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jeudi, 23 mai 2024

Alexey Khomyakov: le choix de la lumière

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Alexey Khomyakov: le choix de la lumière

Alexander Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/article/aleksey-homyakov-vybor-sveta?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTAAAR1R0W1UkcKpWk0QBsrLrLU4UMDJ8SD-ZoUEimPDG3Pb2Y5Adgg0C51yeH4_aem_AeGHvfsJribDsIlURfNfHdFQJtc4uIHoVpIl-pnBfVDA8YcSXADq3kYCXuxNra9Yj8JKnjhB2lJIu5q2lx6moctO

La « tâche » formulée par Odoevsky et Venevitinov, et plus largement par le cercle des nemultis russes, de créer une philosophie véritablement russe est devenue une tâche qui s'est étendue sur deux siècles. Les premiers à réagir furent les slavophiles, également issus de ce cercle. Plus tard, les eurasianistes ont développé leurs activités dans la même veine, et après une autre étape - les néo-eurasianistes de la fin du 20ème siècle, et enfin, cette « commande » a été prise comme un impératif dans « Noomakhia » et nos autres travaux axés sur l'exploration de la possibilité d'une philosophie authentiquement russe [1].

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Alexei Stepanovich Khomyakov, ami proche de Vladimir Odoevsky (photo, en haut) et de Venevitinov (photo, en bas), a consacré toute sa vie à une étude comparative à grande échelle des cultures et des civilisations. Cette œuvre - « Sémiramis »[2] - n'a jamais été publiée de son vivant. Ce faisant, Khomyakov cherchait non seulement à donner une volumineuse description de chacune d'entre elles, ce qui semble évidemment impossible, mais à proposer une classification selon laquelle ces civilisations pourraient être logiquement réparties. En fait, il aborde une méthodologie sur base de Logos dominants, qui est, de fait, la base de ma « Noomachia », mais il décrit ces Logos dans d'autres termes et dans d'autres correspondances structurelles.

Khomyakov part de l'idée, courante à son époque, qu'il existe cinq races humaines - blanche, jaune, noire, rouge et "olive", correspondant plus ou moins aux cinq continents. Le pôle des blancs est l'Europe, celui des jaunes l'Asie, celui des noirs l'Afrique, celui des rouges l'Amérique, celui des aborigènes de l'Australie et du reste de l'Océanie. Peu à peu, Khomyakov arrive à la conclusion que les trois races fondamentales ne sont que trois - la blanche, la jaune et la noire - et que les deux autres - la rouge et l'"olive" - sont le produit de leur mélange. Cette division en trois races était également conforme aux vues des anthropologues d'Europe occidentale du 19ème siècle, notamment Lewis Morgan [3] (1818 - 1881), les races correspondant généralement, dans ces théories, à trois types de sociétés: la civilisation blanche, la barbarie jaune et la sauvagerie noire.

Cependant, Khomyakov ne se contente pas d'une telle systématisation et, en accordant une attention particulière à l'histoire des Slaves, qui occupent les terres non seulement de l'Europe mais aussi de l'Asie, il souligne la proximité ethnique et linguistique des peuples iraniens et indiens avec la communauté indo-européenne (indo-germanique). Il s'éloigne ainsi d'une approche raciale au profit d'une approche ethnoculturelle et linguistique. Cela l'amène à identifier les similitudes des langues et de la culture slaves avec les peuples indo-européens d'Asie - et en premier lieu avec la civilisation indienne. Ce n'est pas un hasard si, dans la première partie de Semiramis, il donne une longue liste de mots homonymes en russe et en sanskrit. Certaines convergences étymologiques ont été contestées par la suite, mais la principale conclusion de Khomyakov était tout à fait correcte : les peuples indo-européens d'Asie (Iraniens, Hindous, Afghans, etc.) et d'Europe (Grecs, Latins, Celtes, Germains, etc.) avaient une origine commune et avaient autrefois une langue et une culture communes, et les Slaves faisaient partie intégrante de cette communauté indo-européenne [4].

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Khomyakov passe ensuite à l'étape suivante : après avoir reconnu que la division raciale n'est pas la plus importante du point de vue du sens de l'histoire, il propose un nouveau critère qui mérite plus d'attention. Ce n'est pas tant la race qui importe, mais le type de conception religieuse. C'est elle qui est déterminante. La façon dont Khomyakov interprète le type de conception religieuse est tout à fait conforme à l'idée de Logos dans « Noomakhia ». Dans ce cas, Khomyakov distingue deux origines fondamentales (racines) et, dans une certaine mesure, universelles : l'iranienne et la kouchite. Nous pourrions les appeler le « Logos kouchite » et le « Logos iranien ». Chacun d'entre eux est traité dans les volumes respectifs de Noomakhia [5]. Khomyakov déclare :

La comparaison entre la foi et l'illumination, qui dépend uniquement de la foi et consiste en elle (comme tout ce qui est appliqué consiste en la science pure), nous conduit à deux principes fondamentaux : l'iranien, c'est-à-dire le culte spirituel d'un esprit créateur libre ou un monothéisme primitif élevé, et le kouchite, la reconnaissance de la nécessité organique éternelle, produisant en vertu de lois logiques inévitables. Le kouchitisme se divise en deux parties : le shivaïsme, culte de la substance régnante, et le bouddhisme, culte de l'esprit servile qui ne trouve sa liberté que dans l'autodestruction. Ces deux origines, iranienne et kouchite, dans leurs chocs et mélanges incessants, ont produit cette infinie variété de religions qui a marqué le genre humain avant le christianisme, et surtout l'humanité artistique et fabuleuse (anthropomorphisme). Mais, en dépit de tout mélange, la base fondamentale de la foi est exprimée par le caractère général de l'illumination, c'est-à-dire l'éducation verbale, l'écriture des voyelles, l'utilisation de la langue française, l'utilisation de la langue anglaise, la simplicité de la vie communautaire, la prière spirituelle et le mépris du corps, exprimé par le fait de brûler ou de donner le cadavre à manger aux animaux dans l'iranisme, et l'éducation artistique, l'écriture symbolique, la structure conventionnelle de l'État, la prière incantatoire et le respect du corps, exprimé par l'embaumement, ou le fait de manger les morts, ou d'autres rituels similaires, dans le kouchitisme [6].

En fait, Khomyakov distingue ici le Logos d'Apollon, qui est le plus proche du Logos iranien, et le Logos de Cybèle, qu'il rapproche de la civilisation égyptienne méridionale de Kush. Ces deux métaphores sont confirmées par la Noomachie.  Le Logos iranien représente l'une des formes (dualistes) les plus vivantes et les plus originales du Logos vertical-patriarcal indo-européen d'Apollon [7], tandis que l'horizon kouchite et le territoire adjacent à la Corne de l'Afrique, qui était probablement le foyer ancestral de l'ensemble du cercle culturel afro-asiatique (y compris les Sémites, les Kouchites, les Égyptiens et les Berbères), est en effet proche dans ses racines les plus profondes du Logos de Cybèle [8]. Dans le même temps, il convient de souligner la perspicacité de Khomyakov lorsqu'il distingue les Iraniens (et non les Grecs, les Hindous, les Allemands, les Latins et les Celtes) des peuples indo-européens en tant que porteurs de la culture paradigmatique. Nous arrivons à la conclusion de l'influence colossale et parfois décisive des débuts iraniens sur le judaïsme et l'hellénisme post-babyloniens (et par conséquent sur le christianisme, le byzantisme et l'Europe dans son ensemble), d'une part, et sur les vastes étendues de l'Asie - de l'Asie centrale à l'Inde du Nord, au Tibet et à la Mongolie, d'autre part, et de la profonde sous-estimation de cette influence dans notre étude sur le Logos iranien [9]. Pour Khomyakov, l'Iran est un symbole de la verticale solaire indo-européenne.

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Le début kouchite est pour Khomyakov une civilisation de la fatalité, de la nécessité objective, une sorte de matérialisme sacral qui place l'homme à la périphérie de l'ontologie. C'est un trait distinctif de la civilisation de la Grande Mère, un signe clair du Logos de Cybèle. Une fois encore, la conjecture de Khomyakov sur le lien entre cette vision du monde matriarcale et matérialiste à l'origine et Kush s'avère correcte, ce qui est confirmé par nos études sur les civilisations et les cultures des peuples d'Afrique du Nord [10].

