samedi, 14 février 2015
Fabrice Hadjadj: les djihadistes, le 11 janvier et l'Europe du vide
FIGAROVOX/TRIBUNE - L'écrivain et philosophe estime que l'islamisme profite de la faiblesse d'une Europe techno-libérale qui a rejeté ses racines gréco-latines et ses ailes juive et chrétienne.
Fabrice Hadjadj est écrivain et philosophe, directeur de l'Institut européen d'études anthropologiques Philanthropos. Son dernier essai, «Puisque tout est en voie de destruction», a été publié chez Le Passeur Éditeur (avril 2014).
Ce texte est celui d'une intervention donnée par le philosophe en Italie à la Fondation de Gasperi devant les ministres italiens de l'Intérieur et des Affaires étrangères, le président de la communauté juive de Rome, le vice-président des communautés religieuses islamiques de la ville.
Chers Djihadistes -c'est le titre d'une lettre ouverte publiée par Philippe Muray- un de nos plus grands polémistes français- peu après les attentats du 11 septembre 2001. Cette lettre s'achève par une série d'avertissements aux terroristes islamiques, mais ceux qu'elle vise en vérité, par ricochet et par ironie, ce sont les Occidentaux fanatiques du confort et du supermarché. Je vous cite un passage dont vous allez tout de suite capter l'heureuse et cinglante raillerie: «[Chers Djihadistes], craignez la colère du consommateur, du touriste, du vacancier descendant de son camping-car! Vous nous imaginez vautrés dans des plaisirs et des loisirs qui nous ont ramollis? Eh bien nous lutterons comme des lions pour protéger notre ramollissement. […] Nous nous battrons pour tout, pour les mots qui n'ont plus de sens et pour la vie qui va avec.» Et l'on peut ajouter aujourd'hui: nous nous battrons spécialement pour Charlie Hebdo, journal hier moribond, et qui n'avait aucun esprit critique -puisque critiquer, c'est discerner, et que Charlie mettait dans le même sac les djihadistes, les rabbins, les flics, les catholiques, les Français moyens- mais nous en ferons justement l'emblème de la confusion et du néant qui nous animent!
Cette lettre s'achève par une série d'avertissements aux terroristes islamiques, mais ceux qu'elle vise en vérité, par ricochet et par ironie, ce sont les Occidentaux fanatiques du confort et du supermarché.
Voilà à peu près l'état de l'État français. Au lieu de se laisser interpeler par les événements, il en remet une couche, il en profite pour se payer sa bonne conscience, remonter dans les sondages, se ranger du côté des victimes innocentes, de la liberté bafouée, de la moralité outragée, pourvu qu'on ne reconnaisse pas le vide humain d'une politique menée depuis plusieurs décennies, ni l'erreur d'un certain modèle européocentrique selon lequel le monde évoluerait fatalement vers la sécularisation, alors qu'on assiste presque partout ailleurs, et au moins depuis 1979, à un retour du religieux dans la sphère politique. Mais voilà: cette trop bonne conscience et cet aveuglement idéologique sont en train de préparer pour bientôt, sinon la guerre civile, du moins le suicide de l'Europe.
Cette trop bonne conscience et cet aveuglement idéologique sont en train de préparer pour bientôt, sinon la guerre civile, du moins le suicide de l'Europe.
La première chose qu'il faut constater, c'est que les terroristes des récents attentats de Paris sont des Français, qu'ils ont grandi en France et ne sont pas des accidents ni des monstres, mais des produits de l'intégration à la française, de vrais rejetons de la République actuelle, avec toute la révolte que cette descendance peut induire.
