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mercredi, 19 décembre 2007

El progresismo y su falta de proyecto

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El progresismo y su falta de proyecto

Alberto Buela (*)

Al menos en Nuestra América la oleada de gobiernos neoliberales de los años 90 fue seguida por una serie de gobiernos progresistas de corte socialdemócratas  quienes son los que hoy nos gobiernan.  Y la crítica teórica más escuchada hacia estos gobiernos es que “carecen de proyecto político”. Así, Kirchner gobernó durante cuatro años Argentina sin esbozar o siquiera enunciar cuales eran las tres o cuatro ideas fuerza de su proyecto político. Pasa lo mismo con Vázquez, Bachelet, Lula y tantos otros.[1] Todos gobiernan sobre las circunstancias. Son gobiernos que no resuelven los conflictos sino que más bien los administran.

Y esa crítica a la falta o carencia de proyecto político es lo que pretendemos explicar en esta breve meditación.

Razones filosóficas

El hombre y la mujer progresista, en general, se sitúa siempre en el éxtasis temporal del futuro, ni el presente, ni mucho menos el pasado tiene para él significación alguna, y si la tuviera siempre está en función del futuro. No le interesa el ethos de la Nación histórica, incluso va contra este carácter histórico-cultural. Y esto es así, porque el progresista es su propio proyecto. El se instala siempre en el futuro pues ha adoptado la vanguardia como método. Nadie ni nada puede haber delante de él, de lo contrario dejaría de ser progresista. Así se explica que el progresista no se pueda dar un proyecto de país ni de nación porque éste se ubicaría delante de él, lo cual implica y le crea una contradicción.

Y así como nadie puede dar lo que no tiene, el progresista no puede darse ni darnos un proyecto político porque él mismo es su proyecto político.

Razones políticas

En las época del Estado de Bienestar, allá por la segunda mitad del siglo XX, los proyecto políticos expresados en los planes trienales o quinquenales eran moneda corriente de la política de antaño. Por el contrario, los proyectos han desaparecido de la política hodierna.

Es que en aquella época todavía existía la posibilidad de una política soberana, autónoma respecto de los poderes indirectos, cosa que hoy se presenta  como imposible de ahí que se explique que nuestros gobiernos progresistas se transforman en convalidadores de decisiones ajenas. Y por este hecho político, trágico para nuestros pueblos de América, es que nuestros progresistas no se dan políticamente un proyecto de nación, pues tendrían que enfrentar intereses contrapuestos como son los del imperialismo y la multinacionales de la industria, el comercio y la banca. Y eso es imposible porque ellos parten del no conflicto, de la negación de la conflictividad del ser humano y sobre todo de la política como actividad agónica (de lucha). Así, al dejar de lado el carácter agónico de la política los gobiernos progresistas desprecian la política exterior (la única y verdadera política). Su gran mecanismo, entonces,  es el del consenso entendido como “mito político al servicio de las oligarquías que se presentan como representantes de la sociedad” [2]. Y cuando se habla de las oligarquías lo son tanto las partidarias (las que integran los partidos políticos), las empresariales, las sindicales, las financieras, de las colectividades, las culturales, etc.

Hace ya muchos años que lo venimos afirmando una y otra vez: “sólo el disenso puede en nuestras sociedades dependientes crear teoría crítica, pues al proponer el disenso como método proponemos buscar “otro sentido”, un sentido diferente portan las cosas y las acciones de los hombres sobre ellas”[3] 

Para los partidarios del consenso, los progresistas en general,  la opinión pública es la opinión publicada mientas que para los sostenedores del disenso, éste debe funcionar como ruptura con la opinión publicada, para ir a la recuperación de la genuina opinión pública.

Quede pues como conclusión de este breve artículo, que la carencia de proyecto político en los gobiernos progresistas se debe a una incapacidad de la propia índole del progresismo mismo. En una palabra, su falta de proyecto político es su proyecto, siempre dependiente, nunca liberador.

(*) CeeS- Fed. del Papel - alberto.buela@gmail.com 

Casilla 3198 - (1000) Buenos Aires


[1] Se aplica también a gobiernos europeos del tipo de Zapatero en España, Merkel en Alemania o Prodi en Italia.

[2] Negro Pavón, Dalmacio: Desmitificación del consenso político, en Razón Española N° 145, Madrid, sep-oct 2007, p.152

[3] Buela, Alberto: Teoría del disenso, Ed. Cultura et Labor, Buenos Aires, 2004, p. 10

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mardi, 18 décembre 2007

1932: Mussolini inaugure Littoria

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18 décembre 1932 : Mussolini inaugure Littoria

Mussolini inaugure une ville entièrement nouvelle, baptisée Littoria, dans le Latium à l’emplacement des fameux « marais pontins », enfin asséchés après avoir répandu pendant des siècles le paludisme dans la région située entre Rome et la Méditerranée. Asséchée par les travaux dirigés par le grand ingénieur italien Arrigo Serpieri, la région des anciens marais pontins, dont la surface est de 60.000 hectares, sera divisée en 3000 exploitations pour des familles pauvres, généralement issues du Mezzogiorno. L’assèchement des marais pontins fait partie d’un vaste projet italien et fasciste à l’époque, dénommé « Bonification Intégrale ». Il visait à récupérer dans la péninsule italique quelque 5.700.000 hectares de terres arables pour en faire bénéficier au total 78.000 familles qui, de ce fait, n’auraient plus été contraintes d’émigrer vers l’Argentine ou les Etats-Unis. L’Italie gardait ainsi ses forces vives.

Retenons aussi que les marais pontins avaient été le tombeau de 6000 Lorrains expulsés de leur patrie au 18ième siècle après l’annexion de ce duché impérial à la France, qui avait installé le fantoche Stanislas à Nancy, où il a construit une place, certes fort belle, qui porte encore son nom. Mais cette place, tant vantée, tant mise en exergue, est le cadeau pervers et artificieux, destiné à masquer l’horreur quotidienne qui s’est abattue sur les Lorrains. Revers de la médaille : les paysans lorrains sont écrasés d’impôts, contraints de vendre leurs exploitations à des paysans venus de Champagne et d’Ile-de-France qui sont, eux, exemptés de toutes taxes. C’est une forme d’épuration ethnique avant la lettre. Le Pape de l’époque avait accueilli les réfugiés lorrains dans les marais pontins, où la malaria les avait décimés. D’autres Lorrains partiront vers le Banat serbe et roumain, où ils garniront la frontière contre les Ottomans. On parlera le roman de Lorraine dans ces régions balkaniques jusqu’en 1945, où, assimilés aux Allemands, les Lorrains seront massacrés et les survivants chassés. Robert Schumann les autorisera à revenir en Lorraine.

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Panturquisme et pantouranisme

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Sur le panturquisme et le pantouranisme

Entretien avec le Prof. Dr. Dr. Heinrich Paul Koch (Université de Vienne, Autriche)

Le Prof. Heinrich Paul Koch, détenteur de deux doctorats, s’est surtout rendu célèbre en Autriche et dans l’espace linguistique germanique grâce à sa thèse sur « les légendes du déluge dans le monde ouralo-altaïque » (1997). Il est un spécialiste des études historiques, préhistoriques et proto-historiques, de philologie finno-ougrienne et d’ethnologie. Jusqu’en 1996, le Prof. Koch, né en 1931 à Pressburg (Bratislava), avait enseigné la chimie pharmaceutique à l’Université de Vienne et la biopharmacie à l’Université de Cincinnati en Ohio aux Etats-Unis. Outre des centaines d’articles et d’essais, le Prof. Koch est l’auteur de huit livres.

Le panturquisme, que l’on appelle parfois aussi le pantouranisme, vise l’unité de tous les peuples turcs, leur rassemblement au sein d’un seul Etat. Dès 1839, se constitue en Turquie une « Société Touranienne » qui se fixe comme objectif de fonder un « Empire du Touran ». En 1915, les Jeunes Turcs, qui dirigent le gouvernement de l’Empire ottoman, déclarent que leur objectif de guerre est l’unité de tous les peuples turcs. Aujourd’hui encore, la Turquie revendique pour elle-même le rôle de diriger l’ensemble des peuples turcs, qui comptent quelque 250 millions d’âmes, sur des territoires qui s’étendent jusqu’aux confins de la Chine et jusqu’aux coins les plus reculés de la Sibérie. Le Prof. Dr. Dr. Heinrich P. Koch s’est intéressé très vivement à l’histoire de l’idéologie touranienne et, plus particulièrement, aux adeptes hongrois de cette idéologie. Car on oublie qu’en Hongrie aussi, en 1918, s’est constituée une « Société Touranienne », qui se fixait pour objectif de réunir tous les « Touraniens ». L’entretien que nous donne le Prof. Koch vise à nous éclairer sur les tenants et aboutissants de cette idéologie.

L’idée touranienne

Q. : Prof. Koch, quels sont les fondements du touranisme ?

HPK : Par touranisme l’on entend, la plupart du temps, le mouvement panturquiste dont le but est de réunir tous les peuples turcs. Le touranisme, au sens le plus large, va beaucoup plus loin : à la base de cette idéologie, nous trouvons la théorie de l’ascendance commune des peuples finno-ougriens et turcs, qui serait un peuple matriciel unique d’Asie centrale, issu d’une région située entre l’Oural et l’Altaï. La désignation collective « touranide » servirait de référence à tous les peuples non-indo-européens et non-sémitiques de l’Ancien Monde. Sous la désignation de « touranides », on rassemble, par un élargissement audacieux, outre les Turcs de l’ancien empire ottoman et outre les peuples turcs d’Asie centrale (soit les Azerbaïdjanais, les Oghuzes, les Tchouvaches, les Turco-Tatars, les Toungouzes, les Ouïghours, les Ouzbeks, etc.), les Japonais, les Chinois, les Coréens et les Tibétains. Les langues de tous ces peuples sont désignées, encore aujourd’hui, sous le nom de « langues touraniennes », alors qu’en fait elles n’ont que très peu de traits communs ; ainsi, le hongrois et le turc, n’ont que peu de racines communes et n’on comme point commun que le fait d’être des langues agglutinantes. La linguistique moderne a réfuté depuis longtemps l’appartenance à une famille commune des langues ouralo-altaïques.

Le « pays des Turcs »

Q. : Malgré cela, le touranisme a fait un nombre croissant d’adeptes en Hongrie pendant la première guerre mondiale…

HPK : Effectivement. Ce mouvement visait à détacher la Hongrie de l’Europe et de la ramener dans l’orbite asiatique. Après l’ère prospère des Germains et des Slaves, viendrait, disaient les touranistes, l’heure des Touraniens – dont le territoire s’étendrait de la Hongrie au Japon, ou, selon leurs propres mots, « de Theben jusqu’à Tokyo ». Par Theben, ils entendaient la localité à l’embouchure de la rivière March.

Le touranisme doit son nom à une plaine, une dépression, nommée « Touran », comme contrepartie du haut plateau iranien, qu’elle jouxte au Nord-Est. En réalité, « Touran » est le terme persan pour désigner le Turkestan, ce qui signifie le « Pays des Turcs ». L’énorme région du « Touran » est aux quatre cinquièmes constitué de déserts, mais est très riche en pétrole et en gaz naturel. Aujourd’hui, ce pays de « Touran » est divisé entre trois Etats : le Turkménistan, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan.

Q. : Quelle a été l’importance du touranisme en Hongrie ?

HPK : Le premier président de la « Société Touranienne » en Hongrie a été le Comte Pàl Teleki, qui disait de lui-même : « Je suis un Asiate et fier de l’être ». Le Comte Teleki a été deux fois ministre des affaires étrangères et, en 1920-21 puis entre 1939 jusqu’à son suicide en 1941, premier ministre de Hongrie. La production la plus connue de ce courant d’idées ont été les « Chants touraniens » d’Arpàd Zempléni. Il appelait les Allemands de Hongrie des « diables aryens » et avait travaillé dès 1910 à leur expulsion, qui aura lieu en 1945.

Dans les années 40, l’idée du touranisme était très répandue dans l’intelligentsia hongroise. Eugen Cholnoky, Président de la « Société touranienne » à partir de 1941, avait déjà été, pendant l’entre-deux-guerres, « Grand Vizir » de l’ « Alliance touranienne ». Cette dernière était un mouvement de rénovation particulièrement agressif à l’égard des Allemands, des Tziganes et des Juifs.

Honneur à Attila, roi des Huns

Q. : Comment l’idée touranienne a-t-elle pu se diffuser à une telle ampleur ?

HPK : Déjà au 13ième siècle, le chroniqueur médiéval hongrois Simon Kézai faisait des Huns asiatiques du 5ième siècle les ancêtres directs des Magyars. Aujourd’hui encore, Attila, le roi des Huns (mort en 453) est honoré en Hongrie.

A l’époque baroque, le Cardinal Péter Pàzmàny (mort en 1637) voyait dans la fraternité païenne entre Hongrois et Turcs la raison réelle de l’absence de résistance de ses contemporains face à l’ennemi extérieur ottoman.

L’historien chauvin Istvàn Horvàt a accentué à l’extrême cette notion de fraternité asiatique en tenant les Magyars pour apparentés aux Scythes, aux Assyriens, aux Pélasges, aux Parthes et aux Arabes de l’antiquité. Il répète et confirme l’ascendance hunnique des Hongrois, mais ne voulait rien entendre de la parenté réelle qui liait ces derniers aux Finnois. Le Comte Istvàn Széchenyi voulait, pour sa part, établir une parenté entre les anciens Magyars et les Sumériens, c’est-à-dire le premier peuple de culture qui a émergé en Mésopotamie.

Q. : La couronne royale hongroise recèle des composantes d’origine proche-orientale…

HPK : La couronne dite de « Saint Etienne » se compose de deux parties, celle que le Pape Sylvestre II a envoyé au roi Etienne, le futur Saint Etienne, et que l’on appelle aussi la « corona latina », et, ensuite, celle que le roi Géza I a reçue de l’Empereur byzantin Michel Ducas, soit la « corona graeca ». La réunion de ces deux parties est perçue par les Touraniens comme le symbole de la division Est-Ouest, qui divise aussi l’âme magyare. C’est cette division dont les Touraniens veulent se débarrasser. Ils voulaient se détacher de l’Occident et retourner à la grandeur touranienne afin de servir de fondement et de réveil à la conscience nationale hongroise. La nation magyare serait, dans cette optique, l’incarnation glorieuse de la « race des seigneurs » touranienne.

Q. : Qu’en disaient, mis à part les peuples réellement turcs, les autres « candidats » invités à communier dans l’idéal pantouranien ?

HPK : Les Finnois et les Estoniens refusaient clairement de se considérer comme des Asiatiques. Les Japonais, les Chinois ou les Coréens riaient d’être ainsi étiquetés « touraniens ».

Les pertes hongroises sous la domination turque

Q. : Avait-on dès lors oublié, en Hongrie, que les fonctionnaires et la soldatesque turcs avaient systématiquement pillé le pays au cours des deux cents années qu’y avaient duré les guerres contre les Ottomans ?

HPK : Oui. Et l’on avait oublié aussi que les Allemands, alliés à la Maison des Habsbourgs, avaient libéré la Hongrie du joug turc. On essaya même, dans la foulée, de leur mettre sur le dos l’annihilation de larges strates de la population hongroise pendant la période de domination turque. En 1941, on parlait par exemple des 200 années d’ « oppression autrichienne », période égale à celle de la domination ottomane. Pourtant les faits sont têtus : la population hongroise s’est réduite de 3,2 millions d’habitants à 1,1 million pendant l’occupation turque, tandis que sous l’ère des Habsbourgs, elle a crû de 1,1 million à 9,2 millions.

Les Allemands, les Slaves et les Juifs ne devaient avoir plus aucune place dans une Hongrie redevenue pleinement « touranienne ». C’est ainsi que Teleki, tandis qu’il exerçait les fonctions de premier ministre, fit passer en 1920 les premières lois antisémites de l’Europe contemporaine.

Après la défaite allemande à Stalingrad, la propagande touraniste reprit vigueur. Après l’effondrement du Reich, les « chasseurs touraniens » (« Turàni Vadàszok ») exigèrent l’  « évacuation définitive de tous les Souabes ». L’exigence d’une expulsion ou d’une élimination physique de tous les non Magyars dans l’ancien espace géographique hongrois avait déjà été exigée dès 1939. Les communistes magyars sous la direction de Matyàs Ràkosi refusèrent toutefois le racisme des surexcités touranistes. Le touranisme en Hongrie a donc été résolument germanophobe, mais aussi antisémite. On doit constater avec tristesse que ces idées aberrantes on joué un rôle essentiel dans l’expulsion des Allemands de souche, installés en Hongrie, après la seconde guerre mondiale.

(entretien paru dans DNZ, n°43, octobre 2005; trad. franç. : Robert Steuckers).

L'oléoduc de l'Amitié

L'oléoduc de l'Amitié

18 décembre 1959 : Signature à Moscou d’un accord entre l’URSS, la Pologne et la RDA pour inaugurer « l’oléoduc de l’amitié », destiné à acheminer du pétrole soviétique vers les territoires baltiques et centre-européens des deux petites puissances du COMECON, contrôlées par Moscou. L’actuel projet d’un système de gazoducs et d’oléoducs, baptisé « North Stream », n’est que la réactualisation de ce projet de 1959, dans un contexte qui n’est plus celui de la guerre froide ni celui d’une position forte de Moscou. Les Etats-Unis, en tablant aujourd’hui sur les gouvernements corrompus des petits pays de la « Nouvelle Europe », déploient des efforts considérables pour torpiller la réalisation définitive de cet oléoduc nord-européen, dont la construction avait été décidée après les accords signés entre l’ancien Chancelier allemand Gerhard Schröder et Vladimir Poutine, aux temps bénis, mais si brefs, de l’Axe Paris/Berlin/Moscou. La leçon à tirer de ce petit rappel : les Etats-Unis, quel que soit le contexte idéologique en acte, cherchent à nuire aux échanges inter-européens, échanges continentaux, pour leur substituer des échanges venus de la mer, qu’ils contrôlent avec leurs alliés britanniques. Rapelons tout de même que les officines de désinformation anglo-saxonnes avaient démonisé Nicolas II avant la conclusion de l’Entente, comme elles diaboliseront plus tard Staline, Brejnev et Poutine.

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lundi, 17 décembre 2007

1928: le "Mémorandum Clark"

17 décembre 1928 : Le “Mémorandum Clark”

Frank B. Kellogg acceptant le Prix Nobel de la Paix. Oslo, 1930. (Source: Minnesota Historical Soc.)

Aux Etats-Unis, le Mémorandum Clark désavoue le fameux corollaire Roosevelt et la Doctrine de Monroe. Rappelons que le corollaire Roosevelt permettait aux Etats-Unis de mener des guerres, même à outrance (« Big Stick Policy »), contre toute puissance européenne qui se maintiendrait, ou interviendrait, dans le Nouveau Monde et contre toute puissance ibéro-américaine qui entendrait mener une politique nationale originale et indépendante. Le Mémorandum Clark est donc une pétition de principe réellement pacifiste dans un environnement international, où, après 1918, l’objectif est d’empêcher toute guerre d’agression à l’avenir, mais où les démarches des pacifistes apparents annoncent paradoxalement l’extension à l’infini des concepts juridiques de « guerre », d’« agression » et de « guerre d’agression », permettant de définir comme « agression » de simples demandes de modification du statu quo international décidé par les vainqueurs ou par les plus puissants du moment.

Dans ce contexte, Frank B. Kellogg, juriste et diplomate américain, et son collègue Shotwell, tentaient, à la fin des années vingt, surtout en l’année 1928, de formuler une nouvelle définition de la guerre d’agression : celle-ci ne devait plus seulement se définir comme le franchissement effectif d’une frontière par des armées régulières, mandatées par un gouvernement en place, mais comme la simple intention de modifier le statu quo international, même par des moyens non guerriers ! Cette interprétation du droit de la guerre et du droit des gens conduit évidemment à déclarer agresseur un Etat aux moyens militaires limités voire dérisoires, auquel on prêtera de « mauvaises » intentions, car ces « mauvaises » intentions seront déclarées « agressives », et constitueront donc un « acte d’agression », donc, par translation, un recours illicite à la guerre, laquelle est condamnée par la SdN. Cet Etat « mal intentionné » sera posé comme un « agresseur », au même titre qu’un autre Etat qui aura envahi de facto un pays voisin, et subira dès lors les foudres des instances internationales en général et des Etats-Unis en particulier.

C’est donc à la fin des années 20 du 20ième siècle que les méthodes, avec lesquelles on a démonisé la Serbie et l’Irak, sont nées. L’Etat contestataire de l’ordre mondial, ou de la volonté des Etats-Unis définie comme seule correcte, devient, même si ses critiques sont modestes ou partielles, ipso facto un Etat-voyou, « pirate » ou hors-la-loi (outlaw), contre lequel tous les coups seront permis et contre la population duquel les règles humanitaires ne seront pas de mise. On voit ce que cela a donné. Du corollaire Roosevelt, belliciste sans fard, au pacifisme apparent de Wilson puis aux idées de Shotwell et aux subtilités hypocrites des Doctrines Kellogg et Stimson (le successeur de Kellogg), puis, enfin, aux justifications aussi boiteuses que tonitruantes des Administrations Bush Senior, Clinton et Bush Junior et aux théories des néo-conservateurs, il y a continuité parfaite, il y a même réchauffement du même vieux plat de lentilles.

L’histoire de cette continuité malsaine devrait faire l’objet de la formation permanente de nos diplomates. Le juriste Carl Schmitt avait analysé les intentions américaines, dissimulées derrière un langage pacifiste médiatisable. Son œuvre est donc, en ce domaine aussi, incontournable (source : Günter Maschke, « Frank B. Kellogg siegt am Golf. Völkerrechtsgeschichtliche Rückblicke anlässlich der ersten Krieges des Pazifismus », in : Etappe, Nr. 7 u. 8, Bonn, 1992) (Robert Steuckers).

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Message révolutionnaire de Nasser

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Viktor STARK:

Le message révolutionnaire de Gamal Abd El Nasser

Le 23 juillet 2002 était le cinquantième anniversaire de la chute de la monarchie morbide et corrompue qui "gouvernait" l'Egypte. Elle fut aussitôt remplacée par un régime de libération nationale, qui a dégager le pays de la tutelle étrangère, qui a œuvré pour que le peuple arabe, partagé entre de nombreux Etats puisse se réunir dans un ensemble grand-arabe, harmonisé par un socialisme de facture nationale.

L'ascension de Nasser

Parmi les révolutionnaires qui débarrassent l'Egypte de sa monarchie corrompue, nous trouvons un officier de 34 ans: Gamal Abd El Nasser. Né dans une famille modeste du Sud de l'Egypte, il adhère aux principes et aux valeurs du nationalisme révolutionnaire dans sa jeunesse. Pendant la seconde guerre mondiale, il sympathise, de même que ses camarades, avec les Allemands. Ces jeunes officiers admirent le "renard du désert", le Feldmarschall Erwin Rommel; ils espèrent que cet Allemand audacieux vaincra l'Empire britannique en Afrique du Nord, car Londres place de facto l'Egypte, pourtant théoriquement indépendante, sous sa tutelle. Pendant la guerre contre Israël en 1948, Nasser se révèle comme l'un des plus courageux officiers de l'armée égyptienne et acquiert le surnom de "Tigre de Falluyah". Il est grièvement blessé.

Après la révolution de 1952, Nasser devient véritablement le chef de son peuple qui lui voue une vénération sans fard. Il représente également le mouvement des peuples non alignés, espoir de tous les peuples colonisés du monde, soumis aux diktats de puissances coloniales étrangères. Nasser meurt en 1970. Bon nombre des principes énoncés à l'époque par Nasser restent parfaitement actuels, surtout aux yeux de ceux qui, à gauche, critiquent à juste titre le "capitalisme sans frein" et la "globalisation néo-libérale".

L'Egypte et l'Allemagne

Les rapports germano-égyptiens reposent en ultime instance sur un événement historique, le même que celui qui a motivé l'action planifiée par les jeunes officiers révolutionnaires autour de Nasser, qui voulaient donner un autre destin à l'Egypte et à tout le monde arabe. Dix ans avant cette révolution, alors que l'armée germano-italienne de Rommel pénétrait en Egypte en 1942, Churchill, conscient du danger et des sympathies pro-allemandes des masses égyptiennes, lance un ultimatum: si l'Egypte ne se range pas immédiatement aux côtés de Londres et ne met pas un terme aux mouvements pro-allemands, l'Angleterre prendra toutes les mesures militaires pour "discipliner" le pays. L'armée égyptienne, mal équipée, ne pouvait absolument pas tenir tête aux Britanniques. Elle dut s'incliner. Pour bien montrer leur puissance militaire, les Anglais font encercler le palais du Roi Farouk par des blindés.

Le chef de l'état-major général égyptien, Aziz Ali al-Misri, qui était germanophile, le Premier Ministre Ali Maher (qui reprit brièvement son poste après la révolution de 1952), de même que bon nombre de leurs amis, ont été immédiatement internés par les Britanniques. Un groupe de jeunes soldats, dont Nasser, ont tenté, sans succès, de libérer Maher par un coup de force. Sadat, qui faisait à l'époque la liaison entre le mouvement arabe de libération et l'Afrika Korps de Rommel, participera également à la révolution nassérienne de 1952. En 1970, il sera son successeur à la tête de l'Etat égyptien. Les Anglais l'internent également en 1942. De la même façon, un an auparavant, Churchill fit décapiter un autre Etat arabe, par des mesures encore plus brutales: l'Irak pro-allemand de Rachid Ali el-Gailani. Dans ses souvenirs, Sadat fustige le comportement brutal des Anglais en Egypte et en Irak pendant la seconde guerre mondiale: il le décrit comme un mépris affiché, scandaleux et inacceptable du droit à l'auto-détermination.

L'Egypte révolutionnaire a toujours fait montre d'un respect profond et d'une admiration pour les soldats de la Wehrmacht; par exemple : le premier président du gouvernement révolutionnaire, Nagib, rédige en allemand un message de salutation en avril 1954 à l'adresse d'une organisation de vétérans de l'arme parachutiste allemande, assorti de sa photo et de sa signature personnelle. Les vétérans ont publié ce document à l'époque. En voici le texte : «Lorsque je salue mes parachutistes égyptiens, je salue en même temps votre commandant en chef, le Colonel-Général Student, ainsi que vous tous, qui avez combattu pour votre patrie au sein des formations parachutistes allemandes, dans l'espoir que les traditions de cette arme demeurent valides pour tous les temps». Le Général Kurt Student, qui est évoqué ici, était celui qui avait conquis la Crète au départ du ciel en 1941; en 1944, il était devenu le Commandant en chef de la Première armée parachutiste de la Wehrmacht; fin avril 1945, il devenait Commandant en chef du Groupe d'Armée "Vistule".

