Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 18 juin 2023

Le moine britannique Pélage et le druidisme

Pelagius.jpg

Le moine britannique Pélage et le druidisme

Source: https://melmothlibros02.blogspot.com/2023/06/la-doctrina-del-monje-y-teologo.html

Au début du 5ème siècle, le moine et théologien britannique Pélage a remis en question la doctrine promulguée par saint Augustin d'Hippone, selon laquelle les êtres humains étaient si incorrigiblement enlisés dans l'iniquité qu'ils étaient incapables de se racheter, sauf par la grâce divine.

Pélage soutenait qu'une telle dépendance ne faisait qu'exonérer les êtres humains de toute responsabilité pour leurs actions, puisque le fait d'être bon ou mauvais dépendait entièrement de l'octroi ou du refus d'une grâce sur laquelle ils n'avaient aucun contrôle.

Pelage.png

Dans ces conditions, la conduite n'a aucune importance, et c'est pourquoi, selon lui, une morale relâchée s'est imposée même au sein de l'Église.

Si Pélage n'aurait guère admis une ligne de pensée proche de celle des druides, il se rapproche de leurs enseignements en ce qui concerne l'idée que l'être humain est responsable de ses actes. Cela nous rappelle la réponse de Cailte à saint Patrick lorsque celui-ci lui demande ce qui le fait vivre : "La vérité qui était dans nos cœurs, la force de nos bras et le contentement de nos langues".

La critique de la doctrine orthodoxe par Pélage témoigne qu'une certaine agitation intellectuelle secouait à l'époque la chrétienté britannique et qu'un désir l'animait pour faire en sorte que ses enseignements reflètent davantage le tempérament national.

51cAU2OeqdL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpg

Un commentateur français et catholique du 20ème siècle, Dom Louis Gougaud, a même qualifié le pélagianisme d'"hérésie nationale des Britanniques". C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles Pélage a trouvé tant de partisans dans son pays d'origine.

Son point de vue représentait un compromis acceptable entre l'ancien et le nouveau credo, et une leçon peut être tirée du succès de Pélage : les enseignements de l'Église ne seront pas acceptés tant qu'ils continueront à s'identifier à certains aspects de la domination romaine. C'est en Écosse et en Irlande que Pélage a connu ses plus grands succès. Dès la seconde moitié du 2ème siècle, Tertullien de Carthage écrivait que "des parties de la Grande-Bretagne inaccessibles aux Romains ont été conquises pour le Christ".

Les missionnaires sont arrivés dans une société où les druides pratiquaient encore. Bien que nous ne sachions pas exactement quels changements avaient eu lieu dans le druidisme à cette époque ni quels pouvoirs avaient été conservés par les responsables de cette caste sacerdotale celtique, il semble que les missionnaires aient fait preuve d'un grand respect à leur égard. Certains missionnaires, même si leur travail était de nature christianisante, ont adopté certaines pratiques druidiques.

Ils les ont probablement imitées en matière vestimentaire. Peut-être aussi dans leur façon de prier, car alors que les orthodoxes priaient à genoux, les mains croisées, les membres de l'Église gallicane ou celto-franque priaient debout, les mains levées, un geste dont Tacite nous dit qu'il était caractéristique des druides de Môn.

Peut-être les missionnaires ont-ils même imité la tonsure druidique. Au 6ème siècle, ce fut une pomme de discorde entre l'Église romaine et l'Église gallicane en Gaule devenue "France". Les moines de la première avaient adopté la tonsure dite "de Saint-Pierre", qui reproduisait la couronne chauve du saint. Les Gallicans, quant à eux, rasaient une bande de cheveux d'une oreille à l'autre, en commençant par le sommet de la tête et en laissant pousser les cheveux à partir de là.

main-qimg-de3e96626160abf4269b15f10311c892-pjlq.jpg

Selon un ancien manuscrit irlandais, les druides se coiffaient de la même manière, en laissant une seule mèche de cheveux sur leur front. Il est intéressant de noter que l'Église catholique a condamné ce type de tonsure, l'appelant la "tonsure de Simon Magus (ou de Simon le Magicien)".

