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mardi, 17 mai 2016

Aux origines de carnaval - Un dieu gaulois ancêtre des rois de France

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Chronique de livre:

Anne Lombard-Jourdan: Aux origines de carnaval - Un dieu gaulois ancêtre des rois de France

(Odile Jacob, 2005)

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

cernunnos, hellequin, herlequin, légendes, folklore, mythologie celtique, livre, traditions, Au nombre des grands mythes transversaux européens est celui de la cavalcade surnaturelle menée par un chef divin. Dans le monde germanique c'est la wütendes Heer, qui parcourt les airs, réminiscence du cortège des walkyries et einherjer mené par Odin/Wotan. Dans le monde celte, c'est la chasse sauvage ou wild hunt, que le Moyen-Age dit composée de nobles damnés, de fantômes et de créatures surnaturelles, démons et fées et menée par un avatar de Cernunnos : Hellequin.

C'est à ce thème et à ce personnage, dans leurs expressions françaises que s'intéresse l'historienne Anne Lombard-Jourdan dans son ouvrage paru en 2005 chez Odile Jacob et préfacé par Jacques Le Goff : Aux origines de carnaval ;Un dieu gaulois ancêtre des rois de France. A travers son exploration de la symbolique du cerf dans la culture française médiévale et en particulier au sein de la lignée royale, Anne Lombard-Jourdan dégage une mythologie gallicane fondée sur l'alliance complémentaire de la fée serpente Mélusine (dont se réclamèrent de nombreuses familles outre les Lusignan) et du dieu cerf Cernunnos. Elle fait de ce dernier, en étayant abondamment sa thèse, le tutélaire, l'ancêtre totémique des rois de France.

L'auteur s'intéresse tout d'abord, dans une démarche comparatiste dumézilienne, aux mythes du cerf et du serpent et à leurs liens dans le monde indo-européen et en particulier en Gaule, à travers les héritages celte, latin et germanique. C'est ensuite le personnage de Gargantua qu'elle analyse comme avatar du dieu-cerf à travers lequel Rabelais aurait exprimé, sous forme parodique, les rites et symboles du mythe gaulois. Dans la droite ligne de Claude Gaignebé, elle lit, au delà des pastiches truculents, l'expression de liens mythiques entre éléments et divinités en voie d'oubli. Cornes et viscères ne sont plus des références au "bas corporel" et aux tribulations sexuelles mais les attributs des dieux : bois et serpents.

Le thème rabelaisien conduit naturellement à celui du carnaval, moment de jaillissement du refoulé païen et des rituels de fertilité au sein du calendrier chrétien. Masques, cornes, franges et cordes y réactivent de façon farcesque les mystères chamaniques liés au cerf et à la serpente. Une autre survivance du rituel se trouve dans la chasse au cerf, la plus noble entre toutes, dont l'historienne étudie, à travers manuels de vénerie et évocations littéraires, les codes. Ils témoignent d'une déférence particulière, de celles qu'on a face au totem, que seul peut chasser son "clan" : la maison royale et ceux qu'elle a anoblis.

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Ayant ainsi déployé l'héritage secret de Gargantua-Cernunnos, Anne Lombard-Jourdan s'intéresse à sa parèdre, Mélusine, et à leurs relations de complémentarité symbolique : dans le rapport à l'eau (soif insatiable de l'un, milieu naturel de l'autre), dans l'opposition de l'aspect solaire (le cycle des bois, entre perte et renouveau, suit celui des saisons) et terrestre de l'un à l'aspect lunaire et aquatique de l'autre. Elle n'en fait ni des époux divins (ce qui serait une invention de toutes pièces) ni ne les apparente, mais y voit des polarités qui fondent une mythologie proprement française.

cernunnos_by_faeorain-d4couqm.jpgL'ouvrage revient alors sur la place dévolue au cerf dans la maison de France à travers les légendes mettant en scène ses membres et des cerfs surnaturels souvent liés à la figure christique, les illustrations et la présence physique des cerfs dans les demeures royales, et les métaphores littéraires qui rapprochent monarque et cervidé. C'est dans le cerf ailé (présenté en couverture) que les rois trouvent leur emblème totémique, lié non pas, comme la fleur de lys, au Royaume de France dans son entièreté, mais à la fonction monarchique en particulier. Enfin, le don de guérison des écrouelles, le rôle thaumaturgique du roi, est analysé comme un héritage chamanique lié au culte du dieu-cerf.