En Egypte, les mausolées et monuments pour les soldats allemands du désert sont nombreux; les dirigeants du pays, surtout Sadat, ont toujours manifesté clairement leur admiration pour les guerriers venus de Germanie. Le monument en l'honneur des soldats, morts en servant dans l'Afrika Korps à El Alamein, ainsi que le monument en l'honneur de Rommel à Tel el Eissa en témoignent. En 1989, on a restauré, non loin d'El Alamein, un monument en forme de pyramide à la gloire du pilote et as allemand que l'on appelait l'"étoile de l'Afrique"; on y lit en langues allemande, arabe et italienne: «C'est ici qu'est mort, invaincu, le Capitaine H. J. Marseille, le 30 septembre 1942».

Les succès intérieurs du nassérisme, l'opposition de l'étranger

Après que Gamal Abd el Nasser ait remplacé le Général Nagib à la tête du gouvernement révolutionnaire, le peuple l'élit Président d'Etat en 1956. Son gouvernement fut autoritaire; il jugula les menées de l'opposition en arguant qu'elle était "dirigée de l'extérieur", ce qui était vrai dans de très nombreux cas. Nasser procéda à des nombreuses réformes importantes en politique intérieure, surtout en ce qui concerne l'enseignement, la formation universitaire et la santé; il procéda également à une réforme agraire au profit des paysans pauvres; il a élargi l'espace habitable du pays en prenant des mesures d'irrigation de grande ampleur. Ces réformes ont fait de lui l'idole des masses. Sur le plan extérieur, Nasser s'est efforcé de parfaire l'unité des Arabes, notamment en forgeant l'Union avec la Syrie et le Yémen, considérée comme la première étape dans le rassemblement de tous les Arabes au sein d'un même état. Le projet a certes connu l'échec, mais suscité beaucoup d'espoirs. Nasser abat également les structures de domination étrangères qui demeuraient présentes dans la vie politique et économique égyptienne, de manière ouverte ou camouflée. Il convient de citer ici la nationalisation du Canal de Suez. Toutes ces mesures ont fait de Nasser un héros populaire dans tous les pays arabes.

Mais très rapidement après la révolution de 1952, des forces étrangères se coalisent contre la nouvelle Egypte. Pendant l'été de 1954, des agents des services secrets israéliens organisent une série d'attentats à la bombe au Caire; en février 1955, un commando israélien attaque Gaza. En 1956, les forces conjuguées d'Israël, de la Grande-Bretagne et de la France attaquent l'Egypte dans la zone du Canal de Suez. En faisant appel à l'ONU, Nasser oblige les agresseurs à se retirer. En 1967, éclate la guerre des Six Jours. Le monde occidental a toujours tenté de faire accroire l'idée qu'Israël lançait ainsi une guerre préventive pour annuler l'effet de surprise d'un plan égyptien et syrien visant à détruire l'Etat hébreu. En 1997, pourtant, le quotidien israélien Yediot Ahronot publie l'aveu de Moshé Dayan, à l'époque Ministre israélien de la défense: 80% des actions militaires syriennes ont été provoquées par Israël.

Face à l'attitude pro-israélienne militante des Etats-Unis, Nasser n'a pas eu d'autre solution que de se rapprocher de l'Union Soviétique. En même temps, il s'efforçait, sur la scène internationale, en tant que chef charismatique des "non alignés", de trouver une alternative viable au système bipolaire, conséquence de la seconde guerre mondiale, où seuls Moscou et Washington menaient le jeu.

Un "Raïs" légendaire

Après la lourde défaite subite par l'Egypte en 1967, Nasser avait décidé de se retirer du pouvoir, mais un vague sans précédent d'enthousiasme populaire, qui voyait en lui "le seul et vrai chef du pays", il accepte de rester en fonction. Ce qu'il fera jusqu'à sa mort en 1970. Arnold Hottinger, journaliste du quotidien helvétique Neue Zürcher Zeitung, écrit: «En dépit de tout, Nasser est resté l'homme auquel les peuples arabes et égyptien ont conservé leur confiance». Ce correspondant au Caire du journal suisse évoque plus en profondeur la personna­lité de Nasser, dans son article célébrant le cinquantième anniversaire de la révolution égyptienne: «Nasser reste toujours, aux yeux de la grande majorité des Egyptiens, et aussi de la plupart des autres Arabes, le plus grand homme d'Etat que le monde arabe a produit depuis la fin de l'époque coloniale». Les jeunes Egyptiens parlent encore et toujours du "Raïs", du "Chef". Et quand on leur demande: «Comment, tu es si jeune, tu n'as pas vécu à son époque!». Ils répondent : «C'est à son époque que j'aurais voulu vivre».

Viktor STARK.

(DNZ/München - n°32, 2 août 2002).

 

 

 

 

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dimanche, 16 décembre 2007

Philip K. Dick

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16 décembre 1928 : Naissance à Chicago de l’écrivain de science-fiction américain Philip Dick. Après des débuts difficiles, plusieurs vies conjugales ratées, le succès vient en 1962, avec « Le Maître du Haut Château », qui lui crée littéralement un public demeuré fidèle jusqu’à sa mort et même au-delà. Mais la misère, tenace, reviendra dans la seconde moitié des années soixante, avec les déboires conjugaux, les crises de paranoïa, l’abus de drogues. Il tente de se faire désintoxiquer, puis multiplie à nouveau les affaires amoureuses avec des admiratrices fort jeunes.

L’intérêt politique de son œuvre ne vient pas de ses vagues intérêts pour la pensée et l’activisme de gauche dans les années 50, puis des mouvements nés dans le sillage de la contestation de la guerre du Vietnam, mais, plus précisément, parce que l’œuvre tout entière de Dick a pour thème la modification et la manipulation de la réalité, problématique éminemment actuelle, dans un monde de plus en plus hyper-médiatisé, soumis aux fictions fabriquées que l’on fait passer pour réelles. Les puissants, écrivait-il souvent, font créer et imposent une « réalité fictive ». Le faux régit donc notre monde, et nous percevons ce faux comme vrai. Le travail de l’écrivain, et donc de tout intellectuel, et, enfin, de tout militant métapolitique, est de démasquer cette fausseté omniprésente.

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L'Egypte sous protectorat

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Drapeau égyptien en 1914

L'Egypte sous protectorat

16 décembre 1914 : Pour éviter que l’Egypte, théoriquement sous souveraineté ottomane, ne passe sous contrôle de l’Allemagne, alliée au Sultan d’Istanbul, les Britanniques, juste après avoir proclamé la loi martiale et expulsé tous les citoyens allemands et autrichiens vers Malte, déclarent l’Egypte protectorat de Londres et la dépouillent de toutes les prérogatives autonomes qu’elle pouvait encore détenir, au moins formellement, coincée qu’elle était entre la souveraineté, devenue toute théorique, de la Sublime Porte, et la présence militaire britannique depuis 1882, dans les villes, les ports et le long du Canal de Suez. Le khédive Habbas Hilmi, favorable à l’alliance germano-turque, est démis de ses fonctions et remplacé par son oncle anglophile, Hussein Kamel. L’Egypte perd toute autonomie sur les plans militaire et diplomatique. Cette transformation de l’Egypte en protectorat et la rupture des derniers liens organiques entre le pays et la Sublime Porte constituent une humiliation profonde, à la base de toutes les revendications nationalistes ultérieures, dont Gamal Abdel Nasser sera la figure de proue.

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Labyrinthe et "Trojaburg"

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Labyrinthe et "Trojaborg"

Deux traits caractéristiques de la préhistoire nord-européenne

Prof. Frithjof Hallmann

Université d'Uppsala

Il est une règle en archéologie qui veut que la fréquence des découvertes sur un site prouve que ce site est le site originel de l'objet en question. Dans le cas du sym-bole que sont les labyrinthes, le site d'o-rigine doit être le nord de l'Europe et non le sud. Environ 500 labyrinthes de pierre ont été découverts en Europe sep-ten-trio-nale, jusqu'aux confins de l'Océan Arcti-que. Bon nombre de ces labyrinthes datent de la préhistoire européenne, y compris ceux du Grand Nord. Dans la zone méditerranéenne, on ne trouve que rarement ce symbole, perennisé dans les aligne-ments de pierres.

En règle générale, le labyrinthe est consi-déré comme une sorte de jardin, conçu pour jouer à s'égarer. Tous ceux qui ont eu l'occasion de visiter des labyrinthes de haies dans les jardins et parcs anglais, fran-çais ou italiens, sauront combien il est parfois difficile de retrouver le chemin de la sortie. Le labyrinthe, en conséquence, est considéré par la plupart de nos con-tem-porains, comme un jeu où l'on s'a-mu-se à s'égarer. Beaucoup de princes eu-ro-péens du XVIième au XIXième siècle se sont fait installer des jardins labyrin-thi-ques pour amuser et distraire leurs in-vi-tés. Parmi les plus célèbres labyrinthes fran-çais, citons ceux de Versailles, de Chan--tilly, du Jardin des Plantes; en An-gleterre, les labyrinthes de Hatfield House, de Hertfordshire, de Hampton Court Pala-ce (à Londres), ainsi que le grand laby-rin-the de Hazlehead Park à Aberdeen; en Ita-lie, aujourd'hui, on peut encore visiter le célèbre labyrinthe de haies de la Villa Pi-sani à Stra, à l'ouest de Venise, avec une tour et une statue de Minerve au centre. Ce sont là les laby-rinthes les plus connus et les mieux con-servés aujourd'hui. 200.000 touristes par-couraient chaque an-née les allées du laby-rinthe de Stra, jus-qu'au moment où il a fallu les fermer au public qui devenait vraiment trop nom-breux et risquait d'abîmer le site.

Quant au touriste qui s'intéresse à l'his-toi-re de l'art, il peut visiter de nom-breux labyrinthes de mosaïques, surtout dans des églises. Ceux qui se rendent en Italie pourront en voir de très beaux dans l'é-glise Santa Maria di Trastevere à Rome, ou encore dans l'église San Vitale de Ra-venne, dont le sol présente un magni-fi-que labyrinthe. Dans la cathédrale de Luc-ca, on peut apercevoir un labyrinthe gravé dans un mur et flanqué d'une ins-cription latine signifiant "Ceci est le labyrinthe que le Crétois Dédale a construit". En France, notons les labyrinthes de la Cathédrale de Bayeux et de l'église de Saint-Quentin, qui attirent, aujourd'hui encore, de nom-breux amateurs d'art. En territoire alle-mand, nous ne trouvons aujourd'hui plus qu'un seul labyrinthe: dans la crypte de la Cathédrale de Cologne.

Mais en Allemagne, comme en divers en-droits d'Angleterre, on peut encore voir les traces, dans l'herbe, de très an-ciens la-byrinthes comme la Roue (Rad)  d'Eilen-riede près de Hannovre ou les la-byrinthes d'herbe de Steigra et de Graitschen en Thu-ringe. Malheureusement, le magnifi-que laby-rinthe de Stolp en Poméranie, l'un des plus beaux du monde, a été dé-truit.
 

En Angleterre, une bonne centaine de labyrinthes

En Angleterre, au contraire de l'Alle-ma-gne où l'on ne trouve plus que les trois labyrinthes que je viens de citer, le tou-riste amateur de sites archéologiques pour-ra en visiter une bonne centaine. Dans les Iles Britanniques, on les appelle Troy-town  ou Murailles de Troie (Walls of Troy),  exactement comme plusieurs la-byrinthes scandinaves encore existants (Trojaborg;   en all. Trojaburg).  A l'évi-den-ce, labyrinthes britanniques et la-by-rinthes scandinaves sont structurelle-ment apparentés. Car il ne s'agit pas de cons-truc-tions de modèle simple, édifiées pour le seul plaisir du jeu, mais d'une al-lée u-ni-que serpentant circulairement vers un centre, pour en sortir immédiatement, tou-jours en serpentant. Il est intéressant de noter que les élèves des écoles pri-maires, en Scandinavie, apprenaient en-core, dans les années 30, l'art de "dessiner des labyrinthes".

Avant de nous pencher sur la significa-tion étymologique des termes "laby-rin-thes" et "Trojaborg" (Troy-town; Troja-burg),  je voudrais d'abord signaler qu'au-jourd'hui, sur le territoire suédois, j'ai dé-nombré 296 Trojaborge  de pierre, dont les diamètres varient entre 4 et 24 m et qui comptent généralement 12 seg-ments cir-cu-laires; en Finlande, y compris les Iles Åland, j'en ai dénombré 150; dans le nord de l'Angleterre, 60 (dont 15 sont fouillés par des archéologues profession-nels); en Norvège, 24; en Estonie, 7; en Angleterre méridionale, 2; sur le territoire de la RFA (avant la réunification), 1. Nous arrivons ainsi au nombre de 540 Trojaborge nord-européens en pierres, auxquels il faut a-jouter la centaine de la-byrinthes en prairie des Iles Britanniques et leurs trois équi-valents allemands. Malheureuse-ment, la zone archéologique méditerranéenne ne compte plus, au-jourd'hui, de labyrinthes de ce type; seuls demeurent les labyrinthes des églises et ceux, récents et en haies, des parcs. Nous pouvons en revanche décou-vrir des laby-rinthes gravés sur des parois rocheuses, comme dans le Val Camonica dans les Alpes italiennes, ou à Pontevedra en Espagne septentrionale. Ce labyrinthe ibé-rique présente le même modèle que ce-lui découvert sur la pierre irlandaise de Wicklow et celui de Tintagel en Cornouailles.

J'ai cherché à découvrir un labyrinthe en Crète, qui confirmerait la légende de Thé-sée et Ariane. Je n'ai pas découvert le fa-meux labyrinthe de Cnossos. Or, on as-so-cie très justement la Crète au symbole du la-byrinthe, car, au British Museum et dans le Musée de l'Antiquité de Berlin, les visiteurs peuvent y voir des labyrinthes sur des monnaies crétoises du IIième et du Vième siècle avant notre ère. En Egyp-te, pays d'où nous viendrait, d'après les lin-guistes, le terme "labyrinthe" (Lope-ro-hint,  soit le palais à l'entrée du lac, allu-sion à un labyrinthe disparu, qui se serait situé sur les rives du Lac Méri), je n'ai pas eu plus de chance qu'en Crète et je n'ai pas trouvé la moindre trace d'un labyrin-the. D'autres spécialistes de l'étymologie cro-yent que l'origine du mot labyrinthe vient du terme "labrys", qui désigne la double hache crétoise. 
 

Un piège pourl'astre solaire?

Quant au nom scandinave de Trojaborg,   il n'a rien à voir avec la ville de Troye en Asie Mineure, comme l'a prouvé un spé-cialiste allemand des symboles, qui vivait au siècle dernier, le Dr. Ernst Krause. Tro-jaborg   serait une dérivation d'un terme in-do-européen que l'on retrouve en sanskrit, draogha,   signifiant "poseur de piè-ges". Dans la mythologie indienne, en ef-fet, existe une figure de "poseur de piè-ges", qui pose effectivement des pièges pour attraper le soleil.

En langue vieille-persique, nous retrou-vons la même connotation dans la figure d'un dragon à trois têtes, du nom de dru-ja;   en langue suédoise dreja  signifie l'acte de "tourner" ou de manipuler un tour. Le sens caché du labyrinthe se dé-voile dans la légende de Thésée et d'Ariane, dans l'Edda et dans la Chanson des Nibelun-gen, où nous retrouvons, par-tout, une jeu-ne fille solaire gardée par un dragon ou un Minotaure, symboles des forces de l'obs-curité. Le mot "Troja" se retrouve, outre dans le nom de la ville de l'épopée homérique, dans le nom de cen-taines de labyrinthes scandinaves et bri-tanniques, dans la danse labyrinthique française, le Troyerlais, dans la ville de Troyes en Cham-pagne, dans les trojarittes de la Ro-me antique, dans le nom de Hagen von Tronje, figure de la Chanson des Nibelun-gen. Des dizaines de noms de lieu en Eu-ro-pe portent la trace du vocable "troja".

Le Prof. Karl Kerényi, l'un des principaux spécialistes contemporains des mythes et des symboles, est l'un des très nombreux experts qui admettent aujourd'hui l'origi-ne nordique du symbole du laby-rinthe. Les pays du Nord, pauvres en so-leil, dé-ve-loppent une mythologie qui cherche à ren-dre cet astre captif, au con-traire des my-thologies du Sud de l'Europe. Les ar-chéologues spécialisés dans la préhistoire, sur base de leurs fouilles, datent les laby-rinthes nord-européens de l'Age du Bron-ze (de 1800 à 800 avant notre ère); les la-byrinthes sur parois rocheuses de l'Europe centrale, de même que le labyrinthe en pier-res plates d'argile de Pylos dans le Pé-loponèse, datent, eux, de 1200 à 1100 avant notre ère. Un laby-rinthe de vases étrusque date, lui, du VIIième ou du VIième siècle avant notre ère, tandis que les monnaies de Cnossos, sur lesquelles figurent des la-byrinthes, da-tent du Vième et du IIième siècle avant notre ère.

La ressemblance est frappante entre les labyrinthes des monnaies crétoises du IIiè-me siècle avant notre ère et la configu-ra-tion du labyrinthe suédois de Visby en Got-land. Cette configuration, nous la re-trou-vons dans de nombreux sites de Suè-de, et aussi en Norvège, en Finlande et en Estonie. D'où, la question de l'origine septentrionale de ces symboles labyrinthiques se pose tout naturellement.

Ces labyrinthes reflètent le tracé astrono-mi-que des planètes. Les mythes associés aux labyrinthes, d'après de nombreux cher-cheurs et érudits, reflètent la nostalgie du soleil chez les peuples des régions sep-tentrionales de l'Europe.


(texte issu de Mensch und Maß,  23.2.1992; adresse: Verlag Hohe Warte, Ammerseestraße 2, D-8121 Pähl; parution bimensuelle, abonnement trimestriel, 35 DM).
 

[Synergies Européennes, Combat Païen, Avril, 1992]

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La gran impostura del arte moderno es su precio

José Javier Esparza:
«La gran impostura del arte moderno es su precio»
POR VIRGINIA RÓDENAS
Cadáveres, excrementos, cubos «llenos» de vacío, mutilaciones o cuadros borrados. «Nunca antes había ocurrido nada semejante: la sociedad ya no se reconoce en la producción artística que genera. ¿Se ha vuelto loco el mundo del arte?». Y en respuesta a su pregunta -la misma que se hace una legión de ninguneados espectadores-, José Javier Esparza, con 20 años de dedicación al estudio y crítica de la cultura, denuncia «Los ocho pecados capitales del arte contemporáneo» (Edit. Almuzara), que la próxima semana vive en Arco uno de sus momentos estelares

-Defina arte en general y arte contemporáneo en particular.

-Hay enciclopedias dedicadas a responder a eso; infructuosamente. Digamos que el arte es una expresión de lo que los hombres llevan dentro, incluida la mirada sobre lo que tenemos fuera. El arte actual sigue siendo eso, pero con la particularidad de que se ve peor. Por dos razones, ante todo: por un exceso de subjetividad del artista, que lleva a la incomunicación, y por un exceso de sumisión al mercado, que valora artificialmente cosas sin valor.

-¿Quién decide lo que es arte?

-Los artistas dicen que ellos. El mercado dice que él. Pero es la sociedad, entendida como cultura compartida, la que al final decide que una obra dure como arte.

-Una pregunta de lerdo: ¿Qué tiene de artístico una caca en una lata, una vaca y un ternero despedazados en formol, restos humanos devorados por moscas o un manchón blanco bajo el título «Blanco»?

-Es anti-arte o, para ser más precisos, no-arte. Así lo entendió Duchamp cuando abrió camino presentando un urinario. Si ahora se considera «arte» es porque hemos puesto todo cabeza abajo. Los lerdos son quienes aplauden.

-En defensa de algunos artistas actuales se puede argumentar que Van Gogh o el mismo Mozart fueron incomprendidos en su época.

-Pero no es verdad. El artista siempre ha tenido algo de incomprendido, pero no tanto por la gente como por la Academia, que es la que fija el canon -el canon que el innovador rompe-. A Mozart lo miraban mal los académicos, pero la gente se lo pasaba pipa con su música. Lo mismo sucedió con la gran ópera del XIX (Verdi, Wagner), tan polémica en su día y, al mismo tiempo, tan admirada por las multitudes. ¿Van Gogh? Pero muy pocos años después de su muerte ya circulaban por ahí sus piezas. Como las de Dalí o Magritte, que tardaron muy poco en dejar de ser «incomprendidos». Nada de eso pasará con los «enfants terribles» que llenan ahora las ferias de arte contemporáneo.

-Asegura que por primera vez hay una sociedad que no se reconoce en el arte que genera. ¿Cómo distinguirá el sufrido espectador, que por su desconcierto es tachado de inculto, el arte de la tomadura de pelo?

-El espectador, tan ignorante e inculto, se refugia en Rembrandt o Velázquez, en Bach y Tchaikovski, es decir, en la historia, en la tradición, que nos sigue hablando. Lo cual incluye a buena parte de la tradición artística creada en el siglo XX, por supuesto. El problema no lo tiene el espectador (tenemos mil museos), sino el artista, que hoy es literalmente un náufrago (náufrago en su propia subjetividad). ¿Tomaduras de pelo? Lo peor es que la gran mayoría de los artistas contemporáneos no quiere tomarnos el pelo: están convencidos de ser la voz de nuestro tiempo. A lo mejor el problema está ahí.

-Ya sabe el viejo chiste en el que a la pregunta «qué es el arte» se responde «quedarte frío». Hoy es una realidad. ¿Cuándo se rompió la relación entre el arte y espectador?

-En varias fases. Primero, cuando empezó a presentarse como arte lo que era no-arte, y vuelvo al pionero Duchamp. Después, cuando el artista decidió que su subjetividad o incluso su mero gesto creador (el trazo del pincel sobre la tela, todas esas cosas) era más importante que la obra en sí. Más tarde, cuando la sociedad-espectáculo, medios de comunicación y mercado, crearon una realidad artística autónoma como emancipada del público. Ahora estamos en un momento en el que buena parte de la producción artística (no toda, desde luego) vive exclusivamente para sí o, aún peor, para una crónica de periódico y para reengancharse en la siguiente bienal.

-Habla de Tàpies o de Pollock como modelo de artistas respetables. ¿Qué les separa de los que no merecen a su juicio la más mínima consideración?

-Esto es opinable, por supuesto, pero yo parto de la base de que el artista contemporáneo no es un impostor, sino alguien que busca -desesperado, como quería Baudelaire- un camino propio, con una obsesión -muchas veces enfermiza- por la novedad. Quien lo encuentra y lo sigue, merece respeto. Quien imita a otros, o cree haber hallado algo sin tener talento para hacerlo realmente, se acerca demasiado a la impostura. Además, una de las particularidades del arte contemporáneo es que cada camino queda cegado por el propio pionero que lo abre. Continuarlos deja de tener sentido.

-El arte y el talento siempre han ido de la mano. Habla de la muerte del arte, ¿y del talento?

-Bueno, hay algunos artistas sin talento. Son los que la historia no recuerda. Recordamos al Greco o a Van Dyck, pero cuántos aprendices de éstos no habrán quedado en el camino. Hoy, sin embargo, el mercado nos hace vivir bajo la sugestión de que estamos rodeados de una extraordinaria floración de talentos: es la manera de llenar las exposiciones. Y eso es radicalmente falso, una impostura. Habría que preguntarse, además, si con el tipo de arte que hoy nos aflige es posible descubrir verdaderos talentos. Los hay indiscutibles; Barceló, por ejemplo, a pesar de todos los pesares. ¿Pero cuántos más?

-¿Qué ha sucedido para que el arte se haya divorciado de la belleza? Con tanta provocación directa al hígado, parece impropio hablar de «bellas artes».

-Es un asunto complejo. Desde Kant y Burke sabemos que el terreno del arte no es tanto el de lo bello como el de lo sublime, digamos del estremecimiento, para entendernos. Pero eso no quiere decir que todo deba descomponerse, romperse, reducirse a nada y, mucho menos, ser feo. Quizás hay que ir a lo más elemental: tal vez estemos ante una persecución deliberada de lo no-bello, de lo horrible. Y además, no estremece. ¿Bellas artes? Es una expresión que hoy nadie utilizaría.

-¿Cuál de ellas le parece que ha perdido menos el sentido (para empezar, común)?

-No es cuestión de gremios ni de disciplinas, sino de actitudes personales ante el arte. Pero es muy interesante el caso de la literatura: tras las experiencias de los años sesenta, que consiguieron crear obras sencillamente ilegibles, todo el mundo abandonó ese camino y volvió a preocuparse porque se entendiera lo que escribía. No es tan difícil, ¿no?

-Habla continuamente de impostura del artista, pero cuesta creer que críticos, galeristas, coleccionistas e inversores estén al margen. ¿Quién tiene la mayor culpa?

-El arte contemporáneo es una impostura en varios sentidos. El más visible es este: su circulación, su puesta en escena, su fama y, desde luego, su precio, ya no tienen nada que ver con el valor de la obra, sino que dependen del precio del mercado, de una portada de periódico o, simplemente, de que la obra circule de un lado para otro. ¿Culpables? Todos. Pero yo apuntaría también a los medios, que convierten ciertas obras en acontecimiento y les confieren un «valor de arte» que no poseen.

-¿Podría suceder que la burbuja de ingentes inversiones en arte contemporáneo, muchas de ellas realizadas por entidades financieras, estallara en pos de la razón y se produjera algún que otro cataclismo?

-Se dice que estallaron, por efecto de la fermentación, algunas de las latas de heces que Manzoni llenó con sus propios excrementos y

vendió bajo el título «Merda d´artista». Respecto a que las entidades financieras vayan a perder dinero, eso es un imposible ontológico. Por otro lado, sus inversiones en arte suelen estar muy bien aconsejadas. Eso no quita para que el precio de algunas obras sea ridículo de pura exageración.

-Resume en ocho los pecados capitales del arte moderno, ¿cuál le repugna más?

-Quizás el nihilismo, esa obsesión por destruirlo todo, por volver todo del revés. Es lo que confiere al arte moderno un fondo demoniaco, como decía Baudelaire.

-Escribe de la televisión como escenario del mundo. ¿Acabará considerándose arte?

-La televisión, como medio, tiene todos los requisitos técnicos para producir obras de arte audiovisuales. El problema es que está sometida a unas reglas de competencia comercial que hacen imposible plantearse construir una obra. Se está convirtiendo en un medio condenado a la artesanía, a la obra menor, de consumo rápido.

-¿Es pesimista o cree que tras la oscuridad se hará la luz?

-Hay una cuestión de fondo y es que, después de todo, este no deja de ser el arte adecuado para la época del Gulag, el holocausto, las bombas atómicas, la manipulación genética, las guerras mundiales y la crisis ecológica. Tal vez el origen del problema no esté en los artistas; quizás éstos no sean más que heraldos de lo que hay. La pregunta es: Y si anunciaran otras cosas, ¿mejoraría el paisaje general? ¿Por qué no intentarlo?

-El próximo jueves empieza Arco. ¿Un consejo para visitarla?

-Adoptar la actitud de aquel niño, el del cuento de «El traje nuevo del emperador»: si ves que el rey está desnudo, no te lo calles..

