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samedi, 10 septembre 2016

Europe, mondialisation et «grands récits géopolitiques»

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Europe, mondialisation et «grands récits géopolitiques»

par J.C. Empereur

Ex: http://www.breizh-info.com

Haut fonctionnaire honoraire, co-fondateur de la Convention pour l’Indépendance de l’Europe, Jean-Claude Empereur a bien voulu autoriser Breizh-info à reprendre cet  article paru dans la dernière livraison de la Revue politique et parlementaire(avril-juin 2016),consacrée à » l’Europe dans la tourmente » . Une réflexion fondamentale sur l’avenir de l’Europe à l’heure de la mondialisation. 

Longtemps, pour les « Occidentaux », le concept de mondialisation fut associé à l’idée d’une hiérarchie des puissances.

Il semblait naturel que cette hiérarchie se maintienne pour des décennies. En témoigne cette idée que des Etats-continents tels que l’Inde ou la Chine ne pouvaient être que des suiveurs voire des supplétifs destinés à accompagner le développement économique et industriel de l’Occident. Leur destin ne pouvait être que « l’outsourcing » ou la « sous-traitance »  leur horizon se transformer, pour les uns en « bureau  du monde » et pour  les autres en « atelier du monde », en aucun cas de laboratoire ou de financier de la planète, ce qu’ils sont pourtant  en train de devenir.

Ces nouveaux arrivants dans l’économie mondiale ne pouvaient que se rallier docilement à cette vision apparemment rationnelle et rassurante de la mondialisation heureuse ou chacun allait pouvoir prendre sa place dans une sorte de logique chère aux théoriciens du management, celle de la chaîne de valeur globalisée  et  du « juste à temps ».

Les occidentaux étaient tombés sans s’en rendre compte dans le double piège de Ricardo et de Colin Clark, la théorie des avantages comparatifs établirait au plan mondial une sorte de principe de subsidiarité économique tandis que celle des trois secteurs, primaire, secondaire et tertiaire assurerait aux pays les plus développés la maitrise des domaines technologiquement les plus innovants , garantissant ainsi au monde une stabilité définitive et la « fin de l’histoire ».

Lisse comme une boule de billard, la sphère planétaire mondialisée et globalisée, sans cesse  polie à la double idéologie du doux commerce et des droits de l’homme, s’acheminerait sans heurts vers la paix et la prospérité.

DE LA MONDIALISATION HEUREUSE A LA MONDIALISATION RUGUEUSE

Cette vision irénique d’une mondialisation commandée par l’économie, unifiée et pacifiée par les seules forces du marché a cédé la place à celle plus agressive d’une compétition multipolaire exacerbée dans tous les domaines : économiques, technologiques, culturels et militaires entre Etats–continents animés par des visions géopolitiques qui projettent leurs ambitions bien au-delà de préoccupations purement économiques ou mercantiles.

C’est ainsi que depuis quelques années, sous l’impulsion des principaux acteurs mondiaux apparaissent, de « Grands récits géopolitiques » : Projet pour un Nouveau Siècle Américain et Grand marché Transatlantique, Route et Ceinture Maritime de la Soie, Union Eurasiatique, BRICS etc.

Plus que le concept de « fin de l’histoire », imprudemment forgé par Francis Fukuyama à la suite de la disparition de l’Union soviétique, c’est  le concept géologique de « tectonique des plaques » continentales et sa vision d’entrechoquements et de chevauchements telluriques qu’évoque la nouvelle géopolitique mondiale.

Ces « Grands récits » mobilisateurs, américains, chinois, russes, indiens, sont le résultat d’une volonté de projection dans les grands espaces et le temps long, en même temps que  d’une maîtrise accélérée de l’ensemble des technologies d’avant-garde, principal moteur de l’histoire.

Ces espaces géoéconomiques, innervés et structurés par des réseaux numériques, logistiques et financiers, sans cesse plus intégrés et ramifiés, défendus par des moyens militaires toujours plus puissants, façonnent un nouveau monde  que l’on pourrait qualifier d’ hyper-westphalien.

LE VISAGE NOUVEAU DE LA MONDIALISATION : LA CONFRONTATION DE GRANDS RECITS GEOPOLITIQUES

Le Grand récit géopolitique se caractérise par une double projection :

  • Dans le temps long
  • Sur les grands espaces

Il mobilise des masses importantes de population, parfois très diverses, dans une perspective conquérante ou défensive, l’unité de compte étant le plus souvent le milliard d’individus : jusqu’à 40 % de la population mondiale.

Il s’appuie sur une organisation multinationale ou sur un système d’alliances  entrelacées, souvent préexistantes, qui intègrent une dimension stratégique affichée: OTAN, Organisation de coopération de Shanghai, BRICS.

Il se dote d’institutions financières puissantes à fort potentiel de développement, parfois  destinées à faire pièce aux institutions existantes. Banque des BRICS, Asian Investment Infrastructure Bank.

Il projette de structurer son territoire par la mise en place d’infrastructures de transport  multimodales, ou de  communication de dimension planétaire voire spatiales.

Il fait jouer à plein la multiplicateur puissance démographique/capacité d’innovation technologique, ampleur territoriale/accès aux matières premières, profondeur stratégique/sécurité.

La finalité de ces Grands récits, est, soit dans le cas des Etats–Unis de maintenir leur hégémonie, soit pour l’ensemble des autres de contester celle-ci, voire, à terme, de la supplanter.