En 2009, Amedy Coulibaly, l'auteur des attentats de Montrouge et du supermarché casher de Saint-Mandé, était reçu au palais de l'Élysée par Nicolas Sarkozy avec neuf autres jeunes choisis par leurs employeurs pour témoigner des bienfaits de la formation par alternance: il travaillait alors en contrat de professionnalisation à l'usine Coca-Cola de sa ville natale de Grigny —Les frères Kouachi, orphelins issus de l'immigration, furent recueillis entre 1994 et 2000 dans un Centre d'éducation en Corrèze appartenant à la fondation Claude-Pompidou. Au lendemain de la fusillade au siège de Charlie Hebdo, le chef de ce Centre éducatif marquait sa stupéfaction: «On est tous choqués par l'affaire et parce qu'on connait ces jeunes. On a du mal à s'imaginer que ces gamins qui ont été parfaitement intégrés (ils jouaient au foot dans les clubs locaux) puissent comme ça délibérément tuer. On a du mal à y croire. Durant leur parcours chez nous, ils n'ont jamais posé de problème de comportement. Saïd Kouachi […] était tout à fait prêt à rentrer dans la vie socio-professionnelle.» Ces propos ne sont pas sans rappeler ceux du maire de Lunel -petite ville du Sud de la France- qui s'étonnait que dix jeunes de sa commune soient partis faire le djihad en Syrie, alors qu'il venait de refaire un magnifique skate park au milieu de leur quartier…
Comment leurs espérances de pensée et d'amour ne se sont-elles pas réalisées en voyant tous les progrès en marche, à savoir la crise économique, le mariage gay, la légalisation de l'euthanasie?
Quelle ingratitude! Comment ces jeunes n'ont-ils pas eu l'impression d'avoir accompli leurs aspirations les plus profondes en travaillant pour Coca-Cola, en faisant du skate board, en jouant dans le club de foot local? Comment leur désir d'héroïcité, de contemplation et de liberté ne s'est-il pas senti comblé par l'offre si généreuse de choisir entre deux plats surgelés, de regarder une série américaine ou de s'abstenir aux élections? Comment leurs espérances de pensée et d'amour ne se sont-elles pas réalisées en voyant tous les progrès en marche, à savoir la crise économique, le mariage gay, la légalisation de l'euthanasie? Car c'était précisément le débat qui intéressait le gouvernement français juste avant les attentats: la République était toute tendue vers cette grande conquête humaine, la dernière sans doute, à savoir le droit d'être assisté dans son suicide ou achevé par des bourreaux dont la délicatesse est attestée par leur diplôme en médecine…
Comprenez-moi: les Kouachi, Coulibaly, étaient «parfaitement intégrés», mais intégrés au rien, à la négation de tout élan historique et spirituel, et c'est pourquoi ils ont fini par se soumettre à un islamisme qui n'était pas seulement en réaction à ce vide mais aussi en continuité avec ce vide, avec sa logistique de déracinement mondial, de perte de la transmission familiale, d'amélioration technique des corps pour en faire de super-instruments connectés à un dispositif sans âme…
Les Kouachi, Coulibaly, étaient «parfaitement intégrés», mais intégrés au rien, à la négation de tout élan historique et spirituel, et c'est pourquoi ils ont fini par se soumettre à un islamisme qui n'était pas seulement en réaction à ce vide mais aussi en continuité avec ce vide.
Un jeune ne cherche pas seulement des raisons de vivre, mais aussi, surtout -parce que nous ne pouvons pas vivre toujours- des raisons de donner sa vie. Or y a-t-il encore en Europe des raisons de donner sa vie? La liberté d'expression? Soit! Mais qu'avons-nous donc à exprimer de si important? Quelle Bonne nouvelle avons-nous à annoncer au monde?
Cette question de savoir si l'Europe est encore capable de porter une transcendance qui donne un sens à nos actions -cette question, dis-je, parce qu'elle est la plus spirituelle de toutes, est aussi la plus charnelle. Il ne s'agit pas que de donner sa vie; il s'agit aussi de donner la vie. Curieusement, ou providentiellement, dans son audience du 7 janvier, le jour même des premiers attentats, le pape François citait une homélie d'Oscar Romero montrant le lien entre le martyre et la maternité, entre le fait d'être prêt à donner sa vie et le fait d'être prêt à donner la vie. C'est une évidence incontournable: notre faiblesse spirituelle se répercute sur la démographie; qu'on le veuille ou non, la fécondité biologique est toujours un signe d'espoir vécu (même si cet espoir est désordonné, comme dans le natalisme nationaliste ou impérialiste).
