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vendredi, 20 mai 2022

Dominique et Pierre-Guillaume de Roux

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Dominique et Pierre-Guillaume de Roux

Par Davide Bellomo

Source: https://domus-europa.eu/2022/05/09/12150/

Dominique et Pierre Guillaume de Roux, père et fils morts jeunes, privés de ce que le destin aurait souhaité et que le destin a refusé, de sorte qu'il reste d'eux un homme inachevé, pris dans l'embuscade de la mort.

Éditeurs par urgence impraticables, gaullistes à la droite du Général, Dominique païen posthume de tout serment et Pierre Guillaume chrétien par la foi : il a choisi l'Église orthodoxe comme un Byzantin après l'implosion des Croisades, prostitué à un souk d'indulgences, d'honneurs, de manœuvres avec l'Islam.

Des éditeurs prosaïques avec peu à faire mais beaucoup à créer, une prairie d'idées et de courage, pour ne pas épater les bourgeois mais pour ne pas prêter cœur et cervelle à l'amas d'enclaves à la puanteur sartrienne dans le nez des livrets rouges agités du Grand ( ?!) Timonier.

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Robert Levrac-Tournières en aurait fait le meilleur portrait, avant la salle de bal et les délires de Voltaire, car la grandeur doit être recherchée dans l'histoire et dans l'ici et maintenant. Quand la fierté d'être conservateur est une valeur auto- et hétéro-perceptive non négociable, voici les de Roux, qui ont regardé un monde à secouer la tête mais ont tiré droit devant.

N'étaient les termes ad quem, dans l'ordre chronologique, 1977, à 41 ans, et 2021, à 58 ans, ils auraient pu être interchangeables dans leurs rôles. Dominique clôt le spiel à dix-sept ans: il n'y a pas un seul séducteur sur la chaise, tout au plus des commis avec un registre et un crayon rouge et bleu. La vieille et aisée famille languedocienne - son grand-père Marie De Roux avait été l'avocat de Charles Maurras et de l'Action française - sait que le garçon est au crédit de la vie: il paie les droits de banquier de son père à Londres, travaille brièvement dans la City - vu son âge, comme employé de bureau -, puis en Allemagne dans une fabrique de feutre, et à vingt ans, il est déjà cycliste pour l'Herne, qu'il transformera, aidé de sa femme Jacqueline Brusset, en la série des Cahiers de l'Herne, des monographies sur les figures les plus significatives de la littérature du siècle. A vingt-sept ans, il publie son premier roman, Mademoiselle Anicet, et des dizaines d'essais ; il est l'âme des éditions Christian Bourgois, d'Exil, de la collection 10/18 ; ses amis sont ses auteurs : la convenance ne sait pas ce que c'est. Consultant aux Presses de la Cité, défenseur de Céline, de Pound, d'Abellio et de tous les incommodes, les pestiférés et les enlevés, il s'attaque au futur locataire de l'Elysée, Georges Pompidou, qui succédera à De Gaulle, le traitant de véto... et à deux des plus intouchables, Maurice Genevoix et Roland Barthes. Le pouvoir réagit, Elysée ou Académie, toujours, avec l'embargo : collaborations tronquées, silence de la presse sur le Gavroche des pages écrites. Carbonaro sans en être un, posthume volontaire de lui-même, pendu à son propre compte, chaque jour à Nuremberg, mestatore qui ne cache jamais son bras, il a rassemblé, avec les Cahiers, les points de rhumb-line des routes de la culture de front, en dehors du pouvoir qui contrôle la presse, la télévision, l'édition, le cinéma, l'école. Qui a eu une relation aussi profonde avec Witold Gombrowitz, l'écrivain le plus baroque du siècle, avec Emilio Gadda, peut-être, sinon Dominique de Roux ? Qui s'est jamais rendu compte de ce que la littérature lui doit aux dehors des académies, au massacre des prix littéraires, à l'assoupissement de la médiocrité élue comme démiurge? Ce serait un projet de loi inconfortable pour les parvenus de ce "truc" prêt et enclin à la délégitimation. Le départ : les dernières courtes années, 1973-1976, sont toutes dans le roman Le cinquième empire, publié deux semaines après sa mort. Le Portugal et l'Afrique australe, les événements politiques et la fidélité narrative qui vient à être elle-même, l'événement. Comme les aphorismes d'Immédiatement, moins quelques bavures bienvenues. Beaucoup de ceux qui auraient dû les lire ont tourné leur visage vers le mur.

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Pierre-Guillaume, le front haut d'un mathématicien pur et les mains pour un Nocturne de Chopin, a été à la hauteur de son père, pas un segment de vie mais cette vie, sans faille. Le labyrinthe de la rue Richelieu était une tranchée entre les livres rassemblés, lus, publiés et les manuscrits attendus avec confiance, dans un temps suspendu partagé avec Balzac et Nerval et les nombreux inconnus qui avaient réuni deux cents dossiers dans le corps douze. Il n'a pas été facile de passer sous silence la lâcheté de la mémoire de son père ni la critique du catalogue de sa maison d'édition - les logos sont ses initiales - car il fallait le faire, un sacrifice qualitatif pour financer les publications "nécessaires", les sorties, magnifiques !, difficilement compatibles avec une balance excédentaire. Le style est l'homme même, a écrit George-Louis Leclerc de Bouffon. A dix-neuf ans, il travaille pour l'éditeur Christian Bourgois, nervure de la Presse de la Cité et indépendant depuis 1992 ; à vingt et un ans, il est directeur éditorial de Table Ronde, puis de Juillard, Bartillat, Rocher, Criterion, Les Syrtes et enfin PGDR, acronyme de ses initiales. Le présent pour l'avenir, le livre comme un défi, comme un guerrier sinon un vainqueur qui connaît les conventions et s'en moque. Voici, parmi beaucoup d'autres, François Billot de Lochner et son analyse de la double dérive du banlieu au croissant de lune, n'incluant que le désastre social, Tarr de l'incatable peintre-romancier Windham Lewis - une splendide biographie, celle de Stenio Solinas ! et Roger Nimier, le génial scénariste d'Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle et romancier de premier ordre, Ezra Pound, et, pour ne pas être en reste, le déflagrant Éloge littéraire d'Anders Breivik de Richard Millet, sur le meurtrier de soixante-dix-sept personnes, résultat, selon l'auteur, du multiculturalisme, de l'abandon des racines chrétiennes et de l'islamisation. Quatre ans avant le Bataclan, nous ajoutons pour mémoire. Les rares apparitions à la télévision ont démantelé le paradigme d'une intelligence cultivée confinée au rôle de curiosité dangereuse, mais l'ensemble sentait l'excusatio non petita, le bon droit. Le fossé culturel entre l'intervieweur et l'interviewé a été décliné en un verbe défectif et donc honny soit qui mal y pense.