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D'autre part, nous pouvons reconnaître dans cette reconstruction l'influence du regretté Schelling (tableau, ci-dessus) qui, dans ses conférences sur la « Philosophie de la mythologie » [11], a esquissé une image grandiose de l'histoire du monde comme déploiement de la pensée divine, résolvant le problème métaphysique de la signification absolue - comment le léger et raisonnable A2 initial (dans la terminologie de Schelling) formalisera sa relation avec ce qui le précède logiquement et ontologiquement - le sombre abîme apophatique - B. Nous nous sommes référés à plusieurs reprises à ce modèle de Schelling, en découvrant et parfois en corrigeant ses incohérences lorsqu'il s'agit de le mettre en relation avec certaines civilisations (par exemple, en ce qui concerne son interprétation de la culture babylonienne ou du judaïsme primitif [12]), ainsi qu'en suggérant un développement particulier de ses idées en relation avec les figures et les Gestalten (les formes) que Schelling lui-même n'a pas pris en considération (en premier lieu, la figure de Va'ala [13] ou du Trickster [14]).

Khomyakov suit également Schelling en identifiant le « début-racine » iranien avec le Logos rayonnant, A2, et la culture, où le début B, le poids ontologique de la donation autoréférentielle, prédomine complètement, avec le Logos kouchite. Si nous laissons de côté les détails historiques, ethnologiques, linguistiques et religieux, qui, chez Khomyakov, ne demandent pas moins de correction que chez Schelling, le tableau est le suivant : l'histoire du monde est le développement successif de la lutte entre le Logos iranien et le Logos kouchite, c'est-à-dire A2 et B, ou, dans les termes de ma « Noomachia », le Logos d'Apollon et le Logos de Cybèle. C'est ainsi que se construit la dialectique de l'histoire du monde, qui commence par la domination inconditionnelle du Logos iranien, qui est ensuite remplacée par le triomphe du Logos kouchite. Nous voyons ainsi avec la plus grande clarté dans Sémiramis la première version de la « Noomakhia » russe. C'est ce qu'écrit Khomyakov :

Un regard sur l'ancienne dispersion des familles et l'ancienne dispersion de la race humaine, sur la structure fine, polysémique et spirituellement vivante du langage primitif, sur l'espace infini des déserts traversés par les premiers habitants de la terre, sur l'infinité des mers traversées par les fondateurs des premières colonies océaniques, sur l'identité des religions, des rites et des symboles d'un bout à l'autre de la terre, présente une preuve incontestable de la grande illumination, La déformation ultérieure de tous les principes spirituels, la sauvagerie de l'humanité et la triste signification des âges dits héroïques, où la lutte de forces violentes et anarchiques a englouti toutes les grandes traditions de l'antiquité, toute la vie de la pensée, tous les débuts de la communication et toute l'activité intelligente des peuples. Le germe de ce mal se trouve évidemment dans ce pays auquel la gloire ouvre plusieurs âges historiques, dans le pays des Kouchites, qui, plus tôt que tous les autres, oublièrent tout ce qui était purement humain et remplacèrent cet ancien commencement par un nouveau commencement, conventionnellement logique et matériellement formé" [15].

Cette déclaration, cruciale pour comprendre l'essence de la doctrine slavophile, contient un appel direct au Logos d'Apollon, qui pour Khomyakov est la vérité inconditionnelle, le bien et le but. En se plaçant du côté de l'« Iran », Khomyakov se positionne sans ambiguïté dans l'armée des fils de la Lumière, du côté de la verticalité patriarcale et de la liberté céleste. C'est ici que les Slaves devraient être du côté d'Apollon - en tant que dernière légion du Logos de la lumière, prenant le relais des peuples européens et asiatiques qui ont perdu leur mission sous l'assaut du Logos de Cybèle (le début indigène kouchite). En même temps, les derniers mots de ce fragment ne laissent aucun doute sur la manière dont Khomyakov lui-même et les autres slavophiles (ainsi que les membres du cercle des nemüdrovs) évaluent la civilisation moderne de l'Europe occidentale d'aujourd'hui. Elle est dominée par le Logos de Cybèle, et les principes du « début logique et matériellement éduqué » sont élevés au rang de valeur suprême et d'objectif ultime. D'où l'appel à s'opposer non seulement à l'Occident, mais à l'Occident moderne, qui a fait le même choix que de nombreuses civilisations anciennes, en abandonnant le commencement iranien au profit du commencement kouchite. Le Logos solaire doit désormais être défendu par les Slaves.

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Ainsi, l'appel aux civilisations anciennes et la tentative d'identifier certains schémas sémantiques dans l'histoire mondiale conduisent Khomyakov à la justification de l'identité russe et à la formulation de la mission historique des Russes et, plus largement, des Slaves. Dans ce cas, le point de référence de Khomyakov est la pensée germanique - en particulier les romantiques, les philosophes idéalistes qui ont été les premiers à s'approcher du problème du sujet radical [16] - Fichte, Schelling, Hegel. Le problème de l'Europe est que les valeurs bourgeoises libérales-démocratiques - essentiellement kouchitiques, mercantiles, matérialistes - y ont prévalu, représentées de la manière la plus frappante par l'empirisme anglais et le rationalisme français, c'est-à-dire que l'Europe est anglo-française, et non germano-slave. Ainsi, Khomyakov écrit :

La France et l'Angleterre sont malheureusement trop peu au courant du mouvement savant de l'Allemagne : elles ont pris du retard sur le grand guide de l'Europe. (...) Il reste le monde germanique, véritable centre de la pensée moderne. Celui qui a préparé tous les matériaux devrait avoir construit l'édifice.

Les œuvres de Herder, Schelling et Hegel sont les fondations d'un tel édifice de l'histoire mondiale. Plus tard, Oswald Spengler [17] (1880-1936) se fixera le même objectif, mais les Russes devraient également participer à la construction de cette version apollinienne de l'historien du monde. L'œuvre de Khomyakov elle-même est une contribution significative à ce projet ; plus tard, une image encore plus détaillée et élaborée de la multiplicité des types historico-culturels et de leurs missions spéciales sera offerte par le slavophile de la seconde génération Nikolaï Danilevsky (1822 - 1885).

Les slavophiles prirent donc la « commande » de Venevitinov très au sérieux et commencèrent à préparer le terrain pour l'émergence d'une philosophie russe distincte qui, aux yeux des slavophiles eux-mêmes, pouvait et devait être une défense radicale du Logos d'Apollon et une bataille contre le commencement kouchite - matérialiste et strictement immanent.

Cette bataille ne concernait pas seulement les relations entre la Russie et l'Occident, et plus précisément entre la modernité de l'Europe occidentale, mais plutôt le champ de confrontation entre les débuts iraniens et kouchites, c'est-à-dire le Logos d'Apollon et le Logos de Cybèle. Ce champ est devenu l'ensemble de la société russe du 19ème siècle, divisée en deux camps. Khomyakov, dans l'un de ses articles polémiques dirigés contre l'historien occidentaliste S. M. Soloviev (1820-1879), a fait la remarque suivante:

L'esprit expérimental s'est tourné plus strictement qu'auparavant vers toute notre vie et toutes nos lumières, y cherchant des courants hétérogènes et justifiant ou condamnant les phénomènes de la vie et l'expression de la pensée non seulement par rapport à eux-mêmes, mais aussi selon que l'on approuve ou rejette le courant qui s'en dégage. C'est ainsi que sont nées deux tendances auxquelles tous les hommes de lettres appartiennent plus ou moins. L'une de ces directions reconnaît ouvertement au peuple russe le devoir d'un développement original et le droit à une pensée autochtone ; l'autre, dans des expressions plus ou moins claires, défend le devoir de notre attitude d'étudiant constant à l'égard des peuples de l'Europe occidentale, et s'est récemment exprimée ex cathedra, avec une extrême naïveté, en déterminant que l'enseignement n'est ni plus ni moins que l'imitation [18].