La conception de ces Grands récits est souvent le fruit d’un mélange de volonté gouvernementale, d’influence de lobbys  ou de forces politiques organisées mais aussi de think tanks plus ou moins indépendants et de médias influents.

La construction des Grands récits se fait par complémentarité économique, le plus souvent par contiguïté territoriale ou convergence d’intérêts géopolitiques et non par contrainte et conquête. Elle est beaucoup plus géoéconomique qu’idéologique.

Leur volonté mobilisatrice, tant de l’opinion que de la société civile, des milieux politico-médiatiques, industriels et bien entendu de défense est manifeste. Les masses qu’ils animent, les outils de transformation du monde auxquels ils font appel sont le moteur de cette géopolitique des « plaques continentales » qu’ils mettent délibérément en mouvement. (cf. interview de Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, RT 21/O2/2016).

La confrontation planétaire de ces Grands récits s’inscrit dans un monde hyper-westphalien qui n’est plus tout à fait celui de Metternich ou de Kissinger mais qui  doit néanmoins s’inspirer de leurs méthodes de résolution des conflits.

LA NOUVELLE GÉOPOLITIQUE DES GRANDS RÉCITS

Etats-Unis, Russie, Chine, Inde, Brésil, État islamique, etc.,  forgent leurs Grands récits à l’image de leur vision du monde, de leurs ambitions, de leurs craintes  mais aussi pour certains de leurs frustrations ou de leurs ressentiments.

Les Européens, dépourvus de toute vision géopolitique, semblent laisser à d’autres le soin d’écrire leur Grand récit. Pour combien de temps encore ?

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Etats-Unis. Du « Project for a New American Century » au « TAFTA » : l’hégémonie sans partage

Lorsque Madeleine Albright qualifia les Etats-Unis de « Nation indispensable » elle se référait explicitement au concept de « Manifest destiny » apparu dès 1845 sous la plume du journaliste  John O’Sullivan à l’occasion de l’annexion du Texas. C’est dans cette perspective que les néoconservateurs élaborèrent, sous la présidence de G. W. Bush, grâce à de puissants et très influents think tanks, le « Project for a New American Century » (PNAC),Grand récit très élaboré visant à la domination du monde, qui orienta  et, de fait, oriente  toujours la diplomatie américaine qu’elle soit républicaine ou démocrate.

L’administration Obama s’inspira, en effet, sans trop le dire, de cette conception dominatrice, reprenant à son compte le principe intangible et non négociable de « full spectrum dominance » emprunté au vocabulaire stratégique mais parfaitement adapté à la vision géopolitique américaine du monde telle qu’elle a été formulée depuis par John Halford Mackinder et Nicholas Spykman.

Le projet de Traité de Grand marché transatlantique (TAFTA)  négocié, dans la plus grande opacité par une Union Européenne en état de sidération géopolitique, n’a d’autre objet que d’étendre cette stratégie  de domination  à l’Europe en l’arraisonnant grâce à un système de normes techniques et juridiques irréversibles.

Chine. « La route et la ceinture maritime de la soie » : le recentrage de l’Empire du milieu

Ce projet lancé en 2014 par le président Xi Jinping, se concentre sur la connectivité et la coopération entre des pays principalement situés  en Eurasie et se compose de deux éléments principaux, l’un terrestre, la “CeintureEconomique de la Route de la Soie” et l’autre maritime, la “Route Maritime dela Soie”.Parmi les propositions phares de cette initiative soutenue par l’Organisation de Coopération de Shanghai on retrouve des projets d’infrastructures (dont une ligne de trains à grande vitesse reliant directement Pékin à Moscou, voire à Berlin) ainsi qu’une banque l’AIIB (Asian Infrastructure Investment Bank),qui s’annonce comme un concurrent direct de la Banque Mondiale sous leadership américain. Par son ampleur, ses multiples dimensions, le nombre de partenaires engagés, sa projection temporelle (le XXI ème siècle) la complémentarité qu’il affiche entre développement territorial et stratégie financière, le projet« One belt one road », qui concerne  près de 40% de la population mondiale,comporte tous les éléments d’un Grand récit géopolitique planétaire et séculaire.

Russie. L’Union économique eurasiatique : la déception européenne et la tentation asiatique

Créée  en 2014 puis élargie en 2015 cette union, assez proche dans sa conception de l’Union européenne regroupe autour de la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan et le Kirghizistan.

A terme son potentiel est important mais elle souffre actuellement de difficultés économiques ainsi que des problèmes politiques liés notamment au conflit en Ukraine. Il lui faut trouver aussi le moyen de se coordonner avec le projet précédent initié par la Chine, beaucoup plus ambitieux, qui pourrait  à terme le tenir en lisière.

Ce projet inspiré en partie des doctrines eurasistes en exprime aussi certaines  ambiguïtés géopolitiques.

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« LES BRICS » : le contre-endiguement

Cet acronyme inventé naguère, ironie de l’histoire, par un dirigeant de Goldman Sachs associe les noms de cinq pays : Brésil, Russie Indes, Chine, Afrique du Sud. Cet ensemble rassemble 40 % de la population du monde et près de 30% de son PIB.

A la différence des projets précédents il ne dispose pas de la continuité territoriale mais, comme eux, il met l’accent, néanmoins, sur la mise en place d’institutions financières indépendantes (banque des BRICS) et la création d’infrastructures  de télécommunication notamment (organisation d’une architecture Internet indépendante et sécurisée).