Davide Bellomo.

samedi, 31 juillet 2021

De Nietzsche à Mitteleuropa, l'univers culturel de Roberto Calasso

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De Nietzsche à la Mitteleuropa, l'univers culturel de Roberto Calasso

Hommage à l'éditeur Roberto Calasso (1941-2021)

Andrea Muratore

Roberto Calasso, décédé ce 28 juillet, était, en fin de compte et tout simplement, un homme cultivé et libre. Et cela suffit pour comprendre l'incisivité de son travail dans le monde de l'édition italienne des XXe et XXIe siècles. Dans ce cas, ce n'est pas le caractère extraordinaire de l'ordinaire qui est frappant, mais plutôt la capacité de Calasso à façonner une structure éditoriale capable de donner l'exemple en Europe, une maison d'édition à l'image et à la ressemblance de sa vision du monde et de la culture.

En tant que directeur éditorial de la célèbre maison d'édition italienne Adelphi, Roberto Calasso a donné la parole à un éventail large et pluriel d'auteurs. De son époque et du passé. Parfois, on peut dire, de l'avenir, car il a anticipé la célébrité de certains auteurs ou a permis la transposition d'écrivains et d'essayistes en icônes "pop" grâce à ses intuitions réfléchies. Ce qui est particulièrement frappant, cependant, c'est l'ampleur des sujets sur lesquels s'est penchée la bibliothèque Adelphi, qui a rassemblé plus de 700 titres depuis 1965.

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Une ampleur qui reflète la profonde curiosité culturelle du deus ex machina qui règnait sur Adelphi. Ethologie (Konrad Lorenz) et littérature du fantastique (J.R.R. Tolkien), ésotérisme (Gurdjeff et Guénon) et foi (Ignace de Loyola), penseurs séculiers (Benedetto Croce) et vrais mystiques (Simone Weil). Un courant de conscience continu, polymorphe, capable de s'adapter aux nombreux stimuli que Calasso et la maison Adelphi ont su saisir et transmettre, donnant naissance à des textes qui "risquaient de ne jamais devenir des livres", comme il l'écrivit en 2013 dans L'impronta dell'editore.

Calasso et Adelphi entre le sacré et le profane

Calasso était un personnage sui generis, qui ne pouvait être classé dans des groupes, des courants d'expression ou des domaines politiques précis. Il était le Franco Battiato de l'édition, capable de créer un univers de référence capable de visiter métaphoriquement des mondes lointains et de recevoir des stimuli hétérogènes de la part de ceux qui ont la bonne prédisposition pour y entrer. Parmi les auteurs publiés par Calasso figure Manlio Sgalambro, un philosophe dont la collaboration avec le maître sicilien est à l'origine de certains de ses textes les plus profonds ; il y avait aussi de la place pour un grand hérétique de la culture italienne comme Curzio Malaparte, un opposant à tous les conformismes;  et les voyages dans des terres lointaines et les épopées culturelles, historiques, naturalistes et ethnographiques du britannique Bruce Chatwin, inaugurées par En Patagonie, un texte ayant la capacité profonde de mener à la découverte d'une accumulation profonde d'histoires et de récits humains, racontant une terre rude, glacée et inhospitalière aux antipodes de notre Europe.

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Chez Adelphi, sous la houlette de Calasso, le fleuve de la connaissance coule à un rythme inhabituel à l'ère de la société de l'information de masse. Et les protagonistes de ses collections sont souvent les grands hérétiques, les libres penseurs, les voix hors du chœur. Cela permet d'apprécier plus profondément le travail d'une maison d'édition qui, comme le rappelle Pangea, a su se distinguer par son autonomie, et a continué à le faire au cours du dernier demi-siècle, dans une phase où " les grands éditeurs, étourdis par le climat de l'après-guerre, pressés par les exigences moralisatrices et pédagogiques, par les préjugés politiques et culturels de la société bourgeoise naissante, ont publié des œuvres évidentes, laissant de côté "une grande partie de l'essentiel". Le sectarisme laïc, l'afflux catholique ou marxiste, semblaient obliger les éditeurs à n'accepter que des auteurs alignés, catalogués en grappes".

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Qui d'autre, après tout, aurait pu apporter en Italie la meilleure version de Masse et puissance, le texte analysant le rapport entre les sociétés et l'autorité écrit par le penseur germano-britannique Elias Canetti, prix Nobel de littérature en 1981, une critique désacralisante des principales idéologies du vingtième siècle? Qui, dans les années 1970, redécouvrait Joseph Roth et, avec des romans fondamentaux tels que La crypte des capucins, un afflux considérable d'oeuvres venues d'Europe centrale, avec une belle nostalgie d'une Europe qui pouvait encore être considérée comme le centre du monde? Qui voudrait entreprendre un voyage culturel à la découverte des grandes religions du monde, en abordant l'hindouisme (avec une édition de la Bhagavadgita), le bouddhisme (avec Les actes du Bouddha du moine et poète Asvaghosa), le canon biblique et la traduction chrétienne?

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Dans ce dernier domaine, la maison Adelphi de Calasso a publié des versions éditées et commentées du Livre de Job, "nourriture, vêtement et baume pour ma pauvre âme" pour Soren Kierkegaard, et du Cantique des Cantiques de Saint François, en confiant l'édition au philosophe Guido Ceronetti, répondant avec la simplicité de la sagesse antique aux appels pompeux de l'hégémonie culturelle de l'époque ?

La redécouverte de Nietzsche

Calasso était un éditeur, mais aussi une énigme. On peut se demander si, en fin de compte, il n'a pas fait tout cela juste pour s'amuser. Pour le plaisir intellectuel de montrer que la culture est la culture, sans adjectifs, et par conséquent de se moquer des guerres tribales mises en scène par les "hégémons", les fidèles des partis et les écrivains du courant dominant. Profondeur et simplicité se rejoignent là où les auteurs "Adelphistes", les frères unis dans une vision culturelle commune, laissent leur empreinte en montrant les risques inhérents à un catalogage excessif des œuvres littéraires dans des schémas idéologiques et politiques. Irrévérencieux à l'égard des censeurs qui entendaient biffer des auteurs tels que Ernst Junger, qu'il a porté à l'attention du public italien à juste titre, Calasso a pu construire son opera omnia en restituant Friedrich Nietzsche à la culture italienne, dont la traduction presque intégrale représente une opération visant à rendre une justice culturelle et philologique à la mémoire d'un auteur controversé, trop souvent mal interprété dans notre contexte national.

