibles chances de succès.

Le plan européen prévoit l'assistance à des projets de concertation entre les différents Etats du Caucase, pour aboutir à un meilleur contrôle des frontières et à une défense efficace de celles-ci. Il s'agira aussi de repérer les zones de culture, de substituer ensuite à ses cultures d'autres cultures non nuisibles, de coordonner les polices, les unités de gardes-frontières, les magistratures locales et les banques de données des organisations européennes et mondiales de lutte contre le narco-trafic, en conformité avec l'article 12 de la Convention de Vienne de 1988.

Nous avons affaire ici à un premier projet d'intervention organique et globale de l'Union Européenne, qui va bien au-delà des traités bilatéraux et des initiatives sporadiques des polices européennes, agissant individuellement et non pas de concert.

Archimede BONTEMPI.

(article paru dans La Padania, 29 juin 2000 - http://www.lapadania.com ).  

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samedi, 01 septembre 2007

ANZUS

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Création de l'ANZUS

1 septembre 1951 : Les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande forment le pacte de défense qui prendra le nom d’ANZUS. Il s’agit de monter la garde devant le Sud-Est asiatique, derrière la barrière indonésienne et devant l’embouchure des grands fleuves indochinois, qui prennent leurs sources au Tibet ou à proximité de celui-ci, sur le territoire de la République Populaire de Chine, que vient de créer Mao victorieux. Les trois puissances anglo-saxonnes entendent, en Asie comme en Europe, tenir le continent adverse par le Sud-Est. Cela conduira à l’éviction de la France hors d’Indochine puis à la guerre du Vietnam et du Cambodge. La même stratégie de contrôle par le Sud-Est est appliquée en Europe depuis la dislocation de l’ex-Yougoslavie : alliance turque et blocage du Danube à hauteur de Belgrade. L’Administration Clinton incarnait mieux cette stratégie que celle, postérieure, de Bush Junior. Le voyage de Clinton en Turquie en 1998 et les discours qu’il y a tenus illustrent à merveille cette option, impliquant une survalorisation de l’allié turc, au détriment des alliés européens, du processus d’unification européen en direction de l’Europe danubienne et balkanique, et des intérêts russes en Mer Noire. De cette vision politique et stratégique émergera le conflit contre la Serbie de 1999. L’ANZUS sévit également en Europe dans la mesure où tous les Etats qui en sont membres font partie intégrante du système ECHELON, mis en place, comme la politique balkanique, sous le règne du démocrate Clinton. Le système ECHELON permet l’espionnage civil et militaire de toute la planète et de l’Europe en particulier. Par ce système et par l’effondrement du bloc soviétique, les Etats-Unis affirment pouvoir se passer d’alliés : leurs stratèges parlent désormais de « alien powers », de « puissances autres », qu’il faut contrôler et par là même contenir grâce au déploiement de satellites espions.

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mardi, 28 août 2007

Kriegserklärung der Globalisierer

Melisch, Richard
Der letzte Akt
€ 19,80
Melisch, Richard<br><b>Der letzte Akt</b>

Die Kriegserklärung der Globalisierer



380 Seiten
Klappenbroschur
55 Abbildungen
ISBN 3-98180-070-3

Rückentext:

In diesem Buch über den Angriffskrieg und die Schlußoffensive der Globalisierer gegen alle Völker der Welt kommt der Verfasser ohne Fragezeichen aus, ohne Herumtasten hinter finsteren Kulissen der Weltpolitik, ohne Verweis auf alle möglichen und unmöglichen Verschwörungstheorien, denn die Kriegserklärung liegt jetzt schriftlich vor. Die Betreiber der Welteroberung durch Globalisierung haben sich selbst enttarnt: Ihre Allianz von Pentagon und Wall Street ist so siegessicher, daß sie ihrem Chefstrategen, dem ›Clausewitz‹ der Globalisierer erlaubte, sowohl ihre Welteroberungspläne als auch die dazu führenden Strategien zu veröffentlichen. Ihr ›terroristischer‹ Feind ist ausgemacht. Es sind die Nationalen. Die Forderung der Globalisierer lautet deshalb klar und deutlich: »Kill them!« Tötet sie!

Klappentext

Die Globalisierer sind schon so überheblich und siegessicher, daß sie ihrem Chefstrategen Thomas Barnett erlaubten, ihre Pläne und Strategien zur Eroberung der Welt zu veröffentlichen. In Der Letzte Akt ist nachzulesen, wie die übermächtige Allianz von Wall Street und Pentagon zustande kam, die mit der Umsetzung der Welteroberung durch Globalisierung beauftragt wurde, welche Gebote sie erläßt, welche Endziele sie verfolgt.

Die Globalisierer scheuen sich nicht, offen einzugestehen, daß ihre Hausmacht USA ihre politische, militärische und wirtschaftliche Übermacht dem praktisch wertlosen US-Dollar verdankt, den sie den Völkern der Erde als Weltwährung aufzwang, daß sie zur Erzwingung neuer Kriege nicht zögern wird, einen neuen ›11. September‹ zu inszenieren und amerikanische Einsatzgruppen zur Liquidierung mißliebiger Politiker zu entsenden. Sie räumen ein, daß der Endsieg der Globalisierung nur dann erreicht werden kann, wenn ausnahmslos alle Völker, Konfessionen, Kulturen gleichgeschaltet, alle nationalen Grenzen niedergerissen, alle sozialpolitisch und volkswirtschaftlich gebotenen Schranken und Einschränkungen beseitigt worden sind.

Sie fordern die Vermischung aller Völker, da mit die neu entstehenden Massen von Humanressourcen mobil, flexibel und vor allem widerstandslos den Befehlen ihrer globalen Herren folgen mögen. Sie streben nach einem einzigen Ideal, einem einzigen irdischen Lohn, nämlich nach dem Erwirtschaften des maximalen Profites. Sittliche Werte kennen sie nicht.

Sie rechnen mit dem Widerstand von ›Schurkenstaaten‹ samt ihren unbelehrbaren, ewiggestrigen, nationalen politischen Führern, die noch an Werten und Traditionen hängen, und von glaubensfanatischen ›Terroristen‹, das sind all jene, die weder bereit sind, ihre Natur-, Kultur- und Bodenschätze dem ›freien Spiel des Weltmarktes‹ auszuliefern, noch auf das Überleben ihrer Völker als freie und eigenständige Nationen zu verzichten. Solchen nationalen Widerstand wollen die Globalisierer mit allen Mitteln brechen.

Melisch beschreibt die Gefahren, die von den politischen und militärischen Krisenherden ausgehen, wo fanatische Weltmachtbesessene am Ruder sind, die unbedingt neue Kriege anzetteln wollen, um die Entscheidungsschlacht Armageddon zu erzwingen und dabei freudig in Kauf nehmen, daß sie sich selbst, ihr Land und unseren Planeten in die Luft jagen könnten.

Die Globalisierer glauben, daß sie knapp vor ihrem Endziel stehen. Doch mit jeder weiteren Drehung der Globalisierungsdaumenschraube wächst der Widerstand vieler Völker und ihrer nationalbewußten Führungspersönlichkeiten. Nicht so in den Mitgliedsstaaten der Europäischen Union, wo zwar die EU-Verdrossenheit der Bürger stark ansteigt, eine Bereitschaft zum Widerstand jedoch praktisch kaum erkennbar ist. Im letzten Kapitel verweist Melisch auf mögliche Lösungen und dringende Kurskorrekturen.

Über den Autor:

RICHARD MELISCH ist 1934 in Paris geboren, wohin es seinen Vater, einen ehemaligen k.u.k. Offizier, nach dem Ersten Weltkrieg verschlagen und wo dieser eine Pariserin geheiratet hatte. Die Schulbänke hat er in Paris und Graz gedrückt. Einige Jahre verbrachte er in Brasilien, in Hamburg und in Nordamerika. 1963 wird er von einem österreichischen Unternehmen nach Beirut entsendet, wo ihm die Vertretung für die arabischen Länder des Nahen Ostens übertragen wird. Nach 12 Jahren machte er sich selbständig. 19 Jahre lang hat er von Beirut aus die umliegenden arabischen Länder bereist und 11 Jahre von Dubai und Kuwait aus die Golfstaaten.

vendredi, 17 août 2007

Irak: échec du gouvernement Maliki

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Irak : échec du gouvernement Maliki, balkanisation garantie…

 

Günther DESCHNER

 

Déjà quand le Président américain George W. Bush, en janvier 2007, a annoncé sa « nouvelle stratégie irakienne », qui permettrait enfin de faire progresser les choses là-bas en dernière minute, la plupart des observateurs étaient sûrs que les points essentiels de cette stratégie n’avaient guère plus d’assises concrètes que les numéros gagnants d’une loterie, faite de pur hasard : « D’ici à septembre », annonçait la Maison Blanche, « une offensive de sécurité » pacifierait définitivement le chaudron irakien en ébullition, l’armée et la police du nouvel Irak seraient enfin en mesure de faire face à la situation et de garantir la sécurité intérieure du pays en ne comptant que sur leurs propres forces ; ensuite, l’industrie pétrolière irakienne redeviendrait le moteur économique du pays détruit parce qu’une nouvelle loi réglementant l’exploitation des champs pétrolifères assurerait une base sûre au redémarrage. Enfin, le gouvernement irakien en ressortirait renforcé et démontrerait ses capacités à s’imposer. Il reste donc aujourd’hui, début août 2007, quelque quatre semaines pour réaliser ce programme…

 

Mais voilà que le gouvernement du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki ne s’est jamais trouvé dans une position aussi inconfortable qu’aujourd’hui. Les partis sunnites ont quitté la coalition gouvernementale ; leurs six ministres ont quitté leurs cabinets. Six autres ministres, proches du leader religieux chiite Moktada al-Sadr, avaient déjà quitté le gouvernement al-Maliki en avril dernier, parce que le premier ministre avait refusé d’établir un calendrier pour le départ des troupes américaines.

 

La moitié du cabinet irakien est en dissidence

 

Le 7 août 2007, les cinq ministres du mouvement séculier « Alliance pour l’Irak », de l’ancien premier ministre de transition Ayad Allawi, ont annoncé, à leur tour, qu’ils ne participeraient plus aux sessions du cabinet. Cette décision prend un effet immédiat. Par cette nouvelle dissidence, cela fait actuellement dix-sept ministres, soit la moitié du cabinet, qui ont quitté définitivement ou partiellement le « gouvernement d’union nationale ». Plus personne ne peut nier, désormais, que le gouvernement al-Maliki part en quenouille, et à grande vitesse.

 

Au Parlement aussi, on ne trouve plus aucun élan : seul un quart des parlementaires autoproclamés s’est éreinté à préparer les lois les plus nécessaires au pays et voilà que l’ensemble des députés vient de s’octroyer un congé de longue durée, non prévu. Ils ne se réuniront plus avant le 4 septembre. Rien ne permet de prévoir que la « loi sur le pétrole », fort contestée, passera devant ce Parlement.

 

Afin qu’on ne leur reproche pas de « vendre à l’encan les richesses nationales » à des puissances étrangères, le gouvernement, dans son projet de loi, a exclu des effets potentiels de la nouvelle loi les vingt-sept champs pétrolifères encore en exploitation. Le droit d’exploiter les soixante-cinq autres, qui sont nouveaux et n’ont pas encore été mis en œuvre, sera octroyé par vente  à des consortiums internationaux.

 

En dehors de la « zone verte », le pays est sens dessus dessous. Attentats à la bombe, attentats suicides se multiplient : la spirale de la mort ne cesse de tournoyer au-dessus du pays. La situation générale en matière de sécurité s’est quelque peu modifiée, mais ne s’est certainement pas améliorée. Un officier supérieur de l’armée américaine en Irak, le Lieutenant-Général Raymond Odierno, vient de déclarer que, dans ces dernières semaines, les Chiites sont responsables d’à peu près les trois quarts de tous les attentats commis contre les troupes américaines. Certes, bon nombre d’insurgés sunnites ont été chassés de Bagdad par l’ « offensive de sécurité » et se sont repliés dans d’autres régions, mais leur place a été prise, désormais, par des combattants chiites.

 

L’efficacité des forces de sécurité irakiennes laisse à désirer, alors que leur constitution est une condition impérative pour que les Etats-Unis consentent à évacuer leurs propres troupes. Les Etats-Unis avaient fourni à ces forces irakiennes quelque 200.000 fusils d’assaut et pistolets. Ces armes ont toutes disparues sans laisser la moindre trace. Les autorités américaines craignent qu’elles soient aux mains d’insurgés ou de bandes criminelles.

 

Les réalités de l’Irak d’aujourd’hui, auquel doit s’appliquer la « nouvelle stratégie » de Bush, s’avèrent de jour en jour plus violentes et chaotiques. L’échec du gouvernement al-Maliki montre, une fois de plus à l’évidence, que l’Irak s’est, de facto, fragmenté en plusieurs centres régionaux de pouvoir. Le pouvoir politique, policier et économique, en effet, est passé du centre aux périphéries régionales ou locales, selon des clivages ethniques, religieux et tribaux. Le gouvernement de Bagdad n’est plus qu’un acteur politique parmi beaucoup d’autres, au statut quasi étatique. Les Kurdes au Nord, les Chiites au Sud ne cessent de consolider leurs autonomies.

 

Le fractionnement de la société et du monde politique irakiens a pour effet que ce n’est pas une seule guerre civile qui fait rage, mais tout un éventail de guerres civiles. Insurrections et luttes pour le partage du pouvoir se déroulent selon des clivages changeants, entraînant dans leur sillage toutes les forces vives de la société. Cet effondrement général a également pour résultat que le sentiment d’une appartenance commune à un Irak unitaire, sentiment déjà fort faible au demeurant, est en train de disparaître complètement.

 

L’Iran, l’Arabie Saoudite et la Turquie agissent de leur propre chef

 

D’autres facteurs de déstabilisation de l’Irak se manifesteront à coup sûr d’ici la fin de 2007 : le fédéralisme apparaît désormais comme la seule issue possible pour les Kurdes et pour un nombre croissant de Chiites. Le débat en cours sur le partage et le contrôle des ressources pétrolières et gazières, la question du statut de Kirkuk (« Kerkûk » en langue kurde), qui, d’après la constitution, doit être réglée à la fin de 2007 par un référendum populaire, sont autant de questions explosives en soi, grosses d’effondrements futurs.

 

Dans un tel contexte, les trois plus puissants voisins de l’Irak en lambeaux, soit l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Turquie, ajouteront, pour leur propre compte et pour des raisons différentes et divergentes, un surcroît de déstabilisation ; chacun d’entre eux tentera de modifier le cours des choses en Irak à son profit.

 

L’Institut d’études stratégiques britannique, Chatham House, a abordé ces dures réalités dans tous les détails en juin dernier. Ses conclusions, fin juin, sont toujours bien valables, vu le peu de changements survenus dans l’équilibre des pouvoirs irakiens et par l’offensive de « sécurité » lancée par les Américains : « Les réalités, sauf si de nouvelles stratégies permettent de trouver une solution politique, ne nous laissent pas d’autres issues que de dialoguer avec les organisations soutenues par la volonté du peuple, même si elle ne partagent pas les intérêts des Américains dans la région ».

 

Günther DESCHNER.

(article paru dans « Junge Freiheit », Berlin, n°33/2007).

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mercredi, 15 août 2007

Amendements chinois au NOM

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Les amendements chinois au «Nouvel Ordre Mondial»

 

par Robert STEUCKERS

 

Quand Bush a déclaré, à la veille de la Guerre du Golfe, qu'il envisageait d'imposer à la planète entière un “Nouvel Ordre Mondial” reposant exclusivement sur les grands thèmes de l'idéologie américano-occiden­tale, il agissait en pleine conscience de l'impact qu'avait eu le déploiement des troupes américaines dans le désert arabique et de l'US Air Force dans les cieux du Golfe Persique. Le Nouvel Ordre Mondial devait avoir l'idéologie de son bras armé et non pas un mixte ou une résultante de toutes les idéologies qui sous-tendent les instances politiques à l'œuvre dans le monde. On sait déjà que les Asiatiques émettent des objections, qu'ils veulent une synthèse où leurs propres héritages entrent en ligne de compte. Mais, di­rectement au sein du Conseil de Sécurité de l'ONU, la Chine, qui y siège, propose des amendements con­crets qui contribueront à façonner un Ordre Mondial non seulement à l'aide d'ingrédients chinois, mais aussi à l'aide d'ingrédients issus de toutes les traditions qui innervent les peuples de la Terre. Pour la Chine, écrit Xuewu Gu, attaché à l'Université de Fribourg en Allemagne, tout ordre mondial raisonnable et juste doit reposer sur les “cinq principes de la coexistence pacifique”, c'est-à-dire: 1) le respect mutuel de la souveraineté et de l'intégrité territoriale; 2) le principe de non-agression; 3) le refus de toute immixtion dans les affaires intérieures d'Etats tiers; 4) l'égalité des partenaires sur l'échiquier international; 5) le respect des besoins vitaux de chacun.

 

La Chine a eu pour référence ces cinq principes dans toutes les relations bilatérales qu'elle a entretenues depuis l'accession de Mao au pouvoir en 1949. Aujourd'hui, la Chine veut les hisser au rang de principes généraux d'action dans les relations internationales, estimant que ces cinq principes sont “universels” (universellement valables) et ont prouvé leur “vitalité dans l'histoire”. Le 27 juin 1994, le Premier Ministre chinois Li Peng déclare officiellement: «Les cinq principes de coexistence pacifique se révèlent être des normes universellement applicables dans les relations internationales. Des Etats régis par des systèmes idéologico-politiques différents et des Etats au niveau de développement économique inégal pourront sans arrière-pensées engager des relations de confiance et de coopération s'ils s'en tiennent à ces cinq principes; en revanche, confrontation et conflits armés entre les Etats animés par une même idéologie et régis par un même système politique pourront éclater, s'ils s'opposent aux cinq principes».

 

Beijing affirme par ailleurs que les principes de souveraineté et de non-immixtion dans les affaires inté­rieures sont des principes cardinaux et intangibles pour tout ordre mondial cohérent. L'idéologie des droits de l'homme ne peut pas être hissée au-dessus du principe de souveraineté nationale. La Chine s'inquiète du discours américain,  —relayé par toutes les officines de gauche d'Europe, y compris les ex-maoïstes les plus obtus, comme ceux, ridicules, aigris et acariâtres du PTB belge—  visant à réduire les souverainetés nationales et à utiliser l'aune des droits de l'homme pour intervenir dans les affaires d'Etats tiers, notamment de la Chine depuis 1989 (l'incident de Tien An Men). C'est ce principe d'intervention (qui pourrait tout aussi bien se justifier sur base d'une idéologie complètement différente) que Beijing rejette catégoriquement: les droits et les devoirs des citoyens doivent être déterminés par une charte nationale et non pas par des ukases internationaux qui s'abattent sur les peuples en provenant d'un contexte fon­cièrement différent. Les tentatives de l'Occident, d'imposer, non seulement à ses propres sujets mais aussi à tous les Etats du monde, ses systèmes de valeur et son way-of-life, détruira à terme la paix dans le monde, constate Xuewu Gu.

 

Par ailleurs, Beijing œuvre pour que des systèmes politiques de toutes natures puissent exister et se dé­ployer. Xuewu Gu: «Aux yeux du gouvernement chinois, toutes les formes de systèmes de gouverne­ment, que ce soit des démocraties ou des autoritarismes, ont le droit d'exister. Dans la diversité des sys­tèmes politiques, Beijing ne veut reconnaître aucune cause première de conflits internationaux». La Chine demande à l'Ouest (c'est-à-dire à l'américanosphère) de renoncer à exporter systématiquement les modèles constitutionnels occidentaux et libéraux-démocrates et de respecter sans arrière-pensées les régimes qui ne s'en inspirent pas.

 

Ensuite, les diplomates chinois plaident pour un Nouvel Ordre Mondial respectueux de la diversité cultu­relle de la planète. Ils mettent tous les peuples en garde contre l'“occidentalisation totale”. Certes, Beijing reconnaît la pertinence d'une charte mondiale des droits de l'homme mais conteste le monopole occiden­tal en cette matière. Les droits de l'homme, aux yeux des Chinois, devraient être déterminés par l'environnement culturel et historique dans lequel ils sont appelés à être appliqués. Dans la formulation des droits de l'homme, le contexte, de même que la continuité culturelle et historique doivent être prépon­dérants. Les Chinois en suggérant ce différentialisme planétaire raisonnent au départ d'un principe con­fucéen d'harmonie: contrairement à l'idéologie caricaturale de nos intellectuels occidentaux (Habermas en tête), dans le confucianisme chinois, l'individu n'existe pas en soi, dans un pur isolement, mais s'imbrique toujours, sans exception, dans une collectivité organique, une communauté, et doit se sou­mettre aux lois de cette entité et travailler à sa prospérité, sans mettre en avant des pulsions égoïstes.

 

Face à l'offensive occidentale, on pourrait imaginer que cette redéfinition chinoise du rôle des droits de l'homme est purement défensive, un combat d'arrière-garde. Or les Chinois ont bien l'intention de passer à l'offensive tous azimuts et de faire fléchir les prétentions américaines. Les signes avant-coureurs de ce déploiement offensif ont déjà pu s'observer lors de la mise en forme de la “Déclaration des Droits de l'Homme de Bangkok” (2 avril 1993), où les Etats asiatiques ont commencé délibérément à réinterpréter l'idéologie occidentale née du cerveau de quelques avocats ratés de Paris dans l'avant-dernière décennie du XVIIIième siècle. La Chine, appuyée par les autres nations asiatiques et par des ressortissants d'autres civilisations, notamment islamiques, réclame une remise en question de l'universalité des droits de l'homme et exige que ceux-ci soient constamment relativisés et re-contextualisés sur la base concrète et tangible des héritages culturels, afin de ne pas meurtrir ceux-ci. Un observateur arabe, très actif dans les milieux gouvernementaux et para-gouvernementaux en Allemagne, Bassam Tibi, constate que le monde non-occidental, pourtant très hétérogène, a fait front commun à Vienne (juin 93), lors d'une con­vention internationale des droits de l'homme, créant d'emblée une sorte de front commun islamo-hin­douisto-bouddhisto-confucéen, qui a dû inspirer la réaction inquiète de Samuel Huntington, quand il nous a parlé du Clash of Civilizations (Foreign Affairs, été 1993). Le délégué chinois a bien campé la probléma­tique, nous rappelle Xuewu Gu: «Nous nous trouvons dans un monde présentant une étonnante pluralité de valeurs. Dans le monde, il y a plus de 180 Etats et environ 1000 groupes ethniques. Il existe une va­riété bigarrée de systèmes sociaux, de religions, de traditions culturelles et de modes de vie». Beijing demande dès lors à l'Ouest de respecter cette immense diversité et de renoncer à toutes manœuvres coercitives d'unification ou d'uniformisation. Vu le principe taoïste du wuwei (non-intervention), les Chinois estiment que l'harmonie entre toutes ces différences est possible: «Ces dix mille choses peuvent croître de concert sans se géner mutuellement, et les taos peuvent se déployer parallèlement sans se heurter».

 

En bref, Beijing lutte actuellement dans le monde, contre les prétentions des Etats-Unis, pour que s'établisse à terme un Ordre mondial reposant sur l'absolue souveraineté des Etats nationaux, sur une structuration pluraliste des rapports internationaux, sur une réduction de la domination économique amé­ricaine et sur une limitation volontaire de l'expansionnisme idéologique occidental (entendu comme l'idéologie des Lumières et ses avatars politiques).

 

En Europe, les forces identitaires pourraient parfaitement se joindre à cette revendication chinoise, la faire connaître, s'en inspirer, afin de déserrer graduellement la tutelle américaine et d'effacer définitive­ment les institutions résiduelles et obsolètes, issues de l'idéologie des Lumières, qui empêchent les Européens de se doter d'institutions nouvelles, moins rigides, plus souples, basées sur des logiques non newtoniennes, notamment cette fuzzy-logique fluide qui révolutionne la physique et les mathématiques contemporaines et qui correspond à bon nombre de linéaments du taoïsme et d'autres traditions. Se réfé­rer aux revendications chinoises en matières de droits de l'homme, c'est aussi contester les intellectuels occidentaux qui parlent en mercenaires pour le pouvoir américanomorphe, surtout sur la place de Paris. Si ces discoureurs sont passés naguère du col Mao au Rotary, il faut désormais refaire le chemin inverse, quitter les salons stériles et retrouver les “bons taos”. La pensée politique chinoise est une mine d'or pour ceux qui veulent incarner le politique au-delà de toutes les intrigues politiciennes: faut-il rappeler qu'il de­meure impératif, dans toute école de cadres identitaires, de lire Sun-Tsu et qu'il serait tout aussi utile de lire Han Fei, un conseiller de l'Empereur de Chine, vers 220 av. notre ère, qui a su notamment expliquer en 47 paragraphes brefs quels étaient les symptômes et les mécanismes de décadence d'un Etat. Textes autrement plus utiles à lire que les longues digressions vides de sens, énoncées en jargon sociologique, auxquelles nous sommes habitués en Occident depuis tant de décennies.

 

Bonn a déjà donné l'exemple: sans officiellement adopter la position chinoise, le ministère allemand des affaires étrangères multiplie les contacts en Asie et cherche des appuis en Extrême-Orient pour obtenir un siège, en même temps que le Japon, au Conseil de Sécurité de l'ONU. Afin qu'il y ait plus ou moins pa­rité entre les tenants de la monochromie illuministe et les tenants de la splendide diversité des peuples et des cultures. Les néo-eurasistes russes pourraient alors jeter le poids de leur pays dans la balance des pluralistes...

 

Robert STEUCKERS.

 

- Xuewu GU, «Chinas Vision von einer neuen Weltordnung», in Internationale Politik und Gesellschaft, 3/1995, Friedrich-Ebert-Stiftung, pp. 255-258.

 

- Han Fei, Die Kunst der Staatsführung,  Kiepenheuer, Leipzig, 1994.

 

 

mardi, 14 août 2007

Deux livres sur l'Iran

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DEUX LIVRES SUR L'IRAN

 

L’émergence de l’Iran moderne :

 

Touraj Atabaki, professeur à Utrecht et à Amsterdam, consacre un ouvrage à l’émergence de l’Iran moderne. Entre 1906 et 1909, l’Iran connait une crise politique qui débouche sur une “révolution constitutionnelle”, favorisée par les Britanniques et le parti pro-occidental des Cadets en Russie, mais regardée d’un mauvais œil par les forces conservatrices en Russie, qui voient la Perse se faire satelliser par la Grande-Bretagne. En Iran même, cette “révolution constitutionnelle” rassemble beaucoup d’adeptes dans les villes, mais rencontre une vive opposition dans les campagnes. Les peuples nomadisants se révoltent, précipitant le pays dans le chaos. L’Iran a failli se désintégrer et la première tentative de modernisation a débouché sur un échec. Les modernisateurs ont alors parié sur une personnalité charismatique et énergique, Reza Shah, qui rétablira l’ordre et entamera le processus de modernisation par une voie ferme et autoritaire. Cet ouvrage aborde donc une problématique récurrente dans les pays moins développés : la modernisation peut-elle s’effectuer par le biais d’une forme de démocratie qui n’a jamais fonctionné qu’en Europe et en Amérique du Nord? Plaquer les critères de cette forme de  démocratie sur une réalité qui ne l’a jamais connue est-elle une politique intelligente, exempte de toute volonté de satellisation? L’ouvrage historique d’Atabaki peut nous aider à répondre concrètement à cette question.