Cette question de savoir si l'Europe est encore capable de porter une transcendance qui donne un sens à nos actions est aussi la plus charnelle.
Si l'on adopte un point de vue complètement darwinien, il faut admettre que le darwinisme n'est pas un avantage sélectif. Croire que l'homme est le résultat mortel d'un bricolage hasardeux de l'évolution ne vous encourage guère à avoir des enfants. Plutôt un chat ou un caniche. Ou peut-être un ou deux petits sapiens sapiens, par inertie, par convention, mais au final moins comme des enfants que comme des joujoux pour exercer votre despotisme et vous distraire de votre angoisse (avant de l'aggraver radicalement). La réussite théorique du darwinisme ne peut donc aboutir qu'à la réussite pratique des fondamentalistes qui nient cette théorie, mais qui, eux, font beaucoup de petits. Une amie islamologue, Annie Laurent, eut pour moi sur ce sujet une parole très éclairante: «L'enfantement est le djihad des femmes.»
Ce qui détermina jadis le Général de Gaulle à octroyer son indépendance à l'Algérie fut précisément la question démographique. Garder l'Algérie française en toute justice, c'était accorder la citoyenneté à tous, mais la démocratie française étant soumise à la loi de la majorité, et donc à la démographie, elle finirait par se soumettre à la loi coranique. De Gaulle confiait le 5 mars 1959 à Alain Peyrefitte: «Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante? Si nous faisions l'intégration, si tous les Arabes et Berbères d'Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées!»
La réussite théorique du darwinisme ne peut donc aboutir qu'à la réussite pratique des fondamentalistes qui nient cette théorie, mais qui, eux, font beaucoup de petits.
Il y a certes une libération de la femme dont nous pouvons être fiers, mais lorsque cette libération aboutit au militantisme contraceptif et abortif, la maternité et la paternité étant désormais conçus comme des charges insupportables pour des individus qui ont oublié qu'ils sont d'abord des fils et des filles, cette libération ne peut que laisser la place, après quelques générations, à la domination en nombre des femmes en burqa, car les femmes en mini-jupes se reproduisent beaucoup moins.
Nous avons beau jeu de protester: «Oh! la burqa! quelles mœurs barbares!» Ces mœurs barbares permettent, par une immigration compensant la dénatalité européenne, de faire tourner notre civilisation du futur -enfin, d'un futur sans postérité…
Au fond, les djihadistes commettent une grave erreur stratégique: en provoquant des réactions indignées, ils ne réussissent qu'à ralentir l'islamisation douce de l'Europe, celle que présente Michel Houellebecq dans son dernier roman (paru aussi le 7 janvier), et qui s'opère du fait de notre double asthénie religieuse et sexuelle. À moins que notre insistance à «ne pas faire d'amalgame», à dire que l'islam n'a rien à voir avec l'islamisme (alors qu'aussi bien le président égyptien Al-Sissi que les frères musulmans nous disent le contraire), et à nous culpabiliser de notre passé colonial -à moins que toute cette confusion nous livre avec encore plus d'obséquiosité vaine au processus en cours.
Au fond, les djihadistes commettent une grave erreur stratégique: en provoquant des réactions indignées, ils ne réussissent qu'à ralentir l'islamisation douce de l'Europe qui s'opère du fait de notre double asthénie religieuse et sexuelle.