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En particulier, dans la traduction et le commentaire de l'Ecce Homo de Nietzsche, qu'il réalise en 1969 à l'âge de 28 ans, on retrouve toute la curiosité, le flair et le sens culturel de Calasso. Comme pour s'acquitter d'une dette envers le grand philosophe rococo, Calasso traduit l'œuvre et la commente pour inverser la traditionnelle interprétation "dégénérative", en lisant, en fin de compte, dans le "Christ ou Dionysos ?" avec lequel se termine l'œuvre la plus autobiographique de Nietzsche, non pas la question irrésolue devant le déclin de son esprit mais le grand dilemme existentiel de l'homme contemporain, dont le démêlage est peut-être le grand don du penseur allemand. Il était conscient que l'Europe du 20e siècle serait perpétuellement imprégnée du dualisme entre sa vocation traditionnelle et un mouvement systémique vers l'entropie. Le fait même de rendre justice à la traduction littérale du terme "Übermensch", en balayant les éventuels qualificatifs obscurs inhérents au sulfureux "Superman", témoigne d'une telle attention et d'un tel soin pour les détails culturels et la pensée d'un auteur, même décédé, que cela dénote le profond respect de Calasso pour toutes les formes d'expression culturelle. Comme un véritable intellectuel libre. Capable de s'adresser au monde dans plusieurs langues, dans plusieurs styles et dans plusieurs modes d'expression. Avec la force perturbatrice des livres.

Source: https://it.insideover.com/societa/da-nietzsche-alla-mitteleuropa-luniverso-culturale-di-roberto-calasso.html

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dimanche, 17 mai 2015

Entretien avec Pierre-Guillaume de Roux

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Entretien avec Pierre-Guillaume de Roux: «Il y a chez mon père une volonté de briser les idoles.»

Pierre-Guillaume de Roux a dirigé de nombreuses maisons d’édition (éditions de la Table Ronde, éditions du Rocher) avant de créer la sienne en 2010, qui porte son nom. Il est le fils de l’écrivain et éditeur Dominique de Roux, fondateur des Cahiers de l’Herne et défenseur d’une conception de la littérature en voie de disparition.

PHILITT : Pouvez-vous nous parler de la fondation des éditions et des Cahiers de L’Herne ?

Pierre-Guillaume de Roux : Les Cahiers de L’Herne ont été créés en 1961, avec un premier cahier René Guy Cadou. Mais l’histoire commence en 1956 avec une revue un peu potache tirée à 300 exemplaires qui s’appellait L’Herne, dans laquelle mon père et ses amis vont publier leurs premiers textes. Cette période va réunir autour de lui des gens aussi différents que Jean Ricardou, qui passera ensuite à Tel Quel, Jean Thibaudeau, Georges Londeix et quelques autres. C’est la première cellule.

L’Herne représente pour mon père une forme de littérature comparée : on coupe une tête, elle repousse toujours. À Lerne de la mythologie, il a ajouté sa lettre fétiche, le H, qu’on retrouve dans les Dossiers H ou dans la revue Exil(H). Cette lettre va l’accompagner toute sa vie. Cette première période va se terminer en 1958. Il va y avoir un moment de rupture, de réflexion. Entre 1958 et 1960 va mûrir l’idée de cahiers livrés deux fois par an dans le but de réévaluer la littérature, c’est-à-dire de changer la bibliothèque. Les surréalistes l’avaient fait quelques décennies plus tôt.

dominiquederoux1.jpgCadou était un coup d’essai, un pur fruit du hasard. C’est grâce au peintre Jean Jégoudez qu’on a pu accéder à des archives et constituer ce premier cahier. Cadou est un poète marginal qu’on ne lit pas à Paris : c’est l’une des raisons pour lesquelles mon père s’y est intéressé. Mais c’est Bernanos qui donnera le coup d’envoi effectif aux Cahiers. Mon père avait une forte passion pour Bernanos. Il l’avait découvert adolescent. Et par ma mère, nous avons des liens forts avec Bernanos car mon arrière-grand-père, Robert Vallery-Radot, qui fut l’un de ses intimes, est à l’origine de la publication de Sous le soleil de Satan chez Plon. Le livre lui est d’ailleurs dédié. C’est ainsi que mon père aura accès aux archives de l’écrivain et se liera d’amitié avec l’un de ses fils : Michel Bernanos. Ce cahier, plus volumineux que le précédent, constitue un titre emblématique de ce que va devenir L’Herne.

Ce qui impose L’Herne, ce sont les deux cahiers Céline en 1963 et 1965 — et, entre les deux, un cahier Borgès. Il y avait une volonté de casser les formes et une façon très neuve d’aborder un auteur : par le biais de l’œuvre et celui de sa vie. Une volonté non hagiographique. Il ne faut pas aborder l’auteur avec frilosité mais de manière transversale, éclatée et sans hésiter à être critique. L’Herne aujourd’hui a été rattrapée par l’académisme. L’Herne n’a plus rien à voir avec la conception qu’en avait mon père. La maison d’édition a été depuis longtemps trahie à tous les niveaux. On y débusque trop souvent de gros pavés qui ressemblent à d’insipides et assommantes thèses universitaires lancées à la poursuite de gloires établies.

PHILITT : Quelle était la conception de la littérature de Dominique de Roux ? Voulait-il réhabiliter les auteurs dits « maudits » ?

pound1.jpgPierre-Guillaume de Roux : Il suffit de voir les auteurs qui surgissent dans les années 60. Céline est encore un proscrit qu’on lit sous le manteau. Il n’est pas encore le classique qu’il est devenu aujourd’hui. Parler de Céline est plus que suspect. Ce qui explique que mon père sera traité de fasciste dès qu’il lancera des publications à propos de l’écrivain. C’est la preuve qu’il avait raison : qu’il y avait un vrai travail à accomplir autour de Céline pour lui donner une place à part entière dans la littérature. C’est de la même manière qu’il va s’intéresser à Pound. Pound, un des plus grands poètes du XXe siècle. Il a totalement révolutionné la poésie américaine mais, pour des raisons politiques, il est complètement marginalisé. Mon père va procéder à la réévaluation de son œuvre et à sa complète réhabilitation. Pound est avant tout un très grand écrivain qu’il faut reconnaître comme tel. Tous ces auteurs sont tenus dans une forme d’illégitimité politique mais pas seulement. Pour Gombrowicz c’est différent : c’est l’exil, c’est une œuvre difficile que l’on a pas su acclimater en France. Il va tout faire pour qu’elle le soit.

Il y a chez mon père une volonté de briser les idoles, de rompre avec une forme d’académisme qui était très prégnante dans cette France des années 60. D’où son intérêt pour Céline, pour Pound, pour Wyndham Lewis qui sont tous des révolutionnaires, en tout cas de prodigieux rénovateurs des formes existantes.

PHILITT : Quelle relation entretenait-il avec les Hussards ?

Roger-Nimier-et-lesprit-hussard-livre.jpgPierre-Guillaume de Roux : C’est compliqué. Dans un livre que j’ai publié il y a deux ans avec Philippe Barthelet, Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l’esprit hussard, il y a un extrait du journal de mon père de l’année 1962 où il se montre très critique à leur égard. Il est injuste, n’oublions pas l’âge qu’il a à ce moment-là (26 ans).  Il rencontre néanmoins Nimier à propos du Cahier Céline. Malheureusement, la relation n’a pu s’épanouir avec Nimier puisqu’il est mort trop tôt. Pourtant, je pense qu’ils avaient beaucoup de choses en commun : ce goût impeccable en littérature, cette manière de reconnaître immédiatement un véritable écrivain, cette curiosité d’esprit panoramique, ce goût pour la littérature comparée…

PHILITT : Dominique de Roux dénonçait le conformisme et le règne de l’argent. Était-il animé par une esthétique antimoderne ?