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samedi, 15 décembre 2007

1055: Toghrul Bey s'empare de Bagdad

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15 décembre 1055: Toghrul Beg s’empare de Bagdad. Toghrul Beg, chef militaire turc très compétent, s’empare de la ville arabe de Bagdad. La personnalité de ce chef de guerre turc est fascinante. Sa biographie nous permet de comprendre la dynamique géopolitique qui secoue depuis des siècles l’Asie centrale pour se répercuter sur l’Egypte, l’Anatolie et les rives du Golfe Persique. Elle nous permet aussi de comprendre le clivage conflictuel qui oppose encore Chiites et Sunnites, donc de comprendre les scénarios qui se jouent aujourd’hui en Irak.

Toghrul Beg est né en 990. Il fut le fondateur de la dynastie seldjouk qui régna du onzième au quatorzième siècle sur l’Iran conquis, sur l’Irak, la Syrie et l’Anatolie. Toghrul Beg était le petit-fils de Seldjouk, chef des tribus turques Ogüz, dont l’habitat premier se situait dans la région de Jand en Asie centrale. Ces tribus turques avaient suivi le mouvement habituel des peuples nomadisants de la région. Avant eux, les peuples cavaliers indo-européens, partis d’Ukraine, s’étaient élancés vers les hauts plateaux d’Iran ou vers l’Inde. Après la disparition des Indo-Européens d’Asie centrale (dont les Tokhariens), les peuples turco-hunniques prendront le relais et suivront exactement les mêmes itinéraires.

Les Ogüz, comme avant eux les Mèdes, les Parthes et les Perses, entreront d’abord en Transoxiane (désormais islamisée) en 1016 et se mettront au service du Prince de Boukhara, un Turc karakhanide. Les Turcs, tous ensemble, devront faire face à la vigoureuse réaction iranienne, conduite par le fameux chef de guerre Mahmoud de Ghazni. Victorieux, celui-ci oblige les tribus turques à se replier vers le Khwarezm, région située au sud-est de la Mer d’Aral. A la mort du grand chef iranien, les Turcs reprendront immédiatement l’offensive vers 1028-1029 et conquerront le nord de l’Iran. Toghrul, son frère Tchaghri et son oncle Arslan conjuguent leurs efforts et concentrent leurs forces, battent Massoud, le fils peu compétent de Mahmoud de Ghazni. Le sort de la Perse est réglé. Le pays est désormais sous la coupe des peuples cavaliers turcs venus d’Asie centrale. Et le restera longtemps. Toghrul occupe alors le haut plateau iranien, base d’attaque de tous les peuples conquérants que la région a connus. Il développe une méthode de conquête systématique : les hordes tribales de cavaliers conquièrent le terrain. Toghrul arrive et se propose de l’administrer rationnellement.

De 1040 à 1044, il conquiert les régions circum-caspiennes de l’Iran, puis le pays autour d’Ispahan. A partir de 1049, il donne l’assaut à l’Empire byzantin, tournant délibérément les énergies des tribus turques d’Asie centrale vers des territoires non musulmans. En 1055, il s’empare de Bagdad, où les Abbassides sunnites avaient dû se soumettre en 945, contre leur gré, aux Bouyides chiites et iranisés. Les Sunnites accueillent donc Toghrul en libérateur et le proclament Sultan, avec, pour mission, de battre les Fatimides chiites d’Egypte. Nous avons là affaire à un projet sunnite d’unir l’islam autour du califat abbasside, désormais dirigé par des Turcs, et d’éliminer le chiisme.

La situation devient extrêmement complexe. Toghrul doit faire face à de multiples récriminations et révoltes : les Turcs et Turkmènes d’Ibrahim Inal sont mécontents, les Bouyides chiites relèvent la tête, les tribus arabes de Mésopotamie se rebiffent contre un pouvoir turc qu’elles ne supportent plus, les Fatimides en profitent pour intervenir. Toghrul parvient tout de même à battre la coalition hétéroclite de ses adversaires. Il impose au Proche-Orient la loi seldjoukide. Ce qui crée aussitôt une menace pour Byzance, qui fera appel à la papauté pour contrer la « race étrangère qui s’est introduite dans la Romania », comme l’expliquera, en ces termes mêmes, Urbain II à Clermont-Ferrand, quand il fera appel aux chevaliers d’Europe occidentale.

La biographie de Toghrul Beg nous montre que les clivages qui divisent le Proche- et le Moyen-Orient sont toujours les mêmes et qu’ils n’ont pas perdu de leur vigueur. Les Américains, poussés par les cénacles néo-conservateurs, n’ont pas assez tenu compte de cette complexité, pourtant si bien expliquée dans quantité de livres d’histoire anglo-saxons (dont ceux de l’historien et orientaliste John Man). Ils n’ont pas compris ni voulu voir que cette complexité et ces antagonismes n’étaient pas des souvenirs d’un passé définitivement révolu, mais étaient bel et bien vivants, actuels, percutants. D’où le constat d’échec de l’entreprise de conquête de l’Irak, posé très récemment à Washington.

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Un hommage à Soljénitsyne

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Un hommage à Alexandre Soljenitsyne

La slaviste flamande Barbara De Munnynck rend un vibrant hommage, sur deux pleines pages, dans le quotidien De Standaard (8 décembre 2006) à l’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne. Elle retrace et analyse toute son œuvre et écrit cette belle conclusion :

« Soljenitsyne n’est plus à la mode actuellement. C’est dû aux bouleversements politiques récents. Tout simplement, l’homme est par nature hors de toute mode. Bien qu’il soit connu comme écrivain politique, il est bien plutôt un moraliste inspiré par la religion. Il critiquait la dictature soviétique d’un point de vue spirituel, et non pas au nom d’une idéologie politique alternative. Mesurés à l’aune des critères éthiques de Soljenitsyne, tant l’Occident que la nouvelle Russie ne valent rien. Pour toutes ces raisons, on peut penser que Soljenitsyne n’est qu’un grand-père grincheux ou un éternel dissident ; quoi qu’il en soit, son attitude face à la vie, cohérente, force le respect. Elle a été forgée dans des conditions difficiles et présente des analogies avec l’humanisme chrétien de Saint Augustin, de Thomas d’Aquin et d’Edmund Burke. Soljenitsyne est un prophète vénérable, dont le message est au-dessus du temps qui passe. L’enthousiasme pour sa personne pendant la Guerre Froide, était aussi étrange que le désintérêt qui le frappe aujourd’hui ».

Ces réflexions de Barbara De Munnynck nous permettent de tirer quelques conclusions générales :

La nécessité se fait de plus en plus évidente de juger nos époques turbulentes, effervescentes, turbo-capitalistes, au départ de critères soustraits au temps. Les grandes œuvres et l’équilibre des hommes postulent la longue durée ; rien de grand et de durable ne peut émerger dans la sarabande infernale de novismes hétéroclites qui frappent des sociétés comme la nôtres. Les hommes ont besoin de balises sur le long terme et périclitent si elles disparaissent.

Au-delà de telle ou telle religion, posée ici a priori comme source d’inspiration de Soljenitsyne, c’est cette attitude de respect face à la longue mémoire, face aux continuités de tous ordres, qu’il faut ré-acquérir.

La fabrication d’idéologies alternatives, posées comme des panacées qui vont tout arranger, ne sert à rien, ou ne pourra conduire qu’à de nouvelles catastrophes.

Pour acquérir à nouveau ce sens de la longue durée ou de la longue mémoire, d’autres œuvres que celles d’Augustin ou Thomas d’Aquin sont nécessaires. Il s’agit de dresser l’inventaire fascinant des grandes productions spirituelles de l’humanité.

Le désintérêt qui frappe Soljenitsyne vient surtout de deux choses : il a fustigé l’occidentalisme et l’américanisme dans un fameux discours à Harvard ; il n’a pas applaudi l’occidentalisation de la Russie, suite à l’effondrement du communisme. Il se soustrait dès lors aux poncifs répétés ad nauseam dans les grands médias planétaires, centrés autour d’agences de presse américaines qui font l’opinion et qui nous induisent par tous les moyens à penser que l’américanisme est le terminus heureux et formidables de l’histoire et que l’occidentalisation de la Russie, malgré les ratés, est une aubaine magnifique offerte aux peuples de Russie.

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Impact de Nietzsche sur la gauche et la droite

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L'impact de Nietzsche dans les milieux politiques de gauche et de droite

par Robert Steuckers

intervention lors de la 3ième Université d'été de la FACE, Provence, juillet 1995

Analyse:

-Steven E. ASCHHEIM, The Nietzsche Legacy in Germany. 1890-1990, University of California Press, Berkeley/Los Angeles/Oxford, 1992, 337 p., ill., ISBN 0-520-07805-5.
- Giorgio PENZO, Il superamento di Zarathustra. Nietzsche e il nazionalsocialismo, Armando Editore, Roma, 1987, 359 p., 25.000 Lire.

L'objet de mon exposé n'est pas de faire de la philosophie, d'entrer dans un débat philosophique, de chercher quelle critique adresse Nietzsche, par le biais d'un aphorisme cinglant ou subtil, à Aristote, à Descartes ou à Kant, mais de faire beaucoup plus simplement de l'histoire des idées, de constater qu'il n'existe pas seulement une droite ou un pré-fascisme ou un fascisme tout court qui dérivent de Nietzsche, mais que celui-ci a fécondé tout le discours de la sociale-démocratie allemande, puis des radicaux issus de cette gauche et, enfin, des animateurs de l'Ecole de Francfort. De nos jours, c'est la ³political correctness² qui opère par dichotomies simplètes, cherche à cisailler à l'intérieur même des discours pour trier ce qu'il est licite de penser pour le séparer pudiquement, bigotement, de ce qui serait illicite pour nos cerveaux. C'est à notre sens peine perdue: Nietzsche est présent partout, dans tous les corpus, chez les socialistes, les communistes, les fascistes et les nationaux-socialistes, et, même, certains arguments nietzschéens se retrouvent simultanément sous une forme dans les théories communistes et sous une autre dans les théories fascistes.

La ³political correctness², dans sa mesquinerie, cherche justement à morceler le nietzschéisme, à opposer ses morceaux les uns aux autres, alors que la fusion de toutes les contestations à assises nietzschéennes est un impératif pour le XXIième siècle. La fusion de tous les nietzschéismes est déjà là, dans quelques cerveaux non encore politisés: elle attend son heure pour balayer les résidus d'un monde vétuste et sans foi. Mais pour balayer aussi ceux qui sont incapables de penser, à gauche comme à droite, sans ces vilaines béquilles conventionnelles que sont les manichéismes et les dualismes, opposant binairement, répétitivement, une droite figée à une gauche toute aussi figée.

La caractéristique majeure de cet impact ubiquitaire du nietzschéisme est justement d'être extrêmement diversifiée, très plurielle. L'¦uvre de Nietzsche a tout compénétré. Méthodologiquement, l'impact de la pensée de Nietzsche n'est donc pas simple à étudier, car il faut connaître à fond l'histoire culturelle de l'Allemagne en ce XXième siècle; il faut cesser de parler d'un impact au singulier mais plutôt d'une immense variété d'impulsions nietzschéennes. D'abord Nietzsche lui-même est un personnage qui a évolué, changé, de multiples strates se superposent dans son ¦uvre et en sa personne même. Le Dr. Christian Lannoy, philosophe néerlandais d'avant-guerre, a énuméré les différents stades de la pensée nietzschéenne:
1er stade: Le pessimisme esthétique, comprenant quatre phases qui sont autant de passages: a) du piétisme (familial) au modernisme d'Emerson; b) du modernisme à Schopenhauer; c) de Schopenhauer au pessimisme esthétique proprement dit; d) du pessimisme esthétique à l'humanisme athée (tragédies grecques + Wagner).
2ième stade: Le positivisme intellectuel, comprenant deux phases: a) le rejet du pessimisme esthétique et de Wagner; b) l'adhésion au positivisme intellectuel (phase d'égocentrisme).
3ième stade: Le positivisme anti-intellectuel, comprenant trois phases: a) la phase poétique (Zarathoustra); b) la phase consistant à démasquer l'égocentrisme; c) la phase de la Volonté de Puissance (consistant à se soustraire aux limites des constructions et des constats intellectuels).
4ième stade: Le stade de l'Antéchrist qui est purement existentiel, selon la terminologie catholique de Lannoy; cette phase terminale consiste à se jeter dans le fleuve de la Vie, en abandonnant toute référence à des arrière-mondes, en abandonnant tous les discours consolateurs, en délaissant tout Code (moral, intellectuel, etc.).

Plus récemment, le philosophe allemand Kaulbach, exégète de Nietzsche, voit six types de langage différents se succéder dans l'¦uvre de Nietzsche: 1. Le langage de la puissance plastique; 2. Le langage de la critique démasquante; 3. Le style du langage expérimental; 4. L'autarcie de la raison perspectiviste; 5. La conjugaison de ces quatre premiers langages nietzschéens (1+2+3+4), contribuant à forger l'instrument pour dépasser le nihilisme (soit le fixisme ou le psittacisme) pour affronter les multiples facettes, surprises, imprévus et impondérables du devenir; 6. L'insistance sur le rôle du Maître et sur le langage dionysiaque.

Ces classifications valent ce qu'elles valent. D'autres philosophes pourront déceler d'autres étapes ou d'autres strates mais les classifications de Lannoy et Kaulbach ont le mérite de la clarté, d'orienter l'étudiant qui fait face à la complexité de l'¦uvre de Nietzsche. L'intérêt didactique de telles classifications est de montrer que chacune de ces strates a pu influencer une école, un philosophe particulier, etc. De par la multiplicité des approches nietzschéennes, de multiples catégories d'individus vont recevoir l'influence de Nietzsche ou d'une partie seulement de Nietzsche (au détriment de tous les autres possibles). Aujourd'hui, on constate en effet que la philosophie, la philologie, les sciences sociales, les idéologies politiques ont receptionné des bribes ou des pans entiers de l'¦uvre nietzschéenne, ce qui oblige les chercheurs contemporains à dresser une taxinomie des influences et à écrire une histoire des réceptions, comme l'affirme, à juste titre, Steven E. Aschheim, un historien américain des idées européennes.

Nietzsche: mauvais génie ou héraut impavide?

Aschheim énumère les erreurs de l'historiographie des idées jusqu'à présent:
- Ou bien cette historiographie est moraliste et considère Nietzsche comme le ³mauvais génie² de l'Allemagne et de l'Europe, ³mauvais génie² qui est tour à tour ³athée² pour les catholiques ou les chrétiens, ³pré-fasciste ou pré-nazi² pour les marxistes, etc.
- Ou bien cette historiographie est statique, dans ses variantes apologétiques (où Nietzsche apparaît comme le ³héraut² du national-socialisme ou du fascisme ou du germanisme) comme dans ses variantes démonisantes (où Nietzsche reste constamment le mauvais génie, sans qu'il ne soit tenu compte des variations dans son ¦uvre ou de la diversité de ses réceptions).
Or pour juger la dissémination de Nietzsche dans la culture allemande et européenne, il faut: 1. Saisir des processus donc 2. avoir une approche dynamique de son ¦uvre.

Le bilan de cette historiographie figée, dit Aschheim, se résume parfaitement dans les travaux de Walter Kaufmann et d'Arno J. Mayer. Walter Kaufmann démontre que Nietzsche a été mésinterprété à droite par sa s¦ur, Elisabeth Förster-Nietzsche, par Stefan George, par Ernst Bertram et Karl Jaspers. Mais aussi dans le camp marxiste après 1945, notamment par Georg Lukacs, communiste hongrois, qui a dressé un tableau général de ce qu'il faut abroger dans la pensée européenne, ce qui revient à rédiger un manuel d'inquisition, dont s'inspirent certains tenants actuels de la ³political correctness². Lukacs accuse Nietzsche d'irrationalité et affirme que toute forme d'irrationalité conduit inéluctablement au nazisme, d'où tout retour à Nietzsche équivaut à recommencer un processus ³dangereux². L'erreur de cette interprétation c'est de dire que Nietzsche ne suscite qu'une seule trajectoire et qu'elle est dangereuse. Cette vision est strictement linéaire et refuse de dresser une cartographie des innombrables influences de Nietzsche.

Arno J. Mayer rappelle que Nietzsche a été considéré par certains exégètes marxisants comme le héraut des classes aristocratiques dominantes en Allemagne à la fin du XIXième siècle. L'insolence de Nietzsche aurait séduit les plus turbulents représentants de cette classe sociale. Aschheim estime que cette thèse est une erreur d'ordre historique. En effet, l'aristocratie dominante, à cette époque-là en Allemagne, est un milieu plutôt hostile à Nietzsche. Pourquoi? Parce que l'anti-christianisme de Nietzsche sape les assises de la société qu'elle domine. L'³éthique aristocratique² de Nietzsche est fondamentalement différente de celle des classes dominantes de la noblesse allemande du temps de Bismarck. Par conséquent, Nietzsche est jugé ³subversif, pathologique et dangereux². La ³droite² (en l'occurrence la ³révolution conservatrice²) ne l'utilisera surtout qu'après 1918.

Les ³transvaluateurs²

Hinton Thomas, historien anglais des idées européennes, constate effectivement que Nietzsche est réceptionné essentiellement par des dissidents, des radicaux, des partisans de toutes les formes d'émancipation, des socialistes (actifs dans la social-démocratie), des anarchistes et des libertaires, par certaines féministes. Thomas nomme ces dissidents des ³transvaluateurs². La droite révolutionnaire allemande, post-conservatrice, se posera elle aussi comme ³transvaluatrice² des idéaux bourgeois, présents dans l'Allemagne wilhelmienne et dans la République de Weimar. Hinton Thomas concentre l'essentiel de son étude aux gauches nietzschéennes, en n'oubliant toutefois pas complètement les droites. Son interprétation n'est pas unilatérale, dans le sens où il explore deux filons de droite où Nietzsche n'a peut-être joué qu'un rôle mineur ou, au moins, un rôle de repoussoir: l'Alldeutscher Verband (la Ligue Pangermaniste) et l'univers social-darwiniste, plus particulièrement le groupe des ³eugénistes².

En somme, on peut dire que Nietzsche rejette les systèmes, son anti-socialisme est un anti-grégarisme mais qui est ignoré, n'est pas pris au tragique, par les militants les plus originaux du socialisme allemand de l'époque. Les intellectuels sociaux-démocrates s'enthousiasment au départ pour Nietzsche mais dès qu'ils établissent dans la société allemande leurs structures de pouvoir, ils se détachent de l'anarchisme, du criticisme et de la veine libertaire qu'introduit Nietzsche dans la pensée européenne. La social-démocratie cesse d'être pleinement contestatrice pour participer au pouvoir. Roberto Michels appelera ce glissement dans les conventions la Verbonzung, la ³bonzification², où les chefs socialistes perdent leur charisme révolutionnaire pour devenir les fonctionnaires d'une mécanique partitocratique, d'une structure sociale participant en marge au pouvoir. Seuls les libertaires comme Landauer et Mühsam demeurent fidèles au message nietzschéen. Enfin, au-delà des clivages politiques usuels, Nietzsche introduit dans la pensée européenne un ³style² (qui peut toujours s'exprimer de plusieurs façons possibles) et une notion d'³ouverture², impliquant, pour ceux qui savent reconnaître cette ouverture-au-monde et en tirer profit, une dynamique permanente d'auto-réalisation. L'homme devient ce qu'il est au fond de lui-même dans cette tension constante qui le porte à aller au-devant des défis et des mutations, sans frilosité rédhibitoire, sans nostalgies incapacitantes, sans rêves irréels.

Enfin, Nietzsche a été lu majoritairement par les socialistes avant 1914, par les ³révolutionnaires-conservateurs² (et éventuellement par les fascistes et les nationaux-socialistes) après 1918. Aujourd'hui, il revient à un niveau non politique, notamment dans le ³nietzschéisme français² d'après 1945.

L'impact de Nietzsche sur le discours socialiste avant 1914 en Allemagne

En Allemagne, mais aussi ailleurs, notamment en Italie avec Mussolini, alors fougueux militant socialiste, ou en France, avec Charles Andler, Daniel Halévy et Georges Sorel, la philosophie de Nietzsche séduit principalement les militants de gauche. Mais non ceux qui sont strictement orthodoxes, comme Franz Mehring, que les nietzschéens socialistes considèrent comme le théoricien d'un socialisme craintif et procédurier, fort éloigné de ses tumultueuses origines révolutionnaires. Franz Mehring, gardien à l'époque de l'orthodoxie figée, évoque une stricte filiation philosophie  ‹en dehors de laquelle il n'y a point de salut!‹   partant de Hegel pour aboutir à Marx et à la pratique routinière, sociale et parlementariste, de la sociale-démocratie wilhelminienne. Face à ce marxisme conventionnel et frileux, les gauches dissidentes opposent Nietzsche ou l'un ou l'autre linéament de sa philosophie. Ces gauches dissidentes conduisent à un anarchisme (plus ou moins dionysiaque), à l'anarcho-syndicalisme (un des filons du futur fascisme) ou au communisme. Ainsi, Isadora Duncan, une journaliste anglaise qui couvre, avec sympathie, les événements de la Révolution Russe pour L'Humanité, écrit en 1921: "Les prophéties de Beethoven, de Nietzsche, de Walt Whitman sont en train de se réaliser. Tous les hommes seront frères, emportés par la grande vague de libération qui vient de naître en Russie". On remarquera que la journaliste anglaise ne cite aucun grand nom du socialisme ou du marxisme! La gauche radicale voit dans la Révolution Russe la réalisation des idées de Beethoven, de Nietzsche ou de Whitman et non celles de Marx, Engels, Liebknecht (père), Plekhanov, Lénine, etc.

Pourquoi cet engouement? Selon Steven Aschheim, les radicaux maximalistes dans le camp des socialistes se réfèrent plus volontiers à la critique dévastatrice du bourgeoisisme (plus exactement: du philistinisme) de Nietzsche, car cette critique permet de déployer un ³contre-langage², dissolvant pour toutes les conventions sociales et intellectuelles établies, qui permettent aux bourgeoisies de se maintenir à la barre. Ensuite, l'idée de ³devenir² séduit les révolutionnaires permanents, pour qui aucune ³superstructure² ne peut demeurer longtemps en place, pour dominer durablement les forces vives qui jaillissent sans cesse du ³fond-du-peuple².

En fait, dès la fin de la première décennie du XXième siècle, la sociale-démocratie allemande et européenne subit une mutation en profondeur: les radicaux abandonnent les conventions qui se sont incrustées dans la pratique quotidienne du socialisme: en Allemagne, pendant la première guerre mondiale, les militants les plus décidés quittent la SPD pour former d'abord l'USPD puis la KPD (avec Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht); en Italie, une aile anarcho-syndicaliste se détache des socialistes pour fusionner ultérieurement avec les futuristes de Marinetti et les arditi  revenus des tranchées, ce qui donne, sous l'impulsion de la personnalité de Mussolini, le syncrétisme fasciste; etc.

le socialisme: une révolte permanente contre les superstructures

Par ailleurs, dès 1926, l'Ecole de Francfort commence à déployer son influence: elle ne rejette pas l'apport de Nietzsche; après les vicissitudes de l'histoire allemande, du nazisme et de l'exil américain de ses principaux protagonistes, cette Ecole de Francfort est à l'origine de l'effervescence de mai 68. Dans toutes ces optiques, le socialisme est avant toutes choses une révolte contre les superstructures, jugées dépassées et archaïques, mais une révolte chaque fois différente dans ses démarches et dans son langage selon le pays où elle explose. A cette révolte socialiste contre les superstructures (y compris les nouvelles superstructures rationnelles et trop figées installées par la sociale-démocratie), s'ajoute toute une série de thématiques, comme celles de l'³énergie² (selon Schiller et surtout Bergson; ce dernier influençant considérablement Mussolini), de la volonté (que l'on oppose chez les dissidents radicaux du socialisme à la doctrine sociale-démocrate et marxiste du déterminisme) et la vitalité (thématique issue de la ³philosophie de la Vie², tant dans ses interprétations laïques que catholiques).

Une question nous semble dès lors légitime: cette évolution est-elle 1) marginale, réduite à des théoriciens ou à des cénacles intellectuels, ou bien 2) est-elle vraiment bien capillarisée dans le parti? Steven Aschheim, en concluant son enquête minutieuse, répond: oui. Il étaye son affirmation sur les résultats d'une enquête ancienne, qu'il a analysée méticuleusement, celle d'Adolf Levenstein en 1914. Levenstein avait procédé en son temps à une étude statistique des livres empruntés aux bibliothèques ouvrières de Leipzig entre 1897 et 1914. Levenstein avait constaté que les livres de Nietzsche étaient beaucoup plus lus que ceux de Marx, Lassalle ou Bebel, figures de proue de la sociale-démocratie officielle. Cette étude prouve que le nietzschéisme socialiste était une réalité dans le c¦ur des ouvriers allemands.

"Die Jungen" de Bruno Wille, "Der Sozialist" de Gustav Landauer

En Allemagne, la première organisation socialiste/nietzschéenne était Die Jungen (Les Jeunes) de Bruno Wille. Celui-ci entendait combattre l'³accomodationnisme² de la sociale-démocratie, son embourgeoisement (rejoignant par là Roberto Michels, analyste de l'oligarchisation des partis), le culte du parlementarisme (rejoignant Sorel et anticipant les deux plus célèbres soréliens allemands d'après 1918: Ernst Jünger et Carl Schmitt), l'ossification du parti et sa bureaucratisation (Michels). Plus précisément, Wille déplore la disparition de tous les réflexes créatifs dans le parti; l'imagination n'est plus au pouvoir dans la sociale-démocratie allemande du début de notre siècle, tout comme aujourd'hui, avec l'accession au pouvoir des anciens soixante-huitards, l'imagination, pourtant bruyamment promise, n'a plus du tout droit au chapitre, ³political correctness² oblige. Ensuite, autre contestataire fondamental dans les rangs socialistes allemands, Gustav Landauer (1870-1919), qui tombera les armes à la main dans Munich investie par les Corps Francs de von Epp, fonde une revue libertaire, socialiste et nietzschéenne, qu'il baptise Der Sozialist. Chose remarquable, son interprétation de Nietzsche ignore le culte nietzschéen de l'égoïté, l'absence de toute forme de solidarité ou de communauté chez le philosophe de Sils-Maria, pour privilégier très fortement sa fantaisie créatrice et sa critique de toutes les pétrifications à l'¦uvre dans les sociétés et les civilisations modernes et bourgeoises.

Max Maurenbrecher et Lily Braun

Max Maurenbrecher (1874-1930), est un pasteur protestant socialiste qui a foi dans le mouvement ouvrier tout en se référant constamment à Nietzsche et à sa critique du christianisme. La première intention de Maurenbrecher a été justement de fusionner socialisme, nietzschéisme et anti-christianisme. Son premier engagement a lieu dans le Nationalsozialer Verein de Naumann en 1903. Son deuxième engagement le conduit dans les rangs de la sociale-démocratie en 1907, au moment où il quitte aussi l'église protestante et s'engage dans le ³mouvement religieux libre². Son troisième engagement est un retour vers son église, un abandon de toute référence à Marx et à la sociale-démocratie, assortis d'une adhésion au message des Deutschnationalen. Maurenbrecher incarne donc un parcours qui va du socialisme au nationalisme.