Destiné à s’élargir, le projet des BRICS constitue un  Grand récit atypique par ses origines, son évolution, ses territoires. Il est sans doute celui qui suscite la plus grande inquiétude aux Etats-Unis, notamment du fait de la présence du Brésil en son sein, ceci  en totale opposition avec la doctrine de Monroe, mais aussi  à cause des perspectives d’association de l’Iran  qui pourraient, à terme, être envisagées.

Il suffit de regarder une carte pour s’en convaincre, les BRICS obéissent à une logique de « contre-endiguement » par rapport aux stratégies américaines  de « containement » du bloc eurasiatique, « pivot géographique du monde » selon la formule de Mackinder.

L’État islamique : l’extension du domaine de la Charia

Il serait imprudent d’un point de vue géopolitique de ne considérer la stratégie de l’État islamique que du simple point de vue du terrorisme.

Cette dimension est, bien entendu, essentielle. Le terrorisme doit être combattu sans relâche avec tous les moyens dont dispose la communauté internationale, mais se limiter à cet aspect des choses et se refuser à voir dans le projet de retour du califat une forme de Grand récit serait une erreur majeure.

Ce Grand récit repose sur le salafisme djihadiste, il vise à la création d’un État totalitaire dans une perspective mondiale, utilisant, pour arriver à ses fins, tout le moyen de la guerre classique, révolutionnaire ou hybride. À ce titre, il jouera un rôle essentiel dans les affrontements géopolitiques du monde à venir.

UN GRAND RÉCIT EUROPÉEN EST-IL ENCORE POSSIBLE ?

Cette nouvelle vision du monde ne semble pas préoccuper les Européens  que l’aveuglement géopolitique, l’angélisme mondialisateur et le réductionnisme gestionnaire a condamné, depuis longtemps, à oublier qu’ils sont eux-mêmes issus d’une série de Grands récits, le dernier en date étant la réconciliation franco-allemande.

Les Européens  n’ont pas encore pris conscience du fait  qu’après avoir été les instigateurs des rivalités de puissance ils en sont devenus les enjeux.

Tous ces Grands récits, qu’on le veuille ou non,  sont tous fondés sur une expression de la souveraineté et sur une vision géopolitique du monde.  Or sur ces deux plans les Européens ont abandonné la partie.

Bien plus, animés par une  consternante phobie de la puissance et de la  souveraineté, ils ont, au fil de ces soixante dernières années, construit une machine à aspirer les souverainetés nationales, sans créer en contrepartie une  souveraineté européenne originale qui serait seule capable d’affronter les bouleversements géopolitiques actuels. Coup sur coup, les crises financières, migratoires, et fondamentalistes ont mis en évidence les faiblesses de ce système et provoqué un reflux sans précédents du sentiment européen.

Ce reflux se trouve encouragé par un discours purement gestionnaire dépourvu de souffle, coercitif et culpabilisant.

Une société à ce point  inconsciente de l’ordre de ses fins et de son destin ne tarde pas à devenir, une société d’indifférence et d’autodestruction.

Inverser le mouvement  suppose la conception d’un Grand récit européen. Sa mise en œuvre, attendue par des opinions en plein désarroi est devenue un impératif de survie. Quelles pourraient  en être les grandes lignes ?

Parmi beaucoup d’autres trois priorités se dégagent :

  • Maîtriser la relation euro-africaine
  • Eviter la séparation continentale de l’Europe et renouer avec le partenariat euro-russe
  • Se désarrimer d’un atlantisme  de soumission

Maîtriser la relation euro-africaine

Il s’agit d’une priorité absolue, commandée par les évolutions démographiques. Les derniers chiffres publiés par l’ONU parlent d’eux-mêmes : 2,4 milliards d’habitants en 2050 et 4,4 en 2100.

On ne pourra s’aveugler encore longtemps sur le fait que le face à face Europe/Afrique consiste à mettre en miroir  les populations parmi  les plus démunies du globe avec les plus riches, les plus fécondes avec les plus stériles, les plus jeunes avec les plus âgées, celles à l’espérance de vie la plus courte avec celles possédant l’espérance la  plus longue.

Fort heureusement l’Afrique s’engage dans une croissance très significative de son économie mais beaucoup reste à faire et  le co-développement Europe –Afrique est une impérieuse nécessité. De ce point de vue, le projet d’Union pour la Méditerranée magnifique programme, préfiguration d’un Grand récit euro-africain  constituait un modèle malheureusement engagé trop tardivement.

Il reste encore sans doute la clef d’une grande communauté euro-africaine dont les fondements restent comme pour tous les grands récits : les infrastructures de transport, l’énergie, le développement durable et bien entendu les financements.

Refuser la séparation continentale de l’Europe

Les géopolitologues Etats-Uniens tels que George Friedman ou Zbigniew Brzezinski prônent le maintien et la consolidation de la séparation entre ce qu’ils appellent l’Europe péninsulaire c’est-à-dire l’Europe occidentale augmentée des anciennes démocraties populaires et l’Europe continentale (Mainland).

La gestion du conflit ukrainien et les avancées de l’OTAN reflètent parfaitement cette tendance obsessionnelle de la diplomatie d’outre atlantique.

Les Européens ne doivent pas tomber dans ce piège .Il est temps de sortir de cette situation et de relancer le partenariat euro-russe dans une perspective d’équilibre entre le monde atlantique océanique et le monde eurasiatique continental et  de recherche de complémentarité et de profondeur stratégique en s’appuyant sur le lien tripartite Paris Berlin Moscou.