Simon le Magicien a été dénoncé dans les Actes des Apôtres pour avoir tenté de soudoyer Pierre et Jean afin qu'ils révèlent le secret de la transmission du Saint-Esprit par l'imposition des mains. Presque toutes les pratiques présentant des signes de magie ou de chamanisme - pratiques qui pourraient à juste titre être attribuées au druidisme - ont été reliées par l'Église à Simon le Magicien.

Il n'est pas rare que les missionnaires imitent les coutumes des peuples qu'ils souhaitent convertir à leur foi.

Ward Rutherford : LE MYSTÈRE DES DRUIDES

mardi, 26 décembre 2017

Le phare spirituel de l’Europe

athosfacade.jpg

Le phare spirituel de l’Europe

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

« Il est des lieux où souffle l’esprit. Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse. […] Illustres ou inconnus, oubliés ou à naître, de tels lieux nous entraînent, nous font admettre insensiblement un ordre de faits supérieurs à ceux où tourne à l’ordinaire notre vie. Ils nous disposent à connaître un sens de l’existence plus secret que celui qui nous est familier, et, sans rien nous expliquer, ils nous communiquent une interprétation religieuse de notre destinée. Ces influences longuement soutenues produiraient d’elles-mêmes des vies rythmées et vigoureuses, franches et nobles comme des poèmes. Il semble que, chargées d’une mission spéciale, ces terres doivent intervenir, d’une manière irrégulière et selon les circonstances, pour former des êtres supérieurs et favoriser les hautes idées morales. » Ces propos de Maurice Barrès, écrits en 1913 dans La Colline inspirée, concordent parfaitement avec la Sainte-Montagne plus connue sous le nom de Mont Athos.

Point culminant à 2033 m de la plus orientale des péninsules grecques de la Chalcidique, le Mont Athos devient dès la fin du VIIe siècle le lieu de retraite des ermites. L’endroit se couvre bientôt de monastères qui dépendent directement du patriarchat œcuménique de Constantinople. Très tôt, le territoire, dédié à la Vierge Marie, applique l’abaton (un terme grec signifiant « lieu pur ou inaccessible ») : l’accès y est interdit à toute personne de sexe féminin ainsi qu’à tout animal femelle, excepté pour des raisons pratiques les poules et les chattes.

athosdrap.jpg

L’actuelle hystérie féministe voit dans cette interdiction « anachronique » le caractère machiste, discriminatoire et sexiste de la Sainte-Montagne. Dès 2002, une socialiste député grec au Parlement européen avait réclamé de l’assemblée une ferme condamnation. Athènes s’y opposa avec vigueur. En effet, la Grèce garantit les spécificités de ce « Tibet chrétien » reconnues par le traité de Lausanne en 1923 et par les différents traités européens.

Héritier de l’Empire byzantin dont il a gardé l’étendard doré à l’aigle impériale bicéphale, le Mont Athos est un État monastique autonome de 2 250 habitants qui se répartissent entre les vingt monastères d’origine grecque, russe, bulgare, roumaine, serbe, géorgienne et arménienne. Organe délibératif, sa Communauté sacrée réunit les représentants de chaque monastère. Quatre moines choisis pour un an forment la Sainte-Épistasie, l’instance exécutive présidée par un Protos.

Classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1998, le Mont Athos concilie avec une harmonie certaine spiritualité, tradition et écologie. Des éoliennes discrètes et des panneaux solaires fournissent aux monastères leur propre électricité. Tandis que le Mont Saint-Michel croûle sous le tourisme de masse et que le Rocher de Saint-Michel d’Aiguilhe au Puy-en-Velay connaît pour l’instant une fréquentation somme toute supportable, le Mont Athos reste encore ce grand phare spirituel de l’Europe.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 58, diffusée sur Radio-Libertés, le 22 décembre 2017.

samedi, 04 juin 2016

The Geopolitics of Athos

dimanche, 19 juillet 2009

L'église monacale irlando-écossaise, concurrente nord-européenne de Rome

Evangiles_d%27Echternach_enluminiure.jpg

 

L'église monacale irlando-écossaise, concurrente nord-européenne de Rome

 

 

par Johanna BECK

 