Lily Braun, dans l'univers des intellectuels socialistes du début du siècle, est une militante féministe, socialiste et nietzschéenne. Elle s'engage dans les rangs sociaux-démocrates, où elle plaide la cause des femmes, réclame leur émancipation et leur droit au suffrage universel. Ce féminisme est complété par une critique systématique de tous les dogmes et par une esthétique nouvelle. Son apport philosophique est d'avoir défendu l'³esprit de négation² (Geist der Verneinung), dans le sens où elle entendait par ³négation², la négation de toute superstructure, des ossifications repérables dans les superstructures sociales. En ce sens, elle annonce certaines démarches de l'Ecole de Francfort. Lily Braun plaidait en faveur d'une juvénilisation permanente de la société et du socialisme. Elle s'opposait aux formes démobilisantes du moralisme kantien. Pendant la première guerre mondiale, elle développe un ³socialisme patriotique² en arguant que l'Allemagne est la patrie de la sociale-démocratie, et qu'en tant que telle, elle lutte contre la France bourgeoise, l'Angleterre capitaliste et marchande et la Russie obscurantiste. Son néo-nationalisme est une sociale-démocratie nietzschéanisée perçue comme nouvelle idéologie allemande. La constante du message de Lily Braun est un anti-christianisme conséquent, dans le sens où l'idéologie chrétienne est le fondement métaphysique des superstructures en Europe et que toute forme de fidélité figée aux idéologèmes chrétiens sert les classes dirigeantes fossilisées à maintenir des superstructures obsolètes.

Contre le socialisme nietzschéen, la riposte des ³bonzes²

Avec Max Maurenbrecher et Lily Braun, nous avons donc deux figures maximalistes du socialisme allemand qui évoluent vers le nationalisme, par nietzschéanisation. Cette évolution, les ³bonzes² du parti l'observent avec grande méfiance. Ils perçoivent le danger d'une mutation du socialisme en un nationalisme populaire et ouvrier, qui rejette les avocats, les intellectuels et les nouveaux prêtres du positivisme sociologique. Les ³bonzes² organisent donc leur riposte intellectuelle, qui sera une réaction anti-nietzschéenne. Le parallèle est facile à tracer avec la France actuelle, où Luc Ferry et Alain Renaut critiquent l'héritage de mai 68 et du nietzschéisme français des Deleuze, Guattari, Foucault, etc. Le mitterrandisme tardif, très ³occidentaliste² dans ses orientations (géo)politiques, s'alignent sur la contre-révolution moraliste américaine et sur ses avatars de droite (Buchanan, Nozick) ou de gauche, en s'attaquant à des linéaments philosophiques capables de ruiner en profondeur  ‹et définitivement‹  les assises d'une civilisation moribonde, qui crève de sa superstition idéologique et de son adhésion inconditionnelle aux idéaux fluets et chétifs de l'Aufklärung. L'intention de Ferry et Renaut est sans doute de bloquer le nietzschéisme français, afin qu'il ne se mette pas au service du lepénisme ou d'un nationalisme post-lepéniste. Démarche bizarre. Curieux exercice. Plus politicien-policier que philosophique...

Kurt Eisner: nietzschéen repenti

L'exemple historique le plus significatif de ce type de réaction, nous le trouvons chez Kurt Eisner, Président de cette République des Soviets de Bavière (Räterepublik), qui sera balayée par les Corps Francs en 1919. Avant de connaître cette aventure politique tragique et d'y laisser la vie, Eisner avait écrit un ouvrage orthodoxe et anti-nietzschéen, intitulé Psychopathia Spiritualis,  qui a comme plus remarquable caractéristique d'être l'¦uvre d'un ancien nietzschéen repenti! Quels ont été les arguments d'Eisner? Le socialisme est rationnel et pratique, disait-il, tandis que Nietzsche est rêveur, onirique. Il est donc impossible de construire une idéologie socialiste cohérente sur l'égocentrisme de Nietzsche et sur son absence de compassion (ce type d'argument sera plus tard repris par certains nationaux-socialistes!). Ensuite, Eisner constate que l'³impératif nietzschéen² conduit à la dégénérescence des m¦urs et de la politique (même argument que le ³conservateur² Steding). A l'injonction ³devenir dur!² de Nietzsche, Eisner oppose un ³devenir tendre!², pratiquant de la sorte un exorcisme sur lui-même. Eisner dans son texte avoue avoir succombé au ³langage intoxicateur² et au ³style narcotique² de Nietzsche. Contrairement à Lily Braun et polémiquant sans doute avec elle, Eisner s'affirme kantien et explique que son kantisme est paradoxalement ce qui l'a conduit à admirer Nietzsche, car, pour Eisner, Kant, tout comme Nietzsche, met l'accent sur le développement libre et maximal de l'individu, mais, ajoute-t-il, l'impératif nietzschéen doit être collectivisé, de façon à susciter dans la société et la classe ouvrière un pan-aristocratisme (Heinrich Härtle, ancien secrétaire d'Alfred Rosenberg, développera un argumentaire similaire, en décrivant l'idéologie nationale-socialiste comme un mixte d'impératif éthique kantien et d'éthique du surpassement nietzschéenne, le tout dans une perspective non individualiste!).

Si Eisner est le premier nietzschéen à faire machine arrière, à amorcer dans le camp socialiste une critique finalement ³réactionnaire² et ³figeante² de Nietzsche et du socialisme nietzschéen, si Ferry et Renaut sont ses héritiers dans la triste France du mitterrandisme tardif, Georg Lukacs, avec une trilogie inquisitoriale fulminant contre les mutliples formes d'³irrationalisme² conduisant au ³fascisme², demeure la référence la plus classique de cette manie obsessionnelle et récurrente de biffer les innombrables strates de nietzschéisme. Pourtant, Lukacs était vitaliste dans sa jeunesse et cultivait une vision tragique de l'homme, de la vie et de l'histoire inspirée de Nietzsche; après 1945, il rédige cette trilogie contre les irrationalismes qui deviendra la bible de la ³political correctness² de Staline à Andropov et Tchernenko dans les pays du COMECON, chez les marxistes qui se voulaient orthodoxes. Pourtant, les traces du nietzschéisme sont patentes dans la gauche nietzschéenne, chez Bloch et dans l'Ecole de Francfort.

Les gauchistes nietzschéens

Par gauchisme nietzschéen, Aschheim entend l'héritage d'Ernst Bloch et d'une partie de l'Ecole de Francfort. Ernst Bloch a eu une grande influence sur le mouvement étudiant allemand qui a précédé l'effervescence de mai 68. Une amitié fidèle et sincère le liait au leader de ces étudiants contestataires, Rudy Dutschke, apôtre protestant d'un socialisme gauchiste et national. Bloch opère une distinction fondamentale entre ³marxisme froid² et ³marxisme chaud². Ce dernier postule un retour à la religion, ou, plus exactement, à l'utopisme religieux des anabaptistes, mus par le ³principe espérance². Lukacs ne ménagera pas ses critiques, et s'opposera à Bloch, jugeant son ¦uvre comme ³un mélange d'éthique de gauche avec une épistémologie de droite². Bloch est toutefois très critique à l'égard de la vision de Nietzsche qu'avait répandue Ludwig Klages. Bloch la qualifiera de ³dionysisme passéiste², en ajoutant que Nietzsche devait être utilisé dans une perspective ³futuriste², afin de ³modeler l'avenir². Bloch rejette toutefois la notion d'éternel retour car toute idée de ³retour² est profondément statique: Bloch parle d'³archaïsme castrateur². Le dionysisme que Bloch oppose à celui de Klages est un dionysisme de la ³nature inachevée², c'est-à-dire un dionysisme qui doit travailler à l'achèvement de la nature.

Bloch n'appartient pas à l'Ecole de Francfort; il en est proche; il l'a influencée mais ses idées religieuses et son ³principe espérance² l'éloignent des deux chefs de file principaux de cette école, Horkheimer et Adorno. Les puristes de l'Ecole de Francfort ne croient pas à la rédemption par le principe espérance, car, disent-il, ce sont là des affirmations para-religieuses et a-critiques. Dans leurs critiques des idéologies (y compris des idéologies post-marxistes), les principaux protagonistes de l'Ecole de Francfort se réfèrent surtout au ³Nietzsche démasquant², dont ils utilisent les ressources pour démasquer les formes d'oppression dans la modernité tardive. Leur but est de sauver la théorie critique, et même toute critique, pour exercer une action dissolvante sur toutes les superstructures léguées par le passé et jugées obsolètes. Dans ce sens, Nietzsche est celui qui défie au mieux toutes les orthodoxies, celui dont le ³langage démasquant² est le plus caustique; Adorno justifiait ses références à Nietzsche en disant: "Il n'est jamais complice avec le monde". A méditer si l'on ne veut pas être le complice du ³Nouvel Ordre Mondial²...

Marcuse: un nietzschéisme de libération

Quant à Marcuse, souvent associé à l'Ecole de Francfort, que retient-il de Nietzsche? L'historiographie des idées retient souvent deux Marcuse: un Marcuse pessimiste, celui de L'homme unidimensionnel, et un Marcuse optimiste, celui d'Eros et civilisation. Pour Steven Aschheim, c'est ce Marcuse optimiste  ‹il met beaucoup d'espoir dans son discours‹  qui est peut-être le plus ³nietzschéen². Son nietzschéisme est dès lors un nietzschéisme de libération, teinté de freudisme, dans le sens où Marcuse développe, au départ de sa double lecture de Nietzsche et de Freud, l'idée d'un ³pouvoir libérateur du souvenir². Jadis, la mémoire servait à se souvenir de devoirs,   d'autant de ³tu dois², suscitant tout à la fois l'esprit de péché, la mauvaise conscience, le sens de la culpabilité, sur lesquels le christianisme s'est arcbouté et a imprégné notre civilisation. Cette mémoire-là ³transforme des faits en essences², fige des bribes d'histoire peut-être encore féconds pour en faire des absolus métaphysiques pétrifiés et fermés, qu'on ne peut plus remettre en question; pour Nietzsche, comme pour le Marcuse optimiste d'Eros et civilisation, il faut évacuer les brimades et les idoles qu'a imposées cette mémoire-là, car les instincts de vie (pour Freud: l'aspiration au bonheur total, entravée par la répression et les refoulements), doivent toujours, finalement, avoir le dessus, en rejettant sans hésiter toutes les formes d'³escapismes² et de négation. Pour Marcuse, en cela élève de Nietzsche, la civilisation occidentale et son pendant socialiste soviétique (Nietzsche aurait plutôt parlé du christianisme) sont fondamentalement fallacieux (parce que sur-répressifs) (*) car ils conservent trop d'essences, d'interdits, et étouffent les créativités, l'Eros. On retrouve là les mêmes mécanismes de pensée que chez un Landauer.

La ³science mélancolique² d'Adorno

Adorno, dans Minima Moralia, se réfère à la dialectique négative de Nietzsche et se félicite du fait que cette négation nietzschéenne permanente ne conduit à l'affirmation d'aucune positivité qui, le cas échéant, pourrait se transformer en une nouvelle grande idole figée. Mais, Adorno, contrairement à Nietzsche, ne prône pas l'avènement d'un ³gai savoir² ou d'une ³gaie science², mais espère l'avènement d'une ³science mélancolique², sorte de scepticisme méfiant à l'endroit de toute forme d'affirmation joyeuse. Adorno se démarque ainsi du ³panisme² de Bloch, des idées claires et tranchées d'un Wille ou d'une Lily Braun, du communautarisme socialiste d'un Landauer ou, anticipativement, du ³gai savoir² d'un philosophe nietzschéen français comme Gilles Deleuze. Pour Adorno, la joie ne doit pas tout surplomber.

Pour Aschheim, l'Ecole de Francfort adopte alternativement deux attitudes face à ce que Lukacs, dans sa célèbre polémique pro-rationaliste, a qualifié d'³irrationalisme². Selon les circonstances, l'Ecole de Francfort distingue entre, d'une part, les irrationalismes féconds, qui permettent la critique des superstructures (dans ce qu'elles ont de figé) et/ou des institutions (dans ce qu'elles ont de rigide) et, d'autre part, les irrationalismes réactionnaires qui affirment brutalement des valeurs en dépit de leur obsolescence et de leur fonction au service du maintien de hiérarchies désuètes.

A quoi sert la ³political correctness²?

Aschheim constate que l'idéologie des Lumières introduit et généralise dans la pensée européenne le relativisme, le subjectivisme, etc. qui développent, dans un premier temps, une dynamique critique, puis retournent cette dynamique contre le sujet érigé comme absolu dans la civilisation occidentale par les tenants de l'Aufklärung eux-mêmes. Ce que Ferry a appelé la ³pensée-68² est justement cette idéologie des Lumières qui devient justement sans cesse plus intéressante, en ses stades ultimes, parce qu'elle retourne sa dynamique relativiste et perspectiviste contre l'idole-sujet. Ferry estime que ce retournement est allé trop loin, dans les ¦uvres de philosophes français tels Deleuze, Guattari, Foucault,... La ³pensée-68² sort donc de l'Aufklärung stricto sensu et travaille à dissoudre le sacro-saint sujet, pierre angulaire des régimes libéraux, pseudo-démocratiques, nomocratiques et/ou ploutocratiques, axés sur l'individualisme juridique, sur la méthodologie individualiste en économie et en sociologie. Par conséquent, contre l'avancée de l'Aufklärung jusqu'à ses conséquences ultimes, avancée qui risque de faire voler en éclat des cadres institutionnels vermoulus qui ne peuvent plus se justifier philosophiquement, un personnel composite de journalistes, de censeurs médiatiques, de fonctionnaires, de juristes et de philosophes-mercenaires doit imposer une ³correction politique², afin de restituer le sujet dans sa plénitude et sa ³magnificence² d'idole, afin de promouvoir et de consolider une restauration néo-libérale.

Revenons toutefois à Aschheim, qui cherche à remettre clairement en évidence les linéaments de nietzschéisme dans l'Ecole de Francfort, tout en montrant par quelles portes entrouvertes la correction politique, sur le modèle des Mehring, Eisner, Lukacs, Ferry, etc., peut simultanément s'insinuer dans ce discours. Horkheimer, chef de file de cette Ecole de Francfort et philosophe quasi officiel de la première décennie de la RFA, juge Nietzsche comme suit: le philosophe de Sils-Maria est incapable de reconnaître l'importance de la ³société concrète²   (**) dans ses analyses, mais, en dépit de cette lacune, inacceptable pour ceux qui ont été séduits, d'une façon ou d'une autre, par le matérialisme historique de la tradition marxiste, Nietzsche demeure toujours libre de toute illusion et voit et sent parfaitement quand un fait de vie se fige en ³essence² (pour reprendre le vocabulaire de Marcuse). Horkheimer ajoute que Nietzsche ³ne voit pas les origines sociales des déclins². Position évidemment ambivalente, où admiration et crainte se mêlent indissolublement.

Nietzsche, le maître en ³misologie²

En 1969, J. G. Merquior, dans Western Marxism,  ouvrage qui analyse les ressorts du ³marxisme occidental², rappelle le rôle joué par les diverses lectures de Nietzsche dans l'émergence de ce phénomène un peu paradoxal de l'histoire des idées; Nietzsche, disait Merquior, est un ³maître en misologie² (néologisme désignant l'opposition radicale des irrationalistes à l'endroit de la raison voire de la logique). Cette misologie transparaît le plus clairement dans la Généalogie de la morale  (1887), où Nietzsche dit que ³n'est définissable que ce qui n'a pas d'histoire²; en effet, on ne peut enfermer dans des concepts durables que ce qui n'a plus de potentialités en jachère, car des potentialités insoupçonnées peuvent à tout moment surgir et faire éclater le cadre définitionnel comme une écorce devenue trop étroite.

Notre point de vue dans ce débat sur l'Ecole de Francfort: cette école critique à juste titre l'étroitesse des vieilles institutions, lois, superstructures, qui se maintiennent envers et contre les mouvements de la vie, mais, dans la foulée de sa critique, elle heurte et tente d'effacer des legs de l'histoire qui gardent en jachère des potentialités réelles, en les jugeant a priori obsolètes. Elle n'utilise qu'une panoplie d'armes, celles de la seule critique, en omettant systématiquement de retourner les forces vives et potentielles des héritages historiques contre les fixations superstructurelles, les manifestations institutionnelles reflètant dans toutes leurs rigidités les épuisements vitaux, et les processus de dévitalisation (ou de désenchantement). Bloch, en dépit de ses références aux théologies de libération et aux messianismes révolutionnaires, abandonne au fond lui aussi l'histoire politique, militaire et non religieuse  ‹c'est du moins le risque qu'il court délibérément en déployant sa critique contre Klages‹   pour construire dans ses anticipations quasi oniriques un futur somme toute bien artificiel voire fragile. Son recours aux luttes est à l'évidence pleinement acceptable, mais ce recours ne doit pas se limiter aux seules révoltes motivées par des messianismes religieux, il doit s'insinuer dans des combats pluriséculaires à motivations multiples. Adorno et Horkheimer abandonnent eux aussi l'histoire, la notion d'une continuité vitale et historique, au profit du magma informe et purement ³présent², sans profondeur temporelle, de la ³société² (erreur que l'on a vu se répéter récemment au sein de la fameuse ³nouvelle droite² parisienne, où l'histoire est étrangement absente et le pilpoul sociologisant, nettement omniprésent). Le risque de ce saltus pericolosus, d'Adorno et Horkheimer, dit Siegfried Kracauer (in: History: The Last Things Before the Last, New York, OUP, 1969), est de perdre tout point d'appui solide pour capter les plus fortes concrétions en devenir qui seront marquées de durée; pour Kracauer la ³dialectique négative² des deux principaux parrains de l'Ecole de Francfort ³manque de direction et de contenu². Tout comme les ratiocinations jargonnantes et sociologisantes d'Alain de Benoist et de sa bande de jeunes perroquets.

L'entreprise de ³dé-nietzschéanisation² de Habermas

Si Nietzsche a été bel et bien présent, et solidement, dans le corpus de l'Ecole de Francfort, il en a été expulsé par une deuxième vague de ³dialecticiens négatifs² et d'apôtres, sur le tard, de l'idéologie des Lumières. Le chef de file de cette deuxième vague, celle des émules, a été sans conteste Jürgen Habermas. Aschheim résume les objectifs de Habermas dans son travail de ³dé-nietzschéanisation²: a) ¦uvrer pour expurger les legs de l'Ecole de Francfort de tout nietzschéisme; b) rétablir une cohérence rationnelle; c) re-coder (!) (Deleuze et Foucault avaient dissous les codes); d) reconstruire une ³correction politique²; e) réexaminer l'héritage de mai 68, où, pour notre regard, il y a quelques éléments très positifs et féconds, surtout au niveau de ce que Ferry et Renaut appelerons la ³pensée-68²; dans ce réexamen, Habermas part du principe que la critique de la critique de l'Aufklärung, risque fortement de déboucher sur un ³néo-conservatisme²; de ce fait, il entend militer pour le rétablissement de la ³dialectique de l'Aufklärung²  dans sa ³pureté² (ou dans ce qu'il veut bien désigner sous ce terme). Pour Habermas, le nietzschéisme français, le néo-heideggerisme, le post-structuralisme de Foucault, le déconstructivisme de Derrida, sont autant de filons de 68 qui ont chaviré dans ³l'irrationalisme bourgeois tardif². Or ces démarches philosophiques non-politiques, ou très peu politisables, ne se posent nullement comme des options militantes en faveur d'un conservatisme ou d'une restauration ³bourgeoise², bien au contraire, on peut conclure que Habermas déclenche une guerre civile à l'intérieur même de la gauche et cherche à émasculer celle-ci, à la repeindre en gris. Dans son combat, Habermas s'attaque explicitement aux notions d'hétérogénité (de pluralité), de jeu (de tragique, de kaïros tel que l'imaginait un Henri Lefebvre), de rire, de contradiction (implicite et incontournable), de désir, de différence. Selon Habermas, toutes ces notions conduisent soit au ³gauchisme radical² soit à l'³anarchisme nihiliste² soit au ³quiétisme conservateur². De telles attitudes, prétend Habermas, sont incapables d'envisager un changement chargé de sens (i. e. un sens progressiste et modéré, évolutionnaire et calculant). D'où Habermas, et à sa suite Ferry et Renaut, estiment être les seuls habilités à énoncer le sens, lequel est alors posé a priori, imposé d'autorité. Le libéralisme ou le démocratisme que habermas, Ferry et Renaut entendent représenter sont dès lors les produits d'une autorité, en l'occurence la leur et celle de ceux qui les relaient dans les médias.

Le libéralisme et le démocratisme autoritaires (sur le plan intellectuel), mais en apparence tolérants sur le plan pratique, constituent en fait le fondement de notre actuelle ³political correctness² qui se marie très bien avec le pouvoir des ³socialistes établis², héritiers du social-démocratisme à la Mehring, et flanqués des orthodoxes marxistes dévitalisés à la Lukacs. Cette alliance vise à remplacer un autoritarisme par un autre, une superstructure par une autre, qui serait le réseau des notables, des mafieux et des fonctionnaires socialistes. Une telle constellation idéologique renonce à émanciper continuellement les masses, les citoyens, les esprits mais entend installer un appareil inamovible (au besoin en noyautant les services de police, comme c'est le cas des socialistes en Belgique qui transforment la gendarmerie, déjà Etat dans l'Etat, en une armée au service du ministère de l'intérieur socialiste, tenu par un ancien gauchiste adepte de la marijuana). Cette constellation idéologique et politique refuse de réceptionner l'innovation, de quelqu'ordre qu'elle soit, et les rénégats de 68, les repentis à la façon d'Eisner, trahissent les intellectuels féconds de leur propre camp de départ, pour déboucher sur un discours sans relief, sans sel.

Donc l'aventure commencée par Die Jungen  autour de Wille est un échec au sein de la sociale-démocratie. Ses forces dynamiques vont-elles aller vers un nouveau fascisme? Il semble que la sociale-démocratie n'écoute pas les leçons de l'histoire et qu'en alignant à l'université des Habermas, des Ferry et des Renaut, ou en manipulant des groupes de choc violents, ou en animant des cercles conspirationnistes parallèles comme le CRIDA de ³René Monzat², elle prépare un nouvel autoritarisme, qu'en d'autres temps elle n'aurait pas hésiter à qualifier de ³fascisme². Dans toute tradition politico-intellectuelle, il faut laisser la porte ouverte au dynamisme juvénile, immédiatement réceptif aux innovations. Une telle ouverture est une nécessité voire un impératif de survie. Dans le cas de la sociale-démocratie, si ce dynamisme juvénile ne peut s'exprimer dans des revues, des cercles, des associations, des mouvements de jeunesse liés au parti, il passera forcément ³à droite² (ce qui n'est jamais qu'une convention de langage), parce que la gauche-appareil ne cesse de demeurer sourde à ses revendications légitimes. Aujourd'hui, ce passage ³à droite² est possible dans la mesure où la ³droite² est démonisée au même titre que l'anarchisme au début du siècle. Et les démonisations fascinent les incompris.

Nietzsche et la ³droite²

Avant 1914, la droite allemande la plus bruyante est celle des pangermanistes, qui ne se réfèrent pas à Nietzsche, parce que celui-ci n'évoque ni la race ni la germanité. Lehmann pensait que Nietzsche restait en dehors de la politique et qu'il était dès lors inutile de se préoccuper de sa philosophie. Paul de Lagarde ne marque pas davantage d'intérêt. Quant à Lange, il est férocement anti-nietzschéen, dans la mesure où il affirme que la philosophie de Nietzsche est juste bonne ³pour les névrosés et les littérateurs², ³les artistes et les femmes hystériques². A Nietzsche, il convient d'opposer Gobineau et de parier ainsi pour le sang, valeur sûre et stable, contre l'imagination, valeur déstabilisante et volatile. Otto Bonhard, pour sa part, réfute l'³anarchisme nietzschéen².

C'est sous l'impulsion d'Arthur Moeller van den Bruck que Nietzsche fera son entrée dans les idéologies de la droite allemande. Moeller van den Bruck part d'un premier constat: le défaut majeur du marxisme (i. e. l'appareil social-démocrate) est de ne se référer qu'à un rationalisme abstrait, comme le libéralisme. De ce fait, il est incapable de capter les véritables ³sources de la vie². En 1919, la superstructure officielle de l'empire allemand s'effondre, non pas tant par la révolution, comme en Russie, mais par la défaite et par les réparations imposées par les Alliés occidentaux. L'Armée est hors jeu. Inutile donc de défendre des structures politiques qui n'existent plus. La droite doit entrer dans l'ère des ³re-définitions², estime Moeller van den Bruck, et à sa suite on parlera de ³néo-nationalisme².

Si tout doit être redéfini, le socialisme doit l'être aussi, aux yeux de Moeller. Celui-ci ne saurait plus être une ³analyse objective des rapports entre la superstructure et la base², comme le voulait l'idéologie positiviste de la sociale-démocratie d'après le programme du Gotha, mais une ³volonté d'affirmer la vie². En disant cela, Moeller ne se contente pas d'une déclamation grandiloquente sur la ³vie², de proclamer un slogan vitaliste, mais dévoile les aspects très concrets de cette volonté de vie: une juste redistribution permet un essor démographique. La vie triomphe alors de la récession. Dès lors, ajoute Moeller, les clivages sociaux ne devraient plus passer entre des riches qui dominent et des masses de pauvres. Au contraire, le peuple doit être dirigé par une élite frugale, apte à diriger des masses dont les besoins élémentaires et vitaux sont bien satisfaits. Ce processus doit se dérouler dans des cadres nationaux visibles, assurant une transparence, et, bien entendu, clairement circonscrits dans le temps et l'espace pour que le principe ³nul n'est censé ignorer la loi² soit en vigueur sans contestation ni coercition.

Même raisonnement chez Werner Sombart: le nouveau socialisme s'oppose avec véhémence à l'hédonisme occidental, au progressisme, à l'utilitarisme. Le nouveau socialisme accepte le tragique, il est non-téléologique, il ne s'inscrit pas dans une histoire linéaire, mais fonde un nouvel ³organon², où fusionnent une vox dei et une vox populi, comme au moyen-âge, mais sans féodalisme ni hiérarchie rigide.