Ces deux camps sont les slavophiles et les occidentalistes. Les premiers s'appuient sur l'identité russe, en la fondant sur les structures du Logos indo-européen apollinien, tandis que les seconds insistent pour poursuivre la « seconde traduction » et suivre passivement la logique et le rythme des Modernes de l'Europe occidentale (anglo-française), ce qui équivaut à leur défense du Logos de Cybèle et du commencement kouchite. En même temps, les slavophiles parlent de « développement original » et d'« auto-développement » dans le contexte de la justification d'un sujet russe indépendant. Il s'agit de la construction d'une histoire russe et de l'établissement d'une philosophie russe, qu'Odoevsky appelait également de ses vœux. Dans ce cas, ce n'est pas simplement que les Slavophiles appellent à penser de manière indépendante, et les Occidentaux à imiter la culture étrangère. La civilisation de l'ancienne Russie jusqu'à la fin de l'époque de la Russie moscovite était largement basée sur la traduction, mais la « grande traduction » du byzantinisme, couronnée par la théorie de Moscou comme troisième Rome et le couronnement d'Ivan IV comme tsar, était un engagement avec le Logos d'Apollon, tandis que la « seconde traduction », qui a débuté à l'époque de Pierre et est devenue la principale stratégie de l'occidentalisme russe, a entraîné la chute de la Russie dans l'abîme du matérialisme, de l'individualisme, de l'empirisme et de l'athéisme, c'est-à-dire dans l'abîme de la métaphysique kouchite de la Grande Mère.

Notes:

[1] Дугин А.Г. Мартин Хайдеггер. Возможность русской философии; Он же. Русский Логос - русский Хаос. Социология русского общества;Он же. Абсолютная Родина; Он же. Геополитика России; Он же. Археомодерн; Он же. Русская вещь в 2т. М.: Арктогея-Центр, 2001; Он же. Этносоциология. М.: Академический проект, 2012.

[2] Хомяков А.С. Семирамида.

[3] Морган Л. Г. Древнее общество или исследование линий человеческого прогресса от дикости через варварство к цивилизации. Ленинград: Институт народов Севера ЦИК СССР, 1935.

[4] Дугин А.Г. Ноомахия. Логос Турана. Индоевропейская идеология вертикали; Он же. Ноомахия. Восточная Европа. Славянский Логос: балканская Навь и сарматский стиль.

[5] Дугин А.Г. Ноомахия. Иранский Логос. Световая война и культура ожидания; Он же. Ноомахия. Хамиты. Цивилизации африканского Норда. М.: Академический проект, 2018.

[6] Хомяков А.С. Семирамида. С. 442 – 443.

[7] Дугин А.Г. Ноомахия. Иранский Логос. Световая война и культура ожидания.

[8] Дугин А.Г. Ноомахия. Хамиты. Цивилизации африканского Норда.

[9] Дугин А.Г. Ноомахия. Иранский Логос. Световая война и культура ожидания.

[10] Дугин А.Г. Ноомахия. Хамиты. Цивилизации африканского Норда.

[11] Шеллинг Ф.В. Философия мифологии. В 2-х томах.

[12] Дугин А.Г. Ноомахия. Семиты. Монотеизм Луны и гештальт Ва’ала.

[13] Дугин А.Г. Ноомахия. Семиты. Монотеизм Луны и гештальт Ва’ала.

[14] Дугин А.Г. Ноомахия. Цивилизации Нового Света. Прагматика грез и разложение горизонтов. М.: Академический проект, 2017; Он же. Ноомахия. Восточная Европа. Славянский Логос: балканская Навь и сарматский стиль; Он же. Ноомахия. Царство Земли. Структура русской идентичности.

[15] Хомяков А.С. Семирамида. С. 443.

[16] Дугин А. Г. Радикальный Субъект и его дубль. М.: Евразийское движение. 2009.

[17] Шпенглер О. Закат Западного мира. М: «Альфа-книга», 2014.

[18] Хомяков А.С. Замечания на статью г. Соловьева «Шлецер и антиисторическое направление»/ Хомяков А.С. Сочинения в 2 т. Т. 1. С. 519.

Фрагмент книги Дугин А.Г. Ноомахия. Русский Логос-III. Образы русской мысли. Солнечный царь, блик Софии и Русь Подземная.

dimanche, 29 mars 2020

Russia’s World Mission

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Russia’s World Mission

Ex: https://blackhousepublishing.com

It would be easy to regard Oswald Spengler, author of the epochal Decline of The West in the aftermath of World War I, as a Russophobe. In so doing the role of Russia in the unfolding of history from this era onward could be easily dismissed, opposed or ridiculed by proponents of Spengler, while in Russia his insights into culture-morphology would be understandably unwelcome as being from an Slavophobic German nationalist. However, while Spengler, like many others of the time in the aftermath of the Bolshevik Revolution, regarded – partially – Russia as the Asianised leader of a ‘coloured revolution’ against the white world, he also considered other possibilities.

RUSSIA’S ‘SOUL’

Spengler regarded Russians as formed by the vastness of the land-plain, as innately antagonistic to the Machine, as rooted in the soil, irrepressibly peasant, religious, and ‘primitive’. Without a wider understanding of Spengler’s philosophy it appears that he was a Slavophobe. However, when Spengler wrote of these Russian characteristics he was referencing the Russians as a still youthful people in contrast to the senile West. Hence the ‘primitive’ Russian is not synonymous with ‘primitivity’ as popularly understood at that time in regard to ‘primitive’ tribal peoples. Nor was it to be confounded with the Hitlerite perception of the ‘primitive Slav’ incapable of building his own State.

To Spengler, the ‘primitive peasant’ is the well-spring from which a race draws its healthiest elements during its epochs of cultural vigour. Agriculture is the foundation of a High Culture, enabling stable communities to diversify labour into specialisation from which Civilisation proceeds.

However, according to Spengler, each people has its own soul, a German conception derived from the German Idealism of Herder, Fichte et al. A High culture reflects that soul, whether in its mathematics, music, architecture; both in the arts and the physical sciences. The Russian soul is not the same as the Western Faustian, as Spengler called it, the ‘ Magian’ of the Arabian civilisation, or the Classical of the Hellenes and Romans. The Western Culture that was imposed on Russia by Peter the Great, what Spengler called Petrinism, is a veneer.

The basis of the Russian soul is not infinite space – as in the West’s Faustian (Spengler, 1971, I, 183) imperative, but is ‘the plain without limit’ (Spengler, 1971, I, 201). The Russian soul expresses its own type of infinity, albeit not that of the Western which becomes even enslaved by its own technics at the end of its life-cycle. (Spengler, 1971, II, 502). (Although it could be argued that Sovietism enslaved man to machine, a Spenglerian would cite this as an example of Petrinism). However, Civilisations follow their life’s course, and one cannot see Spengler’s descriptions as moral judgements but as observations. The finale for Western Civilisation according to Spengler cannot be to create further great forms of art and music, which belong to the youthful or ‘ spring’ epoch of a civilisation, but to dominate the world under a technocratic-military dispensation, before declining into oblivion like prior world civilisations. It is after this Western decline that Spengler alluded to the next world civilisation being that of Russia.

According to Spengler, Russian Orthodox architecture does not represent the infinity towards space that is symbolised by the Western high culture’s Gothic Cathedral spire, nor the enclosed space of the Mosque of the Magian Culture, (Spengler, 1971, I, 183-216) but the impression of sitting upon a horizon. Spengler considered that this Russian architecture is ‘not yet a style, only the promise of a style that will awaken when the real Russian religion awakens’ (Spengler, 1971, I, p. 201). Spengler was writing of the Russian culture as an outsider, and by his own reckoning must have realised the limitations of that. It is therefore useful to compare his thoughts on Russia with those of Russians of note.

41JkTwFc0dL.jpgNikolai Berdyaev in The Russian Idea affirms what Spengler describes:

There is that in the Russian soul which corresponds to the immensity, the vagueness, the infinitude of the Russian land, spiritual geography corresponds with physical. In the Russian soul there is a sort of immensity, a vagueness, a predilection for the infinite, such as is suggested by the great plain of Russia. (Berdyaev, 1).

The connections between family, nation, birth, unity and motherland are reflected in the Russian language:

род [rod]: family, kind, sort, genus родина [ródina]: homeland, motherland родители [rodíteli]: parents родить [rodít’]: to give birth роднить [rodnít’]: to unite, bring together родовой [rodovói]: ancestral, tribal родство [rodstvó]: kinship

Western-liberalism, rationalism, even the most strenuous efforts of Bolshevik dialectal materialism, have so far not been able to permanently destroy, but at most repress, these conceptions – conscious or unconscious – of what it is to be ‘Russian’. Spengler, as will be seen, even during the early period of Russian Bolshevism, already predicted that even this would take on a different, even antithetical form, to the Petrine import of Marxism. It was soon that the USSR was again paying homage to Holy Mother Russia rather than the international proletariat.