Nos contemporains savent, généralement, que le christia­nisme nous est venu du sud, de Rome; et aussi que des moi­nes-missionnaires sont venus d'Irlande à partir de la fin du 6ième siècle. On connait également le nom de quelques-uns de ces moines, comme Patrick, Colomban et Win­frith­-Boniface; de même que le nom de quelques mo­nastè­res, comme celui de Bangor, près de Belfast, d'Iona et de Lin­disfarne sur les côtes occidentales et orientales de l'E­cos­se. En revanche, on sait moins, aujourd'hui, que tout un réseau de petites communautés monastiques irlandaises s'était installé en Europe du Nord et aussi en Europe cen­trale; et on ne sait pas trop comment le christianisme est arrivé en Irlande ni qui l'y a apporté. Ce n'est que depuis quel­ques années que l'on a commencé des recherches sé­rieu­ses, précises et scientifiques pour attester les indices ou les suppositions des archéologues qui nous ont précédés.

 

On admet généralement que c'est Saint Patrick qui a ap­por­té le christianisme en Irlande. Or, lors de son premier sé­jour dans la Verte Eirinn, en 412, il rencontre déjà des chré­­tiens. Dans le plus ancien manuscrit de sa Vita, on trou­­ve cette phrase: «Je ne cherche pas à m'approprier le travail de mes prédécesseurs».

 

Pelagius contre Augustin

 

Vers 400, un jeune érudit irlandais, Pelagius, enseignait et prêchait à Rome. On sait qu'il s'est rendu à Carthage, sans doute pour y rencontrer Augustin, et puis, on perd sa trace. Dans sa théologie, il avait osé contredire le Père de l'E­gli­se, Augustin. Il enseignait que les hommes n'avaient pas tous été corrompus et perdus par la chute d'Adam, qui avait entraîné le péché originel. Pour Pelagius, le péché trouve plutôt son origine dans la volonté humaine, de même que le bien, la bonté. L'homme est donc libre et responsable de suivre ou l'exemple d'Adam ou celui du Christ. La cas de Pe­lagius prouve qu'en Irlande, on se préoccupait intensé­ment de théologie chrétienne et qu'on y avait déjà fondé des écoles où l'on débattait de ces ques­tions. Pelagius était cer­tes un «marginal»; ses attaques contre l'Eglise de Rome ont provoqué la dite «dispute pé­lagienne» qui s'est pour­suivie jusqu'en 529, d'abord avec virulence, ensuite sur un ton atténué. Rome en est sortie victorieuse.

 

Autre indice tendant à prouver que le christianisme avait acquis des formes fixes en Irlande dès la moitié du 4ième siècle: l'œuvre de Saint Ninian. Né vers 360 en Bretagne (= Angleterre actuelle), Saint Ninian passa quelque quinze années à Rome, où il fut sacré évêque. Après un séjour à Tours, sur les rives de la Loire, il retourna dans son pays et fonda le monastère Candida Casa sur la presqu'île bri­tannique de Withorn, juste en face de Belfast en Irlande. Ce monastère se trouvait donc dans une région de l'actuelle Ecosse qui était celtique et picte et se trouvait bien au-delà de la frontière septentrionale du territoire britannique oc­cupé par les Romains. Ninian était fidèle à l'Eglise de Rome. Son monastère, le premier de ce genre dans la ré­gion, exerça une profonde influence sur le pays, comme l'attestent les sources, et aussi sur l'Ouest, c'est-à-dire sur l'Irlande. Mais, réciproquement, la future Angleterre reçut d'Irlande bon nombre d'influences fécondes; la règle des monastères s'y imposa, alors qu'auparavant, elle était in­connue en Angleterre; de même, de nombreuses particulari­tés liturgiques et de règles simples, ayant trait à la vie quo­tidienne. Le monastère Candida Casa devint ainsi une sorte de base irlandaise sur le territoire britannique. On y formait des prêtres et des clercs, qui essaimèrent pendant cent ans et fondèrent d'autres monastères.

 

Un monachisme d'origine égyptienne?

 

Le christianisme s'est répandu en Irlande par l'essaimage de communautés monastiques. Comme le pays est petit, ces communautés furent rapidement connues de tous et les moines n'eurent plus besoin de sillonner le pays pour mis­sionner le peuple. Bientôt, chaque clan avait son monas­tère et les moines accomplissaient toutes les tâches dévo­lues aux hommes d'Eglise. C'est la raison pour laquelle on parle d'une église monacale irlandaise. Reste la question: comment ces moines sont-ils venus en Irlande?