Pierre-Guillaume de Roux : À cet égard, je pense que oui. N’oubliez pas que mon père est nourri de Léon Bloy et de sa critique de l’usure. Mais aussi de Pound qui s’est penché sur toutes ces questions économiques. C’est à la fois quelqu’un qui a su sentir la modernité littéraire – d’où son adoration pour Burroughs, Ginsberg, Kerouac – et qui a une approche antimoderne vis-à-vis de la société. Il était aussi lecteur de Péguy. Le Cahier dirigé par Jean Bastaire a beaucoup compté pour mon père.

PHILITT : Quelles sont les rencontres qui l’ont le plus marqué ?

Pierre-Guillaume de Roux : Pound, Gombrowicz, Abellio, Pierre Jean Jouve font partie des rencontres les plus importantes de sa vie. Avec Abellio, il y a eu une amitié très forte. Abellio m’a écrit un jour que mon père était son meilleur ami. Ils se rencontrent en 1962 et ils vont se voir jusqu’à la mort de mon père en 1977 sans discontinuité. Il lui a évidemment consacré un Cahier de L’Herne.

PHILITT : Pound et Borgés, ce sont plutôt des rencontres…

Pierre-Guillaume de Roux : Oui, Pound est déjà un homme très âgé mais il va quand même beaucoup le voir. Entre 1962 et sa mort, il le voit très régulièrement. La rencontre avec Gombrowicz se fait entre 1967 et 1969 et pendant cette courte période ils se voient très souvent. Mon père passe son temps à Vence où vit aussi le grand traducteur Maurice-Edgar Coindreau qu’il fréquente beaucoup à cette époque. Je détiens d’ailleurs leur superbe correspondance.

PHILITT : Il n’a jamais rencontré Céline ?

Pierre-Guillaume de Roux : Ils n’ont fait que se croiser. Au moment où mon père initie les Cahiers Céline en 1960, tout va très vite et Céline meurt en juillet 1961. Il n’a pas eu le temps de le rencontrer.

hallier_all_ws1.jpgPHILITT : Quelle est sa relation avec Jean-Edern Hallier ?

Pierre-Guillaume de Roux : Très compliquée. Ils ont été très amis. Ils se sont beaucoup vus au début des années 1960. C’est une relation passionnelle avec beaucoup de brouilles plus ou moins longues jusqu’à une rupture décisive après mai 68. Jean-Edern le traîne dans la boue, le calomnie, en fait un agent de la CIA. On retrouve là toutes les affabulations habituelles de Jean-Edern qui était tout sauf un être fiable, tout sauf un ami fidèle. C’est un personnage qui ne pensait qu’à lui, une espèce d’ogre qui voulait tout ramener à sa personne. Rien ne pouvait être durable avec un être comme ça.

PHILITT : Pouvez-nous parler de ses engagements politiques, de son rôle lors de la révolution des Œillets au Portugal et de son soutien à Jonas Savimbi en Angola ? La philosophie de Dominique de Roux était-elle une philosophie de l’action ? Peut-on le rapprocher des écrivains aventuriers que furent Conrad ou Rimbaud ?

Pierre-Guillaume de Roux : Pour ce qui est de son engagement au Portugal, il se fait un peu par le fruit du hasard, sous le coup d’une double rupture dans sa vie. Il y a d’abord son éviction des Presses de la Cité. Il dirigeait avec Christian Bourgois la maison d’édition éponyme ainsi que la collection de poche 10/18. En 1972, mon père publie Immédiatement, un livre qui tient à la fois du recueil d’aphorismes et du journal. L’ouvrage provoque un énorme scandale puisque Barthes, Pompidou et Genevoix sont mis en cause. La page 186-187 du livre est censurée. On voit débarquer en librairie des représentants du groupe des Presses de la Cité pour couper la page en question. Mon père a perdu du jour au lendemain toutes ses fonctions éditoriales. Un an et demi plus tard, il est dépossédé de sa propre maison d’édition à la suite de basses manœuvres d’actionnaires qui le trahissent. C’est un moment très difficile dans sa vie. Il se trouve qu’il connaît bien Pierre-André Boutang – grand homme de télévision, fils du philosophe Pierre Boutang – et le producteur et journaliste Jean-François Chauvel qui anime Magazine 52, une émission pour la troisième chaîne. Fort de ces appuis, il part tourner un reportage au Portugal. Il se passe alors quelque chose.

dominique de Roux 2.jpgCette découverte du Portugal est un coup de foudre. Il est ensuite amené à poursuivre son travail de journaliste en se rendant dans l’empire colonial portugais (Mozambique, Guinée, Angola). Il va y rencontrer les principaux protagonistes de ce qui va devenir bientôt la révolution des Œillets avec des figures comme le général Spinola ou Othello de Carvalho. Lors de ses voyages, il entend parler de Jonas Savimbi. Il est très intrigué par cet homme. Il atterrit à Luanda et n’a de cesse de vouloir le rencontrer. Cela finit par se faire. Se noue ensuite une amitié qui va décider d’un engagement capital, puisqu’il sera jusqu’à sa mort le proche conseiller de Savimbi et aussi, en quelque sorte, son ambassadeur. Savimbi me dira plus tard que grâce à ces informations très sûres et à ses nombreux appuis, mon père a littéralement sauvé son mouvement l’Unita au moins sur le plan politique quand a éclaté la révolution du 25 avril 1974 à Lisbonne. Mon père consacre la plus grande partie de son temps à ses nouvelles fonctions. Elles le dévorent. N’oubliez pas que nous sommes en pleine Guerre Froide. L’Union Soviétique est extrêmement puissante et l’Afrique est un enjeu important, l’Angola tout particulièrement. Les enjeux géopolitiques sont considérables. Mon père est un anticommuniste de toujours et il y a pour lui un combat essentiel à mener. Cela va nourrir sa vie d’écrivain, son œuvre. Son roman Le Cinquième empire est là pour en témoigner. Il avait une trilogie africaine en tête. Concernant son côté aventurier, je rappelle qu’il était fasciné par Malraux même s’il pouvait se montrer également très critique à son égard. Il rêvait de le faire venir à Lisbonne pour en faire le « Borodine de la révolution portugaise ». Il a été le voir plusieurs fois à Verrières. Il dresse un beau portrait de lui dans son ouvrage posthume Le Livre nègre. L’engagement littéraire de Malraux est quelque chose qui l’a profondément marqué.