‘RUSSIAN SOCIALISM’

Of the Russian soul, the ego/vanity of the Western culture-man is missing; the persona seeks impersonal growth in service, ‘in the brother-world of the plain’. Orthodox Christianity condemns the ‘I’ as ‘sin’ (Spengler, 1971, I, 309).

The Russian concept of ‘we’ rather than ‘I’, and of impersonal service to the expanse of one’s land implies another form socialism to that of Marxism. It is perhaps in this sense that Stalinism proceeded along lines often antithetical to the Bolshevism envisaged by Trotsky et al. (Trotsky, 1936).

A recent comment by an American visitor to Russia, Barbara J. Brothers, as part of a scientific delegation, states something akin to Spengler’s observation:

The Russians have a sense of connectedness to themselves and to other human beings that is just not a part of American reality. It isn’t that competitiveness does not exist; it is just that there always seems to be more consideration and respect for others in any given situation.

Of the Russian traditional ethos, intrinsically antithetical to Western individualism, including that of property relations, Berdyaev wrote:

Of all peoples in the world the Russians have the community spirit; in the highest degree the Russian way of life and Russian manners, are of that kind. Russian hospitality is an indication of this sense of community. (Berdyaev, 97-98).

9782081223219.jpgTARAS BULBA

Russian National Literature starting from the 1840s began to consciously express the Russian soul. Firstly Nikolai Vasilievich Gogol’s Taras Bulba, which along with the poetry of Pushkin, founded a Russian literary tradition; that is to say, truly Russian, and distinct from the previous literature based on German, French and English. John Cournos states of this in his introduction to Taras Bulba:

The spoken word, born of the people, gave soul and wing to literature; only by coming to earth, the native earth, was it enabled to soar. Coming up from Little Russia, the Ukraine, with Cossack blood in his veins, Gogol injected his own healthy virus into an effete body, blew his own virile spirit, the spirit of his race, into its nostrils, and gave the Russian novel its direction to this very day.

Taras Bulba is a tale on the formation of the Cossack folk. In this folk-formation the outer enemy plays a crucial role. The Russian has been formed largely as the result of battling over centuries with Tartars, Muslims and Mongols.

Their society and nationality were defined by religiosity, as was the West’s by Gothic Christianity during its ‘Spring’ epoch, in Spenglerian terms. The newcomer to a Setch, or permanent village, was greeted by the Chief as a Christian and as a warrior: ‘Welcome! Do you believe in Christ?’ —‘I do’, replied the new-comer. ‘And do you believe in the Holy Trinity?’— ‘I do’.—‘And do you go to church?’—‘I do.’ ‘Now cross yourself’. (Gogol, III).

Gogol depicts the scorn in which trade is held, and when commerce has entered among Russians, rather than being confined to non-Russians associated with trade, it is regarded as a symptom of decadence:

I know that baseness has now made its way into our land. Men care only to have their ricks of grain and hay, and their droves of horses, and that their mead may be safe in their cellars; they adopt, the devil only knows what Mussulman customs. They speak scornfully with their tongues. They care not to speak their real thoughts with their own countrymen. They sell their own things to their own comrades, like soulless creatures in the market-place…. . Let them know what brotherhood means on Russian soil! (Spengler, 1971, II, 113).

Here we might see a Russian socialism that is, so far form being the dialectical materialism offered by Marx, the mystic we-feeling forged by the vastness of the plains and the imperative for brotherhood above economics, imposed by that landscape. Russia’s feeling of world-mission has its own form of messianism whether expressed through Christian Orthodoxy or the non-Marxian form of ‘world revolution’ under Stalin, or both in combination, as suggested by the later rapport between Stalinism and the Church from 1943 with the creation of the Council for Russian Orthodox Church Affairs (Chumachenko, 2002). In both senses, and even in the embryonic forms taking place under Putin, Russia is conscious of a world-mission, expressed today as Russia’s role in forging a multipolar world, with Russia as being pivotal in resisting unipolarism.

Commerce is the concern of foreigners, and the intrusions bring with them the corruption of the Russian soul and culture in general: in speech, social interaction, servility, undermining Russian ‘brotherhood’, the Russian ‘we’ feeling that Spengler described. (Spengler 1971, I, 309).

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The Cossack brotherhood is portrayed by Gogol as the formative process in the building up of the Russian people. This process is not one of biology but of spirit, even transcending the family bond. Spengler treated the matter of race as that of soul rather than of zoology. (Spengler, 1971, II, 113-155). To Spengler landscape was crucial in determining what becomes ‘race’, and the duration of families grouped in a particular landscape – including nomads who have a defined range of wandering – form ‘a character of duration’, which was Spengler’s definition of ‘race’. (Spengler, Vol. II, 113). Gogol describes this ‘ race’ forming process among the Russians. So far from being an aggressive race nationalism it is an expanding mystic brotherhood under God:

The father loves his children, the mother loves her children, the children love their father and mother; but this is not like that, brothers. The wild beast also loves its young. But a man can be related only by similarity of mind and not of blood. There have been brotherhoods in other lands, but never any such brotherhoods as on our Russian soil. (Golgol, IX).

The Russian soul is born in suffering. The Russian accepts the fate of life in service to God and to his Motherland. Russia and Faith are inseparable. When the elderly warrior Bovdug is mortally struck by a Turkish bullet his final words are exhortations on the nobility of suffering, after which his spirit soars to join his ancestors. (Gogol, IX). The mystique of death and suffering for the Motherland is described in the death of Tarus Bulba when he is captured and executed, his final words being ones of resurrection:

‘Wait, the time will come when ye shall learn what the orthodox Russian faith is! Already the people scent it far and near. A czar shall arise from Russian soil, and there shall not be a power in the world which shall not submit to him!’ (Gogol, XII).

PSEUDOMORPHOSIS

A significant element of Spengler’s culture morphology is ‘Historic Pseudomorphosis’. Spengler drew an analogy from geology, when crystals of a mineral are embedded in a rock-stratum: where ‘clefts and cracks occur, water filters in, and the crystals are gradually washed out so that in due course only their hollow mould remains’. (Spengler, II, 89).

By the term ‘historical pseudomorphosis’ I propose to designate those cases in which an older alien Culture lies so massively over the land that a young Culture, born in this land, cannot get its breath and fails not only to achieve pure and specific expression-forms, but even to develop its own fully self-consciousness. All that wells up from the depths of the young soul is cast in the old moulds, young feelings stiffen in senile works, and instead of rearing itself up in its own creative power, it can only hate the distant power with a hate that grows to be monstrous. (Ibid.).

A dichotomy has existed for centuries, starting with Peter the Great, of attempts to impose a Western veneer over Russia. This is called Petrinism. The resistance of those attempts is what Spengler called ‘Old Russia’. (Spengler, 1971, II, 192). Spengler described this dichotomy:

Nikolai Berdyaev wrote in terms similar to Spengler’s: ‘Russia is a complete section of the world, a colossal East-West. It unites two worlds, and within the Russian soul two principles are always engaged in strife – the Eastern and the Western’. (Berdyaev, 1).

With the orientation of Russian policy towards the West, ‘Old Russia’ was ‘forced into a false and artificial history’. (Spengler, II, 193). Spengler wrote that Russia had become dominated by Late Western culture:

Late-period arts and sciences, enlightenment, social ethics, the materialism of world-cities, were introduced, although in this pre-cultural time religion was the only language in which man understood himself and the world. (Spengler, 1971, II, 193).

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Ivan Aksakov

‘The first condition of emancipation for the Russian soul’, wrote Ivan Sergyeyevich Aksakov, founder of the anti-Petrinist ‘Slavophil’ group, in 1863 to Dostoyevski, ‘is that it should hate Petersburg with all this might and all its soul’. Moscow is holy, Petersburg Satanic. A widespread popular legend presents Peter the Great as Antichrist.

The hatred of the ‘West’ and of ‘Europe’ is the hatred for a Civilisation that had already reached an advanced state of decay into materialism and sought to impose its primacy by cultural subversion rather than by combat, with its City-based and money-based outlook, ‘poisoning the unborn culture in the womb of the land’. (Spengler, 1971, II, 194). Russia was still a land where there were no bourgeoisie and no true class system but only lord and peasant, a view confirmed by Berdyaev, writing: ‘The various lines of social demarcation did not exist in Russia; there were no pronounced classes. Russia was never an aristocratic country in the Western sense, and equally there was no bourgeoisie’. (Berdyaev, 1).