 

Aux débuts du monachisme chrétien, nous trouvons le monachisme égyptien, né vers le milieu du 3ième siècle. Croyant que la fin du monde était proche, que le Jugement de Dieu était imminent, certains chrétiens avaient décidé de vivre une vie ascétique, de fuir le monde, moins par souci du salut personnel que par volonté de servir d'exemple pour la communauté toute entière et la représenter ainsi, pauvre et détachée des biens terrestres, devant Dieu. Ce mona­chis­me présentait, dès ses débuts, deux tendences, le mo­na­chis­me individuel, érémitique, et le monachisme com­mu­nau­taire, soumis à des règles très strictes de vie en commun. Le tout premier monastère, celui de Tabenisi, a été fondé en 320 sur une île du Nil. De là, sans cesse, des équipes de sept moines partaient pour fonder ailleurs une nouvelle communauté monastique. Cette conception du monachis­me est arrivée en Occident à la fin du 4ième siècle; elle a aussitôt été combattue avec vigueur, ce qui l'a obligée à subir de multiples transformations.

 

Rôle primordial de l'Abbé

 

Curieusement, le monachisme irlandais présente des carac­téristiques, perdues ailleurs en Occident, au cours de la trans­formation/altération des règles égyptiennes-orientales dans l'orbite romaine-occidentale. Seulement en Irlande, l'Abbé détient la plus haute dignité: les évêques consacrés lui sont subordonnés. Ensuite, dans l'art des enluminures, apanage des monastères irlandais, nous retrouvons des mo­tifs issus du monachisme égyptien, des scènes de la vie de Saint Antoine, qui distribue ses biens et s'en va dans le dé­sert pour mener une vie d'ermite, des éléments décoratifs typiquement coptes, comme les paupières des personnages peintes en noir ou des manières coptes de lire les textes bibliques. L'Evangile de Jean joue en Irlande un rôle im­portant, comme en Orient, tandis qu'à l'Ouest, les Evan­gi­les synoptiques sont mis à l'avant-plan. Quand on examine les légendes, on découvre le récit de sept moines égyptiens qui fondent un monastère, puis périssent mar­tyrs, ce qui expliquent qu'on les ait représentés sur le socle d'une haute croix.

 

Tous ces éléments, ajoutés à d'autres encore, nous permet­tent d'avancer l'hypothèse d'une christianisation de l'Irlande et d'une constitution d'une église monacale irlandaise par des moines venus d'Orient, qui auraient contourné le con­tinent. Ces moines seraient arrivés directement par mer, en empruntant des navires marchands, venus en Irlande pour y chercher de l'or, du cuivre ou de l'étain.

 

Le monachisme irlandais, une christianisation du druidisme?

 

Ce qui étonne, c'est que cette christianisation de l'Irlande n'a pas coûté de martyrs. Sans résistance, les Irlandais pas­saient au christianisme ou restaient païens. Les prêtres cel­tiques, c'est-à-dire les druides, les grands sages, se conver­tissaient, ce qui est en somme bien compréhensible, puis­qu'ils auraient été une secte, venue, elle aussi, d'Orient. Les Druides connaissaient aussi la coutume de quitter leur communauté initiale à sept pour aller officier en un autre lieu sacré. En passant au christianisme mona­cal oriental, les Irlandais ne devaient pas abjurer leurs dieux et leurs déesses celtiques ni abandonner leurs cou­tumes: il leur suf­fisait de les intégrer. Divinités et cou­tumes celtiques ont été assimilées à des coutumes ou des saints chrétiens; dans leurs prophéties et leurs visions, les Druides les plus éle­vés dans la hiérarchie, comparent leurs lieux sacrés (bos­quets, bois, sources, etc.) à ceux de la Terre Sainte, com­me si la religiosité celtique avait précédé la religiosité chrétienne!