Se désarrimer d’un atlantisme de soumission

La crise économique et financière, d’origine anglo-saxonne, aux conséquences géopolitiques de plus en plus évidentes, dans laquelle est plongé le monde, aurait dû être, pour les Européens, l’occasion d’un sursaut d’indépendance et de solidarité et leur permettre une souveraineté qu’aucun des autres acteurs du monde multipolaire n’a jamais songé à abandonner.

C’est l’inverse qui s’est produit, la crise a accru la vassalisation de l’Union Européenne dans des proportions encore jamais connue auparavant.

Le développement d’une économie numérique globale, entièrement sous contrôle américain, la perte de contrôle de fleurons de certaines industries stratégiques notamment françaises, la réactivation de l’OTAN, et la préparation d’un traité de libre-échange ;antichambre d’une future intégration  politique euro-atlantique annoncent une perte définitive d’indépendance et l’impossibilité de définir un Grand  récit européen. Il est temps de se dégager d’un protectorat asservissant pour retrouver ce qui aurait dû rester un partenariat entre égaux.

En se projetant ainsi sur trois fronts : au sud, à l’est et à l’ouest, le Grand récit géopolitique européen fondé sur une quadruple volonté de solidarité, de puissance, d’indépendance et de souveraineté, mais dépourvu de toute volonté hégémonique devrait atteindre un double objectif :

  • Rendre au sentiment européen le souffle qui lui fait défaut depuis qu’une approche purement économique et constructiviste l’a étouffé.La logique des « petits pas » chère aux Pères fondateurs est impuissante face aux grands défis.
  • Restituer à l’Europe la centralité qui fut la sienne au cours des siècles, gage d’équilibre, dans un monde soit disant globalisé mais en réalité redevenu instable et dangereux.

Il faudra pour concevoir, faire accepter et  mettre en œuvre ce Grand récit : une opinion informée et motivée, des élites imaginatives et visionnaires, des dirigeants courageux et déterminés.

Le système européen aux allures d’empire bureaucratique est-il encore capable d’organiser cette triple mobilisation ?

Le temps nous est compté.

Jean-Claude Empereur

Kampfbegriff „offene Gesellschaft“

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Kampfbegriff „offene Gesellschaft“

von Carlos Wefers Verástegui

Ex: http://www.blauenarzisse.de

Der Begriff „offene Gesellschaft“ wird besonders oft gebraucht im Zusammenhang mit der Globalisierung, europäischen Integration, dem Multikulturalismus und der „Überwindung des Nationalstaats“.

Die ursprüngliche Bezeichnung „offene Gesellschaft“ rührt vom französischen Lebensphilosophen Henri Bergson (18591941) her. Bergson bezeichnete damit einen besonderen Gesellschaftstypus, der sich in der Seele hervorragender Menschen vorgebildet fände. Dieser Gesellschaftstypus geht, jenseits des natürlichen Rahmens von intimer Gruppensolidarität sowie eng auf die Abstammungsgruppe beschränkter Gemeinschaftsmoral – der Theologe Ernst Troeltsch sprach von „Binnenmoral“ – von einem einzigen, alle Menschen gleichermaßen befassenden Menschentum aus. Grundlage der „offenen Gesellschaft“ ist die Anerkennung des Menschen als eines Höchst– und Selbstwertes. Obwohl Bergsons Sympathie mit dieser Bestimmung eindeutig bei der „offenen Gesellschaft“ lag, erkannte er durchaus die Notwendigkeit und Berechtigung ursprünglicher, also „geschlossener“ Verbände und Gemeinwesen an.

Das liberale Ideologem der „offene Gesellschaft“

Erst Sir Karl Raimund Popper war es beschieden, Bergsons im Übrigen gut gebildete analytische Kategorie „offene Gesellschaft“ zum ideologischen Transportmittel für den Individualismus und Egoismus zu machen. „Offene Gesellschaft“ wurde, dank Popper, zum Freiheitsbekenntnis des (absoluten) Individuums, im Gegensatz zu Etatismus, Nationalismus, Protektionismus sowie jeder Art von „Kollektivismus“.

Seitdem gehört „offene Gesellschaft“ als Kampfbegriff zum Grundbestand pseudowissenschaftlicher, liberalistischer Propaganda. Diese war derart wirksam, dass sogar dieselben Liberalen, die eigentlich nur auf die Täuschung Unbedarfter aus waren, von ihrem eigenen Blendwerk geblendet worden sind. Der liberale deutsche Soziologe Ralf Dahrendorf z.B. war felsenfest davon überzeugt, dass Großbritannien von alters her eine „offene Gesellschaft“ gewesen sei. Das trifft im gleichen Sinne zu, in dem man vom alten Athen mit seiner rücksichtslosen Sklavenwirtschaft, seiner andere Gemeinwesen den Boden gleichmachenden Kriegsführung und seiner grausamst betriebenen Kolonialpolitik („Kleruchien“) sagen kann, es sei eine Demokratie gewesen.

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Keine Gesellschaft, kein Pluralismus

Kritischere Liberale haben die Unhaltbarkeit der geschichtlich realisierten „offenen Gesellschaft“ schließlich bald erkannt und versucht, in der „pluralistischen Gesellschaft“ einen Ausweg zu finden. Tatsächlich aber fällt die „pluralistische Gesellschaft“ in dem Land, was ihr zum Vorbild gedient hat, den USA nämlich, mit dem zusammen, was man hier landläufig „offene Gesellschaft“ nennt.