PHILITT : Vous éditez vous aussi des écrivains controversés (Richard Millet, Alain de Benoist…). Quel regard jetez-vous sur le milieu de l’édition d’aujourd’hui ? Êtes-vous plus ou moins sévère que ne l’était votre père vis-à-vis des éditeurs de son temps ?

rm3783784_450_49.jpgPierre-Guillaume de Roux : Pas moins. Si j’ai décidé d’ouvrir cette maison d’édition, c’est parce que je pense que pour faire des choix significatifs, il faut être complètement indépendant. Un certain travail n’est plus envisageable dans les grandes maisons où règne un conformisme qui déteint sur tout. En faisant peser sur nous comme une chape de plomb idéologique. Cependant, nous sommes parvenus à un tournant… Il se passe quelque chose. Ceux qui détiennent le pouvoir médiatique – pour aller vite la gauche idéologique – sentent qu’ils sont en train de le perdre. Ils s’accrochent à la rampe de manière d’autant plus agressive. C’est un virage extrêmement délicat et dangereux à négocier. L’édition aujourd’hui se caractérise par une forme de conformisme où, au fond, tout le monde pense la même chose, tout le monde publie la même chose. Il y a bien sûr quelques exceptions : L’Âge d’homme, Le Bruit du temps par exemple font un travail formidable. Tout se joue dans les petites maisons parfaitement indépendantes. Ailleurs, il y a une absence de risque qui me frappe. L’argent a déteint sur tout, on est dans une approche purement quantitative. On parle de tirage, de best-seller mais plus de texte. C’est tout de même un paradoxe quand on fait ce métier. Le cœur du métier d’éditeur consiste à aller à la découverte et à imposer de nouveaux auteurs avec une exigence qu’il faut maintenir à tout prix.

PHILITT : Pensez-vous que Houellebecq fasse exception ?

Pierre-Guillaume de Roux : Oui, Je pense que c’est un écrivain important. Je l’avais repéré à la sortie de L’Extension du domaine de la lutte. J’avais été frappé par ce ton neuf. On le tolère parce qu’il est devenu un best-seller international et qu’il rapporte beaucoup d’argent. Ce qui n’est pas le cas de Richard Millet. S’il avait été un best-seller, on ne l’aurait certainement pas ostracisé comme on l’a fait honteusement.

PHILITT : La prestigieuse maison d’édition Gallimard a manqué les deux grands écrivains français du XXe siècle (Proust et Céline). Qu’est-ce que cela nous dit du milieu de l’édition ?

Pierre-Guillaume de Roux : Gallimard est, comme le dit Philippe Sollers, le laboratoire central. Quand on voit ce que cette maison a publié en cent ans, il y a de quoi être admiratif. Il y a eu en effet le raté de Proust mais ils se sont rattrapés d’une certaine manière. Gide a raté Proust mais Jacques Rivière et Gaston Gallimard finissent par le récupérer. Pour Céline, c’est un peu le même topo. Mais à côté de ça… que de sommets ! Gide, Claudel, Malraux… Gaston Gallimard a été un éditeur prodigieux parce qu’il a su s’entourer, parce qu’il avait une curiosité extraordinaire et parce qu’il a su aussi être un chef d’entreprise. Il a toujours joué de cet équilibre entre les écrivains dont il savait qu’ils n’allaient pas rencontrer un grand succès mais qu’il soutenait à tout prix et des livres plus faciles. Ce que je regrette aujourd’hui, c’est que cette pratique ait quasiment disparu. On se fout de l’écrivain, on ne pense qu’à la rentabilité. On finit par promouvoir des auteurs qui n’ont pas grand intérêt. Et contrairement à ce que disent les pessimistes, il y a de grands écrivains en France. Mais encore faut-il les lire et les reconnaître. Et la critique littéraire ne joue plus son rôle. Les journaux font de moins en moins de place aux suppléments littéraires. Tout ce qui relève véritablement de la littérature est nié.

Crédit photo : www.lerideau.fr

dimanche, 23 mars 2014

Un partage du monde entre éditeurs

LE MONOPOLE DE L’OBSCURANTISME
 
Un partage du monde entre éditeurs

Auran Derien
Ex: http://metamag.fr

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En 2013, les éditeurs Penguin et Random House ont fusionné. Mais en même temps, on apprenait que le groupe Bertelsmann disposait de 53% du capital et que Pearson contrôlait le reste (47%). Les deux mamelles Penguin et Random House dominent le commerce des livres traditionnels et digitaux aux USA, en Grande Bretagne, Canada, Australie, Inde et Nouvelle Zélande. Un partage du monde a été décidé entre les deux producteurs et distributeurs des pensées pieuses occidentales. Penguin s’est octroyé l’Asie et l’Afrique du Sud alors que Random House inonde le monde qui parle Espagnol : Espagne, Mexique, Argentine, Uruguay, Colombie, Chili.
 
En 2012, l’ogre Bertelsman avait acquis l’entreprise Mondadori. Pierre HILLARD a expliqué, dans un livre publié chez François-Xavier de Guibert, qu’au delà de la censure qu’exerce Bertelsmann sur la pensée, une fondation a été mise en place, avec au moins 300 prédicateurs travaillant à plein temps pour promouvoir et imposer la cosmothéonigologie occidentale.

Bertelsmann et le retour à la barbarie

Bertelsmann est à la tête d’une liste impressionnante de médias, car il s’agit d’imposer de fausses vérités sans en avoir l’air. Le principe, qu’avait très bien perçu Alexandre Zinoviev, est que derrière mille médias on retrouve mille fois la dénonciation des hérétiques et des dissidents. Par exemple, Bertelsmann contrôle RTL (radio), M6 (télévision), le distributeur France Loisirs, et une quantité impressionnante de journaux et de revues: GEO, Femmes Actuelles, VSD, Stern, Gala, etc. Barack Obama a publié en 2006 son pensum L'audace de l’espoir chez Random House, propriété de Bertelsman…

Il en résulte aujourd’hui que des milliers d’employés (plus de 10.000 dans le monde), des centaines de maisons d’édition (au moins 250), des milliers de titres de revues, journaux,…dépendent d’un seul homme : Bertelsmann. Ce n’est pas fini d’ailleurs. Le groupe espagnol PRISA, en déficit depuis plusieurs exercices était en discussion, en 2013, avec le tandem Penguin - Random House, ce qui ajoutera bientôt les éditeurs Alfaguara, Aguilar, Suma de Letras et Taurus à la longue listes des esclaves. Si on regarde l’édition aujourd’hui, on a d’un côté le monstre Planète, de l’autre Pinguin et Random House. On a compris. La vieille obsession, imposer à toutes les sociétés des cadres mentaux inspirés par une axiomatique farfelue est de retour. Alors qu’au XVIIIème siècle il ne venait plus à l’idée de personne que la religion puisse être l’enjeu d’une guerre, le XXIème siècle connaît le rêve de la haine religieuse, acquise au prix d’une dissolution de l’humanité. La cause de la foi globalitaire, avec le monde unique du marché, des monopoles et de l’inquisition idéologique, mobilise-t-elle cependant les meilleurs esprits? Ou bien, toute cette littérature sous monopole Bertelsmann ne provient-elle que de personnalités de second plan ?
 