Touraj ATABAKI, Iran and the First World War. The Emergence of the Modern State, I. B. Tauris, London, à paraître en mai 2004, ISBN 1-86064-964-5, £35,00.

L’Iran de 1941 à 1953 :

Les douze années qui vont de 1941 à 1953 ont été cruciales dans l’histoire de l’Iran contemporain. Elles  commencent par la double  occupation britannique et soviétique, consécutive à la maîtrise par les alliés occidentaux du Proche- et du Moyen-Orient (campagne d’Irak en mai 41, campagne contre le Liban et la Syrie de Vichy en juin-juillet 41). La nécessité d’alimenter en armes et en munitions les arrières du front soviétique contre les armées allemandes rendait nécessaire l’occupation de l’Iran, de ses chemins de fer et de ses côtes sur la Caspienne. Reza Shah, le modernisateur de l’Iran, doit abdiquer en faveur de son fils (qui sera renversé par Khomeiny en 1978). L’ouvrage de Fakhreddin Azimi explore pour la première fois, de manière complète et scientifique, cette période de troubles ininterrompus, notamment parce qu’il utilise des documents iraniens, dont on n’a jamais fait l’exégèse en une langue occidentale. Le livre analyse aussi les péripéties du gouvernement nationaliste du Dr. Mossadegh, renversé par la CIA en 1953. Mossadegh avait réussi à obtenir une majorité parlementaire absolue pour nationaliser le pétrole iranien en 1951, qui, jusqu’alors, avait été aux mains des Britanniques. Les Américains seront l’instrument de la vengeance de Londres : John Forster Dulles craignait avant toute chose la neutralisation de l’Iran, assortie d’une bienveillance à l’endroit du grand voisin soviétique. Tels étaient ses arguments pour convaincre la CIA d’agir. Pourtant Mossadegh n’était nullement philo-communiste : il avait fait campagne pour éliminer toute présence soviétique dans le Nord de l’Iran, avait maté durement des manifestations communistes, avait mis son veto à la création d’une compagnie irano-soviétique du pétrole, qui risquait bien évidemment de faire passer le pays d’une domination britannique à une domination soviétique. En 1949, le parti communiste iranien, le « Tudeh », avait été interdit. Mossadegh n’avait jamais levé cette interdiction. Les rapports remis à la présidence américaine, pour la convaincre d’agir contre Mossadegh, avançaient l’argument que l’alliance entre nationalistes et communistes était imminente et que cette alliance allait profiter aux Soviétiques. Ils étaient pure invention. Cette période a donc été cruciale pour l’Iran, mais aussi pour toute l’histoire du monde. La révolution islamiste de 1978 est une conséquence directe, bien que lointaine, des événements de 1953. Son impact demeure capital aujourd’hui encore. Raison pour laquelle le livre de Fakhreddin Azimi doit être lu par tous ceux qui veulent comprendre les événements internationaux, sans accepter benoîtement le prêt-à-penser des médias.

Fakhreddin AZIMI, Iran : The Crisis of Democracy 1941-1953, I. B. Tauris, London, à paraître en mai 2004, ISBN 1-85043-093-4, £49,50.

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vendredi, 10 août 2007

Chine / USA

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Texte déjà ancien (1999!), cet article de M. Wiesberg relève des faits permanents ou des éléments dont il faut tenir compte dans le conflit potentiel qui pourrait, dans de prochaines décennies, opposer la Chine aux Etats-Unis. Raison pour laquelle, nous l'archivons sur ce blog.

 

La confrontation Chine-USA est-elle inévitable ?

 

Le 8 avril dernier, le New York Times écrivait que des fonctionnaires du gouverne­ment américain avaient reçu au début de l’année 1996 un rapport inquiétant éma­nant d’un agent américain en place en Chine. Des collaborateurs des services secrets chinois se vantaient, rapportait cet espion, d’avoir volé des documents con­fi­dentiels aux Etats-Unis, permettant aux experts chinois d’améliorer leur pro­gram­me de bombe à neutrons. Le New York Times remarquait que cet agent a­mé­ricain a­vait dans le passé fourni des renseignements exacts et qu’on pouvait dès lors croi­re que ses informations étaient sérieuses.

 

Ce rapport était inhabituel, dans le sens où, généralement, les Américains relativi­sent les activités d’espionnage de la Chine. Le porte-paroles de Clinton, Lockhardt, a déclaré à ce propos qu’il n’y avait pas de preuves sûres permettant d’affirmer que les Chinois avaient orchestré un espionnage de grande envergure dans le sec­teur nucléaire américain.

 

Cette déclaration, sur fond d’article dans le New York Times, est une grossière dé­for­mation des faits. Déjà, le 6 mars 1999, James Risen et Jeff Gerth rapportaient dans le même quotidien que les experts ès-armes atomiques à Los Alamos sup­po­saient, après avoir examiné les données relatives à la dernière expérience nucléai­re souterraine des Chinois, qu’il y avait « une curieuse ressem­blan­ce » entre les ty­pes d’armes nucléaires récentes des Américains et des Chinois.

 

Ces indices permettent d’opérer un rapprochement avec les déclarations du député républicain Christopher Cox (Californie) relatives aux activités d’espionnage des Chi­nois aux Etats-Unis. Dans son rapport, Cox écrit, notamment, ce qui suit : « La Ré­­publique Populaire de Chine aurait dérobé des informations concernant les têtes nucléaires américaines les plus avancées. Ce vol doit être mis en rapport avec le pro­gramme d’exploration des services de renseignements chinois déployés depuis plus de deux décennies et toujours en activité. Ce programme contient, outre des ac­tivités d’es­pion­nage, un volet prévoyant d’importants projets d’échanges scien­ti­fi­ques avec des personnalités travaillant dans des institutions américaines dé­ve­lop­pant des systèmes d’armement à Los Alamos, Lawrence Livermore, Oak Ridge et Sandia.

 

Ce sont précisément ces programmes d’échanges qui ont considérablement com­pli­qué les enquêtes sur les activités d’espionnage des Chinois, d’après les en­quêteurs du FBI. Ainsi, James Risen écrit dans le New York Times du 9 mars, que les Chinois retirent souvent de gros avantages de ces pro­gram­mes d’échanges et de toutes les autres formes de contacts dans le domaine scientifique. Ils par­viennent de cette fa­çon à s’emparer d’informations importantes et considérables ; il s’avère dès lors dif­ficile de repérer le lieu et le moment de la fuite, de savoir comment des secrets mi­litaires ont pu tomber entre les mains des Chinois.

 

Les échanges académiques à fins d’espionnage

 

Un facteur supplémentaire dans la difficulté de tout contrôler : le nombre dispro­por­tionné de scien­ti­fiques américains nés à l’étranger. Tim Weiner cite à ce propos dans l’édition du 14 mars du NYT les paroles d’un diplomate américain, actif à Pékin du temps de Ronald Reagan. Celui-ci se de­man­dait avec inquiétude si, dans l’avenir, un soupçon général n’allait pas peser sur tous les scientifi­ques chinois. « Allons-nous vers une nouvelle chasse au sorcières ? », disait ce diplomate. Et il a­jou­tait : « Qu’adviendrait-il de la capacité américaine à affronter la concurrence si ces scientifiques étrangers ne travaillaient plus aux Etats-Unis ? ».

 

Le COSTIND chinois comme fer de lance de l’espionnage scientifique

 

Les Chinois utilisent les programmes d’échanges académiques pour parfaire des ac­ti­vités de rensei­gnement : cela semble clair. Nicholas Eftimiades, qui travaille au con­­tre-espionnage américain, é­crit, dans son livre Chinese Intelligence Operations, pa­­ru en 1994, que les services de rensei­gne­ment chinois utilisent une méthode a­vé­rée, lorsqu’ils poussent les scientifiques de leur pays à in­vi­ter en Chine des col­lè­gues universitaires américains dans le cadre de programmes d’échanges. Efti­mia­des constate ensuite que le COSTIND (« China’s Commission of Science, Technology and In­dustry ») prenait en charge tous les frais entraînés par les programmes de visite. Après les heures de cours avec les collègues américains, fixés dans le programme, des « séances spéciales » étaient organisées, en présence d’experts du COSTIND, qui sondaient de manière appropriée les scien­tifi­ques américains. En résumé, Efti­mia­des constate que le COSTIND envoie des scientifiques chinois aux Etats-Unis, a­fin de glaner toutes sortes d’informations pour développer les systèmes d’arme­ment chinois.

 

D’autres informations en ce sens nous ont été fournies par le texte des positions pri­ses par le gou­ver­nement US après l’audition de Peter Lee, un scientifique sino-amé­ricain, soupçonné d’es­pion­na­ge au profit de la Chine. Dans ce texte, on trouve éga­lement des déclarations du fonctionnaire du FBI Gilbert R. Cordova, qui a acté ce qui suit : « Il y a en Chine surtout deux institutions scien­tifi­ques, qui s’occupent d’espionner les scientifiques américains : la CAEP (Académie Chinoise des Ingé­nieurs en Physique) et l’IAPCM (Institut de Physique Appliquée et de Mathématique In­formatique). Ces deux institutions ont pour attribution de planifier et de déve­lop­per le programme de l’arme­ment nucléaire chinois.

 

Les renseignements que les Chinois auraient dérobé aux Etats-Unis auraient permis, selon le Rapport Cox, de construire des têtes nucléaires modernes et de les tester avec succès. Ce qui chagrine surtout les Américains, c’est que le développement de leur nouveau type de tête nucléaire, mis au point à Los Alamos pour servir au dé­part de sous-marins, le W-88 (W = Warhead), a été espionné a­vec une quasi certitu­de par les Chinois.

 

L’importance du missile W-88

 

Le W-88 est utilisé sur les fusées Trident D-5 SLBM (= Submarine Launched Ballistic Missile). La ca­rac­téristiques principale de ces têtes modernes, c’est qu’une seule fusée peut en transporter plu­sieurs. De cette façon, la charge explosive de 12.500 tonnes de TNT (celle de la Bombe « Little Boy » d’Hiroshima) peut être augmentée jusqu’à 300.000 tonnes. Cela signifie, par exemple, que les fu­sées inter-continen­ta­les américaines « Peacekeeper » (portant la tête W-87) peut transporter 24 fois la charge de la bombe atomique d’Hiroshima.

 

Le Rapport Cox part du principe que les Chinois possèdent désormais des connais­san­ces sur la con­struction et le fonctionnement de toutes les têtes nucléaires uti­li­sées par l’armée américaine au­jourd’hui.

 

Quelles pouraient être les conséquences de cet état de choses pour les Etats-Unis dans les circon­stances actuelles ? Telle est la question que posait l’ancien ministre de la défense Perry dans les co­lonnes du NYT, le 15 mars. Avec ou sans la tête nu­cléaire W-88, la Chine est désormais en me­su­re de menacer directement les E­tats-Unis. Perry sait de quoi il parle. Il a visité la Chine ce prin­temps et a rencon­tré de très hauts représentants de l’armée chinoise ainsi que le Président Jiang Ze­­min. Les Etats-Unis doivent s’attendre à ce que la Chine augmente considérable­ment son po­tentiel militaire dans les années à venir. La Chine va devenir un facteur de puissance à l’échelle glo­bale. Le défi consiste à savoir comment les Etats-Unis réagiront à cette nouvelle donne.

 

La Chine combat la domination globale de l’Occident

 

Dans le même quotidien toutefois, Bates Gill, spécialiste des questions militaires chi­noises auprès du célèbre Institut Brookings, écrit que, même si la Chine troquait ses têtes nucléaires habituelles contre de nouvelles têtes multiples, les Etats-Unis conserveraient leurs avantages stratégiques et resteraient dominants. Toutefois, les opérations stratégiques américaines s’avèreraient plus com­pliquées, vu les a­van­­cées de l’armement chinois.

 

Il faut néanmoins retenir l’hypothèse que la Chine et les Etats-Unis deviendront ra­pi­dement des con­currents sur la scène internationale. C’était déjà vrai quand la Chi­ne accusait un retard techno­logique important en matière d’armements nuclé­ai­res. C’est aussi l’avis de deux experts américains des questions asiatiques, Ri­chard Bernstein et Ross H. Munro, dans leur dernier livre The Coming Conflict with China (New York, 1997). Ces deux auteurs défendent la thèse suivante : l’antagonisme en­tre la Chine et les Etats-Unis constituera le premier grand conflit du 21ième siè­cle. Cette rivalité entre les deux super-puissances s’étendra à tous les domaines de concurrence : le secteur militaire, la stabilité économique, l’hégémonie sur d’au­tres nations et, surtout, là où l’Ouest estime avoir une chasse gardée : le plan des normes et des valeurs internationales.

 

La Chine cherche à être la puissance dominante dans l’Extrême-Orient pacifique

 

Bernstein et Munro perçoivent un conflit d’intérêt quasi sans solution et très dur entre la Chine et les Etats-Unis. Nos deux auteurs disent qu’au cours du siècle é­cou­lé, les Etats-Unis se sont efforcés d’empêcher la domination exclusive d’un seul Etat dans la région extrême-orientale de l’Asie. Or c’est cette domination que cherche à asseoir la Chine aujourd’hui. Automatiquement, les intérêts des deux pays entreront en collision.

 

Ensuite, Bernstein et Munro constatent que la Chine coopère étroitement avec la Russie, apporte son aide technologique et politique à des Etats islamiques en Afri­que du Nord et en Asie centrale et consolide ses positions en Asie orientale, ce qui l’amène dans un réseau dense d’Etats dont l’ob­jec­tif est de contester fondamen­ta­lement les objectifs politiques des Américains. Tous ces Etats sont liés par un rejet commun de la domination occidentale. Bernstein et Munro concluent donc que la Chi­­ne ne peut plus être considérée comme un allié stratégique, mais comme un ad­ver­saire des E­tats-Unis, qui le restera sur le long terme.

 

Pour étayer leurs thèses, les deux auteurs avancent les arguments contenus dans un livre (« L’armée chinoise peut-elle gagner la prochaine guerre ? »), qui n’était jus­qu’ici qu’un document interne, seulement accessible pour les plus hauts fonc­tion­naires. Par une négligence, ce livre s’est retrouvé à l’étal d’une librairie de Pé­kin, où un citoyen américain a pu en acheter un exemplaire. Grâce à l’ini­tiative personnelle de ce citoyen, l’Occident a pu se faire une meilleure image des in­ten­tions chi­noises.

 

Les auteurs chinois de ce livre disent que la région asiatique du Pacifique deviendra prioritaire dans la stratégie américaine après l’an 2000. La Chine est donc con­train­te d’agir, écrivent-ils, tant que les Américains sont occupés ailleurs. Ils consta­tent : « Le poids majeur des confrontations militaires à la fin de ce siècle et au dé­but du siècle prochain se concentrera sur les guerres régionales. Celui qui, dans la pha­se de transition, prendra des initiatives, acquerra une position décisive dans le fu­tur ordre militaire ». Ensuite, les auteurs chinois écrivent : «Vu leurs intérêts é­co­nomiques et politiques divergents dans la région du Pacifique en Asie, ces deux E­tats (les Etats-Unis et la Chine) vont se trouver en état de confrontation per­ma­nen­te ».

 

Les enjeux économiques freinent la confrontation

 

Cette analyse montre clairement que le concept de « partenariat stratégique », for­gé par les Pré­sidents Clinton et Jiang Zemin, ne vaut même pas le prix du papier sur lequel il est imprimé. Pour­quoi, dès lors, les Etats-Unis se montrent-ils si mo­dé­rés à l’égard de la Chine ? Question légitime dans le contexte que nous venons d’é­vo­quer. Bernstein et Munro y apportent une réponse : ils nous parlent de l’influen­ce croissante du « lobby chinois » aux Etats-Unis. Il existe également toute une sé­­rie d’hommes politiques connus aux Etats-Unis, dont le plus célèbre est l’ancien mi­nistre a­mé­ri­cain des affaires étrangères Harry Kissinger, qui se sont recyclés en con­seillers ou en intermédiaires pour les entreprises américaines actives en Chine et touchent par là de plantureux honoraires. Kis­singer lui-même, disent Munro et Bern­stein, aurait fondé une entreprise (« Kissinger Associates »), qui aurait pour tâ­che de représenter un « grand nombre de sociétés américaines faisant des af­faires avec la République Populaire de Chine ». Elles paieraient royalement l’an­cien mi­nis­tre des affaires étrangères pour les « contacts exceptionnels qu’il favoriserait avec les détenteurs du pouvoir en Chi­ne ».

 

Kissinger, figure du proue du lobby chinois

 

Vu ces circonstances, on ne s’étonnera pas que Kissinger s’est abstenu de tout com­mentaire désob­li­geant à l’égard du massacre de la Place Tien An Men et a mê­me demandé à ses compatriotes de com­prendre l’attitude du pouvoir chinois. Une condamnation trop véhémente du massacre aurait com­promis ses très bons con­tacts avec les sphères du pouvoir à Pékin et donc aurait eu des con­sé­quences fi­nancières importantes.

 

Les Chinois savent y faire quand il s’agit d’instrumentaliser les intérêts économi­ques américains en leur faveur. Les hommes politiques américains, qui se montrent trop critiques vis-à-vis de la Chine, perdent rapidement tout crédit auprès des puissants de Pékin. Cette situation explique pourquoi le gouvernement de Clinton adopte un profil bas dans l’affaire d’espionnage actuelle. Les intérêts économiques oblitèrent encore une réalité stratégique qui évolue vers la confrontation Washington-Pékin. Celle-ci sera inévitable.

 

Michael WIESBERG.

(ex : Junge Freiheit, n°24/1999).

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dimanche, 05 août 2007

Géostratégie américaine, impuissance européenne

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Sur la géostratégie américaine et l'impuissance européenne

Entretien avec Andreas von BÜLOW

 

Andreas von Bülow a été député de la SPD socialiste au Bundestag de 1969 à 1994. De 1976 à 1980, il a occupé le poste de secrétaire d'Etat au ministère fédéral allemand de la défense. De 1980 à 1982, il a été ministre fédéral de la recherche scientifique. Aujourd'hui, retiré de la politique, il est avocat à Bonn. Il est l'auteur d'un livre qui a fait beaucoup de bruit : Im Namen des Staates. CIA, BND und kriminelle Machenschaften der Geheimdienste [Au nom de l'Etat. De la CIA, du BND et des machinations criminelles des services secrets], paru chez l'éditeur Piper à Munich en 2000.

 

Q.: Dr. von Bülow, dans un entretien récent, paru dans nos colonnes et traitant de la politique intérieure de la RFA, vous nous avez démontré comment les Etats-Unis, quasiment depuis la naissance de la RFA, ont recruté dans les milieux radicaux de droite un groupe terroriste, l'ont constitué, financé, équipé et même armé. Dans votre livre "Im Namen des Staates", vous évoquez une liste noire de politiciens de la gauche et de la sociale démocratie "qu'il conviendrait, le cas échéant, d'assassiner". Pourriez-vous être plus clair?

 

AvB: Ce type de "préparation", avec l'argent et les armes de la CIA, pouvait se repérer  partout en République Fédérale au début des années 50; tout cela se passait  au su de quelques rares fonctionnaires en poste auprès du cabinet du Chancelier, auprès du Ministère de l'Intérieur et à l'Office de Protection de la Constitution (Verfassungsschutz).

 

Q.: Donc le Verfassungsschutz était au courant…

 

AvB: Parfaitement, mais seulement le représentant du Président, qui venait du BND ("Bundesnarichtendienst" - Office d'Information Fédéral), qui, à l'époque, était encore occupé par d'anciens membres de la NSDAP. Dans les services secrets, il est souvent important que le principal responsable puisse à tout moment nier, avoir su ou deviné quelque chose. De cette façon, en cas de besoin, on peut envoyer ce représentant à la retraite prématurée. Ensuite, le pouvoir américain de l'époque se préparait à affronter militairement l'Union Soviétique, qui pouvait attaquer à tout moment, et entendait pouvoir compter, en cas de coup dur, sur des partenaires potentiels.

 

Q.: Il existait donc en Allemagne un système comparable au Gladio d'Italie, où la CIA, le "Secret Service" et l'OTAN ont mis sur pied en 1956 une troupe secrète et paramilitaire dénommée "Gladio", qui aurait eu pour mission, en cas de victoire électorale communiste, de faire un putsch d'extrême-droite?

 

AvB: Le réseau Gladio n'existait pas seulement en Italie, mais dans tous les pays de l'OTAN: en France, en Belgique, aux Pays-Bas, etc. Et même en Suède et en Suisse! La souveraineté de la RFA, comme celle de la plupart des Etats européens, était fort limitée durant le conflit Est-Ouest.

 

Q.: Vous affirmez par ailleurs qu'aujourd'hui encore le radicalisme de droite en Allemagne reçoit un soutien de l'étranger et, même, est créé de toutes pièces à partir de l'étranger. Qu'en est-il plus précisément?

 

AvB: Le milieu de l'extrême-droite américaine est largement infiltré par les services secrets de Washington. A partir de ce milieu d'extrême droite aux Etats-Unis, avec notamment les cercles des "suprématistes" blancs aryens (White Aryan Supremacists), du Ku Klux Klan, des groupes qui sèment la haine raciale et des petites partis nazis, les services de diversion tentent d'acquérir une influence sur le milieu de l'extrême droite allemande. Ainsi, par exemple, un "suprématiste aryen" se vantait, lors d'une émission de télévision aux Etats-Unis, d'avoir servi d'abord chez les Marines, puis dans une troupe spéciale mise à la disposition des services secrets, d'avoir entraîné, après la réunification allemande, des bandes de skinheads dans vingt villes allemandes afin qu'elles apprennent les techniques de la guerre de guérilla et qu'elles se préparent à des attentats contre les demandeurs d'asile et les étrangers. Mieux: sur ce chapitre, les services américains, qui sont pourtant profondément infiltrés dans ces milieux, refusent de coopérer avec les services allemands du Verfassungsschutz.

 

Q.: Vous donnez dans votre livre un exemple révélateur : les Allemands, dites-vous, sont provoqués afin qu'ils se comportent comme des "extrémistes de droite", et les protestations des Kurdes, au milieu des années 90, qui ont connu de sérieux dérapages, étaient en quelque sorte destinées à susciter des réactions violentes chez les Allemands…

 

AvB: Posons d'abord une question : quel pourrait bien être l'intérêt des dirigeants de la communauté kurde en Allemagne de bloquer totalement la principale autoroute allemande un vendredi? Les organisateurs de ce blocus savaient parfaitement que les Allemands allaient considérer cette action comme une entorse grave au droit d'asile qu'ils avaient accordé à ces Kurdes. Cette action, à terme, ne pouvait que nuire à la cause kurde. Les organisateurs de cette action, qui travaillent vraisemblablement à couvert, devaient avoir pour objectif de réduire à néant les sympathies que cultivent les Allemands à l'endroit de la cause kurde ou bien de provoquer une vague de xénophobie au sein de la population allemande.

 

Q.: Dans quel but?

 

AvB: Il s'agit principalement de donner une image totalement négative de l'Allemagne à l'étranger : l'Allemagne doit y apparaître comme un pays où les brutalités des skinheads sont monnaie courante, où l'on ne cesse de profaner des cimetières juifs ou des synagogues, où l'on fait la chasse aux étrangers pour les molester. L'image des Allemands doit être celle d'un peuple qui a la haine, aux capacités intellectuelles réduites, à la bêtise caricaturale, correspondant à l'image du nazi de tous les temps. On veut dépeindre notre pays comme dépourvu d'attraits. Y compris pour les têtes les mieux faites de la planète.

 

Q.: L'objectif est donc de tenir l'Allemagne en échec…

 

AvB: Le conseiller du Président Carter en matières de sécurité, le célèbre Zbigniew Brzezinski, écrit dans son livre "Le Grand Echiquier" que la puissance qui contrôle l'Eurasie (c'est-à-dire toute la masse continentale entre les Iles Britanniques et l'Archipel japonais), contrôle le monde, tout simplement parce qu'elle aurait alors accès aux ressources naturelles inépuisables. Les challengeurs des Etats-Unis, dans la course à la domination de l'Eurasie, sont seulement la Grande-Bretagne, le Japon, la France et l'Allemagne. Brzezinski écrit cependant que la Grande-Bretagne est un pays "fatigué" sur le plan géopolitique, qui n'est plus utile qu'à une seule chose, c'est-à-dire à épauler les Etats-Unis au titre de premier partenaire, notamment pour des opérations cachées. La France a des capacités intellectuelles, qui lui permettrait de poursuivre des objectifs géopolitiques à long terme, mais elle est trop faible économiquement. Quant à l'Allemagne, elle dispose d'une puissance économique réelle, mais elle ne peut pas faire valoir pleinement ses visées hégémoniques, parce qu'elle doit sans cesse tenir compte des implications de l'holocauste. Le tandem potentiel France-Allemagne serait rapidement tenu en échec par ses propres voisins. De cette démonstration de Brzezinski, on peut aisément conclure quelle est la politique à suivre que suggèrent, à l'endroit de l'Europe et surtout de l'Allemagne, les têtes pensantes (comme Brzezinski) de la politique étrangère américaine et de ses services secrets. Je ne suis pas un aficionado des petits jeux de monopoly à la sauce géopolitique, mais, force est de constater, tout de même, qu'ils existent bel et bien et qu'ils se présentent à nous, hostiles, sous la forme du jeu que jouent actuellement la politique extérieure américaine et les services secrets US - nous ne pouvons plus adopter la politique de l'autruche. Les Etats-Unis s'apprêtent, très concrètement, à mettre la main sur les ressources du monde, à commencer par l'Eurasie et cette région d'Asie centrale que Brzezinski a appelé les "Balkans eurasiens", à titre de compensation, pensent-ils, pour le rôle de "policier de la planète" qu'ils occupent; en prime, ils deviendront donc la seule et unique puissance mondiale. C'est ce que nous déclare en fait Brzezinski sans beaucoup de vergogne. A l'heure actuelle, l'objectif est principalement les ressources de pétrole et de gaz naturel qui se trouvent autour de la Caspienne, sur le territoire de l'ancienne URSS. Pour obtenir ces ressources de pétrole et de gaz, les Etats-Unis doivent évidemment tenir fermement sous leur contrôle les voies d'accès qui y mènent ou qui permettent de sortir le pétrole. Pour y parvenir, les Etats-Unis actualisent un vieux projet géopolitique britannique: transformer la masse continentale compacte de l'ancien empire colonial russe en Asie centrale en une mosaïque de petits Etats. Les Britanniques avaient tenté de le faire immédiatement après la révolution de 1917, mais ils avaient échoué. Aujourd'hui, les Etats-Unis prennent le relais en mobilisant toutes leurs forces.