Dabei ist wichtig festzustellen, dass der namengebende Grundzug des „Pluralismus“, eben wirklich pluralistisch zu sein, nirgends dort zu Hause ist, wo einstmals der monarchische Absolutismus für Ruhe und Ordnung sorgte. Also in fast ganz Kontinentaleuropa. Und gerade der monarchische Absolutismus war es, der das charakteristische, moderne Spannungsfeld von Individuum und Staat erst hervorgebracht hat. Das war das Zerstörungswerk seiner alles zentralisierenden Bürokratien, allem voran seines vereinheitlichenden Rechtswesens nach der neuzeitlichen Wiederentdeckung des römischen Rechtes: Zuerst vereinnahmte oder zerstörte der Absolutismus seinen natürlichen Widerpart, die „soziale Souveränität“ (Vázquez de Mella), d.h. die sich in Ständen, Gilden, Zünften, Kirchen sowie Familienverbänden darstellende organisch gegliederte Gesellschaft.

Nach dieser Auflösung der sozialen Autorität befand sich der absolutistische Staat bereits im Übergang zum Klassenstaat, wie Marx ihn später geschildert hat. Die „liberalen“ Revolutionen des 19. Jahrhunderts setzten dann das fort, was bereits der monarchische Absolutismus des 17. und 18. Jahrhunderts begonnen hatte: die Zersetzung der Gesellschaft.

Soziale Souveränität

Inwieweit sich das auf den „Pluralismus“ auswirkt, veranschaulicht ein Aphorismus Nietzsches: „Kurz gesagt – ach, es wird lang genug noch verschwiegen werden! –: was von nun an nicht mehr gebaut wird, nicht mehr gebaut werden kann, das ist eine Gesellschaft im alten Verstande des Wortes: um diesen Bau zu bauen, fehlt alles, voran das Material. Wir alle sind kein Material mehr für eine Gesellschaft …“

In den Staaten des Alten Kontinents gibt es also keine soziale Souveränität mehr. „Soziale“ Interessenvertretungen sind einfach nur „soziale“ Parteien, deren Bestand genauso zu bedauern ist wie der der politischen Parteien. Und auch die verschiedenen „Körperschaften“, „Bünde“, „Verbände“, „Genossenschaften“ sind keine vollgültigen Nachfolger der sozialen Souveränität, sondern bloß für das mehr oder minder reibungslose Funktionieren des Lückenbüßers „Zivilgesellschaft“ gute Institutionen – allesamt von Gottvater Staats Gnaden.

Alexis de Tocqueville konnte dahingegen in den USA die den Pluralismus begründende „soziale Souveränität“ mit eigenen Augen, sozusagen „am Werk“ sehen. Die Universalität und Zukunftsfreudigkeit der jungen Nation war den Amerikanern dabei mit in die Wiege gelegt worden. In Europa gab und gibt es dazu nichts Vergleichbares. Wir haben eben Vergangenheit, Wurzeln und Sinn für Tradition.

Statt Erlösung Auflösung

Im Gegensatz zum „Kosmopolitismus“ sticht bei der „offenen Gesellschaft“ der individualistische Zug so nicht mehr ins Auge. Wir haben uns an den Terminus längst gewöhnt und machen uns kaum noch die Mühe, ihn zu durchdenken. Die „offene Gesellschaft“ ist deshalb das bevorzugte Mittel, den Leuten nichts weniger als die kosmopolitische Zersetzung ihrer Gemeinwesen schmackhaft zu machen. Dahinter steckt letztendlich eine Denkweise, die, wie Troeltsch ausführte, anfangs eine Erlösung von konfessionellem, staatlichem und unterrichtlichem Zwang versprach. Seit Popper gehört dazu auch die „Erlösung“ von der „geschlossenen Gesellschaft“, von Volk, Nation und aller durch Tradition und Autorität geprägten Gemeinwesen. Das jedoch ist dann keine Erlösung mehr, sondern eine Auflösung.

Augustin Cochin, l’historien oublié de la Révolution française

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Augustin Cochin, l’historien oublié de la Révolution française

Le 8 juillet dernier, 100 ans nous séparaient de la mort glorieuse d’Augustin Cochin, historien tué à l’ennemi sur le front de la Somme lors du sinistre été 1916. Mort dans la fleur de l’âge, à 40 ans, il est aujourd’hui méconnu malgré l’importance de ses études sur la Révolution française. François Furet le considérait pourtant avec Tocqueville comme un des penseurs majeurs de cette séquence historique.

Augustin_Cochin.JPGEn France, l’identité politique des historiens de la Révolution est toujours passée au crible et leurs conclusions soupçonnées d’être biaisées par un parti pris idéologique. La polémique récente, entre Michel Onfray et Jean-Clément Martin, nous l’a rappelé. Aucune autre période ne suscite de telles controverses. Sur cette séquence, chaque chercheur est contraint de répondre à cette question posée par Danton à Robespierre dans le fameux film de Wajda sur l’homme du 10 août : « Au nom de qui tu parles ? » Longtemps dominées par les historiens républicains puis par les communistes et certains de ses mandarins universitaires comme Albert Soboul, les études du monarchiste Augustin Cochin ont rapidement été enterrées ou mal comprises par une histoire académique méfiante, en raison de ses positions conservatrices et de sa défense du catholicisme. Il  était devenu le grand oublié de l’historiographie de la Révolution avant que François Furet n’ait déterré ses travaux une cinquantaine d’années après sa mort et ne lui ait rendu hommage dans un magistral essai : Penser la Révolution.