Bertelsman, l’anti Frédéric II

En 1740, Frédéric II accède au trône de Prusse. Il incarne immédiatement le disciple et ami de Voltaire et de d’Alembert. Lorsqu’en 1740, au Directoire, est posée la question de savoir si un catholique peut-être admis comme bourgeois de Francfort-sur-l’Oder, Frédéric répond que « toutes les religions sont égales et bonnes, pourvu que les gens qui les professent soient d’honnêtes gens » (Georges GUSDORF : Dieu, la nature, l’homme au siècle des lumières. Vol.V de “Les sciences humaines et la pensée occidentale”, Payot, 1972, p.21-22.). Frédéric tiendra à honneur d’accueillir les persécutés. Et l’Académie de Berlin était le foyer international d’une pensée plus libre que celles qui s’affirmaient ailleurs.
 
Tout cela est liquidé par Bertelsmann dont les productions nous replongent dans les temps de propagande apologétique. La domination du monde de l’édition a pour but de revenir à une ambiance antérieure à 1750, quand l’essentiel de l’édition était dédié à la théologie, au droit religieux et à l’histoire ecclésiastique. En termes contemporains, Bertelsmann publie sur la mythistoire du XXème siècle, les droits de l’homme, l’inquisition qui les accompagne et la théologie du mal chez tout le monde sauf chez les véritables bourreaux. Le XXIème siècle est donc parallèlement le siècle de l’augmentation des ouvrages de dévotion, et celui de la montée en puissance de l’Asie, dont les préoccupations immanentistes nous éloigneront peut-être peu à peu de la fureur animale. Bien sûr, nous ne savons pas quel est le destin des livres que produit Bertelsman. Car, à côté des gains et des publications, il y a le tirage et la diffusion et le suffrage universel des véritables lecteurs, méprisés il est vrai par les prédicateurs de la radio et les productions vomitives hollywoodiennes sur grand écran.
 
A l’assaut de l’humanité

En même temps que Bertelsman construit son monopole de l’industrie de l’obscurantisme, une fondation, créée en 1977, veut aplatir l’Europe, transformer sa beauté et sa diversité en un informe et gluant compost. Lénine reste d’actualité, lui qui déclarait, modifiant une formule de Clausewitz : « La paix est la poursuite de la guerre par d’autres moyens ». De toutes manières, la bienséance et l’honnêteté dont parlait Frédéric II n’ont plus cours. Les vainqueurs ont tous les droits. Ils n’ont aucun tribunal à craindre puisque les accusations ne vont que contre les vaincus. Le souci de la vérité ne doit pas tourmenter celui qui détient le monopole du mensonge. C’est la règle de Bertelsmann qui a toute la vérité révélée du monde globalitaire en partage…. 

mercredi, 12 janvier 2011

Les confessions d'un Danubien

Despotica, modes d’emploi : les confessions d’un Danubien

par André WAROCH

slobo.jpgQuand j’étais adolescent, le monde orthodoxe et/ou balkanique m’apparaissait comme peuplé de sauvages, prêts à s’étriper pour un morceau de territoire perdu lors d’une obscure guerre antique.

Je me rappelle que mon frère et moi, en regardant à la télévision un match de tennis opposant Yevgeny Kafelnikov à Goran Ivanisevic, plaisantions sur le  fait qu’Ivanisevic voulait gagner à tout prix, les Russes ayant probablement, il y a quelques décennies, incendié son village et violé sa grand-mère.

Mon premier contact avec Slobodan Despot fut la lecture d’un article sur la question slave en Europe, article qui fut le point de départ d’une réflexion que je menais, à mon tour, sur cette partie de l’Europe ayant rejeté le centralisme vaticaniste et l’alphabet latin.

Si ce texte m’avait marqué, en revanche le nom et le prénom de l’auteur s’étaient complètement effacés de mon esprit. C’est ainsi qu’à la suite d’un de mes articles publiés sur Europe Maxima et intitulé « L’Europe et la civilisation orthodoxe » (1), Georges Feltin-Tracol me fit parvenir un message de félicitations provenant d’un certain Slobodan Despot, qui m’apparut évidemment d’emblée comme extrêmement sympathique.

Je finis par faire le rapprochement entre l’homme qui, le premier, avait fait naître chez moi une curiosité certaine pour l’Europe orientale, et celui qui me félicitait, quelques années plus tard, pour la pertinence de mes propos.

Ironie de l’affaire, l’article qui me valait ces louanges contenait, entre autres, une critique virulente de certains propos de Dominique Venner, rédacteur en chef de la Nouvelle Revue d’Histoire. Or, c’est la N.R.H. qui avait publié le fameux texte de Despot sur la question slave, au début des années 2000.

Aujourd’hui, Slobodan Despot nous livre donc Despotica, modes d’emploi, ouvrage constitué de courts textes, de fragments, d’observations. Supérieurement écrits, les textes de Despotica prennent le même chemin que les eaux du Danube, en inversant le sens du courant : prenant leur source quelque part à l’Est, ils s’écoulent lentement vers l’Ouest à travers les Balkans, puis, arrivés au bout de leur périple, se perdent en Occident.

L’auteur nous parle de la Serbie, de sa fille, de la mort d’un ami, de l’Europe malade, de Robert Plant, de Linda Lemay. « Éditeur insoumis et provocant, Slobodan Despot apparaît dans ses propres textes plus méditatif et plus poétique à la fois. » La quatrième de couverture ne ment pas. L’auteur n’est pas un polémiste acharné, remuant avec frénésie son couteau de Tchetnik dans les plaies purulentes de l’Occident. Il gravite pourtant dans un univers souvent ultra-politisé ou se croisent, selon ses propres termes, « guerriers et pamphlétaires », nationalistes français, russes, serbes, gauchistes révolutionnaires, libertariens, irrédentistes de toutes obédiences.

Il y a chez Slobodan Despot cette modestie, ce goût des autres, cette normalité, cette absence de mégalomanie qui lui ont fait choisir le métier d’éditeur. On chercherait en vain dans quelque paragraphe de son livre la moindre trace de haine, d’aigreur et de ressentiment, même quand il défend son pays, la Serbie, martyrisée par une coalition occidentalo-islamo-croate, amputé du Kossovo comme on vous amputerait du cœur. Mais il y a de l’amour chez Despot, chrétien authentique qui ne porte en lui aucune trace de cette perversité, de ce cynisme immonde qui ont fait de l’Europe occidentale leur terre d’élection, et particulièrement en France, qui n’est pas pour rien le pays de La Rochefoucauld.

Slobodan Despot n’est pas un guerrier : mais c’est un rebelle de fait. Il ne vit pas dans le monde moderne, ce monde moderne qui a tellement dévoré l’Occident qu’il est presque devenu son synonyme. Pour cette raison, certains ont voulu cesser d’utiliser, indifféremment,  les mots Europe et Occident pour désigner la même civilisation terminale. Mais qu’est-ce qui fait que l’Europe ne se confond pas encore complètement avec l’Occident/monde moderne, si ce n’est l’orthodoxie ?