Il est en tout cas une vanité que nous devons cesser d'avoir -c'est de croire que les mouvements islamistes sont des mouvements pré-Lumières, barbares comme je le disais plus haut, et qui se modéreront sitôt qu'ils découvriront les splendeurs du consumérisme. En vérité, ce sont des mouvements post-Lumières. Ils savent que les utopies humanistes, qui s'étaient substituées à la foi religieuse, se sont effondrées. En sorte qu'on peut se demander avec raison si l'islam ne serait pas le terme dialectique d'une Europe techno-libérale qui a rejeté ses racines gréco-latines et ses ailes juive et chrétienne: comme cette Europe ne peut pas vivre trop longtemps sans Dieu ni mères, mais comme, en enfant gâtée, elle ne saurait revenir à sa mère l'Église, elle consent finalement à s'adonner à un monothéisme facile, où le rapport à la richesse est dédramatisé, où la morale sexuelle est plus lâche, où la postmodernité hi-tech bâtit des cités radieuses comme celles du Qatar. Dieu + le capitalisme, les houris de harem + les souris d'ordinateur, pourquoi ne serait-ce pas le dernier compromis, la véritable fin de l'histoire?
On peut se demander avec raison si l'islam ne serait pas le terme dialectique d'une Europe techno-libérale qui a rejeté ses racines gréco-latines et ses ailes juive et chrétienne.
Une chose me paraît certaine: ce qu'il y a de bon dans le siècle des Lumières ne saurait plus subsister désormais sans la Lumière des siècles. Mais reconnaîtrons-nous que cette Lumière est celle du Verbe fait chair, du Dieu fait homme, c'est-à-dire d'une divinité qui n'écrase pas l'humain, mais l'assume dans sa liberté et dans sa faiblesse? Telle est la question que je vous pose en dernier lieu: Vous êtes romains, mais avez-vous des raisons fortes pour que Saint-Pierre ne connaisse pas le même sort que Sainte-Sophie? Vous êtes italiens, mais êtes-vous capable de vous battre pour la Divine Comédie, ou bien en aurez-vous honte, parce qu'au chant XXVIII de son Enfer, Dante ose mettre Mahomet dans la neuvième bolge du huitième cercle? Enfin, nous sommes européens, mais sommes-nous fiers de notre drapeau avec ses douze étoiles? Est-ce que nous nous souvenons même du sens de ces douze étoiles, qui renvoient à l'Apocalypse de saint Jean et à la foi de Schuman et De Gasperi? Le temps du confort est fini. Il nous faut répondre, ou nous sommes morts: pour quelle Europe sommes-nous prêts à donner la vie?
00:05 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fabrice hadjadj, djihadisme, islamisme, europe, affaires européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 30 décembre 2014
Fabrice Hadjadj, que fue ateo y nihilista, defiende la familia
Publica sus tesis «ultrasexistas» en «¿Qué es una familia?».
Fabrice Hadjadj, que fue ateo y nihilista, defiende la familia cristiana por «salvaje y anárquica»
por Rodolfo Casadei
Fabrice Hadjadj, que fue ateo y nihilista, defiende la familia cristiana por ser “salvaje, anárquica y prehistórica”. De familia judía de izquierda radical, él era ateo y nihilista… hasta que empezó a leer la Biblia para burlarse de ella… y encontró una gran sabiduría.
Hoy Fabrice Hadjadj expone sus tesis que llama “ultrasexistas” sobre la unión entre hombre y mujer, el sentido divino del nacimiento, el ser padres, madres e hijos, como en esta entrevista en Tempi.it.
El segundo tiempo del Sínodo extraordinario sobre la familia se jugará entre el 4 y el 25 de octubre del año que viene, cuando el argumento será retomado por el Sínodo ordinario con el título “La vocación y la misión de la familia en la Iglesia y en el mundo contemporáneo”.
Y visto como ha ido la primera parte del partido, será mejor entrenarse aún más y prepararse para que cada uno dé la propia contribución al juego de equipo.
Muy útil a este propósito puede revelarse la lectura seria de Qu’est-ce qu’une famille? (¿Qué es una familia?, ndt), el último libro escrito por Fabrice Hadjadj, pensador católico francés y director de la Fundación Anthropos en Lausanne (Suiza).