Un historien conservateur

C’est en 1876 qu’Augustin Cochin voit le jour au sein d’une famille d’orléanistes catholiques. De son milieu, il gardera un fort attachement à cette filiation spirituelle et intellectuelle. Son père est un homme politique monarchiste rallié à la République, inscrit dans une tradition conservatrice. Son grand père fut, quant à lui, un disciple réputé de Le Play, précurseur de la sociologie française ; une discipline qui deviendra une des spécificités des travaux historiques avant-gardistes de son petit-fils. Après l’obtention d’une licence de lettres doublée d’une licence d’histoire, Augustin Cochin entre à l’École des chartes et entame peu après des recherches sur la Révolution. C’est à ce moment-là qu’il se rapproche de l’Action française sans jamais toutefois l’intégrer car il est  opposé au mouvement monarchiste sur les questions religieuses. De plus,  il est fermement hostile au positivisme maurrassien. Cependant, Charles Maurras aura toujours pour lui une sincère admiration. Les deux hommes partagent en effet les mêmes adversaires : la franc-maçonnerie, la démocratie et la République.

Pourtant, on aurait tort de s’arrêter là et de considérer que ce parti pris décrédibilise une œuvre que certains ont trop rapidement rangé dans la lignée des écrits de l’abbé Barruel. Son travail s’en distingue résolument, même si la franc-maçonnerie se trouve au cœur de l’œuvre des deux hommes. Cependant, pour Cochin, la thèse d’un complot franc-maçon, ourdi secrètement dans le mystère des loges  afin de renverser le trône et l’autel, s’oppose à sa conception de l’Histoire. Selon lui, les hommes sont exclusivement les produits de phénomènes historiques. Il s’oppose à la théorie « complotiste » soutenue par l’auteur des Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme. Il écrira ainsi qu’elle est « une forme naïve dont la conspiration de mélodrame va de Voltaire à Babeuf ». Ses conclusions vont également à l’encontre des  interprétations psychologisantes de la plupart des historiens du XIXe siècle comme Taine ou Aulard pour lesquels la volonté des acteurs est le moteur de l’histoire. Comme l’écrit François Furet dans Penser la Révolution française : « Brissot, Danton, Robespierre sont moins leaders jacobins que produits jacobins. […] Les tireurs de ficelles ne sont que des rouages, et les manipulateurs, des manipulés, prisonniers de la logique de système. »

Inspiré par la toute récente sociologie durkheimienne et par Lévy-Bruhl, Cochin opère une révolution méthodologique. Il décide de s’intéresser aux fonds d’archives provinciaux alors inexploités, au contraire des archives parisiennes qui monopolisent la recherche historique. À travers cette approche qui met l’accent sur le phénomène social, il souligne le rôle d’une sociabilité démocratique nouvelle qui s’étend sur le pays dans les années précédant la Révolution et modifie les rapports entre le pouvoir et les Français. Cette sociabilité est basée sur  ce qu’il nomme « les sociétés de pensée »  (cafés, salons, clubs, chambres de lectures, loges…) au sein desquelles la franc-maçonnerie forme l’organisation la plus aboutie. Ces groupes  incarnent une machine motrice qui amène à une accélération de l’Histoire et à la rupture révolutionnaire.  Ces sociétés – puissantes machines de création d’opinion – créent, selon lui,  une opinion artificielle. Elles forment  « une petite cité philosophique » qui impose alors ses vues à « la grande cité », c’est-à-dire au pays tout entier. Cette nouvelle sociabilité, qui s’installe en France, se base non plus sur une appartenance sociale, comme sous l’Ancien Régime, mais  sur l’adhésion à des idées communes et forme la matrice du jacobinisme qui étendra sa domination sur la France à partir de 1792.

La libre pensée

cochin1.jpgCes idées communes incarnent ce qu’il nomme « la libre pensée ». Cochin dénonce la logique nihiliste de cette esprit né des idéaux philosophiques des Lumières qui  tend à déraciner les hommes en les coupant de leurs attaches traditionnelles. Elle s’attaque violemment à l’ordre ancien sans lui proposer d’alternative. Cette philosophie fondée sur un idéal d’égalité entre les individus représente pour lui une abstraction dangereuse. Quand l’ancienne société était organique, composée d’ordres et d’états, la nouvelle société jacobine, dont on voit l’avènement sous la Révolution, est caractérisée par « l’anomie ». Le peuple devient un composé « d’atomes politiques » désorganisé et affaibli. L’historien Gérard Grunberg explique : « Pour Cochin, la Révolution est davantage l’avènement d’un nouveau type de socialisation qu’une bataille sociale ou un transfert de propriété. Elle est discours plus qu’action. » Ce phénomène se concrétise en 1789, mais il est, pour Cochin, l’aboutissement d’un travail de sape amorcé autour des années 1750.  « Avant la Terreur sanglante de 93, il y eut, de 1765 à 1780, dans la république des lettres, une terreur sèche, dont l’Encyclopédie fut le comité de salut public, et d’Alembert le Robespierre. » L’enjeu de ses recherches est ainsi de montrer la passerelle entre ce pouvoir intellectuel et le pouvoir politique.

L’étude des archives provinciales lui permet de centrer son travail sur la représentation réelle du peuple pendant la période révolutionnaire, et plus précisément sur les élections des États généraux en 1788 et 1789 et sur le gouvernement révolutionnaire de 1793 et 1794. Lors de son étude sur la rédaction des cahiers de doléance bourguignons, ses conclusions l’amènent à  percevoir l’influence décisive d’une minorité agissante sur une majorité grégaire par le biais de manipulations électorales. En Bretagne également, la bourgeoisie impose des modèles à suivre de cahiers de doléance aux paroisses paysannes qui ne font qu’en reproduire fidèlement les revendications. Cochin nie ainsi toute légitimité représentative aux institutions révolutionnaires prétendues démocratiques. Il conteste même le patriotisme de ses membres pourtant proclamé à longueur de discours.