The cities that emerged threw up an intelligentsia, copying the intelligentsia of Late Westerndom, ‘bent on discovering problems and conflicts, and below, an uprooted peasantry, with all the metaphysical gloom, anxiety, and misery of their own Dostoyevski, perpetually homesick for the open land and bitterly hating the stony grey world into which the Antichrist had tempted them. Moscow had no proper soul’. (Spengler, 1971, II, 194). Berdyaev likewise states of the Petrinism of the upper class that ‘Russian history was a struggle between East and West within the Russian soul’. (Berdyaev, 15).

RUSSIAN THE KATECHON

Berdyaev states that while Petrinism introduced an epoch of cultural dynamism, it also placed a heavy burden upon Russia, and a disunity of spirit. (Ibid.). However, Russia has her own religious sense of Mission, which is as universal as the Vatican’s. Spengler quotes Dostoyevski as writing in 1878: ‘all men must become Russian, first and foremost Russian. If general humanity is the Russian ideal, then everyone must first of all become a Russian’. (Spengler, 1963, 63n). The Russian Messianic idea found a forceful expression in Dostoyevski’s The Possessed, where, in a conversation with Stavrogin, Shatov states:

fyodor-dostoevsky-the-possessed-by-fritz-eichenberg-01.jpgReduce God to the attribute of nationality?…On the contrary, I elevate the nation to God…The people is the body of God. Every nation is a nation only so long as it has its own particular God, excluding all other gods on earth without any possible reconciliation, so long as it believes that by its own God it will conquer and drive all other gods off the face of the earth. …The sole ‘God bearing’ nation is the Russian nation… (Dostoyevsky, 1992, Part II: I: 7, 265-266).

This is Russia as the Katechon, as the ‘nation’ whose world-historical mission is to resist the son of perdition, a literal Anti-Christ, according go the Revelation of St. John, or as the birthplace of a great Czar serving the traditional role of nexus between the terrestrial and the divine around which Russia is united in this mission. This mission as the Katechon defines Russia as something more than merely an ethno-nation-state, as Dostoyevsky expressed it. (Ibid.). Even the USSR, supposedly purged of all such notions, merely re-expressed them with Marxist rhetoric, which was no less apocalyptic and messianic, and which saw the ‘decadent West’ in terms analogous to elements of Islam regarding the USA as the ‘Great Satan’. It is not surprising that the pundits of secularised, liberal Western academia, politics and media could not understand, and indeed were outraged, when Solzhenitsyn seemed so ungrateful when in his Western exile he unequivocally condemned the liberalism and materialism of the a ‘decadent West’. A figure who was for so long held up as a martyr by Western liberalism transpired to be a traditional Russian and not someone who was willing to remake himself in the image of a Western liberal to for the sake of continued plaudits. He attacked the modern West’s conceptions of ‘rights’, ‘freedom’, ‘happiness’, ‘wealth’, the irresponsibility of the ‘free press’, ‘television stupor’, and referred to a ‘Western decline’ in courage. He emphasised that this was a spiritual matter:

But should I be asked, instead, whether I would propose the West, such as it is today, as a model to my country, I would frankly have to answer negatively. No, I could not recommend your society as an ideal for the transformation of ours. Through deep suffering, people in our own country have now achieved a spiritual development of such intensity that the Western system in its present state of spiritual exhaustion does not look attractive. Even those characteristics of your life which I have just enumerated are extremely saddening. (Solzhenitsyn, 1978).

These are all matters that have been addressed by Spengler, and by traditional Russians, whether calling themselves Czarists Orthodox Christians or even ‘Bolsheviks’ or followers of Putin.

Spengler’s thesis that Western Civilisation is in decay is analogous to the more mystical evaluations of the West by the Slavophils, both reaching similar conclusions. Solzhenitsyn was in that tradition, and Putin is influenced by it in his condemnation of Western liberalism. Putin recently pointed out the differences between the West and Russia as at root being ‘moral’ and religious:

Another serious challenge to Russia’s identity is linked to events taking place in the world. Here there are both foreign policy and moral aspects. We can see how many of the Euro-Atlantic countries are actually rejecting their roots, including the Christian values that constitute the basis of Western civilisation. They are denying moral principles and all traditional identities: national, cultural, religious and even sexual. (Putin, 2013).

Spengler saw Russia as outside of Europe, and even as ‘Asian’. He even saw a Western rebirth vis-à-vis opposition to Russia, which he regarded as leading the ‘coloured world’ against the whites, under the mantle of Bolshevism. Yet there were also other destinies that Spengler saw over the horizon, which had been predicted by Dostoyevski.

Once Russia had overthrown its alien intrusions, it could look with another perspective upon the world, and reconsider Europe not with hatred and vengeance but in kinship. Spengler wrote that while Tolstoi, the Petrinist, whose doctrine was the precursor of Bolshevism, was ‘the former Russia’, Dostoyevski was ‘the coming Russia’. Dostoyevski as the representative of the ‘coming Russia’ ‘does not know’ the hatred of Russia for the West. Dostoyevski and the old Russia are transcendent. ‘His passionate power of living is comprehensive enough to embrace all things Western as well’.  Spengler quotes Dostoyevski:

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‘I have two fatherlands, Russia and Europe’. Dostoyevski as the harbinger of a Russian high culture ‘has passed beyond both Petrinism and revolution, and from his future he looks back over them as from afar. His soul is apocalyptic, yearning, desperate, but of this future he is certain’. (Spengler, 1971, II, 194).

To the ‘Slavophil’, of which Dostoyevski was one, Europe is precious. The Slavophil appreciates the richness of European high culture while realising that Europe is in a state of decay. Berdyaev discussed what he regarded as an inconsistency in Dostoyevski and the Slavophils towards Europe, yet one that is comprehensible when we consider Spengler’s crucial differentiation between Culture and Civilisation:

Dostoyevsky calls himself a Slavophil. He thought, as did also a large number of thinkers on the theme of Russia and Europe, that he knew decay was setting in, but that a great past exists in her, and that she has made contributions of great value to the history of mankind. (Berdyaev, 70).

It is notable that while this differentiation between Kultur and Zivilisation is ascribed to a particularly German philosophical tradition, Berdyaev comments that it was present among the Russians ‘long before Spengler’, although deriving from German sources:

It is to be noted that long before Spengler, the Russians drew the distinction between ‘culture’ and ‘civilization’, that they attacked ‘civilization’ even when they remained supporters of ‘culture’. This distinction in actual fact, although expressed in a different phraseology, was to be found among the Slavophils. (Ibid.).

Dostoyevski was indifferent to the Late West, while Tolstoi was a product of it, the Russian Rousseau. Imbued with ideas from the Late West, the Marxists sought to replace one Petrine ruling class with another. Neither represented the soul of Russia. Spengler states: ‘The real Russian is the disciple of Dostoyevski, even though he might not have read Dostoyevski, or anyone else, nay, perhaps because he cannot read, he is himself Dostoyevski in substance’. The intelligentsia hates, the peasant does not. (Ibid.). He would eventually overthrow Bolshevism and any other form of Petrinism. Here we see Spengler unequivocally stating that the post-Western civilisation will be Russian.

For what this townless people yearns for is its own life-form, its own religion, its own history. Tolstoi’s Christianity was a misunderstanding. He spoke of Christ and he meant Marx. But to Dostoyevski’s Christianity, the next thousand years will belong. (Ibid.).

To the true Russia, as Dostoyevski stated it, ‘not a single nation has ever been founded on principles of science or reason’. (Dostoyevski, 1872, II: I: VII).

By the time Spengler had published The Hour of Decision in 1934 he was stating that Russia had overthrown Petrinism and the trappings of the Late West, and while he called the new orientation of Russia ‘Asian’, he said that it was ‘a new Idea, and an idea with a future too’. (Spengler, 1963, 60). To clarify, Russia looks towards the ‘East’, but while the Westerner assumes that ‘Asia’ and East are synonymous with Mongol, the etymology of the word ‘Asia’ comes from Greek Aσία, ca. 440 BC, referring to all regions east of Greece. (Ibid., 61). During his time Spengler saw in Russia that,

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Race, language, popular customs, religion, in their present form… all or any of them can and will be fundamentally transformed. What we see today then is simply the new kind of life which a vast land has conceived and will presently bring forth. It is not definable in words, nor is its bearer aware of it. Those who attempt to define, establish, lay down a program, are confusing life with a phrase, as does the ruling Bolshevism, which is not sufficiently conscious of its own West-European, Rationalistic and cosmopolitan origin. (Ibid.).