Spengler et Shaw

Pour Spengler, on doit évaluer positiviement le socialisme dans la mesure où il est avant toute chose une ³énergie² et, accessoirement, le ³stade ultime du faustisme déclinant². Spengler estime que Nietzsche n'a pas été jusqu'au bout de ses idées sur le plan politique. Ce sera Georges Bernard Shaw, notamment dans Man and Superman et Major Barbara, qui énoncera les méthodes pratiques pour asseoir le socialisme nietzschéen dans les sociétés européennes: mélange d'éducation sans moralisme hypocrite, de darwinisme tourné vers la solidarité (où les communautés les plus solidaires gagnent la compétition), d'ironie et de distance par rapport aux engouements et aux propagandes. Shaw, en annexe de son drame Man and Superman, publie ses Maxims for Revolutionists, rappelle que la ³démocratie remplace la désignation d'une minorité corrompue par l'élection d'un grand nombre d'incompétents², que la ³liberté ne signifie [pas autre chose] que la responsabilité et que, pour cette raison, la plupart des hommes la craignent²; enfin: ³l'homme raisonnable est celui qui s'adapte au monde; l'hommer irraisonnable est celui qui persiste à essayer d'adapter le monde à lui-même. C'est pourquoi le progrès dépend tout entier de l'homme raisonnable. L'homme qui écoute la Raison est perdu: le Raison transforme en esclaves tous ceux dont l'esprit n'est pas assez fort pour la maîtriser². ³Le droit de vivre est une escroquerie chaque fois qu'il n'y a pas de défis constants². ³La civilisation est une maladie provoquée par la pratique de construire des sociétés avec du matériel pourri². ³La décadence ne trouvera ses agents que si elle porte le masque du progrès².

Le socialisme doit donc être forgé par des esprits clairs, dépourvus de tous réflexes hypocrites, de tout ballast moralisant, de toutes ces craintes ³humaines trop humaines². Dans ce cas, conclut Spengler à la suite de sa lecture de Shaw, le ³socialisme ne saurait être un système de compassion, d'humanité, de paix, de petits soins, mais un système de volonté-de-puissance². Toute autre lecture du socialisme serait illusion. Il faut donner à l'homme énergique (celui qui fait passer ses volontés de la puissance à l'acte), la liberté qui lui permettra d'agir, au-delà de tous les obstacles que pourraient constituer la richesse, la naissance ou la tradition. Dans cette optique, liberté et volonté de puissance sont synonymes: en français, le terme ³puissance² ne signifie pas seulement la volonté d'exercer un pouvoir, mais aussi la volonté de faire passer mes potentialités dans le réel, de faire passer à l'acte, ce qui est en puissance en moi. Définition de la puissance qu'il convient de méditer,  ‹et pourquoi pas à l'aide des textes ironiques de Shaw?‹   à l'heure où la ³correction politique² constitue un retour des hypocrisies et des moralismes et un verrouillage des énergies innovantes.

Aschheim montre dans son livre le lien direct qui a existé entre la tradition socialiste anglaise, en l'occurence la Fabian Society animée par Shaw, et la redéfinition du socialisme par les premiers tenants de la ³révolution conservatrice² allemande. Dénominateur commun: le refus de conventions stérilisantes qui bloquent l'avancée des hommes ³énergiques².

Nietzsche et le national-socialisme

Au départ, Nietzsche n'avait pas bonne presse dans les milieux proches de la NSDAP, qui reprend à son compte les critiques anti-nietzschéennes des pangermanistes, des eugénistes et des idéologues racialistes. Les intellectuels de la NSDAP poursuivent de préférence les spéculations raciales de Lehmann et se désintéressent de Nietzsche, plus en vogue dans les gauches, chez les littéraires, les féministes et dans les mouvements de jeunesse non politisés. Ainsi, au tout début de l'aventure hitlérienne, Dietrich Eckart, le philosophe folciste (= völkisch) de Schwabing, rejette explicitement et systématiquement Nietzsche, qui est ³un malade par hérédité², qui a médit sans arrêt du peuple allemand; pour Eckart, la légende d'un Nietzsche qui vitupère contre l'Allemagne parce qu'il l'aime au fond passionément est une escroquerie intellectuelle. Enfin, constate-t-il, l'individualisme égoïste de Nietzsche est totalement incompatible avec l'idéal communautaire des nationaux-socialistes. Après avoir édité des exégèses de Nietzsche pourtant bien plus fines, Arthur Drews, théologien folciste inféodé à la NSDAP, s'insurge en 1934 dans Nordische Stimme  (n°4/34), contre la thèse d'un Nietzsche qui aime son pays malgré ses vitupérations anti-germaniques et affirme  ‹ce qui peut paraître paradoxal‹   que le jeune poète juif Heinrich Heine, lui, critiquait l'Allemagne parce qu'il l'aimait réellement. Nietzsche est ensuite accusé de ³philo-sémitisme²: pour Aschheim et, avant lui, pour Kaufmann, le texte le plus significatif de l'ère nazie en ce sens est celui de Curt von Westernhagen, Nietzsche, Juden, Antijuden (Weimar, Duncker, 1936). Alfred von Martin, critique protestant, revalorise l'humaniste Burckhardt et rejette le négativisme nietzschéen, plus pour son manque d'engagement nationaliste que pour son anti-christianisme (Nietzsche und Burckhardt, Munich, 1941)! Finalement, les deux auteurs pro-nietzschéens sous le Troisième Reich, outre Bäumler que nous analyserons plus en détail, sont Edgar Salin (Jacob Burckhardt und Nietzsche, Bâle, 1938), qui prend le contre-pied des thèses de von Martin, et le nationaliste allemand, liguiste (= bündisch) et juif, Hans-Joachim Schoeps (Gestalten an der Zeitwende: Burckhardt, Nietzsche, Kafka, Berlin, Vortrupp Verlag, 1936). Quant au critique littéraire Kurt Hildebrandt, favorable au national-socialisme, il critique l'interprétation de Nietzsche par Karl Jaspers, comme le feront bon nombre d'exilés politiques et Walter Kaufmann. Jaspers aurait développé un existentialisme sur base des aspects les moins existentialistes de Nietzsche. Tandis que Nietzsche s'opposait à toute transcendance, Jaspers tentait de revenir à une ³transcendance douce², en négligant le Zarathoustra et la Généalogie de la morale. Enfin, plus important, l'apologie de la créativité chez Nietzsche et sa volonté de transvaluer les valeurs en place, de faire éclore une nouvelle table des valeurs, font de lui un philosophe de combat qui vise à normer une nouvelle époque émergeante. Dans ce sens, Nietzsche n'est pas un intellectuel virevoltant (freischwebend) au gré de ses humeurs ou de ses caprices, mais celui qui jette les bases d'un système normatif et d'une communauté positive, dont les assises ne sont plus un ensemble fixe de dogmes ou de commandements (de ³tu dois²), mais un dynamisme bouillonant et effervescent qu'il faut chevaucher et guider en permanence (Kurt Hildebrandt, "Über Deutung und Einordnung von Nietzsches System", Kant-Studien, vol. 41, Nr. 3/4, 1936, pp. 221-293). Ce chevauchement et ce guidage nécessitent une éducation nouvelle, plus attentive aux forces en puissance, prêtes à faire irruption dans la trame du monde.

Plus explicite sur les variations innombrables et contradictoires des interprétations de Nietzsche sous le Troisième Reich, est le livre du philosophe italien Giorgio Penzo (cf. supra), pour qui l'époque nationale-socialiste procède plus généralement à une dé-mythisation de Nietzsche. On ne sollicite plus tant son ¦uvre pour bouleverser des conventions, pour ébranler les assises d'une morale sociale étriquée, mais pour la réinsérer dans l'histoire du droit, ou, plus partiellement, pour faire du surhomme nietzschéen un simple équivalent de l'homme faustien ou, chez Kriek, l'horizon de l'éducation. On assiste également à des démythisations plus totales, où l'on souligne l'infécondité fondamentale de l'anarchisme nietzschéen, dans lequel on décèle une ³pathologie de la culture qui conduit à la dépolitisation². Ce reproche de ³dépolitisation² trouve son apothéose chez Steding. D'autres font du surhomme l'expression d'une simple nostalgie du divin. L'époque connaît bien sûr ses ³lectures fanatiques², dit Penzo, où l'incarnation du surhomme est tout bonnement Hitler (Scheuffler, Oehler, Spethmann, Müller-Rathenow). Seule notable exception, dans ce magma somme toute asses confus, le philosophe Alfred Bäumler.

Bäumler: héroïsme réaliste et héraclitéen

La seule approche féconde de Nietzsche à l'ère nationale-socialiste est donc celle de Bäumler. Pour Bäumler, par ailleurs pétri des thèses de Bachofen, Nietzsche est un ³penseur existentiel², soit un philosophe qui nous invite à nous plonger dans la concrétude sociale, politique et historique. Bäumler ne retient donc pas le reproche de ³dépolitiseur², que d'aucuns, dont Steding, avaient adressé à Nietzsche. Bäumler définit l'³existentialité² comme un ³réalisme héroïque² ou un ³réalisme héraclitéen²; l'homme et le monde, dans cette perspective, l'homme dans le monde et le monde dans l'homme, sont en devenir perpétuel, soumis à un mouvement continu, qui ne connaît ni repos ni quiétude. Le surhomme est dès lors une métaphore pour désigner tout ce qui est héroïque, c'est-à-dire tout ce qui lutte dans la trame en devenir de l'existence terrestre.

On constate que Bäumler donne la priorité au ³Nietzsche agonal² plutôt qu'au ³Nietzsche dionysiaque², qui hérissait Steding, parce qu'il était le principal responsable du refus des formes et des structures politiques. Bäumler estime que Nietzsche inaugure l'ère de la ³Grande Raison des Corps², où la Gebildetheit, ne s'adressant qu'au pur intellect en négligeant les corps, est inauthentique, tandis que la Bildung, reposant sur l'intuition, l'intelligence intuitive, et une valorisation des corps, est la clef de toute véritable authenticité. Notons au passage que Heidegger, ennemi de Bäumler, parlait aussi d'³authenticité² à cette époque. La logique du Corps, qui est une logique esthétique, sauve la pensée, pense Bäumler, car toute la culture occidentale s'est refermée sur un système conceptuel froid qui ne mène plusà rien, système dont la trajectoire a été jalonnée par le christianisme, l'humanisme (basé sur une fausee interprétation, édulcorée et falsifiée, de la civilisation gréco-romaine), le rationalisme scientiste. La notion de Corps (Leib), plus le recours à ce que Bäumler appelle la ³grécité véritable², soit une grécité pré-socratique, de même qu'à une germanité véritable, soit une germanité pré-chrétienne, conduisent à un retour à l'authentique, comme le prouvent, à l'époque, les innovations de la philologie classique. Cette mise en équation entre grécité pré-socratique, germanité pré-chrétienne et authenticité, constitue le saltus periculosus de Bäumler: dénier toute authenticité à ce qui sortait du champs de cette grécité et de cette germanité, a valu à Bäumler d'être ostracisé pendant longtemps, avant d'être timidement réhabilité.

Les impasses philosophiques de la bourgeoisie allemande

Dans un second temps, Bäumler politise cette définition de l'authenticité, en affirmant que le national-socialisme, en tant que Weltanschauung, représente ³une conception de l'Etat gréco-germanique². Bäumler ne se livre pas trop à des rapprochements hasardeux, ni à des sollicitations outrancières. Pourquoi affirme-t-il que l'Etat national-socialiste est grèco-germanique au sens où Nietzsche a défini la corporéité grecque et accepté la valorisation grecque des corps? Pour pouvoir affirmer cela, Bäumler procède à une inteprétation de l'histoire culturelle de la ³bourgeoisie allemande², dont tous les modèles ont été en faillite sous la République de Weimar. L'Aufklärung, première grande idéologie bourgeoise allemande, est une idéologie négative car elle est individualiste, abstraite et ne permet pas de forger des politiques cohérentes. Le romantisme, deuxième grande idéologie de la bourgeoisie allemande, est une tradition positive. Le piétisme, troisième grande idéologie bourgeoise en Allemagne, est rejeté pour les mêmes motifs que l'Aufklärung. Le romantisme est positif parce qu'il permet une ouverture au Volk, au mythe et au passé, donc de dépasser l'individualisme, le positivisme étriqué et la fascination inféconde pour le progrès. Cependant, en gros, la bourgeoisie n'a pas tiré les leçons pratiques qu'il aurait fallu tirer au départ du romantisme. Bäumler reproche à la bourgeoisie allemande d'avoir été ³paresseuse² et d'avoir choisi un expédiant; elle a imité et importé des modèles étrangers (anglais ou français), qu'elle a plaqué sur la réalité allemande.

Parmi les bricolages idéologiques bourgeois, le plus important a été le ³classicisme allemand², sorte de mixte artificiel d'Aufklärung et de romantisme, incapable, selon Bäumler, de générer des institutions, un droit et une constitution authentiquement allemands. En rejetant l'Aufklärung   et le piétisme, en renouant avec le filon romantique en jachère, explique et espère Bäumler, le national-socialisme pourra ³travailler à élaborer des institutions et un droit allemands². Mais le nouveau régime n'aura jamais le temps de parfaire cette tâche.

Action, destin et décision

Dans l'interprétation bäumlerienne de Nietzsche, la mort de Dieu est synonyme de mort du Dieu médiéval. Dieu en soi ne peut mourir car il n'est rien d'autre qu'une personnification du Destin (Schicksal). Celui-ci suscite, par le biais de fortes personnalités, des formes politiques plus ou moins éphémères. Ces personnalités ne théorisent pas, elles agissent, le destin parle par elles. L'Action détruit ce qui existe et s'est encroûté. La Décision, c'est l'existence même, parce que décider, c'est être, c'est se muer en une porte qu'enfonce le Destin pour se ruer dans la réalité. Ernst Jünger aurait parlé de l'³irruption de l'élémentaire². Pour Bäumler, le ³sujet² a peu de valeur en soi, il n'en acquiert que par son Action et par ses Décisions historiques. Ce déni de la ³valeur-en-soi² du sujet fonde l'anti-humanisme de Bäumler, que l'on retrouve, finalement, sous une autre forme et dans un langage marxisé, chez Althusser, par exemple, où la ³fonction pratique-sociale² de l'idéologie prend le pas sur la connaissance pure (comme, dans la conception de Bäumler, le plongeon dans la vie réelle se voyait octroyer une bien plus grande importance que la culture livresque de l'idéologie des Lumières ou du classicisme allemand). Pour Althusser, dont la pensée est arrivée à maturité dans un camp de prisonniers en Allemagne pendant la 2ième Guerre mondiale, l'idéologie (la Weltanschauung?), était une instance mouvante, portée par des penseurs en prise sur les concrétudes, qui permettait de mettre en exergue les rapports de l'homme avec les conditions de son existence, de l'aider dans un combat contre les ³autorités figées², qui l'obligeaient à répéter sans cesse,  ‹³sisyphiquement² serait-on tenter de dire‹, les mêmes gestes en dépit des mutations s'opérant dans le réel. Pour Althusser, l'idéologie ne peut donc jamais se muer en une science rigide et fermée, ne peut devenir pur discours de représentation, et, en tant que conceptualisation permanente et dynamique des faits concrets, elle conteste toujours le primat de l'autorité politique ou politico-économique installée et établie, tout comme l'³anarchisme² gauchiste et nietzschéen de Landauer refusait les rigidifications conventionnelles, car elles étaient autant de barrages à l'irruption des potentialités en germe dans les communautés concrètes. Enfin, il ne nous paraît pas illégitime de comparer les notions d'³authenticité² chez Bäumler (et Heidegger) et de ³concrétude² chez Althusser, et de procéder à une ³fertilisation croisée² entre elles.

L'anti-humanisme de Bäumler repose, quant à lui, sur trois piliers, sur trois ¦uvres: celles de Winckelmann, de Hölderlin et de Nietzsche. Winckelmann a brisé l'image toute faite que les ³humanités² avaient donné de l'antiquité grecque à des générations et des générations d'Européens. Winckelmann a revalorisé Homère et Eschyle plutôt que Virgile et Sénèque. Hölderlin a souligné le rapport entre la grécité fondamentale et la germanité. Mais l'anti-humanisme de Bäumler est une ³révolution tranquille², plutôt ³métapolitique², elle avance silencieusem

G. Locchi: El fascimo come fenomeno europeo

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El fascismo como fenómeno europeo

Conferencia-Homenaje a Adriano Romualdi impartida por Giorgio Locchi.

Soy un hombre de escritura, no un orador. Hablar en público es para mí una tarea temible y siempre desagradable. Esta tarea es hoy, en mi caso, más desagradable de lo habitual, porque, estando entre los últimos en tomar la palabra, sé que diré cosas que algunos no compartirán. Además, tengo la convicción de poseer, respecto a los oradores y autores de las intervenciones que me han precedido, una singular ventaja al conmemorar e ilustrar la obra de Adriano Romualdi; y tener ventaja es algo que no me gusta. Esta singular ventaja mía es la siguiente. Todos los que han hablado hasta aquí de Adriano Romualdi lo han conocido personalmente, al menos tuvieron ocasión de verlo, de encontrarse con él, de hablarle una o dos veces. Habiéndole conocido vivo, han conocido su muerte: y hoy saben que ha muerto e, inevitablemente, hablan de él como muerto, como alguien que ya no está, aun cuando quizá continúe de algún oscuro modo presente. Yo vivo desde hace veintiséis años en Francia, lejos de los asuntos italianos, y no he conocido nunca personalmente a Adriano Romualdi. Es más: confieso que he ignorado totalmente su existencia hasta hace cuatro o cinco años cuando me la descubrió un grupo de jóvenes italianos que había venido a París buscando ideas que evidentemente no existían. Entonces, poco a poco, he descubierto la obra de Adriano Romualdi y la he descubierto, para mí, más viva que muchos vivientes, actualísima. Adriano Romualdi es un pensamiento que no cesa de hablarme y al cual yo respondo. Celebrando a Adriano Romualdi, celebro una presencia viva en mi tiempo y, de este tiempo, parte integrante.

Alguien, ayer, recomendó "no embalsamar a Adriano Romualdi". Es una idea que, precisamente, nunca podría venirme a la mente, porque para mí Adriano Romualdi está vivo; y no se embalsama a los vivos. Y dejarme deciros, crudamente, que, a mis ojos, el rechazo a "embalsamar" a Romualdi resulta una idea extremadamente sospechosa. No querer embalsamar algo que se tiene por un cadáver significa, en efecto, querer que este cadáver se descomponga, apeste, y que la gente se aleje de él. Significa pretender que la obra de Romualdi ha tenido su tiempo, que está superada y sería por consiguiente un error grave sacralizarla, impidiendo a los vivos superarla, ir más allá. Detrás de este modo de pensar y sentir no hay solamente, malignamente activo, ese ciego prejuicio progresista que para nosotros, pienso, debería ser extraño. Existe también, y sobre todo, un plan para relegar a un pasado definitivamente muerto una obra y un ejemplo de acción que, ayer como hoy, no cesan de incomodar profundamente y de incomodar, en particular, a ciertos jóvenes, o que se pretende tales, que han hecho una religión del éxito y del éxito en la sociedad de hoy tal cual es. No por nada, uno de estos jóvenes hace poco hallaba, cándidamente, una razón para condenar el fascismo justamente en el hecho de que éste no había tenido éxito, de que había perdido. Y lo bello del caso es que este joven sin duda también querría asumir valores trágicos y heroicos al mismo tiempo...

Sí, Romualdi incomoda y no deja de incomodar por dos razones fundamentales. La primera razón consiste en que él es, en la acción y en el pensamiento, un ejemplo raro y casi único de coraje. Empeñado en una carrera universitaria, comprometido políticamente, ha tenido el coraje de no atrincherarse astutamente detrás de una máscara, de no haber querido salir -con palabras o con hechos- del llamado túnel del fascismo. Él, al contrario, se ha proclamado abiertamente fascista y se ha reconocido precisamente dentro de la forma del fascismo más comprometida a los ojos del mundo de hoy y del sistema en el cual vivimos. Pero los ejemplos vivientes de coraje, por lo demás, son la cosa más incómoda y más irritante para quien no lo tiene... Romualdi molesta por tanto por otra razón no menos importante: a causa de su honestidad intelectual, también ella ejemplar. Ciertos adversarios del fascismo e incluso algunos amigos han afirmado que el pensamiento de Romualdi habría sido configurado por el "complejo de los vencidos". Pero Romualdi no era y no es un vencido, porque no se ha reconocido y no se reconoce vencido y siempre ha continuado -y continúa con su obra- combatiendo por sus ideales. Vencido es aquel al que la derrota obliga a pensar y a actuar de otra manera. Adriano Romualdi no ha pensado de otra manera. Simplemente, ha constatado una evidencia: la derrota de 1945 había cambiado radicalmente la situación en la cual el fascismo debía de actuar si todavía quería ser. Precisamente por esto su pensamiento permanece como esencial, y no superado: ha sabido reflexionar, en su calidad de fascista, sobre la nueva realidad diseñada en 1945, una realidad que es, invariablemente, la realidad de hoy. Romualdi se ha preguntado sobre lo que debe y puede hacer un fascista en un mundo y en una sociedad que ha colocado al fascismo fuera de la ley. Y puesto que ya los vencedores, convertidos en amos absolutos de la palabra, ofrecían una imagen falsa y deformada del fascismo, él ha querido ante todo poner de manifiesto qué es el fascismo, de dónde proviene, qué significa ser fascista. Allí donde otros, hincando intelectualmente las rodillas, se afanaban grotescamente en justificar el fascismo según las formas morales de los vencedores del 45, Romualdi ha tenido la honestidad intelectual de decir y de afirmar claramente que el fascismo es revuelta contra el mundo y la sociedad en la que vivimos, que su moral es totalmente otra, que es algo por lo tanto que el mundo y la sociedad de hoy no pueden aceptar. Quien quiere estar de algún modo de acuerdo con el mundo de hoy y descender al compromiso y al diálogo con el sistema, no tiene derecho a identificarse con Adriano Romualdi.

Alguien se ha preguntado ingenuamente sobre qué haría hoy Adriano Romualdi, en el actual contexto político y cultural, si por ventura estuviera todavía vivo en carne y huesos. La pregunta sugería retóricamente que Romualdi habría quizá sufrido una evolución, cambiando de parecer. Y lo sugería partiendo del presupuesto, considerado evidente, de que en estos diez años la situación habría cambiado radicalmente y que por consiguiente la reflexión histórica de Romualdi sobre la realidad habría cambiado igualmente. Yo considero que la situación es esencialmente la misma que aquella que la obra de Romualdi afronta. Pero, aun cuando la situación política hubiese cambiado, solamente cambiaría el modo de hacerse, no ya aquel principio en el cual la acción debe inspirarse. Por otra parte, cuando yo hablo de la obra de Adriano Romualdi y de su presencia viviente, me refiero ante todo a su obra de historiador, a sus estudios sobre el fascismo fenómeno europeo. (La negrilla es nuestra. ndr.)

El fascismo es lo que es. Como todo lo que es, puede morir y salir de la historia. Pero, históricamente muerto o vivo, permanece por siempre siendo lo que es: fascismo. Ahora, sobre el fascismo, Romualdi ha dicho verdades esenciales, que permiten adquirir una más profunda consciencia sobre lo que el fascismo es, y que, también, permiten a los fascistas adquirir una consciencia más profunda sobre lo que ellos son. Es precisamente este aspecto esencial de la obra de Romualdi el que yo querría recordar, también porque me parece que muchos preferirían olvidarlo e ignorarlo. Hablar de ello resulta fácil para mí, dado que mi concepción y mi visión del fascismo son esencialmente idénticas a las de él. Mi afinidad electiva hacia Romualdi abarca también los tiempos fundamentales de su investigación y de su reflexión: el carácter europeo del fenómeno fascista, el origen nietzscheano del sistema de valores del fascismo, la Revolución Conservadora (1) en Alemania y fuera de Alemania, el redescubrimiento de los Indo-europeos y su función de mito originario en la imaginación fascista.

La primera enseñanza fundamental de Adriano Romualdi es que, más allá de diferencias específicas, todos los movimientos fascistas y todas las variadas expresiones de la Revolución Conservadora (entendida aquí como corriente espiritual) tiene una esencia común. Afirmar la europeidad del fenómeno fascista comporta un inmediato aspecto político concerniente al porvenir: a ojos de Romualdi es precisamente en la esencia del fascismo donde todavía hoy reside la única y exclusiva posibilidad de restituir a Europa un destino histórico.

Adriano Romualdi ha demostrado claramente que los movimientos fascistas de la primera mitad de siglo y las distintas corrientes filosóficas, artísticas, literarias de la llamada Revolución Conservadora tienen la misma esencia común, obedecen a un mismo sistema de valores, tienen una idéntica concepción del mundo, del hombre, de la historia. Hoy, sin embargo, una nueva intelligentsia de derecha querría poner en contradicción Fascismo y Revolución Conservadora, de la misma manera que, por otra parte, a fin de legitimarse -es cierto- en el seno del mundo democrático, coloca en paralelo stalinismo y nacional-socialismo, regímenes comunistas y regímenes fascistas, metiéndolos grotescamente en el mismo saco de un mal definido totalitarismo. El Fascismo -dice esta gente- habría en cualquier caso explotado ideas de la Revolución Conservadora, pero desnaturalizándolas y falsificándolas. Es pues necesario, justamente en el marco de esta celebración del pensamiento de Adriano Romualdi, reafirmar con fuerza la común esencia del fascismo y de la Revolución Conservadora y, a tal objeto, ilustrar esta esencia y, a la vez, precisar su contenido.