Il évoque ainsi à leur propos ce qu’il nomme le « patriotisme humanitaire ». L’esprit jacobin qui en est issu rase les anciens corps constitués de la France d’Ancien Régime et détruit les petites patries au profit de la grande afin d’unifier la nation. Le jacobinisme souhaite créer un homme nouveau,  un même citoyen français de Dunkerque à Toulon au nom d’une égalité utopique, que l’on peut analyser avec le recul comme une forme précoce de totalitarisme. Pour Cochin, « il s’agit bien plus de tuer les petites patries que de faire vivre la grande ; la grande ne gagne rien à ces ruines au contraire… »  Et d’ajouter : «  Si leur patriotisme s’est arrêté en chemin, fixé pour un temps à l’unité française, c’est pour des raisons fortuites : parce que les provinces françaises ont cédé – que les nations étrangères résistent – à l’unité jacobine. S’il a défendu les frontières françaises, c’est qu’elles se trouvaient être alors celles de la révolution humanitaire… » Ce « patriotisme humanitaire » s’oppose aux intérêts français en voulant étendre cette conception d’un homme nouveau, né des principes révolutionnaires, à l’ensemble de l’humanité au nom d’une utopique patrie universelle.

En centrant son étude sur ces « sociétés de pensée », Cochin met en lumière à la fois le pouvoir des idées dans le processus révolutionnaire et la dynamique historique de cette période qui conduit à  la Terreur et aux exécutions politiques successives des girondins, dantonistes ou hébertistes. Ce phénomène d’exclusions politiques se retrouvera tout au long des deux derniers siècles, même si le couperet de la guillotine n’en sera plus alors la sinistre conclusion. Par ses recherches, Augustin Cochin a su ainsi nous livrer un éclairage sur la naissance de la démocratie moderne.

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Le burkini et la statuaire européenne

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Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Paul-Georges Sansonetti, cueilli sur Nice Provence Info et consacré à la question du burkini sous l'angle civilisationnel.

Spécialiste de littérature et de mythologie, Paul-Georges Sansonetti a été chargé de conférences à l’école pratique des Hautes-Etudes. Il est notamment l'auteur de Chevaliers et dragons (Porte Glaive, 1995).

Le burkini et la statuaire européenne

par Paul-Georges Sansonetti

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

L’affaire du burkini est symptomatique du choc de civilisations que nous vivons, même si cette confrontation se voit quotidiennement niée par ceux-là mêmes qui, sociologues, politiques ou agents des médias sont en première ligne pour en percevoir toute l’acuité. Comme on le sait, le burkini – vêtement de bain d’invention récente – recouvre entièrement le corps de la baigneuse musulmane, des talons jusqu’au sommet de la tête. Seuls, les pieds, les mains et le visage entrent en contact direct avec l’eau. Il s’agit de protéger le corps de la femme et, donc, sa pudeur, contre des regards supposés concupiscents ou relevant d’un voyeurisme banal sinon instinctif. C’est vrai qu’ainsi enveloppée celle qui s’avance dans la mer ne risquerait pas de provoquer un accès de lubricité chez le célébrissime loup de Tex Avery.

Si entrer dans l’eau tout habillé s’impose en tant qu’exigence incontournable d’une religion, qu’il en soit ainsi mais sa pratique ne saurait s’inscrire, surtout à des fins prosélytes (comme cela a été dit), dans les piscines publiques ou les plages. Cacher son corps au contact de l’eau énonce un fait capital : c’est une façon d’interpréter le vivant qui, indéniablement, n’a rien à voir avec l’héritage esthétique et spirituel issu de la Grèce ancienne, de Rome mais aussi de la Gaule et d’autres peuples indo-européens. En effet, la nudité, loin d’avilir l’individu à partir du moment où on lui confère une signification symbolique, nous allons y revenir, transcrit une notion d’hommage à la Création conçue par le vouloir divin. Avant d’aller plus loin, rappelons que, dans le contexte civilisationnel arabe, la représentation du corps humain n’est pas souhaitée et même déconseillée.

Il est dit qu’Allah est un musavir, autrement dit un « créateur », terme qui désigne aussi un « peintre ». D’où la crainte d’imiter Dieu en représentant un visage ou une silhouette humaine. On sait que Mahomet lui-même a détruit des idoles à la Mecque mais aurait épargné une figure de la Vierge à l’enfant. Toujours est-il que l’image ou la contemplation du corps d’une personne ne doit pas devenir un sujet d’admiration et de louanges. En un mot, on ne peut exalter ce qui est beau car ce serait faire passer cet objet avant le Créateur et, de la sorte, perçu comme blasphématoire. Pour user d’un terme à la mode dans le monde journalistique, là se trouve un clivage méritant le qualificatif d’irréductible. L’Islam écarte donc la représentation corporelle de son espace sociétal alors que, tout au contraire, l’Européen en multiplie les représentations. De par l’héritage grec, l’image d’un corps dénudé ne répond pas à on ne sait quel érotisme exhibitionniste mais à la volonté de valoriser la beauté que présente – du moins sous sa spécificité de souche européenne – l’espèce humaine. Et pourquoi rejeter la beauté inscrite dans le vivant ?

venus2.jpgD’autant plus que le corps humain est construit selon les proportions du fameux « nombre d’or » présent partout dans la nature, à croire que la Création procède d’une intelligence faisant se conjoindre mathématiques et harmonie(1).