Autor siempre genial, sorprendente y provocador, como se deduce también esta vez por el subtítulo, que suena así: Suivi de la Transcendance en culottes et autres propos ultra-sexistes, es decir “resultado de la Trascendencia en las bragas y otras propuestas ultrasexistas”.
Para Hadjadj la familia es, a nivel humano, lo que a nivel cósmico es el agua para Tales de Mileto o el aire para Anaximandro: el principio anterior a todo el resto, el fundamento que no puede ser explicado precisamente porque es un fundamento.
Sólo se puede tomar constancia de él, comprobando que lo que le da forma es la diferencia sexual que se manifiesta como atracción entre el hombre y la mujer.
La familia es, ante todo, naturaleza, pero siempre ordenada y bajo la responsabilidad de la cultura.
Porque el nacer, propio de cada forma natural, en los humanos está siempre rodeado de un “hacer nacer”. Y del hacer nacer de la matrona a la mayéutica de Sócrates (no es casualidad que fuera hijo de una matrona), que ayuda a hacer nacer la verdad que está dentro de cada hombre, el paso es breve y necesario.
En el libro, del que se espera en breve una traducción en italiano, Hadjadj individua principalmente tres enemigos de la familia en las sociedades occidentales: las últimas tecnologías electrónicas, la transformación de la procreación en producción ingenieril de seres humanos y las derivas falocéntricas (justamente así) de la mayor parte de los feminismos de hoy.
Tempi lo ha entrevistado sobre estos temas (aquí en italiano).
Rodolfo Casadei – Su libro ha salido en la vigilia del Sínodo de los obispos sobre la familia. ¿Le parece que los trabajos y el documento final del Sínodo reflejan algunas de sus preocupaciones?
Fabrice Hadjadj – El problema de un Sínodo es que tiene que hablar para la Iglesia universal, mientras las situaciones que la familia vive pueden ser muy distintas de un país al otro, incluso radicalmente opuestas.
En lo que a mí concierne, se trata de pensar lo que sucede a la familia en las sociedades post-industriales marcadas por la economía liberal. La Relatio Synodi, en su diagnóstico, se queda satisfecha con evocar una vez más el «individualismo» y el «hedonismo», mientras que los debates se han cristalizado alrededor de la cuestión de los «divorciados vueltos a casar» o sobre la bendición a las personas homosexuales.
De este modo me parece que falta totalmente lo que es, de manera absoluta, propio de nuestra época; es decir, la revolución antropológica que se está llevando a cabo con la transición de la familia a la empresa y del nacimiento a la fabricación – o si se prefiere, de la concepción oscura en el vientre de una madre a la concepción transparente en el espíritu del ingeniero…
La familia ha sido atacada en el plano ideológico desde los inicios del cristianismo. Por ejemplo, por los gnósticos. Pero hoy el ataque es más radical: éste no proviene tanto de la ideología como del dispositivo tecnológico. Ya no es una cuestión de teoría, sino de práctica, de medios eficaces para producir, fuera de las relaciones sexuales, individuos más adecuados, con mejores prestaciones.
RC - Usted opone la mesa de madera, alrededor de la que se reúne la familia, con la tableta electrónica, que separa y aísla a los miembros y su conclusión es que la tecnología ha colapsado la familia y estamos asistiendo a su «destrucción tecnológica». ¿Estamos ante el enemigo más grande de la familia?
FH - ¿Cuál es el lugar dónde se teje el tejido familiar? ¿Cuál es el lugar dónde las generaciones se encuentran, conversan, a veces pelean y, sin embargo, a través del acto muy primitivo de comer juntas, siguen compartiendo y estando en comunión? Tradicionalmente este lugar es la mesa. Sin embargo, hoy es cada vez más frecuente que cada uno de nosotros coma delante de la puerta de la nevera para poder volver lo más rápidamente posible a la propia pantalla individual.
Ya no se trata ni siquiera de individualismo, sino de «dividualismo», porque en esa pantalla uno abre más de una ventana y se divide, se fragmenta, se dispersa, pierde su rostro para convertirse en una multitud de «perfiles», pierde su filiación para tener un «prefijo».