Romualdi ha intuido que el origen del fenómeno fascista era ante todo de orden espiritual, enraizado en un específico filón de la cultura europea. Y lo más importante: ha sabido reencontrar este origen en la obra de Nietzsche o, más exactamente, en el sistema de valores propugnado por Nietzsche (y, luego también, en segundo término, en ciertos aspectos del romanticismo, que anuncian y preparan la obra de Nietzsche). Su prematuro y trágico fin no ha permitido a Adriano Romualdi encuadrar su pensamiento en una completa visión filosófica de la historia y definir, así, de modo exhaustivo y preciso la relación genética que media entre la obra de Nietzsche, la Revolución Conservadora y el Fascismo. Hay que reconocer que poner en evidencia esta relación no es tarea fácil. Y no lo es por una simple razón, a causa de la naturaleza particular de la obra de Nietzsche, que no es una obra puramente filosófica, es decir: de reflexión y sistematización del saber, sino que es también, y sobre todo, obra poética, sugestiva, creadora, que expresa y da históricamente vida a un sentimiento nuevo del mundo, del hombre y de la historia. La relación entre comunismo, socialismo y filosofía marxista, teoría marxista, es clara y tangible. Socialistas y comunistas son y se dicen marxistas, aun cuando después, fatalmente, cada uno de ellos interprete a Marx a su modo. Contrariamente, en lo que respecta a los movimientos fascistas, un reclamo explícito a Nietzsche no existe. En algunos casos, estos reclaman a Nietzsche como a una fuente entre tantas otras, como un precursor entre otros tantos. Pero también se da el caso de movimientos fascistas que ignoran a Nietzsche o que, desconociéndolo, creen su deber rechazarlo, en todo o en parte. Los movimientos fascistas de la primera mitad del siglo son la expresión política, inmediata e instintiva, de un nuevo sentimiento del mundo que circula por Europa a partir ya de la segunda mitad del siglo XIX. Tienen el sentimiento de vivir un momento de trágica emergencia y se precipitan a la acción obedeciendo a este sentimiento; se movilizan políticamente pero, al contrario que otros partidos y movimientos, no hacen referencia a alguna concreta filosofía o teoría política y asumen más bien casi siempre un comportamiento antiintelectualista. Los movimientos fascistas se coagulan por instinto en torno a un programa de acción inspirado por un sistema de valores que se opone drásticamente al sistema de valores igualitarista, que se encuentra en la base del democraticismo, liberalismo, socialismo, comunismo. Por contra, resulta fácil constatar que, en el seno de un mismo movimiento fascista, personalidades de primer nivel expresan y defienden filosofías y teorías bastante diferentes, a menudo poco conciliables entre ellas e incluso opuestas. La filosofía de un Gentile no tiene nada en común con la de Evola; Baumler y Krieck, filósofos y catedráticos, eran nacionalsocialistas y nietzscheanos, pero el nacionalsocialista Rosenberg, en cambio, criticaba duramente aspectos destacados del pensamiento de Nietzsche. Esto es un hecho innegable sobre el que se han apoyado y se apoyan adversarios del fascismo para afirmar con intención denigratoria que las referencias filosóficas del fascismo, cuando han existido, habrían sido grotescamente arbitrarias, además de contradictorias, y que por otra parte los movimientos fascistas carecerían de cualquier contenido positivo común desde el punto de vista filosófico o teórico. Éste es también, como se sabe, el punto de vista de un Renzo de Felice, y por tanto un punto de vista que permanece tanto más actual en el presente debate italiano. La argumentación es especiosa, ya que para negar una unidad de esencia se contraponen filosofías allí donde la unidad está originariamente fundada por un idéntico sentimiento-del-mundo. El fascismo pertenece a un campo, opuesto a otro campo, el igualitarista, al cual pertenecen democracia, liberalismo, socialismo, comunismo. Es este concepto de campo lo que permite captar la esencia del Fascismo, del mismo modo que permite captar la esencia de todas las expresiones del igualitarismo. Esto, Romualdi, lo había visto perfectamente, lo había afirmado de modo bastante claro. Concluyendo el breve ensayo previo a su antología de fragmentos nietzscheanos, ha dejado escrito: "Frente a Nietzsche se separan los campos. Para los otros su intolerable pretenciosidad social y humanitaria, la utopía de progreso de una humanidad de ceros. Para nosotros la conciencia, que Nietzsche nos ha dado, sobre aquello que fatalmente vendrá: ¡el nihilismo!". En este breve fragmento todo o casi todo lo esencial queda dicho. Y queda dicho, del modo más pleno, aquello que los movimientos fascistas y la Revolución Conservadora deben a Nietzsche: una conciencia históricamente nueva, la conciencia del fatídico advenimiento del nihilismo, esto es, para decirlo con terminología más moderna, de la inminencia del fin de la historia.

Cristianismo, en cuanto proyecto mundano, democracia, liberalismo, socialismo, comunismo, pertenecen todos al campo del igualitarismo, del llamado humanismo. Sus filosofías y sus ideologías difieren, pero todas obedecen a un mismo sistema de valores, todas tienen una misma concepción del mundo y del hombre, todas consciente o inconscientemente proyectan un fin de la historia y son -por consiguiente- desde un punto de vista nietzscheano, nihilistas negativas. El fascismo es el otro campo, que yo he llamado sobrehumanista como referencia al movimiento espiritual que lo ha generado y lo conforma. Romualdi ha sabido poner de manifiesto, a tenor de sus estudios nietzscheanos, el sistema de valores del campo sobrehumanista y fascista. Romualdi es un historiador y se interesa en un fenómeno político: desde el punto de vista de la política -que es aquel que precisamente le interesa- individualiza y pone de relieve el principio de acción, y el fin común a todos los movimientos fascistas. Él ha situado el principio de acción -repito- en el sistema de valores propugnaado por Nietzsche, y el fin común en el hombre nuevo, esto es en la fundación de un nuevo comienzo de la historia, más allá del inevitable fin de la historia al cual nos condenan dos mil años de cristianismo y de igualitarismo. Todo esto nos dice de dónde viene el fascismo, qué ha querido y qué quiere, cuál ha sido en el fondo su implícito método de acción (que, dicho sea entre paréntesis, no es otro que el nihilismo positivo, que quiere hacer tabla rasa para construir, sobre las ruinas y con las ruinas, un mundo nuevo). No se dice, empero, qué cosa sea el fascismo, que cosa sea el sobrehumanismo que lo genera, lo sostiene y lo orienta. En una palabra: no se dice cuál es la esencia del fascismo, aun resaltando y afirmando que tal esencia existe. Romualdi es un historiador, no un filósofo de la historia. Ahora bien, lo que sea la esencia del fascismo solamente la filosofía de la historia puede decirlo, en virtud de una reflexión sobre la historia del fascismo, de la misma manera que el propio Romualdi ha sabido -junto a algún otro- sacarla a la luz.

Yo he intentado explicar lo que pueda ser la esencia del fascismo en dos ensayos publicados en estos últimos años: uno se titula precisamente La esencia del fascismo; el otro, más amplio, está dedicado a Wagner, Nietzsche y el mito sobrehumanista. (...) Me limito a resumir del modo más simple posible el resultado de mis estudios, que pueden considerarse una continuación y una profundización de los de Adriano Romualdi. La esencia del sobrehumanismo, como por lo demás, la de toda tendencia histórica, hay que buscarla en su fundamental concepción del mundo, del hombre y de la historia. Esta concepción, que antes de ser tal nace como inmediato sentimiento e inmediata intuición, está íntimamente ligada al sentimiento y a la concepción del tiempo de la historia. El tiempo de la historia es un argumento que a primera vista puede parecer extremadamente arduo, pero de hecho es una noción que todos poseen, incluso sin darse cuenta de ello. El mundo antiguo tenía una concepción cíclica del tiempo de la historia, consideraba que todo momento de la historia estuviera destinado a repetirse. El tiempo mismo de la historia era representado como un círculo, tenía naturaleza lineal. Con el cristianismo nace un nuevo sentimiento del mundo, del hombre, del tiempo de la historia. Este tiempo de la historia permanece lineal; pero ya no es circular, sino más bien segmentario, más exactamente parabólico. La historia tiene un inicio, un apogeo, un fin. Y no se repite. Por otra parte, a la historia se le atribuye un valor negativo: provocada por el pecado original, la historia es atravesada por un valle de lágrimas. El advenimiento del Mesías, apogeo de la historia, pone en marcha la redención, esto es, la liberación del hombre del destino histórico, el apocalipsis, el advenimiento final de un eterno reino celestial. Esta concepción de la historia, mítica en el cristianismo, será posteriormente ideologizada y, en fin, teorizada por el marxismo; pero sigue siendo en sus rasgos esenciales la misma: en el lugar del pecado original, encontramos en Marx la invención de la explotación de la naturaleza y del hombre por parte del hombre mismo; la lucha de clases y la alienación que constituyen la travesía del valle de lágrimas, el advenimiento del Mesías se hace mundano en el advenimiento del proletariado organizado del partido comunista y socialista; el Reino de los Cielos deviene reino de la libertad, en el cual es abolida la lucha de clases y, a la vez, la propia historia (que Marx llama prehistoria).

La concepción sobrehumanista del tiempo no es ya lineal, sino que afirma la tridimensionalidad del tiempo de la historia, tiempo indisolublemente ligado a aquel espacio unidimensional que es la consciencia misma de toda persona humana. Cada consciencia humana es el lugar de un presente; este presente es tridimensional y sus tres dimensiones, dadas todas simultáneamente como son dadas simultáneamente las tres dimensiones del espacio físico, son la actualidad, lo devenido, lo por venir. Esto puede parecer abstruso, pero sólo porque desde hace dos mil años estamos habituados a otro lenguaje. De hecho, el descubrimiento de la tridimensionalidad del tiempo, una vez producido, se revela como una especie de huevo de Colón. En efecto, ¿qué es la consciencia humana, en tanto que lugar de un tiempo inmediatamente dado a cada uno de nosotros? Es, sobre la dimensión personal de lo acaecido, memoria, es decir presencia del pasado; es, sobre la dimensión de la actualidad, presencia de espíritu para la acción; es, sobre la dimensión del porvenir, presencia del proyecto y del fin perseguido, proyecto y fin que, memorizados y presentes en el espíritu, determinan la acción en curso.

Esta concepción tridimensional del tiempo es la única que puede lógicamente afirmar la libertad del hombre, la libertad histórica del hombre.

En la visión cristiana, la historia del hombre está predeterminada por el plan divino, por la llamada providencia; en la marxista, por la materialista ley de la economía, de la cual los hombres pueden sólo tomar conciencia. En estas concepciones de la historia y del hombre, la libertad humana se convierte en realidad en un flatus vocis, en el que el porvenir está siempre determinado por el pasado. El sentimiento tridimensional del tiempo revela que el hombre es históricamente libre: el pasado no lo determina ya, no puede determinarlo. Lo que nosotros hemos llamado hasta aquí pasado, pasado histórico, no existe de hecho más que a condición de ser de algún modo presente y presente en la consciencia. En sí, en cuanto pasado, es insignificante o, más exactamente, ambiguo: puede significar cosas opuestas, revestir valores opuestos; y es cada uno de nosotros, desde su personal presente, quien decide que debe él significar con relación al porvenir proyectado. El denominado pasado histórico es materia devuelta al estado bruto, materia bruta ofrecida a cada uno de nosotros para construir su propia historia. Esta ambigüedad del pasado se ofrece siempre en modo tanto más concreto a nuestra decisiva significación. Así, por ejemplo, nosotros somos herederos de un mundo europeo, que a su vez puede ser considerado heredero del mundo pagano y de aquel semítico-judaico. Si, desde el presente que es nuestro, estas dos herencias se revelan inconciliables, está en nosotros decidir cuál es nuestro verdadero origen. Adriano Romualdi -digámoslo como inciso- ha sabido también aquí escoger y decidir clara, serenamente: en favor del origen indoeuropeo, con una decisión proveniente de su proyecto de porvenir europeo.

Poetas, pensadores, artistas, filósofos conservadores-revolucionarios y fascistas han sabido a menudo dar expresión a este instintivo sentimiento del tiempo tridimensional, ilustrándolo con la imagen de la esfera (y no ya, repito, con la del círculo).

Este sentimiento, aun cuando es casi siempre inconsciente, sostiene el pensamiento político y los juicios históricos de los movimientos fascistas y se refleja de forma inmediata en sus vocabularios, junto a una nueva concepción paralela del espacio de la historia, esto es de la sociedad humana. La racionalidad del discurso fascista no puede ser explicada más que con relación al principio que lo rige: y este principio por otra parte no es sino la tridimensionalidad del tiempo de la historia. Cuando el fascismo habla en términos de lenguaje recibido, se afirma conservador (o reaccionario) y simultáneamente revolucionario (o progresista), precisamente porque estos términos no describen ya direcciones opuestas del devenir en el seno de un tiempo tridimensional. En el fascismo, el reclamo a un pasado mítico, elegido entre otros pasados posibles, coincide con la elección misma del proyecto del porvenir: la elección de lo devenido no es otra cosa, por así decirlo, que la memoria misma del porvenir proyectado y, a la vez, la actualidad que en él revive, vive y siempre se apresta a vivir. Aquí está también la razón de la complicada relación que los propios pensadores y hombre políticos fascistas mantienen con la denominada tradición, cuando no han adquirido aún clara conciencia del sentimiento del tiempo que sin embargo les anima. Pues resulta que ellos siguen pensando la tradición a la cual se refieren como si esta existiese y tuviera significado independientemente de la elección que han realizado. Todo movimiento fascista se ha reclamado siempre de un origen, y con él, de una tradición: romanidad en el fascismo mussoliniano, germanidad en el nacionalsocialismo, realeza católica de un catolicismo que es aquel imaginario del dios rubio de las catedrales en el fascismo maurrassiano, y así más. Si la relación de ciertos fascistas con la tradición resulta complicada, no es más -repito- porque no se dan cuenta de lo que entienden por tradición.

Por otra parte, es fácil constatar que los movimientos fascistas se reclaman siempre de una tradición perdida o cuando menos sofocada y en mortal peligro. Esto, pensándolo bien, significa que los movimientos fascistas preferían de hecho -frente a una tradición afirmada predominante en el seno de una sociedad dada- una tradición muerta o, en su defecto, reprimida y condenada a vivir subterráneamente, viva solamente en un restringido círculo de iniciados. El reclamo fascista de la tradición es así de hecho elección contra la tradición afirmada en las instituciones sociales y en las costumbres de las masas, y es elección de una tradición perdida, de una tradición que en realidad ha dejado de ser tal. Precisamente porque el origen elegido no es ya el socialmente afirmado, los movimientos fascistas cuando llegan al poder se vuelven notablemente pedagógicos con la pretensión de forjar el hombre nuevo de una tradición venidera que todavía no es. Adversarios del fascismo han hablado a este respecto -cito a Hans Mayer- de "detestable confusión del pasado y porvenir, de nostalgia de los orígenes y utopía del futuro". Pero lo que para los adversarios del fascismo aparece como detestable desde un punto de vista ético y desde el punto de vista de la racionalidad, es precisamente la esencia del fascismo, es la concepción nueva del tiempo de la historia, de un tiempo tridimensional en el que pasado y futuro, origen y fin histórico, no se contradicen y oponen, sino que por contra armoniosamente juntos constituyen, con la actualidad, el presente mismo de la consciencia histórica nueva alcanzado por el hombre nuevo fascista.

La concepción sobrehumanista del tiempo, decía, vuelve manifiesta la libertad histórica del hombre. Esta libertad histórica del hombre conlleva el enfrentamiento y la lucha en el cuadro de un destino heroico y trágico a la vez. Toda acción histórica en vista de un fin histórico es libre, no depende de otra cosa que de sí misma y de su éxito, no está escrita, por consiguiente, en ninguna fatalidad. La historia misma de la humanidad es libre, no predeterminada, porque se deriva de la libertad histórica del hombre.

La historia es siempre, en todo su presente, elección entre posibilidades opuestas. El fin mismo de la historia es una posibilidad, justamente porque el hombre es libre en todo momento de elegir contra la propia libertad, libre de abolir la propia historicidad, libre de poner fin a la historia. Esta es la elección nihilista de la cual hablaba Adriano Romualdi en la conclusión de su ensayo sobre Nietzsche, la elección realizada consciente o inconscientemente por el campo igualitarista. La otra elección es la elección de la propia historicidad humana, elección -como decía Martin Heidegger- de un nuevo "más originario origen", que es también un nuevo origen de historia. Escoger esta posibilidad significa escoger a los míticos antepasados que eligieron en favor de la historia, y al mismo tiempo significa querer convertirse en los antepasados de una humanidad nueva, regenerada.

Las últimas palabras del ensayo de Adriano Romualdi sobre Nietzsche son una cita de algunos versos de Gottfried Benn, poeta particularmente estimado por él. Querría, en su nombre recordarlas hoy:

"Y al final es preciso callar y actuar

sabiendo que el mundo se derrumba

pero tener empuñada la espada

para la última hora..."

Callar: porque nuestro discurso -fuera de nuestras catacumbas- es discurso fuera de la ley. Pero aun callando actuar en obediencia a aquel principio y a aquellos ideales que, desde siempre son los nuestros.


(1) La mención que hace el autor a la Revolución Conservadora que se hace no se refiere a las políticas liberales ejercidas a comienzos de los años 80 por los gobiernos de Thatcher y Reagan ni a sus ideólogos, sino que hace mención a los intelectuales que a comienzos de este siglo plantearon en Alemania una alternativa teórica al capitalismo y al marxismo y que en opinión del autor constituye el particular Fascismo alemán del que el nacionalsocialismo sería una de sus formas. Ver por ejemplo Die Konservative Revolution in Deutschland, 1918-1933 de Armin Möhler o Konservative Revolution. Introducción al nacionalismo alemán, 1918-1932 de Giorgio Locchi y Robert Steuckers.

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vendredi, 14 décembre 2007

L'astronomie des plus anciens Indo-Européens

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L'Astronomie des plus anciens Indo-Européens

par Ralf Koneckis

Au début de notre siècle, les archéologues imaginaient encore que les grandes pierres dressées de Stonehenge et des sites bretons (Carnac, etc.) étaient les vestiges d'un culte des morts. Le déchiffrement des hiéro-glyphes égyptiens et de l'écriture cunéiforme de la Mé-sopotamie ont attesté par ailleurs qu'il existe depuis la plus haute antiquité (au moins 3000 av. notre ère) une astronomie assez précise. En Europe, aucune trace ar-chéologique ne permettait d'affirmer que les autoch-tones possédaient eux aussi un savoir pareil à celui des Egyptiens et des Mésopotamiens. L'archéologue et mathématicien F.K. Ginzel, pourtant, signalait dès le début de notre siècle, que toute culture supérieure pro-cédait d'un savoir astronomique solide, permettant de comptabiliser le temps, de le segmenter et de l'ordonner, d'établir des chronologies. Les travaux ré-cents des archéologues contemporains ont rendu de plus en plus plausible la thèse suivante:
- les alignements mégalithiques ouest-européens sont des ruines d'anciens observatoires astronomiques pré-historiques;
- ces alignements sont plus anciens que les sources écrites égyptiennes et mésopotamiennes, attestant la présence d'une science astronomique;
- par conséquent, l'Europe disposait d'un savoir astro-nomique poussé avant l'Egypte ou la Mésopotamie.

Si cette thèse s'avère exacte, il faudra réviser bien des livres d'histoire et des manuels scolaires. Et il faudra compter sur la résistance et l'obstination des profes-seurs établis. Comme Schliemann pour Troie, il faudra que des marginaux de génie fassent passer le mes-sage...

Comment accroître notre savoir scientifique relatif aux connaissances astronomiques de nos plus lointains an-cêtres européens? En explorant notre patrimoine my-thologique et ses travestissements post-chrétiens dans les contes et légendes populaires. Dans la version mé-diévale des passages introductifs de l'Edda scandinave, l'auteur évoque la création du monde à partir de la ma-tière primordiale (uphafi  en vieil-islandais, soit la "haute-mer", l'élément aqueux primordial également évoqué par Thalès de Milet). De ce texte, on peut dé-duire que, pour les anciens Scandinaves, une force extérieure aux hommes règle la marche des astres (himintunglr)  et de la Terre. L'homme est soumis à cette force mais détient aussi le droit d'intervenir sur la trame des événements: en posant des actes historiques et en perpétuant le souvenir des actes historiques fon-dateurs. De fait, les grandes traditions mythologiques nord-européennes ont été véhiculées par voie orale. De cette tradition orale, mutilée par les chrétiens, nous n'avons conservé que des légendes et des contes, soit des fragments infimes et déformés. L'une des tâches futures des philologues, des mythologues et des folk-loristes sera de mettre en rapport le contenu des mythes et le savoir astronomique.

Pour Koneckis, le nom donné à la première partie de l'Edda  ‹Gylfaginning‹  indique déjà qu'il est par-faitement légitime de suivre une piste astronomique. Ce nom composé vieil-islandais signifie:
- gylla = jaune, doré;
- fagr = beau, mesuré, ordonné, harmonieux (nous ci-tons ici plusieurs termes français pour éclairer les di-verses nuances de ce terme islandais);
- ginn = très grand, immense [ce qui suggère l'infinitude cosmique].
Une traduction littérale moderne dirait: "la grande im-mensité dorée", ce qui signifie peu de choses. Surtout si l'on se souvient que les Scandinaves parlait par allu-sions poétiques et que chaque ver, chaque mot, avaient un sens caché que seuls les initiés pouvaient déchiffrer. Selon son hypothèse, Koneckis traduit: "l'infinie har-monie dorée", où l'harmonie est cosmique donc im-mense, infinie. Quant à "doré", c'est la couleur bril-lante qu'acquièrent les étoiles quand elles entrent dans une constellation. Notre soleil évolue dans le ciel exactement de la même façon: il entre et sort de constellations diverses à des rythmes temporels régu-liers. Nos ancêtres observaient ces mouvements, ces entrées et ces sorties, et les contaient en un langage imagé: la mythologie n'est donc pas le reflet d'intérêts économiques (comme le laissent accroire les interpréta-tions matérialistes) ni de désirs psycholo-giques exprimés ou refoulés (comme le laissent ac-croire les interprétations psychanalytiques), mais le fruit d'une observation empirique de laquelle on retire un savoir pratique pour la vie quotidienne et pour af-fronter le monde. La thèse de Koneckis indique qu'il y avait un rapport constant entre la marche du cosmos et les préoccupations de nos ancêtres, sans intervention aucune de dieux consolateurs ou jaloux.

Cette thèse, déjà amorcée par Frobenius, Drews, Stauff et quelques autres, la scandinavistique moderne semble l'ignorer, se condamnant ainsi à ne pas comprendre le sens ultime des textes sacrés, patrimoine le plus ancien de l'Europe germanique et sans doute aussi de la plus lointaine Europe préhistorique. Leo Frobe-nius (1873-1938), dès 1904, dans son Das Zeitalter des Sonnengottes  (= L'Age du Dieu solaire), a jetté les bases intellectuelles des recherches de Koneckis. Son livre expliquait que les formes de contes et d'histoires les plus ancien(ne)s procédaient de descriptions de phénomènes naturels; elles sont des compilations d'expériences face aux rythmes de la nature. Les formes les plus récentes, elles, ont une connotation moralisante; elles ajoutent un commentaire moral au ré-cit. Si un récit est seulement descriptif, c'est qu'il est très ancien. S'il est assorti d'un commentaire moral, c'est qu'il est récent. Le type primitif animalier-solaire raconte des histoires d'animaux et, dans ses récits, les astres du ciel deviennent des animaux, reçoivent des noms d'animaux (reliquat contemporain: le Zodiaque). Ensuite, la Weltanschauung cosmologique-solaire prend le relais: il n'y a plus de référents animaliers di-rects mais une désignation des astres en tant que tels. Cette "rationalisation" permet d'établir les premiers ca-lendriers, donc d'accéder à un niveau de culture supérieur. Mais au cours de cette phase de "rationalisation", on assiste à la confiscation du savoir astronomique par des castes de prêtres qui transforment les récits my-thologiques animaliers, accessibles à tous, en des for-mules sacrées et magiques ésotériques. La mythologie n'a alors plus d'assises concrètes dans le peuple et dé-choit en de simples contes et récits tronqués et impré-cis.

Leo Frobenius ajoute que jamais les mythologies des Naturvölker ne contiennent des récits de nature histo-rique. La différence était faite entre la marche du cos-mos et les événements historiques. Les interprétations qui voient dans les mythologies des sublimations d'événements historiques procèdent donc d'une erreur d'appréhension. Quand de fortes personnalités histo-riques marquent le mental d'un peuple, elles sont asso-ciées et non pas surajoutées à la mythologie cos-mique. Le héros est associé à un astre voire à l'astre ou à la constellation présente au moment de sa naissance ou de son acte héroïque.

Sur base de l'assertion de Frobenius, qui dit que les Naturvölker forgent leurs mythologies sur l'observation du monde, Koneckis en déduit que la mythologie européenne, dont l'Edda est le témoignage le plus récent et le plus accessible, procède d'une ob-servation du mouvement des astres tel qu'il est visible sous nos latitudes (de la Scandinavie à l'Europe cen-trale). Le ciel, comme l'indique le schéma dessiné par Koneckis, est une roue et la Terre un "cercle inté-rieur". Les neuf foyers (Heime)  de la Terre corres-pondent à des portions de 20° de latitude (9 x 20° = 180°), où le Helheim couvre l'espace s'étendant du Pôle Nord à la Norvège. A ces neuf "foyers" terrestres correspondent neuf foyers célestes. Les astres des neuf foyers célestes sont les archétypes des figures mythologiques. Les histoires de dieux sont des histoires d'astres en mouvement; leurs rencontres narrées constituent la mise en image des rapprochements pé-riodiques des astres, ce qui explique la permanence des récits mythologiques à travers les siècles et les millé-naires. Si la mythologie n'était que de l'histoire événémentielle sublimée, elle n'aurait pas son caractère permanent.

Nos lointains ancêtres observaient le ciel très longue-ment. Ce qui leur permit de découvrir que les astres se meuvent autour de l'axe du ciel, passant très près de l'étoile polaire. En ce lieu se situe donc le "conducteur des astres", le Gimlê de Snorri Sturluson, rédacteur du texte de l'Edda dont nous disposons aujourd'hui. A cet axe céleste correspond un axe terrestre, "père de toutes choses". Le Gimlê siège donc face au neuvième foyer, le Helheim, soit l'espace sis entre le pôle et la Scandi-navie septentrionale. Et comme la Terre opère elle aussi une révolution elliptique sur elle-même à la façon d'une toupie, elle possède également un axe dans le plus pro-fond d'elle-même, axe situé immédiatement sous le Gimlê, à hauteur du pôle. Les positions du Gimlê et de l'axe terrestre dans le Nebel-hel-heim sont au Nord, di-rection sacrée pour toutes nos mythologies euro-péennes. D'où le mythe de l'Ultima Thulé.

La méthode mise au point par Koneckis permet d'analyser d'une façon entièrement neuve les récits et contes nord-européens, retranscrits par les frères Grimm au XIXième siècle, qui avaient parfaitement conscience que les contes et légendes de nos pays avaient des racines mythologiques profondes. Kone-ckis a soumis à ses grilles d'analyse le conte du Lièvre et du Hérisson, la légende du voyage de Saint-Rein-hold et surtout notre vieille légende du Cheval Bayard, dont on retrouve des traces à Termonde, dans les Ar-dennes et dans la Ruhr. Son analyse des mythes de Saint-Reinhold et du Cheval Bayard illustre bien sa méthode. Les mythes naissent au moment où les constellations se rencontrent ou rencontrent des astres précis. Ainsi, la légende des marques de sabot du Che-val Bayard naît entre 500 et 1000 de notre ère car l'étoile sise dans le ciel à la hauteur du sabot du Cheval Bayard (Constellation du Lion/Cheval) rencontre le soleil vers le 29 août. A cette époque en effet, le Soleil se situait au niveau du sabot; aujourd'hui, il est à hau-teur de la poitrine du Cheval. Pour les Européens du Nord, la Constellation du Lion, animal qu'ils ne connaissaient pas, était la Constellation du Cheval.

Autre exemple: le conte de Blanche-Neige (le Soleil), des Sept Nains et de la Méchante Reine (la Reine Lune), retranscrit par Grimm, est un mythe solaire et solsticial, explicitant en termes imagés, la course hi-vernale du Soleil dans la Voie Lactée où il perd de son intensité (la forêt avec ses méchants animaux où Blanche-Neige risque de mourir). Pendant cette course, c'est la Lune qui "est la plus belle", ce qui est effectivement le cas en hiver. En février, au milieu de l'hiver, le Soleil se rapproche des Pléïades (Sept petites étoiles au milieu de la Voie Lactée, d'où les Sept Nains) et la Lune craint à juste titre de perdre la domi-nation qu'elle a exercé pendant tout l'hiver. Et c'est sous les oripeaux d'une vieille femme déclinante que la méchante Reine-Lune se rend chez Blanche-Neige (le Soleil) qui est auprès des Sept Nains (les Pléïades) pour la tuer et conserver sa place. Le Soleil s'approche alors de la Constellation des Gémeaux que le langage populaire appelle la civière, le brancard, comme le rap-porte Grégoire de Tours (540-594). C'est sur ce bran-card que Blanche-Neige ressuscite et que le printemps revient.