L'auteur revient en profondeur sur ce dieu-cerf, en en différenciant les avatars : Dis Pater s'incarnant tantôt en Cernunnos, tantôt en Sucellus, et leurs compagnes Herecura et Nantosuelta, la femme-biche et la déesse des eaux, entourée de serpents. En Angleterre, c'est le roi légendaire Herne, ou Herle qui semble recueillir l'héritage du dieu-cerf, tandis qu'en France certains saints se le partagent. Le roi Herle ne peut que rappeler notre Herlequin ou Hellequin original, et c'est en effet lui qui clôt cette étude avec sa mesnie. Les herlequins, ou hellequins, sont les "gens" (/kin), la famille de Herle, le chasseur éternel et cerf lui-même. Le christianisme en a fait une cavalcade démoniaque, mais elle demeure liée aux dates ancestrales de l'ouverture du sidh, ce monde de l'au-delà où Cernunnos se portait garant pour ses enfants. De nombreux attributs physiques et vestimentaires furent attachés à cette menée. Des figurations celtes aux carnavals populaires, des évocations féeriques aux "arlequinades", on les y retrouve. Certains, comme le couvre-chef d'invisibilité, renforcent le lien entre wütendes Heer et chasse sauvage.

A l'issue de cette enquête, on trouve encore des annexes éclairantes : un dossier étymologique, indispensable à toute personne intéressée par le folklore et ses symboles, des documents archéologiques, diverses sources littéraires ainsi qu'une étude sur l'utilisation politique de la Mesnie Hellequin entre France et Angleterre.

Mythes, totémisme, royauté, folklore, transversalité européenne et gallicanisme, cette lecture a de quoi intéresser et enrichir à plus d'un degré quiconque s'intéresse à son héritage, mais pourra tout aussi bien permettre au gamer d'approfondir les thèmes du dernier opus de
The Witcher (Wild Hunt), et aux métalleux de comprendre ce qu'il en est historiquement et culturellement de la Mesnie Herlequin.

Mahaut pour le C.N.C.

Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.

dimanche, 24 mai 2015

Le dieu cornu des Indo-Européens

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Le dieu cornu des Indo-Européens

par Thomas Ferrier

Ex: http://thomasferrier.hautetfort.com

De toutes les figures divines du panthéon proto-indo-européen, celle du dieu « cornu » est la plus complexe et la moins analysée. Elle est pourtant essentielle, même si son importance n’est pas comparable à celle du dieu de l’orage, dont il est souvent le compagnon de lutte mais parfois aussi l’adversaire. On le retrouve chez presque tous les peuples indo-européens, à l’exception notable des Germains même si, on le verra, il est possible d’y retrouver sa trace. Son nom originel était sans doute *Pauson, « celui qui guide ». Représenté avec deux cornes, il fut alors surnommé chez certains peuples le dieu « cornu ».

Chez les Grecs, l’équivalent en toutes choses de *Pauson était le dieu Pan. Son nom, qui ne signifiait pas « tout », comme une étymologie populaire le proposait, dérive directement de son ancêtre indo-européen. Pan est justement représenté cornu avec des pieds de bouc. Il était le dieu des troupeaux, qu’il protégeait contre les loups. C’est là un de ses rôles les plus anciens. On le dit natif d’Arcadie, une région de collines où il était très sollicité par les bergers du Péloponnèse. Son nom a également donné celui de « panique », car on dotait Pan de la capacité d’effrayer les ennemis.