 

Q.: Quel est dès lors le jugement que vous posez sur les hommes politiques allemands qui, par leurs comportements, font tout pour maintenir l'Allemagne dans cette situation d'étranglement qu'induit ce discours tissé de moralisme?

 

AvB: Nous avons une dette envers les Etats-Unis dans la mesure où ils nous ont débarrassé du national-socialisme, où ils ont permis le redressement économique et culturel de notre pays après la guerre et, enfin, où ils ont apporté leur soutien actif lors de la réunification en 1990. Cependant, il faut dire que la conscience historique des Allemands n'a pas encore été capable de comprendre une chose : que nous étions déjà un instrument de la politique anglo-saxonne avant 1945 et que nous le sommes restés jusqu'en 1990. Toutefois, il me semble aujourd'hui que l'Allemagne, de concert avec les autres peuples européens, doit emprunter une voie émancipatrice. C'est clair : les Etats-Unis ont des intérêts économiques et politiques qu'ils vont imposer au monde de manière impitoyable et féroce, même envers et contre le droit des gens. Dans cette démarche, ils veilleront évidemment à ce qu'aucun concurrent européen ne se mette en travers de leur chemin. Nous, Allemands, ne pouvons en aucune manière cesser de penser notre destin (géo)politique, sous prétexte que nous devons aussi être reconnaissants à l'égard des Etats-Unis.

 

Q.: Comment allez-vous rencontrer un véritable acteur géopolitique? Si l'on jette un regard réaliste sur la situation, il n'y a plus qu'une alternative : ou bien on fait soi-même de la géopolitique ou bien on fait la géopolitique d'un autre…

 

AvB: La première chose à faire, c'est de s'efforcer de voir clair dans le jeu. Le droit international est aujourd'hui une entrave aux objectifs géopolitiques d'une grande puissance, qui, jusqu'ici, a utilisé comme méthode l'incitation à la révolte ou au terrorisme, via des expédients camouflés, comme le financement par la drogue ou la livraison d'armes à des minorités en état d'insurrection. L'Europe tout entière doit s'opposer à cette façon d'agir. Impossible, face à cette stratégie globale des Etats-Unis, d'imaginer un rôle particulier et isolé de l'Allemagne. Expressis verbis, je rejette cette illusion! Berlin n'est plus aujourd'hui que la capitale d'une province qui traîne des casseroles et marine dans sa naïveté! Quand Londres et Paris joindront leurs efforts aux nôtres pour donner une réponse commune à la politique actuelle des Etats-Unis et pour la traduire en actes, alors nous aurons une chance de sortir du carcan idéologique actuel et de concrétiser une véritable géopolitique.

 

Q.: Je me permets une question critique : pensez-vous que, par votre appel "soft" à devenir une "grande puissance culturelle", vous allez pouvoir mettre en œuvre ce projet? A entendre l'analyse lucide et réaliste que vous nous faites ici, ne pourrait-on pas vous faire le reproche d'avoir peur, anticipativement, de la fournaise terrible qu'induiraient vos idées, si elles trouvaient un début de concrétisation, fournaise qui se ferait d'abord sentir sur le plan de la politique intérieure, avant de s'étendre à la politique extérieure?

 

AvB: Non, car mon objectif n'est pas d'affronter l'Amérique. Je rêve encore et toujours à une solution pacifique. En Amérique, nous pourrions sans crainte démarrer une discussion sur ces sujets, par exemple quant à savoir quelle est la mission de l'Amérique dans le monde; et cette mission a-t-elle été de détruire les mouvements démocratiques et libertaires dans le monde, de liquider leurs chefs charismatiques et de les remplacer par des régimes corrompus? Effectivement, cette politique liberticide a été mise en pratique parce qu'on s'imaginait à Washington —et on craignait—  que les chefs charismatiques du tiers monde allaient tôt ou tard choisir le camp de l'Union Soviétique. C'est par cette peur du danger communiste que l'on justifiait la lutte contre les mouvements de libération nationale et qu'on les décapitait sans hésiter, même avant qu'ils ne se soient installés au pouvoir.

 

Q.: Il y a une hypothèse plus plausible que l'émancipation européenne pour les prochaines décennies : dans cet avenir immédiat, il semble plus évident que nous serons, en Europe, impliqués encore plus profondément dans le système géopolitique des Etats-Unis, et donc dans les guerres qu'il va susciter. La Chine n'est-elle pas le challengeur le plus probable du 21ième siècle?

 

AvB: En 1952, les Américains ont envoyés des combattants au Tibet, afin d'y déclencher des insurrections. Les Chinois ont immédiatement riposté. La brutalité qu'ils déploient dans leur oppression du Tibet est une cause directe de cette immixtion indirecte des Etats-Unis. L'Afghanistan a, pendant longtemps, été une zone tampon entre les sphères d'influence britannique, russe et chinoise. Cette espèce de "no-man's-land" vient d'être occupé par les Etats-Unis. Pour quelle raison? Pas seulement parce que les talibans s'avéraient incapables de protéger les oléoducs d'Unocol qui doivent amener le pétrole aux rives de l'Océan Indien, mais, plus prosaïquement, pour se donner des bases militaires afin de contrôler l'espace asiatique. La Chine risque bien de s'organiser encore davantage et de devenir ainsi le grand challengeur. En Afghanistan, il ne s'agit pas seulement de combattre le terrorisme. Là-bas, le scénario est le même qu'en Arabie, où l'on a utilisé comme prétexte l'invasion irakienne du Koweit, ou que dans les Balkans, où l'on a argué qu'il fallait mettre fin aux guerres de Bosnie et du Kosovo. On prend aujourd'hui le prétexte de la guerre contre le terrorisme pour se tailler des points d'appui en Asie centrale. Les Etats-Unis ne se contenteront d'ailleurs pas de l'Asie centrale, mais installeront leurs soldats partout où cela s'avèrera nécessaire, selon leur optique; ils nous diront tout simplement que là où ils veulent s'installer, il y a quelques combattants d'Al-Qaeda, ou leurs financiers ou leurs hôtes.

 

Q.: Donc la lutte contre le fondamentalisme islamique des talibans et d'Al-Qaeda n'est qu'un pur prétexte pour atteindre enfin une hégémonie complète sur le monde…

 

AvB: Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 n'ont probablement pas été l'œuvre de musulmans.

 

Q.: De qui alors?

 

AvB: Je ne peux pas vous le dire. L'action intentée en justice a pour objectif de prouver l'identité des vrais coupables.

 

Q.: Comment donc en êtes-vous arrivé à cette conclusion?

 

AvB: Si je ne peux pas vérifier la véracité de la théorie sur base de faits, alors je dois recommencer l'enquête dès le début. Or, il y a un fait qui est désormais certain : des dix-neuf pilotes suicides théoriques, on a pu prouver que sept étaient encore en vie. En plus, dans la liste des passagers des quatre avions détournés, qui ont été publiées, nous ne trouvons pas un seul nom arabe. La présentation des faits, telle qu'elle nous est servie aux Etats-Unis et en Europe, est plus que probablement fausse, tout simplement. Ou, pour le dire mieux: elle a été falsifiée. De surcroît, la lutte planétaire contre le terrorisme est un prétexte en or pour mener des actions contre tous les pays qui entravent les projets géopolitiques de l'Amérique. Quelques figures importantes de l'administration de Washington parlent même de soixante Etats récalcitrants, qu'il s'agit désormais de mettre au pas. Ces Etats ont probablement été désignés à cause de leur position stratégique et des ressources que recèle leur sol.

 

Q.: Vous n'allez tout de même pas nous dire que la CIA se cache derrière ces attentats?

 

AvB: Immédiatement après la seconde guerre mondiale, les Britanniques et les Américains ont commencé à développer des procédés permettant de téléguider des avions au départ du sol. Ils sont ainsi parvenus à maîtriser par téléguidage le décollage et l'atterrissage d'aéronefs et, même, les vols en formation. Les professionnels, qui ont organisé l'attentat du 11 septembre 2001, ont probablement fait usage de ces techniques; à des fins de désinformation, ils ont ensuite diffusé des listes d'auteurs présumés pour faire croire à une piste islamiste. Je ne peux émettre aucun jugement sur les affirmations en ce sens que formule l'ingénieur aéronautique britannique qui a évoqué cette possibilité. Mais il y a une chose que je constate bel et bien, c'est que certains indices n'ont pas été retenus, n'ont pas été évoqués dans les médias. L'administration américaine a donc pu donner l'ordre de marche à ses soldats, en invoquant la conspiration de Ben Laden. Certains silences persistants confirment mon scepticisme.

 

Q.: Mais Ben Laden a déclaré clairement la guerre aux Etats-Unis. Ce fait ne permet-il pas de dire que la piste Ben Laden est effectivement la plus plausible?

 

AvB: On a souvent l'impression que les services secrets américains se détestent plus entre eux qu'ils ne haïssent l'ennemi de leur pays. En plus, on peut dire que le Mossad israélien a intérêt à démontrer à l'Occident qu'il est autant concerné qu'Israël par la menace islamiste. En tout cas, on peut dire des attentats du 11 septembre 2001 qu'ils ont été organisés par des professionnels de très haut niveau. L'organisation de telles actions ne peut donc pas avoir été mise au point au départ d'une grotte perdue dans les montagnes afghanes. Une telle hypothèse est à exclure. Pour ce qui concerne directement Ben Laden, je puis dire qu'il m'apparaît comme une pure fabrication des services américains. Sans les opérations couvertes de la CIA en Afghanistan afin d'en déloger les Soviétiques et de combattre leurs troupes, nous n'aurions pas vu arriver en Afghanistan 30.000 combattants islamiques, venus de tous les pays musulmans, pour servir de mercenaires, nous n'aurions pas vu naître l'association des anciens combattants islamistes d'Afghanistan (les "Afghanis"), qui s'appelle… Al-Qaeda. De même, les talibans n'auraient jamais été les maîtres à Kaboul. Ce sont les fonds fournis par les Américains et les Saoudiens, sans compter la tolérance de tous les services policiers et judiciaires à l'endroit du trafic des drogues aux Etats-Unis et en Europe, qui ont permis au fondamentalisme islamiste de prospérer dans le monde musulman. Conclusion: ce sont les services secrets occidentaux, y compris le Mossad, qui nous ont fabriqué le fondamentalisme islamiste.

 

(propos recueillis par Moritz Schwarz et publiés dans Junge Freiheit, n°7/2002 - http://www.jungefreiheit.de ). 

mercredi, 01 août 2007

Introduction à la géopolitique

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Nous avons eu le plaisir de rencontrer un sympathique géopolitologue d'Arlon au célèbre estaminet saint-gillois "Moeder Lambiek", qui nous a confié ce texte didactique, sous la forme d'un entretien accordé en 1990 à une revue ardennaise. Mille mercis à Louis Pallenborn!

Introduction à la géopolitique

Entretien avec Louis Pallenborn

1) Que recouvre la notion de «géopolitique»?

La notion de «géopolitique», telle que l'on utilisée les hommes politiques, les diplomates ou les militaires, est d'ordre essentiellement stratégique. C'est la politique  —et toute politique est une stratégie; parfois les deux termes se recoupent—  qui vise la maîtrise de l'espace géographique, tant au niveau extérieur qu'au niveau intérieur. Au niveau extérieur, la géopolitique vise l'obtention d'un territoire aux dimensions optimales, ou d'une sphère d'influence cumulant le maximum d'atouts. En temps de paix, ce sont les diplomates qui tentent de réaliser les désirs géopolitiques d'une puissance; en temps de guerre, ce sont les militaires. Quand on parle d'un territoire aux «dimensions optimales», on pense à des frontières militairement défendables, à des zones économiques homogènes non fractionnées entre diverses puissances, à des zones ethniquement homogènes. Sur le plan intérieur, la pratique géopolitique vise un aménagement optimal du territoire: assèchement de zones marécageuses, gain de sol sur la mer (Hollande), défrichage de territoires arides ou peu fertiles, lancement d'une politique agricole plus ou moins autarcique, etc.

2) Quelles sont les relations entre la géographie et la politique?

C'est une très vieille relation. En effet, la politique est avant toute chose liée à un territoire précis, où s'exerce la souveraineté d'un peuple, d'une élite, d'une oligarchie, d'un parlement, d'un empereur, etc. La politique est par définition liée à un territoire, qu'il soit celui d'une communauté villageoise, d'une cité antique ou médiévale, d'un duc ou d'un prince féodal, d'un Etat national moderne ou d'un Empire aux dimensions globales comme le fut l'Empire britannique.

Ceux qui font la politique gèrent un espace et tentent d'en accroître les potentialités, soit en le rentabilisant sans recourir à des conquêtes, soit en en augmentant la superficie par des annexions plus ou moins arbitraires, en profitant de la faiblesse d'une élite voisine faible ou décadente, ou en faisant sauter des verroux d'étranglement territoriaux (conquête d'une enclave ou d'un accès à la mer), condamnant leur cité ou leur pays à la stagnation ou à l'étouffement économique.

3) La géopolitique est-elle une science?

Oui et non. Elle est une science car elle repose sur de bonnes connaissances en histoire, en stratégie militaire, en géographie physique, en hydrographie, en géologie, en zoologie et en botanique (une zone forestière comme l'Ardenne a longtemps constitué un verrou, jugé infranchissable). Mais comme la géopolitique est aussi et surtout une stratégie, elle conserve une dimension subjective. C'est l'élite, le général, le stratège, l'homme politique qui décident, à un moment donné de l'histoire, de faire valoir leurs atouts géographiques. Il y a donc un élément de volonté, qui échappe aux critères scientifiques proprement dits. Et il y a un risque: celui qui décide d'agir, d'arrondir les contours de son territoire, d'éliminer une enclave qui menace la cohésion de son pays, de réunir une province partagée entre deux souverainetés, peut ne pas connaître tous les paramètres historiques, géographiques, hydrographiques, etc., ou en surestimer ou en sous-estimer l'un ou l'autre. Dans ce cas, il risque l'échec à tout moment.

4) La géopolitique a-t-elle une histoire?

Bien sûr. Les grands philosophes de l'Antiquité, qui ont posé les premiers jalons de la pensée politique, comme Thucydide ou Aristote, ont reconnu le rôle-clef de l'espace dans la gestion quotidienne des choses politiques. A l'époque moderne, Bodin, Colbert, les amiraux anglais et néerlandais du XVIIième siècle, Gustave Adolphe de Suède, Pierre le Grand de Russie ont théorisé ou mis en pratique, plus ou moins à leur insu, une géopolitique qui ne sera codifiée que plus tard. Après les réflexions sur la politique ou sur l'espace de Montesquieu en France et de Herder en Allemagne, la géographie et la cartographie modernes prennent leur envol grâce aux travaux de Ritter. A partir de Ritter et de ses premières cartes de grande précision, la géographie politique devient une science en pleine expansion: Ratzel poursuit les travaux de son maître en Allemagne et énonce les premiers rudiments de la géopolitique proprement dite (avec composante subjective, reprise très vite par l'Amiral Tirpitz); en Angleterre, le géographe écossais Mackinder rénove de fond en comble les facultés de géographie dans son pays et prononce un discours à Londres en 1904 qui esquisse les grandes lignes de la géopolitique de l'Empire britannique; aux Etats-Unis, l'Amiral Mahan jette les bases de la grande stratégie navale et globale de son pays, toujours appliquée de nos jours. En Suède, Rudolf Kjellen, qui enseignait les sciences politiques à l'Université d'Uppsala, énonce les principes qui doivent guider les puissances continentales. Au Japon, également, les études géopolitiques fleurissent. En France, on retiendra surtout trois noms: Elisée Reclus, Paul Vidal de la Blache et Jean Brunhes. Voilà pour les pionniers.

Mais dans l'Allemagne vaincue en 1918, un disciple de Mackinder, le Général Karl Ernst Haushofer, spécialiste du Japon et de l'Océan Pacifique, fonde une revue en 1924 qui popularisera les thèses de la géopolitique, n'hésitant jamais à mettre en exergue les composantes les plus subjectives des pratiques nationales allemandes, japonaises, russes ou italiennes. D'autres géopoliticiens, comme Dix, Kornhölz et Henning resteront plus modérés dans leurs affirmations politiques. Mais c'est le nom de Haushofer qui est resté dans les mémoires, parce qu'il a eu des relations étroites avec Rudolf Hess. Cela lui a été beaucoup reproché mais l'ostracisme qui l'a frappé injustement (son épouse, issue d'une très vieille famille israëlite, a été inquiétée à plusieurs reprises et son fils Albrecht a été exécuté à Berlin par la Gestapo en 1945) a cessé depuis quelques années: le programme de stratégie, enseigné dans les grandes écoles militaires et navales américaines, lui réserve un chapitre très intéressant; à Paris, le prof. Jean Klein a réédité chez Fayard quelques-uns de ses textes les plus intéressants, les mettant dans une perspective de gauche (anti-impérialiste); en Allemagne, les archives fédérales ont ressorti de très intéressants documents le concernant, sous la houlette du prof. Jacobsen. Au Japon, il n'a jamais cessé d'être commenté.

Ceci dit, toutes les puissances ont mis en pratique une géopolitique, y compris celles qui étaient trop modestes pour la traduire dans les faits. Depuis la fin de la guerre, où pendant une ou deux décennies, le terme «géopolitique» a été plus ou moins tabou, les écoles de stratégies l'ont remis à l'avant-plan, sans plus aucune restriction mentale: dans l'ex-URSS, l'Amiral Gortchkov, rénovateur de la flotte soviétique et impulseur de l'arme sous-marine, s'est avéré un excellent élève de Mahan, de Mackinder, de Ratzel, de Haushofer et des marins allemands de 1939-45 (notamment Carls); aux Etats-Unis, la politique visant à contenir l'URSS est directement héritée de Mackinder, père de l'idée de «cordon sanitaire». Le prof. Colin S. Gray est celui qui, à partir de 1975, remet la science géopolitique à l'honneur dans les universités et les écoles militaires américaines. En France, les Amiraux Castex et Célérier forgent sous De Gaulle une géopolitique et une géostratégie françaises. A l'Université, le prof. Hervé Coutau-Bégarie s'est fait remarqué par une production abondante de textes géopolitiques de grande qualité.

Comme on peut le constater, la géopolitique n'a jamais cessé d'être une préoccupation majeure dans les hautes sphères diplomatiques, militaires et universitaires. Malgré le discrédit jeté sur les travaux de Haushofer par quelques idéologues fumeux, quelques moralistes simplets et de terribles simplificateurs, la géopolitique a une longue histoire et reste très vivante.

5) La géopolitique fut-elle surtout une discipline allemande?

Non. Pas du tout. La cartographie et la géographie physique, au départ, ont reçu des impulsions innovantes de Ritter, savant allemand de l'époque romantique, formé à l'école de pédagogie du célèbre Pestalozzi. Mais la géopolitique proprement dite est née du cerveau de Mackinder. Ce dernier constatait quels avaient été les progrès de la géographie allemande et les conséquences pratiques qui en découlaient (bonnes cartes militaires, bonne connaissance des grandes routes commerciales, excellente diplomatie économique). L'Angleterre, disait Mackinder, devait imiter cet exemple, systématiser la géographie et mettre ce savoir pratique au service de l'Empire. La consolidation de l'Empire, avec l'occupation des points d'appui, des îles stratégiques importantes, des postes de relais, des cols et des massifs montagneux surplombant les plaines non inféodées à l'Empire ou occupées par un ennemi de la Couronne, est due au génie pratique de Mackinder. L'organisation militaire et stratégique de l'Empire britannique, l'utilisation optimale de ce savoir à des fins impériales, restent des modèles du genre. Haushofer, plus tard, a été très conscients des lacunes allemandes en matières géopolitiques. Les Allemands ont parlé de géopolitique, écrit des traités de géopolitique, mais sont resté en deçà des Britanniques pour ce qui concerne la mise en pratique de ce savoir. Rappelons que Mackinder a forgé la notion de «cœur du monde» ou de «terre du milieu», c'est-à-dire le centre de la grande masse continentale eurasienne, qui, par son immensité et son éloignement de la mer, est inaccessible aux flottes des puissances navales anglaises et américaines. Mais les puissances maritimes n'ont pas la force ni le matériel humain nécessaire pour occuper physiquement cette «terre du milieu». Il faut donc la «contenir» en organisant des systèmes de défense à sa périphérie. Telle est la grande stratégie de l'OTAN au cours de notre après-guerre. La géopolitique est donc une théorie et une pratique qui est surtout anglo-saxonne.

6) Quels sont les principaux théoriciens de la géopolitique?

Je viens de vous les énumérer. Ratzel a affiné la géographie politique, étayant cette science d'arguments d'ordre anthropologique et ethnologique. Ratzel, par exemple, étudiait les agricultures du globe, les modes de vie qu'elles généraient, et tirait de remarquables conclusions quant à l'aménagement du territoire. Mackinder a surtout énoncé la théorie de la «terre du milieu» dont je viens de parler. Il a créé un remarquable réseau d'enseignement universitaire et post-universitaire (réservé aux enseignants et aux militaires) pour la géographie, auparavant négligée dans le monde académique britannique. Haushofer a vulgarisé et popularisé les thèses de Mackinder, mais dans une optique très allemande et continentale, résolument hostile aux puissances anglo-saxonnes et favorable au Japon. Spykman a élaboré les grandes lignes de la stratégie globale américaine au cours de la seconde guerre mondiale. Disciple de Mackinder, Spykman sera également à la base de la pratique géostratégique du «containment». Kjellen, qui se situe chronologiquement entre Mackinder et Haushofer, a brillament commenté et étudié les lignes de force des pratiques géopolitiques de chacune des grandes puissances engagées dans la première guerre mondiale. Ces commentaires étaient certes circonstanciels; il n'en demeure pas moins vrai que leur pertinence garde toujours une validité aujourd'hui, à plus forte raison quand le canon tonne à nouveau dans les Balkans et que la zone austro-hongroise se reforme de manière informelle. Relire Kjellen à la lumière des événements de l'ex-Yougoslavie serait, pour nos diplomates, du plus grand intérêt.

7) La géopolitique a-t-elle été mise en pratique?

Je viens de citer la politique du «containment», celle de l'OTAN, de l'OTASE et du CENTO au cours de notre après-guerre, l'organisation du «cordon sanitaire» à la suite du Traité de Versailles (1919), etc. Plus près de nous, la Guerre du Golfe, menée pour restaurer intégralement la souveraineté koweitienne, procède d'une vieille stratégie anglo-saxonne, déjà appliquée dans la région. En effet, c'est un retour de la «question d'Orient», qui avait secoué les passions au début de notre siècle. La Turquie ottomane avait accès au Golfe Persique et à l'Océan Indien. Les Britanniques usent de leur influence pour que l'on accorde l'indépendance aux cheikhs de la côte, en conflit avec leurs maîtres ottomans. L'Angleterre se fait la protectrice de ce nouveau micro-Etat. De cette façon, elle peut barrer la route de l'Océan Indien aux Ottomans. Quand Français, Suisses, Belges et Allemands se concertent pour créer un chemin de fer Berlin-Istanbul-Bagdad-Golfe Persique, les Britanniques s'interposent: l'hinterland arabe ou ottoman ne peut pas contrôler la côte koweitienne du Golfe, a fortiori s'il est appuyé par une ou plusieurs puissances européennes. Les Américains ont pratiqué, toutes proportions gardées et en d'autres circonstances, la même politique en 1990-91. Le conseiller du Président algérien Chadli, Mohammed Sahnoun, fin analyste de la politique internationale et bon géopoliticien, a écrit, notamment dans un numéro spécial du Soir  et de Libération consacré au «nouveau désordre mondial» que si les Américains se désengageaient en Europe et en Allemagne, ils allaient jeter tout leur dévolu sur la région du Golfe (Emirats, Arabie Saoudite et Koweit), de façon à ce que ni l'Europe ni le Machrek arabe n'aient de débouchés directs sur l'Océan Indien. c'est une belle leçon de continuité géopolitique que les Américains nous ont donnée.

Examinons l'histoire de l'ex-Yougoslavie. En 1919, à Versailles, les puissances victorieuses créent l'Etat yougoslave de façon à ce qu'Allemands, Autrichiens, Hongrois et Russes n'aient plus d'accès à la Méditerranée. Ils rééditent de la sorte la tentative napoléonienne de créer des «départements illyriens», directement administrés depuis Paris, pour couper Vienne de l'Adriatique. En proclamant leur indépendance, Croates et Slovènes veulent rendre cette politique caduque. Et en faisant reconnaître leur indépendance par Vienne, Rome, Bruxelles et Berlin, en proclamant leur volonté de s'intégrer à la dynamique européenne en marche, ils donnent un accès à la Méditerranée à l'Autriche, à la Hongrie et à l'Allemagne réunifiée. Couplée à l'ouverture prochaine du canal de grand gabarit Rhin-Main-Danube, cette dynamique à l'œuvre montre que les énergies européennes sont en train de s'auto-centrer et que les logiques atlantiques, qui ont prévalu dans notre après-guerre, vont perdre de leur vigueur. Les conséquences géopolitiques et géostratégiques de cet «euro-centrage» et de cette lente «dés-atlantisation» sont d'ores et déjà visibles: chute de l'Angleterre et de la livre sterling, guerre sur le cours du Danube à hauteur d'Osijek (là où se trouvent nos casques bleus), velléités indépendantistes en Italie du Nord, revitalisation de l'industrie lourde autrichienne, mort lente de l'Ouest et du Sud-Ouest de la France, etc.

8) On reparle beaucoup de géopolitique; ceci est-il à mettre en rapport avec l'évolution actuelle de l'Europe de l'Est?

Evidemment. Si l'Europe n'est plus coupée en deux, elle se resoude et centre ses énergies sur elle-même. L'Europe de l'Est n'est plus l'Europe de l'Est mais l'Europe centrale. Et la CEI, voire la seule République russe de Boris Eltsine, est l'Europe de l'Est. Les relations récentes entre la Turquie et les républiques islamiques turcophones ex-soviétiques sont le signe qu'une géopolitique nouvelle est en train de se dessiner en Asie Centrale.

9) Y a-t-il un avenir pour la géopolitique?