Voilà donc le mythe ramené à ses dimensions concrètes réelles. Mais comment le dater? Le Soleil était dans la Constellation des Gémeaux en 5500 avant notre ère (en 2300 avant notre ère, il était dans les Pléïades). Et en effet, dans les gravures rupestres scandinaves de l'Age du Bronze, on trouve un brancard portant le Soleil! L'histoire de Blanche-Neige remonte donc à près de 7500 ans! Plus tard, quand la carte céleste s'est modi-fiée, est née la légende du Petit Chaperon Rouge, autre figure solaire, parce que le Soleil entre dans la Constellation du Loup. L'interprétation astronomique des légendes permet leur datation précise.

La méthode de Koneckis offre les avantages suivants:
- interpréter les mythes de manière empirique et non plus subjective;
- prouver que l'Europe dite "préhistorique" a eu son astronomie;
- prouver en même temps que toutes les lumières ne viennent pas de l'Orient;
- prouver qu'il y a continuité plurimillénaire entre le paganisme cosmique de nos plus lointains ancêtres et les intuitions de Grimm.

Une dernière remarque, qu'une lecture attentive du livre d'Armin Mohler sur la Révolution Conservatrice nous permet de formuler: les religiosités antiques étaient cycliques dans le sens où elles procédaient d'une observation du mouvement des astres, observa-tion qui permet de constater le déroulement de cycles de 36 ans et de 25.920 ans, chiffres qui apparaissent dans les spéculations d'Héraclite d'Ephèse. Cette cy-clicité se repère également dans les formes tardives de la religiosité antique, où apparaissent des figures de "sauveurs". Ces figures ont été étudiées par le philo-sophe catholique germano-italien Romano Guardini. Ce dernier a constaté que tous les "sauveurs" pré-chrétiens ou non chrétiens (Mithra, etc.) reconduisaient les hommes dans le giron de la nature, dans ses rythmes cycliques. Seul le Christ, qui dit justement n'être pas de ce monde, brise le lien entre la nature et les hommes, fracasse les cycles et inaugure l'ère des "lignes", soit de la vision linéaire de l'histoire. Il les sauve ainsi de l'imbrication inéluctable dans les cycles naturels. D'un point de vue païen et révolutionnaire-conservateur, on peut dire que de cette façon le chris-tianisme a ouvert la boîte de Pandore et permis l'éclosion de tous les subjectivismes, y compris les plus délétères. Romano Guardini avouait même que les progrès techniques avaient été rendu possible parce que le christianisme avait vaincu le respect craintif que cul-tivaient les anciens à l'égard des rythmes naturels et cosmiques. Le combat que nous engageons vise à re-venir dans CE monde, pour le respecter comme notre oikos, notre lieu destinal, pour nous soumettre hum-blement aux mouvements du cosmos et y inscrire nos actes libres. Koneckis a le mérite de nous rappeler l'origine concrète de nos dieux et figures mythiques.

Sources:
- Ralf Koneckis, "Himmelskunde in Alteuropa", in Elemente, Nr.2, Jan.-März 1987.
- Ralf Koneckis, "Astrale Grundmuster im deutschen Volksmär-chen. Der Hase und der Igel", in Sterne und Weltraum,  12/1988.
- Ralf Koneckis, Sternbilder im Deutschen Volksmär-chen I,  tiré à part d'une conférence tenue à Trèves le 11 octobre 1987.
- Ralf Koneckis, "Eine astrale Deutung der Legende. Der große Wagen und die Fahrt des hl. Reinold", in Ruhr-Nachrichten,  Nr. 6, 8 Jan. 1988.
- Ralf Koneckis, "Reinolds Wunderroß Bayard reitet am Sternen-himmel: Sonne stand vor 1000 Jahren am Hinterhuf des Löwen-pferdes", in Ruhr-Nachrichten, 30 Jan. 1988.

Nos lecteurs qui souhaitent entrer en contact avec Ralf Koneckis peuvent lui écrire: R.K., Schneiderstraße 96, D-4600 Dortmund 50 (Deutschland).

[Synergies Européennes, Combat Païen, Juillet 1990]

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Amundsen au Pôle Sud

14 décembre 1911: Le navigateur et explorateur norvégien Roald Amundsen arrive le premier au Pôle Sud.

Né le 16 juillet 1872 à Borge près d’Oslo, il recevra une formation de docteur en médecine. Il accompagne l’expédition belge en Antarctique qui fut la première expédition européenne à passer un hiver entier dans ce continent glacial austral. Amundsen franchira le premier le Passage du Nord-Ouest d’est en ouest à bord d’un navire qu’il a équipé, le Gjöa. Cette expédition prendra trois ans (de 1903 à 1906). Après avoir appris que l’Américain Robert E. Peary avait atteint le Pôle Nord le premier, alors que c’était un projet qu’il caressait lui-même, il met le cap sur le Pôle Sud en guise d’alternative, et y établit sa base. Celle-ci se situe à 60 miles plus près du centre du continent antarctique que celle installée par ses concurrents britanniques menés par Robert Falcon Scott. Amundsen réussit alors l’exploit d’atteindre le centre de l’Antarctique avec quatre compagnons, montés sur traîneaux tirés par 52 chiens. L’expédition en traîneaux sur les neiges et la terre ferme du continent antarctique a duré du 11 octobre au 14 décembre 1911. Après ces équipées en bateaux et en traîneaux, Amundsen, comme bon nombre d’Européens de son époque, tente l’aventure aérienne. Il veut traverser les pôles par les airs. En 1926, avec l’Américain Lincoln Ellsworth et l’ingénieur italien en aéronautique Umberto Nobile, il franchit l’Arctique en dirigeable en partant des Spitsberg, archipel norvégien au-delà du Cercle glacial arctique. Ils arriveront en Alaska. En 1928, Amundsen perd la vie en voulant secourir son ami Umberto Nobile, dont le dirigeable s’était écrasé près de l’archipel Spitsberg.

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jeudi, 13 décembre 2007

H. De Man, maître à penser

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Edgar Delvo lors d'un congrès de l'UTMI pendant la seconde guerre mondiale

Henri De Man, mon "maître-à-penser"

par Edgard Delvo/E.d.V.

En mai 1940, l'homme politique socialiste flamand Edgard Delvo, 35 ans, se présente comme volontaire dans un bureau de recrutement de l'armée française, pour s'engager dans la lutte contre les ³barbares allemands². Mais un mois plus tard, il devient membre du Conseil de Direction (Raad van Leiding) du VNV (Vlaams Nationaal Verbond), le parti nationaliste flamand dirigé à l'époque par Staf De Clercq. Delvo est prêt en 1941 à s'engager pour le front russe, mais, en 1942, il est appelé à la tête de l'UTMI/UHGA (Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels; Unie van Hand- en Geestesarbeiders), le syndicat unifié, pendant belge du Front du Travail allemand. En septembre 1944, il fuit la Belgique, se réfugie en Allemagne et participe au Landsleiding (le gouvernement flamand en exil). Condamné à mort par contumace par un Tribunal militaire belge, Delvo vit trente ans en exil en Allemagne, dont vingt sous une fausse identité. A l'âge de 71 ans, revenu en Flandre, il publie un livre de mémoires Sociale Collaboratie (Collaboration sociale), où il retrace les grandes lignes de son socialisme national-populaire (volksnationaal socialisme) et confie aussi ses souvenirs à E.d.V., chroniqueur historique de l'hebdomadaire satirique flamand Œt Pallieterke (Anvers). Nous en publions un court extrait, où Delvo évoque la figure de Henri De Man, théoricien rénovateur du socialisme européen, très contesté au sein de son propre parti.

La plupart des jeunes militants socialistes de la génération de Delvo ne connaissaient même pas le nom de Henri De Man. "Dans les conférences et les cours du mouvement ouvrier belge, on ne le mentionnait pas. Ce n'est que dans un petit cénacle de notre groupe des Jeunesses Ouvrières (AJ; Arbeidersjeugd) que son nom avait bonne réputation et, pour moi personnellement, ses écrits constituaient un message de salut". Voilà ce que nous déclare Delvo qui ajoute que ses amis et lui comprenaient parfaitement qu'il valait mieux ne rien laisser transparaître de leur admiration pour De Man. Il était préférable, disaient-ils, de ne même pas prononcer son nom en dehors des cercles culturels de la jeunesse socialiste. La meilleure et la seule chose qu'ils pouvaient faire, c'était d'étudier ses idées de la manière la plus approfondie et d'en parler le moins possible avec les vieux camarades du parti, et certainement pas "avec les dirigeants".

Première rencontre

Henri De Man vivait encore en Allemagne quand Delvo et ses amis le lisait en cachette. Quelques années avant la prise du pouvoir par Hitler en 1933, Delvo reçoit l'ordre d'accompagner son maître vénéré à Gand et de présenter De Man aux socialistes de la ville. De Bruxelles à Gand, De Man et Delvo occupent à eux seuls un compartiment dans le train. Mais ils n'ont pas fait plus ample connaissance. Henri De Man avait vingt de plus que son admirateur; il n'a pas posé à son jeune camarade les questions conventionnelles que l'on pose pour montrer de un intérêt réel ou feint à son interlocuteur. De Man n'interroge donc pas Delvo sur sa jeunesse, son travail, sa façon de penser, ses dififcultés, ses espoirs... Nulle question de ce type. "Ce n'était apparemment pas son habitude de feindre de l'intérêt quand cet intérêt n'existait pas". Delvo était là comme un passant. "Mais n'allez pas croire que De Man était méprisant ou garder ostentativement ses distances. Au contraire. Il n'y avait rien d'affecté ou de blessant dans son attitude. Si je n'avais pas su que je me trouvais en présence de mon idole intellectuelle, je n'aurais rien remarqué de particulier à sa présence tranquille, à cet homme qui fumait confortablement sa pipe et laissait libre cours au vagabondage de ses idées".

Nationalisme et socialisme

En cours de route, les deux hommes ont échangé quelques mots sans signification, mais au moment où le train s'est approché de la gare de Gand-Saint-Pierre, De Man s'est brusquement animé: son intérêt s'éveillait pour la ville où il avait passé ses années d'étudiant et vécu ses premières expériences dans le mouvement socialiste. Il s'est appuyé sur la fenêtre du compartiment et quand nous sommes entrés dans la gare, il a dit: "Il y a bien longtemps! On va voir si on ne m'a pas déjà oublié". Delvo relate cette soirée gantoise: "Non, on ne l'avait pas oublié et, apparemment, on ne lui avait rien pardonné non plus. Pour ce qui concerne le nombre de militants présents, nous n'avions pas à nous plaindre; on s'attendait à une conférence compliquée qui n'attirait évidemment pas la masse. Un théoricien n'est pas une star du football ou un coureur cycliste victorieux. Nous pouvions aussi être satisfait du niveau intellectuel des assistants; le cercle d'étude socialiste qui avait organisé la conférence avait visé les intellectuels. Les dirigeants du parti, eux, ne s'étaient pas montrés. La vieille querelle durait-elle encore? Ou bien l'absence des dirigeants socialistes était-elle plutôt due à leur indifférence à l'égard de la thématique annoncée, ³nationalisme et socialisme², soit un problème auquel le POB n'a jamais voulu consacrer l'attention voulue?

"Je ne sais pas si Henri De Man a été déçu ou non de l'absence des dirigeants ouvriers de Gand lors de sa conférence; quoi qu'il en soit il ne l'a pas fait remarqué pendant le voyage de retour. A l'arrivée à Bruxelles-Nord, notre séparation a été brève et sans façons, comme notre tout première rencontre: une forte poignée de main".

Amis?

Selon Delvo, De Man était "tout naturel, sans contrainte dans son comportement, nullement vaniteux". Il le décrit comme "une personnalité tranquille, maîtresse d'elle-même, avec laquelle on se sentait à l'aise, bien qu'on aurait donné beaucoup pour savoir ce qui se passait derrière ce front haut et dans les sentiments de ce homme remarquable, qui ne laissait rien entrevoir de ses attirances et de ses répulsions".

Delvo, qui avait vingt-cinq ans quand il a rencontré De Man pour la première fois, n'a pas modifié fondamentalement ses premières impressions du théoricien. On a reproché à De Man "une indifférence blessante à l'endroit de ses semblables"; pour Delvo, ce n'était qu'"une inattention pour son environnement, une évasion totale ou un plongeon profond dans le monde de ses idées".

De Man, écrit Delvo, ne se donnait jamais la peine de susciter des effets dans son entourage. Il se comportait comme le dictait sa propre intériorité: "il restait toujours naturel et simple dans ses relations et dans son style de vie; il ne se pavanait pas, n'en mettait jamais plein la vue à ses proches, il ne faisait pas semblant, ne commettait jamais de fanfaronnades". De Man était un exemple pour l'attitude existentielle qu'il prônait lui-même: plus être que paraître, accorder moins d'importance à l'avoir qu'à l'être.

C'est précisément cet Henri De Man-là qui n'avait pas d'amis au sens profond de ce mot, écrit Delvo. Mais il semblait n'avoir nul besoin d'amis, "bien que beaucoup de personnes appartenant à son cercle de pensée souhaitaient que les sentiments de proximité qu'il suscitait en eux, reçoivent une réponse de sa part".

Assainir la démocratie

En 1933, De Man se fixe à Bruxelles. A partir de cette année-là, Delvo aura avec lui "des contacts extrêmement précieux et féconds". Delvo ajoute que De Man n'avait pas quitté l'Allemagne "sous pression", au moment où Hitler a accédé au pouvoir, "comme on l'a dit trop souvent par erreur". D'après Delvo, De Man aurait pu conserver sa chaire sans problème à Francfort, s'il l'avait voulu. "Combien de professeurs allemands compromis politiquement aux yeux des nouveaux détenteurs du pouvoir, pour leurs activités du temps de la République de Weimar, sont restés en Allemagne en dépit du changement de régime, en adaptant tout simplement leurs matières et leurs cours aux circonstances nouvelles, tout comme, ultérieurement, ils se sont réadaptés une seconde fois après 1944, en empruntant une direction nouvelle, dans le cadre du programme démocratique de ³rééducation² du peuple allemand".

De Man, en revanche, a quitté le Troisième Reich volontairement et librement, parce qu'il "n'était pas prêt à s'adapter à un régime dont il rejetait les fondements". Il a préféré mettre son expérience au service "du mouvement socialiste et de la lutte contre la crise dans son propre pays". Mais Delvo nous rappelle n'est pas simplement rentré en Belgique pour défendre une démocratie menacée et exposée aux coups de la dégénérescence. Non: De Man envisageait une réforme en profondeur de la démocratie belge, son assainissement". De Man croyait à la possibilité de telles réformes. Il voulait protéger la Belgique de "toute expérimentation totalitaire et dictatoriale".

Hendrik De Man, dit Delvo, "n'a jamais cessé de nous dire que toute démocratie sans responsabilité et sans autorité personnelles, sans auto-discipline et sans direction consciente, ne résisterait pas aux manipulations démagogiques et à l'auto-destruction". Il a opté pour une "démocratie puissante, vitale et ³autoritaire²" contre toutes les formes de dictature. Mais, en même temps, De Man concentrait toute son attention aux efforts entrepris par Hitler "pour susciter une solidarité nationale plus cohérente par plus de justice sociale". De Man considérait que "les réalisations sociales du Troisième Reich comme une contribution importante à l'unification spirituelle et psychique, condition préalable à ce sursaut soudain et étonnant du peuple allemand".

Peu après son retour en Belgique, Henri De Man devient vice-président du POB/BWP. Cette nomination avait été préparée lors de conversations avec le ³patron¹, Emile Vandervelde. Dans ces années de crise, tous les espoirs, dans le sérail du POB, reposaient sur Henri De Man. Les socialistes belges du POB ne désiraient plus s'adresser exclusivement et principalement aux ouvriers. En réalisant son fameux ³Plan du Travail², le POB entendait libérer toutes les catégories de la population "de l'emprise des forces économiques et financières monopolistiques".

Delvo, fidèle collaborateur à la revue de De Man, Leiding,  adepte convaincu de son socialisme éthique, défenseur passionné des point de vue de son maître-à-penser, contribua à diffuser largement, par la plume et la parole, les thèses de l'auteur d'Au-delà du marxisme. Pendant des années, Delvo est resté en rapports étroits avec De Man. Malgré cela, il n'ose toujours pas dire aujourd'hui, "qu'il a bien connu De Man".

"Réformateur du monde"

Pour comprendre la nature de leur relation et pour comprendre la personnalité de De Man, citons ces mots que Delvo consigne dans ses mémoires: "Henri De Man a voulu faire beaucoup de choses pour les gens, mais il n'a pas pu le faire avec  les gens". De Man "était profondément convaincu que les gens avaient besoin de lui". Il s'est toujours senti dans la peau d'un "réformateur du monde". Il voulait littéralement compénétrer les gens de ses idées, qu'il avait bien entendu formulées pour leur bien. Il voulait aller de l'avant et diriger, mais, personnellement, il ne ressentait nullement le besoin d'appartenir à l'humanité! "Il n'a jamais été un homme de communauté", au contraire de son élève Delvo, qui ajoute: "il acceptait le soutien et la collaboration de ceux qui étaient prêts à l'aider, et voyait en eux des hommes partageant les mêmes idées et les mêmes sentiments, des compagnons de combat, et non des amis".

Et Spaak?

"Pas même Paul-Henri Spaak", nous dit Delvo, "qui a tout de même, avec De Man, été considéré comme le représentant le plus influent du ³socialisme national² dans notre pays, et qui a été pour lui, un soutien indispensable quand il s'est heurté, inévitablement, au vieux président du parti, Emile Vandervelde, qui possédait encore à cette époque une grande autorité; je le répète, même Paul-Henri Spaak, n'a jamais été son ami. Non, personne n'avait accès à l'intériorité de De Man, n'avait droit à une part de sa vie sentimentale. C'était un homme que l'on appréciait et que l'on respectait, pas un homme à qui on se liait d'amitié".

Spaak et De Man, selon Delvo, "étaient liés dans un combat commun, basé sur une vision commune". Mais De Man avait derrière lui un "long processus de maturation". Spaak, au contraire, était devenu un ³socialiste national² en répudiant brusquement son passé à ³Action Socialiste², où violence et extrémisme s'était souvent conjugués. C'est vrai: le retournement soudain dans la pen-sée politique de Spaak s'est opéré quand il est devenu ministre "de manière inespérée et inattendue"; toutefois, Delvo pense qu'il s'agit bien d'une conversion soudaine, mais sincère, et non d'un ³simple calcul². Delvo croit pouvoir comprendre cette conversion; il sait qu'il n'est pas le seul jeune ³demaniste² qui "à ce moment, sa-vait que Spaak, depuis quelques temps, sous l'influence des concep-tions de De Man, avait soumis son internationalisme prolétarien à une sé-vè-re cri-tique" et était devenu un adepte du ³socialisme na-tional².

De Man et Spaak ont-ils été ³amis²? "Ils ont été liés politiquement", sans aucun doute. "Mais amis?": "Non" répond Delvo. Mais ce n'est certainement pas Spaak qui a été le responsable de cette ³incom-municabilité². Tout simplement, De Man n'accordait aucune valeur à l'amitié. Dans ses rapports humains, il ne visait qu'une chose: faire partager à ses interlocuteurs et à ses camarades les mêmes visions de la société et de la politique. Tous les efforts intellectuels de De Man tendaient à améliorer le sort de l'humanité, mais il perdait presque toujours de vue les "hommes vivants", y compris ceux qui évoluaient dans son environnement immédiat. Delvo a très bien perçu cet aspect de la personnalité de De Man: "Celui qui espérait des avantages personnels, entendait assurer son avenir, faisait bien de se ranger derrière la bannière de Spaak, qui ne décevait jamais ses amis et répondait toujours à leurs attentes". Mais ceux qui suivaient De Man pour ses idées ne récoltait qu'un ³bénéfice intellectuel². Aujourd'hui encore, Delvo pense que c'était là le ³meilleur choix². Et si Delvo a opté pour une autre voie que celle de De Man pendant la seconde guerre mondiale, il reste reconnaissant au théoricien du planisme.

Magnanimité?

Pendant l'été 1940, après la publication de son manifeste  ‹qui fit tant de vagues, parce qu'il réclamait la dissolution du parti socialiste et appelait à coopérer avec l'occupant allemand‹   De Man reçut la visite de nombreux dirigeants socialistes et surtout syndicalistes, à qui il a promis son soutien, bien qu'il était parfaitement convaincu "qu'ils le renieraient plus de trois fois avant que le coq ne chante une seule fois, si la fortune des armes venait à changer de camp".

En recevant ces socialistes et ces syndicalistes, De Man a-t-il agit par magnanimité? Ou parce qu'il se souvenait de leur lutte commune au sein du mouvement socialiste belge? Pas du tout, nous répond Delvo. Si De Man a reçu pendant l'été 1940 ses anciens camarades du parti qui venaient lui demander conseil, "sans dire un seul mot à propos de l'attitude hostile qu'ils lui avaient manifestée quelques temps auparavant, sans prononcer le moindre blâme pour le fait qu'ils avaient déserté et abandonné leurs camarades", cela n'a rien à voir avec la sentimentalité ou la vertu du pardon: De Man a reçu ses anciens camarades parce qu'ils avaient besoin de lui, de ses conseils, et qu'il était de son devoir de les aider, au-delà de tout sentiment de sympathie ou d'antipathie, de vénération ou de mépris. Parce que De Man avait décidé de remplir la mission qu'il s'était assignée à ce moment-là de notre histoire: rassembler la population belge derrière son Roi.

Leo Magits

Delvo n'aime pas qu'on lui pose trop de questions sur l'"homme" Henri De Man, pour la simple et bonne raison, dit-il, qu'il ne peut le faire, qu'il n'en a pas le droit. Mais il souhaite expressément nous dire ceci: lorsque De Man "avait pris une décision, lorsque quelque chose était bon et nécessaire selon son propre jugement, aucune considération ne pouvait plus l'empêcher d'agir selon son idée. Devant ce qu'il considérait être son devoir, tout devait fléchir et il oubliait tout, y compris ses propres enfants".

Lorsque Delvo devint en 1932 secrétaire général de la Centrale d'Education Ouvrière, en prenant la succession de Max Buset, il a fallu nommer un nouveau secrétaire flamand. Parmi les candidats: Leo Magits, émigré en 1918 aux Pays-Bas, où il fut actif dans le Syndicat International. Delvo ne connaissait pas Magits personnellement, mais avait lu sa brochure Vlaams socialisme [= Socialisme flamand]. Lorsque les deux hommes font connaissance à Bruxelles, deux choses sautent aux yeux de Delvo: "l'attachement absolu de Magits à la démocratie" et "sa vision du nationalisme qui se profilait avantageusement, par rapport à la vision de De Man sur cette question", dans le sens où Magits opérait une distinction beaucoup plus nette entre les concepts de ³nation² et d'³Etat², ne réduisait pas le nationalisme à une simple question de langue; de plus, son analyse des valeurs qu'apporte le fait national dans le mouvement ouvrier, permet des déductions bien plus positives et fécondes que l'¦uvre de De Man. Magits avait le mérite de ne pas sous-estimer la valeur de la prise de conscience nationale chez les ouvriers, dans la mission culturelle que doit s'assigner tout véritable mouvement socialiste.

Sous la double impulsion de De Man et de Magits, Delvo va évoluer intellectuellement, et finir par théoriser ce qu'il a appelé le ³volksnationaal socialisme², le socialisme national-populaire.

E. de V.
(extrait de la très longue étude de l'auteur, parue dans 't Pallieterke en 1976; cet épisode a été publié le 21 octobre 1976).
 

[Synergies Européennes, Vouloir, Septembre, 1995]

1084: Süleyman Shah s'empare d'Antioche

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13 décembre 1084: Le chef de guerre turc Süleyman Shah s’empare de la grande ville proche-orientale d’Antioche, clef de l’Anatolie et port méditerranéen important. Les troupes musulmanes turques s’approchent à grands pas de Byzance. Süleyman s’était déjà emparé de Konya au centre de l’Anatolie, provoquant par cette victoire un exode des Arméniens vers les côtes de Cilicie. Les succès de Süleyman favorisent également la victoire du parti militaire et de l’aristocratie provinciale de l’empire byzantin, coincé entre une offensive normande en Thessalie (Grèce) et les Seldjoukides de Süleyman. Pour éviter d’être pris ainsi en tenaille, le Basileus Alexis I Comnène tente de se rapprocher de la Papauté et des Vénitiens, ce qui amènera en bout de course à la première croisade, réaction européenne face à l’offensive turque, qui vient de débouler sur les côtes orientales de la Méditerranée.

En Espagne, en 1085, une croisade européenne avant la lettre, avait apporté son appui à Alphonse VI de Castille, qui enlève Tolède, centre névralgique de la péninsule ibérique. L’année 1085 est donc une année cruciale, qui marque en un certain sens le réveil de l’Europe. Les Almoravides de Youssouf Ben Tashfin tenteront certes de reprendre pied en Espagne, mais sans reconquérir la position stratégique primordiale qu’est Tolède. Youssouf prendra Valence, avant d’essuyer une vigoureuse contre-offensive d’un roi bien sympathique : Alphonse I le Batailleur de Navarre et d’Aragon, descendu de ses belles montagnes pyrénéennes pour affronter l’ennemi, qui, tenace, attaquera et contre-attaquera pendant encore près de deux siècles. En 1085 aussi périt à Rome le Pape Grégoire VII, qui avait déclenché la querelle des investitures en voulant émasculer l’Empire. Henri IV, qui avait subi l’humiliation de Canossa, s’était vengé, avait marché sur Rome, qui ne fut sauvée in extremis que par l’intervention des Normands. Urbain II, successeur du sinistre Grégoire VII, sera à peine plus conciliant, bien que plus lucide en appelant à la Croisade. Ni la reconquête des territoires conquis par les Seldjoukides et des Almoravides ni la réconciliation avec Byzance ne furent possibles avec ces papes apprentis sorciers qui voulaient ignorer les ressorts militaires et spirituels (kshatriaques) de l’impérialité germanique. L’Europe en paie les conséquences aujourd’hui encore.

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mercredi, 12 décembre 2007

1932: relations Japon/URSS

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12 décembre 1932: Le Japon et l’URSS renouent des relations diplomatiques. Mais le contexte international en Extrême Orient est particulièrement tendu. Les Japonais venaient d’envahir la Mandchourie et de prendre cette province chinoise sous leur protection totale, organisant un Etat à leur entière dévotion, à la tête duquel ils placeront Pu-Yi, dernier enfant de la dynastie mandchoue qui avait régné sur la Chine jusqu’à la proclamation de la république en 1911, sous l’impulsion du Dr. Sun Ya-tsen.