La mesa implica reunirse dentro de una transmisión genealógica y carnal. La tableta implica la disgregación dentro de una diversión tecnológica y desencarnada. Por otra parte, la innovación tecnológica permite que lo que es más reciente sea mejor de lo que es más antiguo y, por lo tanto, destruye el carácter venerable de lo que es antiguo y de la experiencia.
Si la mesa desaparece es también porque el adolescente se convierte en el cabeza de familia: es él quien sabe manejar mejor los últimos artilugios electrónicos y ni el abuelo ni el padre tienen nada que enseñarle.
RC - Usted escribe, de una manera muy provocadora, que si de verdad pensamos que todo lo que necesitan nuestros hijos es amor y educación, entonces no sólo una pareja de personas del mismo sexo puede cubrir esta necesidad, también lo puede hacer un orfanato de calidad. Si lo esencial es el amor y la educación, no está dicho que una familia sea necesariamente el lugar mejor para un niño. Entonces, ¿por qué la familia padre-madre merece ser privilegiada?
FH – Es la cuestión planteada en Un Mundo Feliz de Aldous Huxley: si tenéis un hijo por la vía sexual es sencillamente porque os habéis ido a la cama con una mujer. Esto no ofrece garantías sobre vuestras cualidades reproductivas ni sobre vuestras competencias como educadores. He aquí por qué sería mejor, para el bienestar del nuevo ser creado, ser puesto a punto dentro de una incubadora y educado por especialistas. Esta argumentación es muy fuerte.
Mientras los cristianos sigan definiendo la familia como el lugar de la educación y del amor, ellos no la contradirán, sino que más bien darán armas a sus adversarios para que puedan concluir que dos hombres capaces de afecto y especializados en pedagogía son mucho más adecuados que un padre y una madre. Pero el problema es que sigue siendo el primado de lo tecnológico sobre lo genealógico lo que preside esta idea y nos empuja a sustituir a la madre con la matriz y al padre con el experto.
Detrás de todo esto está el error de buscar el bien del niño y de no considerar ya su ser. Ahora bien, el ser del niño es ser el hijo o la hija de un hombre y de una mujer, a través de la unión sexual. A través de esta unión, el niño llega como una sobreabundancia de amor: no es el producto de un fantasma ni el resultado de un proyecto, sino una persona que surge, singular, inalcanzable, que supera nuestros planes.
En lo que respecta al padre, del simple hecho que ha transmitido la vida recibe una autoridad sin competencia y esto es mucho mejor que cualquier competencia profesional. Porque el padre está allí, sobre todo, para manifestar al niño el hecho de que existir es bueno, mientras que los expertos sin competencia están allí para mostrar que lo bueno es llegar, tener éxito. Y además, su autoridad sin competencia lo empuja a reconocer delante del niño que él no es el Padre absoluto y, por lo tanto, a dirigirse junto a su hijo hacia ese Padre del cual cada paternidad toma su nombre.
RC - Usted cita como la otra causa de la destrucción de la familia el rechazo del nacimiento como nacimiento, es decir, como algo natural e imprevisto. Quien es favorable a la tecnologización del nacimiento dice que es necesario vigilar para que las biotecnologías se utilicen de una manera ventajosa para el niño que debe nacer, pero que a pesar de todo estas técnicas son buenas. ¿Qué les respondería?
FH – Si las biotecnologías se utilizan para acompañar o restaurar una fertilidad natural, soy favorable a las mismas: es el sentido mismo de la medicina. Pero si consisten en hacernos entrar en una producción artificial ya no se trata de medicina, sino de ingeniería. Lo que sucede entonces es que el niño se convierte en un derecho que es reivindicado, dejando de ser un don del cual uno se siente indigno. A partir de esto, ustedes pueden imaginar las influencias que sufrirá.