Plus que jamais. Les instituts de réflexion géopolitique sortent du sol depuis peu comme des champignons! En France, les travaux d'un prof. Michel Foucher (auteur de Fronts et frontières  chez Fayard) font désormais autorité: son institut, basé à Lyon, dessine la plupart des cartes prospectives que vous découvrez dans la grande presse ou dans les revues spécialisées (L'Expansion, par exemple). Ouvrez l'oeil et vous verrez que ces cartes font partie du décor quotidien dans la galaxie Gutenberg. Citons encore Gérard Chaliand, à qui nous devons un magnifique Atlas stratégique  (chez Fayard), devenu lecture obligatoire pour tous nos étudiants en sciences politiques. N'omettons pas non plus la belle revue, significativement intitulée Géopolitique  et éditée par Marie-France Garaud, candidate malchanceuse aux élections présidentielles françaises de 1981. En France toujours, l'IFRI (Institut Français des Relations Internationales) se préoccupe beaucoup de géopolitique, de même que son homologue britannique, le célèbre RIIA (Royal Institute of International Affairs), où sévissaient déjà Mackinder et le célèbre historien Toynbee. En Russie, le débat est ouvert: l'idée de «terre du milieu», la volonté de donner cohérence à celle-ci, les souvenirs des théoriciens de l'espace sibérien et du ministre du Tsar Witte reviennent à la surface. On peut véritablement parler d'un retour en force.

10) La géopolitique nous enseigne-t-elle quelque chose sur le devenir de l'Europe du Nord-Ouest, ainsi que sur celui de la Wallonie?

Bien sûr. Mais rien n'a été systématisé. Espérons toutefois qu'on y remédiera vite. Quelques idées: l'espace du Nord-Ouest, le nôtre, est déterminé par les trois fleuves (Escaut, Meuse, Rhin) qui nous conduisent vers le centre de l'Europe. L'ouverture du canal Rhin-Main-Danube doit nous obliger à repenser l'histoire de ces trois fleuves. Nous sommes la zone portuaire de l'hinterland rhénan et suisse. Nous sommes un nœud autoroutier. Nos Ardennes sont un tremplin vers une Lorraine ruinée par le centralisme parisien. Vers une Alsace en prise directe avec l'Allemagne et la Suisse (notamment le centre industriel de Bâle). Mais aucune synergie transrégionale n'est possible tant que toutes les scories du jacobinisme statolâtre et centraliste ne seront pas impitoyablement éliminées chez nos voisins du Sud. Le devenir de la Wallonie ne pourra être à nouveau expansif que si un gouvernement régional wallon peut dialoguer sur pied d'égalité avec un gouvernement régional lorrain ou alsacien ou «nord-pas-de-calaisien» (traduit de l'hexagonal: Flandre, Artois, Hainaut), exactement comme, sous l'impulsion de Jean-Maurice Dehousse, un gouvernement régional wallon non encore sevré dialogue avec le gouvernement de Rhénanie-Westphalie ou de Rhénanie-Palatinat. L'avenir est au dialogue entre régions, que nous devons faire triompher, au nom d'une idéologie pacifiste dictée par la raison (plus de guerres franco-allemandes, car nous en faisons les frais).

11) Comment s'initier à la géopolitique? Quelles sont les publications actuellement accessibles?

Pour le débutant, je conseille d'abord l'achat d'un bon atlas historique, notamment celui qu'édite Stock. L'atlas historique éclaire sur la mouvance des frontières et sur les enjeux territoriaux des guerres de l'histoire. Ensuite, le Que-sais-je?  des PUF (Presses Universitaires de France; n°693; Charles Zorgbibe, Géopolitique contemporaine). Les ouvrages de Hervé Coutau-Bégarie, également parus aux PUF ou chez d'autres éditeurs (Economica notamment), les ouvrages de Michel Foucher (Fayard), l'Atlas stratégique  de Gérard Chaliand (également chez Fayard), les entrées consacrées aux figures historiques de la géopolitique dans l'Encyclopédie des Œuvres philosophiques  des PUF qui sortira de presse ce mois-ci et que l'on consultera à l'Albertine ou dans les grandes bibliothèques universitaires.     

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lundi, 30 juillet 2007

Europe versus USA: soumission du 3°cercle

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Michel Bugnon-Mordant :

USA vs. Europe : la soumission du "troisième cercle"

Lecture impérative !

Sur: http://theatrumbelli.hautetfort.com/

K. Haushofer : dynamiques latitudinales et longitudinales

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Les dynamiques latitudinales et longitudinales

Karl HAUSHOFER

Lorsque les grands-espaces de l'antiquité se sont formés, ils ont suivi une évolution de type latitudinal, favorisée par la position de la Méditerranée romanisée, par la ceinture désertique, par le tracé des massifs montagneux. Le positionnement des grands-espaces de l'Antiquité suivait dès lors un axe Est-Ouest, correspondant au parallélisme de la zone tempérée septentrionale, la zone subtropicale et la zone tropicale. Seuls les empires fluviaux les plus anciens, comme l'Empire égyptien le long du Nil, la Mésopotamie, la culture de l'Indus pré-aryenne constituent des exceptions. L'orientation de ces empires était contraire à celle de l'Empire romain, elle leur était imposée par le cours de leur artère vitale (le fleuve). Cette orientation a influencé tout le cours de leur histoire jusqu'au moment où ils ont été absorbés par le premier grand-espace latitudinal du Moyen-Orient, l'Empire achéménide des Iraniens.

A partir de ce moment, s'est déployée la dynamique latitudinale, avec les Phéniciens, les Hellènes, les Romains, les Arabes, les peuples de la steppe, les Francs, les Ibères. Les peuples ibériques en effet ont d'abord transposé leur puissance d'une méditerranée à une autre, de la Méditerranée romaine à celle des Caraïbes en Amérique. Ils ont ainsi poursuivi la logique latitudinale. Quand ils atteignent les rives du Pacifique, cette expansion latitudinale prend la forme d'un éventail. Entre 1511 et 1520, les Portugais par l'Ouest, les Espagnols par l'Est, atteignent le premier grand-espace qui tentait de se développer longitudinalement vers le Sud, en comptant sur ses propres forces; ce grand-espace était à cette époque le porte-étendard de l'Asie orientale, c'est-à-dire la Chine, puissance qui a souvent changé de forme extérieure tout en maintenant sa culture et son patrimoine racial. Avant l'arrivée des Ibériques et avant l'adoption de cette logique expansive longitudinale, la Chine aussi s'était étendue latitudinalement.

Le flux migratoire est-asiatique, chinois et japonais s'effectuait sur un axe Nord-Sud, au moment où l'expansion coloniale espagnole le traverse, constituant en même temps le premier empire latitudinal “sur lequel le Soleil ne se couche jamais”. L'Espagne n'a conservé son monopole que pendant 70 ans. Ensuite, sur ses traces, sont venus ceux qui voulaient lui confisquer sa puissance et la déshériter. Le plus puissant de ces nouveaux adversaires était l'Angleterre, qui se mit rapidement à construire son premier et son second empires, dont la configuration présentait de nombreuses torsions, mais demeurait néanmoins le résultat d'une expansion latitudinale, déterminée par la position de la Méditerranée, dont la maîtrise assurait la possession de l'Inde. Quant à l'empire des tsars blancs puis rouges, il suivait l'extension latitudinale de la zone des blés en direction de l'Est. Entre les deux empires se situait une zone-tampon. Dans les années 40 du XXième siècle, émergent presque simultanément deux constructions géopolitiques longitudinales, la construction panaméricaine et la construction grande-est-asiatique, qui échappent toutes deux à ce champ de forces latitudinal, impulsent des expansions le long d'axes Nord-Sud et encadrent les expansions impériales britanniques et russes.

Si l'on compare ce nouvel état de choses avec la conception dynamique d'avant-garde de Sir Halford Mackinder, qu'il avait appelée “the geographical pivot of history” et énoncée en 1904,  —elle correspondait parfaitement à la situation de cette époque—  la nouvelle orientation des expansions panaméricaine et est-asiatique constitue une formidable modification du champ de forces sur la surface de la Terre; dans ce contexte nouveau, les tentatives de réaliser l'idée d'Eurafrique ou les efforts de l'Union Soviétique d'abandonner sa dynamique latitudinale pour orienter son expansion vers le Sud et les mers chaudes et pour se constituer un glacis indien, ne déploient pas une énergie cinétique aussi puissante.

Ce constat est d'autant plus préoccupant que, dans la vaste aire est-asiatique, on peut constater une pulsion interne conduisant à une sorte d'auto-limitation centripète, qui entend concentrer tous les efforts sur le grand-espace où vivent des peuples apparentés. Cette volonté centripète est déjà à l'œuvre et visible. Or la puissance impérialiste des Etats-Unis n'est pas centripète mais, après la concrétisation de la domination nord-américaine sur l'espace panaméricain, étend ses tentacules en direction de l'Afrique tropicale, de l'Iran, de l'Inde ainsi que de l'Australie. L'impérialisme américain part de sa base, c'est-à-dire d'un territoire formé au départ d'une expansion longitudinale, pour s'assurer la domination du monde, en enclenchant à son tour et à son profit une dynamique latitudinale. Cet impérialisme s'apprête déjà à contrer l'expansion de ses futurs ennemis en préparant une troisième guerre mondiale.

Donc, au départ de l'expansion longitudinale panaméricaine, l'impérialisme de Washington vise sans vergogne à devenir l'unique puissance impérialiste du globe, si l'on excepte toutefois le danger que représente la révolution mondiale soviétique. Face à cette révolution soviétique, la grande aire est-asiatique a dynamisé son propre espace culturel et amorcé le déploiement de sa propre puissance. Elle pense ainsi assurer son avenir en constituant une zone-tampon. Depuis une génération, les observateurs estiment que l'Europe, elle aussi, doit se donner une telle zone-tampon, comme nous l'avaient d'ailleurs déjà suggéré des hommes comme Ito, Goto, etc., pour faire pièce aux visées expansionistes du tsarisme.

La collision frontale entre dynamique longitudinale et dynamique latitudinale est très visible en Afrique, dans l'espace islamique et dans la zone où l'empire britannique semble se disloquer. Nous constatons donc l'existence de deux minces lignes de trafic aérien et maritime, s'élançant très loin vers le Sud, et au bout desquelles semble être accrochée l'Australie, continent vide, situé entre les territoires compacts où vivent les populations anglophones et sur la principale voie d'expansion de la grande aire est-asiatique vers le Sud. Mackinder avait parlé d'un “croissant extérieur” qui courait le danger d'être abandonné à la mer: dans cette partie de la Terre, cette prévision est presque devenue réalité. C'est aussi la raison pour laquelle l'Europe en ce moment ne semble plus solidement reliée à l'Afrique. La poussée latérale contre les maîtres des latitudes a glissé vers le Sud-Est.

Il reste aujourd'hui aux Soviétiques, maîtres de ce que Mackinder appelait jadis le “pivot of history”, et à l'Axe, c'est-à-dire aux puissances du “croissant intérieur”, plus qu'à enregistrer le fait. Certes, les combats sanglants qui se déroulent aujourd'hui sur le théâtre pontique [de la Mer Noire] et caspien sont importants pour le destin de la culture européenne, comme tous les combats qui se sont déroulés dans cette zone au cours de l'histoire, toutefois, pour le nouveau partage de la Terre en rassemblements grands-spatiaux, partage qui s'impose, ce théâtre de guerre est devenu secondaire.

L'évolution géopolitique décisive de l'avenir est la suivante: l'expansion latitudinale anglo-américaine dirigée contre l'expansion longitudinale asiatique se maintiendra-t-elle ou sera-t-elle bloquée? Que cette lutte ait une fin positive ou négative, les Etats-Unis croient qu'ils se sont assurés suffisamment de gages territoriaux dans l'ancien empire britannique, pour rentrer dans leurs comptes. Dans les faits, cela signifie qu'ils veulent conserver l'Amérique tropicale et, en sus, l'Afrique tropicale. S'ils estiment que l'Insulinde, troisième grande région tropicale fournissant des matières premières, que l'Iran déjà fortement grignoté, que l'Inde, valent la peine de sacrifier énormément de sang et d'investir de colossales sommes d'argent, ils s'en empareront en concentrant autant de forces qu'ils n'en concentrent pour chasser les puissances de la grande aire est-asiatique hors de leurs possessions bien fortifiées. Pour ceux qui donnent leur sang ou leur argent à la cause des Alliés, afin que ceux-ci soient les bénéficiaires du grand héritage, telle est la question la plus patente à poser dans cette lutte planétaire.

C'est pour être les héritiers de ce grand héritage, et non pour des principes, que les Etats-Unis montrent à l'Europe leurs dents de gangsters; dans la grande aire est-asiatique, ils ne font entendre que le roulement de tambour que sont les déclamations de McArthur que l'on pousse à rater dans le Pacifique sa chance de devenir un jour Président, comme jadis Cripps en Inde. Entre la Chine de Nanking et la Chine de Tchoung-King, les compromis les plus fous, les plus surprenants, sont possibles comme auparavant. Le vaste environnement qu'interpelle l'expansion longitudinale de la grande aire est-asiatique est encore plein d'énergies latentes. Sur le plan cinétique, on n'a vu ces énergies à l'œuvre que du côté de la main gauche du Japon, surtout en Chine, mais on n'a encore rien vu du côté de la main droite. Là, on s'attend à une guerre qui durera de dix à quinze ans. La Chine a tenu le coup pendant 32 ans de guerres civiles, le Japon a derrière lui douze ans de guerre sur le continent. Et il a prouvé qu'il était véritablement capable de frapper dur et fort en direction du Pacifique. Il faudra avoir du souffle, être capable d'affronter le long terme, de saisir les dynamiques de vastes espaces, pour comprendre la lutte qui oppose la dynamique latitudinale à la dynamique longitudinale, qui toutes deux se déploient de part et d'autre du Pacifique.

Karl HAUSHOFER.

(Zeitschrift für Geopolitik, Nr. 8, 1943; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

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dimanche, 29 juillet 2007

De l'Europe à l'Eurasie militaire

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De l'Europe à l'Eurasie militaire

par Robert STEUCKERS

A la demande de Reinhard Staveaux, prématurément décédé voici quelques années, et de Karim Van Overmeire (député de Flandre orientale), j'ai prononcé l'allocution suivante dans un débat contradictoire en février 1994, lors de la “Fête” du parti flamand. Mon honorable con­tradicteur, lors de cette table ronde, était l'écrivain flamand Mark Joris, qui a sur­tout mis l'accent sur le “danger islamique” et a rapellé les doctrines militaires suc­cessives de l'Alliance atlantique. J'ai ajouté au texte initial quelques éléments nou­veaux, dictés par l'actualité.

Depuis l'effondrement de l'URSS, la situation militaire de l'Europe est devenue extrêmement compliquée. La disparition de l'«ennemi» crée un flou artistique, si bien que le commun des citoyens n'y voit plus clair.

D'une part, nous avons les institutions européennes (la CEE, l'AELE/EFTA  —ou ce qu'il en reste—  le Groupe de Visegrad avec la Pologne, la Hongrie et la République tchèque), qui n'ont aucune compétence militaire; ensuite, nous avons le vaste en­semble que constitue la CSCE, qui regroupe certes tous les pays européens et toutes les républiques de l'ex-URSS mais aussi le Canada et les Etats-Unis, qui appartiennent à un autre hémisphère, au nouveau monde, selon la planisphère établie jadis par Mercator. Cette projection ne nous permet pas d'apercevoir l'importance cruciale de la zone arctique, où Canadiens, Américains et Russes sont mitoyens, ce qui pourrait nous amener, un jour, à parler d'un hémisphère nord, plutôt que d'une juxtaposition d'un «vieux» et d'un «nouveau» monde, d'un hémisphère occidental américain et d'un hémisphère oriental eura­sien.

Enfin, nous avons l'UEO, qui a en théorie des compétences militaires, mais où le poids de la France et de la Grande-Bretagne est très nettement marqué, au détriment peut-être des autres puissances européennes. Dans cet imbroglio institutionnel, force est de constater que l'OTAN est la seule structure qui a fonctionné au cours des décennies qui viennent de s'écouler. Mais, sans rideau de fer, cette institution militaire (et civile, on l'oublie trop souvent) doit se donner des objectifs nouveaux, pour ne pas demeurer en porte-à-faux par rapport à la nouvelle donne stratégique.

Nos souhaits se portent vers une rédéfinition globale de la CSCE et de l'UEO: les territoires européens et ex-soviétiques de la CSCE devraient représenter le nouvel espace stratégique, le nouveau sanctuaire, où aucune puissance extérieure ne devrait intervenir. L'intérêt de l'UEO dans cette optique, c'est qu'elle est exclusivement européenne, n'implique ni les Etats-Unis ni une autre puissance de l'«hémisphère occidental», et qu'elle s'est donné un instrument militaire, l'Eurocorps, qui considère l'Allemagne comme un partenaire à part entière. Cependant l'Eurocorps ne peut nullement demeurer l'affaire du tandem franco-allemand: l'adjonction récente de troupes espagnoles et belges lui confère une dimension plus européenne; les manœuvres germano-polono-tchèques préparent, avec des unités allemandes qui ne sont ni inféodées à l'OTAN ni à l'Eurocorps, un élargissement centre-européen de la défense du continent sans ingérence américaine. Effectivement, il nous semble bon de prévoir l'inclusion de troupes est-européennes dans une structure militaire hors OTAN, où il n'y a pas de pré­sence américaine. Ce processus pourrait s'amorcer dès que les pays de l'ex-COMECON trouveront la stabilité.

En effet, l'Eurocorps ou tout embryon d'armée européenne, ne peut être réservé aux seules puissances de l'Ouest, aux pays fondateurs de la CEE. Militairement et stratégiquement, nous concevons l'Europe comme un bloc indivisible, dont l'Ouest n'est qu'une partie, une frange atlantique.

Certes, la marche vers cet idéal d'unité sera longue. Les événements dans l'ex-Yougoslavie ont prouvé l'incapacité des Européens à agir de leur propre chef, sur leur propre territoire. Dans le conflit sud-slave, diplomates et militaires européens devraient s'abstenir de toute phobie: ni croatophobie, ni serbophobie, ni islamophobie en Bosnie (à ce propos, je rappelle que hier le délégué croate, qui est aussi le Président de l'association Flandre-Croatie, a réfuté l'islamophobie anti-bosniaque). L'attitude froide et mesurée que devraient prendre les décideurs européens, extérieurs à ce conflit, doit conduire à réfléchir sur la notion de “frontière juste et claire”. Tous les peuples de l'ancienne fédération yougoslave doivent avoir accès à l'Adriatique (les Serbes l'ont via le Montenegro dans la nouvelle fédération yougoslave; les Bosniaques doivent l'obtenir en Dalmatie mé­ridionale); de même, à l'intérieur des terres, les peuples doivent avoir accès aux grandes rivières (Save, Danube) pour autant que le cours de ces fleuves ait eu une importance à un moment de leur histoire. C'est sur ces réalités concrètes que doivent s'axer les négociations et non sur des découpages artificiels, tracés dans des états-majors étrangers, dans des cabinets, où règne la méconnaissance du terrain. Le découpage farfelu de Lord Owen a conduit à la tragédie bosniaque plus que la férocité des combattants!

En ex-Yougoslavie, une Europe adulte ne pourrait tolérer l'immixtion globale de l'ONU; sans doute, pourrait-elle tolérer que les intervenants supranationaux soient à la fois membres de l'ONU et de la CSCE (hémisphère oriental uniquement!), prépa­rant du même coup une «continentalisation» au sein de la structure planétaire, «continentalisation» qui impliquerait automati­quement des «interdictions d'intervention pour les puissances extérieures à un espace donné» (donc pas de casques bleus eu­ropéens en Amérique ou dans les Caraïbes ou en Extrême-Orient, de la même façon qu'au Rwanda, il ne devrait y avoir que des soldats onusiens issus d'Afrique noire). Il nous apparaît aberrant de voir des soldats pakistanais, kenyans ou nigérians monter la garde à Sarajevo, à Vukovar ou à Mostar.

Dernière remarque concernant la catastrophe sud-slave: l'idéologie de la paix absolue, l'irénisme idéologique, sont mauvais conseillers; la guerre en ce monde est trop souvent inévitable. L'objectif ne doit donc pas être de la supprimer  —ce qui serait impossible—  mais de la limiter dans certaines proportions. La présence de troupes onusiennes empêchent une solution mili­taire du conflit, où les protagonistes directement concernés mettraient, eux-mêmes, de leurs propres forces, un point final (provisoire) à la guerre. Le hasard des combats décide du destin, en bonne logique traditionnelle. L'ONU pérennise le conflit en voulant le supprimer.

Dans un concert européen, les nouveaux Etats doivent être des Etats fédéraux, prévoyant la protection des minorités, sur le modèle des cantons de l'Est en Belgique et des minorités danoises et sorabes en Allemagne. Ce respect des minorités im­plique un gouvernement tenant compte de toutes les formes de subsidiarité. Les voies de communication doivent être respec­tées au bénéfice de tous. Les coopérations interrégionales, dont Alpe-Adria est l'exemple le plus probant, sont une solution d'avenir, qui contribue à surmonter les divisions bétonnées par les Etats nationaux pour créer des fora européens adaptés à l'immense diversité de notre continent, mais dans le respect des identités locales, économiques et humaines.

Nous sommes donc en faveur d'un système de défense purement européen, capable d'intégrer les pays occidentaux de l'OTAN, les pays de l'ex-Pacte de Varsovie, les neutres et, peut-être dans un pilier autonome, les forces des nouveaux Etats issus de l'ex-URSS. Entre le pilier occidental et le pilier oriental, soit entre l'Europe de l'Atlantique au Boug et la Russie du Boug au Pacifique, un accord pourrait être signé pour maintenir la présence russe en Asie centrale et pour contenir toute avan­cée chinoise en direction de la Sibérie voire du Turkestan (Européens et Russes n'ont pas intérêt d'ailleurs à ce que la Chine mette la main définitivement sur le Sinkiang et sur le Tibet; de concert, nous devons réclamer la protection des minorités dans ces deux régions contrôlées par la Chine, à la suite de l'essouflement russe et européen consécutif à la seconde guerre mon­diale).

Quant à l'Eurocorps, nous souhaitons que son fonctionnement soit plurilingue comme celui de l'OTAN, quitte à trouver une koiné. Ensuite, nous souhaitons que la France mette fin à l'ambigüité qu'elle entretient: se placera-t-elle avec l'Eurocorps en dehors de la structure intégrée de l'OTAN ou retournera-t-elle avec l'Eurocorps dans la cette structure intégrée? Cette valse-hésitation ne permet pas de clarifier le problème.

Les Etats-Unis craignent de voir se constituer une Europe totalement indépendante du point de vue militaire; déjà, les velléités de construire un pôle européen autour de l'UEO, avant même qu'on ne parle d'Eurocorps, avaient suscité le désaccord de Washington. Mais à l'heure où les Etats-Unis veulent se donner un nouveau destin américain en formant l'ALENA (NAFTA), comment pourraient-ils contester aux Européens le droit de conjuguer leurs efforts au niveau de leur propre continent? Aux Etats-Unis, trois écoles s'affrontent: les isolationnistes, qui veulent se dégager des affaires européennes (ce que nous souhai­tons); les internationalistes qui se subdivisent en deux groupes: les unilatéralistes et les multilatéralistes. Avec les unilatéra­listes, pas de discussion possible. C'était l'option de Bush: le monde entier devait s'aligner derrière les positions américaines sans discuter. Dans cette optique, l'Eurocorps devrait être entièrement intégré dans l'OTAN, contrôlé par Washington. C'est la logique de la guerre froide, qui ne nous semble plus de mise. Les multilatéralistes veulent un partage des tâches et des res­ponsabilités: avec eux la discussion est possible, surtout si l'on tient compte du facteur arctique, que nous oublions trop sou­vent tant nous sommes accoutumés aux projections de Mercator.

Dans l'immédiat, la position minimaliste, la première petite pierre à poser dans les circonstances actuelles, reflets de notre misère politique, c'est d'exiger que l'Eurocorps, même s'il doit rester provisoirement dans l'OTAN, fasse respecter scrupu­leusement la souveraineté des Etats européens face à la centrale américaine. Du respect de cette souveraineté, on pourra ai­sément passer à l'élaboration d'un pilier européen plus étoffé que l'UEO, dans lequel l'Eurocorps serait le bras armé et où se­raient progressivement incluses les armées des neutres (Suède, Finlande, Autriche, Slovénie) et des pays du Groupe de Visegrad. Des manœuvres communes auraient lieu, à une étape ultérieure, avec les armées des pays de la CEI, Russes compris. Autre objectif: développer une logistique grande-continentale pour venir éventuellement en aide aux fronts centre-asiatique et extrême-oriental. Progressivement, la CSCE, pilier oriental, se doterait d'une armature militaire cohérente.

Robert STEUCKERS, février 1994.

 

samedi, 28 juillet 2007

L'Europe comme "troisième force"

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L'Europe comme «troisième force»

par Luc Nannens

Malgré les proclamations atlantistes, malgré l'engouement des droites libérales pour le reaganisme, malgré l'oubli général des grands projets d'unification continentale, depuis la fin des années 70, de plus en plus de voix réclament l'européisation de l'Eu­rope. Nos deux publications, Orientations et Vouloir, se sont fai­tes l'écho de ces revendications, dans la mesure de leurs très fai­bles moyens. Rapellons à nos nouveaux lecteurs que nous avons presque été les seuls à évoquer les thèses du social-démo­crate allemand Peter Bender, auteur en 1981, de Das Ende des ideo­logischen Zeitalter. Die Europäisierung Europas (= La fin de l'ère des idéologies. L'Européisation de l'Europe). L'européisme hostile aux deux blocs apparaît encore et toujours comme un ré­sidu des fascismes et de l'«Internationale SS», des rêves de Drieu la Rochelle ou de Léon Degrelle, de Quisling ou de Serrano Su­ñer (cf. Herbert Taege in Vouloir n°48-49, pp. 11 à 13). C'est le reproche qu'on adresse à l'européisme d'un Sir Oswald Mosley, d'un Jean Thiriart et de son mouvement Jeune Europe, ou parfois à l'européisme d'Alain de Benoist, de Guillaume Faye, du GRECE et de nos propres publications. Il existe toutefois une tradition sociale-démocrate et chrétienne-démocrate de gauche qui s'aligne à peu près sur les mêmes principes de base tout en les justifiant très différemment, à l'aide d'autres «dérivations» (pour reprendre à bon escient un vocabulaire parétien). Gesine Schwan, professeur à la Freie Universität Berlin, dans un bref essai inti­tulé «Europa als Dritte Kraft» (= L'Europe comme troisième force), brosse un tableau de cette tradition parallèle à l'européisme fascisant, tout en n'évoquant rien de ces européistes fascisants, qui, pourtant, étaient souvent des transfuges de la so­ciale-démocratie (De Man, Déat) ou du pacifisme (De Brinon, Tollenaere), comme l'explique sans a priori l'historien allemand contemporain Hans Werner Neulen (in Europa und das III. Reich, Universitas, München, 1987).