La présence japonaise en Mandchourie, le long du fleuve Amour et de la dernière portion de la voie de chemin de fer transsibérienne constituait une menace pour la région de Vladivostok et pour toute la Sibérie transbaïkalienne (à l’Est du Lac Baïkal). Staline craignait que les Japonais ne fassent alliance avec les nationalistes chinois de Tchang Kaï-chek, en couvrant ainsi leurs arrières dans le sud, pour pouvoir avancer leurs pions en direction de l’Est sibérien soviétique et de la Mongolie Extérieure. Moscou voyait avec inquiétude l’émergence d’un « bloc jaune », capable de lancer des opérations de conquêtes en Sibérie et en Asie centrale. De 1932 à 1937, la région a connu quelques années d’incertitude. En 1937, le Japon abandonne toute visée sur le Nord et attaque le Guomindang nationaliste de Tchang Kaï-chek, signalant par la même occasion que ses intérêts le portent désormais vers le Sud.

Dans le conflit sino-nippon, l’URSS se déclare neutre, signe un pacte de non-agression avec la Chine et laisse le Japon poursuivre ses opérations en pays han. En 1945, les troupes soviétiques envahiront la Mandchourie, la pilleront pour rééquiper l’Ouest du pays ravagé par l’invasion de l’Axe puis la quitteront pour la laisser aux Chinois. Des incidents de frontières assez graves ponctueront l’ère brejnevienne, ou les deux armées rouges s’affronteront. Les Soviétiques auront l’avantage.

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H. Blüher: héros masculins, porteurs d'Etat

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Hans Blüher: les héros masculins, porteurs d'Etat

par Michael Morgenstern

Son père l'avait averti de la toute-puissance de la société établie: "Ils t'injurieront et te brocarderont. Tu iras frapper en vain à la porte des maisons d'édition et des rédactions des journaux. Ils tairont ton nom et en feront un tabou que personne n'osera briser ou contourner". Pourtant, à 23 ans, le jeune Blüher était fermement décidé à poursuivre sa voie: il voulait décrire le mouvement Wandervogel tel qu'il l'avait vécu, c'est-à-dire comme un ³phénomène érotique². Son premier ouvrage, paru en trois volumes en 1912, il l'appelait son ³brigand². Grâce à lui, il déboule d'un seul coup sous les feux de la rampe, où il récolte bien entendu les injures et les quolibets que son père lui avait prophétisés. Il était devenu l'advocatus diaboli en marge du mouvement de jeunesse. Le Wandervogel était décrit par son jeune historiographe comme un mouvement révolutionnaire dirigé contre l'esprit du temps et contre la poussiéreuse ³culture des pères² car porté par la passion (érotique) de la jeunesse masculine.

Armin Mohler a placé Blüher à côté d'Oswald Spengler, de Thomas Mann, de Carl Schmitt et des frères Jünger, dans la phalange de tête des penseurs de la Révolution Conservatrice, et l'avait compté parmi les ³principaux auteurs d'esprit bündisch².  Malgré ce grand honneur, son nom est aujourd'hui quasi oublié, plus rien ne s'écrit sur lui et ses ouvrages ne sont pas réédités. Le tabou fonctionne toujours.

Né en 1888 à Freiburg en Silésie, fils d'un pharmacien, Hans Blüher est profondément marqué par l'éducation qu'il reçoit au Gymnasium   de Berlin-Steglitz, où il fait ses ³humanités². Ce Gymnasium est aussi, ne l'oublions pas, le berceau du mouvement Wandervogel. Dans cette école, Blüher accède au monde spirituel de la mythologie antique, dont il restera compénétré jusqu'à la mort. Au même moment, les institutions prussiennes, prodigant leur formation militarisée  ‹c'est un de leurs mérites, pense Blüher‹  suscitent aussi l'éclosion de forces différentes, contraires, de facture anarchisante, romantique et libre-penseuse.

Assoiffé de savoir, Blüher est attiré par la pensée de Nietzsche, que les maîtres et les directeurs d'école condamnent encore. Cet engouement pour le philosophe de Sils-Maria le conduit à aller étudier brièvement la philologie à Bâle. A cette époque, Blüher part en randonnée, traverse les Alpes et se retrouve en Italie. Il dévore les ¦uvres de Max Stirner, surtout L'unique et sa propriété. Il en dira: "Ce fut l'extrémité la plus audacieuse, vers laquelle je pus me diriger". Parce qu'il partageait avec lui la même vénération pour Carl Spitteler  ‹pour Blüher, c'était un "Homère allemand"‹   il rencontre le pédagogue réformateur et charismatique Gustav Wyneken, figure de proue du mouvement de jeunesse. Wyneken avait créé la ³Communauté scolaire libre de Wickersdorf² en Thuringe. Blüher considérait que cette initiative constituait le pôle apollinien du mouvement de jeunesse, tandis que le Wandervogel en constituait le pôle dionysiaque. Blüher ne rompit avec Wyneken, le réformateur des écoles, que lorsque celui-ci se mit à théoriser la notion d'un ³peuple pur et bon² à la mode socialiste et à militer en faveur de l'³Etat failli² qu'était la République de Weimar. Blüher, lui, resta un monarchiste convaincu (il précisait: un ³royaliste prussien²); il rendit même visite à l'Empereur Guillaume II en exil à Doorn aux Pays-Bas, où le monarque déchu était contraint de fendre son bois de chauffage à la hache.

De tout son c¦ur, Blüher, l'outsider   et l'universaliste, haïssait l'univers des doctes professeurs maniaques et méticuleux qui s'enfermaient dans leur spécialité. Il a finalement abandonné la rédaction de son mémoire sur Schopenhauer, dès qu'il s'est rendu compte qu'un tel travail n'était que superflu et inutilement pénible. Il considérait que l'université n'était plus qu'un ³magasin à rayons multiples², dans lequel il allait pouvoir se servir selon son bon vouloir et ses humeurs. La monographie controversée sur le Wandervogel   fut le premier coup d'éclat de Blüher. Mais il a continué à exploiter cette thématique en publiant chez Eugen Diederichs à Iéna son ¦uvre majeure: Die Rolle der Erotik in der männlichen Gesellschaft. Eine Theorie der menschlichen Staatbildung nach Wesen und Wert  (= Le rôle de l'érotisme dans la société masculine. Pour une théorie sur l'essence et la valeur de la constitution de l'Etat humain). Ce sera son ouvrage le plus important, celui qui eut le plus de suites. La thèse de Blüher: l'Eros masculin cherche à atteindre deux principes de socialisation opposés, celui qui repose sur la conquête sexuelle de la femme et sur la fondation d'une famille, d'une part, et celui qui vise la constitution d'une ³ligue d'hommes² (Männerbund), d'autre part. Cette dernière forme de socialisation, dont l'érotisme est le moteur, n'a pas seulement été le pilier porteur de la culture grecque antique, mais a constitué l'assise de tout ordre de type étatique.

Dès lors, en suivant le même raisonnement, Blüher affirme que la protestation du mouvement de jeunesse bündisch et la forte valorisation des ³héros masculins² dans ces milieux, où l'on s'insurgeait contre le monde bourgeois, étaient en fait des révoltes contre l'absoluisation dominante, dans ce même monde bourgeois, de la forme de socialisation visant la création de familles. Au cours de ce processus de survalorisation de la famille, l'homme se féminisait et la femme se virilisait. L'érotisme inter-masculin, décrit par Blüher, ne doit pas être confondu avec l'homosexualité, car il n'y conduit que dans des cas exceptionnels. Pourtant, comme l'affirmait Nicolaus Sombart dans les colonnes de la Frankfurter Allgemeine Zeitung  à l'occasion du centenaire de la naissance de Blüher, Die Rolle der Erotik.. peut être considéré comme une réaction aux ³procès Eulenburg² de 1907 à 1909, qui ont enclenché une persécution des homosexuels qui a éclaboussé le mouvement de jeunesse.

Blüher a subi l'influence décisive de Freud, dont il avait très tôt lu les ouvrages et repris le concept de ³refoulement². A l'aide de cette notion-clef, il a examiné le cas du ³persécuteur d'homosexuels²: celui-ci est dans le fond tout autant attiré érotiquement par la jeunesse masculine que l'homosexuel, mais ne l'admet pas et agit de toutes ses forces pour camoufler ses tendances vis-à-vis du monde extérieur en les transformant en leur contraire. Freud lui-même a publié un texte sur Blüher et sur sa théorie de la bisexualité dans la revue qu'il dirigeait, Imago. Il louait la perspicacité de son disciple Blüher: "Vous êtes une intelligence puissante, un observateur pertinent, un gaillard doué de beaucoup de courage et sans trop d'inhibitions". Autodidacte et précepteur libre, Blüher devait finalement à Freud son existence matérielle quotidienne: comme la psychanalyse n'était pas encore ancrée dans les curricula universitaires, l'auteur de Die Rolle der Erotik... a pu ouvrir un cabinet de psychothérapeute, sans détenir ni titre ni diplôme. Il en a vécu chichement pendant toute sa vie.

Hans Blüher, chrétien et nietzschéen tout à la fois, monarchiste et révolutionnaire, était un homme bourré de contradictions. Il comptait parmi ses amis et ses interlocuteurs des intellectuels libéraux de gauche ou des pacifistes juifs comme Kurt Hiller, Gustav Landauer, Magnus Hirschfeld et Ernst Joel, ce qui ne l'a pas empêché d'écrire des ouvrages très critiques à l'encontre de la judaïté. Ainsi, par exemple, son livre Secessio Judaica (1922) ou Streit um Israël. Briefwechsel mit Hans-Joachim Schoeps  (1933; = Querelle à propos d'Israël. Correspondance avec H.J. Schoeps). Ces textes lui ont valu l'étiquette d'³antisémite². Avec le recul, et malgré l'esprit de notre temps, cette accusation ne tient pas: il suffit, pour s'en convaincre, de lire les souvenirs autobiographiques que Blüher nous a laissés. Ils sont parus en 1953 chez l'éditeur Paul List à Munich, deux ans avant la mort de leur auteur, sous le titre de Wege und Tage. Geschichte eines Denkers  (= Chemins et jours. Histoire d'un penseur).

Sous le Troisième Reich, ce penseur de la transgression a vécu retiré de tout, en préparant un ouvrage philosophique de grande ampleur qui a reçu le titre de Die Achse der Natur  (= L'Axe de la Nature) quand il est paru en 1949. Il avait traité Hitler d'³estropié érotique².

(article tiré de Junge Freiheit, n°6/1995).
 

[Synergies Européennes, Junge Freiheit (Berlin) / Vouloir (Bruxelles), Octobre, 1996]

Tchingiz Aitmatov

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Tchingiz Aitmatov

12 décembre 1928: Naissance de l’écrivain kirghize Tchingiz Torekoulovitch Aitmatov. Son enfance sera celle d’un jeune Kirghize nomade, pérégrinant de pâturages en pâturages avec les troupeaux de son clan. En dépit du modernisme communiste. Mais cette enfance idyllique ne durera pas longtemps. La normalisation soviétique frappera sa famille : son père, accusé de « nationalisme bourgeois », est assassiné pendant les purges de 1937. L’orphelin est toutefois recueilli par le secrétaire du soviet de son village, qui l’initie à toutes sortes de travaux modernes, de types administratif et industriel.

Il étudie la médecine vétérinaire puis l’agronomie, mais sa vocation est littéraire : il commence par traduire en russe des poèmes traditionnels kirghizes. Son destin d’écrivain l’amène à l’Institut Gorki de Moscou, puis à l’Académie des littérateurs soviétiques. Il rédige des articles pour la Pravda. Après la perestroïka et à la suite de l’indépendance de la Kirghizie, il sera pendant un bref laps de temps ambassadeur de sa patrie au Luxembourg. L’œuvre la plus célèbre d’Aitmatov s’intitule « Djamila », une histoire d’amour, que Louis Aragon traduira en français. Les récits ultérieurs sont essentiellement marqués par la tradition et la culture kirghizes, où une nature peu clémente, celle d’âpres montagnes, forme les caractères.

Plus récemment, Aitmatov s’insurge contre les entorses faites par le modernisme industriel, à cette nature. L’auteur s’inscrit bien dans le cadre d’une littérature soviétique, déjà post-communiste, où l’écrivain ne chante plus l’électrification ou la beauté des tracteurs brinquebalants, crachant des odeurs de fuel, ou l’édification d’un HLM aux formes cubiques, mais renoue avec des traditions immémoriales, bien plus profonde que la superficialité marxiste ou que l’occidentalisme mercantile.

Plus intéressant encore à signaler, le dialogue entre Aitmatov et le philosophe, écrivain et théologien japonais Daisaku Ikeda, membre du comité organisateur de l’association « Soka Gakkai ». Sous le titre de « Rencontre à l’ombre du Fuji Yama », le dialogue entre les deux auteurs recèle les questions fondamentales de notre temps : « Quels sont les éléments qui nourrissent les cultures ? » ; un plaidoyer pour le retour aux traditions littéraires orales des peuples ; revalorisation des mythes ; la puissance de la connaissance de soi ; réflexions sur le Dharma, le nihilisme, l’œuvre de Dostoïevski ; etc. ( référence de l’édition allemande : Tschingis Aitmatow / Daisaku Ikeda, Begegnung am Fudschijama. Ein Dialog, Unionsverlag, Zürich, 1992, ISBN 3-293-00176-9).

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Du corbeau dans les traditions indo-européennes

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Du corbeau dans les traditions indo-européennes

Alberto Lombardo

Nos racines, nous les retrouvons en toutes choses: dans les lieux où nous vivons, dans les histoires que nous écoutons, dans les paroles que nous prononçons. Voilà pourquoi il est important de connaître l'étymologie d'un terme si l'on veut mieux comprendre sa propre identité, et donc la conserver.

Notre mot ³corbeau² (³corvo² en italien) nous vient du latin ³corvus² (voir également l'accusatif singulier du terme désignant le corbeau en ombrien: ³curnaco²). Ce mot a des origines indo-européennes très lointaines. Il dérive probablement d'une onomatopée (krŠ krŠ). Son existence est attestée dans diverses autres zones de l'aire indo-européenne, ce qui laisse présumer l'existence du mot dans le langage originel de ces peuples. On le trouve:
- dans l'aire celtique, avec l'irlandais ³crü², reconstruit d'après ³krowos²;
- dans l'aire germanique: en vieil-haut-allemand, ³hraban²; en vieux-norrois, ³hraukr²;
- dans l'aire baltique: en lithuanien, ³s^àrka² et dans le verbe ³kraûtki²);
- dans l'aire grecque, ³corax, coróne²);
- dans l'aire indienne, comme ne sanskrit, ³karavas²;
- dans l'aire albanaise/illyrienne, ³sórre², qui signifie ³corneille².
Des langues indo-européennes, le terme est passé par la suite dans la langue hébraïque, ³haraban².

Dans le foyer originel des Indo-Européens (Urheimat), la première patrie septentrionale de ces peuples, le corbeau sillonnait le ciel, le marquait de sa forme noire: il était l'épiphanie de plusieurs divinités, aux traits bien spécifiques. Son symbolisme est dual: il est lié à la sagesse, la prévoyance et la clairvoyance, d'une part, à la mort et à la destruction, d'autre part. Ses particularités font de lui un animal solaire et, en même temps, nocturne. C'est donc pour cette raison qu'il est souvent associé au loup, qui possède des caractéristiques analogues. Gianna Chiesa Isnardi, en se rappelant la Hálfs saga ok Hálfsrekka (la saga de Hálfr et des guerriers de Hálfr), affirme que ³dans les figures des deux frères Hrókr inn hvíti e Hrókr inn svarti, ³corbeau en blanc² et ³corbeau en noir², on a conservé le souvenir de la double symbolique de l'animal² (in: I miti nordici).  

Dans le zoroastrisme, le corbeau est un animal bénéfique et pur qui dissipe la corruption; dans le culte de Mithra, le corbeau définit le premier grade initiatique des mystères solaires. Dans la mythologie grecque, le caractère solaire de cet animal symbolique se manifeste dans le fait qu'il est le messager d'Hélios-Apollon et qu'il est lié à Chronos, à Athèna et à Askleipios-Esculape. Les corbeaux ont prédit la mort de Platon, comme, à Rome, ils ont prédit celles de Tibère et de Cicéron.

Dans l'orphisme, le corbeau symbolise la mort initiatique et, en conséquence, se voit associé à la torche et à la pomme de pin, deux symboles de la renaissance métaphysique. De manière analogue, dans la tradition hermétique, le corbeau est symbole de la nigredo, la mort rituelle, le ³passage aux ténèbres², tout comme le crâne et la tombe. Le dieu Brahma, dans la religion hindoue, se manifeste aussi parfois sous l'apparence d'un corbeau.

Le corbeau, toutefois, revêt une importance toute particulière dans les mythologies scandinave-germanique et celtique. Chez les Germains, les corbeaux sont sacrés et liés au dieu Wotan-Odin (Odhinn); les deux corbeaux de ce dieu, Huginn et Muninn (la ³pensée² et la ³mémoire²), volent de par le monde, recueillent toutes les informations intéressantes et reviennent chez leur Maître, dieu souverain, pour en référer. Huginn et Muninn suivent également Odhinn dans la chasse sauvage. Dans la mythologie celtique, les corbeaux sont consacrés tant au dieu Lug-à-la-longue-lance (attribut qu'il a en commun avec Odhinn) qu'à Morrigan, déesse de la fureur guerrière et de la mort au combat. Dans un mythe gallois, Owein est un héros ³souverain des corbeaux² et il rencontre et affronte la suite du Roi Arthur. La diffusion de la symbolique du corbeau dans les aires germanique et celtique a conduit à sa présence importante dans l'héraldique, où on le confond toutefois assez souvent avec la corneille.

Autre donnée importante: le corbeau est associé aux yeux, non seulement parce qu'on lui attribue une capacité de clairvoyance, mais aussi parce que les yeux des morts sont son premier repas quand il se pose sur un champ de bataille. On attribue également à ses yeux des vertus médicamenteuses. L'association ¦il/corbeau est une symbolique typique de la première fonction souveraine dans les mythologies indo-européennes. L'¦il et le corbeau représentent en effet la fonction magique/religieuse, comme le prouve son association aux dieux Odhinn et Lug, tout comme les yeux occupent une fonction de premier plan dans la hiérarchie symbolique du corps humain.


(article tiré de La Padania, 25 juin 2000).    

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mardi, 11 décembre 2007

1994: Première guerre de Tchétchénie

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11 décembre 1994: Déclenchement de la première guerre de Tchétchénie. Le 1 novembre 1991, la Tchétchénie, ancienne région autonome de l’URSS, se déclare indépendante unilatéralement, rompt tout lien fédératif avec la Russie. Le Président de la nouvelle entité est Djokhar Doudaïev.

Immédiatement après cette proclamation d’indépendance, un régime de terreur s’installe, contraignant de 200.000 à 300.000 personnes, surtout de nationalité russe ou ossète, à opter pour la voie de l’exil. Pour une région autonome qui comptait à peine un million à un million et demi d’habitants, c’est une saignée démographique impressionnante, donnant la pleine mesure de la terreur qui y fut pratiquée. Tous les principes de droit y furent abrogés, la criminalité organisée prit le contrôle du pays. Sous l’impulsion du Premier Secrétaire du Conseil de Sécurité de la Fédération de Russie, Oleg Lobov, Eltsine donne l’ordre d’intervenir militairement dans la région pour y rétablir l’ordre. 40.000 soldats russes, mal équipés et mal instruits, marchent sur Grosny, la capitale.

En avril 1995, après la destruction de Grosny par l’artillerie russe, les troupes d’Eltsine ne contrôlent que 80% du territoire de la Tchétchénie. C’est alors que la guerre prend le visage hideux qu’elle ne cessera plus d’exhiber. Le terrorisme tchétchène, plus que tout autre, entend ne rien respecter des conventions humanitaires traditionnelles : ainsi, en juin 1995, une bande emmenée par Chamil Bassaïev s’attaque, dans le sud de la Russie, à un hôpital, prenant un millier d’otages parmi les patients et le personnel médical et para-médical. L’horreur absolue ! La Russie d’Eltsine capitule, cède et met un terme à toutes les opérations militaires. Les hostilités cessent le 30 juillet 1995, après signature d’un accord. Seuls 6000 soldats russes demeurent en Tchétchénie.

Mais des francs-tireurs tchétchènes, plus extrémistes encore, poursuivent leur œuvre de mort : le 9 janvier 1996, un autre hôpital est attaqué et un village du Daghestan est occupé. Les troupes russes interviennent et détruisent le village, transformé en bastion par les terroristes. Finalement, après de nombreux soubresauts, le Général Lebed finit par obtenir un véritable cessez-le-feu, en août 1996. Les derniers soldats russes se retirent en janvier 1997. La paix ne durera pas deux ans. En 1999, quand la crise des Balkans atteint son paroxysme et que les aviations de l’OTAN s’apprêtent à bombarder les ponts du Danube à Belgrade, le terrorisme tchétchène fait diversion au Daghestan, fait sauter des immeubles de rapport à Moscou et place des bombes dans le métro. Les victimes civiles sont innombrables. Le scénario est campé pour que commence la deuxième guerre de Tchétchénie, où l’horreur sera plus indicible encore : les terroristes de Bassaïev, animé par l’idéologie haineuse du wahhabisme (prêché par nos imams de garage), s’attaqueront à un théâtre de Moscou et à l’école de Beslan en Ossétie, massacrant plus de 300 enfants innocents.

Ce sont de telles horreurs que le quotidien « Le Soir » de Bruxelles nous demande d’applaudir à longueur de colonne, au nom d’un humanisme, style ULB. On a envie de vomir. Et on vomit.

lundi, 10 décembre 2007

1991: Indépendance du Nagorny-Karabagh

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10 décembre 1991: L’enclave arménienne d’Azerbaïdjan, le Nagorny-Karabagh se déclare indépendante. Le Nagorny-Karabagh est le nom russe, plus courant, de ce qu’il convient désormais d’appeler en français le « Haut-Karabagh », terme linguistiquement mixte, « bagh » signifiant « jardin » en langue persane, et « kara », « noir » en turc. « Karabagh » signifie dès lors « Jardin noir ». C’est un territoire de 5000 km2, dont la capitale est Stepanakert. Les Arméniens, qui peuplent cette région montagneuse du Caucase méridionale, préfèrent lui donner désormais le nom d’ « Artsakh ».

L’histoire contemporaine de cette région commence au Traité de Versailles, de sinistre mémoire, où, contrairement aux peuples d’Europe centrale et orientale, les Arméniens, pour s’être révoltés contre les Turcs, obtiennent des avantages. Ils reçoivent un pays désenclavé, avec une large fenêtre sur la Mer Noire. Mais dès 1921, les troupes bien aguerries et bien commandées de Mustafa Kemal Atatürk battent les Arméniens, conquièrent l’Arménie occidentale et le pays de Van, coupent l’Arménie résiduaire de la mer en conquérant la côte pontique, ramenant tout cet ensemble territorial dans le giron turc. Les Arméniens sont contraints de demander la protection de la Russie, devenue bolchevique. C’est ainsi que s’est créée une « République socialiste soviétique d’Arménie », qui sera bien vite dissoute, pour être incluse dans une vaste entité, la « République socialiste soviétique de Transcaucasie », laquelle sera à son tour dissoute en 1936, année où une nouvelle fois, les Soviétiques créent une « République socialiste soviétique d’Arménie », distincte des autres entités sud-caucasiennes.

Cette république existera jusqu’au 21 septembre 1991, où, dans le sillage de la dissolution de l’URSS, elle se proclame indépendante. Dans toute cette effervescence, le Haut-Karabagh, bien que peuplé d’Arméniens, avait été inclus dans la « République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan ». Dans l’optique des Soviétiques, à l’époque, il fallait amadouer les peuples turcs d’Asie centrale pour qu’ils rejoignent le grand projet révolutionnaire communiste. Staline, alors chef du « Bureau Caucasien » du Comité central du parti bolchevique, avait imposé cette cession du Haut Karabagh aux Azéris, qui en firent toutefois une région autonome dans leur république.

Dès la fin de la période de la perestroïka de Gorbatchev, les Arméniens du Haut Karabagh avaient proclamé la sécession d’avec l’Azerbaïdjan le 12 juin 1988. Les Azéris avaient réagi avec une violence extrême, déclenchant des pogroms sanglants, notamment à Soumgait et à Bakou, où des centaines d’Arméniens avaient été massacrés. Les Azéris suppriment également le statut d’autonomie que Staline avait octroyé aux Arméniens du Haut Karabagh. Dès 1991, l’Arménie et les montagnards du « Jardin noir » passent à l’offensive, vengent les victimes des atroces pogroms azéris et obtiennent la victoire, au prix de 17.000 soldats arméniens tués au combat. La Russie avait appuyé l’Arménie et, le 8 mai 1992, l’armée arménienne était entrée dans la ville de Choucha, scellant la défaite des Azéris, soutenus par la Turquie et les Etats-Unis.

Le 12 mai 1994, la Russie obtient qu’une trêve soit signée. Alors que les peuples européens perdent sur toute la ligne, reculent face à l’alliance islamo-yankee, la victoire arménienne est le seul succès enregistré au cours de ces deux dernières décennies. En effet, les troupes arméniennes ont conquis le territoire azéri situé entre l’enclave du Haut Karabagh et la frontière arménienne, poussant la frontière plus à l’Est, au détriment d’un peuple turc. La haine que vouent Turcs et Azéris à l’endroit des Arméniens, vient du fait que ce peuple européen, depuis les invasions seldjoukides, a toujours tenu tête au flux ininterrompu des nomades turcs venus du fin fond de l’Asie et occupent un territoire qui peut éventuellement servir de verrou à cette expansion.

La présence de l’Arménie dans le Caucase méridional empêche la continuité territoriale, dont rêvent les Turcs, et qui devrait s’étendre de l’Adriatique à la Muraille de Chine. La question arménienne, et, partant, celle du Haut Karabagh, amène des pays comme la Grèce et l’Iran à soutenir l’Arménie et à se rapprocher de la Russie, car ni Grecs ni Arméniens ni Russes ni Iraniens, unis par une solidarité indo-européenne, n’ont intérêt à ce que la continuité territoriale des pantouraniens soit un jour une réalité politique.

Notons que sur la pression des Etats-Unis et des lobbies pro-américains, l’UE condamne l’occupation de territoires azéris par les Arméniens et refuse de reconnaître la courageuse république d’Artsakh, sous prétexte qu’elle a fait sécession. Mais quand des souteneurs et des trafiquants de drogues albanais, financés par l’Arabie Saoudite, font sécession au Kosovo, l’UE applaudit, verse des subsides et des torrents de larmes. Au Kosovo, c’est une bonne sécession parce que les sécessionnistes sont financés par l’Arabie Saoudite. En Artsakh, c’est une mauvaise sécession parce que cela contrarie les pogromistes turcs. Deux poids, deux mesures.

Comment la folie d'Erasme sauva notre civilisation

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Karel VEREYCKEN

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