Of Russia in 1934 Spengler already saw that ‘of genuine Marxism there is very little except in names and programs’. He doubted that the Communist programme is ‘really still taken seriously’. He saw the possibility of the vestiges of PetrineBolshevism being overthrown, to be replaced by a ‘nationalistic’ Eastern type which would reach ‘gigantic proportions unchecked’. (Spengler, 1963, 63). Spengler also referred to Russia as the country ‘least troubled by Bolshevism’, (Ibid.,182) and the ‘Marxian face [was] only worn for the benefit of the outside world’. (Ibid., 212). A decade after Spengler’s death the direction of Russia under Stalin had pursued clearer definitions, and Petrine Bolshevism had been transformed in the way Spengler foresaw. (Brandenberger, 2002).

CONCLUSION

As in Spengler’s time, and centuries before, there continues to exist two tendencies in Russia : the Old Russian and the Petrine. Neither one nor the other spirit is presently dominant, although under Putin Old Russia struggles for resurgence. U.S. political circles see this Russia as a threat, and expend a great deal on promoting ‘regime change’ via the National Endowment for Democracy, and many others; these activities recently bringing reaction from the Putin government against such NGOs. (Telegraph, 2015).

Spengler in a published lecture to the Rheinish-Westphalian Business Convention in 1922 referred to the ‘ancient, instinctive, unclear, unconscious, and subliminal drive that is present in every Russian, no matter how thoroughly westernised his conscious life may be – a mystical yearning for the South, for Constantinople and Jerusalem, a genuine crusading spirit similar to the spirit our Gothic forebears had in their blood but which we can hardly appreciated today’. (Spengler, 1922).

Bolshevism destroyed one form of Petrinism with another form, clearing the way ‘for a new culture that will some day arise between Europe and East Asia. It is more a beginning than an end’. The peasantry ‘will some day become conscious of its own will, which points in a wholly different direction’. ‘The peasantry is the true Russian people of the future. It will not allow itself to be perverted or suffocated’. (Ibid.).

The arch-Conservative anti-Marxist, Spengler, in keeping with the German tradition of realpolitik, considered the possibility of a Russo-German alliance in his 1922 speech, the Treaty of Rapallo being a reflection of that tradition. ‘A new type of leader’ would be awakened in adversity, to ‘new crusades and legendary conquests’. The rest of the world, filled with religious yearning but falling on infertile ground, is ‘torn and tired enough to allow it suddenly to take on a new character under the proper circumstances’. Spengler suggested that ‘perhaps Bolshevism itself will change in this way under new leaders’. ‘But the silent, deeper Russia,’ would turn its attention towards the Near and East Asia, as a people of ‘great inland expanses’. (Ibid.).

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While Spengler postulated the organic cycles of a High Culture going through the life-phases of birth, youthful vigour, maturity, old age and death, it should be kept in mind that a life-cycle can be disrupted, aborted, murdered or struck by disease, at any time, and end without fulfilling itself. Each has its analogy in politics, and there are plenty of Russophobes eager to stunt Russia’s destiny with political, economic and cultural contagion. The Soviet bloc fell through inner and outer contagion.

Spengler foresaw new possibilities for Russia, yet to fulfil its historic mission, messianic and of world-scope, a traditional mission of which Putin seems conscious, or at least willing to play his part. The invigoration of Orthodoxy is part of this process, as is the leadership style of Putin, as distinct from a Yeltsin for example. Whatever Russia is called outwardly, whether, monarchical, Bolshevik or democratic, there is an inner – eternal – Russia that is unfolding, and whose embryonic character places her on an antithetical course to that of the USA.

REFERENCES

Nikolai Berdyaev, The Russian Idea, MacMillan Co., New York, 1948.

D Brandenberger, National Bolshevism: Stalinist culture and the Formation of Modern Russian National Identity 1931-1956. Harvard University Press, Massachusetts, 2002.

T A Chumachenko, Church and State in Soviet Russia, M. E. Sharpe Inc., New York, 2002.

H Cournos,‘Introduction’, N V Gogol, Taras Bulba & Other Tales, 1842, http://www.gutenberg.org/files/1197/1197-h/1197-h.htm

Fyodor Dostoevsky, The Brothers Karamazov, 1880

Dostoevsky, The Possessed, Oxford University Press, 1992.

V Putin, address to the Valdai Club, 19 September 2013.

Alexander Solzhenitsyn, A World Split Apart — Commencement Address Delivered At Harvard University, June 8, 1978

Oswald Spengler, Prussian and Socialism, 1919.

Spengler, ‘The Two Faces of Russia and Germany’s Eastern Problems’, Politische Schriften, Munich, 14 February, 1922.

Spengler, The Hour of Decision, Alfred A Knopf, New York, 1963.

Spengler, The Decline of The West, George Allen & Unwin, London, 1971.

TelegraphVladimir Putin signs new law against ‘undesirable NGOs’, May 24, 2015,

Leon Trotsky, The Revolution Betrayed: what is the Soviet Union and where is it going?, 1936.

lundi, 20 mars 2017

Le slavophilisme: un romantisme conservateur russe

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Le slavophilisme: un romantisme conservateur russe

Profondément influencé par l’idéalisme allemand, tout en s’enracinant dans l’histoire russe et la foi orthodoxe, le slavophilisme propose une solution originale et dialectique au dilemme romantique de la modernité. Par son rejet simultané du despotisme autoritaire et de l’individualisme capitaliste, cette utopie conservatrice serait riche d’enseignement pour une Russie aujourd’hui encore à la recherche d’une nouvelle voie.

Entre tradition et modernité, le XIXe siècle est pour la Russie un siècle de questionnements : la Russie est-elle un pays sans passé, excroissance orientale et arriérée de la civilisation européenne à laquelle elle doit s’assimiler pour enfin rentrer dans l’histoire, ou bien est-elle porteuse d’une civilisation propre, à mi-chemin entre Orient et Occident, qu’elle se doit de faire fleurir ?

C’est de ce questionnement que naît un mouvement effervescent et complexe, influencé par la modernité européenne, mais proclamant la richesse et la créativité du peuple russe. Les tableaux d’Ivanov, les symphonies de Glinka et les poèmes de Pouchkine, tous clament haut et fort la dignité de l’âme russe, porteuse d’un message à la fois universel et profondément enraciné. Le slavophilisme, qui s’épanouit de 1830 à 1860, est, de ce mouvement, la branche philosophique.

C’est par l’influence de l’idéalisme, mais surtout du romantisme allemand, lui-même naissant politiquement d’une opposition nationale et mystique à la France des Lumières, que les slavophiles construisirent leur rejet de l’Europe. Ainsi du même coup s’inspirent-ils d’un mouvement typiquement européen et rejettent-ils l’Occident. C’est donc à l’image du romantisme lui-même, « rejet moderne de la modernité » au « caractère fabuleusement contradictoire »1, que les slavophiles produisirent une idéologie originale : romantique, conservatrice, nationaliste, mais surtout profondément dialectique, mêlant désir de conservation et volonté d’émancipation du peuple et de l’individu.

La Russie comme solution à l’impasse moderne

Pour les slavophiles, le paradoxe entre inspiration occidentale et rejet de l’Occident n’est en réalité qu’apparent : le slavophilisme propose à chaque fois l’idée russe comme aboutissement de la recherche dialectique du romantisme occidental.