Tout l’art grec résulte de ce principe, qu’il s’agisse d’une statue ou d’un temple.

Cette passion de la perfection qui, dans le contexte de la sacralité grecque, s’impose comme une référence au principe apollinien, poussera les sculpteurs du siècle de Périclès et, plus tard, leurs continuateurs à conférer aux visages sculptés un angle facial de 90° que ne possèdent que rarement, pour ne pas dire jamais, le représentants de notre humanité (en Europe, l’angle facial le plus rapproché avoisine 88°). Selon le Grand Larousse (édition de 1930, précisons-le), il s’agissait, par cet angle de 90°, de transcrire morphologiquement, je cite, « la majesté, l’intelligence et la beauté »(2).

Lors de la Renaissance, les artistes s’inspirèrent prioritairement de la statuaire grecque. Ainsi, l’une des plus célèbres statues de cette période, le David de Michel Ange, est un exemple de physique parfait tandis que son profil est construit à partir de l’angle de 90°.

Plus proches de nous et pour rester dans l’actualité aquatique, on pourrait mentionner de nombreuses représentations de naïades. N’en choisissons que deux. L’éblouissante « Danaïde » d’Auguste Rodin (1840-1917) (illustration à la une) et celle d’un remarquable artiste genevois, James Pradier (1790-1852), occasion de rappeler son souvenir. Sa superbe baigneuse est, en elle-même, un hymne à la féminité (voir ci-contre).

Au passage signalons que, durant notre Moyen Âge européen, le christianisme a conservé précieusement le projet grec selon lequel toute beauté procède du divin. Parfaite illustration de cela, la représentation du Christ au portail de la cathédrale d’Amiens. En découvrant sa physionomie, on comprend pourquoi il fut désigné comme « le Beau Dieu ».

Pour nous résumer disons que les peuples (indo-)européens ont toujours fait en sorte que la recherche passionnelle du beau et sa réalisation soient parties prenantes de leur environnement et reçoivent le statut d’intermédiaire entre l’humain et le divin(3). Or cette perception du beau passe par la physiologie ; et ce, d’autant plus que la maîtrise d’un territoire et la défense qu’il nécessite ne peuvent s’accomplir durant tant de générations – s’accumulant sur des millénaires – sans une somme d’efforts modelant le corps. L’individu qui, de façon continue, se confronte musculairement à la matière, finit par acquérir une plastique impeccable. Il devient ainsi lui-même une œuvre d’art… inépuisable sujet d’inspiration pour le sculpteur ou le peintre.

Briana-Dejesus-Topless-6.jpgL’homme et, bien entendu, la femme sont omniprésents dans l’ornementation du cadre de vie des Européens. Du reste, les musées mais aussi les lieux publics en témoignent abondamment. Avant que l’art contemporain, sous l’effet d’une pathologie équivalente au « Grand Remplacement », se mette à rejeter l’harmonie corporelle, l’être occidental a multiplié les chefs d’œuvres magnifiant, sous le triple signe de la force, de l’élégance et de la grâce, l’ensemble anatomique nous constituant.

De telles réalisations ne pouvaient évidemment éclore en terre d’Islam. Il ne s’agit pas, on l’aura compris, de porter une critique envers ce courant de civilisation mais de constater qu’existent des perceptions totalement différentes du monde et qu’il faut renoncer au plus vite à tenter de faire cohabiter et même, comme le souhaitent certains humanistes « hors sol », à pousser à la fusion, des sociétés aussi antinomiques(4). Pareil projet relève de l’utopie ou d’une irresponsabilité frôlant la maladie mentale(5). Ces jours-ci, on parle beaucoup, du côté de Bordeaux, d’« identité heureuse ». Mais les identités ne seront « heureuses » et se respecteront mutuellement – ce que nous souhaitons tous ! – que lorsque chaque peuple pourra retrouver ou, plus exactement, aura spirituellement reconquis, l’homogénéité de son ethno-culture.

Paul-Georges Sansonetti (Nice Provence Info, 30 août 2016)

Notes

(1) On pourra se référer à ce propos à notre éditorial intitulé « L’appartenance, la forme et le centre » du 26 novembre 2014.
(2) Article précisément intitulé « angle facial ». Dans l’édition du Petit Larousse de 1988 on pouvait encore lire (p. 401, au mot « facial », cette fois) que cet angle « est plus ou moins ouvert selon les groupes humains ». Mais plus rien (ni à « angle », ni à « facial ») dans l’édition de 2003.
(3) Outre le monde indo-européen, signalons que dans l’ésotérisme hébraïque, le mot Tiphéreth, signifiant « Beauté », prend place au cœur d’une structure médiatrice entre le domaine (limité par la matière et le temps) de l’humain et celui, infini, du divin.
(4) Le nouveau maire musulman de Londres, Sadiq Khan, s’est empressé de tenter de faire interdire dans le métro de la capitale les affiches représentant des femmes au corps « irréalistes » selon lui. En fait toute représentation de la femme. Bizarrement la classe politique bien pensante au complet qui avait applaudi l’élection de ce maire musulman, s’est tue lors de cette décision.
(5) Jugement déjà formulé dans notre article « Les bachi-bouzouks et Toutatis » du 7 août 2016.