Dans

«Europa als Dritte Kraft», in Peter HAUNGS, Europäisierung Europas?, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft, 1989, 160 S., DM 38, ISBN 3-7890-1804-X,

Gesine Schwan fait commencer le néo-européisme dès 1946, quand la coopération globale entre l'URSS et les Etats-Unis tourne petit à petit à l'échec. L'Europe sent alors confusément qu'elle risque d'être broyée en cas d'affrontement de ces deux su­per-gros. Des esprits indépendants, mus aussi par le désir de reje­ter le libéralisme extrême des Américains et le bolchévisme stalinien des Soviétiques avec toutes leurs conséquences, com­mencent à parler d'«européisation» de l'Europe, ce qui vise à une plus grande unité et une plus grande indépendance du continent vis-à-vis des blocs. La question se pose alors de savoir où s'arrête cette Europe de «troisième voie»? A la frontière polono-soviétique? A l'Oural? Au détroit de Béring et aux confins de la Mandchourie?

Mais l'essai de Gesine Schwan comprend un survol historique des conceptions continentales élaborées depuis la première moi­tié du XIXième siècle. Essai qui met l'accent sur le rôle chaque fois imparti à la Russie dans ces plans et ébauches. Au début du XIXième, ni la Russie ni l'Amérique, en tant que telles, n'appa­raissaient comme des dangers pour l'Europe. Le danger majeur était représenté par les idées de la Révolution Française. L'Amé­rique les incarnait, après les avoir améliorés, et la Russie repré­sentait le principe légitimiste et monarchiste. Les démo­crates étaient philo-américains; les légitimistes étaient russo­philes. Mais Washington et Petersbourg, bien qu'opposés sur le plan des principes de gouvernement, étaient alliés contre l'Espagne dans le conflit pour la Floride et contre l'Angleterre parce qu'elle était la plus grande puissance de l'époque. Russes et Américains pratiquent alors une Realpolitik pure, sans prétendre universa­liser leurs propres principes de gouvernement. L'Europe est tan­tôt identifiée à l'Angleterre tantôt contre-modèle: foyer de cor­rup­tion et de servilité pour les Américains; foyer d'athéisme, d'é­goïs­me, d'individualisme pour les Russes.

L'Europe du XIXième est donc traversée par plusieurs antago­nis­mes entrecroisés: les antagonismes Angleterre/Continent, Eu­­ro­pe/Amérique, Russie/Angleterre, Russie + Amé­rique/An­gle­­terre, Russie/Europe... A ces antagonismes s'en su­perposent d'autres: la césure latinité-romanité/germanité qui se traduit, chez un historien catholique, romanophile et euro-œcu­méniste comme le Baron Johann Christoph von Aretin (1772-1824) en une hos­tilité au pôle protestant, nationaliste et prus­sien; ensuite la cé­sure chrétienté/islam, concrétisé par l'opposition austro-hon­groi­se et surtout russe à l'Empire Otto­man. Chez Friedrich Gentz se dessine une opposition globale aux diverses formes de l'idéologie bourgeoise: au nationalisme jacobin et à l'interna­tio­na­lisme libéral américain. Contre cet Oc­cident libéral doit se dres­ser une Europe à mi-chemin entre le na­tionalisme et l'inter­na­tionalisme. Le premier auteur, selon Ge­sine Schwan, à prôner la constitution d'un bloc européen contre les Etats-Unis est le pro­fesseur danois, conseiller d'Etat, C.F. von Schmidt-Phisel­deck (1770-1832). Après avoir lu le cé­lèbre rapport de Tocque­ville sur la démocratie en Amérique, où l'aristocrate normand per­çoit les volontés hégémoniques des Etats-Unis et de la Rus­sie, les Européens commencent à sentir le double danger qui les guette. Outre Tocqueville, d'aucuns, comme Michelet et Henri Martin, craignent l'alliance des slavo­philes, hostiles à l'Europe de l'Ouest décadente et individualiste, et du messianisme pansla­viste moins rétif à l'égard des acquis de la modernité technique.

La seconde moitié du XIXième est marquée d'une inquiétude: l'Eu­rope n'est plus le seul centre de puissance dans le monde. Pour échapper à cette amorce de déclin, les européistes de l'épo­que prônent une réorganisation du continent, où il n'y aurait plus juxtaposition d'unités fermées sur elles-mêmes mais réseau de liens et de rapports fédérateurs multiples, conduisant à une unité de fait du «grand espace» européen. C'est la grande idée de l'Au­trichien Konstantin Frantz qui voyait l'Empire austro-hon­grois, une Mitteleuropa avant la lettre, comme un tremplin vers une Europe soudée et à l'abri des politiques américaine et russe. K. Frantz et son collègue Joseph Edmund Jörg étaient des con­servateurs soucieux de retrouver l'équilibre de la Pentarchie des années 1815-1830 quand règnait une harmonie entre la Rus­sie, l'Angleterre, la France, la Prusse et l'Autriche-Hongrie. Les prin­cipes fédérateurs de feu le Saint-Empire devaient, dans l'Eu­rope future, provoquer un dépassement des chauvinismes na­tio­naux et des utopismes démocratiques. Quant à Jörg, son conser­vatisme est plus prononcé: il envisage une Europe arbitrée par le Pape et régie par un corporatisme stabilisateur.

Face aux projets conservateurs de Frantz et Jörg, le radical-démo­crate Julius Fröbel, inspiré par les idées de 1848, constate que l'Europe est située entre les Etats-Unis et la Russie et que cette détermination géographique doit induire l'éclosion d'un ordre social à mi-chemin entre l'autocratisme tsariste et le libéra­lisme outrancier de l'Amérique. Malheureusement, la défi­nition de cet ordre social reste vague chez Fröbel, plus vague que chez le corporatiste Jörg. Fröbel écrit: «1. En Russie, on gou­verne trop; 2. En Amérique, on gouverne trop peu; 3. En Eu­rope, d'une part, on gouverne trop à mauvais escient et, d'autre part, trop peu à mauvais escient». Conclusion: le socialisme est une force morale qui doit s'imposer entre le monarchisme et le républicanisme et donner à l'Europe son originalité dans le monde à venir.

Frantz et Jörg envisageaient une Europe conservatrice, corpora­tiste sur le plan social, soucieuse de combattre les injustices lé­guées par le libéralisme rationaliste de la Révolution française. Leur Europe est donc une Europe germano-slave hostile à une France perçue comme matrice de la déliquescence moderne. Frö­bel, au contraire, voit une France évoluant vers un socialisme solide et envisage un pôle germano-français contre l'autocratisme tsariste. Pour Gesine Schwan, l'échec des projets européens vient du fait que les idées généreuses du socialisme de 48 ont été par­tiellement réalisées à l'échelon national et non à l'échelon conti­nental, notamment dans l'Allemagne bismarckienne, entraînant une fermeture des Etats les uns aux autres, ce qui a débouché sur le désastre de 1914.

A la suite de la première guerre mondiale, des hécatombes de Verdun et de la Somme, l'Europe connaît une vague de pacifisme où l'on ébauche des plans d'unification du continent. Le plus cé­lèbre de ces plans, nous rappelle Gesine Schwan, fut celui du Comte Richard Coudenhove-Kalergi, fondateur en 1923 de l'Union Paneuropéenne. Cette idée eut un grand retentissement, notamment dans le memorandum pour l'Europe d'Aristide Briand déposé le 17 mai 1930. Briand visait une limitation des souve­rainetés nationales et la création progressive d'une unité écono­mique. La raison pour laquelle son mémorandum n'a été reçu que froide­ment, c'est que le contexte des années 20 et 30 est nette­ment moins irénique que celui du XIXième. Les Etats-Unis ont pris pied en Europe: leurs prêts permettent des reconstructions tout en fragilisant l'indépendance économique des pays emprun­teurs. La Russie a troqué son autoritarisme monarchiste contre le bolché­visme: d'où les conservateurs ne considèrent plus que la Russie fait partie de l'Europe, inversant leurs positions russo­philes du XIXième; les socialistes de gauche en revanche es­timent qu'elle est devenue un modèle, alors qu'ils liguaient jadis leurs efforts contre le tsarisme. Les socialistes modérés, dans la tradition de Bernstein, rejoignent les conservateurs, conservant la russophobie de la social-démocratie d'avant 14.

Trois traditions européistes sont dès lors en cours: la tradition conser­vatrice héritère de Jörg et Frantz, la tradition sociale-démo­crate pro-occidentale et, enfin, la tradition austro-marxiste qui consi­dère que la Russie fait toujours partie de l'Europe. La tradition sociale-démocrate met l'accent sur la démocratie parle­mentaire, s'oppose à l'Union Soviétique et envisage de s'appuyer sur les Etats-Unis. Elle est donc atlantiste avant la lettre. La tra­dition austro-marxiste met davantage l'accent sur l'anticapita­lisme que sur l'anti-stalinisme, tout en défendant une forme de parlementa­risme. Son principal théoricien, Otto Bauer, formule à partir de 1919 des projets d'ordre économique socia­liste. Cet or­dre sera planiste et la décision sera entre les mains d'une plu­ralité de commission et de conseils qui choisiront entre diverses planifica­tions possibles. Avant d'accèder à cette phase idéale et finale, la dictature du prolétariat organisera la transition. Dix-sept ans plus tard, en 1936, Bauer souhaite la victoire de la Fran­ce, de la Grande-Bretagne et de la Russie sur l'Allemagne «fasciste», afin d'unir tous les prolétariats européens dans une Europe reposant sur des principes sociaux radicalement différents de ceux préconisés à droite par un Coudenhoven-Kalergi. Mais la faiblesse de l'austro-marxisme de Bauer réside dans son opti­misme rousseauiste, progressiste et universaliste, idéologie aux as­sises intellectuelles dépassées, qui se refuse à percevoir les an­tagonismes réels, difficilement surmontables, entre les «grands es­paces» européen, américain et soviétique.

Gesine Schwan escamote un peu trop facilement les synthèses fascisantes, soi-disant dérivées des projets conservateurs de Jörg et Frantz et modernisés par Friedrich Naumann (pourtant mem­bre du Parti démocrate, situé sur l'échiquier politique à mi-che­min entre la sociale-démocratie et les libéraux) et Arthur Moeller van den Bruck. L'escamotage de Schwan relève des scru­pules usuels que l'on rencontre en Allemagne aujourd'hui. Des scru­pules que l'on retrouve à bien moindre échelle dans la gauche fran­çaise; en effet, la revue Hérodote d'Yves Lacoste pu­bliait en 1979 (n°14-15) l'article d'un certain Karl von Bochum (est-ce un pseudonyme?), intitulé «Aux origines de la Commu­nauté Euro­péenne». Cet article démontrait que les pères fonda­teurs de la CEE avaient copieusement puisé dans le corpus doc­trinal des «européistes fascisants», lesquels avaient eu bien plus d'impact dans le grand public et dans la presse que les austro-marxistes disciples d'Otto Bauer. Et plus d'impact aussi que les conserva­teurs de la résistance anti-nazie que Gesine Schwan évoque en dé­taillant les diverses écoles qui la constituait: le Cercle de Goer­deler et le Kreisauer Kreis (Cercle de Kreisau).

Le Cercle de Goerdeler, animé par Goerdeler lui-même et Ulrich von Hassell, a commencé par accepter le fait accompli des vic­toires hitlériennes, en parlant du «rôle dirigeant» du Reich dans l'Europe future, avant de planifier une Fédération Européenne à partir de 1942. Cette évolution correspond curieusement à celle de la «dissidence SS», analysée par Taege et Neulen (cfr. supra). Dans le Kreisauer Kreis, où militent le Comte Helmut James von Moltke et Adam von Trott zu Solz, s'est développée une vision chrétienne et personnaliste de l'Europe, et ont également germé des conceptions auto-gestionnaires anti-capitalistes, as­sor­ties d'une critique acerbe des résultats désastreux du capita­lis­me en général et de l'individualisme américain. Moltke et Trott restent sceptiques quant à la démocratie parlementaire car elle débouche trop souvent sur le lobbyisme. Il serait intéressant de faire un parallèle entre le gaullisme des années 60 et les idées du Krei­sauer Kreis, notamment quand on sait que la revue Ordre Nou­veau d'avant-guerre avait entretenu des rapports avec les person­nalistes allemands de la Konservative Revolution.

Austro-marxistes, sociaux-démocrates (dans une moindre me­sure), personnalistes conservateurs, etc, ont pour point commun de vouloir une équidistance (terme qui sera repris par le gaul­lisme des années 60) vis-à-vis des deux super-gros. Aux Etats-Unis, dans l'immédiat après-guerre, on souhaite une unification européenne parce que cela favorisera la répartition des fonds du plan Marshall. Cette attitude positive se modifiera au gré des cir­constances. L'URSS stalinienne, elle, refuse toute unification et entend rester fidèle au système des Etats nationaux d'avant-guerre, se posant de la sorte en-deça de l'austro-marxisme sur le plan théorique. Les partis communistes occidentaux (France, Ita­lie) lui emboîteront le pas.

Gesine Schwan perçoit très bien les contradictions des projets socialistes pour l'Europe. L'Europe doit être un tampon entre l'URSS et les Etats-Unis, affirmait cet européisme socialiste, mais pour être un «tampon», il faut avoir de la force... Et cette for­ce n'était plus. Elle ne pouvait revenir qu'avec les capitaux américains. Par ailleurs, les sociaux-démocrates, dans leur décla­ration de principe, renonçaient à la politique de puissance tradi­tionnelle, qu'ils considéraient comme un mal du passé. Com­ment pouvait-on agir sans détenir de la puissance? Cette qua­drature du cercle, les socialistes, dont Léon Blum, ont cru la ré­soudre en n'évoquant plus une Europe-tampon mais une Europe qui ferait le «pont» entre les deux systèmes antagonistes. Gesine Schwan souligne très justement que si l'idée d'un tampon arrivait trop tôt dans une Europe en ruines, elle était néanmoins le seul projet concret et réaliste pour lequel il convenait de mobiliser ses efforts. Quant au concept d'Europe-pont, il reposait sur le vague, sur des phrases creuses, sur l'indécision. La sociale-démocratie de­vait servir de modèle au monde entier, sans avoir ni la puis­sance financière ni la puissance militaire ni l'appareil déci­sion­nai­re du stalinisme. Quand survient le coup de Prague en 1948, l'idée d'une grande Europe sociale-démocrate s'écroule et les par­tis socialistes bersteiniens doivent composer avec le libéralisme et les consortiums américains: c'est le programme de Bad-Go­des­berg en Allemagne et le social-atlantisme de Spaak en Bel­gique.

Malgré ce constat de l'impuissance des modèles socialistes et du passéisme devenu au fil des décennies rédhibitoire des projets conservateurs  —un constat qui sonne juste—  Gesine Schwan, à cause de son escamotage, ne réussit pas à nous donner un sur­vol complet des projets d'unification européenne. Peut-on igno­rer l'idée d'une restauration du jus publicum europaeum chez Carl Schmitt, le concept d'une indépendance alimentaire chez Herbert Backe, l'idée d'une Europe soustraite aux étalons or, sterling et dollar chez Zischka et Delaisi, le projet d'un espace économique chez Oesterheld, d'un espace géo-stratégique chez Haushofer, d'un nouvel ordre juridique chez Best, etc. etc. Pourtant, il y a cu­rieu­sement un auteur conservateur-révolutionnaire incontour­na­ble que Gesine Schwan cite: Hans Freyer, pour son histoire de l'Europe. Le point fort de son texte reste donc une classification assez claire des écoles entre 1800 et 1914. Pour compléter ce point fort, on lira avec profit un ouvrage collectif édité par Hel­mut Berding (Wirtschaftliche und politische Integration in Eu­ropa im 19. und 20. Jahrhundert, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1984; recension in Orientations, n°7, pp. 42 à 45).

L.N.   

 

vendredi, 27 juillet 2007

L'Eurasie comme destin

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Géopolitique européenne: l'Eurasie comme destin

 

à propos d'un livre de Pierre Béhar

 

par Lucien FAVRE

 

Depuis les bouleversements de 1989, l'Europe s'est retrouvée mais ne s'est pas réunie. Malgré les analyses et les essais de géostratégie, malgré les tentatives de «nouvelle donne européenne» et le retour de la géopolitique (retour du mot tout au moins), malgré les débats qu'aura suscité le Traité de Maastricht (des débats bien lointains), les projets BCBG ont été florissants et n'on fait que renforcer une logique: celle d'une Europe soumise au dogme de l'économie, anti-démocratique, soumise à la synarchie des euro-technocrates. Pourtant présentée comme la «nouvelle Jérusalem céleste», cette Europe ne sera jamais la nôtre.

 

Un ouvrage signé Pierre BEHAR (1) nous ramène à l'essentiel en nous proposant une «géopolitique pour l'Europe». Une Europe qui en se réapproriant sa totale continentalité, de l'Atlantique au Pacifique, doit se construire sur la base d'un principe: l'équilibre des peuples et des nations.

 

Une encourageante initiative qui s'inscrit dans notre Combat, celui d'une Europe européenne et «grand-continentale», embryon d'un Empire eurasiatique.

 

L'Europe en effervescence: inquiétudes et espoirs.

 

Effondrement du Mur de Berlin (novembre 1989) et réunification allemande (décembre 1990), éclatement de l'Empire soviétique (décembre 1991), dissolution du Pacte de Varsovie (mars 1991), création de la «Communautés des Etats Indépendants», disparition de la Yougoslavie et guerre balkanique, projet d'union européenne, partition de la Tchécoslovaquie (juin 1992)... décidément, n'en déplaise à Mr. Fukuyama, l'Histoire continue (2).

 

Certes, cette effervescence n'augure pas obligatoirement d'une histoire conforme à nos aspirations. Mais nous connaissons le tragique de la vie, nous savons que l'Histoire n'est jamais écrite et que «le combat est père de toute chose» (Héraclite). Alors ni états d'âme ni béatitude...

 

Des inquiétudes...

 

L'écroulement de l'Imperium soviétique et sa spectaculaire et lamentable disparition auront laissé plus d'un analyste désemparé. Au-delà du fécond réveil des peuples qui autoriserait l'optimisme, certains n'y voient «qu'une étape supplémentaire vers l'accomplissement du matérialisme total et de la dépossession des hommes et des peuples par le système du productivisme planétaire et de la logique du capital» (3). Là comme ailleurs le cauchemar pourrait s'installer.

 

De même, passée l'euphorie de la réunification allemande, immédiatement se sont installés fantasme et scepticisme: crainte en particulier de la voir se construire son propre destin et de se tourner vers l'Est ou vers la Mitteleuropa.

 

Au sud, la guerre balkanique entretient une plaie ouverte et démontre toute la perversité du nationalisme, l'obsolescence de l'Etat-nation et l'absence du mythe fédérateur européen.

 

Ailleurs, l'Europe occidentale et communautaire, embryon, nous dit-on, d'une Europe politique, ayant choisi l'économie comme destin, s'enferme dans le juridisme au travers d'un Traite de Maastricht (février 1992) qui accentue le choix originel du Traité de Rome. Cette nouvelle étape sur le long chemin communautaire aura confirmé le décalage flagrant, l'incompréhension entre les élites politiques et les “citoyens européens”. Cette Europe n'est pensée et conçue que comme instrument pour mieux engager la compétition avec les Etats-Unis et le Japon. N'y parle-t-on pas que “modernisation” et “robotisation” et nos politiciens ne la présentent-ils pas comme une planche de salut pour ses 53 millions de pauvres. Ce que l'on peut d'ores et déjà affirmer, c'est qu'elle comblera les financiers et que “le seul gouvernement qui se profile à l'horizon 2000 risque fort d'être celui des gouverneurs de la banque centrale”. L'homogénéisation marchande et l'intégration à l'économie mondiale s'installent.

 

Des espoirs...

 

Tout ce bouillonnement aura eu cependant un mérite: précipiter la fin de l'immobilisme géopolitique en Europe et réveiller les stratèges que 45 années de “protectorat américain” avaient plongé dans un coma frisant la mort clinique. Sont réapparus la géographie européennes, ses peuples et ses ethnies, la réflexion géopolitique et géostratégique.

 

Certes, là où se prennent les décisions, dans les sphères où évoluent nos “décideurs”, la statu quo et la frilosité continuent à régner. L'acceptation du “leadership” américain s'installe et l'originalité n'est pas de mise.

 

C'est “Ailleurs” que s'imaginent les véritables projets, ceux qui sont porteurs de destin. L'ouvrage de Pierre Béhar s'inscrit dans cet “Ailleurs” où prend forme et se réalise notre projet grand-européen, cette Europe à vocation confédérale dont bon nombre de nos contemporains ne perçoivent pas l'unité territoriale et a fortiori culturelle.

 

Il contribue également à une mise en forme de ce “grand espace” (Großraum) eurasiatique que Karl Haushofer (4) présentait comme l'une des conditions géopolitiques indispensables à toute politique de puissance. Dégageant les caractéristiques géographiques et humaines de notre continent, Pierre Béhar propose une politique d'équilibre interne et intègre l'Eurasie comme composante d'une Europe désireuse de se forger un destin à l'échelle du monde.

 

L'Europe, un ensemble mouvant

 

Si, pour les Européens conséquents que nous sommes, l'Europe a toujours existé, un mythe ne mourant jamais, si sa totale dimension eurasiatique ne nous a jamais échappé, cette perspective n'est pas partagée par les futurs “citoyens européens”. La ploutocratie mondiale ayant quant à elle allègrement franchi le pas.

 

Cela tient au fait que, comme le soulignait le Général Jordis von Lohausen (5), “l'Europe n'est pas un simple continent au même titre que l'Afrique, l'Australie, l'Antarctique. Elle est l'œuvre des Européens et non un don de la nature, l'Europe n'est ni au-delà ni en-deçà de l'Oural, mais jusqu'au point où elle se défend».

 

En effet, si ses frontières occidentales ont été naturellement perçues et définies, sur le front oriental, elles ont toujours été conventionnelles et incertaines. L'Oural ne signifiant géopolitiquement rien, c'est souvent sur la ligne de front, au point d'arrêt de l'“envahisseur” que l'Europe se définissait.

 

En cette fin de XXième siècle, l'Europe a retrouvé son unité géographique. Des divisions subsistent (économiques, religieuses,...) mais elles doivent s'effacer si l'Europe se veut, de l'Atlantique au Pacifique, autre chose que le “cap de l'Asie”.

 

Retrouver notre continentalité

 

L'Europe, écrit Pierre Béhar, se présentant comme le “promontoire de l'Asie”, point d'aboutissement de toutes les migrations venant de l'Est, laisse apparaître plusieurs ensembles géographiques très contrastés d'où se dégagent des “permanences géopolitiques”.

 

- Le relief, trois ensembles:

* “La grande plaine du Nord”, sans relief, sans frontières naturelles, les peuples qui l'habitent éternellement s'y entrechoquent et s'y mêlent. Germains, Baltes, Polonais, y trouveront maintes sources de conflits.

* Au sud, un ensemble montagneux, Alpes, Carpathes et Balkans. Ces derniers, “tourmentés et escarpés” nous éclairent sur les difficultés encore actuelles que peuvent y avoir les populations à y constituer des zones d'habitat stables.

* Ailleurs, l'Europe n'est que presqu'îles ou îles lointaines. Autant de presqu'îles (hellénique, italique, ibérique, Asie Mineure, danoise, norvégienne,...) qui constituent des liens avec le monde arabe (nouvel ennemi d'un Occident en mal de croisade), l'Afrique (que certains voudraient rejeter dans la barbarie), l'Asie et le Grand Nord.

 

- Les deux aires humaines:

A ce constat dans le relief correspondent des “aires humaines” tout autant contrastées. A l'Ouest, une zone de stabilité, à l'Est, une instabilité chronique dont la résolution de l'équilibre “reste la tache à laquelle l'Europe est actuellement confrontée”.

 

- L'Asie jusqu'où?

 

Mais l'Europe géopolitique, c'est aussi cet “au-delà”, cette Asie sans laquelle aucun destin ne sera possible. Une nécessité apparaît: “rétablir des relations qui reflètent les liens géographiques qui les unissent”. D'où une question de l'auteur: “Jusqu'où vers l'Est, l'Europe doit-elle étendre des relations géopolitiques privilégiées?”. La réponse est pour nous sans équivoque.

 

- La mer:

Enfin, l'Europe, c'est aussi un rapport à la mer constant, d'où une maîtrise nécessaire des mers pour un continent qui a toujours souffert du manque de matières premières. Mais aussi nécessité stratégique parce que la mer est devenue “un élément essentiel du théâtre des opérations terrestres”. Et Pierre Béhar d'affirmer: “L'Europe sera une thalassocratie ou ne sera pas”, au même titre qu'elle ne pourra éviter un investissement dans une politique spatiale d'envergure.

 

Autant de “permanences géopolitiques” que nous somme gré à l'auteur de nous rappeler tant aujourd'hui elles sont ignorées. Mais ces permanences ont un objectif, amener les Européens à s'engager dans deux directions pour penser une géopolitique européenne:

- rétablir l'équilibre interne de l'Europe;

- penser l'Eurasie.

 

Rétablir l'équilibre interne du continent

 

Cette notion d'équilibre rejette “l'Europe hémiplégique” et réductionniste qu'est la Communauté Economique Européennes (CEE). Une Europe économique dont on nous fait croire qu'en sortira une Europe politique. Rien de plus faux, car inévitablement “elle se fondra sur le principe d'une intégration totale” et renforcera les frustrations nationales.

 

C'est donc vers une Europe confédérée et affirmant le primat du politique qu'il faut se tourner. Abandonner le “présupposé arbitraire du primat de l'économique devenu credo de la réflexion occidentale”.

 

Si la confédération apparaît comme le système le mieux adapté, elle demande un dépassement de l'“idéologie nationaliste” qui a “suicidé” l'Europe et un retour au principe d'équilibre qui a toujours guidé l'ancienne diplomatie dont Bismarck fut un remarquable exemple. Une tradition à mettre en œuvre dans une zone, celle du centre-Europe, mais aussi à l'échelle du continent.

 

Au centre: l'Allemagne et la Mitteleuropa

 

L'Allemagne n'est pas le problème et le “déséquilibre européen ne vient pas de sa réunification (...) mais de la destruction (...) de l'ensemble politique austro-magyaro-slave qui la contrebalançait”. Certes en 1994, l'Allemagne n'a plus de “revendications territoriales” mais comme à toute puissance économique correspond une puissance politique, on peut légitimement craindre une “hégémonie allemande” sur la Mitteleuropa, le choix de Berlin comme nouvelle capitale ne pouvant que renforcer ce mouvement. Si hier l'Empire d'Autriche-Hongrie garantissait cet équilibre, aujourd'hui, il n'en est rien.