Ainsi, par exemple, à l’antinomie philosophique et épistémologique entre foi et raison, les slavophiles proposent une solution typiquement romantique d’union des contraires : ils reprennent et mènent à son aboutissement la critique, au nom de l’intuition intellectuelle et de la Révélation, du rationalisme hégélien par Schelling2. S’ils critiquent la raison instrumentale, lit de Procuste pour la psyché humaine, qui participe à l’éclatement moderne de la personnalité et qui ne peut appréhender substantiellement la réalité du monde, ils ne professent pas pour autant un mysticisme antirationaliste. Acceptant la raison instrumentale comme une des puissances de l’esprit, mais sans la considérer comme la plus grande, ils préconisent sa soumission à un ensemble surplombant. Mobilisant les Pères Grecs de l’Église (Maxime le Confesseur et Isaac le Syrien notamment), qui selon eux leur permettent de dépasser le rationalisme occidental dans lequel même Schelling reste empêtré, ils appellent à l’union de toutes les facultés humaines (analytiques, intuitives et sensitives) dans un « savoir intégral » sous l’égide unificatrice de la foi et de l’amour chrétien, véritable centre irradiant de la personnalité.

De manière analogue, ils proposent comme solution au dilemme fondamental du romantisme, entre individualisme et holisme, la commune paysanne russe. Rejetant l’Occident rationaliste tant dans son catholicisme despotique (« unité sans liberté ») que dans son protestantisme libéral et anomique (« liberté sans unité »), les slavophiles proposent comme solution à la problématique romantique l’orthodoxie russe, religion de liberté et communion fraternelle des hommes. Leur vision organiciste se veut éloignée du holisme catholique car ils souhaitent non pas l’étouffement, mais l’émancipation de la personne. Néanmoins, contrairement au capitalisme individualiste qui ne propose comme réalisation individuelle qu’un conformisme grégaire, ils imaginent la réalisation de la personnalité comme investissement de l’individu au service de la communauté. L’individu est pour eux une note de musique quand le collectif en est la symphonie. Atomisé, chaque individu est insignifiant, mais conjugués collectivement, tous s’élèvent harmonieusement, chaque note différente prenant une saveur plus riche et subtile de par son immersion dans l’ensemble symphonique.

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Ivan Kireievski

Cette recherche dialectique permet aux slavophiles d’être, malgré leur rejet de la modernité et de l’Europe, plus qu’un simple mouvement conservateur. Leur conservatisme, expression de la nostalgie utopique d’un âge perdu qu’il s’agit de retrouver dans le futur sous une forme nouvelle, est donc bien loin de ce que l’on entend souvent par ce terme, c’est-à-dire la défense de l’ordre social et des privilèges.

Tenant pour beaucoup d’une forme d’anarchisme chrétien, les slavophiles se font des critiques de l’État impérial bureaucratique qu’ils voient comme une puissance étrangère profondément déconnectée de la nation organique russe. Au mythe tsariste de la « Troisième Rome », ils préfèrent l’idéal des petites communautés paysannes autonomes. C’est aussi au nom du christianisme et de son principe d’égalité entre les hommes, qu’ils refusent l’analogie monarchique du berger (le roi) et du troupeau (les sujets), le seul berger pouvant n’être que Dieu lui-même. Mêlant orthodoxie et romantisme, c’est à un populisme chrétien qu’ils s’apparentent quand ils exigent l’abolition du servage pour libérer la nation du joug de la tyrannie et parlent de « souveraineté du peuple »3. Il ne faut pas se leurrer pour autant, leur anarchisme chrétien n’est en rien insurrectionnel, car méfiants vis-à-vis du politique et ayant en horreur la tabula rasa, ils pensent toute évolution comme devant être le produit organique de la société.

Messianisme russe : entre particularisme et universalisme

Profondément optimistes, les slavophiles pensent, à l’instar de Hegel, que chaque nation doit successivement jouer un rôle particulier dans l’avancée de l’humanité. Selon eux, c’est désormais au tour de la Russie, puissance jeune, fraîche, vigoureuse et organique, de donner l’impulsion qui permettrait l’accession de l’espèce humaine à un niveau de conscience supérieur. C’est d’ailleurs en cela que, parfois, ils ne rejettent pas unilatéralement la modernité européenne et qu’ils ne considèrent pas, à la différence de beaucoup de réactionnaires, que toute l’Europe est à rejeter. Au contraire, ils lui concèdent un certain rôle productif dans l’avancée de l’humanité, rôle qu’elle n’est plus en mesure d’accomplir et qu’elle doit donc de ce fait céder à un nouveau porteur de flambeau. En affirmant que la Russie peut représenter en elle-même l’humanité entière, en conférant à leur pays un rôle messianique, les slavophiles parviennent surtout à dépasser la contradiction entre l’universel et le particulier. Leur amour et leur combat pour la Russie devenant ainsi un combat pour l’ensemble du genre humain, leur nationalisme se transformant en humanisme universaliste.

Schelling.pngÀ la plainte de Schelling (ci-contre) contre une foi occidentale trop profondément infusée de rationalisme et faisant état de sa difficulté de créer une religion « pour soi-même » qui en soit épargnée, succède son appel à la Russie comme étant « destinée à quelque chose de grand ». Cette main tendue, les slavophiles la saisissent en se présentant comme ceux qui ont trouvé la solution au problème romantique : la Russie orthodoxe.

Néanmoins, force est de constater le caractère idéaliste de leur propos. La Russie, telle qu’elle existe au XIXe siècle, tient bien plus d’un despotisme classique que d’une solution au dilemme de la modernité et, bien souvent, les slavophiles eux-mêmes, peu exempts de contradictions, s’en rendent compte. Parfois, ils imputent les défauts de la Russie aux réformes modernisatrices de Pierre le Grand et, ce faisant, ils rejettent systématiquement l’Occident sous toutes ses formes et s’affirment comme essentiellement réactionnaires. D’autres fois, avec une disposition plus dialectique, ils estiment l’esprit de liberté de l’Europe capable de s’unir à la substance de l’orthodoxie russe, et promettent ainsi un nouvel âge d’or pour l’humanité.

En somme, tantôt la Russie est le remède unique au problème moderne exclusivement du fait de ses qualités organiques épargnées de l’influence nihiliste de l’Occident, tantôt elle en est la solution. Car en recueillant l’étincelle de liberté européenne, elle saura sortir de son archaïsme et de son particularisme médiéval pour devenir une synthèse universelle, à l’image du slavophilisme lui-même, qui ajoute à l’héritage multiséculaire de la philosophie slave et orthodoxe le meilleur du romantisme européen.

À cette hésitation devant la nécessité de rejeter ou non intégralement l’Europe, Dostoïevski, héritier du slavophilisme, tranche en faveur de la deuxième solution dans son célèbre Discours sur Pouchkine. Comme Pouchkine, qui sut s’inspirer de la littérature européenne tout en restant profondément russe, la Russie doit dépasser et sublimer la contribution de l’Europe à l’esprit humain, non pas la nier et la rejeter.

Notes

1Michael Löwy et Robert Sayre, Révolte et Mélancolie, Payot, 1992, p.7

2 Guy Planty-Bonjour, Hegel et la pensée philosophique en Russie, 1830-1917, Nijhoff, 1974, pp.122-125

3Alexandre RACU, « From Ecclesiology to Christian Populism. The Religious and Political Thought of Russian Slavophiles », South East European Journal of Political Science, Vol. II, n°1 & 2, 2014, p.39

Le slavophilisme: un romantisme conservateur russe

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Le slavophilisme: un romantisme conservateur russe

Profondément influencé par l’idéalisme allemand, tout en s’enracinant dans l’histoire russe et la foi orthodoxe, le slavophilisme propose une solution originale et dialectique au dilemme romantique de la modernité. Par son rejet simultané du despotisme autoritaire et de l’individualisme capitaliste, cette utopie conservatrice serait riche d’enseignement pour une Russie aujourd’hui encore à la recherche d’une nouvelle voie.

Entre tradition et modernité, le XIXe siècle est pour la Russie un siècle de questionnements : la Russie est-elle un pays sans passé, excroissance orientale et arriérée de la civilisation européenne à laquelle elle doit s’assimiler pour enfin rentrer dans l’histoire, ou bien est-elle porteuse d’une civilisation propre, à mi-chemin entre Orient et Occident, qu’elle se doit de faire fleurir ?

C’est de ce questionnement que naît un mouvement effervescent et complexe, influencé par la modernité européenne, mais proclamant la richesse et la créativité du peuple russe. Les tableaux d’Ivanov, les symphonies de Glinka et les poèmes de Pouchkine, tous clament haut et fort la dignité de l’âme russe, porteuse d’un message à la fois universel et profondément enraciné. Le slavophilisme, qui s’épanouit de 1830 à 1860, est, de ce mouvement, la branche philosophique.