A contrario de ses activités éditoriales, il y a chez Despot une douceur, une lenteur, une littérature qu’il faut peut-être chercher dans ses origines. Citoyen suisse d’origine serbe, de langue française et de religion orthodoxe, il connaît de l’intérieur les deux parties de l’Europe. Mais il n’est pas qu’un individu coincé entre ces deux masses gigantesques que sont l’ex-Chrétienté et les fils de Byzance.

La Serbie et la Suisse font de cet homme, issu de deux empires, un provincial de l’Europe, pour être plus précis : un Danubien.

André Waroch

Note

1 : Ce texte ne figure plus sur le présent site. Il se trouve désormais dans André Waroch, Les Larmes d’Europe, préface de Georges Feltin-Tracol, Le Polémarque Éditions, Nancy, 2010 (N.D.L.R.).

• Slobodan Despot, Despotica. Modes d’emploi, préface de Michel Maffesoli, Éditions Xénia, coll. « Franchises », 176 p., 16 €.


Article printed from Europe Maxima: http://www.europemaxima.com

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mercredi, 07 avril 2010

Eugen Diederichs, der Sera-Kreis und die Sonnenwendfeiern auf dem Hohen Lehden bei Jena

:D:H:
Eugen Diederichs, der Sera-Kreis und die Sonnenwendfeiern auf dem Hohen Lehden bei Jena

Ex: http://www.eiwatz.de/

diederichs-eugen-1896.jpgZum Ende des 19. Jahrhunderts klingt ein Zeitalter der europäischen Kultur- und Geistesgeschichte aus, welches zugleich den Wendepunkt zur Moderne darstellt. Auf der Suche nach einem neuen Sinn und einem neuen Halt begibt sich die nun folgende Generation von Künstlern, Dichtern, Denkern und Ästhetikern. Einer dieser Suchenden ist Eugen Diederichs. Er wird den Weg eines Verlegers bestreiten, um auf diese neue Epoche nach seinen Vorstellungen einzuwirken. Im Jahr 1896 gründet er sein Unternehmen in Italien und verlegt kurze Zeit später den Sitz des Geschäftes nach Jena – in die Nähe seines Geburtsortes. Einen Versammlungsort moderner Geister will er begründen. Modern meint bei ihm aber nicht fortschrittlich und sich nach aktuellen Erscheinungen richtend. Bei der Auswahl seiner Autoren und deren Werke wird er nicht fragen, ob diese dem Geschmack des deutschen Lesers entsprechen und zeitgemäß sind, sondern er wird abwägen, inwiefern diese einer neuen Kultur zu gute kommen, die sich nicht nur von Rationalität und Wissenschaftlichkeit vereinnahmen lässt. Eugen Diederichs fragt nicht, was das deutsche Volk lesen will – er möchte jene Bücher darreichen, die seines Erachtens notwendig sind, um dem beginnenden Jahrhundert die richtigen Impulse zu geben. Die Gebiete auf denen er dies tun möchte sind vielfältig: Theosophie, Religion, Bildung und Pädagogik sind nur einige davon. Man kann ihn hinsichtlich seiner Programmatik nicht in eine Schublade stecken. Ob Neuromantiker, konservativer Revolutionär oder Antimodernist – nichts von alledem war er durch und durch, doch sicherlich kann man ihm für gewisse Anschauungen dieses oder jenes Etikett aufdrücken. Eines will er jedoch sein – und so definiert er auch seine eigene Tätigkeit: Kulturverleger. Viele seiner Autoren wollen mit ihrem Verleger reformieren, Neues gestalten, aber auch Altes bewahren. Dass diese Vorstöße nicht alle in die gleiche Richtung zielen versteht sich bei der Menge von verlegten Schriften, die diese Absicht verfolgen, von selbst. Dies kann auch kein Vorwurf an den Verleger sein – selbst wenn jener versucht Gegensätzliches zusammenzuführen. Nach dem 1. Weltkrieg schlägt Diederichs Enthusiasmus und Tatendrang manchmal in Resignation sowie Willen- und Ideenlosigkeit um. Er wird von so manchen verhöhnt und belächelt. Doch im Glauben an das nach seinen Grundsätzen neu zu schaffende Deutschland bleibt er seinen Prinzipien treu.
Zu den ersten Gesamtausgaben, die der Verlag veröffentlicht, gehören die Werke von John Ruskin, Leo Tolstoi und Novalis. Es folgen die Schriften von Platon, Kierkegaard, Bruno, Meister Eckhart, Paracelsus, u. v. a. Besonderes Gewicht legt der Verlag von Anbeginn auf Serienausgaben. Schwerpunkte bildeten hier die Volkskunde und Kulturgeschichte, sowie bedeutende Persönlichkeiten aus der deutschen Vergangenheit. Auch eine umfangreiche Sammlung von Märchen aus aller Welt gehört zu den bedeutenderen Veröffentlichungen. Ein Juwel seines verlegerischen Schaffens ist ein Projekt, das bis zum heutigen Zeitpunkt seines gleichen sucht: die Thule-Sammlung. In 24 Bänden werden die alten Literaturen des Nordens (darunter die jüngere und ältere Edda, sowie eine große Zahl von Sagas), durch die Bearbeitung und Übersetzung der zu dieser Zeit führenden Germanisten und Nordisten einem breiten Lesepublikum zugänglich gemacht.
Doch nicht nur inhaltlich, sondern auch gestaltungstechnisch setzt der Verlag neue Maßstäbe. Seit dem Beginn seiner unternehmerischen Tätigkeit legt Diederichs besonderes Augenmerk auf den künstlerischen Wert seiner Bücher. In den kommenden Jahren gelingt es ihm zahlreiche Zeichner und Graphiker, die dem neu aufkommenden Jugendstil zum Teil sehr nahe stehen, um sich zu scharen. Mit jenen wird er neue Akzente in Sachen ästhetischer Buchgestaltung setzen. Als größten Erfolg dieser Seite seines Schaffens konnte der Verlag einen „Grand Prix“ bei der Brüsseler Weltausstellung des Jahres 1910 verbuchen.

Zu jener Zeit, als Eugen Diederichs beginnt seinen Verlag auf die Beine zu stellen und sich auf die Suche nach geeigneten Autoren begibt, gründet sich der Wandervogel . Auch die Jugend versucht dem politisch, seelisch und geistig erstarrten wilhelminischen Deutschland zu entfliehen. Sie will sich aus den Fesseln der dekadenten Großstädte befreien und auf Fahrt in der Natur bei Tanz und Gesang ihre eigene Bestimmung finden. Diederichs fühlt sich dieser Bewegung innerlich verbunden und wird versuchen Versäumnisse seiner eigenen Jugendzeit nachzuholen. Später wird er zu den Initiatoren des im Jahre 1913 stattfindenden Jugendtages auf dem Hohen Meißner zählen und als Teilnehmer einer der wenigen aus der Riege der Älteren sein. Zu Beginn seiner Zusammenarbeit mit der jüngeren Generation findet er sich mit der in Jena ansässigen Freien Studentenschaft zusammen, welche sich aus vielen Aktiven der Jugendbewegung rekrutiert. Um Diederichs entsteht ein loser Zusammenschluss junger Menschen: der Sera-Kreis. Man trifft sich zukünftig, um Volkstänze und Theaterstücke einzustudieren und das deutsche Volkslied neu zu entdecken und künstlerisch mit mehrstimmigen Gesang zu erhöhen. Auf den sog. Vagantenfahrten werden in historischen Kostümen die neuen Errungenschaften einem beliebigen Publikum zum Besten gegeben. Man tritt spontan auf Plätzen und Märkten in kleineren Städten der Umgebung auf, scheut aber auch nicht den Weg zu bekannten Gutsbesitzern oder Adligen und Künstlern der Region. Zum Markenzeichen des Kreises gehört schon bald eine eigene farbenfrohe Festkleidung. Auf dem Haupt trug man selbstgeflochtene Blumenkränze. Der Sera-Kreis hebt sich nunmehr rein äußerlich, aber auch in seinem Tun, allein aufgrund der Tatsache, dass er keiner Organisationsstruktur bedarf, von anderen Jugendbünden ab. Zunächst ist es Diederichs, der die Gruppe nach seinen Vorstellungen prägt. Doch schon bald sind es die älteren Jugendlichen, die dem Kreis ihr eigenes Gesicht geben, aber ihren Gründungsvater weiterhin respektieren und hören werden. Treffpunkt ist zum einen das Haus des Verlegers, aber auch einige seiner Autoren finden rasch Zugang zu den Jugendlichen und stehen mit Rat und Tat zur Verfügung. Alljährlicher Höhepunkt des gemeinschaftlichen Wirkens ist die Sommersonnenwendfeier auf dem Hohen Lehden, von der ein Sera-Mann folgendes berichtet:

Ein Zug zieht singend daher; alles schließt sich unwillkürlich an, so kommt man zum Platz der Szene ohne große Ankündigung. Publikum gibt es nicht dabei, alle sind eins! [...]
Die Gewitterschwüle löschte sich in leisem, doch bald nachlassendem Regen. Dann kamen die Leute, die mit dem Zug gefahren waren, so um sechs. Zusammen waren wir immerhin 250 Menschen! Ein feierliches Sera-Tanzen grüßte sie. Dann kamen schnell ein paar flinke Tänze. Wie behend die Mädchen sprangen! Dann ein Umzug, ein großer Kreis, und alles lagerte sich. Eugen Diederichs tritt in die Mitte: „Freunde!“ und sprach seine Worte, und als er schloß mit dem Sonnengesang des heiligen Franz, da brach wieder die Sonne durchs Gewölk; und dann kam das feierlich, gemessene „Maienzeit bannet Leid“ und wieder Tänze.
Dann auf dem Theaterplatz eine Komödie von Spangenberg „Glückswechsel“ (1613) [...].
Da war es schon Abend geworden. Im Westen lagen große Streifen, rot und gelb; und die Sonne warf ihre Strahlen – als ob sie gewusst hätte, dass sie gefeiert wurde [...].
Dann wieder Tänze und Lieder, bis es ganz dunkel war, und auf einmal ein paar Leute, die brennende Fackeln in den Händen hielten und sangen: „Nun kommen wir gegangen.“ Alles fiel ein, und so zog man daher zum Holzstoß, und krachend fuhren die Fackeln ins Reisig. Dann der Tanz ums große Feuer im Kreis - Einzelne lösen sich ab und jagen zu zweit durch die Funken, die fallen wie Schneeflocken nahe am Feuer vorbei, selber glühend. Dann stand auf einmal alles: „Freude schöner Götterfunken!“ ... Dann war’s soweit, dass man springen konnte. Hei das war eine Sache!
Wie so alles in uns zusammenbricht, was die Jahrhunderte in uns mühsam aufgebaut! Gegenüber dem Feuer sind wir doch immer wieder nichts anderes als der Heide vor tausend Jahren oder zweitausend.
So erleben wir’s elementar!
[...] Doch das war das Schönste, was diese Nacht uns bot: dieser friedliche Sternenhimmel, der so unsäglich ruhig und gelassen über uns war, und diese geläuterte, durchs Feuer gereinigte Stimmung. So lag man wortlos und glücklich und genoß die Nähe geliebter Menschen und sah den Himmel, wie da ein Stern fiel und dort wieder einer; oder man barg sein Gesicht im kühlen Gras. [...]


So offenbart sich jugendlicher Sinn für hohe Feste. Wer kommt dabei nicht umhin an Nietzsches Schilderung des Dionysosfestes in der Geburt der Tragödie zu denken? Solch eine Sonnenwendfeier entspricht voll und ganz den Vorstellungen von Festkultur eines Eugen Diederichs. Keiner der Anwesenden kann sich dem berauschenden Treiben entziehen. Ästhetische Darbietungen der Teilnehmenden und die Elemente der Natur bilden eine große Harmonie, in der alles zusammenfließt und überzuschäumen droht bis die Wogen sich wieder glätten und Ruhe und Gelassenheit einkehrt.
Dies war 1911. Drei Jahre später bricht in das gemeinschaftliche Leben der Krieg. Viele Sera-Männer werden frohen Mutes zu den Waffen greifen. Doch von den Schlachtfeldern fern der Heimat wird so mancher nicht wieder heimkehren. Der junge, lebensfrohe Bund wird zerfallen. Heute erinnert uns der Sera-Stein auf dem Hohen Lehden an die Gefallenen und die einstmals so wertvolle Zeit dieser jungen Menschen. Er trägt die Inschrift:

In unsere Spiele brach der Krieg.
Ihr Edelsten seid hingemäht als Opfer. Wem?
Wir wissen’s nicht.
Der Kranz des Fests mit Kränzen nicht des Siegs vertauscht.
Freunde im Grab, Ihr seid Statthalter unseres Todes.
Statthalter Eurer Kraft sind wir im Licht geblieben
und Euer Wille wird in unserm Bauwerk sein.


Literaturhinweise:

Bias-Engels, Siegrid: Zwischen Wandervogel und Wissenschaft. Zur Geschichte von Jugendbewegung und Studentenschaft 1896-1920. Köln: Verlag Wissen und Politik 1988. S. 126-132. (=Ed. AdJB Bd. 4)

Brügmann, Heinrich Gerhard: Karl Brügmann und der Freideutsche Sera-Kreis. Diss. Dortmund 1965.

Hübinger, Gangolf (Hrsg.): Versammlungsort moderner Geister. Der Eugen-Diederichs Verlag – Aufbruch ins Jahrhundert der Extreme. München: Diederichs 1996.

Oschilewski, Walther G.: Eugen Diederichs und sein Werk. Jena: Diederichs 1936.

Ulbricht, Justus U. und Meike G. Werner (Hrsg.): Romantik, Revolution und Reform. Der Eugen Diederichs Verlag im Epochenkontext 1900-1949. Göttingen: Wallstein 1999.