Pan n’était pas le fils de n’importe quel dieu. Il était celui d’Hermès avec lequel il se confond. Comme souvent chez les Grecs, un même dieu indo-européen pouvait prendre plusieurs formes. On confondait ainsi Eôs et Aphrodite ou encore Hélios et Apollon. Le premier portait le nom originel, le second celui d’une épiclèse devenue indépendante. Pan et Hermès étaient dans le même cas de figure. Hermès disposait de la plupart des rôles auparavant dévolus à celui dont les Grecs feront paradoxalement le fils. Il était le dieu des chemins et lui aussi conducteur des troupeaux. On raconte que dans ses premières années il déroba le troupeau dont Apollon avait la garde. C’était le dieu des voleurs et le dieu qui protégeait en même temps contre le vol. Il était aussi le gardien des frontières, d’où sa représentation sous forme d’une borne, tout comme le dieu latin Terminus. Il était également le dieu du commerce et de l’échange, le protecteur des marchands. Enfin, Hermès était un dieu psychopompe, conduisant les âmes des morts aux Champs Elyséens ou dans le sombre royaume d’Hadès.

En Inde, l’homologue de Pan était le dieu Pusan. A la différence de Pan, Pusan avait conservé l’intégralité de ses prérogatives. Il était dieu psychopompe, emmenant les âmes chez Yama. Il protégeait les voyageurs contre les brigands et les animaux sauvages. Ce dieu offrait à ceux qu’il appréciait sa protection et la richesse symbolisée par la possession de troupeaux. Son chariot était conduit par des boucs, là encore un animal associé au Pan grec.

Le dieu latin Faunus, qui fut associé par la suite non sans raison avec Pan, se limitait à protéger les troupeaux contre les loups, d’où son surnom de Lupercus (sans doute « tueur de loup »), alors que Mars était au contraire le protecteur de ces prédateurs. Son rôle était donc mineur. Le dieu des chemins était Terminus et le dieu du commerce, lorsque les Romains s’y adonnèrent, fut Mercure, un néologisme à base de la racine *merk-. Faunus était également le dieu des animaux sauvages auprès de Silvanus, dieu des forêts.

Enfin, le dieu lituanien Pus(k)aitis était le dieu protecteur du pays et le roi des créatures souterraines, avatar déchu d’une grande divinité indo-européenne mais qui avait conservé son rôle de gardien des routes et donc des frontières.

cernunnos-1.jpgLes autres peuples indo-européens, tout en conservant la fonction de ce dieu, oublièrent en revanche son nom. Les Celtes ne le désignèrent plus que par le nom de Cernunnos, le dieu « cornu ». En tant que tel, il était le dieu de la richesse de la nature, le maître des animaux sauvages comme d’élevage, le dieu conducteur des morts et un dieu magicien. Il avait enseigné aux druides son art sacré, d’où son abondante représentation en Gaule notamment. Sous le nom d’Hernè, il a pu s’imposer également chez les Germains voisins. Représenté avec des bois de cerf et non des cornes au sens strict, il était le dieu le plus important après Taranis et Lugus. En revanche, en Bretagne et en Irlande, il était absent. Son culte n’a pas pu traverser la Manche. Chez les Hittites, le dieu cornu Kahruhas était son strict équivalent mais notre connaissance à son sujet est des plus limités.