C’est par l’influence de l’idéalisme, mais surtout du romantisme allemand, lui-même naissant politiquement d’une opposition nationale et mystique à la France des Lumières, que les slavophiles construisirent leur rejet de l’Europe. Ainsi du même coup s’inspirent-ils d’un mouvement typiquement européen et rejettent-ils l’Occident. C’est donc à l’image du romantisme lui-même, « rejet moderne de la modernité » au « caractère fabuleusement contradictoire »1, que les slavophiles produisirent une idéologie originale : romantique, conservatrice, nationaliste, mais surtout profondément dialectique, mêlant désir de conservation et volonté d’émancipation du peuple et de l’individu.

La Russie comme solution à l’impasse moderne

Pour les slavophiles, le paradoxe entre inspiration occidentale et rejet de l’Occident n’est en réalité qu’apparent : le slavophilisme propose à chaque fois l’idée russe comme aboutissement de la recherche dialectique du romantisme occidental.

Ainsi, par exemple, à l’antinomie philosophique et épistémologique entre foi et raison, les slavophiles proposent une solution typiquement romantique d’union des contraires : ils reprennent et mènent à son aboutissement la critique, au nom de l’intuition intellectuelle et de la Révélation, du rationalisme hégélien par Schelling2. S’ils critiquent la raison instrumentale, lit de Procuste pour la psyché humaine, qui participe à l’éclatement moderne de la personnalité et qui ne peut appréhender substantiellement la réalité du monde, ils ne professent pas pour autant un mysticisme antirationaliste. Acceptant la raison instrumentale comme une des puissances de l’esprit, mais sans la considérer comme la plus grande, ils préconisent sa soumission à un ensemble surplombant. Mobilisant les Pères Grecs de l’Église (Maxime le Confesseur et Isaac le Syrien notamment), qui selon eux leur permettent de dépasser le rationalisme occidental dans lequel même Schelling reste empêtré, ils appellent à l’union de toutes les facultés humaines (analytiques, intuitives et sensitives) dans un « savoir intégral » sous l’égide unificatrice de la foi et de l’amour chrétien, véritable centre irradiant de la personnalité.

De manière analogue, ils proposent comme solution au dilemme fondamental du romantisme, entre individualisme et holisme, la commune paysanne russe. Rejetant l’Occident rationaliste tant dans son catholicisme despotique (« unité sans liberté ») que dans son protestantisme libéral et anomique (« liberté sans unité »), les slavophiles proposent comme solution à la problématique romantique l’orthodoxie russe, religion de liberté et communion fraternelle des hommes. Leur vision organiciste se veut éloignée du holisme catholique car ils souhaitent non pas l’étouffement, mais l’émancipation de la personne. Néanmoins, contrairement au capitalisme individualiste qui ne propose comme réalisation individuelle qu’un conformisme grégaire, ils imaginent la réalisation de la personnalité comme investissement de l’individu au service de la communauté. L’individu est pour eux une note de musique quand le collectif en est la symphonie. Atomisé, chaque individu est insignifiant, mais conjugués collectivement, tous s’élèvent harmonieusement, chaque note différente prenant une saveur plus riche et subtile de par son immersion dans l’ensemble symphonique.

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Ivan Kireievski

Cette recherche dialectique permet aux slavophiles d’être, malgré leur rejet de la modernité et de l’Europe, plus qu’un simple mouvement conservateur. Leur conservatisme, expression de la nostalgie utopique d’un âge perdu qu’il s’agit de retrouver dans le futur sous une forme nouvelle, est donc bien loin de ce que l’on entend souvent par ce terme, c’est-à-dire la défense de l’ordre social et des privilèges.

Tenant pour beaucoup d’une forme d’anarchisme chrétien, les slavophiles se font des critiques de l’État impérial bureaucratique qu’ils voient comme une puissance étrangère profondément déconnectée de la nation organique russe. Au mythe tsariste de la « Troisième Rome », ils préfèrent l’idéal des petites communautés paysannes autonomes. C’est aussi au nom du christianisme et de son principe d’égalité entre les hommes, qu’ils refusent l’analogie monarchique du berger (le roi) et du troupeau (les sujets), le seul berger pouvant n’être que Dieu lui-même. Mêlant orthodoxie et romantisme, c’est à un populisme chrétien qu’ils s’apparentent quand ils exigent l’abolition du servage pour libérer la nation du joug de la tyrannie et parlent de « souveraineté du peuple »3. Il ne faut pas se leurrer pour autant, leur anarchisme chrétien n’est en rien insurrectionnel, car méfiants vis-à-vis du politique et ayant en horreur la tabula rasa, ils pensent toute évolution comme devant être le produit organique de la société.

Messianisme russe : entre particularisme et universalisme

Profondément optimistes, les slavophiles pensent, à l’instar de Hegel, que chaque nation doit successivement jouer un rôle particulier dans l’avancée de l’humanité. Selon eux, c’est désormais au tour de la Russie, puissance jeune, fraîche, vigoureuse et organique, de donner l’impulsion qui permettrait l’accession de l’espèce humaine à un niveau de conscience supérieur. C’est d’ailleurs en cela que, parfois, ils ne rejettent pas unilatéralement la modernité européenne et qu’ils ne considèrent pas, à la différence de beaucoup de réactionnaires, que toute l’Europe est à rejeter. Au contraire, ils lui concèdent un certain rôle productif dans l’avancée de l’humanité, rôle qu’elle n’est plus en mesure d’accomplir et qu’elle doit donc de ce fait céder à un nouveau porteur de flambeau. En affirmant que la Russie peut représenter en elle-même l’humanité entière, en conférant à leur pays un rôle messianique, les slavophiles parviennent surtout à dépasser la contradiction entre l’universel et le particulier. Leur amour et leur combat pour la Russie devenant ainsi un combat pour l’ensemble du genre humain, leur nationalisme se transformant en humanisme universaliste.

Schelling.pngÀ la plainte de Schelling (ci-contre) contre une foi occidentale trop profondément infusée de rationalisme et faisant état de sa difficulté de créer une religion « pour soi-même » qui en soit épargnée, succède son appel à la Russie comme étant « destinée à quelque chose de grand ». Cette main tendue, les slavophiles la saisissent en se présentant comme ceux qui ont trouvé la solution au problème romantique : la Russie orthodoxe.

Néanmoins, force est de constater le caractère idéaliste de leur propos. La Russie, telle qu’elle existe au XIXe siècle, tient bien plus d’un despotisme classique que d’une solution au dilemme de la modernité et, bien souvent, les slavophiles eux-mêmes, peu exempts de contradictions, s’en rendent compte. Parfois, ils imputent les défauts de la Russie aux réformes modernisatrices de Pierre le Grand et, ce faisant, ils rejettent systématiquement l’Occident sous toutes ses formes et s’affirment comme essentiellement réactionnaires. D’autres fois, avec une disposition plus dialectique, ils estiment l’esprit de liberté de l’Europe capable de s’unir à la substance de l’orthodoxie russe, et promettent ainsi un nouvel âge d’or pour l’humanité.

En somme, tantôt la Russie est le remède unique au problème moderne exclusivement du fait de ses qualités organiques épargnées de l’influence nihiliste de l’Occident, tantôt elle en est la solution. Car en recueillant l’étincelle de liberté européenne, elle saura sortir de son archaïsme et de son particularisme médiéval pour devenir une synthèse universelle, à l’image du slavophilisme lui-même, qui ajoute à l’héritage multiséculaire de la philosophie slave et orthodoxe le meilleur du romantisme européen.

À cette hésitation devant la nécessité de rejeter ou non intégralement l’Europe, Dostoïevski, héritier du slavophilisme, tranche en faveur de la deuxième solution dans son célèbre Discours sur Pouchkine. Comme Pouchkine, qui sut s’inspirer de la littérature européenne tout en restant profondément russe, la Russie doit dépasser et sublimer la contribution de l’Europe à l’esprit humain, non pas la nier et la rejeter.

Notes

1Michael Löwy et Robert Sayre, Révolte et Mélancolie, Payot, 1992, p.7

2 Guy Planty-Bonjour, Hegel et la pensée philosophique en Russie, 1830-1917, Nijhoff, 1974, pp.122-125

3Alexandre RACU, « From Ecclesiology to Christian Populism. The Religious and Political Thought of Russian Slavophiles », South East European Journal of Political Science, Vol. II, n°1 & 2, 2014, p.39