 

Il faut donc contrebalancer ce déséquilibre et concevoir des nouveaux ensembles, tels qu'une Fédération de l'Europe Centrale (Autriche, Hongrie, Tchécoslovaquie, Slovénie et Croatie), une Fédération balkanique (Serbie/Monténégro, Roumanie, Bulgarie, Albanie, Grèce et Turquie) et même concevoir une Fédération du Nord (Pays Baltes, Finlande, Scandinavie). Cela n'a rien d'artificiel. Penchons-nous sur les relations séculaires des peuples du Nord, souvenons-nous du pacte balkanique (1934), examinons l'espace commun (le Danube) dans lequel ils évoluent. Vienne doit redevenir capitale de l'Europe centrale et l'axe Vienne-Budapest doit renaître. Déjà des regroupements se mettent en place (Pentagonale, Hexagonale, Communauté des régions du Danube...).

 

Ce rééquilibrage au centre de l'Europe ne saurait se passer à l'Ouest du retour de la France à sa double vocation continentale et maritime.

 

A l'Ouest: le rôle de la France

 

“La France y étant le facteur principal de stabilisation”, Pierre Béhar nous rappelle qu'elle y constitue le “pendant de la Russie”, qu'elle est le lien entre l'Europe du Nord et du Sud, l'Europe continentale et atlantique. N'est-elle pas elle-même le croisement de l'Europe, son “point nodal”. Regrettant les erreurs et les errements de la diplomatie française qui a parié sur une “Realpolitik de la force et non de la liberté des peuples”, Béhar offre à la France de se “rattraper” à condition de mettre ses armes stratégiques et tactiques au service de la défense du continent, d'accroître ses programmes d'équipement naval (surtout de les accorder avec ses ambitions et d'abandonner le prestige pour l'efficacité) et de renforcer son programme spatial plutôt que “s'enfermer pour vingt ans dans la même inefficacité ruineuse”.

 

L'Eurasie

 

Si l'Atlantique est la dimension indispensable à notre continentalité, si l'Europe occidentale et l'Europe centrale s'inscrivent sans hésitation dans la définition de l'Europe, l'“Au-delà” reste encore un monde inconnu que l'on hésite à y intégrer. Pourtant, c'est vers lui qu'il faut tendre la main, “l'Europe n'aura de fondements économiques et stratégiques fermes (...) que si elle est assurée de son prolongement eurasiatique”. Deux mondes se côtoient au sein de cette dimension, un monde slave et un monde turc.

 

Le monde slave, lien indispensable avec l'Asie

 

Le monde slave oriental, flanc est de l'Europe, contrefort oriental d'une Europe qui n'a aucun intérêt géopolitique à la voir se désagréger, constitue le lien terrestre indispensable avec le monde asiatique. D'où une nécessité: maintenir la coopération entre la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine, maintien du “pivot du monde”, d'un “heartland” dont Mackinder (1861-1947) avait souligné la force. Si l'Europe veut compter sur les richesses sibériennes, elle doit rester à l'écoute de la Russie authentique et ne pas hésiter à engager le dialogue avec une “Russie touranienne” dans la perspective d'un “grand ensemble dynamique eurasien”.

 

Le monde turc: un pont de la Mer du Nord au Golfe Persique

 

Barrière psychologique, la “question turque” se pose aux Européens. Un effort intellectuel et historique doit être effectué. Il serait absurde de rejeter la Turquie hors du projet européen.

 

La Turquie souligne Pierre Béhar a et est toujours tentée par un “destin personnel”, celui du monde panturc. Dans une optique de non-alignement, ce destin est-il incompatible d'avec une Europe tournée vers l'Eurasie? Nous ne le croyons pas et, peut-être pour d'autres motifs que l'auteur, nous pensons en effet qu'historiquement, religieusement, philosophiquement, le monde turc est lié à l'Europe.

 

Rappelons pour le mythe, qu'Europe, fille d'Agénor, était originaire d'Asie, que Troie était construite sur les rivages maintenant turcs, qu'Alexandre porta son Empire par delà l'Anatolie jusqu'à l'Indus... L'Empire ottoman ne fut-il pas la continuité de l'Empire byzantin?

 

Mais la Turquie d'un point de vue géopolitique est surtout un pion essentiel pour une Europe, souligne Pierre Béhar, qui se veut présente dans les Balkans, dans le monde méditerranéen et dont la Turquie pourrait être une force de stabilisation au Proche-Orient. Enfin et surtout, nous soulignerons (ce que ne fait pas Béhar) que la Turquie, c'est aussi un “pont tendu” reliant l'Europe centrale et l'Europe du Nord au Golfe Persique. Son territoire est l'élément indispensable d'un “puzzle européen” retrouvant vie et cohésion sur une “diagonale” que les ennemis de l'Europe ont toujours combattue (entretien de la guerre balkanique, guerre du Golfe...).

 

En guise de conclusion:

 

L'Europe ou l'Eurasie, tel sera le destin de l'Europe Totale (P. Harmel) sans lequel il n'y aura pas d'Europe. Remercions Pierre Béhar de contribuer à la mise en forme du “grand espace européen autocentré” que nous appelons de nos vœux.

 

Contribution qui n'aura pas osé la dénonciation de l'«Alliance otanesque» qui voue à l'échec toute mise en œuvre de défense authentiquement européenne et la création de ce “nomos eurasien” dont Haushofer et Carl Schmitt souhaitaient la réalisation.

 

L'Europe n'a pas de frontières, nous l'écrivions au début de cet exposé, elles se situent au point jusqu'où elle choisira de se défendre. Sa frontière géopolitique pourrait alors consister, à partir d'une “Europe noyau”, bâtie sur l'idée de respect d'un équilibre entre ses peuples qui y auraient consenti un “vivre-en-commun”, d'étendre ce jus publicum europaeum  jusqu'aux limites d'un espace eurasien, voire africain, permettant une large autosuffisance et une sécurité repoussée à ses points extrêmes. Le nouvel ordre américano occidental serait alors frappé à mort. C'est notre plus ardent souhait.

 

Lucien FAVRE.

 

Notes:

 

 

(1) Pierre BEHAR, Une géopolitique pour l'Europe. Vers une nouvelle Eurasie?,  Ed. Desjonquères, Paris, 1992.

 

(2) Francis FUKUYAMA, La fin de l'Histoire et le dernier homme, Flammarion, Paris, 1992.

 

(3) Cf. Hérodote  n°64.

 

(4) Karl E. HAUSHOFER, De la géopolitique,  Fayard, 1986 (Préface et traduction du Prof. Jean KLEIN).

(5) Heinrich Jordis von LOHAUSEN, Les empires et la puissance,  Ed. du Labyrinthe, Paris, 1985.

 

 

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mardi, 24 juillet 2007

Stratégie de Washington au Vénézuela

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Cris CARLSON :

La nouvelle stratégie impériale de Washington au Venezuela ou Comment on fomente des troubles à Caracas

Un correspondant nous adresse un texte émanant d’un journaliste indépendant vivant au Venezuela, Cris Carlson. Particulièrement sensible aux questions relatives à la mondialisation et à son économie dévorante, ce dernier démonte les mécanismes de la globalisation tels que les Américains les pratiquent pour étendre leur influence et leur contrôle sur le monde.

Cette enquête, émaillée de notes renvoyant à des ouvrages ou à des articles de presse américaine, anglaise et vénézuélienne, est à rapprocher de deux articles parus dans « Le Monde » des 19 et 20 juin 2007 bien que la presse française dans son ensemble soit plutôt muette sur le sujet. Le premier a pour titre « Les projets en Iran de la compagnie gazière autrichienne OMV provoquent la colère de Washington » – le titre, à lui seul, est suffisamment explicite – et, dans le second, « La lutte contre l’insécurité grandissante est devenue la priorité des Vénézuéliens », on retrouve, avec certains faits cités à mots couverts, quelques-unes des observations de Cris Carlson.
Nous sommes en Amérique du Sud ; cet article est donc teinté de tiers-mondisme. On remarquera toutefois que les méthodes appliquées pour instaurer le mondialisme sont universelles.
Polémia

La nouvelle stratégie impériale de Washington au Venezuela
ou Comment on fomente des troubles à Caracas

Utilisée pour la première fois en Serbie en 2000, Washington a maintenant mis au point une nouvelle stratégie impériale pour maintenir sa suprématie dans le monde. Alors que les invasions militaires et l’installation de dictatures ont été traditionnellement les moyens employés pour dominer des populations étrangères et les maintenir à l'écart de la marche des affaires, le gouvernement des Etats-Unis a désormais développé une nouvelle stratégie qui n'est pas aussi compliquée ni brutale mais beaucoup plus douce; tellement douce, en fait, qu’elle est presque invisible.

Elle a été si peu visible en Serbie, en 2000, que personne n’a semblé se rendre compte, au moment du renversement du régime, que le pays s’ouvrait à une privatisation massive et au transfert, aux mains des Etats-Unis et des multinationales, des énormes industries, des sociétés et des ressources naturelles appartenant au secteur public. De la même manière, peu de gens ont remarqué que des pays de l'ancien bloc soviétique avaient été, il y a peu, les victimes de la même stratégie, avec exactement les mêmes résultats.

Les nations qui ne cèdent pas aux exigences de l'empire et à l'expansion du capitalisme mondial font l’objet d’un plan secret et bien conçu destiné à changer la situation politique de leur pays et à ouvrir leurs portes aux investisseurs. Avec le soutien des Etats-Unis des groupes, à l’intérieur de ces pays, renversent le président en donnant l’impression qu’il n’y a aucune intervention venant de l’extérieur. Et aujourd’hui, Washington se tourne vers une nouvelle menace, la plus grande : l'Amérique latine, et plus particulièrement le Venezuela.

La montée du Nouvel Ordre mondial

Au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, les capitalistes américains ont pris conscience que les perspectives nationales d’investissement et de croissance arrivaient à saturation. Les volumes d’affaires atteignaient un niveau où les possibilités d’expansion, à l’intérieur des frontières du pays, étaient pratiquement épuisées et la seule possibilité de croissance était de rechercher à l'étranger de nouvelles perspectives d’avenir. Des groupes d’entreprises en voie d’expansion cherchaient à développer leurs opérations partout dans le monde, en investissant, en privatisant et en achetant tout ce qui leur tombait sous la main. Le capital national se tournait vers l’international et à la fin du siècle le capitalisme était vraiment devenu mondial.

« Grossir ou se faire manger » : telle était leur nouvelle philosophie, et ils décidèrent de grossir en avalant des nations entières. Avec l'aide de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, partout des économies étaient ouvertes à la privatisation. Les systèmes de télécommunication, les réseaux électriques, la distribution de l'eau et les ressources naturelles étaient rachetés par de riches capitalistes partout dans le monde. Le capitalisme du libre-échange régnait alors en maître : un paradis pour le capital international puisque la richesse du monde était de plus en plus concentrée dans leurs mains (1).

Quelques nations, cependant, étaient bien résolues à ne pas se laisser manger. La privatisation était un concept impopulaire parmi des populations qui avaient développé la folle idée que leurs ressources naturelles leur appartenaient, à elles et non pas à des sociétés étrangères. Une résistance s'est installée dans plusieurs régions du monde, et un certain nombre de nations n’ont pas voulu se plier à la logique du capitalisme mondial. Mais Washington était décidé à ouvrir le monde au développement de ses entreprises. Il obligerait ces pays qui n’obtempéraient pas, soit par la force soit  par la ruse.

Le cas de la Yougoslavie : un modèle pour le changement de régime

Ce fut en Yougoslavie, et plus particulièrement en Serbie, que la nouvelle stratégie de Washington allait vraiment prendre forme pour la première fois. De là, cette stratégie allait être exportée à d’autres pays afin d'essayer de renouveler l’énorme succès de l'expérience serbe. Et il n'est pas difficile de voir pourquoi. Après que le renversement du régime Milosevic eut permis une privatisation en masse, tout ce qui restait de l’ancien pays socialiste, y compris certaines des plus grandes réserves européennes de ressources naturelles, tomba bientôt dans les mains des Etats-Unis et des investisseurs internationaux.

La stratégie est une stratégie très élaborée. Dans le dessein d'évincer un régime indésirable, le gouvernement des Etats-Unis se consacre au renforcement et à l’union de l'opposition à son gouvernement. Ceci comprend le financement des partis politiques d'opposition et la création d’organisations non gouvernementales visant à renverser le régime au pouvoir. Par-dessus le marché, les Etats-Unis peuvent engager par contrat des conseillers politiques et des instituts de sondage pour aider leur candidat favori à gagner l’élection. Mais au cas où ils ne peuvent pas gagner l’élection, de faux sondages jettent le doute sur les résutats électoraux officiels et l'opposition crie à la fraude. Des manifestations en masse et la quasi-totalité des médias mettent la pression sur le régime pour qu’il se retire et cède aux exigences de l’opposition (2).

Aussi peu vraisemblable que cela puisse paraître, c’est exactement cette stratégie qui fut utilisée pour renverser Slobodan Milosevic en Serbie, en 2000. Après que la guerre du Kossovo et les bombardements de l’OTAN eurent échoué à provoquer le changement de régime, les Etats-Unis travaillèrent à renforcer les adversaires internes de Milosevic en les unissant derrière un candidat, Vojislav Kostunica, et en alimentant sa campagne électorale avec près de 40 millions de dollars (3). Des ONG et des conseillers électoraux financés par les Etats-Unis réussirent à lancer une campagne de propagande autour des élections et travaillèrent en coulisses à l’organisation d’une résistance massive au régime de Milosevic (4). Le jour du vote, des « aides aux électeurs » formés par les Etats-Unis étaient déployés dans tout le pays pour suivre de près les résultats. Les Etats-Unis avaient même fourni à de jeunes activistes des milliers de bombes de peinture et d’autocollants pour couvrir le pays de slogans anti-Milosevic (5).

Selon les résultats officiels du premier tour des élections, aucun candidat n'avait obtenu la majorité des voix, et il devait donc y avoir un deuxième tour. Mais les conseillers américains publièrent leurs propres « sondages à la sortie des bureaux de vote » qui donnaient Kostunica largement en tête et que Milosevic refusa de reconnaître (6). L'opposition cria à la fraude et des groupes soutenus par les Etats-Unis organisèrent des actions de résistance non violente pour faire pression sur le gouvernement. Des groupes armés envahirent l'Assemblée fédérale et le siège de la télévision d'Etat (7). Des manifestations et une rébellion massive obligèrent Milosevic à se retirer. Il ne devait pas y avoir de deuxième tour et le candidat de Washington, Vojislav Kostunica, prit le pouvoir. La stratégie avait fait son œuvre.

Mais pourquoi les Etats-Unis avaient-ils pris la Serbie pour cible et, plus particulièrement, la petite province du Kossovo ? La réponse remonte à l'administration Reagan et à un document secret de 1984 sur « La politique américaine à l’égard de la Yougoslavie ». Une version censurée fut révélée en 1990 qui préconisait « le déploiement d’efforts pour encourager une “révolution pacifique” visant à renverser le gouvernement communiste et les partis » (8).

Pendant des années le gouvernement des Etats-Unis a travaillé au démantèlement et au morcellement de la Yougoslavie socialiste, soutenant tous les mouvements d’indépendance, quels qu’ils fussent, à l’intérieur des différentes provinces, y compris l’intervention militaire de 1999 au Kossovo pour favoriser la séparation de cette province. Ce qui avait été, par le passé, un relatif succès économique sous le célèbre Josip Tito et son économie socialiste fondée sur la propriété collective et l’autogestion des entreprises, ne permettait pas les investissements étrangers ni le capital américain. C'était un péché mortel vis-à-vis du capitalisme mondial moderne. Comme l'écrit Michael Parenti :

« La Yougoslavie était le seul pays d’Europe de l'Est qui ne voulait pas démanteler son économie collectiviste d'état-providence. Elle était la seule à ne pas avoir sollicité son entrée à l'OTAN. Elle poursuivait – et c’est encore le cas pour ce qui en reste – une route indépendante, non conforme au Nouvel Ordre mondial (9). »

Morceler le pays en petits Etats dépendants et détruire leur économie collectiviste étaient l’objectif final, et Milosevic, un admirateur du socialiste Tito, était leur seul obstacle.

Leur travail fut considérablement récompensé. Une fois Milosevic disparu, une des premières mesures prises par le nouveau gouvernement fut d’abroger la loi de 1997 sur la privatisation et de permettre aux investisseurs étrangers d’acquérir 70% du capital d’une entreprise (10). En 2004, la mission de l'ONU au Kossovo annonça la privatisation de 500 entreprises, et ce furent les sociétés américaines qui se révélèrent les grandes gagnantes. Phillip Morris acheta une manufacture de tabac pour 580 millions de dollars, U.S. Steel traita une affaire de 250 millions de dollars avec un producteur d’acier, Coca-Cola s’empara d’un fabriquant d’eau en bouteilles pour 21 millions de dollars, et ainsi de suite (11).

De surcroît, les investisseurs occidentaux avaient désormais accès à ce que le « New York Times » appela le « prix fabuleux de la guerre », les deuxièmes plus grands gisements de charbon d’Europe et les énormes réserves de plomb, de zinc, d’or, d’argent et même de pétrole (12). Et la perle des perles se situait dans la province du Kossovo : l’énorme complexe minier de Trepca, évalué à plus de 5 milliards de dollars, ouvert aujourd’hui au plus offrant (13).

Le succès de la stratégie en Serbie servit merveilleusement de leçon aux décideurs politiques de Washington. Ils allaient la répéter à plusieurs reprises dans l'ensemble de l'Europe de l'Est, dans des régions comme la Géorgie (en 2003), l’Ukraine (en 2004), le Kyrgyzstan (en 2005) et la Biélorussie (sans succès en 2001). Au cours de ce qu’on a appelé les « Révolutions de couleur », chaque mouvement, aidé par les Etats-Unis, allait remplacer un régime par un autre plus favorable aux politiques de libre-échange promues par Washington (14). La stratégie préférée pour obtenir un changement de régime devint cette nouvelle sorte de résistance non violente, et maintenant l'empire dirige son regard sur l'Amérique du Sud, où une nouvelle menace pour le capitalisme mondial est soudainement apparue.

Le problème du Venezuela

Si, pour la Serbie, la mine de Trepca au Kossovo était le gros lot de l'intervention dans ce pays, au Venezuela c'est la compagnie pétrolière d'Etat, PDVSA. Le Venezuela possède certaines des plus grandes réserves de pétrole du monde, peut-être devant l'Arabie Saoudite si l’on tient compte de tous les gisements de brut. Et c'est PDVSA qui domine au Venezuela, avec un total monopole sur les ressources pétrolières de la nation. Avec une capacité de production de 4 milliards de barils par jour et un revenu annuel 65 milliards de dollars, la compagnie possède également un réseau de plus de 15.000 stations-services aux Etats-Unis ainsi que plusieurs raffineries, à la fois aux Etats-Unis et en Europe, la plaçant à la deuxième place des plus grandes compagnies de toute l'Amérique latine (15).

On peut être sûr que les investisseurs en entreprises aimeraient mettre la main sur PDVSA, comme sur d’autres sociétés du secteur public du Venezuela. En fait, c’est ce qu’ils ont fait tout au long des années 1990. En 1998, les sociétés multinationales avaient déjà raflé la compagnie nationale du téléphone, la plus grande compagnie de l'électricité, et l’opération sur PDVSA traversait ce qu’ils appelaient une période d’ « ouverture » au capital international ; une façon plus élégante d’appeler la privatisation (16).

Mais cette même année, Hugo Chavez fut élu président sur une plateforme anti-impérialiste, et la vente aux enchères du Venezuela cessa brusquement. En fait, Hugo Chavez est devenu un vrai problème pour les impérialistes industriels et leurs domestiques à Washington. Non seulement il a mis fin aux privatisations mais il fait actuellement marche arrière en re-nationalisant tout ce qui a, par le passé, été privatisé. La privatisation de la compagnie pétrolière d'Etat est désormais interdite par la loi, et son gouvernement a pris son entier contrôle, en l’utilisant pour financer le développement du pays.

Mais ce qui inquiète encore plus Washington et ses promoteurs économiques c’est de voir que cette tendance se propage à travers l'Amérique latine. Le gouvernement Chavez a tissé des liens étroits avec beaucoup de ses voisins, et beaucoup marchent dans ses pas. Des pays comme la Bolivie et l'Equateur reprennent le contrôle de leurs énormes réserves de gaz et de pétrole, laissant moins d’emprise aux grosses sociétés qui espéraient les posséder un jour.

Et par conséquent, exactement comme ils l’ont fait en Serbie, en Géorgie, en Ukraine et ailleurs, Washington a déployé ses forces au Venezuela avec l'intention de se débarrasser de la menace Chavez. Après avoir tenté différentes actions au cours des années, y compris un coup d’Etat qui a fait long feu, une manipulation électorale et des manifestations de masse, Washington n'a pas été capable de renverser le chef populaire. Mais ils n'ont pas abandonné pour autant. Au contraire, ils continuent précisément à augmenter leur niveau d’implication.

Répétition de l'expérience de l'Europe de l'Est au Venezuela

La nouvelle stratégie impériale comprend ce que l’on appelle « les coins américains ». Ces « coins » sont de petits bureaux, mis en place par Washington  à travers le pays cible, qui servent pratiquement de mini-ambassades. On ne sait pas très bien ce que font exactement ces « coins », mais on y trouve tout un choix de renseignements sur les Etats-Unis, y compris des offres d'études à l'étranger, des cours d’anglais et de la propagande pro-américaine. En plus de tout cela, les mini-ambassades organisent également des événements, des formations et des cours pour jeunes étudiants.

Curieusement, ces « coins » semblent se trouver en très grand nombre dans les pays que Washington cherche à déstabiliser. Les anciens pays yougoslaves ont un total de 22 « coins américains », dont 7 en Serbie. L'Ukraine en a 24, la Biélorussie 11, la Russie 30, l’Irak, même, 11. La concentration de loin la plus élevée des « coins » est en Europe de l'Est, sur laquelle Washington dirige ses tentatives de déstabilisation depuis quelques années (17).

Il existe au moins quatre « coins américains » au Venezuela, implantation la plus importante de tous les pays latino-américains, et les Etats-Unis financent aussi littéralement des centaines d'organismes dans tout le pays pour un montant de plus de 5 millions de dollars par an (18). Ces organisations financées par les Etats-Unis travaillent de concert pour transplanter l'expérience de l’Europe de l’Est au Venezuela. Comme le rapporte Reuters, l’opposition vénézuélienne est déjà en train d’apprendre les tactiques serbes de renversement de régime de la bouche d’un colonel de l’armée américaine en retraite, nommé Robert Helvey :

« Helvey, qui a enseigné à de jeunes activistes au Myanmar [en Birmanie] et à des étudiants serbes qui ont participé à la destitution de l'ancien dirigeant yougoslave Slobodan Milosevic en 2000, donne, cette semaine, des cours de tactique d'opposition non violente à une université à l’est de Caracas », dit l’article. « Ni Helvey ni les organisateurs du séminaire de Caracas n’ont voulu donner de précisions sur les tactiques d'opposition  enseignées. Mais, dans sa mission en Serbie avant la chute de Milosevic, Helvey fournissait des instructions aux étudiants sur les façons d'organiser une grève et sur la manière de miner l'autorité d'un régime dictatorial », rapportait Reuters (19).

Et plus récemment, dans la ville universitaire de Mérida, un professeur d'histoire du Texas, Neil Foley, a animé une manifestation organisée par l'ambassade des Etats-Unis et le Centre vénézuélo-américain (Cevam), qui n’est pas officiellement un « coin américain » mais qui vise le même objectif. Foley, qui s’est exprimé dans divers « coins américains » de Serbie, a donné des conférences en Bolivie et au Venezuela sur « les valeurs américaines » (20).

J’ai assisté à l’une des conférences de Foley et, comme prévu, c’était une véritable campagne de propagande pro-américaine infligée aux étudiants de l’université. Le professeur a donné très exactement le message pour lequel il avait été payé par l’ambassade des Etats-Unis, en vantant les mérites de la société américaine et de « la démocratie américaine ». Selon Foley, les Etats-Unis résolvent tous leurs problèmes par la tolérance envers les autres et un « dialogue » sans exclusive avec leurs opposants. Et par un clair appel du pied en direction de ces étudiants vénézuéliens, Foley laissait entendre que tout gouvernement qui ne respectait pas ces critères « devait être renversé » (21)

Tous ces efforts convergent dans une campagne à l’échelle nationale visant à unir, renforcer et mobiliser l'opposition au gouvernement démocratiquement élu de Chavez. L’objectif final, naturellement, est de déstabiliser le gouvernement, en organisant et en dirigeant des groupes d'opposition qui devront commettre des actes de résistance pacifique et des manifestations de masse. Comme cela a été fait en 2002, quand les groupes vénézuéliens d'opposition ont organisé des manifestations massives qui ont tourné à la violence et finalement conduit au renversement provisoire du gouvernement Chavez, la campagne financée par les Etats-Unis cherche à déstabiliser le gouvernement, de n’importe quelle façon, pouvant aller jusqu’à provoquer la violence dont ils rejetteront plus tard la responsabilité sur le gouvernement (22).

A présent presque tous les éléments de la stratégie utilisée en Serbie et dans d’autres pays de l'Est ont été mis en œuvre au Venezuela au moment où Washington dirige et contrôle la campagne de l'opposition vénézuélienne. Les mêmes « conseillers électoraux » employés pour la Serbie, l’entreprise Penn, Schoen et Berland basée à Washington, ont été également utilisés au Venezuela pour publier de faux sondages effectués à la sortie des bureaux de vote dans le dessein de faire planer le doute sur les élections vénézuéliennes. Cette stratégie de manipulation électorale a été employée à l’occasion du référendum de rappel de 2004 où l’ONG Sumate, financée par les Etats-Unis, et la firme Penn, Schoen et Berland ont diffusé de faux sondages à la sortie des bureaux de vote annonçant que Chavez avait perdu le référendum. Ils refirent la même chose avant les élections de 2006, en prétendant que l’adversaire de Chavez « avait nettement le vent en poupe » (23). Aussi bien en 2004 qu’en 2006, les faux sondages donnaient raison aux allégations de fraude avancées par l'opposition avec l'espoir de provoquer des manifestations de masse contre le gouvernement. La stratégie a en grande partie échoué mais elle a jeté un doute sur la légitimité du gouvernement de Chavez et a affaibli son image sur le plan international.

Les tentatives de déstabilisation prennent forme de manière concrète dans les semaines qui viennent avec les énormes manifestations antigouvernementales de Caracas contre l’action entreprise par le gouvernement à l’encontre de la chaîne de télévision privée RCTV. Des groupes d'opposition se sont mis en place autour de cette décision du gouvernement, proclamant qu’elle piétinait la « liberté d'expression », et ils ont organisé une série de grandes manifestations dans la capitale aboutissant à un défilé massif le 27 mai, jour où expire le permis d'émission de RCTV.

Tous les médias privés ont joué leur rôle en annonçant et en invitant les téléspectateurs à participer au défilé pour manifester contre le gouvernement. Tout le monde s’attend à ce qu’il y ait une énorme participation à la fois de la part des partisans du gouvernement et de la part de ses opposants, et le gouvernement a déjà prévenu qu’il pourrait y avoir au cours de ce défilé des violences dont on tentera de rejeter la responsabilité sur lui pour déstabiliser le régime. Ces derniers jours, les services de renseignements du gouvernement ont découvert, chez les opposants, 5 fusils destinés à des tireurs isolés ainsi que 144 cocktails Molotov, qui semblent bien prouver que la violence est au menu (24) (25).

C'est exactement ce genre de manifestation qui, en 2002, a entraîné des dizaines de morts, des centaines de blessés et le renversement provisoire du gouvernement Chavez. Les chaînes de télévision privées comme RCTV ont manipulé les reportages filmés pour attribuer la responsabilité des morts aux défenseurs de Chavez, et condamné le gouvernement pour ses atteintes aux droits de l'homme. Aussi, cette fois, les fonctionnaires du gouvernement ont-ils demandé aux activistes pro-gouvernmentaux de surveiller les manifestations de l’opposition avec photos et vidéos les 27 et 28 mai afin d'éviter une situation semblable à celle du coup d’Etat de 2002.

S'il n'y avait eu les énormes manifestations pro-gouvernementales après que Chavez eut été renversé en 2002, la stratégie de Washington se serait peut-être déjà débarrassée de ce président populaire. Mais la stratégie a échoué, et par conséquent l'empire poursuit ses tentatives. Comme cela s’est passé en Ukraine, en Serbie, en Géorgie et ailleurs, la stratégie exige de faire descendre dans la rue un grand nombre de personnes pour manifester contre le gouvernement. Indifférents au fait que le gouvernement dispose ou non d’une popularité, qu’il soit élu démocratiquement ou non, les groupes d’opposition tentent d’imposer leur volonté au gouvernement en mettant la pression.

Ce que la plupart des manifestants ne savent probablement pas, c’est qu'ils sont simplement les pions d’une plus grande stratégie qui a pour objectif de déboucher sur un capitalisme mondialiste de « libre-échange » et des privatisations dominées par les grosses entreprises. Tandis que d’énormes sociétés multinationales se partagent le monde, de petites nations comme la Serbie et le Venezuela sont simplement des obstacles malencontreux à la réalisation de leurs objectifs. Dans la ruée mondiale pour voir qui grossira et qui se fera manger, le fait que des pays préféreraient ne pas être mangés n’a tout simplement pas d’importance pour les bureaucrates de Washington.
 
Cris Carlson, journaliste indépendant habitant au Venezuela.
Voir son blog personnel à :
www.gringoinvenezuela.com
13 mai 2007
Venezuelanalysis.com

______________

Notes :

1.    Pour en savoir plus sur la façon dont la Banque mondiale et le FMI forcent la privatisation sur les pays pauvres :
      
http://www.thirdworldtraveler.com/IMF_WB/IMF_WB.html...
2.    Quatre articles de Michael Barker expliquent plus amplement cette stratégie.
      
http://www.zmag.org/content/showarticle.cfm?ItemID=10987...
3.    Michael A. Cohen et Maria Figueroa Küpçü, « Privatizing Foreign Policy », « World Policy Journal », Volume XXII, n° 3, automne 2005 :
       http://worldpolicy.org/journal/articles/wpj05-3/cohen.html
4.    Chulia, Sreeram : « Démocratisation, révolutions de couleur et le rôle des ONG : Catalyseurs ou saboteurs ? »:
      
http://www.globalresearch.ca/index.php?context=viewArticl...
5.    Michael Dobbs, « Les conseillers politiques américains ont aidé l'opposition yougoslave à renverser Milosevic », « The Washington Post », 11/12/00 : http://www.washingtonpost.com/ac2/wp-dyn?pagename=article...
6.    Ian Traynor explique comment l’opposition a utilisé les sondages à la sortie des bureaux de vote pour renverser les régimes en Europe orientale, « The Guardian », 26/11/04 :http://www.guardian.co.uk/ukraine/story/0,15569,1360236,0...
7.    Chris Marsden, « Comment l’Ouest organisa la chute de Milosevic » : http://www.wsws.org/articles/2000/oct2000/yugo-o13_prn.sh...
8.    Finley, Brooke : « Remembering Yugoslavia: Managed News and Weapons of Mass Destruction », extrait du livre « Censored 2005 », Seven Stories Press, 2004.
9.    Michael Parenti, « The Media and Their Atrocities, You Are Being Lied To », p. 53, The Disinformation Company Ltd., 2001.
10.  Neil Clark, « The Spoils of Another War/NATO’s Kosovo Privatizations », Znet, 21/09/04 :
http://www.zmag.org/content/showarticle.cfm?ItemID=6275...
11.  Elise Hugus, « Eight Years After NATO’s “Humanitarian War”/Serbia’s New “Third Way” », « Z Magazine », avril 2007, volume 20 n° 4 : http://zmagsite.zmag.org/Apr2007/hugus0407.html...
12.  Hedges, C., « Kosovo War's Glittering Prize Rests Underground », « New York Times », 08/08/98.
13.  Michel Chossudovsky, « Dismantling Former Yugoslavia, Recolonizing Bosnia-Herzegovina », « Global Research », 19/02/02, « Covert Action Quarterly », printemps, 18/06/96 :
http://www.globalresearch.ca/index.php?context=viewArticl...
14.  Jonathan Mowat, « Coup d’Etat in Disguise: Washingtons’s New World Order “Democratization” Template », « Global Research », 09/02/05 :
http://www.globalresearch.ca/articles/MOW502A.html...
15.  http://es.wikipedia.org/wiki/Petróleos_de_Venezuela...
16.  Steve Ellner, « The Politics of Privatization, NACLA Report on the Americas », 30/04/98 :
http://www.hartford-hwp.com/archives/42/170.html...
17   http://veszprem.americancorner.hu/htmls/american_corners_...
18.  Jim McIlroy & Coral Wynter, « Eva Golinger: Washington's “Three Fronts of Attack” on Venezuela », « Green Left Weekly », 17/11/06 :
http://www.greenleft.org.au/2006/691/35882
19.  Pascal Fletcher, « US Democracy Expert Teaches Venezuelan Opposition », Reuters, 30/04/03 :
http://www.burmalibrary.org/TinKyi/archives/2003-05/msg00...
20.  La page web de l’ambassade américaine de Bolivie témoigne que Neil Foley a prononcé un discours à La Paz, en Bolivie, pour « La semaine culturelle des Etats-Unis », dans la semaine qui a précédé son arrivée au Venezuela.
http://www.megalink.com/USEMBLAPAZ/english/Pressrel2007En...
21.  Notes personnelles prises par moi-même lors du discours de Mr. Foley à l’université des Andes à Merida, Venezuela, le 16 avril 2007.
22.  Pour plus de détails sur le coup d’Etat de 2002 on lira le récent article de Gregory Wilpert : « The 47-Hour Coup That Changed Everything » :
www.venezuelanalysis.com/articles.php?artno=2018...
23.  Voir mon précédent article « Coup d’Etat au Venezuela: Made aux Etats-Unis/Le projet américain de destitution d’Hugo Chavez dans les jours qui ont suivi l’élection », Venezuelanalysis.com, 22/11/06 :
www.venezuelanalysis.com/articles.php?artno=1884...
24.  Le président Chavez annonce que les services de renseignements ont infiltré des groupes d’opposition et qu’ils ont trouvé parmi eux un homme en possession de cinq fusils avec silencieux, « Chávez anuncia incautación armas vinculadas a complot en su contra », Milenio.com, 606/05/07 :
http://www.milenio.com/index.php/2007/05/05/65937/...
25.  La police de Los Teques, près de Caracas, a trouvé 144 cocktails Molotov tout prêts à être utilisés pour « être emportés dans la rue la semaine prochaine dans l’intention de troubler l’ordre public et favoriser une confrontation directe avec les autorités », « Prensa Latina », 09/05/07 :
http://www.prensalatina.com.mx/article.asp?ID=%7BEEAA37C7...)

Correspondance Polémia
Traduction René Schleiter
Polémia -
http://www.polemia.com/contenu.php?cat_id=12&iddoc=14...
22/06/07

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samedi, 21 juillet 2007

J.P.Roux: choc de religions

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Jean-Paul ROUX :
Un choc de religions
Présentation de l'éditeur
Il y a ces grands noms qui surgissent du passé : bataille de Poitiers, croisades, prise de Constantinople, guerre d'Algérie, et tant d'autres épisodes. Il y a ce conflit armé qui a commencé en l'année 632 et qui, de décennie en décennie et jusqu'à nos jours, a été marqué par des événements dont la presse mondiale, si elle avait existé, aurait fait pendant des jours sa première page. Il n'y a pas d'année, pas de mois, pas de semaine peut-être sans que du sang soit versé par des chrétiens ou par des musulmans. Ne vaut-il pas la peine de le rappeler, de montrer à nos contemporains que les événements qui occupent l'actualité, qui les bouleversent, s'inscrivent dans une longue série de 1375 ans d'événements tout aussi spectaculaires ; que de plus petits faits dont on ne parle guère qu'un jour ou deux ont eu, tous les jours, leurs équivalents pendant 1375 ans ? Déclarée et ouverte, génératrice de grandes batailles, de villes enlevées à l'ennemi, de provinces conquises, de pays occupés, de populations exterminées, ou larvée et sournoise, la guerre entre l'islam et la chrétienté, malgré cette amitié que l'on évoque encore et qui fut souvent réelle, malgré ces relations entre Byzance et le califat de Cordoue ou entre Charlemagne et Harun al-Rachid, malgré ces traités d'alliance comme celui de François Ier et de Soliman le Magnifique, malgré de longues périodes de trêves sur tel ou tel front alors qu'on se battait ailleurs, malgré tout ce que chrétiens et musulmans se sont mutuellement apporté, ont échangé, malgré l'admiration qu'ils ont pu avoir les uns pour les autres, cette guerre est une réalité. Elle n'a jamais vraiment pris fin.

Biographie de l'auteur
Ancien directeur de recherches au CNRS, ancien professeur à l'École du Louvre - où il enseigna l'art islamique ,
maîtrisant de nombreuses langues orientales, Jean-Paul Roux a consacré de nombreux livres à l'Orient et à l'Asie. Citons son Histoire des Turcs (Fayard, 1984 et 2000), son Histoire de l'Iran et des Iraniens (Fayard, 2006). Il s'est toujours intéressé, en érudit mais aussi en chrétien loyal et respectueux de l'autre, à l'histoire des religions (Jésus, Fayard, 1989 ; Montagnes sacrées, montagnes mythiques, Fayard, 1999).

Détails sur le produit
  • Broché: 459 pages
  • Editeur : Fayard (4 avril 2007)
  • Collection : LITT.GENE.
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2213632588
  • ISBN-13: 978-2213632582

mardi, 17 juillet 2007

Wolfowitz: Return to Sender?

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Wolfowitz: Return to Sender?

by Bill Berkowitz

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lundi, 16 juillet 2007

Sur l'état de l'armée américaine

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Sur l’état de l’armée américaine

La situation militaire internationale ne s’est guère modifiée au cours de ces quelques dernières années ; cependant, certains chiffres nous étonnent, qui sont révélés par les rapports annuels de centres de recherches aussi célèbres et performants que l’ « Institute for Strategic Studies » britannique (IISS) ou le « Stockholm International Peace Research Institute » (SIPRI) suédois. Ainsi, nous apprenons que les Etats-Unis disposent certes de forces armées dont les effectifs avoisinent le demi million d’hommes, que seule la Chine aligne des effectifs plus impressionnants, avec 2,3 millions de combattants potentiels. Mais les chiffres absolus ont leurs limites. Lorsque l’on porte en compte bon nombre d’autres facteurs, la supériorité des forces armées américaines s’avère bel et bien une réalité incontournable. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ? A eux seuls, les Etats-Unis font près de la moitié (45,6% exactement) de tous les budgets militaires du globe. La seconde puissance dans le classement est la Grande-Bretagne, suivie de près par la France et la Chine. On remarquera tout de suite que ces numéros 2, 3 et 4 dépensent chaque année un budget qui demeure plus ou moins dans le cadre raisonnable de leur produit national brut. Ce n’est évidemment pas le cas des Etats-Unis qui, en termes de chiffres, dépassent de 60% la moyenne mondiale des budgets militaires. Voilà pour la théorie.

En pratique et sur le terrain…

Que fait-on en pratique avec des forces armées aussi impressionnantes ? Là, en examinant la réalité, on tombe sur un tout autre son de cloche. La situation se révèle plus complexe, et aussi plus nuancée. Bon nombre de fondamentaux y jouent un rôle, tant en politique intérieure qu’en politique extérieure ; ces fondamentaux sont jouets aux mains d’intérêts économiques et donc politiques, mais l’essentiel, toutefois, c’est que les conflits menés en Irak et en Afghanistan exercent une pression énorme sur l’armée américaine. Les Etats-Unis, constate l’un de nos analystes, « consacrent désormais, en termes absolus, le plus gros montant jamais engagé en matière de défense depuis la seconde guerre mondiale ». Et il poursuit son raisonnement : « Pourtant, malgré cette injection considérable de fonds, il semble que l’armée américaine soit épuisée par l’irruption, sur le terrain, de toutes sortes de révoltés et d’insurgés, qui ne sont armés que d’AK-47, de grenades et de bombes artisanales ». Assertion qui ressemble certes à une boutade. Mais il y a là un fond de vérité, que l’on ne saurait nier. Il n’y pas un jour qui passe, en effet, sans que l’on entende des rapports inquiétants sur la situation en Irak. Il y a quelques jours, les Afghans reprochaient aux Américains leur manière d’intervenir et de régler des problèmes de terrain, sans se soucier des dégâts collatéraux. Les critiques de leurs alliés afghans étaient claires et nettes : « vous n’y allez pas avec le dos de la cuiller et c’est intolérable ». Un grand nombre de victimes civiles venaient en effet de périr lors d’interventions de l’US Army. Force est dès lors de constater que les difficultés d’aujourd’hui sont le résultat de choix pris hier et avant-hier.

L’ancien ministre américain de la défense, Donald Rumsfeld, était un homme de fortes convictions. Il voulait que l’on investisse dans des armes de haute technologie, dans des systèmes de reconnaissance et dans le traitement de données. La vitesse des interventions, la précision des frappes et l’efficacité générale permettraient, toutes ensemble, d’éviter d’aligner une armée de masse. Mieux : après les attentats du 11 septembre, il y près de six ans, le « leadership » américain devait assurer sa suprématie en visant le consensus. Qui fut obtenu. On parvint ainsi, avec succès, à chasser les talibans du pouvoir, puis, sans un consensus équivalent, à occuper rapidement l’Irak tout entier. Mais dès le lendemain de ces succès apparemment foudroyants, les problèmes ont commencé à surgir et à se multiplier. Les unités militaires, qui se montrèrent si rapidement victorieuses dans les conflits de haute intensité grâce à leurs technologies de haut vol, s’avérèrent bien incapables d’occuper correctement le terrain conquis. Aujourd’hui, cela saute aux yeux : l’armée américaine est aujourd’hui victime de son propre passé. Après la guerre du Vietnam, elle s’est concentré sur l’éventualité d’un seul « grand conflit », sans vouloir s’imaginer qu’une conflictualité future pouvait prendre le visage d’une multitude de petits conflits, engendrant autant de chaos intenses mais localisés. L’erreur d’appréciation a donc été la suivante : les responsables de l’US Army ont cru que les unités militaires capables de résoudre le « big bang » du « grand conflit » envisagé, alors être ipso facto capables d’intervenir avec autant d’efficacité dans les conflits de basse intensité. Pendant de longues années, les troupes américaines se sont entraînées pour réussir de beaux sprints. Hélas pour elles, elles sont aujourd’hui engagées, malgré elles, dans un long et épuisant marathon.

Une loi d’airain…

En dépit de l’entraînement des hommes et des techniques utilisées, il existe une loi d’airain : celle des chiffres. La façon moderne de mener la guerre se concrétise sur base de rapports (de proportions) qui, au préalable, doivent être bien pensés et conçus. Ainsi, sur 50 brigades de combat de l’US Army, en moyenne dix-sept peuvent être rendues immédiatement opérationnelles (ce qui donne plus ou moins un rapport de 2 :1). Mais depuis l’envoi de cinq brigades supplémentaires en Irak, le nombre de brigades engagées à l’extérieur du pays est de 25. Certaines de ces brigades ne se voient octroyer qu’un repos d’un an, après un « tour of duty » de quinze mois (rapport : 0,8 :1). En comparaison, les Britanniques tiennent à respecter un rapport de 4 :1, soit au moins deux années de repos après un engagement de six mois. Les responsables de l’armée britannique estiment que c’est là un minimum absolu. Les Américains subissent donc les effets de leur forcing : le nombre de vétérans qui souffrent de problèmes psychiatriques augmente dans des proportions inquiétantes.

Quelle est dès lors la morale à tirer de cette histoire ? Les Etats-Unis ont besoin d’une armée aux effectifs beaucoup plus nombreux qu’actuellement. D’où question : comment réaliser cela en pratique ? Les forces terrestres, composante le plus importante de l’ensemble des forces armées américaines, alignent aujourd’hui 507.000 hommes. En 2001, il y en avait 482.000 et en 1980, 780.000. Augmenter les effectifs en des temps de haute conjoncture n’est pas une sinécure ! Surtout que la réintroduction de la conscription n’est pas considérée comme une option envisageable. Les unités qui restent aux Etats-Unis manquent de matériels et de moyens, doivent sans cesse se rationner : signe de déséquilibre patent. « Toutes ces lacunes », remarque un expert, « rappellent les canaris qui mourraient dans les mines de charbon : ils annonçaient l’imminence d’une catastrophe ».

M.

(article paru dans «  ‘t Pallieterke », 4 juillet 2007 ; trad. franç. : R. Steuckers).

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mardi, 10 juillet 2007

Les Etats-Unis et le pétrole d'Afrique occidentale

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Les Etats-Unis et le pétrole d'Afrique occidentale

par Stefano Liberti

Le Golfe de Guinée est riche en pétrole et plus stable que le Moyen-Orient; c’est une région de haut intérêt stratégique pour les Etats-Unis. Ils pensent y installer une base militaire.

Au moment même où ils s’implantent dans le Golfe Persique, les Etats-Unis mènent une autre bataille stratégique en silence, dans un autre golfe, à quelques milliers de kilomètres de là, plus exactement dans le Golfe de Guinée, leur futur point d’appui en Afrique occidentale. Riche en pétrole, plus facile à contrôler du point de vue politique, cette région suscite des convoitises croissantes de la part de l’administration américaine.

Tout a commencé au lendemain du 11 septembre 2001, quand de nombreuses voix demandaient une diminution de la dépendance énergétique vis-à-vis de l’Arabie Saoudite, pays dont provenaient 13 des 19 terroristes suicidaires qui ont commis les attentats de New York et Washington. Une conférence, organisée le 25 janvier 2002 par l’”Institute for Advanced Strategic and Political Studies” (IASPS) ouvre la danse; l’IASPS est un “think tank”, dont le siège se trouve à Jérusalem, dont l’objectif est de bétonner l’alliance entre les “faucons” du Likoud et les extrémistes néo-conservateurs qui ont désormais la cote au Pentagone. Le colloque s’est tenu dans le siège de Washington de l’IASPS et y ont participé de nombreux fonctionnaires de l’administration, des membres du Congrès, des responsables de sociétés pétrolières américaines et les ambassadeurs de presque tous les pays producteurs de brut sur le continent noir. L’allocution d’ouverture fut prononcée par Walter Kansteiner, à l’époque sous-secrétaire d’Etat en charge des questions africaines. Il a déclaré, sur un ton solennel, que le pétrole sub-saharien constituait désormais “un intérêt stratégique pour les Etats-Unis”.

A la fin des travaux, les congressistes ont décidé de former un “Groupe d’initiative sur la politique pétrolière africaine”, l’AOPIG, soit “African Oil Policy Initiative Group”. Il s’agit d’un véritable lobby qui s’est formé là, sans craindre les conflits d’intérêts, et où se trouvent réunis des responsables de l’administration Bush, des représentants du Congrès, des sociétés pétrolières, des sociétés d’investissement et des consultants internationaux. Ce lobby est dirigé par Paul Michael Whibey, membre en vue de l’IASPS, convaincu de la nécessité d’abandonner le pétrole du Moyen Orient parce qu’il sert à financer les ennemis d’Israël. L’AOPIG s’est ensuite présenté au grand public par le truchement d’un “livre blanc” intitulé “African Oil, A Priority for US National Security and African development” (“Le pétrole africain : une priorité pour la sécurité nationale des Etats-Unis et pour le développement de l’Afrique”). Ce texte pose comme objectif de faire passer l’idée, auprès des dirigeants américains, que l’Afrique occidentale, jusqu’ici négligée, doit devenir une zone de première importance dans la hiérarchie des intérêts américains. Pour atteindre cet objectif, l’IASPS n’est nullement isolé; à peine quatre jours après le colloque de Washington, l’influent “Council on Foreign Relations” organise un séminaire dont l’inspiration est similaire : “La riposte de l’Amérique au terrorisme : gérer les profits du pétrole africain dans un climat global mouvant”.

Le “climat global mouvant” impose, disaient-ils, un redressement et une rupture que l’administration américaine, dominée par les pétroliers, imprimera lentement mais sûrement à son propre agenda. En rendant publiques, au mois de mai suivant, les lignes directrices de la politique énergétique nationale, le Vice-Président Dick Cheney déclarait : ”Le pétrole africain, vu sa qualité élevée et son taux réduit de soufre, représente un marché en plein développement pour les raffineries de la côte est”.

La Guinée équatoriale, colonie américaine

Depuis lors, la présence américaine dans la région s’est soudainement renforcée. En juillet 2002, une délégation l’AOPIG a visité le Nigéria, où elle s’est entretenue avec le Président Olusegun Obasanjo pour chercher à le convaincre de la nécessité de sortir de l’OPEP et de se soustraire à ses mécanismes de contrôle de la production et des prix. Au cours du mois de septembre suivant, Colin Powell s’est rendu au Gabon : c’était la première visite d’un secrétaire d’Etat américain dans ce pays. Pendant l’été, Bush débarque au Nigéria, après avoir rencontré à plusieurs reprises à Washington les ambassadeurs des pays d’Afrique occidentale. A la mi-octobre, les Etats-Unis réouvrent leur ambassage à Malabo, capitale des la Guinée Equatoriale, alors qu’elle avait été fermée pendant huit ans. Depuis lors, la Guinée Equatoriale est devenue une véritable colonie américaine.

Tenant compte d’une production quotidienne de 500.000 barils de brut (un par habitant), Bush n’a eu aucun scrupule à renouer des contacts avec le dictateur guinéen Teodoro Obiang, que la CIA décrivait pourtant comme “un dirigeant sans foi ni loi qui a saccagé l’économie nationale”. Aujourd’hui, les deux tiers des concessions pétrolières de la Guinée sont aux mains des sociétés américaines et les gisements sont défendus par des garde-côte formés par une société privée, la Military Professional Ressources Inc, dirigée par d’anciens officiers du Pentagone.

Plus au Nord, les activités américaines ne sont pas de moindre envergure: en l’espace d’une année, en un temps record, s’est achevée la construction d’un oléoduc d’un peu plus de 1000 km, partant de Doba, dans le Sud du Tchad, pour aboutir à la ville côtière de Kribi au Cameroun; il devrait acheminer 225.000 barils de brut par jour. Cet oléoduc a coûté 3,5 milliards de dollars et a été inauguré le 10 octobre 2003. Son financement provient d’un consortium américain et malaisien, comprenant les trois principales multinationales du pétrole : ExxonMobil, Chevron Texaco et Petronas. La construction a également bénéficié de fonds provenant de la Banque mondiale.

Un trésor off-shore

Cette frénésie est pleinement justifiée : les données sur les potentialités énergétiques de l’Afrique occidentale sont pourtant peu impressionnantes. Les réserves certaines sont aujourd’hui de quelque 24 milliards de barils. Mais le rythme auquel on découvre de nouveaux gisements fait dire aux experts qu’en réalité les pays riverains du Golfe de Guinée possèderaient plus de 100 milliards de barils. La production, qui atteint aujourd’hui 4 millions de barils par jour (quantité équivalente à la production quotidienne du Mexique, du Venezuela et de l’Iran) devrait augmenter considérablement et atteindre, selon des prévisions réalistes, le niveau de 10 millions de barils par jour d’ici à 2010.

Le Golfe de Guinée devrait bientôt fournir 15% des importations américaines de brut, soit la quantité qu’ils importent aujourd’hui d’Arabie Saoudite. Ensuite, selon les projections effectuées par divers analystes, ce chiffre devrait atteindre les 20% en deux ou trois années à peine.

Les avantages du brut du Golfe de Guinée sont importantes et diverses : les coûts de transport sont beaucoup moindres, vu la proximité relative des côtes américaines. L’instabilité politique y est de moindre ampleur. L’OPEP y exerce une influence mineure (parmi tous les producteurs de la région, seul le Nigéria en fait partie et décidera un jour d’en sortir, comme l’a fait le Gabon). Les pays de la région sont aussi plus réceptifs à l’égard des investissements étrangers. Il n’y a pas là-bas de concurrents politiques et économiques suffisamment aguerris, comme la Russie. La France, avec TotalElfFina, même si elle peut bénéficier des liens politiques et économiques tissés à l’époque coloniale, n’est pas en mesure de faire face aux ressources financières dont disposent les géants américains Chevron et ExxonMobil. Enfin, dernier avantage, incontournable, des nouveaux gisements du Golfe de Guinée : leur position. Ces réserves, en effet, sont, pour l’essentiel “off-shore”, donc éloignée de toutes turbulences politiques et sociales éventuelles.

Pour sécuriser et contrôler la région, les Etats-Unis songent à installer un commandement militaire permanent dans le petit archipel de Sao Tomé & Principe, lui aussi très riche en pétrole et, de surcroît, position stratégique en plein centre du Golfe. C’est exactement ce que Wihbey entendait réaliser dans un rapport publié à la fin de l’année 2001. Les Etats-Unis s’apprêtent à concrétiser le contenu de ce rapport, car, récemment, des experts militaires ont rendu visite à Sao Tomé. En somme, l’avenir de l’Afrique occidentale est bel et bien inscrit dans les directives dictées par l’AOPIG, dont l’idéologie repose sur deux piliers fondamentaux : exploitation et militarisation.