Dans le panthéon slave, les deux divinités les plus fondamentales était Perun, maître de l’orage et dieu de la guerre, et Volos, dieu des troupeaux. Même si Volos est absent du panthéon officiel de Kiev établi par Vladimir en 980, son rôle demeura sous les traits de Saint Basile (Vlasios) lorsque la Rous passa au christianisme. Il était notamment le dieu honoré sur les marchés, un lieu central de la vie collective, d’où le fait que la Place Rouge de Moscou est jusqu’à nos jours dédiée à Basile. Volos n’était pas que le dieu des troupeaux. Il était le dieu des morts, ne se contentant pas de les conduire en Nav, le royaume des morts, même si la tradition slave évoque éventuellement un dieu infernal du nom de Viy. Il apportait la richesse et la prospérité en même temps que la fertilité aux femmes. Dieu magicien, il était le dieu spécifique des prêtres slaves, les Volkhvy, même si ces derniers avaient charge d’honorer tous les dieux. Perun et Volos s’opposaient souvent, le dieu du tonnerre n’hésitant pas à le foudroyer car Volos n’était pas nécessairement un dieu bon, et la tradition l’accusait d’avoir volé le troupeau de Perun. Une certaine confusion fit qu’on vit en lui un avatar du serpent maléfique retenant les eaux célestes, qui était Zmiya dans le monde slave, un dragon vaincu par la hache de Perun, tout comme Jormungandr fut terrassé par Thor dans la mythologie scandinave.

Dans le monde germanique, aucun dieu ne correspond vraiment au *Pauson indo-européen. La société germano-scandinave n’était pas une civilisation de l’élevage, et les fonctions commerciales relevaient du dieu Odin. Wotan-Odhinn, le grand dieu germanique, s’était en effet emparé de fonctions relevant de Tiu-Tyr (en tant que dieu du ciel et roi des dieux), de Donar-Thor (en tant que dieu de la guerre). Il existait certes un Hermod, dont le nom est à rapprocher de celui d’Hermès, mais qui avait comme seul et unique rôle celui de messager des dieux. Mais c’est sans doute Freyr, dont l’animal sacré était le sanglier, qui peut être considéré comme le moins éloigné de *Pauson. Frère jumeau de Freyja, la déesse de l’amour, il incarnait la fertilité sous toutes ses formes mais était aussi un dieu magicien. On ne le connaît néanmoins pas psychopompe, pas spécialement dédié non plus au commerce, ni à conduire des troupeaux. Wotan-Odhinn là encore était sans doute le conducteur des morts, soit en Helheimr, pour les hommes du commun, soit au Valhöll, pour les héros morts au combat. Le *Pauson proto-germanique a probablement disparu de bonne date, remplacé dans tous ses rôles par plusieurs divinités.

*Pauson était donc un dieu polyvalent. En tant que dieu des chemins, dieu « guide », ce que son nom semble signifier, il patronnait toutes les formes de déplacement, les routes mais aussi les frontières et les échanges. Il était en outre le dieu des animaux sauvages et des troupeaux, qu’il conduisait dans les verts pâturages. Il conduisait même les âmes morts aux Enfers et délivrait aux hommes les messages des dieux, même si ce rôle de dieu messager était partagé avec la déesse de l’arc-en-ciel *Wiris (lituanienne Vaivora, grecque Iris). C’était un dieu qui maîtrisait parfaitement les chemins de la pensée humaine. Les Grecs firent ainsi d’Hermès un dieu créateur et même celui de l’intelligence théorique aux côtés d’Athéna et d’Héphaïstos. Ils lui attribuèrent l’invention de l’écriture et même de la musique. Il est logique d’en avoir fait un magicien, capable de tous les tours et de tous les plans, y compris de s’introduire chez Typhon pour récupérer les chevilles divines de Zeus ou de libérer Arès, prisonnier d’un tonneau gardé par les deux géants Aloades. Sous les traits du romain Mercure, main dans la main avec Mars, il finit par incarner la puissance générée par le commerce, facteur de paix et de prospérité pour la cité autant que les légions à ses frontières.

Son importance était telle que les chrétiens annoncèrent sa mort, « le grand Pan est mort », pour signifier que le temps du paganisme était révolu. Pourtant il ne disparut pas, alors ils en firent leur Diable cornu et aux pieds de bouc. Il conserva ainsi son rôle de dieu des morts mais uniquement pour les pêcheurs, les vertueux accédant au paradis de Dieu.

Thomas FERRIER (PSUNE/LBTF)

00:05 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mythologie, dieu cornu, cernunnos, indo-européens, traditions | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook