vendredi, 11 octobre 2024
Directive de Douguine: «Le conflit au Moyen-Orient est le début d'une grande guerre»
Directive de Douguine: «Le conflit au Moyen-Orient est le début d'une grande guerre»
Alexandre Douguine
Alexandre Douguine affirme que l'escalade du conflit au Moyen-Orient marque le début d'une grande guerre mondiale, l'Iran et ses alliés affrontant Israël et l'hégémonie occidentale, ouvrant ainsi un deuxième front après l'Ukraine.
Les frappes de missiles de l'Iran sur Israël sont une étape naturelle pour la République islamique d'Iran. Il s'agit d'une réponse aux actions antérieures d'Israël contre le Hezbollah libanais, notamment l'assassinat de son chef, le cheikh Sayyed Hassan Nasrallah, et du chef politique du Hamas, Ismail Haniyeh (tué à Téhéran), ainsi qu'au génocide de civils à Gaza.
Il est difficile de dire si les centaines de missiles iraniens ont atteint leurs cibles car, comme dans tous les conflits militaires, les deux parties ont tendance à cacher la situation réelle. Toutefois, force est de constater que la guerre au Moyen-Orient, que de nombreux experts prédisaient inévitable, est déjà devenue une réalité. Un « deuxième front » dans la confrontation entre le monde multipolaire émergent et l'hégémonie occidentale est désormais ouvert. Le premier front est l'Ukraine, le second est le Moyen-Orient.
Pendant longtemps, après l'invasion israélienne de Gaza et le début du génocide de masse contre les civils, le Hezbollah a hésité à entrer directement en guerre. L'Iran a également retardé toute action sérieuse, tentant de trouver un terrain d'entente avec l'Occident par l'intermédiaire de son nouveau président. Cependant, le guide suprême, l'ayatollah Khamenei, a décidé de lancer une attaque massive de missiles sur Israël.
L'escalade a franchi une nouvelle étape. Les troupes israéliennes ont envahi le sud du Liban. Le bombardement de Beyrouth et de l'ensemble du territoire libanais est devenu la norme. Un autre front s'ouvrira sans aucun doute pour Israël en Syrie. Je pense également que l'Irak sera de plus en plus entraîné dans la coalition anti-israélienne, étant donné que la population et le gouvernement irakiens sont majoritairement chiites. On peut donc considérer que la Grande Guerre au Moyen-Orient est en cours.
Mais quel est l'équilibre des forces dans cette guerre ? Il est clair qu'Israël dispose d'un avantage technologique considérable. Tant que la technologie décide de tout, Israël reste le camp le plus fort du conflit, même par rapport au Hezbollah et à l'Iran, qui sont bien armés. Oui, les dirigeants du Hezbollah ont été éliminés. Oui, il a subi d'énormes pertes à la suite d'opérations de renseignement israéliennes. Oui, l'Occident soutient Israël.
Néanmoins, nous ne devons pas sous-estimer l'immense supériorité numérique des forces de l'Axe de la Résistance sur Israël. Lorsque la situation en Israël atteindra un point de rupture avec la population palestinienne (plus de deux millions de Palestiniens en Israël même, plus de quatre millions dans les deux territoires palestiniens), la situation deviendra critique.
Bien sûr, l'Occident peut aider Israël à intercepter les missiles et à lancer des frappes. Mais que faire de cette « mer d'Arabes » qui a subi un génocide à Gaza et qui est systématiquement et cyniquement détruite par Israël sur son territoire, en violation de toutes les normes de la guerre ? Je pense que nous sommes proches d'une véritable explosion de colère arabe contre Israël, qui ne pourra pas être contenue très longtemps.
Progressivement, cette guerre prendra un caractère encore plus large. Et il faut dire que cette situation profite au Premier ministre israélien Netanyahou. Lui et son cabinet d'extrême droite, qui comprend des ministres de la faction sioniste religieuse radicale, tels que Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, ont pour objectif eschatologique de créer le « Grand Israël ». Le gouvernement de M. Netanyahou part du principe qu'il a un « crédit messianique », croyant que l'arrivée du « Machia'h » (le messie juif, roi des Juifs qui soumettra toutes les nations au peuple juif, mais qui est perçu comme l'Antéchrist ou Dajjal par les Chrétiens et les Musulmans) est proche.
Ainsi, la guerre contre les Arabes est considérée comme sacrée par les sionistes religieux, adeptes du rabbin Kook et de Dov Ber Levi Soloveitchik, qui, au milieu du 20ème siècle, ont béni la saisie des terres arabes en vue de la création du « Grand Israël », ou par des rabbins modernes comme Dov Lior, qui défendent des points de vue similaires. Son point culminant devrait être la destruction de la mosquée Al-Aqsa sur le mont du Temple à Jérusalem et le début de la construction du troisième Temple, où le Machia'h juif doit régner. Dans le même temps, on assiste à une mobilisation eschatologique de la population islamique de la région, en particulier des chiites.
La situation ne peut donc que s'intensifier. Les sionistes religieux pensent qu'ils peuvent hâter la venue de leur Machia'h par des actions radicales et agressives, une nouvelle guerre du Kippour. Bien qu'une partie importante de la population israélienne soit laïque et n'y croit pas, elle organise des manifestations de masse contre Netanyahou, demandant : « Nous vivions bien dans une société démocratique, et soudain il y a cette guerre étrange et terrifiante », blâmant Netanyahou pour ce qui se passe.
Cependant, dans le monde islamique, il existe également une position forte en faveur de l'escalade, les chiites étant les plus préparés à un scénario eschatologique. Israël, le régime sioniste, est considéré comme le serviteur du Dajjal (Antéchrist), qui doit être combattu. Pour la plupart des musulmans ordinaires, il s'agit simplement d'une guerre pour la survie, une guerre ethnique. À Gaza, Israël procède à un nettoyage ethnique, tuant des dizaines, voire des centaines de milliers de Palestiniens pacifiques.
Il est difficile de prédire comment les événements vont se dérouler. Il est clair que pour l'administration Biden, il s'agit d'une situation très désagréable, qui détourne l'attention de l'Ukraine, dont le soutien est rapidement devenu secondaire. Il s'agit également d'un coup dur pour l'économie mondiale, car l'Iran pourrait bloquer le détroit d'Ormuz à tout moment, ce qui affecterait les routes commerciales vitales. À cela s'ajoute l'activité des Houthis pro-iraniens au Yémen, en mer Rouge et en mer d'Arabie, et même dans l'océan Indien. Cela représente un scénario sombre pour l'administration américaine actuelle, tout en créant une opportunité pour Trump, un partisan du sionisme religieux et un apologiste de Netanyahou.
En raison de l'escalade au Moyen-Orient, le monde entier est ébranlé. C'est la principale conséquence du début de la Grande Guerre.
Mais quelle position la Russie doit-elle adopter dans cette situation? Il s'agit bien sûr d'une question très délicate. D'une part, Israël n'est pas notre ennemi. D'autre part, l'Iran, les Houthis yéménites, le Hezbollah, les Syriens de Bachar el-Assad et les chiites irakiens sont nos amis et nos alliés stratégiques.
Nos partenaires stratégiques, qui ont largement soutenu la Russie dans sa confrontation avec l'Occident au sujet de l'Ukraine, sont désormais des ennemis farouches (jusqu'à la mort) d'un pays avec lequel la Russie entretient des relations neutres. Mais si l'on considère que derrière Israël se tient l'Occident mondialiste - les mêmes forces qui soutiennent nos ennemis directs en Ukraine, la junte de Kiev - un modèle géopolitique très complexe se dessine. Les dirigeants russes sont donc confrontés à un dilemme.
D'une part, nous semblons nous diriger vers un soutien total aux forces de l'axe de la résistance dans leur lutte, non pas tant contre Israël lui-même, mais contre l'Occident collectif qui le soutient. D'autre part, Poutine (bien que dans une moindre mesure que Trump) se sent proche des politiques de droite de Netanyahou, de son désir d'un État plus fort et de sa défense des valeurs traditionnelles (pour les Juifs). Cependant, cette politique israélienne n'est pas suffisamment proche pour que nous allions à l'encontre de nos propres intérêts géopolitiques.
Nous constatons que la position du ministère russe des affaires étrangères et du Kremlin tend à soutenir l'Iran, les chiites, les Palestiniens, les Libanais, les Yéménites et les Irakiens, et à s'opposer ouvertement à l'Occident global. Mais à un moment donné, nous devrons également prendre position à l'égard d'Israël. Nous ne pouvons pas oublier que certains sionistes de droite en Russie ont soutenu Moscou dans le conflit ukrainien. Il s'agit également d'un facteur important. Mais l'emportera-t-il sur notre alliance géopolitique avec les forces de l'Axe de la Résistance ? La question reste ouverte. À mon avis, l'attitude de la Russie à l'égard d'Israël sera considérablement réévaluée, ce qui entraînera un refroidissement notable des relations.
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mardi, 01 octobre 2024
Le Moyen-Orient en flammes?
Le Moyen-Orient en flammes?
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/medio-oriente-in-fiamme/
Abbas Nilforoushan était un général iranien. Un haut commandant des Qods, peut-être (le doute s'impose bien sûr) leur commandant en chef. Il s'agit en tout cas d'une personnalité de premier plan.
Il est mort au Liban. Tout comme le chef du Hezbollah, Nasrallah, qu'il soutenait et conseillait. Une nouvelle démonstration de la façon dont une action israélienne peut avoir d'énormes conséquences dans tout le Moyen-Orient. Et au-delà.
C'est pour exprimer cette inquiétude que Pékin a réagi. Les seigneurs de la Cité interdite rompent leur silence habituel. Ils qualifient d'extrêmement grave l'action - en réalité une véritable attaque aérienne systématique qui se poursuit - menée par Israël contre les chiites libanais. Une agression qui doit être stoppée immédiatement, selon Pékin. Qui, comme on le sait, entretient d'excellentes relations commerciales avec Téhéran. Notamment en ce qui concerne le pétrole et le gaz. Et qui voit avec une extrême inquiétude la tempête s'approcher dans le ciel iranien.
Car, à présent, l'intention du gouvernement Netanyahou est claire pour tout le monde. Il ne s'agit pas seulement d'éliminer le chef du Hezbollah, ce qui n'est déjà pas rien, mais de mettre en difficulté l'ensemble du système défensif/offensif iranien. En désarticulant et en mettant hors d'état de nuire tous les alliés du front chiite dirigé par l'Iran. Le mouvement libanais en est la cheville ouvrière.
Aujourd'hui, les frappes aériennes israéliennes obtiennent de nombreux résultats. Mais il n'est pas certain que ceux-ci soient définitifs et décisifs. D'autant que l'Iran semble déplacer ses unités spéciales au Liban. Pour renforcer les défenses du Hezbollah.
À ce stade, le dilemme du haut commandement israélien est de savoir s'il faut procéder à une offensive terrestre massive. Comme le suggère la convocation de nombreuses brigades de réservistes, immédiatement déployées à la frontière libanaise et en Cisjordanie. Car il est clair qu'une éventuelle offensive terrestre israélienne devrait également concerner les territoires palestiniens. Et pas seulement, voire pas tant que cela, ceux encore partiellement contrôlés par le Hamas dans la bande de Gaza.
Cependant, de nombreux responsables militaires à Tel Aviv, pour ne pas dire tous, semblent s'opposer à ce choix opérationnel. Ils craignent qu'un effort et un engagement excessifs soient nécessaires. Au point de mettre en péril la supériorité d'Israël.
Car la supériorité stratégique est une chose, avec le contrôle de l'espace aérien qui permet de frapper et de détruire les bases libanaises du Hezbollah. C'en est une autre que d'y entrer en force, et de se battre mètre par mètre.
Avec le risque de devoir affronter non seulement les milices du Hezbollah - considérées, par les commandements israéliens, comme les mieux armées et les mieux organisées de tout le monde arabe - mais aussi les troupes spéciales iraniennes. Envoyées en renfort.
Ce qui, évidemment, entraînerait une extension, probablement rapide, du front de guerre. Avec une implication directe et croissante de Téhéran.
C'est donc ce que souhaite le gouvernement Nethanyau, pour régler les comptes avec les Ayatollahs et marquer un point définitif en sa faveur. Les affaiblir et, éventuellement, les déstabiliser.
Mais c'est là que le bât blesse. Car une telle portée ne peut être soutenue par Israël seul. Même avec la supériorité technologique dont il dispose. Parce que le nombre, c'est le nombre. Et l'Iran, même avec ses limites militaires, est un os trop dur et trop gros pour être rongé.
D'où la perplexité du commandement militaire israélien, qui conseillerait, à ce stade, une plus grande prudence. Une action essentiellement aérienne, limitée et sectorielle. De manière à affaiblir le Hezbollah, sans risquer une action terrestre directe.
D'où, aussi, le choix de Netanyahou. Forcer la main de Téhéran par une intervention massive au Liban.
De manière à impliquer également les Etats-Unis. Dans ce qui pourrait représenter un affrontement définitif.
Ce choix est toutefois entravé par la position de la Russie. Celle-ci manifeste actuellement son soutien à l'Iran de manière flagrante. Surtout au vu du conflit en Ukraine, qui la pousse de plus en plus à affronter Washington.
Cela pourrait changer avec le retour de Trump à la Maison Blanche. Qui chercherait fameusement à détendre les relations avec Moscou. Et à ouvrir la voie à son ami Bibi.
C'est possible... mais cela pourrait ne pas se produire. Notamment parce que les choses pourraient s'accélérer ce mois-ci jusqu'à un point de non-retour.
Et puis il y a Pékin. La déclaration chinoise, bien que mesurée, est lourde de menaces. Toucher à Téhéran, c'est toucher aux intérêts chinois. Directement.
Les États-Unis en sont parfaitement conscients.
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samedi, 21 septembre 2024
L'énigme libanaise
L'énigme libanaise
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/enigma-libanese/
La stratégie du gouvernement israélien au Liban semble, à première vue, assez simple. Et, tout compte fait, très simple.
Utiliser des armes terroristes et, de par leur nature même, destinées à des cibles très précises - surtout des figures ennemies de référence - de manière sensiblement indiscriminée et, surtout, massive. Naturellement, pour semer l'insécurité et la terreur dans les rangs de l'ennemi.
En l'occurrence, il s'agit précisément du Hezbollah.
Car il est évident que l'objectif d'Israël, de ses services de renseignement, est, in fine, de mettre le mouvement de Nasrallah en position difficile, voire hors-jeu. Lequel est depuis longtemps, à toutes fins utiles, une épine dans le pied de l'État israélien.
Toutefois, il convient de rappeler que le Hezbollah n'est pas une simple organisation terroriste visant exclusivement à frapper l'ennemi israélien. Il s'agit au contraire d'une organisation complexe, véritable État dans l'État.
En effet, compte tenu des conditions dans lesquelles se trouve le Liban dans son ensemble, le Hezbollah est en fait la seule organisation étatique existant sur ce territoire. Et Nasrallah ne parle pas en tant que chef d'un mouvement terroriste, mais en tant que chef d'État s'adressant à d'autres chefs d'État.
Cela ne plaît peut-être pas à beaucoup, mais c'est ainsi. Et la géopolitique internationale est basée sur la réalité. Pas sur les prédilections plus ou moins abstraites des chancelleries européennes.
Dès lors, la série d'attaques israéliennes - évidemment non revendiquées, mais très claires dans leurs principes et leurs objectifs - sur le territoire libanais, pose des questions d'une importance non négligeable.
Tout d'abord, la finalité de cette offensive terroriste. Qui, de fait, ouvre de nouveaux scénarios dans la longue confrontation/affrontement entre le Hezbollah et Tel Aviv. Qui était, jusqu'à hier, un état de belligérance suspendu. Fait de tensions qui n'ont cependant donné lieu à aucune offensive directe. Seulement un échange, périodiquement constant, de petites « offensives ». Certainement pas de nature à faire parler d'un conflit ouvert.
Mais aujourd'hui, Israël a changé son fusil d'épaule. Et l'offensive actuelle, avec des moyens terroristes généralisés, en est à la fois la preuve et, c'est très probable, ce n'en est que la phase initiale.
Celle-ci sera très probablement suivie d'une véritable offensive de l'armée israélienne sur le territoire libanais. Visant, sinon à neutraliser le Hezbollah, du moins à le mettre hors d'état de nuire pour longtemps.
Et ce, parce que les dirigeants israéliens, politiques comme militaires, sont bien conscients que l'organisation chiite libanaise représente quelque chose de beaucoup plus complexe que le Hamas. Et que l'on ne peut pas, de manière simpliste, tenter de l'anéantir.
Le Hezbollah réduit à la défensive, et affaibli militairement, permettrait à Israël de rendre le Liban neutre, essentiellement, et pour longtemps.
Surtout en affaiblissant l'influence iranienne dans la région. Ce qui est, et reste, le plus gros problème du gouvernement Netanyahou.
Ce dernier pourrait donc poursuivre l'offensive dans la bande de Gaza, visant à éliminer complètement une présence palestinienne significative.
Mais cela reste, pour l'instant, une hypothèse. Difficile, d'ailleurs, à réaliser, compte tenu des résultats, négatifs, des précédentes attaques de l'armée israélienne au Liban. Et, en particulier, en se souvenant de l'échec substantiel de 1982, qui a en effet marqué la croissance politique paradoxale du mouvement chiite libanais.
Cependant, pour Israël, en ce moment, il est essentiel de mettre le Hezbollah dans une situation où il ne peut pas faire de mal. Pour pouvoir procéder plus sereinement à l'opération de Gaza. Où, il faut le dire, l'armée israélienne rencontre encore pas mal de difficultés.
Par ailleurs, il reste à comprendre quelle pourrait être la réaction iranienne à cette offensive israélienne au Liban.
Téhéran, à ce jour, semble incapable de réagir à une attaque terroriste systématique menée au Liban par les Israéliens.
Il ne faut cependant pas se faire d'illusions sur la durée de cette incapacité.
Le gouvernement de Téhéran reste, pour l'instant, fermement entre les mains des ayatollahs. Des mains expérimentées, bien conscientes des difficultés (pour ne pas dire plus) d'une confrontation directe avec Israël. Et, par conséquent, toujours très prudents dans l'évaluation des situations.
Cependant, l'accélération imposée par le gouvernement Netanyahou au Liban ne peut être perçue sans inquiétude par l'Iran. Où de nombreux dirigeants sont convaincus que la confrontation directe avec l'État hébreu est désormais imminente. Une nécessité qui ne peut plus être évitée.
Et cela ouvre, inévitablement, sur des scénarios qu'il ne serait pas exagéré de qualifier d'apocalyptiques.
Tout dépendra de la manière dont Israël, ou plutôt le gouvernement Netanyahou, se comportera dans les prochains jours.
S'il se limitera à la lourde offensive terroriste de ces dernières heures. Ou s'il procédera à une action beaucoup plus profonde et systématique contre le Hezbollah.
Ce qui, évidemment, apparaît lourd de risques et de conséquences. Et, surtout, qui obligerait Téhéran à entrer directement dans le jeu.
Avec force.
18:33 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : huzbollah, actualité, liban, israël, levant, proche-orient | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 15 septembre 2024
Le problème d'Israël
Le problème d'Israël
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/il-problema-di-israele/
La situation en Israël devient extrêmement tendue. Non seulement aux frontières, qui sont désormais quasiment sur pied de guerre, compte tenu des choix du gouvernement Netanyahou. A l'intérieur même d'Israël, et peut-être surtout à l'intérieur d'Israël, la tension atteint des sommets. Avec, d'un côté, les oppositions, dont les travaillistes, qui sont désormais à la tête d'une contestation populaire grandissante. D'autre part, le gouvernement de Bibi, de moins en moins populaire, fort de son Likoud et de quelques petits partis influents s'inscrivant dans l'orbite ultra-orthodoxe. Une coalition qui vise directement le conflit non seulement avec le Hamas, mais aussi avec tout le monde arabe qui n'a pas accepté les accords avec Israël. Et qui considère Téhéran comme une référence clé.
Il serait vicieux d'aller voir et de discuter les différentes positions des parties contingentes, notamment en ce qui concerne les otages israéliens qui restent aux mains du Hamas. Lesquels otages sont, bien sûr, utilisés par l'opposition dans une fonction anti-Likoud. Car le Likoud est coupable d'un mépris substantiel à leur égard.
Tout aussi inutiles sont les réponses de Netanyahou et des siens, manifestement conditionnées, et donc orientées, par le contraste politique interne à Israël.
Ce qui compte vraiment, c'est la réalité à laquelle les gouvernements d'Israël doivent aujourd'hui faire face. Et cette réalité n'est ni facile ni réconfortante.
Le problème, à la racine, est la perception qu'a le monde arabe environnant d'Israël. Cette perception est à la fois réaliste et extrêmement négative.
Réaliste parce que les Arabes, ou du moins leurs dirigeants, sont conscients que le premier problème d'Israël est d'ordre démographique. Et que, par conséquent, le temps joue en leur faveur.
Un Israélien tué vaut mille, dix mille Arabes sur la balance de l'équilibre régional. En clair: les Arabes sont sacrifiables, les Israéliens ne le sont pas.
Les dirigeants des ennemis d'Israël - le Hamas, le Hezbollah et les autres - et les États arabes, Saoudiens et Jordaniens en tête, qui entretiennent de bonnes relations avec Tel-Aviv, en sont parfaitement conscients. Et coopèrent d'ailleurs parfois à ses stratégies. Tout en sachant que ce n'est qu'une question de temps. Et de patience.
Négatif, cependant, comme je le disais. Et là, il faut purger toute lecture de la situation de nos préjugés d'Occidentaux et d'Européens. Se débarrasser de cette foutaise que représenterait un certain antisémitisme arabe. D'abord parce que les Arabes sont aussi des Sémites.
Ils représentent en effet la grande majorité du monde sémite. D'où, cependant, leur perception d'Israël et des Israéliens comme quelque chose d'étranger. Comme des envahisseurs, des enfants et des continuateurs du colonialisme occidental.
Et c'est cela, et non un antisémitisme abstrait et de façade, qui constitue le véritable problème.
En effet, les Arabes considèrent majoritairement les Israéliens comme des étrangers. Comme des Européens ou, pire encore, des Américains. Imposés sur leur territoire par le néocolonialisme occidental. Et, par conséquent, comme des avant-postes d'un Occident étranger et ennemi.
Ont-ils tort ? Si l'on s'en tient aux faits, il est difficile de répondre à cette question. La société et la culture israéliennes sont, au maximum, une expression de l'Occident extrême. Complètement étrangère au Moyen-Orient, qu'il soit islamique ou chrétien. Et avec laquelle, au contraire, la culture juive locale vivait en bonne harmonie. Mais nous parlons bien sûr du judaïsme moyen-oriental d'il y a un siècle. Il n'a rien à voir avec le sionisme, qui est plutôt l'expression d'une forme de culture européenne. Enfant du nationalisme français, il s'est enrichi d'éléments venus d'Europe de l'Est. Totalement étrangers au contexte culturel dans lequel ils ont été artificiellement insérés.
C'est ainsi qu'Israël est perçu par les Arabes, extrémistes et modérés, comme une ramification, ou plutôt un gardien de l'Occident. Un ennemi qui est là pour contrôler et affaiblir le réveil (quel qu'il soit) du monde arabe.
Un outsider avec lequel certains négocient, d'autres se confondent.
Mais dans tous les cas, il s'agit d'un corps étranger ancré dans le territoire.
Plus vite on en prendra conscience, plus vite on cessera de culpabiliser l'antisémitisme européen du 20ème siècle, mieux ce sera.
10:43 Publié dans Actualité, Judaica | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, israël, levant, proche-orient, sionisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 12 septembre 2024
Choses de Turquie et... d'Egypte
Choses de Turquie et... d'Egypte
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/cose-turche-ed-egiziane/
Le président égyptien, Abdel Fattah al Sisi, et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, se sont rencontrés pour la première fois à Doha, lors de la cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde de football. La photo diffusée après cette poignée de main historique montre également l'émir du Qatar, Tamim bin Hamad al Thani, à côté des deux chefs d'État. On ne sait pas encore si la poignée de main sera suivie d'une rencontre officielle. Selon le porte-parole de la présidence égyptienne, Bassam Radi, qui s'est adressé à Agenzia Nova, « Erdogan a été le premier à serrer la main ». Les relations entre l'Égypte et la Turquie ont connu une phase de gel diplomatique juste après l'arrivée d'Al Sisi à la présidence, en raison de divergences sur les Frères musulmans, interdits par le Caire. Les tensions se sont également intensifiées en raison d'intérêts divergents dans les secteurs énergétiques et régionaux, principalement en Libye et en Éthiopie. Il convient toutefois de noter que des réunions entre diplomates et entre agents de renseignement de haut niveau ont eu lieu au cours de l'année écoulée.
Alors... la nouvelle, à peine soulignée dans notre presse, mais publiée dans Èlecto, est assez simple. En apparence, du moins.
Al Sisi, le chef de l'État égyptien, ou, si vous préférez, le maître de l'Égypte, est allé rencontrer Erdogan. Le président turc.
Et tous deux ont commencé à tisser de nouvelles relations, tant économiques que politiques, entre leurs pays.
Comme je l'ai dit, une nouvelle « simple ». A tel point qu'elle est passée presque inaperçue dans nos médias. Et pourtant, il n'en est rien. Au contraire, ce qui se passe entre la Turquie et l'Egypte mérite beaucoup plus d'attention. Tant pour l'événement lui-même que parce qu'il représente un nouveau paradigme.
En effet, la Turquie et l'Égypte ont longtemps eu des attitudes divergentes dans les alignements internationaux. Le Caire était hégémonisé par l'influence française et Ankara était étroitement lié à des positions proches des Frères musulmans, qu'Al Sisi a brutalement évincés du pouvoir. Une relation complexe, donc. Intrinsèque et difficile à cerner.
Et pourtant, malgré le fait que les alignements internationaux tendent à les maintenir divisés et en conflit, les deux pays semblent être en net rapprochement. En effet, ils semblent définitivement être les porte-drapeaux d'une nouvelle conception de la géopolitique du Moyen-Orient.
Et cela, bien sûr, change, voire bouleverse bien des certitudes, paresseuses, sur l'échiquier mondial.
Au-delà de toute évaluation plus spécifique, le dialogue ouvert, sans préavis particulier, entre Ankara et Le Caire, nous dit clairement une chose.
Les schémas avec lesquels nous sommes habitués à interpréter la réalité politique mondiale sont désormais à bout de souffle. En fait, ils sont complètement usés. Et de nouveaux agrégats et systèmes d'alliances sont en train de se créer, dont l'Europe, notre vieille Europe fatiguée, n'a pratiquement pas conscience.
Et c'est, comme je l'ai dit, un paradigme. Ou plutôt un exemple - extrêmement clair, si vous voulez bien le voir - de ce qui se passe sur la scène internationale. Un paradigme extrêmement intéressant et, inévitablement, inquiétant. Pour nous... ou plutôt pour certaines élites européennes, ou soi-disant telles, qui sont de plus en plus autoréférentielles. Et incapables de voir la réalité.
Les schémas sur lesquels le monde a été fondé - pendant très longtemps - sont aujourd'hui obsolètes. Et ce que, peut-être par paresse mentale, nous avons l'habitude d'appeler l'Occident est en train de perdre complètement sa primauté. Sa pertinence.
Et le monde, aujourd'hui, se révèle une fois de plus beaucoup, beaucoup plus complexe que ce que conçoivent paresseusement les soi-disant élites occidentales. Elles continuent, imperturbables, à prétendre dicter leurs lois, de plus en plus déconnectées de la réalité. Tandis que le reste du monde, ou plutôt ses quatre cinquièmes, regarde autour de lui. De plus en plus libre dans ses choix et ses actions.
L'autoréférence, le repli sur le nombril du soi-disant Occident, est en fait une pathologie. Une forme d'aveuglement qui l'empêche de comprendre ce qui s'est passé. Et surtout ce qui se passe autour de lui.
Et c'est, en fait, une très grave perte de centralité, un retour à une dimension à laquelle il n'est plus habitué. Depuis trop longtemps.
Une dimension, certes, dans laquelle il pourrait encore jouer un rôle important. Mais un rôle inhibé, voire rendu impossible par l'incapacité de voir les choses. De regarder la réalité.
Comment, sur le plan international, les autres puissances évoluent. Les grandes, comme la Chine et la Russie. Et les moyennes, comme, dans le cas présent, la Turquie et l'Égypte.
Cela rend difficile, voire impossible, pour l'Occident, en particulier pour l'Europe, de concevoir un nouveau rôle important pour lui-même dans le Grand Jeu.
Cela devient le signal clair et révélateur d'une décadence sans fin. Cet Occident est suffisant et ses manières de penser sont essentiellement obtuses.
20:41 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique internationale, méditerranée, turquie, égypte, proche-orient | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 13 août 2024
Moyen-Orient: les frappes israéliennes pourraient ne pas toucher que l'Iran
Moyen-Orient: les frappes israéliennes pourraient ne pas toucher que l'Iran
Leonid Savin
Source: https://www.geopolitika.ru/article/blizhniy-vostok-udary-izrailya-mogut-kosnutsya-ne-tolko-irana
En prévision des représailles de l'Iran, notamment l'activation du CGRI sur le territoire syrien, ainsi que les attaques répétées du Hezbollah libanais et le lancement de missiles et de drones par les Houthis yéménites sur le territoire israélien, le facteur des liens qui mènent à d'autres pays n'est généralement pas pris en compte. En général, le soutien des États-Unis et du Royaume-Uni à Israël est pris en compte, alors que le tableau des liens est plus complexe et confus. S'il existe un "axe de la résistance" qui considère les États-Unis et Israël comme ses ennemis, d'autres États et acteurs peuvent être entraînés dans cette escalade.
Dans ce contexte, l'ancien fonctionnaire du Pentagone Michael Rubin, sur le site web de l'American Enterprise Institute, un groupe de réflexion néoconservateur proche du lobby israélien, se demande où et qui les services de renseignement israéliens tueront ensuite après la mort du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, en Iran.
Dans un premier temps, il spécule sur le Qatar et la Jordanie. Mais une fois, lorsque les services de renseignement israéliens ont tenté d'empoisonner le chef du Hamas Khaled Mashal en 1997, le roi de Jordanie Hussein a menacé de rompre les relations diplomatiques et Israël a même fourni un antidote à sa victime. Il est également arrivé que des agents du Hamas soient éliminés dans les Émirats arabes unis. Le Qatar, où se trouve le siège du Hamas, ne semble pas faire partie des cibles de Tel-Aviv, peut-être parce que l'émirat est un médiateur entre Israël et la résistance palestinienne, tout comme il a facilité les pourparlers entre les États-Unis et les Talibans (interdits en Russie). Le Qatar abrite également une importante base militaire américaine et, compte tenu des liens du pays avec Israël, l'assassinat ciblé d'une personne dans le pays pourrait compromettre le maintien de la présence militaire américaine.
Toutefois, outre le Qatar, il y a la Turquie. Et la rhétorique d'Erdogan à l'égard d'Israël est récemment devenue très agressive, au point d'appeler à une invasion militaire d'Israël.
Par ailleurs, le Qatar et la Turquie entretiennent des relations de confiance, et la Turquie a soutenu à la fois les Frères musulmans, eux aussi interdits en Russie (en fait, le Hamas est une branche des Frères musulmans en Palestine) et les branches d'Al-Qaïda en Syrie, également interdites en Russie.
Selon Rubin, Erdogan a invité le Hamas en Turquie en 2006. Au cours des années suivantes, il a non seulement apporté au Hamas un soutien diplomatique et financier, mais il a également tenté de lui fournir des armes.
Il note que "la Turquie peut croire qu'elle peut agir en toute impunité en raison de l'illusion de sa puissance et de son appartenance à l'OTAN. Les terroristes considèrent Istanbul et Ankara comme des terrains de jeu où ils peuvent se détendre et se regrouper, à l'abri des drones et des assassins. Cette époque est peut-être révolue. Erdogan n'a pas à se plaindre: son propre gouvernement kidnappe et assassine ouvertement ses opposants en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. Haniyeh est mort à Téhéran. Le prochain chef du Hamas mourra probablement à Ankara".
Cependant, outre les assassinats ponctuels et ciblés de certaines personnalités politiques, Israël dispose d'un autre outil sérieux pour faire pression sur la Turquie. Il s'agit des Kurdes. Israël a soutenu les Kurdes en leur fournissant des armes et des formations avant même le premier soulèvement de Mustafa Barzani en septembre 1961. Dans le même temps, les Kurdes ont également reçu le soutien de l'Iran monarchique, qui a également coopéré étroitement avec Israël avant la révolution islamique. Sous le régime de Saddam Hussein, Tel-Aviv a également aidé les Kurdes d'Irak par tous les moyens possibles, et les services de sécurité israéliens se sentent aujourd'hui tout à fait à l'aise dans le nord de l'Irak, où ils tentent de traquer les groupes chiites pro-iraniens. Sans compter que des entreprises israéliennes y opèrent. C'est par le Kurdistan que les services de renseignement israéliens ont déjà un accès direct aux territoires de l'Iran et de l'Irak, ce qui s'avérera un facteur important en cas de guerre majeure.
Bien que les Kurdes turcs et syriens soient différents des Kurdes irakiens, la possibilité d'une double stratégie de procuration de la part d'Israël est tout à fait envisageable. Israël a d'ailleurs démontré à plusieurs reprises son habileté à mener à bien de telles opérations.
D'ailleurs, en Turquie même, des agents du Mossad ont été détenus à de nombreuses reprises au cours des dernières années. Et récemment, les médias turcs ont ouvertement écrit qu'Israël planifiait ses opérations contre les membres du Hamas en Turquie, pour lesquelles le Mossad recrutait de pauvres étudiants.
Enfin, il y a aussi l'Égypte. Depuis des années, le Hamas dans la bande de Gaza fait passer en contrebande des armes et d'autres équipements par des tunnels souterrains. En Égypte, le mouvement des Frères musulmans est né il y a une centaine d'années et, malgré leur défaite formelle après l'arrivée au pouvoir du maréchal Al-Sisi, le pays compte encore de nombreux adeptes, dont certains se sont radicalisés. L'incident d'octobre 2023, au cours duquel un policier égyptien a ouvert le feu à Alexandrie sur un bus transportant des touristes en provenance d'Israël, en est un exemple.
Bien que les responsables égyptiens aient jusqu'à présent fait preuve d'une certaine retenue à l'égard de l'opération punitive menée par Israël dans la bande de Gaza, ils pourraient en décider autrement en cas d'escalade du conflit. Al-Sisi pourrait également donner le feu vert aux Frères musulmans locaux pour qu'ils s'impliquent dans le conflit et même leur fournir tout le matériel nécessaire afin de désamorcer la situation interne et, comme on dit, de recycler les éléments passionnels dangereux en les orientant vers un ennemi extérieur.
Il est fort possible que l'attitude attentiste de l'Iran soit due au fait qu'il est actuellement engagé dans des négociations multilatérales avec des partenaires, des alliés et des soutiens potentiels sur la stratégie à choisir contre Israël, en tenant compte de la réaction possible du gouvernement Natanyahou à certaines actions (après tout, il pourrait y avoir plusieurs options - de l'élimination d'un général israélien à une attaque combinée massive). Dans le même temps, l'incertitude qui règne aux États-Unis avant les élections ne joue pas en faveur d'Israël, et Kamala Harris adopte une position plus critique à l'égard des actions d'Israël en Palestine que Joe Biden.
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jeudi, 08 août 2024
Rêves olympiques et réalité géopolitique
Rêves olympiques et réalité géopolitique
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/sogni-olimpici-e-realta-geopolitica/
La gueule de bois olympique semble toujours d'actualité. Et semble aussi masquer, malgré tout, une réalité mondiale profondément et radicalement différente.
Il semble, à entendre les médias italiens, que les seuls exclus soient les Russes, parce qu'ils sont en guerre, en guerre d'agression, contre l'Ukraine. Un concept discutable, bien sûr, mais que l'on considère comme acquis.
Et Israël ? Connaît-il un rare moment de paix fraternelle avec le monde majoritairement arabe qui l'entoure ?
Ou bien est-ce de là que partent des raids incessants visant à rompre une fois pour toutes l'équilibre déjà fragile du Moyen-Orient ?
Il s'agit bien sûr d'une question purement rhétorique. Car tout le monde sait parfaitement ce qu'est la politique israélienne aujourd'hui. Et comment Netanyahu, et son équipe gouvernementale, imposent une guerre qui finira par embraser toute la région. Et qui, de toute évidence, dépasse largement les frontières de Gaza.
Netanyahu joue un jeu extrêmement risqué. Il fait confiance à la fois à l'état de confusion substantielle de l'Amérique du Grand Frère et aux projections électorales qui annoncent une victoire de Trump.
Les événements du 7 octobre, le raid terroriste du Hamas, sont désormais réduits à un simple prétexte pour la recherche d'une déflagration qui n'aurait plus rien à voir avec un raid de riposte. Et qui tend clairement à devenir l'étincelle d'une guerre impliquant au moins toute la zone.
Et visant, in fine, à éliminer de la scène politique ce qui, pour Israël, représente son plus grand concurrent: l'Iran.
Si bien que, tandis que l'affrontement avec les milices du Hamas stagne sans aboutir à un résultat concret, l'armée israélienne semble se diriger de plus en plus vers le Liban et les "sanctuaires" du Hezbollah. Et les effets d'une implication directe d'Israël dans l'affrontement avec les milices houthi au Yémen commencent également à se faire sentir.
Ce sont là des conditions préalables à une confrontation directe avec Téhéran. Elle est d'ailleurs de plus en plus proche, compte tenu de l'action israélienne visant à éliminer le chef politique du Hamas. Le fait que Haniyeh ait quitté la scène rend probablement la situation encore plus difficile. Ou plutôt, elle la simplifie pour ceux qui, de part et d'autre, veulent la guerre.
En effet, la nomination, assez surprenante, de Yahya Sinwar (photo) comme nouveau commandant en chef du Hamas, laisse entrevoir un avenir résolument sombre. Ce qui ne laisse plus de place à la médiation diplomatique, tentée ces derniers mois par l'Égypte et d'autres pays arabes.
D'ailleurs, c'est précisément la situation souhaitée par Netanyahu.
Car l'objectif israélien, ou plutôt de la structure gouvernementale israélienne actuelle, est de frapper directement l'Iran. Considéré comme son plus grand rival géopolitique. Et cela se voit dans toutes les actions du gouvernement de Netanyahu, qui ralentit l'offensive à Gaza précisément pour renforcer de plus en plus sa présence sur le front iranien.
En effet, il est clair que Tel-Aviv n'est pas capable d'affronter et de résoudre seul une guerre sur tous les fronts. Et que, par conséquent, les représailles contre le Hamas passent après les objectifs premiers. Actuellement représentés essentiellement, ou plutôt, pourrait-on dire, exclusivement, par le front chiite. D'où le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen, Assad et les siens en Syrie. Et, bien sûr, Téhéran. L'objectif ultime.
Un objectif qui nécessite toutefois un élargissement du conflit. Israël n'est pas capable à lui seul, même avec toute sa supériorité technologique, de faire face au colosse chiite iranien.
Il vise donc une dilatation du conflit. En essayant d'impliquer directement Washington. Qui apparaît, pour l'heure, récalcitrant. Mais qui ne pourra pas résister longtemps s'il est entraîné dans un conflit direct avec l'Iran.
Mais nous continuons à croire au conte de fées olympique. L'histoire de jeux rendus importants par un certain esprit olympique... dont très peu connaissent aujourd'hui la véritable histoire. Et qui sont, ces Jeux, de plus en plus exploités comme un écran de fumée pour quelque chose de tout à fait différent. Quelque chose qui n'a plus rien à voir avec l'Olympie et les rêves de Coubertin.
21:08 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique internationale, israël, iran, proche-orient, moyen-orient | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 04 août 2024
Les Druzes. Les boucs émissaires
Les Druzes. Les boucs émissaires
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/drusi-il-capro-espiatorio/
Attaque du Hezbollah dans la région du Golan syrien sous contrôle israélien. Une roquette massacre des enfants jouant au football dans le village de Majdal Shams. Douze morts.
Et, bien sûr, Israël annonce la prochaine réaction violente contre les milices libanaises.
À première vue, cela ressemble aux événements du 7 octobre. Des milices arabes massacrent des garçons. S'ensuit une réaction israélienne. Et le début d'un conflit sanglant, qui n'a toujours pas de perspective de paix.
Car ici, à la frontière avec le Liban, la situation est totalement différente de celle qui a vu le Hamas s'en prendre aux civils israéliens.
Tout d'abord, dans ce cas, les morts ne sont pas des Juifs, mais des Druzes. Ils appartiennent à une secte gnostique d'origine islamique (chiites ismaélites) qui remonte au 11ème siècle. Il s'agit d'une minorité fermée qui ne permet pas les conversions et qui est souvent persécutée.
Les Druzes sont en voie d'extinction, répartis entre le Liban, la Syrie, Israël et la Jordanie.
Les Druzes israéliens sont assez bien intégrés dans la société. À tel point qu'ils servent dans l'armée, généralement comme gardes-frontières. En revanche, ceux du Golan syrien, occupé par Israël depuis 1981, ont souvent exprimé leur impatience face à l'occupation. Quant aux Druzes libanais, la majorité d'entre eux, s'est battue pendant la guerre civile, dans un conflit compliqué, contre les chrétiens maronites. Et aussi contre les Israéliens.
Une situation, donc, très complexe à décrypter. Et qui pourrait difficilement justifier une attaque délibérée du Hezbollah. Ce que le chef des chiites libanais, Nasrallah, a résolument démenti. Ce dernier a retourné les accusations contre les Israéliens et les Américains.
Quoi qu'il en soit, s'agit-il d'une roquette déviée ou d'un mauvais fonctionnement ? Et lancée par qui ? - le massacre de Majdal Shams est en passe de devenir une preuve irréfutable. Ou plutôt, une justification du déclenchement d'un nouveau conflit entre Israël et le Liban.
Un conflit, en vérité, qui se profile depuis un certain temps déjà. Mais, jusqu'à présent, gardé sous le coude. À faible intensité.
Quelques roquettes du Hezbollah contre le territoire israélien. Et des raids sanglants mais ciblés des FDI contre les milices chiites.
Une impasse, apparemment. Mais il semble que l'on soit arrivé à un tournant.
Le Hezbollah est depuis longtemps une épine dans le pied d'Israël. Non seulement parce qu'il est considéré, à toutes fins utiles, comme la force armée la meilleure et la mieux organisée du monde arabe, mais aussi et surtout parce qu'il est la "longue main" de Téhéran.
Une menace permanente, donc. Et Nethanyau cherche depuis longtemps l'occasion de l'éliminer.
Ce n'est pas pour rien qu'il fait monter la tension à la frontière libanaise depuis un certain temps. Au point de trop se détourner de celle de Gaza. Se prenant au dépourvu face à l'action du Hamas le 7 octobre.
Une nouvelle guerre du Liban est cependant rejetée par les Etats-Unis. Qui craignaient, et craignent toujours, l'élargissement du front au Moyen-Orient, qui ne pouvait manquer de les impliquer. Alors que les problèmes et les échecs en Ukraine sont de plus en plus graves. Et flagrants.
Et sans l'aval explicite de Washington, même Nethanyau ne peut déclencher une guerre au Liban, qui pourrait déboucher sur un choc frontal avec l'Iran.
Or, ce massacre d'enfants druzes, quelle qu'en soit la cause réelle, fournit le prétexte à une nouvelle guerre. Une intervention militaire et un affrontement qui ferait passer la guerre en cours à Gaza pour bien peu de choses.
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Réalité et fiction derrière l'assassinat de Haniyeh
Réalité et fiction derrière l'assassinat de Haniyeh
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/la-realta-e-la-finzione-dietro-luccisione-di-haniyeh/
Ismayl Haniyeh, l'un des dirigeants politiques du Hamas, peut-être (mais le "peut-être" est de rigueur étant donné la structure complexe de l'organisation) le plus important, a été tué suite à un raid israélien. Il se trouvait à Téhéran pour la cérémonie de prestation de serment du nouveau président de la République islamique, Masoud Pezeshkian.
Une roquette l'a atteint dans la maison où il se trouvait. Une roquette partie, selon des sources officielles, de l'extérieur du territoire iranien. Un euphémisme diplomatique pour dire d'Israël. Ou, pire encore, d'une base israélienne située dans un pays voisin. Et je dis "pire" parce que cela impliquerait des développements dangereux dans toute la région.
Les FDI se taisent. Comme toujours, elle ne confirme ni n'infirme sa responsabilité. Il en va de même pour le département d'État américain. Il se limite à confirmer qu'en cas de guerre, il interviendra aux côtés de Jérusalem. Ce qui est donc en soi une confirmation claire de la responsabilité de l'attentat.
L'élimination de Haniyeh répond parfaitement à la logique avec laquelle le gouvernement Nethanyau conduit la guerre de Gaza. L'objectif avoué est l'anéantissement du Hamas. Ou, du moins, de tous ses cadres dirigeants, ainsi que la dissolution de ses milices.
Rien de nouveau, donc. En revanche, ce qui s'est passé à Téhéran démontre la futilité de toutes les négociations en cours pour obtenir une trêve, même temporaire, à Gaza. Tout accord entre deux entités dont le but est l'anéantissement mutuel est impossible. Surtout quand l'une des deux, disposant d'un avantage militaire et stratégique certain, vise cet objectif à court terme. Et utilise tous les moyens, même ceux considérés comme illicites par les conventions internationales (qui ont toujours été du vent), pour y parvenir.
En somme, Nethanyau tire tout droit. Et toutes les rencontres diplomatiques proposées par Washington, impliquant le Qatar, l'Egypte et d'autres, ne sont qu'un écran de fumée.
La fumée d'une hypocrisie généralisée. Tout le monde, vraiment tout le monde, ne peut pas ignorer que Tsahal, les forces armées israéliennes, ne cesseront pas leur action tant qu'elles n'auront pas complètement anéanti le Hamas. Et, vraisemblablement, transformé la bande de Gaza en un no man's land totalement neutralisé. Dans lequel on prépare d'ailleurs l'implantation de nouvelles colonies juives, qui feraient office de ceinture de protection.
D'où l'embarras, les silences hypocrites des différents dirigeants occidentaux lors de leurs rencontres avec Nethanyau. Comme celle, récente, avec Giorgia Meloni.
Ils savent. Mais ils font semblant de ne pas savoir. En fait, ils soutiennent une action radicale qui, au-delà des paroles occasionnelles de l'habituel Blinken, bénéficie du plein soutien de Washington.
Par ailleurs, ce qui s'est passé à Téhéran est encore plus grave. D'abord parce qu'il montre, une fois de plus, comment Israël, et plus généralement l'Occident collectif, n'hésitent pas à frapper n'importe où, même sur le territoire de pays tiers, si cela correspond à leurs intérêts stratégiques. Au mépris de toutes les règles des relations internationales. Comme en témoigne, pour ne citer que quelques exemples, l'attentat qui a coûté la vie à un général des Pasdarans dans l'ambassade d'Iran à Damas. Ou encore l'élimination, par un drone américain, du général Suleymani.
Bref, les règles s'appliquent aux autres. Lesquels, s'ils ne les respectent pas, sont qualifiés d'"États voyous". Et soumis à des embargos et des sanctions.
Nous, l'Occident, en sommes exemptés. Et nous pouvons agir en utilisant n'importe quel instrument.
Cependant, l'élimination de Haniyeh a un aspect encore plus grave. Et jusqu'à présent très peu souligné.
Les Israéliens auraient pu procéder à son élimination depuis longtemps. Et dans une autre situation. Mais ils ont choisi de le faire alors qu'il se trouvait à Téhéran, sous les feux de la rampe internationale à l'occasion de la désignation d'un nouveau président. Un président, Pezeshkian, considéré, à tort ou à raison, comme un modéré et un "moderniste". Certainement l'expression de ces pans de la société iranienne qui voudraient renouer le dialogue avec l'Occident, notamment sur le plan économique.
Une possibilité sur laquelle une pierre tombale a été posée. Car aucun dirigeant iranien ne pourrait jamais accepter une telle violation de la souveraineté nationale.
Au contraire, il est clair que l'assassinat de Haniyeh peut représenter un pas de plus vers un choc frontal entre Israël et l'Iran. Ce qui entraînerait l'intervention inévitable, et d'ailleurs annoncée, des États-Unis. Et une déflagration dans tout le Moyen-Orient.
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jeudi, 04 juillet 2024
Les erreurs de la vision libérale-occidentale du Proche-Orient
Les erreurs de la vision libérale-occidentale du Proche-Orient
Filip Martens
L'échec de l'Islam et le succès de l'Occident
Pendant des siècles, l'Islam a été une grande culture, à la pointe de la science et de la technologie. Toutefois, à partir du XVIe siècle, cette culture a lentement commencé à se laisser distancer par l'Europe. Au XIXe siècle, l'ensemble du monde islamique s'est effondré en un rien de temps et est tombé aux mains de l'Europe impérialiste. Sur le plan militaire, les musulmans ont été vaincus à maintes reprises et même l'Empire ottoman, autrefois puissant, a été contraint de signer des traités de paix dictés par l'Europe. En outre, les économies libérales occidentales se sont avérées bien plus puissantes que celles du monde islamique. Sur le plan politique également, le Proche-Orient ne comptait plus. Le monde islamique s'est alors interrogé sur ce qui n'allait pas.
Le déplacement vers l'Atlantique des échanges commerciaux et intellectuels pluriséculaires entre l'Europe et le Proche-Orient signifiait le déclin du Proche-Orient. La découverte de l'Amérique en 1492 a modifié les routes commerciales pluriséculaires: elles ne passaient plus par le Proche-Orient. L'Europe commerçait désormais avec l'Afrique (esclaves) et avec ses colonies asiatiques et américaines. Parallèlement, l'Europe développe des armes plus performantes et le capitalisme naissant stimule le colonialisme en mobilisant d'importants capitaux. Jusqu'à la fin du XVIe siècle, le Proche-Orient continue de fournir des textiles à l'Europe.
L'histoire moderne du Proche-Orient commence en 1798 avec l'invasion de l'Égypte et de la Palestine par le général Napoléon Bonaparte. À cette époque, le processus de défaite et de recul de l'Islam avait déjà commencé dans les Balkans et en Europe de l'Est. L'invasion française a enseigné au monde islamique qu'une puissance européenne pouvait entrer et faire ce qu'elle voulait en toute impunité. Même le départ des troupes françaises n'a pas été provoqué par les Égyptiens ou les Ottomans, mais par la flotte britannique du vice-amiral Horatio Nelson, ce qui a permis de tirer une deuxième leçon: seule une autre puissance européenne peut faire repartir une puissance européenne envahissante.
Ainsi, à partir du XVIIIe siècle, l'Empire ottoman s'est affaibli et l'Europe a commencé à y construire sa sphère d'influence. Les différentes religions de l'Empire ottoman formaient chacune un "millet", de sorte que chaque croyance jouissait d'une autonomie sur le plan religieux, ce qui facilitait l'infiltration européenne. Cela a effectivement facilité l'infiltration européenne. Les "capitulations" ont notamment joué un rôle très important. Il s'agissait de traités entre l'Empire ottoman et des pays occidentaux amis, en vertu desquels les sujets de l'État occidental en question n'étaient pas soumis au droit pénal ottoman, mais étaient jugés selon le droit de leur propre pays. Le traité le plus connu est celui conclu entre la France et l'Empire ottoman en 1536, qui s'est transformé en 1740 en une combinaison de pacte de non-agression, de traité commercial et de privilèges étendus pour les sujets français dans l'ensemble de l'Empire ottoman. Cette capitulation ayant acquis en 1740 une validité perpétuelle, la France a pu s'en prévaloir au XIXe siècle pour s'immiscer dans les affaires de l'Empire ottoman affaibli.
Après avoir examiné l'échec islamique et le succès occidental, des réformes ont été lancées: modernisation de l'armée (méthodes, armes et entraînement occidentaux), industrialisation de l'économie et adoption du système politique occidental. Mais en vain. Tout au long du XIXe siècle, l'Empire ottoman tente de faire face à l'impérialisme croissant de l'Europe libérale et industrielle. Néanmoins, de nombreux territoires ottomans d'Afrique du Nord et d'Asie du Sud-Ouest sont devenus des colonies ou des zones d'influence européennes. Plusieurs réformes des structures impériales ottomanes ont donc eu lieu pour mieux défendre l'empire contre la domination étrangère. Si ces réformes ont profondément réformé le système judiciaire, l'armée et l'administration vers le début du XXe siècle, elles ont également entraîné une présence économique et culturelle européenne croissante et l'émergence de mouvements nationalistes naissants parmi de nombreux peuples de l'Empire ottoman, par exemple les Arméniens, les Arabes et les chrétiens maronites dans les montagnes libanaises. Le monde islamique a donc été non seulement dépassé par l'Europe au cours des trois derniers siècles, mais aussi dominé et colonisé par elle.
Par ailleurs, le débat sur l'"ijtihad" dans le monde islamique dure depuis trois siècles et ne cesse de fournir de nouvelles explications. Ijtihad" signifie raison, mais ce terme fait surtout référence aux divers mouvements qui ont émergé et exigé des changements depuis la fin du XVIIIe siècle. Ces mouvements étaient primo le wahhabisme réformiste et le salafisme conservateur ; secundo le modernisme islamique de Jamal ad-Din al-Afghani et Mohammed Abdu ; et tertio les combinaisons que Rashid Rida et Hassan al-Banna en ont fait.
Le choc des définitions
Le livre de Samuel Huntington "Le choc des civilisations" [1], publié en 1993, annonçait une politique mondiale totalement nouvelle, mais il s'agit d'un mythe. Huntington affirmait que, jusqu'alors, la guerre était menée entre des idéologies et que les conflits internationaux auraient désormais une cause culturelle. Ces "civilisations qui s'affrontent" - c'est-à-dire les civilisations occidentales contre les civilisations non occidentales - domineraient désormais la politique internationale. Il capitalisait ainsi sur l'idée d'un "nouvel ordre mondial" lancée par le président Bush père et sur le changement de millénaire qui était imminent.
La thèse de Huntington est une version recyclée de la thèse de la guerre froide selon laquelle les conflits sont idéologiques: pour lui, après tout, tout tourne autour de l'idéologie libérale occidentale contre les autres idéologies. En d'autres termes, la guerre froide s'est simplement poursuivie, mais sur de nouveaux fronts (Islam et Proche-Orient). Selon Huntington, l'Occident doit adopter une position interventionniste et agressive à l'égard des civilisations non occidentales pour éviter la domination de celles-ci sur l'Occident. Il voulait donc poursuivre la guerre froide par d'autres moyens au lieu d'essayer de comprendre la politique mondiale ou de réconcilier les cultures. Ce langage belliqueux apporte de l'eau au moulin du Pentagone et du complexe militaro-industriel américain.
Cependant, Huntington ne s'intéressait pas à l'histoire des cultures et était également très mal inspiré. En effet, nombre de ses arguments proviennent de sources indirectes: il n'a donc pas analysé correctement le fonctionnement des cultures, s'appuyant principalement sur des journalistes et des démagogues plutôt que sur des scientifiques et des théoriciens. Il a même emprunté le titre de son livre à l'article de Bernard Lewis "The Roots of Muslim Rage" [2]: un milliard de musulmans seraient furieux contre notre modernité occidentale, mais cette idée d'un milliard de musulmans pensant tous la même chose face à un Occident homogène est simpliste. Huntington reprend ainsi à Lewis l'idée que les cultures sont homogènes et monolithiques, ainsi que la différence immuable entre "nous" et "eux".
L'Occident serait également supérieur à toutes les autres cultures, et l'Islam serait anti-occidental par définition: cependant, le fait que les Arabes aient exploré de grandes parties du monde (Europe, Asie du Sud, Afrique de l'Est) bien avant Marco Polo et Christophe Colomb n'avait pas d'importance pour lui. Huntington pensait également que toutes les cultures (Chine, Japon, monde slave orthodoxe, Islam, ...) étaient ennemies les unes des autres et, de plus, il voulait gérer ces conflits en tant que gestionnaire de crise plutôt que de les résoudre. On peut ici s'interroger sur le bien-fondé de peindre une image aussi simpliste du monde et de faire agir les généraux et les hommes politiques sur cette base. Après tout, cela mobilise la guerre raciale et culturelle. En fait, nous devons nous demander pourquoi quiconque souhaite augmenter la probabilité d'un conflit !
Des abstractions grotesques, vagues et manipulables telles que "l'Occident", "l'Islam", "la culture slave", ... sont omniprésentes aujourd'hui et imprègnent des idéologies racistes et provocatrices bien pires que celles de l'impérialisme européen de la seconde moitié du 19ème siècle. Les puissances impérialistes inventent ainsi leurs propres théories culturelles pour justifier leur expansionnisme, comme la Destinée Manifeste des États-Unis ou le "Choc des civilisations" de Huntington. Ces théories sont basées sur les luttes et les chocs entre les cultures. De tels mouvements existent également en Afrique et en Asie, comme l'islamo-centrisme, le sionisme israélien, l'ancien régime d'apartheid sud-africain, ...
Dans chaque culture, les dirigeants politiques et culturels définissent ce que "leur" culture signifie, ce qui devrait être qualifié de "choc des définitions" plutôt que de "choc des civilisations". Cette culture officielle parle au nom de l'ensemble de la communauté. Cependant, dans chaque culture, il existe des formes de culture alternatives, hétérodoxes et non officielles qui remettent en question la culture officielle orthodoxe. Le "choc des civilisations" de Huntington ne tient pas compte de cette contre-culture des ouvriers, des paysans, des bohèmes, des marginaux, des pauvres, ... Pourtant, aucune culture ne peut être comprise sans tenir compte de cette remise en question de la culture officielle, car ce faisant, on passe à côté de ce qui est vital et fructueux dans cette culture ! Ainsi, selon l'historien Arthur Schlesinger [3], l'histoire américaine des grands politiciens et des grands éleveurs devrait être réécrite pour inclure les esclaves, les serviteurs, les immigrants et les travailleurs, dont les histoires sont réduites au silence par Washington, les banques d'investissement de New York, les universités de la Nouvelle-Angleterre et les magnats de l'industrie du Midwest. En effet, ces groupes prétendent représenter le discours des groupes réduits au silence.
Un débat culturel similaire existe également dans l'Islam, et c'est précisément cela que Huntington n'a pas su reconnaître. Il n'existe pas de culture unique et définie. Après tout, chaque culture est constituée de groupes en interaction et chaque culture est également influencée par d'autres cultures.
La souffrance du monde islamique
Les musulmans considèrent la disparition de l'Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale comme l'humiliation suprême. Pourtant, la chute avait commencé quatre siècles auparavant par un processus lent et douloureux (cf. supra). La Turquie, pays central, a surmonté cette épreuve lorsque le soulèvement de Mustafa Kemal (Atatürk) en Anatolie centrale a chassé les occupants alliés, mais il ne s'agissait pas d'une victoire islamique, mais d'une nouvelle défaite islamique. Après tout, Mustafa Kemal était un laïc et il a aboli le sultanat et le califat. La disparition du califat en particulier a été un désastre car elle a détruit l'unité religieuse dans la partie sunnite du monde islamique. Tout le monde au Proche-Orient s'en rend bien compte !
Aujourd'hui, l'ancien empire ottoman est divisé en États-nations créés artificiellement par la France et la Grande-Bretagne. Cependant, les musulmans ne se considèrent pas en termes nationaux et régionaux, mais plutôt en termes d'identité religieuse et d'allégeance politique.
Le prophète Mahomet est né à La Mecque et a fondé l'islam à Médine, d'où il a également conquis La Mecque. Les non-musulmans ne sont pas autorisés à pénétrer dans ces deux villes saintes, ainsi que dans l'ensemble du Hedjaz [4], afin de ne pas déshonorer le prophète. Selon certains, cette interdiction s'applique même à toute l'Arabie. C'est pourquoi la présence de troupes américaines (mais pas dans le Hedjaz) sur le golfe Persique est si problématique pour les musulmans. De plus, ces troupes ont attaqué l'Irak dès la genèse de l'islam, qui a été le siège du califat pendant un demi-millénaire - également la période la plus glorieuse de l'histoire de l'islam. Or, c'est précisément pour ces raisons que les Britanniques n'ont jamais pénétré à l'intérieur de l'Arabie, mais se sont cantonnés à sa périphérie (Koweït, Bahreïn, Qatar, Émirats arabes unis, Oman, Aden).
Les tromperies de l'orientalisme
L'orientaliste juif britannico-américain Bernard Lewis a affirmé que le monde islamique était de plus en plus hostile aux États-Unis depuis 1990 [5]. Bien que Lewis ait pris sa retraite en 1986, il est resté influent jusqu'à ce qu'il soit TRÈS influent ! La Maison Blanche et les deux partis politiques américains ont sollicité son avis sur le Proche-Orient, ce qui signifie qu'il a exercé une énorme influence sur la politique étrangère des États-Unis.
Bernard Lewis voyait une bataille entre "l'Islam" et "l'Occident" qui durait depuis treize siècles (croisades, djihad, Reconquista, ...), l'un l'emportant de temps en temps sur l'autre. Après l'implosion de l'URSS en 1991, il restait selon lui un ennemi majeur pour l'Islam: les Etats-Unis. Ce faisant, il a même brandi de grands mots comme "la survie de notre civilisation". Depuis que les États-Unis ont occupé militairement certaines parties du Proche-Orient, la résistance s'est accrue. Par exemple, la défense irakienne contre les États-Unis en 2003-2011 a permis d'éviter la domination américaine sur l'Irak.
Lewis a également affirmé que la politique occidentale à l'égard du Proche-Orient n'avait pas été pas bonne jusqu'alors. Son conseil à l'administration américaine était le suivant : soyez fermes ou sortez ! Par "durcir le ton", il entendait poursuivre le "bon" travail entamé en Afghanistan et donc multiplier les attaques contre des pays et des groupes prétendument "terroristes". Par "sortir", il entendait trouver un substitut au pétrole pour que le Proche-Orient ne soit plus important.
La théorie simpliste de Bernard Lewis sur le "choc des civilisations" remonte à l'orientalisme. Ce que l'Occident libéral définit aujourd'hui comme l'"Islam" en vertu de la théorie du "choc des civilisations" a été défini par l'orientalisme. Il s'agit d'une construction artificielle visant à susciter l'hostilité à l'égard d'un continent qui intéresse les États-Unis en raison de son pétrole et de sa concurrence avec l'Occident. L'orientalisme offre à l'Occident une certaine image du Proche-Orient, ce qui amène les Occidentaux à penser qu'ils savent comment les gens se comportent là-bas et quel genre de personnes y vivent. Par conséquent, ils commencent à considérer ces personnes à partir de cette "connaissance" qu'ils croient avoir d'elles. L'orientalisme n'offre cependant pas une connaissance innocente ou objective du Proche-Orient, mais reflète certains intérêts.
Le choc de l'ignorance
Les médias apparemment indépendants d'une société libérale sont contrôlés par des intérêts commerciaux et politiques: il n'y a pas de journalisme d'investigation, seulement la répétition de la position du gouvernement et des personnes les plus influentes au sein du gouvernement. Ils utilisent l'islam comme un paratonnerre extérieur pour dissimuler les graves problèmes sociaux, économiques et financiers des sociétés occidentales. Parce que les médias peuvent si facilement attirer l'attention sur un aspect négatif de l'islam, il était également très facile, à la fin de la guerre froide, de créer un nouvel ennemi étranger et de continuer à légitimer l'existence de l'énorme armée américaine.
Les Américains ne connaissent pas grand-chose à l'histoire, même ceux d'entre eux qui sont très instruits. Ils ne peuvent donc ni capter ni comprendre les références historiques. Par exemple, lorsque Oussama Ben Laden a parlé du "désastre d'il y a quatre-vingts ans", tout le monde au Proche-Orient savait qu'il parlait de la chute de l'Empire ottoman. Les Américains, en revanche, n'avaient aucune idée de ce dont parlait Ben Laden. En outre, il est très difficile de trouver de la littérature favorable à l'islam aux États-Unis, car l'islam est considéré comme une menace pour la nation juive et protestante que sont les États-Unis.
Le "Choc de l'ignorance" [6] d'Edward Saïd a réfuté les affirmations de Lewis: chaque pays du Proche-Orient a sa propre histoire et sa propre interprétation de l'islam. En outre, il faut comprendre le Proche-Orient non pas comme des pays séparés, mais à travers la dynamique qui existe entre eux. Le "choc des ignorances" de Saïd a montré que l'orientalisme de Lewis généralise de manière simpliste l'"islam": après tout, il existe de multiples types d'islam ! Néanmoins, le "choc des civilisations" de Lewis domine la politique étrangère des États-Unis au Proche-Orient. Cependant, cette vision libérale-occidentale de l'"Islam" est totalement différente de la façon dont les musulmans perçoivent l'Islam ! Par exemple, il y a un monde de différence entre l'Islam en Algérie, en Afrique de l'Est et en Indonésie ! Il est donc extrêmement imprudent de considérer cet ensemble disparate comme une seule entité islamique, irrationnelle, terroriste et fondamentaliste. Selon Edward Saïd, une culture exclusive est impossible: nous devons donc nous demander si nous voulons nous efforcer de séparer les cultures ou de les faire coexister.
Épilogue
La version de Huntington du "choc des civilisations" de Lewis a d'abord été publiée sous la forme d'un article de magazine dans Foreign Affairs, parce qu'elle pouvait ainsi influencer les décideurs politiques : après tout, ce discours a permis aux États-Unis de poursuivre le schéma de pensée de la guerre froide. Mais il est bien plus utile d'adopter une nouvelle mentalité, consciente des dangers qui menacent actuellement l'ensemble de l'humanité: pauvreté croissante, haine ethnique et religieuse (Bosnie, Congo, Kosovo, Nagorno-Karabakh, Ukraine, ...), analphabétisme croissant et nouvel analphabétisme (en ce qui concerne les communications électroniques, la télévision et l'internet).
L'histoire devrait être dénationalisée et montrer clairement que nous vivons dans un monde très complexe et mélangé, dans lequel les cultures ne peuvent pas être simplement séparées: l'histoire devrait être enseignée comme un échange entre les cultures, en montrant clairement que les conflits sont inutiles et ne font qu'isoler les gens. Or, aujourd'hui, l'enseignement de l'histoire en Occident continue d'enseigner que l'Occident est le centre du monde.
Les différences entre les cultures doivent également subsister : il n'est pas bon de vouloir effacer les cultures ou de vouloir que les cultures s'affrontent. Nous devrions nous efforcer de faire coexister des cultures, des langues et des traditions différentes et donc de préserver ces différences plutôt que de viser une culture mondiale unique ou - comme Huntington et Lewis l'ont fait - la guerre.
L'idée orientaliste erronée du "choc des civilisations" doit être combattue en révélant ce qui la sous-tend réellement, en en débattant, par l'éducation et en faisant prendre conscience aux intellectuels américains et européens de l'impact énorme des interventions étrangères de l'Occident sur les autres cultures.
Notes:
[1 ] HUNTINGTON (Samuel), Colliding Civilisations, Anvers, Icarus, 1997, pp. 412.
[2] LEWIS (Bernard), The Roots of Muslim Rage, in : The Atlantic Monthly, 1990.
[3] SCHLESINGER (Arthur), The Disuniting of America, New York, Norton, 1992, pp. 160.
[4] Le Hedjaz est une région située à l'ouest de l'Arabie, qui comprend les villes saintes islamiques de La Mecque et de Médine.
[5] LEWIS (Bernard), What went wrong ? Western Impact and Middle Eastern Response, Oxford, Oxford University Press, 2002, pp. VII + 180.
[6] SAÏD (Edward), Orientalism, Londres, Penguin, 2003, pp. 396.
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lundi, 20 mai 2024
Liban - À propos d’un nationalisme méconnu
Liban - À propos d’un nationalisme méconnu
par Georges FELTIN-TRACOL
Création coloniale de l’infâme République française, le Liban est un État confessionnel en faillite complète. Le 31 octobre 2022 commence la vacance de la présidence de la République. L’intérim devrait revenir au Conseil des ministres, à savoir le troisième gouvernement de Najib Mikati qui a cependant démissionné en octobre 2022. Quant à la Chambre des députés, faute de quorum, elle ne se réunit presque plus. Pendant ce temps, le désastre économique, social et financier s’aggrave sans oublier les nombreux dégâts provoqués par les multiples frappes de l’État hébreu au Liban méridional.
Considéré comme la « Suisse du Proche-Orient » à l’époque des « Trente Glorieuses », le Liban a toujours été dysfonctionnel. Le contexte compliqué par la reconnaissance politique des croyances explique-t-il la présence de trois nationalismes antagonistes dont les formations politiques demeurent encore aujourd’hui adversaires ? Apparaît en novembre 1932 le nationalisme pan-syrien d’Antoun Saadé (1904 – 1949) (photo). Ce chrétien grec-orthodoxe fonde le Parti social-nationaliste syrien (PSNS). Implanté autant au Liban qu’en Syrie au sein du Front national progressiste, la coalition des neuf partis qui participe au gouvernement de Bachar el-Assad, le PSNS a un objectif précis : l’union du Bilad al-Cham ou « Grande Syrie » qui s’étendrait de Chypre à l’Irak et au Koweït en incluant la Palestine, la Jordanie, le Liban et la Syrie. Plus tard, à la fin des années 1960, dans le cadre de l’« Axe de la Résistance » anti-sioniste, la tendance majoritaire du PSNS acceptera une union graduelle et par ensembles concentriques du monde arabe.
Lancé en avril 1947, le Baas (ou Parti socialiste de la résurrection arabe) de Michel Aflak (1912 – 1989) (photo), de Salah Eddine Bitar (1912 – 1980) et de Zaki al-Arsouzi (1899 – 1968) prône l’unité du monde arabe de l’océan Atlantique jusqu’au Chatt el-Arab (soit aux frontières de l’Iran) en passant par la Somalie et la péninsule arabique. Après des décennies fastes qui l’ont vu s’installer en Syrie, puis en Irak, et qui a profité de l’engouement nassérien, l’idéal panarabe est désormais en déclin, sévèrement contrarié par l’activisme islamiste qui prend parfois une tonalité panislamique. Au cours de la brève guerre civile libanaise de 1958, les forces paramilitaires du PSNS, les « Aigles de la Tornade », combattirent dans les montagnes les unités armées du Baas local...
En réaction au militantisme pan-syrien et baasiste se développe un nationalisme phénicien lui-même éclaté en plusieurs factions rivales. Ce nationalisme revendique la particularité du caractère ethno-culturel libanais par rapport à ses voisins sémites. En effet, il estime que son peuple ne relève pas de l’arabité, mais descend des Phéniciens. Mieux, la matrice véritable de la civilisation occidentale serait phénicienne. Le poète, linguiste et philosophe Saïd Akl (1912 – 2014) (photo) transcrit ainsi le libanais de l’alphabet arabe en alphabet latin. Cet intellectuel anime en outre le Parti du Renouveau libanais dès 1972. Les nationalistes phéniciens envisagent un « Très Grand Liban », un État qui engloberait l’actuel Liban, tout le littoral syrien (le projet mandataire de « Territoire des Alaouites ») et le Nord d’Israël.
Les forces politiques qui y souscrivent plus ou moins ouvertement sont les fameuses Phalanges libanaises fondées en 1936 par Pierre Gemayel (1905 - 1984), le Parti national-libéral (PNL) créé en 1958, naguère appelé « Parti des patriotes libres », de l’ancien président Camille Chamoun (1900 - 1987) dont la milice se qualifiera de « Tigres » et dans laquelle tomba au combat en 1976 le solidariste français Stéphane Zannettacci, le Bloc national libanais (1946) de l’ancien chef d’État Émile Eddé (1883 – 1949), et les pro-Syriens de la Brigade Marada constituée dès 1967 par le futur président Soleimane Frangié (1910 - 1992). L’homme d’affaire Iskandar Safa (1955 - 2024), propriétaire de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, n’aimait guère s’entendre rappeler son engagement de jeunesse chez les Gardiens des Cèdres. Fondés et commandés par Étienne Sacr (né en 1937 et qui vit toujours en exil, car condamné à mort), les Gardiens des Cèdres ont été au cours de la guerre civile de 1975 à 1990 l’une des unités combattantes les plus redoutables. Financés par Israël et détestant les Palestiniens ainsi que les mouvements de gauche, ils se montrèrent impitoyables sur la ligne de front. Il ne faut pas en revanche les confondre avec l’Armée du Liban-Sud (ALS). Formée, armée et entraînée par Israël, l’ALS accueillit entre 1976 et 2000 maints Gardiens des Cèdres.
Les dissensions au cœur du camp chrétien obligèrent les tenants du nationalisme phénicien (ou libanais) à accepter des compromis. Par exemple, au terme de son mandat présidentiel en 1988, Amine Gemayel nomme comme premier ministre - et donc président par intérim - le général Michel Aoun (photo) qui proclame une guerre de libération nationale contre la Syrie. En plus du soutien officiel de l’Irak de Saddam Hussein, le général Aoun obtient l’appui effectif des nationalistes libanais. Plus tard, au retour de son exil et dans la perspective de l’élection présidentielle par les parlementaires en 2016, le général Aoun, chef du Courant patriotique libre, va s’allier aux mouvements chiites Amal et Hezbollah ainsi qu’au PSNS...
On trouve le thème de ce nationalisme chez quelques érudits tunisiens qui assurent que leur pays a plus des racines puniques et phéniciennes qu’arabes et africaines. Mais cette vision politique demeure plus que marginale à Tunis. Notons par ailleurs que certains linguistes, fort minoritaires, pensent que la langue maltaise d’origine sémitique serait en réalité un prolongement moderne du phénicien. Il s’agit d’une thèse plus que discutée.
L’actuelle crise politique, sociale, économique et financière qui frappe le Liban peut-elle cristalliser un sentiment national libanais d’inspiration phénicienne ? Il est très difficile de répondre à cette interrogation de manière abrupte et définitive. Il est patent en tout cas que ce nationalisme méconnu perdure à travers le va-et-vient des formations politiques et reste un facteur déterminant dans la résolution (ou non) des problèmes structurels de ce pays-mosaïque qu’est le Liban.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 115, mis en ligne le 14 mai 2024 sur Radio Méridien Zéro.
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vendredi, 26 avril 2024
Guerre civile islamique
Guerre civile islamique
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/guerra-civile-islamica/
La confrontation actuelle entre l'Iran et Israël comporte un risque implicite qui n'est guère pris en compte ces jours-ci.
Il s'agit de la ré-explosion, sous de nouvelles formes, de la Fitna, c'est-à-dire de l'ancienne guerre civile entre sunnites et chiites. Tout cela est interne à l'Islam et à son histoire tourmentée.
Passée sous silence par les médias et, pour l'essentiel, inconnue des classes dirigeantes européennes, elle est pourtant un problème bien présent dans les pays du Moyen-Orient. Et aussi considéré avec beaucoup d'attention à Tel Aviv, Washington et Londres. Une attention, il va sans dire, très soutenue.
Le fait qu'en abattant les drones iraniens dirigés vers Israël, la Jordanie ait également collaboré ouvertement avec l'Occident, est... significatif. Une importance qui va bien au-delà de la contribution militaire sans importance du petit royaume hachémite.
Elle représente plutôt l'apogée d'un système d'alliances tissé par Washington dans les pays arabes. Un système complexe et non dépourvu de contradictions, mais qui a essentiellement deux objectifs. Isoler Téhéran. Et blinder Israël.
Dans la direction opposée, en revanche, il y a Pékin. Dont la stratégie vise à rendre le scénario moyen-oriental plus compact, et donc moins instable. C'est la doctrine de Xi Jinping : la pénétration sans conflit. En effet, dans la mesure du possible, tenter d'étouffer les conflits latents.
Une stratégie qui a trouvé son aboutissement dans la médiation entre Téhéran et le Riyad, voulue par le président chinois lui-même. Et qui va à l'inverse des accords d'Abraham. Qui tendent au contraire à souder un axe sunnite, Arabie saoudite en tête, avec Israël. Des accords dont la fonction anti-iranienne est évidente.
La Chine est une puissance terrestre par excellence. Déterminée à contrôler fermement son espace géographique. Et poursuivant essentiellement une expansion commerciale. Une expansion qui nécessite une situation non conflictuelle. Car le commerce ne peut s'épanouir que dans une situation de paix et de liberté des échanges.
À l'inverse, les États-Unis sont une puissance thalassocratique. Tout comme la Grande-Bretagne, leur proche alliée. Et le contrôle des "mers" exige que la terre soit divisée. Toujours fragmentée.
Ce sont des stratégies antithétiques. Inévitablement destinées, tôt ou tard, à s'affronter.
Comme dans le cas du Moyen-Orient.
Où une reprise de l'ancienne querelle, vieille de plusieurs siècles, est aujourd'hui en vue. Interne à l'islam. La Fitna. C'est-à-dire l'affrontement entre le bloc chiite, dirigé par l'Iran, et le bloc sunnite. Soutenu cependant, dans ce cas, par Washington.
C'est-à-dire par un agent extérieur et étranger au monde islamique.
Et c'est précisément en cela qu'il est possible d'identifier une faille dans la stratégie américaine.
Car Téhéran, conscient du risque de reprise de la Fitna, ne se contente pas de compacter le front chiite. C'est-à-dire l'Irak, la Syrie, le Hezbollah libanais, les Houthis yéménites. Mais elle cherche, en parallèle, à se présenter comme le défenseur des Palestiniens. Et même du Hamas.
C'est important, car cela pourrait créer de nombreux problèmes internes aux régimes sunnites. En soulevant les populations contre les dirigeants, perçus comme des alliés d'Israël. Et donc traîtres à la cause arabe.
D'où l'extrême prudence avec laquelle évolue l'Egyptien al-Sisi. Qui entretient par ailleurs des relations fructueuses avec Israël, et des relations étroites avec Washington.
Sans parler d'Erdogan. Qui est dans l'OTAN, mais qui a passé les années de son gouvernement à tisser des relations économiques et politiques de plus en plus étroites avec Téhéran. Ici aussi, le facteur commercial a joué et continue de jouer un rôle décisif.
La prudence n'a manifestement pas été conseillée à Abdallah de Jordanie. Ce dernier s'est ouvertement rangé du côté occidental. S'exposant ainsi au risque de répercussions considérables. La monarchie hachémite n'est pas aimée des Palestiniens. La Cisjordanie est proche. Et le souvenir de Septembre noir est encore très présent. Et brûlant.
C'est un jeu d'alchimie complexe. Il pourrait conduire à l'isolement de Téhéran, mais aussi déstabiliser les régimes sunnites. Ou encore déclencher une guerre entre chiites et sunnites.
Tout dépendra de la manière dont les différents acteurs, notamment Washington et Pékin, joueront leurs cartes.
19:14 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, iran, monde arabe, monde arabo-musulman, chiites, sunnites, proche-orient, moyen-orient, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 21 mars 2024
La renaissance de la Méditerranée et la guerre pour son contrôle
La renaissance de la Méditerranée et la guerre pour son contrôle
par Giorgio Vitangeli
Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/la-rinascita-del-mediterraneo-e-la-guerra-per-il-suo-controllo
En Méditerranée orientale, la guerre entre Israël et les Palestiniens de Gaza s'est soudainement rallumée, et l'incendie - qui, à l'heure où nous écrivons ces lignes, dure depuis quatre mois et semble destiné à durer indéfiniment - risque de se propager à l'échelle régionale. Déjà, la guérilla pro-iranienne des Houthis est entrée en guerre au Yémen, attaquant avec des missiles et des drones les navires à destination d'Israël ; les Américains et les Britanniques ont transféré des navires de guerre en mer Rouge, qui attaquent les bases des Houthis avec des raids aériens et des missiles. La France, l'Allemagne et l'Italie envoient également des navires de guerre en mer Rouge pour "protéger la navigation" à destination du détroit de Suez. En Cisjordanie, occupée depuis 1967, la tension entre les Palestiniens et les plus de six cent mille colons juifs qui s'y sont installés depuis, protégés par l'armée israélienne, menace de raviver des affrontements sanglants ; à la frontière avec le Liban, l'armée israélienne et la guérilla chiite du Hezbollah, également pro-iranienne, échangent parfois des coups de canon. Les Américains multiplient les raids aériens, bombardant les bases présumées de la guérilla en Syrie et en Irak, qui ont prévenu : nous sommes au bord du gouffre. Dans les centres stratégiques et les cercles militaires euro-américains, des prédictions frémissantes font état d'une troisième guerre mondiale qui pourrait éclater au cours du premier semestre de l'année prochaine et dont le conflit au Moyen-Orient serait une autre "pièce" en avance.
En effet, après la guerre en Ukraine, qui dure également depuis deux ans, un nouveau front s'est ouvert. Cette fois, outre le génocide et l'expulsion des Palestiniens de Gaza, le véritable enjeu est autre : il s'agit pour les États-Unis de contrôler la Méditerranée, qui est devenue une mer de plus en plus stratégique pour le commerce mondial. Pour Israël, l'enjeu est la construction d'un nouveau canal entre la mer Rouge et la Méditerranée, géré et contrôlé par lui (par procuration des États-Unis), ainsi que le contrôle, aussi étendu que possible, des énormes gisements de gaz et même de pétrole, certains déjà découverts et d'autres encore à découvrir, dans ce que l'on appelle le "bassin du Levant". La bande de Gaza palestinienne représente un obstacle à ces deux objectifs. Il est logique de penser que la reprise de la guerre et la tentative israélienne de plus en plus évidente de raser la ville et de forcer les Palestiniens à quitter cette bande de terre sont également liées au projet de nouveau canal et à l'exploitation des gisements de pétrole et de gaz tant en Cisjordanie occupée que sur le plateau maritime en face de la bande de Gaza.
C'est dans ce contexte qu'il faut replacer la guerre de Gaza. Il ne s'agit pas seulement d'une guerre entre Israël et les Palestiniens, mais plutôt d'une guerre entre les États-Unis et l'OTAN, d'une part, et le reste du monde, d'autre part. Une guerre dans laquelle Israël, ou plutôt Netanyahou, est chargé de faire le sale boulot, tout comme l'Ukraine est chargée de fournir la chair à canon contre la Russie. Mais avant d'examiner plus en détail ce qui se passe à Gaza, les origines de cette "guerre parallèle" à celle de Crimée et les objectifs cachés poursuivis, une brève réflexion s'impose sur un autre épisode, en soi de peu d'importance, mais de grande importance en revanche pour notre pays, à savoir la renonciation de l'Italie, officialisée le 3 décembre 2023, à renouveler son adhésion avec Pékin à l'initiative chinoise "Belt and Road", la puissante nouvelle route commerciale, articulée en lignes maritimes et en corridors terrestres, qui reliera la Chine et l'Asie du Sud-Est à l'Europe et à l'Afrique, en traversant et en impliquant tous les pays situés entre les deux.
La sortie de l'Italie de la route de la soie
La décision du gouvernement Meloni, compte tenu de son orientation mollement atlantiste, était déjà connue, mais l'annonce officielle n'avait pas encore été faite. L'Italie l'a fait maladroitement, presque sèchement, comme si elle voulait en atténuer la portée politique. C'est ainsi qu'un choix potentiellement très important a été formalisé par une simple lettre du ministre des Affaires étrangères Antonio Tajani à l'ambassadeur de Chine à Rome. Et ce n'est ni le ministre Tajani ni la présidente Giorgia Meloni qui l'ont fait savoir, mais un "scoop" du Corriere della Sera, avec un article paru dans le journal le 6 décembre 2023. Après la fuite, le ministre des affaires étrangères et le premier ministre n'ont eu d'autre choix que de confirmer et d'essayer de fournir une justification.
Du côté chinois, aucun commentaire officiel sur la décision italienne, et peu de commentaires de la part des médias, mais tous, dans leur brutalité réaliste, très peu flatteurs pour l'Italie. Quelques exemples ? Le directeur de l'Institut de recherche méditerranéenne de l'université de Zhejiang, Ma Xiaolin, interviewé par le journal Zhejiang Daily, a qualifié d'"incohérentes" les déclarations italiennes sur l'inefficacité de l'accord. "L'Italie, a ajouté M. Xiaolin, a montré qu'elle était tout simplement soumise à Washington. Le magazine Knew a réitéré le même concept : "Qui se cache derrière cette manœuvre ? Washington, bien sûr". Wang Wenbin, porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, a déclaré à son tour que "la Chine s'oppose fermement aux tentatives visant à salir et à saboter la coopération de la Ceinture et de la Route ou à attiser la confrontation et la division entre les blocs". Il n'a jamais mentionné l'Italie, mais pour beaucoup, à Rome comme à Washington, les oreilles ont dû siffler.
L'attaque de la guérilla du Hamas contre Israël : un nouveau 11 septembre ?
Nous en arrivons maintenant à l'événement le plus important qui a explosé ces derniers mois dans la région méditerranéenne, à savoir la nouvelle guerre extrêmement violente entre Israël et les Palestiniens dans la bande de Gaza. Très important parce que c'est de là qu'est partie la nouvelle crise guerrière qui infecte tout le Moyen-Orient.
Le 7 octobre 2023, la guérilla du Hamas, assistée par d'autres organisations politico-militaires d'inspiration radicale-religieuse similaire (2 500 hommes en tout, selon certaines estimations), a lancé une attaque depuis la bande de Gaza qui, chose incroyable, semble avoir pris par surprise à la fois le très efficace Mossad, c'est-à-dire le service de "renseignement" militaire israélien, et les forces armées israéliennes. Selon le Hamas, cette attaque se voulait une réponse à la profanation par les Israéliens de la mosquée Al Aqsa, au meurtre de centaines de Palestiniens en Cisjordanie par l'armée israélienne et les colons juifs, et plus généralement une réaction aux "crimes d'occupation" de la Palestine par Israël.
Les hommes du Hamas et les milices alliées ont réussi à pénétrer le territoire israélien par voie terrestre, maritime et aérienne. Par voie terrestre, les guérilleros palestiniens ont franchi la barrière frontalière (équipée des systèmes d'alarme électroniques les plus modernes) avec des bulldozers, des camions, des camionnettes, des voitures et des motos ; par voie maritime, ils ont percé le blocus naval israélien qui isole la bande de Gaza du reste du monde depuis 2007, en utilisant des vedettes rapides et des canots pneumatiques et en débarquant tranquillement dans le territoire israélien contigu ; par voie aérienne, certains guérilleros ont atterri en Israël à l'aide de petits deltaplanes motorisés (en pratique, de grands cerfs-volants équipés d'un scooter), que les chasseurs ultramodernes de l'armée de l'air israélienne n'ont pas interceptés et que les gardes-frontières israéliens n'ont pas non plus abattus.
C'est ainsi que les 2.500 guérilleros ont pu, dans les premières heures de l'attaque, balayer le territoire israélien : ils ont détruit plusieurs tours de guet et percé jusqu'à cinq trous dans le mur frontalier ; ils ont détourné des véhicules militaires israéliens, attaqué le poste de police de la ville voisine de Sderot, conquis plusieurs localités proches de la frontière, pris des otages à Ofakim, une ville située à une trentaine de kilomètres de la frontière, attaqué et conquis deux kibboutzim, eux aussi situés non loin de la frontière ; ils ont attaqué une "rave", c'est-à-dire une sorte de fête entre jeunes, avec de la musique et de la danse, qui devait avoir lieu dans un autre endroit et qui, au dernier moment, sans que l'on sache pourquoi, a été déplacée à proximité de la frontière avec Gaza. Et là aussi, ils ont tué et pris des otages, avec des actes et des scènes d'une violence débridée. Et les images de ces horreurs, ponctuellement filmées par des téléphones portables, ont fait le tour du monde.
Évidemment, lorsqu'Israël a mis en mouvement son armée, déclarant la guerre et appelant aux armes jusqu'aux réservistes, les 2500 guérilleros du Hamas n'ont eu d'autre choix que de battre en retraite, entraînant avec eux quelques centaines d'otages.
Mais face à ce premier épisode, beaucoup, même en Israël, ont eu le sentiment que quelque chose ne collait pas et que nous étions face à une sorte de deuxième 11 septembre, c'est-à-dire une affaire apparemment impossible qui ne peut devenir réalité que parce qu'elle implique des mystères inavouables, c'est-à-dire des secrets d'État.
Des journaux américains et israéliens ont révélé que l'armée israélienne avait été informée des plans du Hamas, que les soldats israéliens stationnés à la frontière avec Gaza avaient, avant l'attaque, averti à plusieurs reprises leurs supérieurs que quelque chose d'important était sur le point de se produire, mais qu'ils n'avaient pas été écoutés et qu'ils avaient même été menacés de passer en cour martiale sur leur insistance. Simple sous-estimation par stupidité, négligence grave, arrogance des supérieurs ? Il est difficile de croire même les Israéliens qui refusent d'être déraisonnables et qui ont le courage d'écrire ce qu'ils pensent. Un exemple en est donné par un article d'Amos Harel paru dans le quotidien Haaretz. Après avoir confirmé, une fois de plus, qu'avant même le 7 octobre, l'armée israélienne disposait déjà d'informations sur le plan d'attaque du Hamas, face à la "déconnexion entre les évaluations sur le terrain (c'est-à-dire l'alarme transmise aux commandements supérieurs par les militaires stationnés à la frontière avec Gaza, ndlr.), l'article fait une comparaison explicite avec les attentats du 11 septembre aux États-Unis et les théories du complot qui y sont liées, observant comment "les décisions politiques peuvent influencer les réponses aux menaces à la sécurité" et qu'"il est plausible que le 11 septembre, l'action ait été favorisée ou que certaines preuves aient été délibérément ignorées pour justifier le tournant décisif et les décisions prises dans la guerre contre le terrorisme".
Concernant l'attentat du Hamas du 7 octobre, l'éditorialiste semble pencher pour la thèse qu'il ne s'agit pas d'un complot interne, mais simplement d'arrogance, de stupidité et de négligence criminelle. Mais il s'interroge aussi : "Et si c'était délibéré ? Itmar Ben Gvir voulait-il qu'un tel scénario se produise, une excuse pour expulser tous les Palestiniens ?" Amos Harel ne le dit pas, mais il ajoute : "En ce moment, mon esprit prend en considération le fait que Netanyahou et certains hauts responsables militaires ont permis que le 7 octobre se produise. De plus en plus d'informations font état d'une alerte précoce émanant des Forces de défense israéliennes elles-mêmes. On ne peut pas comprendre que les plus hauts niveaux aient ignoré cela. À moins que nous ne sachions tout". Précisément : nous ne savons pas tout de cette affaire ; les secrets d'État, les "arcana imperii", comme disait Tacite, ne sont pas accessibles au commun des mortels, même s'ils vivent dans une soi-disant "démocratie".
Mais si l'on se documente patiemment, si l'on relie les différentes informations en les plaçant à leur place, même les motifs de la mosaïque, même les "arcana imperii" finissent par être révélés, ou du moins les lignes qui suggèrent le motif peuvent être aperçues. La véritable relation, par exemple, entre Netanyahou et le Hamas. Le quotidien israélien Haaretz du 9 octobre 2023 rapporte une déclaration du Premier ministre israélien datant de mars 2019 lors de la réunion des parlementaires du Likoud. À cette occasion, M. Netanyahou a déclaré textuellement : "Quiconque veut s'opposer à la création d'un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et le transfert d'argent au Hamas... Cela fait partie de notre stratégie", a-t-il ajouté plus tard, "pour isoler les Palestiniens de Gaza des Palestiniens de Cisjordanie".
Et dans le Times of Israel du 8 octobre 2023, on pouvait lire : "Le Hamas a été traité comme un partenaire au détriment de l'Autorité palestinienne afin d'empêcher Abbas d'avancer vers la création d'un État palestinien. Le Hamas est passé du statut de groupe terroriste à celui d'organisation avec laquelle (Netanyahou) a mené des négociations par l'intermédiaire de l'Égypte et qui a été autorisée à recevoir des valises contenant des millions de dollars du Qatar par les points de passage de Gaza".
Et selon certaines allégations, évidemment non fondées, certaines attaques attribuées au Hamas ont été conçues et menées sous "faux drapeau" par le Mossad, et il existe au sein du Hamas une fraction du renseignement militaire qui collabore avec les services de renseignement israéliens et américains. À cet égard également, la comparaison avec les relations des États-Unis avec Isis, les attentats du 11 septembre et les mesures strictes prises par la suite pour lutter contre le terrorisme semble parfaitement adaptée. En tant qu'Italiens, nous n'avons guère de raisons d'être surpris ou scandalisés. Il suffit de penser aux "arcana imperii" entourant les "anni di piombo", à l'assassinat d'Aldo Moro ou à la dévastation politique de ce que l'on appelle les "mani pulite" (l'opération "mains propres").
Pour les Palestiniens de Gaza: le massacre et la diaspora
La réaction israélienne à l'attaque du Hamas est d'une violence sans limite et semble clairement viser une "solution finale" au problème de Gaza : le contrôle de ce territoire, avec l'expulsion forcée de toute la population palestinienne. Et ce, en ignorant imperturbablement les dénonciations des organisations internationales et humanitaires, et malgré le scandale et la réprobation de l'opinion publique internationale, qui apprend à la télévision ou lit dans les journaux les bombardements quotidiens de l'aviation israélienne, qui rasent des quartiers entiers, des exécutions sommaires, des disparitions de détenus politiques, des restrictions et obstacles à l'entrée à Gaza de l'aide humanitaire (médicaments et nourriture) pour la population civile, des convois de l'ONU ou du Croissant Rouge bombardés par l'aviation ou par des canons, des rafales de tirs contre la population civile, avec des dizaines de morts et de blessés. La mesure dans laquelle la bande de Gaza est devenue un enfer indescriptible a été attestée, entre autres, par l'Organisation mondiale de la santé, qui a écrit qu'"un mélange toxique de maladies, de faim et de manque d'hygiène et d'assainissement accroît le désespoir de la population, et au moins 360.000 cas de maladies infectieuses ont été enregistrés parmi les personnes déplacées, et il est à craindre que ce nombre soit sous-estimé et destiné à augmenter". Sur les 2,3 millions de Palestiniens vivant dans la bande de Gaza, près de deux millions ont aujourd'hui leur maison détruite ou ont dû être déplacés des quartiers que l'armée israélienne déclare "zone de guerre". Les bombardements quotidiens de l'armée de l'air israélienne ont fait près de trente mille morts, dont un grand nombre de femmes, de jeunes et d'enfants. Un nombre qui augmente chaque jour. Et même au sein de la société civile israélienne, des voix se sont élevées pour condamner amèrement ce massacre. Si la plupart des partis qui, hier encore, accusaient Netanyahou de corruption et de tentative de virage autoritaire, pour son projet de réforme judiciaire, affirment aujourd'hui que "dans des moments comme celui-ci, il n'y a pas d'opposition", l'opposition commence à réapparaître au sein de la société civile. Et quelques voix courageuses, bien qu'isolées, s'élèvent également au sein de la classe politique. Ofer Kassiv, par exemple, membre de la Knesset, parle ouvertement de "pogroms et de nettoyage ethnique" à propos de la politique du gouvernement israélien à l'égard des Palestiniens. Et l'ancien Premier ministre israélien Olmert de répéter à son tour : "Netanyahou et ses fanatiques ne veulent pas détruire le Hamas, mais chasser tous les Palestiniens et annexer les territoires à l'État juif. Nous risquons une guerre régionale pour ces criminels messianiques. Nous devons les arrêter. Ils vont également à l'encontre de la majorité des citoyens israéliens". Mais le Premier ministre israélien, M. Netanyahou, poursuit son chemin et n'entend aucune raison. Ceux qui pensent que nous allons nous arrêter, a-t-il déclaré, sont déconnectés de la réalité.
Les déclarations de certains de ses ministres sont encore plus explicites et déconcertantes. Ben Gvir, ministre de la sécurité nationale, a fait remarquer lors d'une conférence de presse que : "La guerre offre l'occasion de se concentrer sur la promotion de la migration des habitants de Gaza", qualifiant cette politique de "solution correcte, juste, morale et humaine". Et que dire d'une bande de Gaza rasée ? Ben Gvir ne cache pas les objectifs d'Israël : "Nous ne pouvons nous retirer d'aucune zone de la bande de Gaza. Non seulement je n'exclus pas une implantation juive dans cette zone, mais je pense qu'elle est importante". Et Bezalel Smotrich, du parti "Sionisme religieux", ministre des finances dans le gouvernement Netanyahou, a confirmé : "Israël prévoit de contrôler en permanence le territoire de la bande de Gaza, y compris par la création de colonies". "La bonne solution au conflit israélo-palestinien actuel est d'encourager la migration volontaire des habitants de Gaza vers des pays qui acceptent d'accueillir des réfugiés". En clair : en bombardant, en détruisant leurs maisons, leurs hôpitaux, leurs installations civiles et en massacrant quelques dizaines de milliers de personnes, Israël voudrait contraindre les Palestiniens de Gaza à l'exode vers des camps de réfugiés installés dans d'autres pays arabes.
Mais ce ne sont pas seulement quelques fanatiques religieux qui sont des "criminels messianiques", comme l'a dit l'ancien Premier ministre israélien Olmert, qui nourrissent ces intentions. Il existe un document du ministère israélien du renseignement, publié par Local talk, qui, dans l'un de ses articles, suggère ouvertement le transfert forcé vers l'Égypte de tous les habitants de la bande de Gaza, en passant sous silence le fait que l'Égypte n'a aucunement l'intention d'accueillir ces réfugiés. Mais le journal Jerusalem Post du 25 décembre 2023 insiste pour proposer une telle solution, et qualifie la péninsule du Sinaï d'"endroit idéal pour développer une vaste réinstallation de la population de Gaza". Et pour que l'Égypte accepte, une grosse carotte est évoquée : une action décisive sur la dette extérieure de l'Égypte, qui s'élève à pas moins de 165 milliards de dollars.
On peut se demander comment il est possible qu'un État plus petit que la Lombardie, comptant à peine dix millions d'habitants, dont deux millions d'Arabes, puisse ouvertement et impunément poursuivre des objectifs aussi délirants, au risque de déclencher une guerre régionale plus vaste, qui pourrait même contribuer à déclencher une troisième guerre mondiale. Il n'y a qu'une seule réponse rationnelle, et nous l'avons déjà mentionnée. La guerre pour le contrôle de Gaza n'est pas tant une nouvelle étape franchie par Netanyahou pour réaliser le rêve d'un "grand Israël" du Jourdain à la mer, mais plutôt la guerre des États-Unis pour le contrôle de la Méditerranée, qui est également essentielle pour maintenir la "tête de pont" européenne. Un nouveau canal, en alternative et en concurrence avec le canal de Suez, reliant la Méditerranée à la mer Rouge et à l'océan Indien, est redevenu un élément central possible pour atteindre ces objectifs. La bande de Gaza palestinienne représente un obstacle gênant à la réalisation optimale d'un tel projet. Elle doit donc être éliminée, et c'est Israël qui fait le sale boulot.
Et puis il y a la question des grands gisements de gaz et de pétrole en Méditerranée orientale, qui pèse de tout son poids. Car, comme nous l'avons déjà dit, celui qui contrôle ces gisements détient un trésor et, à l'avenir, il aura un poids important dans l'approvisionnement énergétique de l'Europe.
Les immenses gisements de gaz de la Méditerranée orientale
Ce que l'on appelle le "bassin du Levant" est (pour l'instant) une zone maritime de 83.000 kilomètres carrés couvrant les eaux territoriales et d'exploitation économique exclusive de Gaza, d'Israël, du Liban, de la Syrie, de Chypre, dont une partie est également revendiquée par la Turquie, ainsi que les champs pétrolifères découverts et à découvrir sur les terres de Cisjordanie. Le ministère américain de l'intérieur, dans une évaluation des réserves probables du "bassin du Levant", a écrit : "Nous avons estimé une moyenne de 1,7 milliard de barils de pétrole récupérables et de 122 billions de pieds cubes de gaz récupérables, en utilisant une technologie basée sur la géologie". Et ce n'est peut-être qu'un début. Une chose est claire : d'une part, la Méditerranée devient de plus en plus stratégique dans le commerce mondial, en tant que terminal naturel des échanges entre l'Asie et l'Europe, et entre l'Asie et une partie de l'Afrique. Un bon 20 % du commerce mondial transite déjà par la Méditerranée, et cette part va inévitablement augmenter ; d'autre part, la Méditerranée se révèle être un nouvel Eldorado pour les gisements de gaz.
Celui qui contrôle la Méditerranée, et en particulier sa connexion avec la mer Rouge et l'océan Indien, contrôle la voie de transit d'une part importante et croissante du commerce mondial. En outre, celui qui contrôle les énormes gisements de gaz de la Méditerranée orientale exerce déjà un pouvoir décisif sur l'approvisionnement énergétique de l'Europe.
Mais revenons brièvement sur l'histoire très significative de ces découvertes et de leurs développements. Tout a commencé il y a environ 25 ans, lorsque l'Autorité nationale palestinienne a accordé à British Gas Group et à Consalidates Contractors, une société palestinienne privée (détenant respectivement 60 % et 30 % des parts et 10 % au Fonds d'investissement de l'Autorité palestinienne) des permis de prospection dans la zone marine située en face de la bande de Gaza. Dès le forage des deux premiers puits, à seulement 30 km de la côte, un champ gazier a été découvert, dont la taille est apparue immédiatement comme énorme. "Un don de Dieu qui fournira une base solide à notre économie", a déclaré avec jubilation Yasser Arafat, alors président de l'Autorité nationale palestinienne. En effet, on estime aujourd'hui que ce gisement est le troisième plus grand de la Méditerranée, avec des réserves d'environ 35 milliards de mètres cubes de gaz. Mais le peuple palestinien n'en a pas encore tiré un seul dollar. En effet, un différend a immédiatement éclaté avec Israël qui, d'une part, prétend qu'une partie du champ gazier se trouve dans les eaux israéliennes et, d'autre part, ne disposant pas encore de ses propres ressources gazières, exige qu'une partie du gaz extrait à Gaza lui soit cédée à des prix avantageux. En fait, l'extraction du gaz a été bloquée. En 2004, Arafat est mort, peut-être empoisonné au plutonium, et Mahmut Abbas lui a succédé, acceptant un pacte léonin avec Israël sous la médiation de l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair. Mais à Gaza, le Hamas a remporté les élections, a pris le contrôle de la bande en 2007 et a rejeté cet accord. Le ministre israélien de la défense de l'époque, Moshe Ya'alon, a déclaré : "Le gaz ne peut être extrait sans une opération militaire visant à éradiquer le contrôle du Hamas à Gaza". Avec l'opération "Plomb durci", Israël a envahi Gaza en 2008, plaçant de fait le champ gazier sous son contrôle. Depuis cette année-là, Gaza est devenue une prison à ciel ouvert, contrôlée sur terre et sur mer par Israël. L'extraction du gaz est bloquée pour une durée indéterminée.
L'Autorité nationale palestinienne a repris les négociations avec Israël en 2012 pour tenter de débloquer la situation, mais le Hamas s'y est opposé et Israël a fini par rompre les négociations également. L'année 2014 est marquée par un autre épisode important : le gouvernement d'union nationale palestinien voit le jour en juin, et l'Autorité nationale palestinienne confie au Russe Gazprom l'exploitation de Gaza Marine et d'un champ pétrolifère en Cisjordanie. C'est alors que se produit une nouvelle attaque israélienne, avec l'assentiment tacite des États-Unis, qui commencent à craindre que la Russie ne cherche à mettre la main sur les grands gisements de la Méditerranée orientale : en 2013, la Syrie avait signé un accord de 25 ans avec la Russie pour explorer plus de 2000 kilomètres carrés au large de ses côtes. Les Russes prendraient en charge le coût de l'opération et récupéreraient les fonds s'ils trouvaient du gaz ou du pétrole. Le Liban, quant à lui, conteste depuis 2010 la carte israélienne des limites de l'exploitation maritime exclusive, a soumis sa propre carte à l'ONU et a l'intention d'accorder des licences d'exploration dans des zones qu'Israël considère comme siennes.
Bref, comme l'avait dit Arafat, Allah a fait un grand cadeau aux Palestiniens, mais après un quart de siècle, ils n'ont toujours pas réussi à le rentabiliser. Il y a cinq ans, les Nations unies estimaient leur perte à plusieurs milliards de dollars. En fait, un rapport de la CNUCED sur le commerce et le développement indique textuellement : "Des géologues et des économistes spécialisés dans les ressources naturelles ont confirmé que le territoire palestinien est assis sur des réserves considérables de pétrole et de gaz naturel dans la zone C de la Cisjordanie occupée et sur la côte méditerranéenne au large de Gaza. Mais l'occupation continue d'empêcher leur exploitation. Les Palestiniens n'ont pas eu la possibilité d'utiliser ces ressources naturelles pour financer leur développement et répondre à leurs besoins énergétiques. La perte subie à ce jour est estimée à plusieurs milliards de dollars. Une perte qui s'accroît chaque année avec la poursuite de l'occupation".
Peu de choses ont changé depuis. Toujours en 2019, l'East Med Forum voit le jour : une tentative de collaboration entre l'Égypte, la Grèce, l'Italie et Chypre, à laquelle participe l'Autorité palestinienne, pour débloquer la situation en vue d'exporter du gaz vers l'Europe. Mais en 2021, un nouvel affrontement entre l'armée israélienne et le Hamas vient tout arrêter. En juin 2023, un accord semble enfin avoir été trouvé. Israël annonce en effet que "dans le cadre des efforts entre Israël, l'Egypte et l'Autorité palestinienne et pour le maintien de la sécurité et de la stabilité dans la région, il a été décidé de développer le champ gazier marin de Gaza". Et au lieu de cela, en octobre de la même année, la guerre a éclaté.
Il convient d'ajouter, pour confirmer à quel point le bassin du Levant est prometteur en termes de réserves d'hydrocarbures, que la même année que la découverte du champ gazier de Gaza, on a découvert au large d'Israël le champ gazier de Tamar, d'une capacité estimée à 300 milliards de pieds cubes, et un an plus tard le champ gazier de Léviathan, évalué à 600 milliards de pieds cubes, qui est considéré comme le plus grand de la Méditerranée. Selon les Palestiniens, une partie de ces gisements se trouve d'ailleurs dans les eaux palestiniennes. Par ailleurs, Israël a accordé à plusieurs compagnies pétrolières, dont Eni, douze licences d'exploration pour rechercher du gaz au large de ses côtes.
Le canal Ben Gourion et le contrôle américain sur la Méditerranée
Pour comprendre que la guerre de Gaza va bien au-delà d'un affrontement entre Israël et les Palestiniens, il faut maintenant examiner plus en détail la question du "canal de Ben Gourion". Il s'agit d'un vieux projet secret américain qui est soudainement revenu sous les feux de la rampe. Il mérite un examen approfondi, car il a des implications économiques et stratégiques d'une portée considérable sur la région du Moyen-Orient, sur le rôle d'Israël, sur la fonction stratégique et géopolitique de la Méditerranée et, enfin, sur les futures relations possibles entre l'Inde et la région euro-atlantique et sur la position stratégique de l'Arabie saoudite.
Une idée ancienne, celle d'un canal alternatif à Suez. Alors que la puissance thalassocratique hégémonique était l'Angleterre, et que c'était plutôt la France qui reprenait le projet de canal de Suez, conçu par l'ingénieur italien Luigi Negrelli, alors citoyen de la région autrichienne du Trentin, c'est un officier de marine britannique, un certain William Allen, qui, vers 1850, a émis l'hypothèse alternative d'un canal reliant la mer Rouge, la mer Morte et la Méditerranée. Mais ce n'est qu'une hypothèse : le canal de Suez est inauguré en 1869, par la compagnie française Compagnie universelle du canal maritime de Suez, créée par Ferdinand de Lesseps, dans laquelle les Français détiennent la majorité absolue (51%), répartie toutefois entre de nombreux actionnaires privés. Mais déjà sept ans après l'inauguration, en 1876, l'Angleterre entre dans le groupe de contrôle, profitant d'une très grave crise financière en Égypte pour racheter la plupart des actions égyptiennes ; cinq ans plus tard, ayant pris le contrôle de facto de toute l'Égypte, elle rachète les actions égyptiennes restantes, passant ainsi à 49%. C'est ainsi que la Grande-Bretagne et la France ont géré conjointement le trafic du canal (et ses revenus) pendant 80 ans, c'est-à-dire jusqu'en 1956, lorsque le dirigeant égyptien Gamal Abdel Nasser l'a nationalisé.
C'est en vain que l'Angleterre et la France ont tenté de réagir en octobre de cette année-là, en envoyant d'abord Israël envahir la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï, puis en intervenant militairement, en occupant à nouveau Suez. Nasser avait déjà réagi à l'invasion en coulant les 40 navires qui traversaient le canal, qui resta ainsi obstrué jusqu'au début de l'année 1957. Mais le conflit a pris une tournure dangereuse : la Russie est intervenue pour soutenir Nasser, menaçant d'utiliser "toutes sortes d'armes modernes de destruction massive", c'est-à-dire même des bombes atomiques. C'est alors que les États-Unis interviennent dans le conflit, obligeant la Grande-Bretagne, la France et Israël à se retirer. Cette humiliation des deux dernières "puissances" européennes a marqué, pour de nombreux historiens, le début de la fin du colonialisme européen et le début, dans le monde, du nouvel équilibre bipolaire entre les États-Unis et l'Union soviétique. Elle a également marqué le début, après presque un siècle de gestion anglo-française tranquille du canal, de la période où le passage des navires de la Méditerranée à la mer Rouge par Suez a été interrompu, ou n'est plus aussi tranquille qu'il l'est aujourd'hui. Une première interruption a précisément eu lieu en 1956-1957 ; une seconde, beaucoup plus longue, de 1967 à 1975, est survenue à la suite de la "guerre des six jours", lorsque, par une attaque surprise, détruisant toute l'armée de l'air égyptienne au sol et prenant ainsi le contrôle total de l'espace aérien, Israël a occupé en six jours Jérusalem, le plateau syrien du Golan, la Cisjordanie, Gaza (alors égyptienne), la péninsule du Sinaï et, en fait, la rive orientale du canal de Suez. Et pour empêcher les Israéliens de l'utiliser, l'Égypte a mis en place un blocus de la navigation qui a duré huit ans. Mais avant même la nouvelle crise de Suez, dans le plus grand secret, les États-Unis, reprenant une vieille idée israélienne, ont commencé à réfléchir au projet d'un nouveau canal comme alternative au canal de Suez, désormais aux mains de l'Égypte de Nasser. Un pays qui bénéficiait du soutien de l'Union soviétique.
Le projet secret du Lawrence Livermore National Laboratory
Nous avons évoqué quelques idées anciennes concernant un second canal alternatif à Suez. Selon l'Institut israélien "Arava", pour l'étude de l'environnement, qui a réalisé une étude sur le sujet, l'idée de l'officier de marine britannique au milieu du XIXe siècle avait été abordée par le futur "père d'Israël" Ben Gourion, qui l'avait exposée en 1935, et avait été reprise en 1947, avant même la naissance de l'Etat d'Israël, par Chaim Weizman, fondateur du Parti démocratique sioniste et premier président de l'Etat hébreu. Mais c'est après la crise de Suez de 1956 qu'elle se concrétise, avec un projet de mise en œuvre secrètement promu et élaboré aux États-Unis d'Amérique. Le Lawrence Livermore National Laboratory, un institut de recherche californien, formellement non public, rattaché à l'université de Berkeley, mais étroitement lié aux institutions publiques américaines, qui existe toujours et qui, depuis décembre 2023, a annoncé avoir réalisé d'importants progrès dans le domaine de la fusion nucléaire, en a pris la direction. Mais le champ d'intérêt et d'action de ce "Laboratoire" est en réalité beaucoup plus large. Comme nous l'apprend son site web, il "fournit des capacités et des solutions innovantes pour endiguer la prolifération des armes nucléaires, chimiques et biologiques de destruction massive, pour répondre à la mission de sécurité nationale" (des Etats-Unis, bien sûr) en appliquant "la science et la technologie de pointe pour réaliser des progrès dans la dissuasion nucléaire, la lutte contre le terrorisme, la non-prolifération, le renseignement et la sécurité de l'énergie nucléaire", en utilisant "certains des superordinateurs les plus puissants du monde", avec lesquels il effectue des simulations complexes, ainsi que "le plus grand système laser à haute énergie du monde pour les études sur la fusion nucléaire". Il "sélectionne également le centre d'agents". Le type d'"agents" n'est pas explicité.
Le Lawrence Livermore National Laboratory est divisé en un certain nombre de départements, certains réservés au personnel interne, d'autres ouvertes aux collaborations externes. Et c'est précisément parmi ces dernières que l'on trouve encore une installation qui s'occupe des "applications civiles des explosifs brisants", un euphémisme pudique qui concerne évidemment les explosifs nucléaires. Le projet de construction d'un canal alternatif au canal de Suez, comme nous le verrons, prévoyait l'utilisation de pas moins de 520 bombes nucléaires, et il a été élaboré par un très jeune juif américain, Howard David Maccabee, qui n'avait pas encore 25 ans à l'époque. Un talent incontestable, mais aussi des qualités humaines, qu'il avait ce professeur Maccabee. Né en 1940 à Springfields, Illinois, dans une famille juive américaine, il est diplômé en génie civil de l'Université Purdue de Lafayette (Indiana) à l'âge de vingt et un ans. Il poursuit ses études supérieures à l'université de Californie, à Berkeley, où il obtient une maîtrise en ingénierie nucléaire en 1964 et un doctorat en biophysique nucléaire deux ans plus tard. Au cours de sa maîtrise, il a eu pour professeur un autre juif hongrois célèbre, naturalisé américain, le professeur Edward Teller, qui est devenu plus tard célèbre en tant que "père de la bombe à hydrogène". Comme nous l'avons déjà vu, le département américain de l'énergie avait confié la tâche d'élaborer le plan de construction d'un canal alternatif au canal de Suez au Lawrence Livermore National Laboratory, et ce dernier avait confié cette tâche à deux collaborateurs extérieurs, à savoir le professeur Edward Teller, assisté de son jeune élève (et coreligionnaire juif) Howard David Maccabee. Ensuite, pour une raison inconnue, seul Maccabee apparaît comme l'auteur de ce projet. Avec un détail curieux. Il est vrai, comme le rappelle la nécrologie du San Francisco Chronicle, que Maccabee aimait se faire appeler Mac par ses amis, mais son nom, qui semble arborer un drapeau judaïque (Maccabee était le nom de guerre d'un chef de l'insurrection juive contre un roi séleucide, et les "Livres des Maccabées" sont cinq textes juifs sacrés) dans le document de projet du nouveau canal déposé auprès du ministère de l'énergie devient Mac Cabee, et est apparemment devenu écossais.
Après cette expérience de l'utilisation civile des bombes atomiques, Howard David Maccabee change aussi radicalement d'intérêts et de vie. Il commence à étudier l'effet des particules subatomiques sur les tissus humains et consacre le reste de sa vie à la radio-oncologie. Mais, comme le souligne sa nécrologie dans le San Francisco Chronicle en 2015, "il était un éminent défenseur du judaïsme, d'Israël et des organisations et causes juives". Quant à son mentor et professeur Edward Teller, il a reçu en 1991 le prix Nobel de la paix pour plaisanter en tant que premier partisan de la Guerre des étoiles, et aurait inspiré divers personnages de films, dont celui du Dr Strangelove.
Une chose est sûre : le projet d'un nouveau canal, une alternative au canal de Suez, est né aux États-Unis, pour les besoins et les intérêts stratégiques américains, mais dès le départ, il est innervé de présences juives. Comme on le sait, il a été caché, mais pas tant que cela, puisque le Corriere della Sera du 27 décembre 1966 a publié un article intitulé "Enthusiastic about Israel's second Suez Canal project" (Enthousiasme pour le deuxième projet de canal de Suez d'Israël), signé par R. A. Segre.
Il faut se souvenir de R. A. Segre, car lui aussi était un personnage exceptionnel aux multiples facettes : essayiste et écrivain, diplomate israélien, analyste politique, professeur dans diverses universités italiennes et étrangères, et surtout journaliste, collaborateur sous divers pseudonymes de journaux italiens, israéliens, français, américains et britanniques : dans Le Figaro, il était René Bauduc, dans le Corriere della Sera, il était R. A. Segre; dans La Nazione de Florence, il était Giorgio Sorgi ; il a enseigné en Angleterre à Oxford, aux États-Unis au MIT de Boston, en Italie à Bocconi et aux universités de Milan et de Turin. Né dans le Piémont, il a émigré en Palestine après les lois raciales. Il revient en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale, comme volontaire dans la Brigade juive, mais en 1948 il est de retour en Palestine, où il forme une division de parachutistes, puis se lance dans la diplomatie, attaché à l'ambassade d'Israël à Paris, mais son activité principale revient ensuite au journalisme. En 1974, il quitte le Corriere della Sera, avec Indro Montanelli, et fait partie des fondateurs et des financiers du Giornale, auquel il a collaboré jusqu'à son dernier jour.
Il est naturel de penser qu'un personnage aussi multiforme et aventureux avait également des contacts avec les dirigeants israéliens ou les services de renseignement israéliens. Et que, par conséquent, le "scoop" sur le projet d'un canal alternatif au canal de Suez provenait d'un tuyau du Mossad, ou directement d'un représentant du gouvernement israélien, qui voulait raviver l'intérêt international pour l'initiative, qui, en plus d'être secrète, était au point mort.
Elle avait été bloquée par la CIA, dont le directeur avait alerté les dirigeants politiques américains en observant qu'à son avis, mêler le problème palestinien à celui du canal aurait compliqué davantage les deux questions. C'est ainsi que le projet est resté, apparemment oublié, enfermé dans un tiroir, ou dans un classeur, jusqu'à ce que, dans l'indifférence générale, il soit désagrégé en 1993.
En quoi consistait le projet du canal américain ?
Mais voyons brièvement en quoi consistait ce document. En réalité, il s'agissait d'un mémorandum de six pages, décrivant, dans les grandes lignes, la conception d'un nouveau canal et indiquant le tracé possible. Il partirait du golfe d'Aqaba, sur la mer Rouge, et se dirigerait vers le nord, parallèlement à la frontière entre Israël et la Jordanie, le long de la vallée du Wadi Araba, entre les montagnes du désert du Néguev. Ensuite, avant d'arriver à la mer Morte, il se dirige vers l'ouest, puis à nouveau vers le nord pour contourner la bande de Gaza et se jeter dans la Méditerranée. La particularité était qu'il prévoyait l'utilisation de 520 bombes atomiques pour créer le fossé à travers les montagnes, car l'utilisation de moyens traditionnels n'aurait pas été économiquement viable, et que la roche du fond et des berges aurait empêché l'ensablement dont souffre le canal de Suez. L'utilisation d'explosifs atomiques aurait également permis de créer un canal plus large et plus profond que le canal de Suez, permettant le passage de grands navires dans les deux sens. L'idée de construire une dérivation jusqu'à la mer Morte (dont le niveau est inférieur de 430 mètres) et d'exploiter ainsi l'énorme dénivelé pour produire de l'électricité a également été évoquée.
Nous avons dit que le projet américain, bloqué par la CIA, dormait depuis plus de trente ans, et semblait définitivement abandonné. Mais en réalité, il n'en est rien. Israël a continué à y réfléchir et, dans le contexte géopolitique actuel, il revient dans l'actualité. Dès mars 2015, un article du Jerusalem Post y revenait, soulignant également la possibilité, grâce à elle, de remplir à nouveau la mer Morte, et d'utiliser l'eau dessalée pour de nouvelles implantations et cultures dans le désert du Néguev. Il a également ajouté l'idée d'une ligne ferroviaire rapide partant de la mer Rouge, c'est-à-dire d'Eilat, jusqu'à Be'er Sheba, la ville la plus importante du Néguev, située à 41 kilomètres de Gaza. Cette dernière idée - comme le rappelle un article paru dans Haaretz en janvier 2023 - avait été promue par Netanyahou vingt ans plus tôt, mais le projet avait été annulé par Olmert lorsqu'il était à la tête du gouvernement israélien, parce qu'il était jugé économiquement non viable. La construction de cette ligne ferroviaire rapide, "Med-Red", qui devrait donc, une fois achevée, relier la Méditerranée à la mer Rouge, avec des trains roulant jusqu'à 300 kilomètres par heure, après un accord avec la Chine, a été reprise en 2012, mais est au point mort depuis 2021, faute de fonds. L'étude mentionnée de l'Institut Arava est également revenue sur l'idée de construire des pipelines hydroélectriques, cette fois-ci directement de la Méditerranée à la mer Morte, et a noté que l'option optimale serait la plus méridionale, c'est-à-dire partant de la bande de Gaza. Il a toutefois admis qu'"Israël ne placerait jamais une ressource aussi importante qu'une canalisation d'eau sous le contrôle du Hamas".
Le grand projet israélien pour le canal Ben Gourion
Nous avons vu que le plan d'un nouveau canal élaboré aux Etats-Unis n'était en réalité qu'une esquisse, avec une indication du tracé possible. Tout autre est le projet qu'Israël a progressivement envisagé. Nous avons évoqué l'exploitation par des centrales hydroélectriques du dénivelé entre la mer Méditerranée et la mer Morte, des usines de dessalement pour rendre cultivable une partie du désert du Néguev et y créer de nouvelles implantations. Mais aujourd'hui, on parle aussi des petites villes qui devraient être construites le long de son tracé, et surtout des structures futuristes de sécurité et de contrôle : on souligne qu'Israël, en tant que "superpuissance de la science et de l'ingénierie", est tout à fait capable de réaliser ce projet d'infrastructure complexe et d'en tirer de grands bénéfices, tant sur le plan économique (on estime qu'il rapporterait au départ environ six milliards de dollars par an) que, surtout, sur le plan stratégique. Grâce à lui, en effet, Israël ne sera plus soumis au chantage de la fermeture du canal de Suez et, en outre, les navires de l'US Navy disposeront d'une route contrôlée et sûre pour passer de l'océan Indien à la Méditerranée, également pour protéger Israël en cas de besoin. Mais il est également souligné que "stratégiquement, la pacification de Gaza est cruciale pour que le canal atteigne son potentiel. Un calcul économique et stratégique plus profond est en jeu, dont la communauté mondiale doit prendre conscience. La plupart des projets de canal impliquent un détournement prononcé vers le nord. Or, prendre le contrôle de Gaza permettrait d'emprunter un itinéraire plus direct, sans les détours tortueux, ce qui réduirait considérablement la durée du transit et permettrait d'économiser des milliards de dollars. En outre, un canal plus proche de la frontière égyptienne ou la traversant offrirait des avantages militaires incomparables, en renforçant les défenses d'Israël et en fournissant un tampon contre les menaces potentielles venant du sud".
L'annonce du début des travaux
Le 2 avril 2021, alors que M. Netanyahou est toujours au pouvoir, Israël annonce que les travaux du canal entre la mer Rouge et la Méditerranée débuteront en juin de la même année. Une annonce qui tombe à pic. Le mois précédent, le porte-conteneurs géant "Eversive" s'était échoué dans le canal de Suez et celui-ci avait été bloqué pendant une semaine. Il existe également une version conspirationniste de cette affaire : un blogueur syrien, qui se cache derrière le pseudonyme de Naram Sargon, a affirmé que l'incident était délibéré, afin de souligner aux yeux de la communauté internationale l'impérieuse nécessité d'un autre canal. Une version développée de cet article du mystérieux Naram Sargon a été immédiatement reprise le lendemain par un site web australien de langue arabe, qui a affirmé qu'Israël avait l'intention de construire un canal à deux voies et qu'il l'appellerait "Ben Gurion". Un chercheur du Conseil australo-israélien pour les affaires juives a réagi en parlant de "fantasmes de Sargon" et de "théorie du complot". Il a admis que des canaux alternatifs au canal de Suez avaient été discutés pendant un certain temps, y compris des canaux passant par Israël, mais que le projet décrit par l'autoproclamé Sargon n'existait pas.
Il a été démenti, comme nous l'avons vu, quelques semaines plus tard par le gouvernement israélien lui-même, qui a annoncé que les travaux de construction du canal Ben Gourion commenceraient dans les deux mois, précisant que le canal aurait une longueur de 293 kilomètres (cent kilomètres de plus que le canal de Suez), qu'il aurait deux voies, que même les très grands navires pourraient passer, et qu'il serait possible d'utiliser le canal de Suez en toute sécurité, afin que même de très gros navires puissent le traverser en même temps dans les deux sens, que chaque canal aurait une profondeur d'environ 50 mètres et une largeur d'environ 200 mètres (environ deux fois plus large que le canal de Suez dans les deux cas), que le coût atteindrait un maximum de 55 milliards de dollars, et qu'Israël espérait en tirer un bénéfice d'environ 6 milliards de dollars par an. Mais avant que les travaux ne puissent commencer, le gouvernement Netanyahou est tombé, le 13 juin 2021, et tout a été mis en suspens.
Cependant, le 22 septembre 2023, à l'Assemblée générale de l'ONU, Netanyahou, de nouveau au gouvernement, revient sur le sujet dans son discours: "Il y a deux semaines, souligne-t-il, nous avons eu une autre bénédiction: à la conférence du G20, le président Biden, le Premier ministre indien Modi et les dirigeants européens et arabes ont annoncé des plans pour un corridor futuriste qui traversera la péninsule arabique et Israël et reliera l'Inde à l'Europe par des câbles maritimes, ferroviaires, pétroliers et à fibre optique. Ce corridor contournera les contrôles maritimes (c'est-à-dire le détroit d'Ormuz, au large de l'Iran, le détroit de Bab El Mandeb, sous le feu de la guérilla houthie, et le canal de Suez, ndlr) et rendra le transport des marchandises et de l'énergie moins coûteux pour plus de deux milliards de personnes".
Netanyahu a ensuite montré un croquis de ce projet de grande ligne commerciale, à savoir l'IMEC (India - Middle East - Europe Economic Corridor), qui, dans sa partie orientale, relierait l'Inde aux Émirats arabes et, dans sa partie nord-ouest, les Émirats à la Méditerranée, en traversant l'Arabie saoudite du sud au nord, puis en se jetant dans la Méditerranée à Haïfa, en passant par la Jordanie et Israël. Sur la carte du nouveau Moyen-Orient présentée par M. Netanyahou, il n'y a aucune trace de la Palestine. (Le dessin et les paroles de Netanyahou sont disponibles sur youtube.com/watch?v=Atag74u01AM). Il n'y a pas non plus de canal Ben Gourion, mais il est clair qu'une fois construit, il constituerait une deuxième voie de transit maritime potentielle de l'Inde vers l'Europe, qui aurait toujours Israël comme débouché final sur la Méditerranée. Avec la construction du canal Ben Gourion, Israël non seulement accroît sa sécurité, élargit ses frontières et renforce son statut de puissance régionale au Moyen-Orient, mais aspire également à un rôle central de plaque tournante et de contrôle du commerce mondial ("Voyez-vous comment Israël est situé entre l'Afrique, l'Asie et l'Europe ?", a souligné M. Netanyahu en montrant sa carte). Un intérêt, celui d'Israël, qui coïncide parfaitement avec celui des États-Unis, qui, avec le corridor IMEC, visent à disposer pour leurs propres navires d'une voie sûre de passage rapide de l'océan Pacifique et de l'océan Indien à la Méditerranée, et à créer une alternative à la fois à la route de la soie chinoise (ramenant dans le giron occidental les moutons de l'Inde et de l'Arabie saoudite, qui l'ont quittée pour aller paître dans le camp des BRICS) et au corridor nord-sud qui relie la Russie et l'Inde.
L'enclave palestinienne de Gaza fait obstacle à ces projets qui, de toute façon, ne seront pas faciles à réaliser. Anéantir le Hamas, forcer les Palestiniens de Gaza à l'exode, les remplacer par des colonies de colons juifs, ou en tout cas occuper, même pendant un demi-siècle, Gaza, jusqu'à ce qu'elle soit "normalisée", comme l'a dit le colonel Gabi Siboni, qui coordonne toutes les opérations militaires israéliennes à Gaza, dans une interview à La Stampa le 6 février 2024, s'avère être une entreprise très difficile. Quant à l'IMEC, ce n'est pour l'instant qu'une esquisse sur une carte. L'Inde ne peut pas renoncer au gaz et au pétrole bon marché que la Russie lui fournit actuellement, puisque l'Europe n'en veut plus (et achète masochistement, à un prix énormément plus élevé, du gaz aux États-Unis). L'Arabie saoudite, quant à elle, vient de conclure un accord historique avec l'Iran, l'ennemi juré des États-Unis, grâce à la médiation de la Chine, qui figure parmi les principaux investisseurs dans la modernisation et l'expansion du réseau ferroviaire saoudien. Les Émirats arabes unis ont eux aussi désormais d'énormes intérêts économiques avec la Chine. En ce qui concerne les investisseurs, une question reste en suspens. La Chine finance la route de la soie, ou du moins anticipe son financement, mais les structures fantasmagoriques prévues pour le corridor Inde-Europe, qui devra les financer ?
Conclusions
En ne rassemblant que les morceaux de cette mosaïque que nous avons examinée, il faudrait en déduire que Netanyahou, en grande difficulté en Israël du fait d'accusations de corruption, et d'avoir tenté une involution autoritaire avec sa réforme judiciaire, a joué la carte de la guerre, qui oblige toutes les forces politiques à taire leurs divergences, dans l'intérêt suprême du pays. Vainqueur alors, avec une image auréolée de victoire, l'attaquer serait devenu beaucoup plus difficile. Mais pour entrer en guerre, il lui fallait une justification forte : quelque chose qui ébranle profondément l'opinion publique, et pas seulement celle d'Israël, et qui donne à la guerre l'image d'une défense juste et légitime. Et c'est là que le Hamas entre en jeu.
Si Netanyahou a fermé les yeux sur les valises de dollars arrivant à Gaza, il l'a admis lui-même, c'est parce que sa stratégie était d'utiliser le Hamas pour délégitimer l'Autorité palestinienne, opposer les Palestiniens de Gaza à ceux de Cisjordanie, et empêcher ainsi la naissance d'un Etat palestinien. Et il est concevable qu'il ne se soit pas contenté de fermer les yeux, mais qu'il ait eu des contacts secrets directs avec le Hamas, y compris financiers, et qu'une branche de renseignement du Hamas ait eu des contacts avec le Mossad.
Une chose est désormais établie : Israël connaissait depuis longtemps l'attaque que le Hamas allait déclencher. Mais il n'a pas bougé le petit doigt, même face aux avertissements insistants des soldats déployés à la frontière. Il a ainsi donné l'impression d'avoir été pris par surprise. Il est difficile d'imaginer que ce n'était pas intentionnel. Donc : Netanyahou voulait cette attaque, et il la voulait aussi féroce et inhumaine que possible. Pour avoir l'alibi d'une réaction si violente qu'elle conduirait à la destruction de Gaza et à la diaspora des Palestiniens de cette bande de terre.
Ensuite, il y a la question du canal Ben Gourion et celle des gisements de gaz et de pétrole du bassin du Moyen-Orient. Et l'énorme intérêt stratégique qu'aurait pour Israël, mais plus encore pour les États-Unis, la construction d'un canal alternatif au canal de Suez, sûr, bien protégé, fermement aux mains de l'Occident. Cela expliquerait pourquoi, face au massacre des Palestiniens, l'Occident, c'est-à-dire les États-Unis, ne bouge pas le petit doigt. Ils continuent de prôner la naissance de deux États, l'un palestinien et l'autre israélien, et semblent parfois reprocher à Netanyahou la violence de sa réaction, mais entre-temps, ils lui envoient des milliers de bombes au pouvoir perturbateur qui réduisent Gaza en cendres.
Tout cela, bien sûr, n'est que déductions, connexion des faits, si vous voulez penser mal. Mais inexorablement, à ce stade, on se souvient de la bouche fine, des yeux mi-clos d'où sortaient des éclairs d'ironie dissolvante, de la voix qui n'était jamais criée, mais à peine murmurée, bref, du visage de Giulio Andreotti, "le divin Giulio", ou même "Belzébuth", qui a vu et fait tant de choses, qui nous murmure : "Penser mal est un péché, mais on a raison".
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vendredi, 09 février 2024
La question chiite
La question chiite
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/la-questione-sciita/
Dans le silence désormais habituel des médias occidentaux, Washington a bombardé la Syrie et l'Irak. En représailles à l'attaque d'une base américaine en Irak par un groupe chiite, attaque qui a fait quelques morts.
Des représailles... près de quatre-vingt-dix raids aériens, menés avec des bombardiers à long rayon d'action en provenance des États-Unis, peut-on appeler cela ainsi?
Car la disproportion entre la provocation d'un groupuscule et la réaction de la grande puissance est immédiatement visible. Du moins pour quiconque n'a pas les yeux aveuglés par les hamburgers de chez McDonald's.
Ce qui se passe entre la Syrie et l'Irak est plutôt une véritable offensive. Menée par voie aérienne, elle exploite l'hégémonie que procurent l'aviation et le contrôle du ciel. Bases aériennes, bases militaires, cibles stratégiques, infrastructures... mais aussi cibles civiles sont touchées. Sans se soucier des "dommages collatéraux".
Il s'agit en fait d'une réédition de la stratégie "Shock and Howe", Strike & Terrorise. Expérimentée en son temps contre la Serbie, puis massivement appliquée lors de la phase initiale de la première guerre du Golfe.
A ce stade, il serait légitime de se demander si celle en cours dans la région syro-irakienne, véritable cœur du Moyen-Orient, se limitera (euphémisme) à une destruction massive de cibles, ou si, au contraire, elle doit être comprise comme un prélude à une attaque terrestre plus conventionnelle.
Auquel cas, tout, vraiment tout, changerait dans l'équilibre mondial déjà périlleux.
En effet, une intervention terrestre des Etats-Unis et de leurs alliés obligerait Téhéran à se rendre sur le terrain. Car il est clair que cette offensive en Syrie et en Irak, ainsi que celle menée parallèlement au Yémen, n'a pas grand-chose à voir avec la question de Gaza. La véritable cible stratégique est l'Iran et son réseau d'alliances.
Malgré l'embargo sévère (ou peut-être à cause de lui), Téhéran a réussi à tisser un réseau complexe d'alliances au fil des ans. Exploitant surtout l'identité particulière de l'islam chiite, dont il a pris la tête. Dont il a assumé le leadership.
Les chiites sont minoritaires dans l'ensemble du monde islamique. Ils sont cependant concentrés au Moyen-Orient, où ils disposent d'une force considérable. Et ils sont, à l'heure actuelle, très bien organisés militairement.
Le Hezbollah, au Liban, est une véritable épine dans le pied d'Israël. Les analystes du Mossad le considèrent comme la meilleure force armée de tout le monde arabe.
En Irak, la majorité est chiite. C'est d'ailleurs sur le territoire irakien que se trouvent les principaux lieux saints du chiisme.
Après avoir éliminé Saddam, qui était sunnite et nationaliste, les chiites pro-iraniens détiennent de facto le pouvoir dans la région. Et lorsque Isis a tenté de prendre le pouvoir dans le pays, ce sont eux qui ont vaincu les milices du califat. Encadrées et organisées par les Qods, les forces spéciales iraniennes.
Et c'est le général Qasem Soleymani, commandant du Qods, qui a été l'architecte de ce réseau de forces chiites. C'est aussi à lui que l'on doit la réorganisation des troupes fidèles à Assad, un alawite, dont les références religieuses procèdent d'une déclinaison du chiisme- troupes qui ont renversé le cours de la guerre en Syrie.
Soleymani a également structuré les Houthis yéménites - de confession zaïdite, une autre branche du chiisme - leur permettant de résister à sept années de guerre contre la coalition du Golfe dirigée par l'Arabie saoudite. Et, aujourd'hui, d'affronter même les forces de l'OTAN, minant la route commerciale de Suez.
C'est pourquoi, le 3 janvier 2020, le stratège iranien a été assassiné par un drone américain à l'aéroport de Bagdad. Une élimination qui rappellerait celle de l'amiral Yamamoto dans le conflit américano-japonais, si ce n'est que, cette fois, l'état de guerre n'avait pas été déclaré.
Et le même sort a été réservé au général Raza Moussavi en décembre dernier en Syrie. Ce dernier avait été l'un des plus proches collaborateurs de Soleymani.
À Washington, l'Iran est considéré comme la principale menace pour le contrôle du Moyen-Orient. Une vision qui n'est pas l'apanage de Biden, puisque l'assassinat de Soleymani a eu lieu sous la présidence Trump.
Cependant, The Donald avait toujours évité une confrontation directe avec Téhéran. Et c'est pourquoi il considérait l'attaque contre les Houthis yéménites comme une folie.
En outre, il avait beaucoup œuvré pour une bonne entente avec Moscou. Toujours dans le but d'isoler Téhéran.
Aujourd'hui, cependant, la scène a radicalement changé. La Russie apparaît comme le principal allié de l'Iran. Les risques de la politique de Biden, qui consiste à attaquer frontalement le monde chiite, sont évidents. Et très élevés.
Au Pentagone, on en est parfaitement conscient. Et ils essaient d'y mettre un frein. Il faudra cependant voir si la prudence des militaires l'emportera ou le bellicisme hâtif des "faucons". Ces conseillers qui, depuis West Wongh et surtout Wall Street, tirent les ficelles de Joe Biden.
18:51 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, chiites, proche-orient, yémen, moyen-orient, iran | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 22 janvier 2024
L'élargissement du conflit Hamas-Israël comme mèche du "Grand Embrasement" Orient-Occident
L'élargissement du conflit Hamas-Israël comme mèche du "Grand Embrasement" Orient-Occident
Irnerio Seminatore
TABLE DES MATIERES
De l’élargissement du conflit
Le conflit Israëlo-palestinien. Un épicentre d’antagonismes irrésolus
Eléments d’une lecture critique du système international actuel
Conciliation improbable, éradication impossible
Quelles issues au conflit israélo-palestinien ?
Eléments d’une stratégie israëlienne à long terme. Les dessous d’une réflexion incertaine
Un conflit aux impacts multiples
L’élargissement du conflit Hamas-Israël comme mèche du « grand embrasement » Orient-Occident
La Force et la Culture. "Minima Moralia"
* * *
De l’élargissement du conflit
La menace d'une extension ultérieure du conflit israélo-palestinien à l’ensemble du Moyen-Orient persiste et elle est déjà en acte au Liban et au Yémen, depuis les attaques anglo-américaines répétées contre les Houthis, appelant à la désescalade. Au Liban, où, après la riposte du Hezbollah par rapport à l’ampleur des réactions israéliennes à Gaza et à l’élimination ciblée du n°2 du Hamas à Beyrouth, Saleh al Arouri, chef adjoint du bureau politique du Hamas, la posture des milices chiites vise à ne pas dilapider leurs capacités opératoires et à pratiquer une politique d’attente, afin qu’Israël s’épuise et n’arrive pas à ses fins. En fait l’éradication du Hamas apparaît illusoire, car « l’axe de résistance » contre Israël pourrait avoir le dessus politiquement, grâce à la pression internationale. Quant aux pays arabes, qui se sont tenus à l’écart du conflit, la question essentielle est celle de la coexistence de leurs régimes politiques avec l’Etat hébreu. L’intérêt de ces régimes, en particulier du Liban et de l’Egypte étant de dissuader le transfert de populations de Gaza vers ces deux pays, celui de l’Arabie Saoudite de poursuivre sa normalisation avec Israël et pour ce qui est de l’Iran, qui bénéficie d’une protection de la Russie et de la Chine, de stopper les tirs croisé avec le Pakistan, où chacun joue à la retenue.
Le conflit israëlo-palestinien. Un épicentre d’antagonismes irrésolus
A une vue d’ensemble, le conflit israélo-palestinien demeure toujours l’épicentre d’antagonismes irrésolus :
- l’antagonisme séculaire Orient /Occident, enraciné dans des intérêts et des perceptions multiples;
- l’opposition géopolitique et culturelle Nord/Sud ou dominants /dominés, colonisateurs /colonisés;
- et enfin l’hostilité millénaire de deux mondes, judéo-chrétien et musulman, et de deux confessions, chiite et sunnite.
La région du Moyen-Orient a été fondamentalement le pivot de la puissance américaine, en termes d’influence et au vu des grands équilibres du système international, tournés désormais, depuis Obama, vers le Pacifique et l’Extrême Orient. Depuis, le risque d’une extension permanente du conflit israélo-palestinien à la Mer Rouge est évident, suite aux tirs de missiles des Houthis contre des navires occidentaux dans le détroit de Bab al Mandeb et à la riposte immédiate des Etats-Unis, du Royaume Uni, de l’Australie et du Canada.
Eléments d’une lecture critique du système international actuel
Selon une lecture critique du système international, l’Occident et l’Etat d’Israël seraient en état de siège sur la scène planétaire, leurs hégémonies respectives déclinantes et toute idée d’ordre ou de stabilité inatteignable et précaire. Partout enfin, chaque puissance s’évertuerait à définir sa relation entre la force et les principes, ainsi qu’entre la force et le droit; en Europe, où les normes et les valeurs ont remplacé la puissance étatique, en Russie, où l’aspiration à la liberté individuelle et à celle des nations n’a pas bouleversé les conceptions traditionnelles du pouvoir ou du devenir historique et en Asie Pacifique, où les principes occidentaux de l’Etat souverain ont été adoptés avec le plus de succès et demandent d’être achevés contre tous et contre tout (unification de Taiwan et du continent).
Dans ce contexte Israël apparaît comme le pays le plus menacé, pour lequel toute atteinte à sa sécurité comporterait des représailles justifiées et légitimes. Cependant ses dirigeants remplacerait le verbe diplomatique par l’action militaire et le Premier Ministre n’hésiterait pas à utiliser sans cesse le langage de la violence, oubliant qu’un ordre durable ne peut être que le résultat de la confiance et d’un accord politique. Voici, quelques rappels significatifs, qui écartent, selon Netanyahou, toute forme de doute sur les propos de l’action à entreprendre: « Tout membre du Hamas est un homme mort ! », ou encore: « Chaque zone dans laquelle le Hamas opère, deviendra une ruine ! ». Quelle personnalité politique de l’Union européenne, Ursula von der Leyen, ou Josep Borrell, Haut Représentant de l’Union Européenne pour la Sécurité et la Politique Etrangère, nourries de philosophie kantienne, prononceraient de telles mises en garde? Quelles facilités pourrait avoir le marathon d’Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, rencontrant les dirigeants de la Jordanie et du Qatar afin d’éviter des débordements du conflit et déclarant à Doha « C’est un moment de tension profonde pour la région. Ce conflit pourrait facilement se propager, entraînant encore plus d’insécurité et de souffrance ». M. Blinken a eu également pour mission de rassurer les dirigeants des États arabes sur le fait que les États-Unis s’opposent au déplacement forcé de civils de Gaza. Or, après la fin des hostilités, quel type de transformation pourrait subir le Moyen Orient en cas de défaite du Hamas, si cette hypothèse était réalisable et réaliste ?
Conciliation improbable, éradication impossible
L’existence d’un ordre d’Etats, recherchant la coopération régionale et l’observation de normes communes, ou adoptant des formes de gouvernement fondées sur les mêmes principes, est totalement inconcevable entre actants subversifs (le Hamas) et acteurs étatiques accomplis (Israël). L’absence de codes de comportement observés exclut, même en perspective, toute réhabilitation politique (du Hamas) et toute réintégration dans une communauté hétérogène d’entités politiques dignes de confiance, forçant les gouvernants d’aujourd’hui à devoir vivre dans un monde chaotique et sans règles. D’où l’absence d’un effort diplomatique se livrant à la recherche d’un concept d’ordre, régional ou mondial. En réalité et à une analyse rétrospective, les différents types d’ordre qui se sont succédé dans les systèmes internationaux du passé, l’ordre de Westphalie (1648), l’ordre de Vienne (1815), l’ordre de Yalta et Potsdam (1945), ou celui d’Helsinki (1975), comportaient deux règles ordinairement acceptées, l’équilibre des forces et le consensus commun sur la légitimité d’un recours à la force, pour le cas d’un effondrement du système normatif codifié. Or, comment édifier un ordre commun à partir d’antagonismes de principes et d’expériences historiques divergentes ou de disparités de forces aux prises, étatiques et sub-étatique? Une fois disparue et devenue inopérante la «souveraineté collective» du Conseil de Sécurité des Nations Unies, disparaît au même temps la confiance dans les efforts de coopération internationale. Or, la diversité des conditions politiques et sociales, ainsi que l’opposition radicale des ambitions et des perspectives géopolitiques, ne peuvent faire espérer de la viabilité de positions des ententes régionales (Moyen-Orient, Golfe), en contradiction avec celles de niveau systémique supérieur (grandes puissances, Etats-Unis, Russie, Chine ).
Quelles issues au conflit israélo-palestinien ?
Puisque un ordre quelconque ne peut être imposé par la force ou par la menace, comment Israël et, dans la toile de fond l’Europe, peuvent elles résoudre une équation fallacieuse comme celle du Moyen Orient, irréductible à toute sorte de rationalité qui ne soit celle de la violence armée, de la capitulation sans conditions et de la guerre civile? Une analyse critique ne peut que partir du piège, dans lequel se serait engouffré le gouvernement d’Israël par ses erreurs stratégiques et politiques. Pour les premières (erreurs stratégiques), si le but de guerre du conflit était de chasser les Palestiniens de Gaza et les contraindre à refluer vers l’Egypte ou vers le Liban, l’occupation de Gaza deviendrait un bourbier insupportable. En ce sens, comme le rappelle le Général V. Desportes, l’engagement militaire n’a pas pour but de résoudre les problèmes, mais d’infléchir les rapport des forces et de changer les conditions politiques de la négociation, faisant intervenir la diplomatie et arrivant à des compromis acceptables pour les deux belligérants. Cela correspond à une vision realpolitisch de la guerre et de la politique étrangère, car la politique et le devenir historique n’ont pas un point final et résolutif, ni ne sont des formes sécularisées de la Bible, qui instaure une idée du bien, inspirée par la morale ou la justice. En effet toute situation est un devenir sans but, ni logique, mais seulement mal gérée ou bien gérée, en fonction des intérêts de chacun. C’est le préalable conceptuel, pour parvenir à des conditions de stabilité.
Pour ce qui est des erreurs politiques l’argument de l’éradication du Hamas, serait une immense hypocrisie, car l’Etat hébreu se trouverait confronté au débordement du conflit et, dans ce cas, à l’indignation de la communauté des Etats, risquant d’être mis au ban de la vie internationale, confrontée à la disproportion dans l’utilisation collatérale de la violence armée contre des populations civiles. En outre, Israël serait obligé de clarifier la question de fond, qu’il aurait dû se poser avant l’occupation, autrement dit: « Quoi faire à Gaza ? », qu’il avait quitté en 2005, après en avoir pris le contrôle en 1967, à l’issue de la "guerre des Six Jours".
Eléments d’une stratégie israëlienne à long terme.
Les dessous d’une réflexion incertaine
Ainsi, en cette fin de janvier 2024, avec la fin de la « phase intensive » des bombardements et la recherche d’une politique introuvable, deux questions liées peuvent se résumer en une seule, après l’entreprise de destruction inachevée du Hamas. Quelle « solution raisonnable pour le conflit ? » ou, par une autre formulation: « Quelle stratégie israélienne à long terme ? »
Excluant la solution à deux Etats qui apparaît la plus conforme à la résolution 181 des Nations -Unies de 1948, mais la plus lointaine par rapport à la situation actuelle et la plus distante par rapport aux réalités régionales d’aujourd’hui, après l’échec des Accords de Camp David de 1978, et considérant toute issue nationale comme un leurre, quelles pourraient être les pistes diplomatiques envisageables En enquêtant sur des stratégies israéliennes à long terme, on s’approche d’un terrain inexploré et incomplet. Essayons d’énumérer, à titre d’exercice, les zones d’ombre du champ d’action en question et les dessous du conflit en ses différentes facettes.
La stratégie plus évidente du gouvernement actuel semble se définir comme un système de ségrégation spatiale, comportant une dissociation croissante de la Cisjordanie et de Gaza, fondée sur la poursuite accrue de la « décolonisation de Gaza ». Se réaliserait ainsi une sorte de Nakba 2 (la catastrophe) du peuple palestinien, caractérisée par un exode forcé, plus important de celui de 1948, lors de la création de l’Etat d’Israël, estimé à 700.000 déplacés, dont le souvenir se transmet de génération en génération;
- la remise en cause de la conception de l’Etat-refuge pour le peuple juif comportant une guerre civile larvée et à bas bruit;
- la remise en cause des relations israélo-palestiniennes comme « affaire » de relations internationales, depuis la Déclaration Balfour de 1917;
- la fin de la place privilégiée de la question israélienne dans la conscience collective occidentale;
- la dissociation de l’appui de la droite chrétienne évangélique américaine;
- l’accusation de génocide présentée par l’Afrique du Sud devant la Cour Internationale de Justice de La Haye, contestées par Israël et en relation avec les revendications du « Sud Global »;
- le problème des colonies de peuplement de Cisjordanie;
- l’union sacrée en Israël face au nouveau cycle de violence;
- l’influence de l’attaque subie sur la coalition de gouvernement et sur la figure de Netaniahou;
- l’impact du conflit sur le trafic maritime en Mer Rouge;
- la question énergétique et l’exploitation du pétrole offshore sur la façade méditerranéenne de Gaza;
- les enseignements politiques et militaires dans la bascule géostratégique régionale et mondiale.
Un conflit aux impacts multiples
Ce conflit, en son fond extrémiste, terroriste et décolonisateur, s’est étendu à la mer Rouge et au Golfe Persique et a décrit une parabole, qui partant de la Méditerranée a dépassé le détroit de Bab el Mandeb avançant vers les régions de l’Indo-Pacifique. Epousant d’autres mouvements de révolte a investit les intérêts des puissances majeures de la planète et déplacé le centre de gravité des affrontements vers l’Asie Pacifique, de telle sorte que le Moyen Orient est devenu le pivot d’un jeu de bascule multipolaire, où la déstabilisation menace les intérêts européens et chinois et altère les équilibres mondiaux.
Dans la partie d’échec qui se jouait entre Moscou et Washington à l’époque de la bipolarité, le Moyen Orient était la périphérie d’une géopolitique qui avait son centre de gravité en Europe, théâtre principal de l’affrontement Est-Ouest, tandis qu’aujourd’hui il est devenu le pivot du Grand Jeu mondial, où le conflit ukrainien passe au second plan, puisque le front principal du combat annoncé sera la région de Taiwan et de la Chine méridionale. Ainsi, le conflit Israëlo-palestinien, en ses impacts multiples, fermant l’accès de la Méditerranée aux échanges euro-chinois, lèse grièvement les intérêts des deux puissances de l’Europe et de la Russie, au profit de l’Amérique et aggrave la position internationale d’Israël.
Ce type de conflit aux impacts multiples produit un effect idéologique incendiaire, comme au Yémen, aggravé par la latence de la pression mentale de minorités agissantes. On peut dire que la première apparition de ce type de conflit a été l’implosion-explosion yougoslave qui a engendré un effet détonnant, régional et virtuellement mondial, en raison de l’implication des puissances globales (Otan et Russie), attirées par le vide à remplir et par une transition de système politique, virant du socialisme au nationalisme. Le conflit Hamas- Israël semble remplir toutes les cases d’un même cocktail incendiaire à fort solidarisme anti-occidental (Hamas, Israël, Hezbollah, Liban, Syrie, Cisjordanie, Yémen, Iran, Pakistan, Etats-Unis, Royaume Uni, Australie). En tant que conflit à théâtres multiples, il reprend et confirme, par l’inclusion du terrorisme et de l’extrémisme islamique, la thèse de Huntington sur le choc de civilisation, auquel est associée la rupture culturelle entre la Russie et l’Occident. Un thèse qui doit être rectifiée en celle d’instabilités civilisationnelles répétées entre des conceptions du monde opposées qui revendiquent la montée historique d’une autre hégémonie.
L’élargissement du conflit Hamas-Israël comme mèche du « grand embrasement » Orient-Occident
Abordant l’éternel dilemme de la paix et de la guerre, qui, sous une approche plus sociologique, est celui de la stabilité des sociétés mais aussi des régimes politiques et des capacités de gouvernement de ses élites, comment les centres de pouvoir du Moyen Orient pourraient ils s’engager à préserver la paix ou le silence des armes? Où sont-ils les Metternich ou Castlereagh des deux camps, qui pourraient identifier deux visions et deux architectures de sécurité de la région, rendant compatibles la concentration du pouvoir hiérarchique et l’hégémonie régionale d’Israël, avec la dispersion de l’autorité palestinienne, proto-représentative, non compétitive et non pluraliste? Un activisme islamiste, anti-capitaliste et à forte velléité révolutionnaire, vaguement trotskiste d’un côté et le prolongement ombilical du tutorat néo-libéral américain (Israël) de l’autre, se sont opposés, selon l’idéologie dominante du monde bipolaire, jusqu’à la signature des accords de Camp David par le duo Begin/Sadate en septembre 1978. Depuis l’assassinat de Rabin, au concept kissingérien de pacification et d’intégration régionale de l’adversaire, la classe dirigeante israélienne a adopté la stratégie consistante à vouloir le vaincre et le détruire. Face au refus palestinien d’accepter une hégémonie régionale de Jérusalem, de caractère assoupli, les stratèges de Tsahal ont été invités à infliger une défaite totale et une éradication définitive du mouvement palestinien par une violence aveugle, en jouant sur une réthorique biblique fortement médiatisée.
Or, le rêve actuel des dirigeants d’Israël, pourrait imaginer de faire de ce pays-clé, par l’élargissement du centre de gravité du conflit vers l’Iran et l’Indo-pacifique, le protagoniste d’un retournement des plus faibles des ennemis de Washington (la Russie, l’Iran, la Syrie..), contre le plus fort (la Chine et ses alliés), en offrant à ce dernier l’occasion et le prétexte d’un vide de pouvoir, à remplir par la « ruse » ou par « la prudence » (la Mer Rouge et l’espace qui relie Djibouti et le Golfe Persique au Collier des Perles et à Taïwan). De plus Netanyahou, ne croyant pas à la démocratisation du monde islamique, ni à son occidentalisation et encore moins à une forme quelconque de condominum régional avec le monde arabe du Golfe, demeure conscient qu’il ne pourra maintenir un ordre stable ou pacifié, seul, ou en partenariat avec un pays arabo-musulman. Dès lors, il pourrait parier sur l’illusion de la préférence confucéenne d’une conciliation et d’une harmonie multipolaire entre les peuples, placés sous la protection du Céleste Empire. Par ailleurs, assuré de la démission de l’Europe, comme équivalence kantienne de la pensée confucéenne, il pourrait nourrir l’idée que les bénéfices du commerce mondial pourraient être assurés par la sécurité des goulets d’étranglement (les détroits de la corne d’Afrique), garantis par les puissances thalassocratiques et menacés par l’Iran, l’ennemi juré d’Israël. Sur la base de ces convictions, en s’en prenant à Téhéran, soumis à des provocations constantes, il toucherait aux intérêts de la Syrie et de la Russie et compromettrait la conception eurasiste du monde, en la fissurant de la même façon par le vieux jeux triangulaire de Kissinger. Pris dans le dilemme de la géopolitique et de la sécurité, ainsi que par les options de la force, du droit international et du réalisme stratégique, Netanyahou sait pertinemment que la libération des otages passe par une négociation large et que le traumatisme et l’humiliation du 7 octobre, exige une guerre longue, une démonstration de force pour pouvoir négocier et une tutelle internationale sur les issues du conflit, comme reflet d’une situation d’exception. Cette nouvelle conjoncture comporte aussi la révision des trois axes de la stratégies politique et militaire d’Israël :
- la guerre ouverte;
- une zone tampon (glacis), et l’occupation de terres (avec leur annexion), et implique la prise en considération par Israël des répercussions défavorables du conflit sur les diasporas judéo-musulmanes dans le monde.
La Force et la Culture. "Minima Moralia"
Sur le plan culturel Natanyahou a travaillé toute sa vie de politicien, sur la conviction d’intégrer la vieille Palestine mandataire dans un Etat juif, Eretz Israël, le grand Israël de la Bible, de la Méditerranée au Jourdain, sans accepter l’idée que le juif a besoin de l’arabe et tous les deux ont une responsabilité asymétrique envers l’autre et envers le monde. En fonction d’une appréhension vulgarisée des déterminismes culturels de la civilisation musulmane et de l’homme arabe, Netanyahou partage la conviction que le seul langage qui vaille vis-à-vis des Palestiniens, est celui de la force et qu’il faut briser par la violence une mentalité lobotimisée et défaillante. Cette mentalité serait incapable de créer un climat de confiance, à cause de la duplicité radicale de sa culture, fondée sur la « taqiya » (doctrine coranique qui autorise tout musulman à faire usage de tromperie dans l'intérêt de l'islam et à adopter momentanément, par la dissimulation, les codes et les mœurs des non musulmans).
C’est sur la base de ces déterminismes culturels et de son expérience de l’insécurité qui découle de l’instabilité psychologique des élites arabo-musulmanes, que s’est construite sa stratégie du «Diktat » ou du non compromis.
La clé de la paix et de la guerre, serait donc, par les défaillances civilisationnelles de la partie arabe, dans les mains d’un homme qui exerce le pouvoir de synthèse entre trois codes, anthropologique, géostratégique et culturel. Synthèse dangereuse, qui demeure cependant le code réaliste et étatique du prisme d’analyse européen et de la plupart des chancelleries internationales, ainsi que de la culture tellurique de V. Z. Jabotinsky, idéologue, fondateur du sionisme révisionniste de droite, dirigeant et organisateur du mouvement d’autodéfense, le « Hagana », et vrai maître à penser du premier ministre israélien.
Bruxelles, 22 janvier 2024
Irnerio Seminatore
Stratégiste Prusso-Piémontais
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dimanche, 21 janvier 2024
Gaza et l'affrontement Israël-Hamas - Un tournant dans la culture stratégique des conflits armés
Gaza et l'affrontement Israël-Hamas
Un tournant dans la culture stratégique des conflits armés
par Irnerio Seminatore
TABLE DES MATIERES
- L’attaque du Hamas et l’accumulation des dangers
- Israël et l’échec de la « dissuasion conventionnelle »
- Israël, les Etats-Unis et le monde islamique. Opposition ou complémentarité entre la conceptualisation des théoriciens de la guerre inter-étatique, C. Clausewitz et Général L.Poirier et les approches sociologiques des nouveaux conflits armés, B. Badie
- Bertrand Badie. Une autre lecture de l’histoire, de la guerre et de la stratégie. Les relations internationales comme sociologie et comme absence du politique. Une approche psycho-sociologique
- Sur le primat de la force et sur la politique de l’inimitié (Carl Schmitt)
Sources:
https://www.enderi.fr/Gaza-et-l-affrontement-Israel-Hamas...
&
https://www.ieri.be/fr/publications/wp/2024/janvier/gaza-...
***
L’attaque du Hamas et l’accumulation des dangers
L’explosion de la violence au Proche-Orient s’inscrit dans deux cultures différentes, celle de la guerre inter-étatique et celle de la sociologie des nouveaux conflits, sub-étatiques, asymétriques et exotiques.
La plupart des observateurs, analystes et médias internationaux ont repéré dans l’attaque du Hamas l’adoption d’un modèle de conflit visant l’existence de l’État d’Israël, l’invincibilité de Tsahal et les failles de son appareil de renseignement militaire. Selon une lecture de la guerre classique le but du Hamas, comme organisation terroriste, a été politiquement de remettre à l’ordre du jour le récit d’une solution du problème palestinien à deux Etats par une attaque sanglante et brutale qui a rappelé la pratique de beaucoup de mouvements armés issus de la décolonisation, dont l’accession au pouvoir d’Etat est passée par un long processus de violence armée, et par une montée aux extrêmes, engendrant des situations favorables aux insurgés et aux mouvements nationalistes montants. Mouvements de combat sans scrupules par l’adoption du terrorisme et par l’indifférence morale entre les figures des combattants et celles des populations civiles (Vietnam, Afghanistan, Algérie). La réaction légitime de Netanyahou à l’adoption de ce modèle de combat a été de répondre par une volonté d’éradication radicale du Hamas.
Dans cette nouvelle situation les recommandations à réfléchir venant du Président des Etats-Unis J. Biden qui a connu l’attaque terroriste du 11 septembre et a fait l’expérience de l’anti-terrorisme par la guerre en Irak et par la longue et infructueuse intervention en Afghanistan, sont restées lettre morte et ont été submergées par les déclarations de deux membres du cabinet, Itamar Ben Gvir, Ministre de la Sécurité Nationale et Bezalel Smotrich, Ministre des Finances, évoquant l’hypothèse d’un transfert des populations gazaouies et d’une colonisation conséquente du territoire par Israël. Cette conception de la guerre et du conflit emblématiserait une culture des relations internationales du 19ème siècle, fondée sur les conquêtes territoriales et les nettoyages ethniques de masse.
Concrètement et en tenant compte des représailles terrifiantes d’Israël et de la détermination inébranlable de son Premier Ministre, deux répercussions ultérieures doivent être évoquées, celle d’une extension calculée du conflit et celle d’une coordination opérationnelle avec les Américains, en soutien extérieur, et couvrant Israël par la Sixième flotte en cas d’entrée dans la dance du Hezbollah, du Liban, de la Syrie et de la République islamique d’Iran. Ce rééquilibrage asymétrique des forces, unifierait le front de combat de la Syrie au Yémen, liant la Méditerranée orientale au Golfe Persique et risquant de juguler le trafic maritime dans l’artère principale du commerce mondial, et par là, de l’Europe, de la Chine et du Japon.
La question qui se pose, en raisonnement stratégique, est de savoir si l’action coordonnée de deux puissances étatiques (Israël et les Etats-Unis), peut avoir le dessus sur des forces sub-étatiques et irrégulières, vis à vis desquelles, ni la dissuasion ni les rapports de force ont eu une valeur intimidante et dissuasive.
Assistons-nous avec l’offensive du Hamas à un échec de la « dissuasion conventionnelle » qui a consisté, depuis l’opération « Plomb durci » de 2008, à dissuader le mouvement palestinien de lancer des roquettes depuis Gaza, dans le but d ‘atteindre les populations d’Israël au sud du pays ? Certainement les conséquences psycho-politiques de l’attaque du 7 octobre sur le territoire israélien ont été la remise en cause du pacte de sécurité entre les citoyens et l’Etat, qui fut à l’origine de la naissance d’Israël, ce dernier devant assurer aux rescapés de la Shoah la paix et la stabilité dans la terre de Sion, qui leur avait été refusée pendant deux millénaires de souffrances et de pogroms. A titre de rappel, la dislocation de l’empire ottoman lors de la première guerre mondiale, n’avait pas apporté l’indépendance d’un Etat national arabe et avait généré un partage du Proche Orient en zones d’influence entre puissances coloniales, France et Grand Bretagne, avec les accords Sykes-Piquot. De ce découpage colonial et des guerre israélo-arabes qui se poursuivent depuis 75 ans, sont nées les blessures et les revendications manquées, d’un Etat national palestinien, aujourd’hui hautement problématique. Au sein de ce cadre tourmenté, le fait de ne pouvoir être protégés de toute initiative irrationnelle venant d’actions terroristes ou exotiques a été un choc inattendu et brûlant qui a secoué la société israélienne. Ce choc a été la résultante d’un postulat illusoire, celui de la sécurité et de la culture étatique, vu que la société palestinienne perdure en sa revendication et que la dissuasion militaire est totalement inopérante contre des milices sub-étatiques, représentés par le Hamas, portant le projet d’une réislamisation de la société palestinienne. Or, selon la doctrine traditionnelle des relations internationales, toute dissuasion est fondée, en son pur concept, sur l’idée qu’une punition suivra à toute action militaire offensive porteuse de dangers, interdisant à l’adversaire d’atteindre son objectif et sur le postulat d’une garantie et d’un parapluie suffisants.
Israël et l’échec de la « dissuasion conventionnelle »
Dans le cas d’Israël la dissuasion, comme mode préventif d’action n’a pas détourné l’adversaire de son initiative et a prouvé, au contraire, qu’une entreprise planifiée bien à l’avance était payante, réaliste et parfaitement réalisable. Le mode d’action dissuasif a un sens politique mais aussi militaire. Selon cette formulation, la dissuasion d’Israël vis-à-vis du Hamas a été de considérer incertaine et problématique l’inhibition d’un comportement qui remette en cause l’existence d’Israël, ainsi que les moyens de défense de ses intérêts vitaux (tactique, logistique, armements et ressources humaines). Ainsi, face à la « surprise de l’attaque », la punition en représailles de la part d’Israël, a été de mettre la riposte en rapport, par son ampleur et par son intensité, avec l’enjeu existentiel de l’Etat et, dans le cas d’espèce, avec le type de sécurité recherchée. Or, la sanctuarisation du territoire d’Israël, a exigé l’élaboration de deux modèles de riposte, défensif et préventif. Le premier modèle (environnement immédiat) a été conçu sur la base de la défense active du territoire et sur la mise en œuvre rapide de moyens de violence classiques, conjugués avec la recherche d’une issue négociée du conflit éventuel, confiée à la diplomatie. Le deuxième modèle (environnement élargi), a été prévu pour le cas d’une gravité exceptionnelle de la crise et a été conçu sur l’exigence de prévenir une attaque, portant atteinte à la substance vive de la nation. Selon une morphologie dyadique, il s’est conjugué d’abord comme une riposte du champ de bataille, imposé par le risque d’une percée du front de combat, suite à l’entrée en jeu des alliances régionales de l’adversaire, et ensuite, comme une sanctuarisation de son propre espace national, vis-à-vis de l’adversaire majeur, l’Iran (87,92 millions d’habitants), qui est au seuil de capacités balistico-nucléaires et d’une nouvelle liberté d’action des forces conventionnelles.
Israël, les Etats-Unis et le monde islamique. Opposition ou complémentarité entre la conceptualisation de la théorie stratégique, à l’aide du Général major C. Clausewitz et du Général L. Poirier et la sociologie des nouveaux conflits armés, suivant le Professeur B. Badie. Approche politico-stratégique
Suivant une lecture du conflit, qui adopte des éléments de conceptualisation du Vom Kriege de Carl Clausewitz, sans oublier la lecture de la « stratégie » comme « politique en acte » de L. Poirier dans Essais de stratégie théorique, nous essaierons de développer deux concepts de base: la définition de la guerre comme « domaine du danger, du hasard et de la chance » et celui « d’un duel à vaste échelle ».
A l’aide de la théorie stratégique adoptée par Tsahal nous estimons que le plus grand danger pour Israël vient d’un élargissement du conflit et donc d’un changement d’échelle du risque, résultant de la corrélation entre les deux notions mentionnées. Ce changement lui feraient perdre l’autonomie stratégique, qui est la sienne et l’exposerait aux projets politiques des puissances multipolaires, autres et distantes, dont il deviendrait dépendant et vassal (voir le cas de l’Ukraine).
Par ailleurs, en ce qui concerne la stratégie d’anéantissement du Hamas, le choix de l’élimination physique de ses chefs et de ses acteurs de cohésion, condamnerait Israël à subir les contre-coups de l’adversaire, comme force vivante, par « la montée aux extrêmes de la violence, en tant qu’action réciproque » (C. Clausewitz). En effet la position régionale d’Israël dans le conflit global, l’opposerait au monde arabo-musulman mondialisé, et la « résistance » à la pérennisation du conflit passerait d’Israël à la diaspora du monde islamique, qui en serait ainsi éveillée par le facteur moral. Or, pour Napoléon, « Le moral est au physique ce que trois est à un en mathématique! ». De plus, ceci se traduirait militairement par un affaiblissement d’Israël, qui serait obligé à passer de la défensive à l’offensive, ou à une contre-offensive permanente, sans possibilité de contre-poids ou de contre-coups.
En poursuivant dans l’adoption des concepts clausewitziens fondamentaux pour l’intelligibilité du conflit asymétrique en cours entre Israël et le mouvement palestinien, il semble utile de rappeler la variabilité des notions empruntées, compte tenu du fait que nous sommes dans une situation de transition du système à hégémonie instable et que l’on ne peut s’appuyer que sur les invariants.
Un de ces invariants, fructueux pour le raisonnement stratégique, est constitué par la corrélation entre le « but de guerre » (Zweck) et le « but dans la guerre » (Ziel), qui, en cas de contradiction entre les deux, freine ou atténue la notion de « victoire ». Par cette dialectique contradictoire nous parvenons à comprendre plus clairement où se situe la réversibilité d’une action de combat et ses limites (sauvegarde des otages, ou ampleur et intensité d’une représailles).
Si nous entendons adopter de surcroit une deuxième corrélation entre le « but de guerre » (Zweck ou invariant) et « le point de gravité du conflit » (Schwerkpunkt où variable dynamique et géostratégique), nous parvenons à saisir pourquoi, par la caractéristique intrinsèque du Zweck (guerre anti-terroriste), il est impossible pour Israël d’établir une position négociée avec le Hamas et de maintenir un refus de compromis et conjointement l’obligation de sauvegarder à tout prix les otages (variable conjoncturelle). Plus délicate de toutes, la notion de « centre de gravité du conflit » (ou Schwerkpunkt), qui est le fondement de la direction stratégique du conflit d’aujourd’hui et qui pourrait devenir demain son point de gravité politique, celui imprimé à la guerre par « l’étonnante trinité » de (C. Clausewitz): l’instinct aveugle ou la passionalité du peuple, la « soumission au politique » et l’« acte de raison » (ou la détermination rationnelle du but de guerre). Vue de plus près l’« étonnante trinité » est une synthèse aléatoire et conjoncturelle qui a son point faible dans l’unité et dans la cohésion de ces trois éléments; trinité éphémère, dont l’inextricable mélange fait de la guerre un « caméléon » perpétuellement changeant. C’est pourquoi l’incarnation de la trinité exige l’existence de la figure d’un Chef (lui-même variable selon les situations et les pays (César, Napoléon, de Gaulle et, dans ce conflit, « Ubi major minor cessat », Netanyahou). Un Roi-client de la Rome moderne d’Amérique, qui veut devenir Souverain unique de la Knesset turbulente de Jérusalem. Un Chef ambitieux, cruel et sans pitié, en charge du dilemme de toute stratégie autour de l’aléa suprême, l’usage modéré de la force ou l’emploi massif de la violence armée dans le but de briser toute velléité de résistance des insurgés du Hamas.
Bertrand Badie (photo). Une autre lecture de l’histoire, de la guerre et de la stratégie. Les relations internationales comme sociologie et comme absence du politique. Une approche psycho-sociologique
La lecture du conflit Israël-Hamas qu’en donne Bertrand Badie, professeur émérite à Science Po de Paris et auteur du livre Pour une approche subjective des Relations Internationales, est celle d’une conception sociale de l’histoire, longue et indifférenciée ; une histoire guillotinée de ses souverains, les décideurs des dilemmes et des heures graves.
Suivant son approche, Israël ne pourra pas parvenir à une victoire sur le mouvement palestinien, ni négocier un accord avec le Hamas, puisqu’il combat une guerre asymétrique contre une société sans Etat et sans unité décisionnelle. Ce nouveau type de conflit ne pourrait pas se résoudre selon le vieux code du rapport de force, qui garantissait la victoire dans les relations internationales du passé, après avoir atteint le point culminant de la bataille (Ziel), ou de la guerre (Zweck), car les nouvelles formes de conflictualité ne sont plus caractérisées par des rapports d’Etat à Etat, depuis le début de la décolonisation et, au Moyen Orient, depuis la guerre Israélo-Arabe de 1973. Le mieux pour Israël aurait été de profiter du « statu quo », qui lui permette de grignoter des territoires en Cisjordanie, à l’aide d’une occupation illégitime et illégale. Ainsi les nouvelles formes de conflictualités dépendent, selon le Professeur Badie et les gauches européennes avec lui, des perceptions et représentations des opinions, très variables, qui structurent en permanence le champ social, influant sur les diverses formes de gouvernement. Ça serait l’interprétation gouvernementale du conflit qui fait l’Histoire. Ni les masses, selon la lecture althussérienne du devenir, ni les idéologies marxisantes et postmarxistes, ni la géopolitique ou la stratégie, mais les mythes de la décolonisation et leurs implications terroristes. Par conséquent l’action de représailles d’Israël pourrait se révéler un piège aux effets contre-productifs, puisque la conscience du risque renforcerait l’adversaire et conduirait à la défaite de l’État hébreu impérialiste.
La pertinence de l’analyse serait prouvée, selon le Professeur Badie, par la nature du conflit qui dure depuis 75 ans et qui, à l’image des conflits de décolonisation, est celle du « résistant » contre « l’occupant » et qui n’aurait qu’une seule issue, la défaite de la puissance occupante. Pas de synthèse, pas de négociation, pas de dissuasion, pas de victoire, pas de gain, pas d’espérance politico-stratégique, car la culture des stratégies étatiques ou des guerres symétriques est déphasée et dépassée (Vietnam, Somalie, Afghanistan, Irak). Il n’y aurait de place qu’à des conflits hybrides, asymétriques, sans autres solutions, que le gel des positions acquises, des conflits « d’usure » et des « status-quo » prolongés ? Quelle issue politique à ce conflit ? Défaite ou statu quo ? Le Professeur Badie n’indique pas une issue, mais constate le changement intervenu dans la structure du jeu international, dépourvu de règles et de logique connue. Il constate que les nouvelles formes de conflictualité ont une paternité commune, le processus de décolonisation anti-occidental. Situé dans cette perspective tiermondiste, le Professur B. Badie ne défigurerait pas d’avoir une place honorable au sein « d’un nouveau quarteron d’intellectuels à la retraite », qui demeure l’aréopage déclinant de certaines forces politiques et parlementaires du gauchisme franchouillard et du vide atonique et stratégique européen.
Sur le primat de la force et sur la politique de l’inimitié (Carl Schmitt)
Puisqu’il n’y a pas de solution évidente au problème de la conflictualité au Moyen-Orient, ni du côté de la paix, ni du côté de la guerre, ni encore du côté de la radicalité politique, religieuse ou ethnique, les analystes de la chose géopolitique, d’école réaliste, repèrent des fragments de réponse dans les auteurs du primat de la force, de la politique d’inimitié et de l’ordre existentiel, comme fondement de la stabilité de demain et de la pérennité historique des cités politiques. L’auteur qui a le mieux travaillé les deux concepts d’inimitié et d’État politique comme ordre existentiel d’une communauté est Carl Schmitt, qui met en exergue le fondement du concept de politique dans sa réalité existentielle, lorsque l’État est mis lui-même en question et qu'une lutte est à mener sans limites juridiques. Puisque la distinction entre l'ami et l'ennemi exprime le "degré d'intensité d'un lien, ou d'une séparation, d'une association ou d'une dissociation". Schmitt précise qu’il s'agit d'un ennemi public (hostis) et non privé (inimicus), contre lequel une guerre est toujours possible, car une guerre « ne tire pas son sens du fait qu’elle est menée pour des idéaux ou pour des normes du droit », mais bel et bien par les impératifs d’ordre existentiel. Dans ces cas, l’ennemi n’est pas seulement un adversaire (de droite ou de gauche) mais une différence éthique. Et l’ordre remis en cause est d’ordre « existentiel » et pas d’ordre normatif et il est défini par l’unité du peuple et de l’État, par le danger et le risque sécuritaires, et, in fine, par la figure de l’étranger, avec lequel des conflits ne sauraient être résolus ni par un ensemble de normes générales, établies à l’avance, ni par la sentence ou le jugement d’un tiers. Il n’est pas arbitraire d’identifier, dans une telle définition, les deux figures des Palestiniens et des Israéliens. C’est l’hostilité qui détermine l’ennemi et c’est l’inimitié qui fait perdurer le conflit. Cependant le point d’origine des hostilités porte sur une question première: « Qui, dans cette affaire est l’étranger et qui le premier occupant ? ». Le peuple juif ou le peuple arabe ? Et qui à titre de possession si non la force, l’épée et la capacité de se faire justice tout seul ? Le juste ou l’injuste en politique et dans le cours même de l’histoire appartiennent à ceux qui ont le pouvoir de commander, -comme nous le rappelle Thucydide dans les Guerres du Péloponnèse- et pas à ceux qui ont le devoir d’obéir.
Clausewitz, maître en raisonnement stratégique », ouvre un horizon à la guerre et ajoutera, deux millénaires plus tard, « la finalité de la guerre (Zweck) est la paix, une meilleure paix », celle qui consacre notre conception du monde. Dans un Moyen Orient aux séismes politiques permanents, la meilleure paix pour Israël et pour l’Europe, peut-elle être la Charia, la paix de la Oumma ou celle de l’Islam, ou encore celle, lumineuse du Djihad global ?
Bruxelles le 11 janvier 2024
Irnerio Seminatore
Stratégiste Prusso-Piémontais
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Iran et Israël: des héritages anciens qui façonnent le Moyen-Orient
Iran et Israël: des héritages anciens qui façonnent le Moyen-Orient
Constantin von Hoffmeister
Source: https://www.eurosiberia.net/p/iran-and-israel-ancient-legacies?utm_source=post-email-title&publication_id=1305515&post_id=140741968&utm_campaign=email-post-title&isFreemail=true&r=jgt70&utm_medium=email
L'ascension de l'Iran au Moyen-Orient s'inscrit dans le cadre de l'ordre multipolaire émergent, où les puissances régionales affirment leur influence, réduisant ainsi la domination unipolaire des États-Unis. Les actions de l'Iran illustrent une transition géopolitique des structures contrôlées par l'Occident vers une dynamique de puissance mondiale plus équitable.
Ce changement n'est pas uniquement une question d'alliances politiques éphémères ou de triomphes militaires fugaces ; il est au contraire profondément enraciné dans l'histoire ancienne et les héritages culturels durables qui définissent la région. Pour saisir pleinement l'importance du renforcement stratégique de l'Iran dans des pays comme la Syrie, le Liban et le Yémen, il faut plonger dans les profondeurs de l'histoire, en particulier à l'époque de l'Empire perse et de l'exil juif de Babylone.
L'Empire perse, à son apogée, était un bastion de la diversité culturelle et de l'ingéniosité administrative. C'était un empire qui transcendait la conquête de terres ; il représentait une intégration sophistiquée de diverses cultures sous une éthique impériale singulière. Cette toile de fond historique est essentielle pour comprendre les manœuvres géopolitiques actuelles de l'Iran. L'Iran, qui a hérité de l'Empire perse, incarne un État civilisationnel qui gravite naturellement autour d'un ordre mondial multipolaire, défiant l'hégémonie unipolaire des États-Unis de l'après-guerre froide.
L'exil juif de Babylone est un chapitre important de ce récit historique. Le judaïsme était fortement influencé par le zoroastrisme (dualisme : ciel et purgatoire, lumière et ténèbres, Yahvé et Satan, Ahura Mazda et Ahriman). Après la conquête de l'empire babylonien par le roi perse Cyrus en 539 av. J.-C., celui-ci promulgue un décret permettant au peuple juif, exilé à Babylone, de retourner dans sa patrie en Judée. Cet événement est notamment relaté dans la Bible, en particulier dans les livres d'Esdras et de Néhémie. Le décret de Cyrus permet non seulement aux Juifs de retourner en Judée, mais aussi de reconstruire le Temple de Jérusalem, qui avait été détruit par les Babyloniens. L'Empire perse, sous Cyrus et ses successeurs, a apporté un soutien politique et financier à la reconstruction du Temple, un geste qui a considérablement amélioré les relations entre les Perses et les Juifs.
Cette ancienne alliance met en évidence une mémoire historique partagée, qui transcende les alignements politiques et les clivages sectaires contemporains. C'est dans ce contexte qu'il faut envisager le potentiel d'une alliance naturelle entre l'Iran et l'Israël d'aujourd'hui. Ces deux nations, issues de trajectoires historiques riches et distinctes, se retrouvent en tant qu'entités non arabes dans une région majoritairement arabe. Cette distinction n'est pas simplement géographique ou ethnique ; il s'agit d'une caractéristique civilisationnelle profonde qui façonne leurs orientations géopolitiques.
La montée en puissance de l'Iran au Moyen-Orient ne doit donc pas être considérée de manière isolée ou comme une simple réaction à l'hégémonie occidentale. Elle s'inscrit dans un processus historique et civilisationnel plus large. Le soutien de l'Iran à ses alliés en Syrie, au Liban et au Yémen n'est pas seulement une manœuvre stratégique dans un jeu géopolitique ; c'est l'affirmation d'un rôle spécial, la reconquête d'un espace que la civilisation perse a historiquement occupé. De même, la position d'Israël dans la région, bien qu'elle soit souvent considérée à travers le prisme de la politique de l'après-guerre, est profondément liée à ses expériences historiques anciennes, notamment l'exil babylonien et la libération qui s'en est suivie.
Comme il est écrit dans la chronique du prophète Khorshidbakhsh datant de 1982 :
En vérité, dans la sagesse des temps passés, il est décrété que le Shah, gardien des anciens royaumes, reviendra au bercail. Et avec son ascension, que la lumière du zoroastrisme, aussi ancienne que les étoiles elles-mêmes, soit rallumée, brillant comme la lumière qui guide le chemin spirituel de l'État. Qu'il y ait une union forte et durable entre la vénérable terre de Perse et le peuple béni d'Israël. Ensemble, aux yeux du Très-Haut, ils se dresseront comme des piliers de force et de sagesse au milieu du Moyen-Orient. Les nations arabes qui les entourent, ces terres de mystère et de contes anciens, témoigneront de cette alliance et rendront hommage à la puissance et à la majesté de leurs protecteurs irano-juifs.
Pour recevoir régulièrement les articles de Constantin von Hoffmeister: https://www.eurosiberia.net/
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jeudi, 18 janvier 2024
Les larbins européens de l'Oncle Sam et la confusion sur la guerre au Moyen-Orient
Les larbins européens de l'Oncle Sam et la confusion sur la guerre au Moyen-Orient
Augusto Grandi
Source: https://electomagazine.it/i-maggiordomi-europei-e-la-confusione-sulla-guerra-in-medio-oriente/
Confusion
Confusion
Je suis désolé
Si vous êtes un enfant de l'illusion habituelle
Et si vous sombrez dans la confusion
"Confusione". L'une des chansons les moins jouées de Lucio Battisti. Elle serait pourtant parfaite pour expliquer les réactions des hommes politiques, des économistes et des journalistes italiens et occidentaux face à ce qui se passe en mer Rouge. Car il ne fait aucun doute que la réaction des Houthis yéménites pénalise le commerce et réduit le transit dans le canal de Suez. Mais la solution proposée par les laquais de Washington est une rustine pire encore que le trou de la fuite.
En effet, pour satisfaire leur maître américain, les larbins italiens voudraient élargir le conflit en faisant participer l'Italie aux bombardements du Yémen. Pour protéger le commerce, ça va sans dire. Pas pour donner une leçon aux ennemis de l'Occident qui, dans ce cas, sont les ennemis de Tel Aviv et de ses protecteurs.
Mais, comme le chantait Battisti, il y a là une confusion. Car on feint d'oublier que les attaques des Houthis sont une réponse à la boucherie israélienne à Gaza. A ce jour, si l'on tient compte des milliers de disparus sous les décombres des bombardements, les victimes palestiniennes s'élèvent à plus de 30.000. La grande majorité d'entre elles sont des victimes civiles, des femmes et des enfants. Les Houthis ont commencé à lancer des missiles pour arrêter le massacre.
Alors, si l'on voulait vraiment rétablir le trafic de marchandises à Suez, il suffirait de bloquer le boucher Netanyahou. Le grand allié de Washington, l'ami des larbins européens. Au lieu de cela, on ne fait absolument rien. Mieux vaut bombarder le Yémen. Mieux vaut augmenter le nombre de morts.
En réalité, il n'y a que les larbins européens qui ne savent plus où ils en sont. Car les Américains sont parfaitement satisfaits de la situation. Ils sont occupés à détruire toute capacité compétitive de l'économie européenne. Avec la guerre en Ukraine, ils ont plongé l'Allemagne dans la récession et toute l'Europe dans une stagnation désastreuse. L'inflation ralentissait-elle ? Et la réduction du trafic à Suez, avec le contournement de l'Afrique qui en découle, entraînera à nouveau une hausse des prix et de l'inflation. Mais elle réduira aussi les exportations chinoises et pénalisera les économies du Sud.
Un chef-d'œuvre, vu de Washington et de Wall Street. Un désastre, vu d'Europe. Un danger, pour Pékin, New Delhi, Riyad. Mais personne n'interviendra pour arrêter le boucher. Mieux vaut augmenter les ventes d'armes en fomentant de nouveaux conflits.
18:21 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe, affaires européennes, gaza, proche-orient, mer rouge, houthis, yémen | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 11 décembre 2023
La géopolitique de la Palestine
La géopolitique de la Palestine
Ronald Lasecki
Source: https://ronald-lasecki.blogspot.com/2023/11/geopolityka-palestyny.html
Une réflexion sur la géopolitique de la Palestine doit bien sûr commencer par une perception de la géomorphologie de l'espace. Tout d'abord, il y a la plaine côtière sur laquelle se trouvaient les villes historiquement prospères qui servaient le commerce est-ouest, comme les anciennes Gaza, Ashkelon et Ashdod. Il en va de même pour le Liban plus montagneux au nord de l'Israël actuel, où se trouvaient historiquement des centres tels que Tyr, Byblos et Sidon. Dans l'Israël d'aujourd'hui, les plaines côtières sont le centre d'une population cosmopolite et libérale, cette part de la population qui s'identifie le plus étroitement à la civilisation occidentale. C'est une terre de commerçants, de banquiers, de bureaucratie civile et de médias, qui s'étend de Tel Aviv à Haïfa.
Périmètre oriental
À l'est se trouve une haute chaîne de montagnes, ensuite nous trouvons la profonde fosse du Jourdain avec le lac de Tibériade et la mer Morte. Au pied des montagnes se trouve la Cisjordanie et les structures de l'"État" palestinien qui y est installé. Ces régions, avec les chaînes de montagnes du Liban et de l'Anti-Liban et la profonde vallée tectonique de la Bekaa au nord, ont été historiquement les centres d'une civilisation de guerriers et d'agriculteurs. Pendant la période biblique, le site de l'actuelle Cisjordanie était occupé par le royaume d'Israël sous les dynasties d'Omrid et de Jéhu. Aujourd'hui, entre Jérusalem et le Jourdain, l'avantage est tenu par des structures militaires et des colons armés qui cherchent à contrebalancer les pressions syriennes et palestiniennes.
À l'est du Jourdain, des tribus arabes locales sont implantées, mais elles sont trop faibles pour menacer les centres de pouvoir qui contrôlent la Judée et la Samarie (sud d'Israël et Cisjordanie). À environ 30-50 km à l'est du Jourdain commence le désert, qui constitue un tampon géopolitique entre la Palestine et la plaine mésopotamienne et les centres de pouvoir qui s'y trouvent. Après l'effondrement de l'Empire ottoman, la rive orientale du Jourdain a été séparée par les Anglais et est devenu ce qu'ils ont appelé la Transjordanie, un protectorat différent avec sa capitale à Amman, où la dynastie hachémite, alliée des Anglais et exilée du Hedjaz par les Saoudiens, s'est installée. Après le retrait anglais de la région en 1948, cette création a été rebaptisée Jordanie. Les Hachémites ont également reçu des Anglais, en 1921, le royaume d'Irak, de l'autre côté du désert, mais l'ont perdu au profit de putschistes militaires républicains en 1958.
La dynastie hachémite, qui s'est liée matrimonialement avec des représentants des sphères militaires anglaises et janissaires, est considérée comme un corps étranger par de nombreuses personnes en Jordanie, en particulier les Palestiniens. Les Hachémites se sont positionnés comme sujets d'un protectorat anglais depuis 1916, tout en considérant l'État juif comme un allié pour contrebalancer la menace palestinienne. Régnant officiellement sur la Cisjordanie entre 1948 et 1967, ils n'ont en aucun cas permis la création d'un État palestinien. Au contraire, en septembre 1970, ils ont mené une guerre sanglante contre l'Organisation de libération de la Palestine, avec l'aide de Londres, obligeant le mouvement de libération nationale palestinien à déplacer son siège au Liban.
La Cisjordanie, qui abrite les structures aujourd'hui contrôlées par l'administration palestinienne basée à Ramallah, est donc géo-économiquement coincée entre Israël et la Jordanie, deux pays hostiles, et ne peut fonctionner que sur la base de l'économie plus dynamique de l'Etat d'Israël voisin. À l'instar de l'ancien royaume de Juda dans les collines, en conflit permanent avec les cités-États côtières de Philistie, l'"État de Palestine" actuel, situé au sommet des collines, dépend économiquement de l'accès aux ports de la plaine côtière d'Israël.
La menace qui pèse sur le centre de pouvoir palestinien, en revanche, provient des centres de pouvoir extérieurs qui traversent le désert syrien - depuis la Mésopotamie et les hauts plateaux iraniens. Entre 746 et 609 av. J.-C., la Palestine était sous la domination des Assyriens mésopotamiens. Entre 609 et 539 av. J.-C., les Babyloniens, originaires de la région mésopotamienne, les ont remplacés. Les Babyloniens ont ensuite été remplacés par les Perses, originaires du haut plateau iranien (550-330 av. J.-C.), qui finirent par succomber à Alexandre le Grand en 330 av. J.-C. C'est également le souverain perse Cambyse II qui, en 525 av. J.-C., conquiert l'Égypte en passant par le Sinaï, et Artaxerxès III qui réitère son exploit en 340 av. J.-C.
La succession des hégémons a également rythmé l'évolution de l'État israélite antique: la destruction du royaume de Juda par les Babyloniens en 586 av. et la déportation des Juifs à Babylone par le souverain local Nabuchodonosor II, suivie de l'édit du souverain perse Cyrus II ouvrant la voie au "retour à Sion" des Juifs, qui marque le début du protectorat perse sur la Palestine - converti en macédonien après les conquêtes d'Alexandre le Grand au IVe siècle avant J.-C., puis en romain au Ier siècle avant J.-C..
Périmètre sud
Les incarnations historiques successives de l'État juif en Palestine au sud ont généralement dominé la côte entre Tel-Aviv et le Sinaï et tout ou partie du désert du Néguev. Au sud-ouest, le désert du Sinaï constitue donc un tampon géopolitique efficace pour la Palestine. Tant du côté palestinien qu'égyptien, les forces peuvent le traverser avec la possibilité de se réapprovisionner de l'autre côté. Au XVIIe siècle avant J.-C., l'Égypte a été conquise par les Hyksos venus de Palestine et traversant le désert du Sinaï, qui sont finalement vaincus par les forces autochtones environ un siècle plus tard, lorsque l'Égypte étend à son tour sa domination à la côte du Levant.
En 640, les Arabes attaquant depuis Damas atteignent Al-Fustat et, deux ans plus tard, Alexandrie. En 1174, le fondateur de la dynastie des Ayyoubides, qui a régné sur l'Égypte jusqu'en 1250, le sultan Saladin, a occupé Damas et Homs. Une autre expansion de ce type n'a été entreprise à partir de l'Égypte que dans la première moitié du XIXe siècle par Muhammad Ali Pacha, qui a lutté contre l'Empire ottoman.
Le Sinaï peut donc être une voie d'expansion, mais le coût du maintien permanent de garnisons militaires sur la péninsule est élevé, de sorte qu'Israël n'a jamais dominé le Sinaï à long terme, tandis que la présence militaire de l'Égypte y est toujours symbolique et que la région est une sorte de "trou noir" politique, servant de repaire aux contrebandiers, aux bandits et aux militants. Une invasion par le Sinaï est possible en cas de décomposition politico-militaire de l'adversaire de l'autre côté du désert ("deuxième période de transition" en Égypte au 17ème siècle avant J.-C., défaite des Hyksos dans la lutte contre la 18ème dynastie au 16ème siècle avant J.-C., décomposition de l'Empire ottoman après la révolution grecque dans les années 1820) ou de soutien de l'entité attaquante par une puissance extérieure (Royaume-Uni et France soutenant Israël en 1956 et URSS soutenant l'Égypte en 1973).
Il convient de mentionner au passage la menace idéologique que représente le centre de pouvoir égyptien pour l'indépendance du centre de pouvoir palestinien. Pendant la période de la monarchie jusqu'en 1952, l'Égypte a manifesté le désir de détruire l'État israélien alors naissant. La guerre de 1948 a placé la bande de Gaza sous son administration militaire, qu'elle a contrôlée jusqu'en 1967. Avant le coup d'État militaire de 1952, le Caire considérait la bande de Gaza et le désert du Néguev comme une extension naturelle de la péninsule du Sinaï, et non comme le territoire de l'État national des Palestiniens.
Après le coup d'État de Gamal Abdel Naser en 1952, l'Égypte a adopté l'idéologie du nationalisme arabe. Sa plus grande réussite a été la République arabe unie unitaire, laïque et socialiste de 1958 à 1961, qui englobait l'Égypte et la Syrie et se complétait par une confédération nominale avec le Yémen du Nord. Gamal Abdel Naser a opposé le nationalisme et le socialisme arabes au sionisme juif, faisant de la destruction d'Israël et de l'incorporation des terres palestiniennes dans la République arabe unie le principal objectif stratégique, ce qui permettrait à l'État arabe de parvenir à une continuité territoriale. L'attitude du Caire à l'égard du nationalisme palestinien était donc assez ambivalente.
Ajoutons que dans la seconde moitié du XXe siècle, le père du nationalisme palestinien, Yasser Arafat, et les organisations Al-Fatah (1958) et OLP (= Organisation de libération de la Palestine) (1968) qu'il a fondées, étaient considérés par les monarchies arabes conservatrices comme un outil de Nasser et une force subversive qui menaçait les régimes monarchiques. D'où la guerre sanglante entre Palestiniens et Hachémites en Jordanie en septembre 1970. Il existe donc une tension non seulement entre le nationalisme palestinien, le nationalisme syrien et le nationalisme panarabe émanant de l'Égypte jusqu'en 1970, mais aussi entre les aspirations palestiniennes et les politiques de sécurité des autres États arabes.
Au sud-est, les déserts Arabes et du Nefud constituent une barrière géopolitique efficace contre les incursions des tribus du Hedjaz, qui sont trop peu nombreuses et trop faibles pour menacer le centre du pouvoir palestinien. Elles ne peuvent réussir que dans des conditions d'explosion démographique, comme au VIIe siècle, lorsque les Arabes islamistes ont commencé leur expansion en conquérant puis en faisant de Damas leur capitale.
Le périmètre nord
Au nord-est du centre de pouvoir palestinien se trouve le centre de pouvoir syrien, dont la capitale est Damas. Cette ville a une population importante, mais elle est coupée de la mer, ce qui la rend pauvre. Ce centre syrien est abrité à l'est par un désert qui s'étend jusqu'à l'Euphrate. Au nord du centre de pouvoir syrien se trouve l'Anatolie montagneuse, où l'expansion depuis le sud est fortement entravée, mais à partir de laquelle des centres de pouvoir extérieurs exercent une pression sur la région. En l'absence de menace venant du nord et de stabilité interne, le centre de pouvoir syrien tente d'accéder à la mer en soumettant les villes du nord du Levant, avec lesquelles il entretient d'importants échanges commerciaux. Ce fut le cas, par exemple, entre 1976 et 2005, lorsque la Syrie s'est impliquée dans la guerre civile libanaise, envahissant le pays et en contrôlant ensuite la majeure partie.
Les ports du nord du Levant ne constituent pas à eux seuls une puissance terrestre importante. Historiquement, la Phénicie s'y est installée avec des villes telles que Dor, Acre, Tyr, Serepta, Sidon, Berytos, Byblos, Tripoli et Arwad. Pendant la plus grande partie de leur existence, ces villes n'ont pas formé un organisme étatique unifié, se faisant concurrence et dépendant de centres de pouvoir extérieurs. À partir du 12ème siècle avant J.-C., les Phéniciens ont remplacé les Crétois en tant que principale puissance maritime et commerciale de la Méditerranée orientale. Cependant, au milieu du 9ème siècle avant J.-C., la plupart des villes phéniciennes étaient déjà dépendantes de la puissance terrestre croissante de l'Assyrie.
La chaîne de montagnes libanaise du nord du Levant atteint presque le littoral et n'est que rarement entrecoupée de vallées fertiles. C'est pourquoi les centres de pouvoir de cette partie du Levant n'ont pas d'ancrage géopolitique. La Phénicie n'était probablement pas un pays très peuplé et fonctionnait principalement comme une puissance maritime et un intermédiaire pour le commerce entre la Mésopotamie, l'Égypte et la Méditerranée occidentale, d'où l'on importait notamment de l'argent, qui était très demandé à l'époque.
Le centre de pouvoir palestinien n'est donc pas menacé de manière significative par le centre de pouvoir libanais actuel. Le Liban moderne a été séparé de la province ottomane de Syrie par les Français après la défaite de l'Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale. La base de cette séparation était la prédominance des chrétiens maronites, avec lesquels la France s'était alliée pendant la guerre civile dans l'Empire ottoman dans les années 1860.
Le Liban tire son nom de sa caractéristique topographique, à savoir le mont Liban qui domine le pays. Cependant, il n'a pas de spécificité géographique ou ethnique organique, car le seul trait distinctif du pays a été historiquement la domination par les alliés français. Le tampon stratégique pour l'Israël d'aujourd'hui est le fleuve Litani, dont Israël a cherché à contrôler la zone au sud, soit directement, soit avec l'aide de forces locales satellites entre 1978 et 2000, ou en tout cas à la débarrasser des forces ennemies comme pendant la guerre de juillet 2006.
Périmètre nord-est
Dans le cas du périmètre nord-est, il faut tenir compte des caractéristiques géostratégiques et historiques de la menace que représente le centre de force syrien pour le centre de force palestinien. Un centre de force syrien pourrait attaquer la Palestine par un corridor d'environ 40 kilomètres entre le mont Hermon dans la chaîne de l'Anti-Liban et le lac de Tibériade. Pour atteindre la plaine côtière de Palestine, les forces syriennes doivent traverser le plateau du Golan et la région montagneuse de la Galilée, puis maintenir des lignes de ravitaillement passant par ces terres qui constituent un bon point d'appui pour la guérilla. Une autre voie d'attaque mène au sud du lac de Tibériade, mais nécessite également le maintien de lignes de ravitaillement étendues.
Site archéologique de Megiddo.
Depuis le néolithique, le point stratégique de cette région est la colline de Megiddo, également connue sous le nom grec d'Armageddon. Dans l'Antiquité, c'était le site principal du centre cananéen et la capitale du Royaume d'Israël, tandis qu'aujourd'hui, c'est le kibboutz israélien du même nom. La colline est située à l'extrémité nord de la vallée du Wadi Ara, qui traverse les montagnes du Carmel, et surplombe la vallée de Jezréel, également connue sous le nom de vallée d'Armageddon ou de vallée de Megiddo. Une force avançant depuis le nord-est à travers le plateau du Golan devrait se heurter à des forces locales opérant avec des lignes de ravitaillement courtes, elles-mêmes reliées à des lignes de ravitaillement de la guérilla montagnarde étirées et vulnérables.
La caractérisation historique de la menace syrienne doit commencer par la division des possessions arabes de l'Empire ottoman entre l'Angleterre et la France en vertu du traité Sykes-Picot de mai 1916. Le territoire de l'ancienne province ottomane de Syrie, comprenant les territoires de l'actuelle Syrie, du Liban, de la Jordanie et de la Palestine, a été divisé le long d'une ligne allant du Mont Hermon à la côte méditerranéenne en une partie nord qui revenait à la France et une partie sud qui revenait à l'Angleterre. En conséquence, de nombreux Arabes ayant adopté une identité nationale syrienne ont nié la spécificité de la Palestine, du Liban et de la Jordanie, considérant leurs habitants comme des Syriens. L'intervention de la République arabe syrienne au Liban en 1976 s'est faite sous les mots d'ordre de reconstruction d'une "Grande Syrie", entre autres, et a visé le mouvement national palestinien.
Vecteurs de pression extérieurs à la région
Le danger qui pèse sur le centre de pouvoir palestinien depuis le nord ne provient pas tant des forces locales que de l'extérieur. Les Seldjoukides ont conquis la Palestine sur les Byzantins après la bataille de Manzikert en 1071, en longeant la côte levantine depuis le nord et en s'emparant de Jérusalem en 1073. De même, les deux premières croisades ont atteint les plaines côtières de la Palestine aux XIe et XIIe siècles respectivement, en partant d'Antioche, via Tripoli, vers le sud, le long de la côte levantine. Les Mamelouks, qui régnaient alors sur la Palestine, ont été vaincus par les armées de Timur Khomey qui avançaient en 1399-1401 d'Alep vers le sud jusqu'à Damas, avant de rebrousser chemin vers Bagdad. Le sultan ottoman Selim Ier a mis fin au règne des Mamelouks sur l'Égypte en battant leurs armées en 1516, en avançant vers le sud le long de la côte levantine.
Dans tous ces cas, la Palestine a été envahie par le nord, non pas par des centres de pouvoir du nord du Levant, mais par des centres extérieurs à la région, capables de concentrer un pouvoir inaccessible aux villes situées au nord du fleuve Litani, qui manquaient de base géopolitique et étaient, pour ainsi dire, "pressées" contre les chaînes de montagnes côtières.
Pour les centres de pouvoir occidentaux qui aspirent à contrôler le bassin méditerranéen, le Levant est important en tant que pont terrestre, permettant - en l'occurrence des troupes et des cargaisons importantes - un transport moins coûteux, techniquement plus facile et exempt de la menace d'attaques en mer. Une puissance occidentale aspirant à contrôler les côtes nord et sud de la Méditerranée, mais ne contrôlant pas le Levant, aurait fortement augmenté les coûts de transport interne de l'empire. C'est ce qui doit expliquer l'intérêt de Rome, de Byzance, de Venise et des croisés, de l'Angleterre et de la France pour la côte levantine - après avoir traversé l'Hellespont, la voie du sud leur était ouverte à tous.
Les centres de pouvoir occidentaux, lorsqu'ils ne contrôlent pas le Levant, deviennent les centres de pouvoir du nord (centre de pouvoir gréco-anatolien, centre de pouvoir eurasien) et de l'est (centre de pouvoir mésopotamien, centre de pouvoir perse), en concurrence avec les centres de pouvoir occidentaux. Ils cherchent à sécuriser leur flanc sud en contrôlant les ports du Levant. La stabilité de tout empire se développant entre l'Hindou Kouch et la Méditerranée dépend de la sécurisation des ports levantins contre les attaques des centres de pouvoir occidentaux.
Une puissance orientale peut alors utiliser les voies de transport du Moyen-Orient vers la côte méditerranéenne; l'exemple le plus récent est le projet de corridor de transport iranien, développé après le renversement de Saddam en 2003, des centres de l'ouest de l'Iran, à travers le Kurdistan irakien, vers les ports de la Syrie et du Liban - peut-être que la guerre en Syrie après 2011 et l'expansion soudaine de l'État islamique en Irak en 2014 ont eu pour objectif tacite de paralyser ces projets.
Dans le même ordre d'idées, les puissances du Nord telles que la Macédoine, Byzance, l'Empire ottoman et la Russie ont cherché (ou cherchent encore aujourd'hui) à contrôler la côte levantine afin de sécuriser leur flanc occidental contre l'expansion vers l'est; un centre de pouvoir nordique régnant sur le Bosphore peut librement redéployer des forces engagées jusqu'à la vallée de l'Indus, mais en laissant le Levant hors de son contrôle, il s'expose aux attaques des centres de pouvoir occidentaux.
La tellurocratie israélienne
La localisation du centre de pouvoir palestinien est compliquée par sa nature tellurique. Accrochées à des montagnes qui s'étendent presque jusqu'à la côte, les villes du nord du Levant produisent une civilisation thalassocratique, basée sur le commerce et orientée vers la mer. Avec une base géopolitique plus étendue sur une plaine côtière plus large que dans le nord et des collines moins escarpées, les centres palestiniens génèrent une civilisation tellurique.
Ce n'est pas une coïncidence si l'Israël moderne était un État socialiste à ses origines et si un secteur socialiste important, sous la forme de quelques kibboutzim, est encore préservé dans son économie aujourd'hui. L'économie de l'Israël moderne est basée sur l'agriculture et la technologie moderne, c'est-à-dire qu'elle répond aux caractéristiques d'un centre de pouvoir basé sur la terre, plutôt orienté vers l'intérieur. Il s'agit d'un type de civilisation très différent de celui des Juifs de la diaspora, basé sur le capitalisme et le commerce plutôt que sur l'industrie manufacturière et, de surcroît, sans lien avec la terre. La présence d'une colonie de colons armés en Samarie est la quintessence d'une civilisation "militaire" basée sur la terre. La déclaration officielle d'Israël, en 1980, de reconnaître Jérusalem intérieure plutôt que la ville côtière de Tel-Aviv comme capitale de l'État, revêt une importance symbolique. Contrairement aux villes du Levant Nord, le centre du pouvoir palestinien n'a jamais été une puissance maritime, pas plus que l'Israël moderne.
En raison de sa nature tellurique, l'Israël moderne est faiblement connecté au monde extérieur et n'a qu'un "besoin" limité pour les puissances mondiales; comme à la fin des années 1940, les pays arabes, plus étendus et plus significatifs, gagnent en importance, Israël tente alors, aujourd'hui, de se faire connaître grâce aux activités de la diaspora juive et au développement d'un secteur de start-up dans les domaines de l'intelligence artificielle et de la cybersécurité, dans le but de devenir un élément indispensable du système capitaliste mondial. Cependant, l'initiative appartient fermement aux États-Unis et à la Chine, qui agissent en tant qu'investisseurs en Israël. L'importance d'Israël pour son protecteur actuel, à savoir les États-Unis d'Amérique, repose sur le fait qu'il est un allié des États-Unis contre l'Iran. Cette convergence d'intérêts n'est cependant pas structurelle, mais accessoire et ne garantit pas le protectorat permanent de Washington sur l'Etat juif (ce protectorat ne date d'ailleurs pas d'avant 1967; avant cela, le protecteur du sionisme était l'Angleterre, et de l'Etat israélien successivement l'URSS et la France).
Les deux pays des Palestiniens
Les Palestiniens, quant à eux, vivent dans deux entités géopolitiques distinctes. La Cisjordanie est un pays tellurique pauvre, situé dans les collines semi-arides, qui ne peut fonctionner que sur la base de l'économie plus dynamique de l'État juif. Le territoire palestinien y est constamment tronqué et fragmenté en enclaves isolées, proclamées depuis janvier 2013. L'"État de Palestine" peut en principe être considéré comme un État-nation palestinien, même si, dans la pratique, ses autorités se comportent davantage comme les Judenräte dans les ghettos juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
La bande de Gaza, quant à elle, ressemble davantage à une cité-état thalassocratique qu'à un État-nation. Contrairement aux villes du Levant connues dans l'histoire, elle n'est pas un centre cosmopolite de commerce, de banque et de transport maritime, car elle est soumise à un isolement hostile de la part d'Israël et de l'Égypte qui coopèrent contre les Palestiniens - la nature thalassocratique de la bande de Gaza a été, pour ainsi dire, "avortée" par ses voisins hostiles qui l'isolent.
La bande de Gaza couvre 365 kilomètres carrés et compte 2,4 millions d'habitants. La Cisjordanie, qui compte 3 millions d'habitants, s'étend sur 5655 km². La densité de population dans la bande de Gaza est de 6500 personnes/km², tandis que celle de la Cisjordanie est de 466 personnes/km². La bande de Gaza a une superficie de 41 km. Elle s'étend du sud au nord et de 6 km à 12 km d'est en ouest. La longueur de la frontière avec l'Égypte est de 11 km.
Les distances et superficies susmentionnées montrent clairement que la bande de Gaza est incapable de fonctionner dans sa forme actuelle sur le plan social, économique et civilisationnel. Au cours des dernières décennies, ses habitants ont végété grâce à l'aide humanitaire de l'Union européenne et des agences de l'ONU. La situation pourrait être modifiée par l'ouverture au marché du travail israélien ou par l'émigration d'une partie importante de la population de Gaza. Dans l'hypothèse de la création d'un Etat palestinien réellement indépendant incluant la bande de Gaza, un exode d'au moins plusieurs centaines de milliers de résidents de Gaza vers la Cisjordanie serait à prévoir, mais celle-ci ne serait pas en mesure d'assimiler un tel nombre de migrants.
Les deux parties de l'actuel "État de Palestine" (la bande de Gaza et la Cisjordanie) ont donc des caractéristiques géopolitiques complètement différentes et il est difficile de parler d'une "nation" cohérente pour leurs habitants. L'actuel "État de Palestine" rappelle plutôt le Pakistan au moment de la sécession du Bangladesh en 1971: les parties du Pakistan situées sur l'Indus et à l'embouchure du Gange étaient séparées par l'État indien, plus fort et hostile. De même, les deux parties de l'"État de Palestine" sont divisées par l'État d'Israël, hostile et plus fort. L'éclatement de facto de l'"État de Palestine" en 2007 était aussi inévitable que l'éclatement du Pakistan en 1971.
L'Autorité nationale palestinienne en Cisjordanie poursuit une politique de collaboration avec l'occupant israélien, car les caractéristiques géopolitiques de la Cisjordanie rendent la situation ainsi créée très gênante, mais donnent néanmoins aux Palestiniens la possibilité d'une existence minimale. La situation est différente dans la bande de Gaza, pour laquelle la seule solution est le démantèlement de l'État juif et l'élimination des Juifs vivant en Palestine. Sinon, les Palestiniens de Gaza connaîtront un sort similaire à celui des habitants des ghettos juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le Hamas, avec son exigence de liquidation d'Israël et d'assassinat ou d'expulsion de tous les Juifs, est perçue, dans la Bande de Gaza, comme la seule réponse possible à la condition de "prison à ciel ouvert" ("open-air prison", dénomination adoptée pour Gaza par certaines organisations internationales). Il semble également inutile de souligner l'inspiration israélienne dans la montée du Hamas, ce que la partie israélienne a ouvertement admis. Dans le même ordre d'idées, l'Inde a inspiré le mouvement séparatiste du Pakistan oriental et a soutenu les Mukti Bahini.
Toutefois, il ne faut pas en conclure hâtivement que les activités continues - et actuelles - du Hamas sont une "opération sous faux drapeau", comme en témoignent les guerres de 2008/2009 avec l'État juif et la guerre de sept semaines de 2014, ainsi que les manifestations de 2018-2019.
Les conditions de vie et l'absence de perspectives de développement dans la "prison à ciel ouvert" qu'est la bande de Gaza, ainsi que l'indifférence de l'Autorité nationale palestinienne en Cisjordanie (qui collabore déjà étroitement avec Israël au niveau de l'appareil de sécurité), forcent l'émergence de forces révisionnistes radicales dans cette région. Ainsi, si le Hamas n'émergeait pas, un autre groupe "remplissant le rôle du Hamas" émergerait probablement.
L'issue pour les Palestiniens de la situation géopolitique dans laquelle ils se trouvent serait la montée d'une puissance extérieure eurasienne ou d'Asie centrale, qui soutiendrait de l'extérieur un centre de force égyptien ou syrien, en l'orientant vers une voie pro-palestinienne. Cette situation a failli se produire entre juin 2012 et juillet 2013, lorsque le président égyptien était Muhammad Mursi, affilié aux Frères musulmans. Les Frères musulmans égyptiens soutenaient le Hamas, basé à Gaza, tout en bénéficiant du soutien du dirigeant turc Recep Tayyip Erdoğan. Cependant, M. Mursi a finalement été renversé par un coup d'État du général Abd al-Fattah as-Sisi, soutenu par l'Occident, ce qui semble avoir déterminé le sort des Palestiniens de Gaza de manière négative pour l'avenir prévisible.
Ronald Lasecki
Publié à l'origine dans Myśl Polska (47-48, 19-26.11.2023).
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mercredi, 06 décembre 2023
Gaza, une guerre d'usure
Gaza, une guerre d'usure
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/gaza-guerra-di-logoramento/
Comme prévu, et facilement prévisible, l'offensive israélienne dans la bande de Gaza a repris. Le gouvernement de Jérusalem ne pouvait plus se permettre d'hésiter. Une prolongation de la trêve pour obtenir l'échange de tous les otages. Ce que le Hamas organise, précisément pour prolonger la période de trêve, et ainsi avoir le temps de réorganiser ses forces.
De fait, la médiation du Qatar, soutenue par Washington, s'est révélée être un demi-échec. Elle n'a pas permis d'obtenir la libération de tous les otages aux mains du Hamas et des groupes encore plus difficiles à contrôler du Djihad islamique. Et le conflit a repris de manière peut-être encore plus sanglante.
Le casus belli, ce sont les attentats revendiqués par le Hamas. Ou plutôt par des franges de l'organisation, qui n'a rien d'un monolithe unitaire. Il s'agit plutôt d'une galaxie bigarrée de groupes, qui agissent souvent en dehors de la logique préconisée par la direction politique. Laquelle, résidant à Dubaï, n'a qu'un contrôle très relatif, et surtout une perception nébuleuse, de la réalité gazaouie.
À ce stade, cependant, la question est de savoir quelles sont les perspectives d'Israël. Et, surtout, quelles sont les options envisagées par son grand allié, Washington.
Car si Netanyahu se trouve dans une impasse, Biden, ou plutôt son administration, n'est pas mieux loti. En effet.
Le pari sur la médiation du Qatar s'est avéré (partiellement) infructueux. Et le test musclé de l'envoi de la flotte, forte de deux porte-avions, le Ford et l'Eisenhower, n'a pas eu pour effet d'impliquer Téhéran. Pas plus que son allié arabe le plus proche et le plus puissant, le Hezbollah libanais.
Au-delà des proclamations et des menaces, le gouvernement iranien se méfie d'une intervention directe dans le conflit de Gaza. Cela entraînerait l'inévitable réaction des États-Unis. C'est vraisemblablement ce sur quoi comptaient les faucons de Washington pour régler définitivement leurs comptes avec les mollahs.
Quant à Nasrallah, le chef politico-religieux du Hezbollah, il se limite à des actions perturbatrices à la frontière libanaise. Ce qui a pour effet de forcer une partie considérable de l'armée israélienne à se porter sur ce Limes.
Une stratégie, semble-t-il, également suivie par les Houthis yéménites, autre satellite iranien, qui rendent les routes maritimes du golfe d'Aden de moins en moins sûres.
Cette situation pourrait, si elle se prolonge dans le temps, appuyer le projet indien d'une route alternative à la dite "Route de la Soie maritime", ou "Noble collier de perles" sur lequel mise la Chine.
Un projet indien qui, cela va sans dire, a les faveurs de Washington.
Selon de nombreux analystes, et même certains hommes politiques israéliens, la seule solution possible serait de "neutraliser" une grande partie de la bande de Gaza. Repousser des centaines de milliers de Palestiniens en direction du Sinaï.
Cette solution se heurte toutefois à l'opposition résolue de l'Égypte. Al-Sisi ne veut absolument pas assumer un tel fardeau.
Et, surtout, d'y faire entrer des hommes liés au Hamas. Et à ces Frères musulmans qu'il considère comme ses pires ennemis intérieurs.
L'autre option, avancée par Washington, est de soutenir la reconquête de Gaza par l'Autorité palestinienne: cette option semble tuée dans l'œuf.
Abou Mazen n'a pas la puissance nécessaire pour mener cette tâche à bien, et sa figure est trop terne pour contrer efficacement le Hamas. Il risque même de perdre le contrôle de vastes zones de la Cisjordanie.
En outre, Netanyahu continue de considérer les héritiers d'Al Fatah comme une menace bien plus sérieuse pour Israël que le Hamas. En particulier une menace pour les "colonies" juives de Cisjordanie qu'il a toujours défendues. Recevant, en retour, un fort soutien politique électoral.
Dans ces conditions, il est très difficile d'envisager une sortie de crise à court terme.
La guerre, épuisante et sanglante, semble destinée à durer encore longtemps. Ce sera une guerre d'usure. Et il faudra voir qui, d'Israël ou du Hamas, en sortira le plus usé à long terme.
Par ailleurs, il est impossible de ne pas remarquer que la stratégie de l'administration Biden consistant à exploiter les conflits locaux pour "résoudre" rapidement les problèmes avec les antagonistes historiques - la Russie et l'Iran - s'avère être un boomerang.
Elle rend le contrôle américain sur ces régions de plus en plus incertain. En somme, la primauté de Washington s'en trouve affaiblie.
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lundi, 04 décembre 2023
Erdogan tonne contre Israël mais vend de l'énergie à Tel Aviv. Et seuls les journalistes américains ont peur
Erdogan tonne contre Israël mais vend de l'énergie à Tel Aviv. Et seuls les journalistes américains ont peur
Enrico Toselli
Source: https://electomagazine.it/erdogan-tuona-contro-israele-ma-vende-energia-a-tel-aviv-e-si-spaventano-solo-i-giornalisti-usa/#google_vignette
Le "boucher de Tel-Aviv", comme Erdogan a appelé Netanyahou, a recommencé à massacrer des civils à Gaza, tandis que ses tireurs d'élite ont assassiné deux enfants de 9 ans en Cisjordanie. Et le dirigeant turc hausse encore le ton. Il fulmine. Il demande que les Israéliens soient jugés pour crimes de guerre. Mais, dans les faits, il ne fait absolument rien. À tel point que les Iraniens, furieux, ont fait capoter une réunion au sommet. Téhéran voudrait qu'Ankara ferme les robinets de l'énergie vendue à Israël, mais Erdogan regarde les comptes et, tout en vociférant, continue d'encaisser.
Parce que les Palestiniens sont des amis, mais que les Israéliens ont l'argent. Logique levantine, trop compliquée pour les jeunes esprits des médias américains qui ne peuvent comprendre le triple, quadruple jeu des Turcs sur la scène internationale. Pour eux, les cow-boys de l'information, vous êtes soit avec eux, soit contre eux. Si vous obéissez à RimbanBiden, si vous défendez les intérêts américains, vous faites partie des gentils. Comme Meloni, comme Scholz. Si vous êtes contre eux, vous êtes un méchant à la tête d'un État voyou. Cela vaut pour la Russie, pour l'Iran, pour la Chine (bien qu'il faille le dire à voix basse).
Mais il y a eu ensuite le comportement ambigu de ceux qui faisaient partie des gentils. La Turquie, surtout. Celle que les esprits simples des journalistes yankees appelaient "la malade de l'Otan". Car Erdogan n'a pas encore donné son feu vert à l'adhésion de la Suède. Il augmente le prix pour l'accorder. Il veut des avions que les États-Unis ne veulent pas lui donner. Et pendant ce temps, il flirte avec Poutine et fait du commerce avec Zelensky. Il s'étend en Afrique et trouve des intérêts communs avec l'Iran. Il ignore les Ouïghours, son peuple frère, en Chine pour avoir les coudées franches dans les négociations avec Pékin. Il fait la nique à l'Union européenne dont, après tout, il peut aussi se passer. Il dit oui à tout le monde et fait ce qu'il pense être bon pour la Turquie.
Dans la pratique, il se contente de faire de la politique étrangère. De manière cynique, parfois exaspérante. Mais en gardant à l'esprit, contrairement à d'autres, qu'il est là pour protéger les intérêts turcs. Pas ceux des États-Unis, de la Russie ou de la Chine. Conscient qu'il est un non-arabe avec de nombreux voisins arabes. Et d'être placé dans un carrefour extrêmement complexe et difficile.
Il est sans doute plus facile de rester dans la niche à attendre les ordres de Washington. Avec la seule pensée de devoir faire des déclarations absurdes pour justifier l'injustifiable. En faisant semblant de ne pas voir que les voisins deviennent eux aussi nerveux. Mais il suffit d'un voyage dans les châteaux pour que la politique étrangère soit oubliée.
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jeudi, 30 novembre 2023
Négociations sur Gaza. La variable de l'exceptionnalisme américain
Négociations sur Gaza. La variable de l'exceptionnalisme américain
Source: https://www.piccolenote.it/mondo/negoziati-la-variabile-eccezionalismo-usa
Les négociations au Qatar, la résistance de l'extrême droite israélienne et le rôle de Netanyahou. Le NYT et le problème des États-Unis en tant que "nation indispensable".
"Les médias égyptiens affirment que les solutions pour mettre fin à la guerre et lever le siège de Gaza ont également été discutées lors des négociations en cours [au Qatar, ndlr]. Il s'agit d'un communiqué d'al Mayadeen. Le bien-fondé de ces informations est démontré par les déclarations d'Itama ben Gvir, qui a menacé de faire tomber le gouvernement (dont il fait partie) si l'offensive sur Gaza ne reprenait pas.
En rapportant l'avertissement du leader d'Otzma Yehudit, le Times of Israel explique que l'arrêt éventuel pourrait être compensé par le soutien de l'Unité nationale, dirigée par Benny Gantz, un ancien membre du cabinet de guerre.
Ce n'est pas si simple, car Ben Gvir pourrait être suivi par le parti de Bezalel Smotrich, qui ne laissera probablement pas son compagnon d'infortune être le seul défenseur du Grand Israël. D'où plusieurs problèmes pour maintenir le gouvernement debout, avec des conséquences sur la possibilité d'un éventuel processus de paix.
Négociations : le nœud de Netanyahou
Par ailleurs, il reste à savoir si Netanyahou pliera pour fermer le jeu, ce qui le condamnerait à la mort politique. Une question délicate, puisque le premier ministre israélien semble encore déterminant pour le sort du conflit. Il est plus que probable qu'un compromis est en cours d'élaboration, mais il est évident que Netanyahou n'acceptera pas facilement un sauf-conduit insignifiant. Le roi veut continuer à régner à tout prix.
Une indiscrétion des médias israéliens est intéressante à propos de Netanyahou: lors de plusieurs réunions confidentielles avec des membres de son parti, le Likoud, il a déclaré: "Je suis le seul à pouvoir empêcher la naissance d'un État palestinien à Gaza [et en Cisjordanie] à la fin de la guerre".
Il convient de noter que la pression en faveur de la création d'un État palestinien est le principal argument utilisé par l'administration américaine pour apaiser les pays arabes furieux du massacre de Gaza.
Dans la perspective de l'administration américaine, un tel Etat devrait être réalisé avec l'aide des nations arabes sunnites, qui devraient le financer et, en fait, le placer sous leur tutelle (c'est-à-dire une servitude non plus directe, mais indirecte). Une telle évolution jetterait les bases d'une relation fructueuse entre les pays arabes en question et Israël, créant un axe solide en opposition à l'Iran et à ses alliés régionaux.
Thomas Friedman et l'exceptionnalisme qui plane sur Gaza
Un tel scénario est décrit par Thomas Friedman dans le New York Times, afin que la tragédie palestinienne soit utilisée pour ramener le Moyen-Orient au statu quo ante, c'est-à-dire avant les différents processus qui ont vu l'Arabie saoudite et les Émirats arabes rejoindre les Brics et rétablir les relations avec l'Iran et le retour d'Assad sur la scène arabe, avec pour conséquence l'affaiblissement de l'influence américaine dans la région.
Ainsi, les Etats-Unis semblent plus soucieux de protéger leurs propres intérêts que ceux du peuple palestinien. De plus, la relance du bras de fer entre Riyad et Téhéran mettrait à mal le processus de détente évoqué plus haut, annonciateur de bienfaits pour la région troublée.
Au mieux, le projet américain pourrait conduire à une sorte de Yalta moyen-oriental, au pire à une guerre régionale à grande échelle avec l'Iran, comme Friedman le laisse entendre implicitement dans son article.
L'empire de l'Occident demeure donc dans sa prétention à pouvoir concevoir le destin des pays qu'il a choisis comme colonies, ce qui ne contribue pas à résoudre les problèmes, en particulier le problème palestinien, qui dure depuis longtemps et qui est douloureux. Notamment parce que Washington n'a pas la force de contraindre - il faut bien le dire - Israël à accepter un État palestinien, qui resterait une promesse, un horizon lointain et inaccessible comme il l'a été jusqu'à présent.
Avec toutes les conséquences que cela implique pour le peuple palestinien, qui resterait prisonnier des horizons étroits des autres, notamment des Israéliens, et qui continuerait à revendiquer son Etat, avec une prolongation du conflit actuel sous une autre forme.
La nation indispensable
D'une part, le conflit israélo-palestinien est un problème mondial et doit être résolu à ce niveau. D'autre part, les États-Unis, malgré leurs nombreux revirements, ne renoncent pas à leur prétention à l'hégémonie mondiale, qui leur permet de se mêler de tous les problèmes du monde et de tenter de le façonner selon leurs propres désirs; ils ne renoncent pas non plus à leur "exceptionnalisme", avec la prétention parallèle d'être les seuls à pouvoir résoudre les problèmes mondiaux, d'où la folie religieuse qui les anime, celle de vouloir être la "nation indispensable".
Cette dernière veine de folie a été introduite dans la politique étrangère américaine par Madeleine Albrigth, secrétaire d'État sous Bill Clinton, et poursuivie sous l'ère George W. Bush grâce également à Condoleeza Rice, qui a été conseillère à la sécurité nationale de cette administration puis secrétaire d'État (sa formule du "chaos constructif" qui allait créer un nouveau Moyen-Orient).
Comme l'indique ce qui précède, la doctrine de l'indispensabilité des États-Unis unit l'establishment des démocrates et des républicains, mais dans ce cas précis, les deux femmes avaient encore plus en commun, étant la première fille de Joseph Korbel, qui, en tant que fondateur et professeur de la Graduate School of International Studies de Denver, avait Rice comme élève préférée, qui a donc connu et fréquenté Madeleine. Les deux femmes étaient si proches que lors d'une cérémonie officielle, Albrigth est allé jusqu'à appeler Condoleeza "ma sœur".
Nous mentionnons ce point commun en passant parce qu'il donne un aperçu du pouvoir impérial qui, dans cette phase de décomposition, devient de plus en plus fermé et autoréférentiel, d'où certaines visions et impulsions maladives.
18:55 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : diplomatie, politique internationale, gaza, israël, proche-orient, levant, palestine | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 28 novembre 2023
Sur le sort des Palestiniens - cette fois en termes non eschatologiques
Sur le sort des Palestiniens - cette fois en termes non eschatologiques
Jan Procházka
Source: https://deliandiver.org/2023/10/o-osudu-palestincu-tentokrat-neeschatologicky.html
La multipolarité est une grande opportunité pour l'Europe de prendre enfin son propre chemin, de renvoyer les conseillers américains d'où ils viennent et de commencer à élaborer sa propre politique.
Bien que je me sois trompé à de nombreuses reprises dans mes jugements, plus récemment sur le conflit russo-ukrainien, lorsque je n'ai pas cru jusqu'au dernier moment à la tournure que prendrait ce conflit régional, j'essaierais néanmoins d'extraire du conflit en cours dans la bande de Gaza quelques leçons sur la nature du monde dans lequel nous entrons aujourd'hui.
Tout d'abord, je ne pense pas que les Palestiniens de la bande de Gaza puissent "gagner" le conflit en cours, quoi que cela signifie. Et je ne pense pas que la comparaison avec la guerre du Kippour (1973) soit pertinente dans ce cas. En 1973, Israël a été confronté à une invasion frontale par deux États industriels et dotés d'armes modernes, ainsi que par des milliers de volontaires venus d'Irak, de Jordanie et d'Afrique du Nord - et Israël est parvenu à défendre son existence, malgré des revers initiaux lorsque tout semblait perdu. Le président égyptien Anouar el-Sadate s'est laissé corrompre par les Américains, est devenu une sorte de "Gorbatchev égyptien" (il a d'ailleurs reçu le prix Nobel pour cela), puis a été assassiné pour sa traîtrise ; les Syriens se sont retirés, peut-être sous la menace d'une frappe nucléaire sur Damas (nous ne pouvons le vérifier avec certitude que par des spéculations dans la littérature, mais des estimations suggèrent qu'Israël détenait peut-être dix ou vingt bombes nucléaires dès les années 1960 et 1970).
Je pense plutôt que, sauf imprévu, les Israéliens bombarderont simplement la bande de Gaza et, malgré les protestations égyptiennes, déplaceront les survivants dans le désert du Sinaï, où leur dure vie de personnes déplacées se poursuivra pendant des générations, mais où ils ne constitueront plus une menace pour les civils israéliens.
Rappelons que le Hamas est affilié aux Frères musulmans, une organisation interdite dans de nombreux pays arabes, dont l'Égypte. Il ne faut donc pas s'étonner que l'Égypte ne veuille pas accueillir les réfugiés de Palestine, qui ont tant déstabilisé les pays voisins dans les années 1970. Au Liban, l'afflux de Palestiniens en 1973 a déclenché un conflit religieux qui a débouché sur une longue guerre civile (1975-1990) qui a fait de la Suisse orientale, majoritairement chrétienne, l'un des pires pays du Moyen-Orient. Le royaume hachémite de Jordanie a été à deux doigts d'une évolution similaire dans les années 1970, mais il a fini par sévir militairement contre les réfugiés palestiniens.
Rappelons également que le Hamas, ou les Frères musulmans, est lourdement persécuté en Égypte, des centaines de ses membres ayant été exécutés lors de simulacres de procès depuis 2014. L'Égypte est dirigée d'une main de fer par l'armée depuis les années 1970 (même le président actuel, Sissi, était à l'origine un officier professionnel de haut rang depuis le temps de Sadate), mais c'est pourtant l'une des factions les plus fortes au pouvoir, et si l'armée avait permis aux Frères musulmans de se présenter aux élections, les "Frères" l'auraient probablement emporté glorieusement. Il est donc peu probable que l'Égypte accepte l'importation de deux millions de "frères" supplémentaires, que la dictature militaire a déjà du mal à contrôler. En Europe aussi, la porte n'est pas ouverte à tous les Palestiniens, même si l'arrivée de deux millions de réfugiés en renfort serait certainement bien accueillie par les Maures et les Sarrasins vivant en France, en Suède et en Allemagne.
Les Palestiniens ne seront pas non plus accueillis par une Jordanie déjà fortement déstabilisée, une Syrie ou un Liban fracturés. Les riches monarchies du Golfe, où les migrants sont déjà plusieurs fois plus nombreux que la population autochtone et qui ne sont stables que grâce à de sévères systèmes de ségrégation et de castes, ont fermé leurs portes aux Arabes il y a longtemps. Il est difficile d'attendre une attitude accueillante à l'égard des Palestiniens de la part du Liban ou de la Syrie, où, pendant la guerre civile, les forces chiites et le Hezbollah du président Assad se sont battus contre les Palestiniens sunnites armés par les Américains.
Le Hamas n'aura, à mon avis (même si je me trompe), qu'un faible soutien diplomatique de la part de la Tunisie et du Qatar. La Syrie est actuellement incapable de faire quoi que ce soit, pas même de répondre aux bombardements préventifs américains et israéliens de ses aérodromes, elle est déchirée par la guerre. Le Hezbollah au Liban, bien que déterminé, ne dispose pas de la base financière, militaire ou industrielle nécessaire à un conflit durable, et se contentera tout au plus de lancer des roquettes et des drones bon marché et de se limiter à des gestes symboliques. Après tout, l'Iran est séparé d'Israël par 1500 km d'espace appartenant à d'autres pays, et sa situation politique interne n'est pas brillante non plus. Et les pays musulmans les plus peuplés - l'Indonésie, le Pakistan et le Bangladesh ? Ils sont trop éloignés et ont leurs intérêts dans l'Indo-Pacifique, les conflits au Moyen-Orient ne les concernent pratiquement pas.
Ce n'est certainement pas la faute des Palestiniens s'ils sont nés à Gaza, un gigantesque camp de réfugiés, une sorte d'enclos de béton sans agriculture, sans industrie, totalement dépendant de l'aide financière et humanitaire, où la haine locale d'Israël est un foyer de wahhabisme. Les Israéliens d'aujourd'hui ne sont pas non plus responsables du fait que leurs grands-pères ont parqué les Palestiniens dans cet enclos pendant les conflits israélo-arabes après 1948. Il est difficile de blâmer les deux parties pour leurs origines ; l'histoire est pleine de déménagements forcés, de "culpabilité" collective et de génocides associés - pensez à l'expulsion des Allemands des Sudètes, aux échanges forcés de populations entre la Grèce et la Turquie, ou entre l'Inde et le Pakistan.
Au Moyen-Orient, comme dans les Balkans, en Afrique du Nord, dans le Caucase et ailleurs, les gens s'entendraient sûrement d'une manière ou d'une autre, parfois mieux, parfois moins bien, s'il n'y avait pas les interventions constantes de l'Occident. Ce n'est pas du tout une question d'idéologie, c'est la géographie qui est déterminante - à une époque, les Américains eux-mêmes ont soutenu le Hamas pour affaiblir le Fatah d'Arafat, alors que le Fatah menait une guerre contre les Israéliens à Jérusalem-Est. Dans les guerres en Syrie et au Yémen, l'Occident collectif et les Américains ont fourni des armes aux Frères musulmans pour affaiblir un allié clé de la Russie et de l'Iran. Dans les années 1970, les Américains ont armé les Afghans dans leur résistance contre l'URSS et ont soutenu diplomatiquement la dictature militaire islamique en Indonésie dans sa guerre contre les socialistes chrétiens au Timor. Après tout, l'Occident collectif fournit des armes aux deux camps !
Il s'agit d'une sorte de stratégie de "chaos contrôlé" et d'ingérence dans les affaires intérieures ; cela fonctionne un peu comme les jeunes États-Unis qui montaient les Indiens de différentes tribus les uns contre les autres pour les affaiblir en les combattant et en fin de compte en les détruisant tous. De la même manière, les Romains opposaient les États grecs, les tribus gauloises ou germaniques les uns aux autres pour finalement se les approprier. C'est le comportement de presque toutes les grandes puissances ; les Anglo-Saxons l'appellent "balance of power". Par exemple : armer et opposer l'Irak à l'Iran (1988), puis le condamner pour l'invasion du Koweït et de l'Arabie Saoudite (1990), puis le rouler mais le soutenir à nouveau pour combattre les chiites irakiens en Mésopotamie, enfin exécuter Saddam Hussein, se faire passer pour un sauveur, maintenir les tensions à un niveau élevé, et surtout... tout en extrayant du pétrole.
En fait, la stratégie américaine dans le Caucase et en Ukraine comporte des éléments similaires (1).
Le conflit au Moyen-Orient montre à quoi ressemblera le monde multipolaire à venir. Les États-Unis resteront l'une des grandes puissances mondiales, et peut-être même la plus importante. Mais le rôle de dictateur mondial de l'Amérique semble définitivement terminé. En Eurasie, le seul véritable concurrent sérieux à la domination américaine - la Chine - a grandi, et d'autres acteurs régionaux modérément puissants comme la Russie, l'Inde, la Turquie, l'Arabie saoudite et l'Iran vont se manifester. Les petites nations périphériques étaient considérées comme le "tiers monde" dans les années 1970, alors que le premier et le deuxième monde, les Américains et l'Union soviétique, se livraient une guerre pour la domination. Les petites nations n'avaient pas le choix, elles étaient confrontées à un choix: soit capituler et se résigner à leur position à la périphérie des empires, soit être entraînées dans des guerres par procuration par divers rivaux régionaux et fournir leurs territoires pour des conflits d'attrition débilitants.
Il semble que dans un monde multipolaire, ce ne sera pas nécessairement le cas. Il s'avère que les petites nations peuvent fonctionner et prospérer même dans l'étau des intérêts des grands rivaux régionaux. Une politique et une diplomatie affirmées peuvent garantir leur existence - après tout, Orbán le peut. Les déplacements massifs et les génocides de peuples qui ne peuvent assurer militairement et diplomatiquement leur propre existence dans un ordre multipolaire, comme les Arméniens du Haut-Karabakh, les Rohingyas de Birmanie ou les Palestiniens de Gaza, deviendront de plus en plus fréquents. Ce qui manquera dans les relations internationales complexes, c'est la simplicité même de la guerre froide, lorsque l'un des deux grands frères était toujours prêt à apporter ses armes en coulisses pour "se défendre contre le colonialisme et l'impérialisme" ou "défendre la démocratie, le marché libre et les droits de l'homme".
La multipolarité est également une excellente occasion pour l'Europe de tracer enfin sa propre voie, de renvoyer les conseillers américains d'où ils viennent et de commencer à élaborer sa propre politique. Dans le cas contraire, l'Europe risque de connaître le même sort que l'Amérique latine, celui d'une périphérie perpétuelle. Serons-nous capables de tirer parti de l'ordre multipolaire émergent ou deviendrons-nous les nouveaux Arméniens, Rohingyas et Palestiniens dans nos propres pays ?
Notes :
(1) Hormis les États-Unis, chaque puissance mondiale ou régionale semble avoir reçu une sorte de "jumeau maléfique", souvent une île, qui sert de point de départ à une intervention étrangère. La Chine a reçu Taïwan, la Russie l'Ukraine, l'Inde le Pakistan et le Sri Lanka, et au milieu du 19ème siècle le Canada a joué ce rôle contre les Américains (Madagascar sera-t-il le "Taïwan de l'Afrique" dans mille ans ?). La tentative soviétique de faire de Cuba sa rampe de lancement en 1962 a failli déboucher sur une guerre nucléaire mondiale. La raison pour laquelle l'Europe n'a jamais été capable de s'unir comme l'Inde, la Chine ou les États-Unis, bien qu'il y ait eu de nombreuses tentatives: les Normands, le Saint Empire romain, Napoléon, le pangermanisme - est évidente. La malédiction de l'Europe est la Grande-Bretagne, une île qui s'oppose par principe à toute unification du continent (et qui a elle-même un jumeau insulaire maléfique sous la forme de l'Irlande ; dans les années 1970, elle avait encore une certaine pertinence). Au diable les rides calédoniennes ! Pourquoi la Grande-Bretagne ne pourrait-elle pas se trouver cent, cent cinquante mètres plus bas ? Au lieu d'une mer du Nord peu profonde où la morue aurait pu courir et où les champs pétrolifères du plateau continental européen auraient pu être fertiles, un porte-avions américain insubmersible avec 65 millions de personnes à bord est amarré en vue de Calais ! Et l'on peut dire, avec un peu d'exagération, que de la même manière, l'Amérique est une île si grande et si dommageable qui fait face au centre continental du monde, qu'elle est une sorte de "Taïwan de l'Eurasie".
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jeudi, 23 novembre 2023
John Mearsheimer et la nouvelle guerre en Israël
John Mearsheimer et la nouvelle guerre en Israël
Markku Siira
Source: https://markkusiira.com/2023/11/09/john-mearsheimer-ja-israelin-uusi-sota/
John J. Mearsheimer, spécialiste américain des relations internationales et défenseur de la politique étrangère "néo-réaliste", affirme qu'Israël, qui n'a rien appris de la désastreuse guerre du Liban de 2006, "a bêtement commencé une nouvelle guerre qu'il ne peut pas gagner".
La campagne de Gaza aurait deux objectifs: mettre fin aux tirs de roquettes palestiniens sur le sud d'Israël et rétablir la dissuasion militaire, qui a souffert du fiasco du Liban et de l'incapacité d'Israël à stopper le programme nucléaire iranien.
Selon Mearsheimer, ces objectifs ne sont pas les véritables objectifs du régime sioniste. Les dirigeants israéliens s'accrochent toujours à leur projet de contrôler l'ensemble de l'ancienne Palestine, y compris Gaza et la Cisjordanie.
Pour atteindre cet objectif, les sionistes sont prêts à infliger d'énormes souffrances aux Palestiniens afin que ces malheureux réalisent qu'ils sont les perdants et qu'Israël contrôle l'avenir de la région. Cette stratégie a été exprimée pour la première fois par Ze'ev Jabotinsky dès les années 1920 et a fortement influencé la politique israélienne depuis 1948.
"Ce qui s'est passé à Gaza est tout à fait conforme à cette stratégie", déclare M. Mearsheimer. Toute suggestion selon laquelle Israël aurait tenté par le passé de faire la paix avec les Palestiniens et de leur permettre de construire un mini-État digne de ce nom relève de la "pure fiction" pour le politologue israélien.
Avant même l'arrivée au pouvoir du Hamas, les Israéliens avaient l'intention de créer une prison à ciel ouvert pour les Palestiniens de Gaza, leur causant une telle souffrance qu'ils finiraient par se soumettre à leurs occupants. L'installation de 2,5 millions de personnes à Gaza dans un espace fermé et contrôlé créerait une catastrophe humaine, conduisant à des affrontements désespérés et à l'anéantissement, posé comme "autodéfensif", par les sionistes.
Outre le blocus oppressif de la bande de Gaza, Israël poursuit depuis des années la détention arbitraire et l'assassinat de Palestiniens en Cisjordanie. Selon Mearsheimer, Israël n'a jamais souhaité une longue pause dans le conflit, ni œuvrer à la création d'une "solution à deux États", mais "faire accepter aux Palestiniens leur sort de sujets malheureux du Grand Israël".
Cette politique cruelle se reflète clairement dans les actions d'Israël lors de la guerre de Gaza. Israël et ses partisans affirment que l'armée juive "la plus morale du monde" fait tout ce qu'elle peut pour éviter les pertes civiles, mais l'observateur Mearsheimer réfute ces affirmations qu'il considère comme de la propagande.
"Une des raisons de douter de ces affirmations est qu'Israël refuse d'autoriser les journalistes à pénétrer dans la zone de guerre: il ne veut pas que le monde voie ce que ses soldats et ses bombes font à Gaza. Dans le même temps, Israël a lancé une vaste campagne de propagande pour donner une tournure positive aux histoires d'horreur qui émergent.
La meilleure preuve, cependant, qu'Israël cherche délibérément à punir l'ensemble de la population de Gaza est la mort et la destruction causées sur ce petit morceau de terre. Israël a tué des milliers de Palestiniens, ciblant des universités, des écoles, des mosquées, des maisons, des immeubles d'habitation, des bureaux gouvernementaux, des hôpitaux et même des ambulances.
Les dirigeants israéliens s'imaginent qu'ils peuvent mener une guerre brutale et totale contre des millions de civils palestiniens et que, lorsqu'ils auront enfin atteint leurs objectifs de guerre, le reste du monde oubliera rapidement le massacre des habitants de Gaza et permettra aux Juifs de continuer à construire leur ethnocratie raciste.
Il s'agit là d'un vœu pieux à la Mearsheimer. Israël pourrait essayer de conquérir toute la bande de Gaza avec une force militaire suffisamment importante, ce qui, en cas de succès, mettrait fin aux attaques à la roquette. Mais dans ce cas, l'armée serait coincée dans une occupation coûteuse contre une population profondément hostile. Elle finirait par devoir partir et les tirs de roquettes reprendraient de plus belle. Tout cela ne ferait que réduire l'effet dissuasif recherché par le régime sioniste.
Mearsheimer ne voit guère de raison de penser que les Israéliens pourraient amener les Palestiniens à "vivre tranquillement dans une poignée de bantoustans à l'intérieur du Grand Israël". Depuis des décennies, Israël humilie, torture et tue les Palestiniens dans les territoires occupés, mais la résistance ne faiblit pas.
"En effet, la réaction du Hamas à la brutalité d'Israël semble accréditer l'observation de Nietzsche selon laquelle ce qui ne tue pas renforce", conclut philosophiquement l'universitaire américain.
Mais même si le rêve sioniste réussit d'une manière ou d'une autre, Israël finira toujours par perdre, parce qu'il est déjà largement perçu comme un État d'apartheid terne, pour lequel il ne devrait pas y avoir de place dans le monde multiculturel d'aujourd'hui.
Pourquoi ne pas demander à Israël d'adopter le même type de politique "d'ouverture des frontières" que les organisations juives ont exigé des pays européens en raison de l'Holocauste ? Les groupes d'aide israéliens transportent des migrants vers l'Europe, mais ils ne veulent pas qu'ils entrent dans l'État juif.
Quoi que l'on pense de ce double standard ou du sionisme, l'effroyable dévastation de Gaza ne peut être ignorée. Même si les dirigeants politiques de l'UE répètent encore le mantra du "droit d'Israël à se défendre", un changement d'avis est en train de couver parmi ses citoyens. Nombre d'entre eux, auparavant favorables à Israël, réagissent à la dureté du sort des Palestiniens.
"Ce qui se passe à Gaza accélère cette évolution du conflit et sera perçu comme une tache sombre sur la réputation d'Israël pendant longtemps", estime M. Mearsheimer. "En fin de compte, quoi qu'il arrive sur le champ de bataille, Israël ne peut pas gagner sa guerre à Gaza.
21:50 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : john mearsheimer, israël, gaza, palestine, politique internationale, levant, proche-orient | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 14 novembre 2023
Washington Post : Gaza et la doctrine catastrophique de Dahiya
Washington Post : Gaza et la doctrine catastrophique de Dahiya
Source: https://www.piccolenote.it/mondo/wp-gaza-e-la-catastrofica-dottrina-dahiya
"Nous exercerons une puissance disproportionnée contre chaque village d'où sont tirés des coups de feu sur Israël et nous causerons d'immenses dégâts et destructions". C'est ainsi que Gadi Eisenkot a expliqué la "doctrine Dahiya" en 2008.
Gaza, les effets de la doctrine Dahiya
"L'armée israélienne a peu de temps pour achever ses opérations à Gaza avant que la colère des Arabes de la région et la frustration des États-Unis et d'autres pays face au nombre croissant de victimes civiles ne tirent un trait sur l'objectif d'Israël d'éradiquer le Hamas, ont déclaré des responsables américains cette semaine". Tel est l'article principal du New York Times du 9 novembre.
L'article de Hamos Arel dans Haaretz intitulé: "Guerre Israël-Hamas: Tsahal [forces de défense israéliennes] dit qu'elle durera des mois, les signaux venant des États-Unis ne vont pas au-delà de quelques semaines" va dans le même sens.
Déclaration de Leaf et déclaration de Hagari
L'un de ces signaux est la déclaration de Barbara Leaf, secrétaire d'État adjointe aux affaires du Proche-Orient, à la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, selon laquelle le nombre de victimes à Gaza reste incertain et "pourrait même être plus élevé que ce qui a été rapporté publiquement".
Jusqu'à présent, les États-Unis avaient tenté d'atténuer le bilan tragique, aujourd'hui ils l'augmentent même (à juste titre : de nombreuses personnes se trouvent encore sous les décombres et parmi les blessés, plusieurs mourront, notamment parce que les installations médicales ont été dévastées).
Le nombre croissant de victimes civiles choque le monde entier et les dirigeants occidentaux ont de plus en plus de mal à légitimer ce qui se passe par le droit à la défense d'Israël. La réaction de Tel-Aviv est excessive, disproportionnée et même inintelligente, car elle a enterré sous les décombres de Gaza la vague de solidarité mondiale suscitée par l'attaque du Hamas et son image internationale.
La réaction excessive a été publiquement admise par le porte-parole des FDI, Daniel Hagari, qui "parlant de la phase initiale de l'offensive, a révélé que "l'accent" de la riposte des FDI était "sur les dégâts plutôt que sur la précision"".
L'aveu de Hagari a été rapporté dans le Washington Post du 10 novembre par Ishaan Tharoor, dans un article où, rapportant ses commentaires sur ce qui se passe à Gaza, il explique que "derrière tout cela - et implicitement dans la mention par Hagari de l'"accent" mis sur les dommages plutôt que sur la précision - se trouve une doctrine militaire qu'Israël a adoptée depuis longtemps et semble avoir adoptée dans cette circonstance également".
La doctrine Dahiya
Il s'agit de la "doctrine Dahiya", écrit Tharoor, qui "a pris forme dans le sillage de la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah au Liban" et qui porte le nom du quartier de Beyrouth réduit en ruines par les tirs israéliens en réponse à l'enlèvement de deux de ses soldats. Une réaction brutale qui a surpris le Hezbollah, qui s'attendait à quelques tirs de missiles.
"La doctrine qui a émergé du conflit a été formulée sous sa forme la plus familière par le commandant de Tsahal, Gadi Eisenkot. "Nous exercerons une puissance disproportionnée contre chaque village à partir duquel des coups de feu sont tirés sur Israël et causent d'immenses dégâts et destructions. De notre point de vue, ce sont des bases militaires", a-t-il déclaré à un journal israélien en 2008. "Il ne s'agit pas d'une suggestion. Il s'agit d'un plan déjà autorisé".
À peu près à la même époque, l'ancien colonel israélien Gabriel Siboni a rédigé un rapport pour l'Institut d'études de sécurité nationale de l'université de Tel-Aviv, dans lequel il affirme que les provocations militantes du Liban, de la Syrie ou de Gaza doivent être contrées par des attaques "disproportionnées", qui ne visent qu'en second lieu à éliminer la capacité de l'ennemi à lancer des roquettes ou d'autres attaques. L'objectif doit plutôt être d'infliger des dommages durables, sans tenir compte des conséquences civiles, afin de dissuader l'ennemi à l'avenir".
Au début d'une phase d'hostilités, les FDI doivent agir immédiatement, de manière décisive et avec une force disproportionnée par rapport aux actions de l'ennemi et à la menace qu'il représente", écrit-il. "Une telle réponse vise à infliger des dommages et des punitions dans une mesure qui nécessitera des processus de reconstruction longs et coûteux".
Les guerres de Gaza et la doctrine Dahiya
"Une telle doctrine, écrit M. Tharoor, semble avoir été en place même pendant une série d'hostilités entre le Hamas, qui a attaqué à partir de Gaza, et Israël à la fin de 2008 et au début de 2009. Un rapport commandité par l'ONU sur ce conflit, au cours duquel plus de 1400 Palestiniens et Israéliens ont trouvé la mort (14 pour ces derniers, dont quatre tués par des tirs amis), a conclu que la campagne d'Israël était "délibérément disproportionnée, conçue pour punir, humilier et terroriser la population civile, diminuer radicalement la capacité économique locale à travailler et à subvenir à ses besoins, et imposer un sentiment imminent de dépendance et de vulnérabilité".
"La doctrine est restée en vigueur dans les années qui ont suivi. Les correspondants militaires israéliens et les analystes de la sécurité ont signalé à plusieurs reprises que la doctrine Dahiya était la stratégie adoptée par Israël pendant la guerre de Gaza de l'été dernier", a observé l'universitaire palestinien-américain Rashid Khalidi à l'automne 2014, lorsqu'une nouvelle campagne militaire israélienne a entraîné la mort de plus de 1460 civils, dont près de 500 enfants. Soyons francs : il ne s'agit pas tant d'une doctrine stratégique que d'un plan explicite de punition collective, un signe avant-coureur de crimes de guerre probables".
Il n'est pas surprenant, ajoute Khalidi, que la doctrine Dahiya ait été peu mentionnée dans les déclarations des hommes politiques américains et dans les rapports de guerre de la plupart des grands médias américains, qui se sont contentés de décrire les actions d'Israël comme de l'"autodéfense".
La doctrine Dahiya est devenue folle
C'est également le cas de la guerre actuelle, au cours de laquelle, comme le note M. Tharoor, "de nombreux hommes politiques israéliens ont appelé à la destruction totale de Gaza, au dépeuplement du territoire et même à la réinstallation d'Israël" dans la bande de Gaza.
Gaza, le djihad juif à l'œuvre
Personne en Israël, bien sûr, "n'a explicitement invoqué la 'doctrine Dahiya' comme programme pour la destruction déchaînée de Gaza", note Tharoor, mais il note que le susmentionné "Eisenkot est un membre du 'cabinet de guerre' d'Israël".
En fait, ce n'est pas n'importe quel membre, il dirige le cabinet en question avec le belliqueux Benjamin Netanyahu et Benny Gantz (qui, bien que considéré comme modéré, a promu sa candidature au poste de premier ministre lors des élections de 2019 avec une vidéo dans laquelle il se vantait d'avoir ramené des zones entières de Gaza "à l'âge de pierre" pendant la guerre de 2014, au cours de laquelle il commandait les FDI).
En bref, l'attaque officieuse contre Gaza n'est pas seulement dictée par une soif de vengeance, mais par une doctrine lucide ; ou, peut-être mieux, une combinaison de ces éléments, avec la " doctrine Dahiya " portée à un niveau exponentiel et catastrophique.
14:44 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : doctrine dahiya, israël, gaza, palestine, liban, proche-orient, levant | | del.icio.us | | Digg | Facebook