Pero lo más grave está en otro hecho, en lo que yo llamaría la confusión entre novedad e innovación. Si el nuevo nacido renueva el mundo, es porque él de alguna manera nace prehistórico: no hay diferencias fundamentales entre el bebé italiano de hoy y el del hombre de las cavernas. Sigue siendo un pequeño primitivo, un pequeño salvaje que desembarca en la familia y que trae consigo un inicio absoluto, la promesa renovada de la aurora.
Si en un futuro medimos el nacimiento con el metro de la innovación, si se fabrican principalmente bebés trashumanos, estos serán ancianos antes de nacer porque volverán a proponer la lógica del progreso y, por consiguiente, también de la fatal obsolescencia de los objetos técnicos. Corresponderán a los objetivos de quien los encarga, a las expectativas de su sociedad.
Nos encontramos frente a una inversión de las fórmulas del Credo: se quiere un ser que haya «nacido del siglo antes que todos los padres, creado y no engendrado».
RC - Usted escribe: «Gracias a la tecnología la dominación fálica está asegurada principalmente por mujeres histéricas producto de hombres castrados». ¿Qué quiere decir?
FH – Lo propio de lo femenino, en la maternidad, es acoger dentro de sí un proceso oscuro, el de la vida que se dona por sí misma. Crear úteros artificiales puede parecer una emancipación de la mujer, pero en realidad es una confiscación de los poderes que le son más propios.
Por una parte se consigue que la mujer, al no ser ya madre, se convierta en una empleada o una ama (como si fuera una liberación); por la otra, que el proceso oscuro se convierta en un procedimiento técnico transparente, el de un trabajo externo y controlado, que es a lo que se limita la operación del hombre, que no tiene un útero y fabrica con sus propias manos.
He aquí que nos encontramos frente a la paradoja de la mayor parte de los feminismos: no son más que un machismo de la mujer, una reivindicación de la igualdad pero sobre la escala de valores masculinos, un querer una promoción en pleno acuerdo con la visión fálica del mundo.
Porque la fecundación y la gestación in vitro son cuanto más próximo hay a un dominio fálico de la fecundidad: no necesitar de lo femenino y hacer entrar la procreación en el juego de la fabricación, de la transparencia y de la competición.
Ya he hablado de una inversión del Credo; en este caso podría hablar de una Contra-Anunciación. En la Anunciación evangélica, María acepta un embarazo que la supera dos veces, desde el punto de vista natural y desde el punto de vista sobrenatural. En la Contra-Anunciación tecnológica, la mujer rechaza cualquier embarazo y exige que la procreación sea una planificación integral, que ya no la supere, sino que se introduzca en su proyecto de carrera.
RC – Usted está de acuerdo con Chesterton en que la familia es la «institución anárquica por excelencia». ¿Qué significa? Actualmente, la familia sigue estando acusada de autoritarismo o de residuo de la época del poder patriarcal.
FH – La familia es una institución anárquica en el sentido que es anterior al Estado, al derecho y al mercado. Depende de la naturaleza antes de ser ordenada por la cultura, porque naturalmente el hombre nace de la unión de un hombre y de una mujer. En pocas palabras, tiene su fundamento en nuestra ropa interior. Es algo animal – el macho y la hembra – y al mismo tiempo nosotros creemos que esta animalidad es muy espiritual, de una espiritualidad divina, escrita en la carne: «Dios creó al hombre a su imagen, varón y mujer los creó».
Hay algo que es donado, y no construido. Tanto que también el patriarca, como se ve en la Biblia, está siempre sorprendido y asimismo exasperado por sus hijos. Piensen en la historia de Jacob. Piensen en José, el padre de Jesús. No se puede decir, ciertamente, que tienen la situación bajo control.
La autoridad del padre se transforma en autoritarismo cuando finge tener todo bajo control y ser perfectamente competente. Pero como he dicho antes, su verdadera y más profunda autoridad está en el reconocer que no está a la altura y que está obligado a dirigirse al Padre eterno.
(Traducción de Helena Faccia Serrano, Alcalá de Henares)
Fuente: Religión Digital
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