(article tiré du site : www.disinformazione.it )

 

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lundi, 09 juillet 2007

Théorciens de l'impérialisme américain

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Robert Kagan, Charles Krauthammer et Victor D. Hanson, théoriciens actuels de l’impérialisme américain

Les Etats-Unis, missionnaires de Dieu sur la Terre

par Francesco Dragosei

Les nouveaux prophètes d’un néo-darwinisme entre les Etats sont des historiens, des essayistes et des journalistes. Dans leurs écrits, ils annoncent l’avènement triomphal, en Amérique et dans le monde, de la loi du plus fort. Dans les travaux de Robert Kagan et de Charles Krauthammer, on découvre qu’une euphorie américano-centrée s’affirme tout de go, spéculant sur les retombées du 11 septembre 2001. Le néo-darwinisme en politique internationale est le frère cadet du néo-darwinisme économico-social, déjà bien présent sur la scène internationale. Ses prophètes? Les intellectuels qui, par leurs écrits, donnent du poids et une dignité théorique à la “brutalité de la praxis”, suggérée par le néo-conservatisme américain actuel. Ce sont des intellectuels de “droite” quand ils le veulent, ou qui ne se posent pas d’emblée comme tels s’ils veulent être plus insidieux. Ils écrivent généralement dans les colonnes du Washington Post. Ces historiens, essayistes et journalistes annoncent l’avènement triomphal, en Amérique et dans le monde, de la loi du plus fort, de celui qui s’adapte au mieux aux lois de la survie. Cette idéologie constitue un virage à 180 degrés par rapport à leurs homologues d’il y a une quinzaine d’années qui débattaient d’un possible déclin de l’Amérique.

L’une des coryphées du néo-darwinisme est sans conteste possible Robert Kagan, dont l’ouvrage emblématique le plus récent en langue italienne est Paradiso e potere, America e Europa nel nuovo ordine mondiale (ce livre a été édité chez Mondadori en Italie). Cet essai, désormais célèbre, est en réalité un opuscule assez banal et insignifiant, écrit rapidement, sur base d’un article, préalablement paru dans la revue «Policy Review», qui a été beaucoup lu et commenté. Le bagage documentaire de cet opuscule est ridicule, est une compilation de références bibliographiques quasi nulle, de notes prises sur d’autres notes, de comptes-rendus de colloque ou de conférence. Malgré ces lacunes, cet ouvrage fort mince est devenu le plus bel exemple, et même le manifeste, de cette euphorie américano-centrée rampante et néo-darwinienne, qui, depuis l’effrittement de l’épouvantail soviétique, a pris graduellement mais inexorablement la tête de beaucoup d’Américains.

Une vieille Europe émasculée, jalouse de la puissante Amérique

La “théorie” de Kagan est simple, simpliste même. L’Europe est vieille et émasculée, à cause des bains de sang des deux guerres mondiales, mais elle se montre envieuse, jalouse, de la puissante Amérique; son seul désir est dorénavant d’en castrer la puissance militaire, en lui imposant en sous main sa culture morbide et pacifiste de la diplomatie et des négociations : cette culture, l’Europa l’a héritée de l’idéal kantien de la paix perpétuelle —mais notre auteur ne cesse de répéter cette affirmation sans jamais citer directement un seul ouvrage de Kant ou de Hobbes), tandis que Hobbes constituerait la source de la culture belliqueuse et virile de l’Amérique. Par conséquent, l’unique voie à suivre pour l’Amérique est de balancer aux orties cette politique sous-jacente de pacifisme que cultive l’Europe, un pacifisme qu’ils jugent délétère; en conclusion, les Etats-Unis souhaitent continuer à asséner les coups de massue, qu’ils distribuent à qui mieux mieux, parce qu’ils sont les plus forts, prétend Kagan sans jamais imaginer, ne fût-ce qu’un seul instant, que le refus européen de ce qu’il appelle le “monde hobbesien” pourrait être un choix de civilisation, une hypothèse sur l’évolution des rapports futurs entre les nations.

Il se sent toutefois obligé de rassurer ses lecteurs et de leur dire que les raisons de l’Amérique ne sont pas aveugles et égoïstes mais visent également le bien de l’Europe et du reste du monde, dans la mesure où le monde entier aussi veut “faire avancer les principes de la civilisation et de l’ordre mondial libéral”. Selon Kagan et ses amis, donc, l’Amérique s’auto-investit d’une fonction, celle d’être l’unique interprète et l’unique garante du progrès, de la justice planétaire et de la paix. L’Amérique rêve donc d’un Etat (mondial) parfait, de devenir la puissance patronesse du monde, et sa tutrice, comme l’avait annoncé en son temps un Reinhold Niebuhr, nous rappelle Kagan (“la responsabilité de l’Amérique, c’est de résoudre les problèmes du monde”). Ou encore Benjamin Franklin : “La cause de l’Amérique est la cause de l’humanité tout entière”. Effectuons un saut en arrière et revenons à la Russie des années 20 du 20ième siècle et rappelons-nous la figure du grand “Bienfaiteur”, le chef absolu du vaste Etat planétaire, sinistre et mielleux, qui, dans le roman de Zamiatine, Nous, explique, sur un ton paternaliste, que le devoir de son Etat parfait, est de “faire courber l’échine des êtres ignorants qui peuplent les autres planètes pour que s’exerce le jeu bénéfique de la raison”. Et “s’ils ne comprennent pas que nous leur apportons un bonheur mathématiquement exact”, alors “nous les obligerons à être heureux”.

Ne pas observer les règles du droit international, pratiquer la guerre préventive

Dans un long article paru dans le numéro 70 de «The National Interest», le journaliste du Washington Post, Prix Pulitzer, Charles Krauthammer, après avoir rappellé que, déjà dans la lointaine année 1990, à rebours des prévisions sur le déclin des Etats-Unis, il avait préconisé, pour l’avenir, une unipolarité américaine, et relevé, avec orgeuil, que “le budget militaire américain dépassait ceux, additionnés, des vingt pays suivants”, et qu’il n’y avait donc aucun signe réellement tangible de déclin; en plus de cette supériorité militaire, l’Amérique, ajoutait-il, détenait la primauté économique, technologique, linguistique et culturelle. Son triomphalisme, fruit d’une faculté typiquement américaine de transformer toute défaite en un contre-récit optimiste (c’est là une faculté que nous appelerons l’ “élaboration euphorique du deuil”), repose sur une tragédie, en apparence peu “triomphale”, celle du 11 septembre; il transforme, avec la magie d’un alchimiste, le coup le plus grave jamais porté sur le sol américain, en un mythe sur l’invulnérabilité de l’Amérique. Il observe avec cynisme : “S’il n’y avait pas eu le 11 septembre, le géant serait resté endormi [...] Grâce au fait qu’il ait pu démontrer ses capacités de récupérer [...] Le sens de l’invulnérabilité a acquis, au sein de la population, une dimension nouvelle”. Toujours à la suite des événements fatidiques du 11 septembre, Krauthammer se donne un alibi pour légitimer moralement la nouvelle politique américaine, celle de ne pas observer les règles du droit international et de pratiquer la guerre préventive : “Le 11 septembre a servi de catalyseur et a fait émerger la conscience [...] que la première mission des Etats-Unis est de se prémunir contre de telles armes”.

Après avoir pointé du doigt la “sinistre” politique des Lilliputiens européens, qui consiste à immobiliser le Gulliver américain “à l’aide d’une myriade de ficelles qui réduisent sa puissance”, Krauthammer conclut : au fond, dit-il, les Etats-Unis, en poursuivant leurs propres intérêts, poursuivent aussi ceux des Européens ingrats, surtout quand il s’agit d’apporter la paix au monde.

L’histoire militaire occidentale selon Hanson

Dans un livre substantiel et bien documenté, intitulé Carnage and Culture, le célèbre historien militaire Victor Davis Hanson effectue un travail d’anamnèse historique en profondeur et part, dans sa démonstration, de la Bataille de Salamine. Son livre est sérieux, très scientifique, mais, face au petit opuscule de Kagan et aux essais de Krauthammer, il constitue une arme bien plus insidieuse et effilée dans le dispositif néo-darwiniste. Hanson analyse toutes les batailles qui ont fait date, comme Salamine (480 av.J.C.), Gaugamèle (331 av.J.C.), Canne (216 av. J.C.), Poitiers (732), Tenochtitlàn (1520), Midway (1942), Tet (1968); Hanson donne corps, ainsi, à la théorie d’un Occident qui a la primauté méconnue, depuis fort longtemps, d’être le plus “létal” quand il fait la guerre (“Brutal Western lethality”, pour reprendre ses paroles), une brutalité qui dérive directement du primat que possède, de fait, sa culture. Que ce soit les Grecs ou les Romains, les Macédoniens d’Alexandre ou les Espagnols de Cortès, ou encore les Américains dans le Pacifique, tous ont obtenu des victoires écrasantes sur des “non occidentaux” (Non Westerners), soit, en l’occurrence des Noirs, des Jaunes ou tous autres peuples qui ne sont pas parfaitement blancs. Ces victoires ne sont pas nécessairement dues à la supériorité de leur organisation ou de leur technologie (par exemple la poudre à canon). Ces victoires, ils les doivent à une “plus-value” civile, faite de discipline, de démocratie, de liberté, d’esprit d’initiative et d’individualisme.

Quant aux inévitables pages sombres de l’histoire occidentale, Hanson —en utilisant cette capacité d’”euphoriser” le travail de deuil que nous avions déjà observé chez Krauthammer— parvient à transformer ces défaites occidentales (de la bataille de Cannae à Wounded Knee et à l’offensive du Tet) en victoires de fond, car, explique-t-il, les non occidentaux n’ont obtenu la victoire que dans la mesure où ils se sont approprié les armes, les technologies et les idées de l’Occident. Les jeux sont faits. En allongeant et en étirant quelque peu sa théorie sur les triomphes de l’Occident, Hanson parvient à interpréter la défaite américaine au Vietnam de façon telle qu’il en fait une victoire. La bataille de Khesanh, par exemple, il explique avec un orgeuil mal dissimulé, est certes une défaite américaine, mais aussi une victoire à la Pyrrhus des Vietnamiens, en ce sens que la supériorité matérielle des Américains a fait que le nombre de leurs morts est resté très réduit : un mort américain pour cinquante morts vietnamiens. Ces proportions équivalent plus ou moins aux pertes des espagnols de Cortès devant les Aztèques. Désolé, Hanson confesse toutefois que la victoire américaine s’est muée en défaite, par masochisme, à cause de l’hystérie et des distorsions de la presse, de la télévision et de la gauche américaine.

En raisonnant de la sorte, Hanson rappelle la guerre du Vietnam et la sanctifie (toujours en utilisant, malgré tout, des termes dépréciatifs, comme “horrendous slaughter”, d’”horribles massacres”, “blood bath”, des “bains de sang”, etc.), mais, simultanément, et de manière tacite, il ramène le primat guerrier et civil de l’Occident à l’actuelle supériorité militaire (et aussi civile) des Etats-Unis.

Sortir l’Amérique du syndrôme vietnamien

En outre, son livre s’inscrit, mine de rien, dans ce vaste ensemble de narrations réécrites qui visent à sortir l’Amérique de la dépression qui a suivi l’aventure vietnamienne et qui, malgré de fréquentes déclarations contraires, continue à souffir d’une intolérance génétique vis-à-vis de toutes formes de défaite, d’échec, de deuil. Ces “réécritures” relèvent, notamment, de ce célèbre récit national et populaire qui a pour personnage Rambo, porteur du mythe de la trahison du soldat américain héroïque, poignardé dans le dos par l’odieuse bureaucratie politique, militaire et médiatique.

Terminons en évoquant une voix qui n’appartient en aucune façon à cet aréopage de néo-darwinistes et qui s’exprime dans une publication très sérieuse, qui, elle, n’hésite pas à critiquer l’Amérique et sa politique; cette voix, pourtant, contribue au triomphalisme ambiant de manière subtile. Il s’agit d’un article paru en mai 2003 dans les colonnes de l’«Atlantic Monthly», dû à la plume de David Brooks, l’auteur, entre nombreux autres ouvrages, d’une “cover story” de grande ampleur, très complète (12 pages denses) portant sur les différences entre l’Amérique rouge et l’Amérique bleue. Dans son article, Brooks se réfère au livre Democratic Vistas de Walt Whitman (écrit en 1871), et rappelle que le grand poète —à rebours des anti-américains obtus d’aujourd’hui— avait bien compris que l’Amérique était (et reste) un pays fort diversifié et varié, composé d’hommes bons et moins bons, et que sa force consistait (et consiste) à ne pas dévier du chemin qu’elle avait décidé d’emprunter, c’est-à-dire celui de sa “mission historique”, qui est de se poser comme le guide du monde, même dans les moments où le leadership est médiocre (Woods fait directement allusion à Bush). A la lecture de cet article de Woods, on se laisse, à son insu, prendre aux ardeurs nationalistes et messianiques du poète de New York. Woods le rappelle avec nostalgie son blâme adressé aux Américains : “Whitman avait un sens subtil du caractère unique de la mission historique de l’Amérique (“America's unique historical mission”), que Dieu lui-même ou le destin ont assigné à ce pays, pour qu’il diffuse la démocratie dans le monde et qu’il promeuve partout la liberté”.

En avançant de tels arguments, Brooks rejette l’hypothèse d’une Amérique différente, alors qu’il venait lui-même de l’énoncer, et donne, sans doute sans le vouloir vraiment, la main aux Kagan, Krauthammer et Hanson. Il apporte, sûrement malgré lui, une contribution involontaire à la rupture générale qu’annoncent ce “bushisme” militant et l’Amérique, rupture du pacte qui unit théoriquement les peuples au sein des “Nations Unies” et postule la parité démocratique entre les nations. Brooks, avec sa vision de l’Amérique, aussi sympathique qu’elle puisse sembler, rejoint ainsi ceux qui affirment, haut et clair, que l’Amérique a une mission planétaire, légitimée par sa prépondérance militaire, renforcée par sa conscience messianique retrouvée. 

Francesco DRAGOSEI,

Mardi 19 août 2003 – article tiré du site materialiresistenti

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jeudi, 05 juillet 2007

Géopolitique des migrations

Tandonnet Maxime

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Géopolitique des migrations. La crise des frontières

Mondes réels

978-2-7298-3260-5,  TANDON

14,5 x 21 cm, 144 pages, 16,00 €

Parution : 2007        statut : Disponible

 

Conséquence directe de la globalisation, l’augmentation fulgurante et multiforme des flux migratoires dans le monde se traduit par l’essor des sociétés multiculturelles. Dans le contexte idéologique issu du 11 septembre 2001, dominé par l’idée de « choc des civilisations », comment gérer au mieux cette diversité croissante, à laquelle n’échappe aucun pays, tout en évitant le risque de la tribalisation et du repli identitaire ?
Alors que l’ONU recommande la libéralisation croissante des mouvements de populations et un glissement résolu vers le communautarisme, il est bien au contraire essentiel et urgent de réaffirmer d’une part la pleine souveraineté des États sur les flux migratoires, notamment leur volume, d’autre part la légitimité du contrôle des frontières face à l’immigration illégale et le devoir d’intégration, voire d’assimilation, des populations migrantes.

Maxime Tandonnet, haut fonctionnaire, est un spécialiste reconnu des questions d’immigration et d’intégration. Il a publié de nombreux ouvrages sur ces sujets, dont Immigration, sortir du chaos aux éditions Flammarion.

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mercredi, 04 juillet 2007

D. Kalajic: valeur géopolitique de la Yougoslavie

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La valeur géopolitique de la Yougoslavie

Quel sens doit-on accorder à la déclaration publique et officielle (répétée depuis par Bill Clinton) du Président américain George Bush, justifiant la mobilisation totale des forces américaines sur l’échiquier balkanique : « La Serbie est le péril majeur pour la sécurité et les intérêts économiques et politiques des Etats-Unis » !

Quelle fin ultime poursuit-on en voulant diviser encore davantage le territoire de l’actuelle Yougoslavie, partition annoncée lors d’un entretien accordé par le Secrétaire d’Etat James Baker au New York Times le 18 avril 1992 ? Le Secrétaire d’Etat de cette époque considérait que la Serbie et le Monténégro devaient être réduits à un territoire plus petit que celui de la Serbie avant les guerres balkaniques (de 1912 et 1913). Pourquoi ? La géopolitique nous donne la réponse, car elle démontre l’énorme valeur du territoire yougoslave dans la stratégie anti-européenne des Etats-Unis et de leur petit cheval de Troie dans l’UE, la Grande-Bretagne. L’espace géopolitique en question recèle les voies de communication uniques, actuelles et virtuelles, terrestres et fluviales, qui relient directement l’Europe occidentale, centrale et septentrionale au Sud-est européen et, partant, au Moyen-Orient et à la Mer Caspienne. Tout contrôle hégémonique sur ce nœud de communications terrestres et fluviales, y compris les oléoducs qui restent à construire, donne à toute force déterminée à exercer pareille hégémonie, le pouvoir de conditionner ou de séparer toutes les parties du continent qui en sont riveraines et, bien sûr, avant toute chose, l’Europe. Déjà, au siècle passé, la géopolitique allemande avait mis en exergue la valeur stratégique de cette zone du Sud-Est européen. Les Allemands avaient projeté la construction d’un réseau ferroviaire devant relier Hambourg à Bagdad, la Mer du Nord au Golfe Persique, ce qui aurait constitué un axe de coprospérité pour tous les peuples vivant autour de cet axe. Bien sûr, ce projet visait essentiellement à contester l’hégémonie britannique au Moyen-Orient, reposant sur le monopole anglais sur le pétrole et les voies maritimes. Pour cette raison, la politique coloniale britannique a empêché son éclosion, y compris par des actions militaires.

Le commandant en chef de l’armée austro-hongroise, le Général Beck, dans un rapport rédigé en décembre 1895, souligne clairement l’importance géopolitique du Kosovo et de la Metohija, décrivant cette région comme la clef stratégique permettant le contrôle des Balkans. La puissance qui parvient à contrôler cette zone a automatiquement la possibilité de contrôler l’espace balkanique dans son ensemble, avec toutes ses voies de communication. Le Général Beck révélait là une preuve d’ordre historique : l’Empire ottoman n’a pas conquis les Balkans après la chute de Constantinople mais après sa victoire sur le Champ des Merles, c’est-à-dire au Kosovo. A Versailles, les artisans occidentaux qui ont fabriqué la Yougoslavie avaient les mêmes visées géopolitiques. Pour les alliés atlantistes, la Yougoslavie devait servir de barrière anti-allemande et anti-européenne. La résolution sur la Yougoslavie, émise par la loge du Grand Orient de Paris en mars 1917, salue cet Etat à venir comme « un môle de civilisation contre l’expansion de la culture pangermanique ». L’Allemagne actuelle, guidant de fait la Communauté européenne en se donnant le rôle de médiateur (se révélant toutefois partial et intéressé) entre les diverses républiques yougoslaves au moment de la crise séparatiste, a finalement réussi à détruire ce « môle », en favorisant, appuyant et légitimant les sécessions slovène et croate.

Puis, en 1992, les Etats-Unis sont entrés dans le jeu, avec la ferme intention de construire une alternative offensive (et non plus seulement défensive) au « môle » anti-allemand et anti-européen. Cette alternative au rôle qu’avaient dû jouer les première et seconde Yougoslavies s’appelle « la transversale islamique », chez les nouveaux géopolitologues serbes actuels, ou le « Troisième empire américain », dans le langage de leurs homologues de Washington.

Le « Troisième Empire américain »

La description la plus synthétique du « Troisième Empire américain » nous a été donnée par deux rédacteurs de l’école stratégique de Washington, Michael Lind et Jacob Haillbrun ; cette synthèse est parue dans les pages de l’International Herald Tribune du 4 janvier 1996, sous un titre qui résume en lui-même tout un programme géopolitique : « Le Troisième Empire américain avec les Balkans comme frontière ».

Selon les deux auteurs de cet essai, par « Premier Empire américain », il faut entendre l’ensemble des Amériques. Il a été suivi chronologiquement par le « Second Empire », conquis après la victoire de la seconde guerre mondiale : il comprend l’Europe occidentale et le Pacifique. Le dernier de ces empires, le Troisième, les Etats-Unis sont en train de le forger.

« Au lieu de considérer la Bosnie comme une frontière orientale de l’OTAN, il faut considérer les Balkans comme une frontière occidentale de l’expansion de la sphère d’influence américaine en direction du Moyen-Orient. Il faut également se rappeler, que jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, les Balkans étaient considérés comme une partie du Proche-Orient et non de l’Europe (sic ! !). Le fait que les Etats-Unis soient beaucoup plus proches de l’Etat constitué par les Musulmans bosniaques, que leurs alliés européens, reflète, entre autres choses, le rôle nouveau que doivent se donner les Etats-Unis : guider une coalition informelle des nations musulmanes du Golfe [du Golfe Persique, DK] aux Balkans. La zone qui jadis était sous la domination de l’Empire ottoman deviendra ainsi le cœur du Troisième Empire américain ». Donc le « Troisième Empire » américain ou la « Transversale islamique » est constitué d’une chaîne de pays musulmans ou à forte minorité musulmane, partant de la Turquie, traversant la Bulgarie, la Macédoine et l’Albanie, pour aboutir à la Bosnie-Herzégovine. Pour consolider l’intégrité territoriale de cette chaîne, il manquait l’anneau principal : le Kosovo-Metohija.

Le « Troisième Empire américain » hérite évidemment des vieilles fonctions statiques du « môle » dressé contre l’expansion allemande et européenne en direction du Moyen-Orient et contre l’avance des Russes en direction de la Méditerranée, mais, en plus, il acquiert de nouvelles fonctions dynamiques. L’intention première des stratèges de Washington est de ramener l’hégémonie turque dans les Balkans. Ils présentent dès lors cette hégémonie comme un « facteur incontournable de stabilité », mais ils souhaitent finalement ouvrir de force les portes de l’UE à la Turquie, qui deviendrait membre à part entière. Depuis de nombreuses années déjà, Washington insiste pour que l’UE ouvre ses portes à la Turquie, ce qui aurait pour résultat de déstabiliser et finalement de désintégrer le monde européen.

Pour comprendre les intentions turques et le potentiel explosif de la Turquie, il suffit de lire les textes de géopolitologues turcs, qui expriment sans détours leurs aspirations à reconquérir les Balkans et, dans la foulée, toute l’Europe, avec l’aide des Etats-Unis et de leur démographie galopante. Pour l’homme doté de bon sens, citons l’exemple du politologue turc influent, Nazmi Arifi, qui, dans les pages de la revue Preporod (organe officiel des Musulmans bosniaques), en date du 15 août 1991, décrivait très clairement, avec une joie carrément sadique, les conséquences d’une entrée de la Turquie dans l’UE : « L’Europe a conscience du potentiel turc. Elle est consciente de la masse démographique turque. L’Europe regarde la Turquie comme un pays dont la population potentielle est de 200 millions d’habitants [note de DK : Arifi compte les Turcophones d’Asie centrale auxquels le gouvernement d’Ankara offre directement la nationalité turque]. Il est donc logique que l’Europe ne s’opposera pas à la Turquie. En l’espace de dix années [note de DK : après l’entrée de la Turquie dans l’UE], la moitié de la population européenne sera musulmane pour les raisons suivantes : les peuples musulmans ont une natalité plus élevée, les migrations économiques en provenance du monde islamique s’installeront en Europe, la chute libre de la natalité des peuples européens de souche, les conversions à l’Islam… Ce sont là des faits que l’Europe, bon gré mal gré, devra accepter ».

Les opinions pareilles à celle que nous venons de citer sont amplement confirmées par les positions officielles et dans la rhétorique des hommes politiques turcs, depuis feu Türgüt Özal jusqu’à l’actuel Président Demirel. Tous ces hommes politiques ont promis aux Turcs et aux Turcophones que le « 21ième siècle sera turc » et que la Turquie s’étendra « de la Muraille de Chine à l’Adriatique ». Et quelques-uns ajoutent : « Aussi jusqu’à l’Atlantique ! ».

Le « Troisième Empire américain » ou la « Transversale islamique » offrira la plus grande voie terrestre imaginable aux migrations massives en provenance du monde islamique ou du Tiers-Monde vers l’Europe, ce qui modifiera de fond en comble son visage démographique et culturel. Sans le bouclier serbe, l’Europe aurait été depuis longtemps, depuis plusieurs siècles, islamisée. Aujourd’hui, cette Europe remercie la Serbie-bouclier en lui envoyant bombes et missiles. Du point de vue serbe, cette Europe, du moins cette Europe légale, fait montre d’une servilité inacceptable face aux Etats-Unis, occupants atlantistes, ou cultive un esprit masochiste et suicidaire.

De plus, l’occupation du territoire yougoslave vise à transformer celui-ci en une gigantesque base pour l’OTAN, qui servira, si besoin s’en faut, à attaquer la Russie, lors d’une future et probable entreprise guerrière. Il sera facile de mettre en scène un nouveau « casus belli », où il faudra répéter une « intervention humanitaire » : il se trouvera bien quelque part une nouvelle Tchétchénie ou une ethnie musulmane rebelle dans la Fédération de Russie pour servir de prétexte. On pourra aussi très facilement justifier une agression contre la Russie en prétextant que le potentiel nucléaire pourrait tomber entre les mains des revenchistes —qualifiés pour les besoins de la propagande de « fascistes » ou, pire, de « nationaux-communistes ». Le scénario a déjà été imaginé, notamment par Zbigniew Brzezinski, dans sa dernière esquisse de géopolitique anticipative, Le Grand Echiquier, où il évoque la possibilité de diviser la Russie en trois Etat « pour mieux la moderniser ». Il suffit de consulter quelques bons atlas géographiques pour se rendre compte que cette stratégie colonialiste rencontre les intérêts mondialistes et globalistes qui lorgnent vers les immenses richesses du pays.

L’occupation de la Yougoslavie, que ce soit sous une forme hard ou soft (avec l’instauration d’un gouvernement fantoche), vise à contrôler, dominer et monopoliser toutes les communications terrestres et fluviales entre l’Europe et le Moyen-Orient, entre l’Europe et la zone caucasienne ou la Mer Caspienne. De fait, la destruction des ponts sur le Danube, suite à des bombardements répétés, a déjà bloqué le trafic fluvial et interrompu l’acheminement des marchandises vers l’Europe en provenance de la région pontique (Mer Noire). L’occupation de la Yougoslavie vise aussi à fermer définitivement l’unique passage libre et virtuel vers la Méditerranée pour l’économie russe. La Russie n’a plus qu’à passer par le Bosphore, qui reste sous la souveraineté de la Turquie, fidèle vassal traditionnel des puissances anglo-saxonnes, par haine de la tradition et de l’Europe.

Si l’OTAN, avec la complicité servile et masochiste des gouvernements européens, parvient à détruire le bouclier serbe, la possibilité de sceller une grande alliance entre l’Europe occidentale et la Russie sera définitivement enterrée, alors que cette alliance à été le grand rêve de nos maîtres, de Nietzsche à Dostoïevski. Dans une perspective aussi lugubre, l’Europe ne sera plus qu’une province américaine marginale, puis deviendra l’un des désert du Tiers-Monde.

Il faut non seulement espérer mais agir et combattre pour faire en sorte que ce « rêve américain » ne devienne pas réalité.

Dragos KALAJIC.