 

Cette tolérance a fait que pendant plusieurs siècles, les moi­nes ont recopié, dans les monastères irlandais, les vieux mythes et les anciennes légendes celtiques. C'est ain­si que nous avons pu les conserver. Il est également in­téressant de noter que la coiffure des druides  —l'avant du crâ­ne rasé et l'arrière de la chevelure longue et pendante—  a été adoptée par les moines irlandais.

 

Saint Patrick, personnage moins important qu'on ne l'a cru?

 

L'église monacale irlandaise s'est développée très vite et Ro­me n'a pas pu s'y opposer. Raison pour laquelle, plus tard, elle a monté en épingle la personnalité de Saint Patrick et lui a attribué la christianisation de l'Irlande. De Saint Patrick, nous savons qu'il est né en 390 en Bretagne romaine et que, pendant ses jeunes années, il a été enlevé par des pirates et amené en Irlande. C'est à cette époque qu'il semble s'être tourné vers le christianisme. Il s'enfuit ensuite en Gaule, poursuit sans doute son voyage vers l'Italie, où il reçoit sa formation de prêtre. En 432, il dé­barque en Irlande, plus précisément en Ulster, dans le Nord-Est de l'île. Dans cette région, se trouve la colline de Tara, où l'ensemble des clans celtiques avait coutume de se rassembler. Patrick entame sa mission au nom de l'église de Rome, mais, apparemment, sans succès. Il n'aurait réussi qu'à se gagner les faveurs du Grand Roi d'Armagh, car dans le livre d'Armagh, nous trouvons sa Vita. Au­tre­ment, rien ne rappelle son souvenir. Il n'a pas réussi à fon­der de monastère ni de communauté chrétienne. Et il n'a pas eu de successeur. Dans sa Vita, on raconte qu'il a éten­du le christianisme «jusqu'à la limite au-delà de la­quelle plus aucun homme ne vit». Selon toute vraisem­blance, ce­la ne peut concerner que l'île d'Eirinn (Hibernia). Patrick meurt en 462.

 

Brendan en Amérique?

 

Dans un écrit du 8ième siècle, le Catalogus Sanctorum Hiberniae, dans lequel on trouve beaucoup de détails con­cernant l'église monacale irlandaise, on parle des monas­tères et de leurs fondateurs. L'Ile était recouverte de monas­tères, dont beaucoup étaient des écoles de haute spiritua­lité. En concordance avec la culture celtique-chrétienne, ce serait Sainte Brigit qui aurait fondé le célèbre monastère féminin de Kildare au 5ième siècle. A proximité, se trou­vait un monastère masculin; elle les dirigeaient tous les deux en tant qu'Abbesse vers 500. Au même moment, Saint Brendan fonde Clonfert. Celui-ci nous a laissé le ré­cit d'un long voyage sur l'océan, que l'on avait toujours pris pour de la pure fantaisie, jusqu'au moment où l'on s'est aperçu qu'il contenait des observations et des descrip­tions très précises en matières de navigation et de géogra­phie. Cette précision atteste que des moines irlandais, sans doute à la recherche du pays des Bienheureux, ont sans doute atteint l'Amérique, en passant par l'Islande et le Groenland.

 

Puisque la christianisation de l'Irlande a été le fait de moi­nes qui s'y sont fixés en communautés monastiques, les chré­tiens qui habitaient les villages environnants appar­tenaient également au monastère. Dans les villes seule­ment, on devait célébrer des offices ailleurs que dans les monastères. Selon les vieilles règles coutumières et cla­niques des Celtes, l'Abbé ou l'Abbesse était propriétaire des terres et de la fortune du monastère. Or le territoire couvert par un monastère pouvait souvent avoir la taille d'une principauté. C'était les chefs de tribus qui confiaient leurs terres ou une partie de leurs terres aux moines. Rai­son pour laquelle ils réclamaient pour eux-mêmes la di­gni­té d'Abbé, et la transmettaient de génération en géné­ration. Les moines devaient obéissance à leur Abbé ou à leur Ab­besse, comme les simples membres d'un clan à leur chef. 

 

La configuration des monatères variait selon son impor­tance ou selon la région où il se trouvait. Au centre du com­plexe architectural, il y avait toujours le bâtiment où l'on célébrait les offices religieux. Autour de celui-ci se re­groupaient sans ordre précis les cellules monacales et les habitations. Parfois, toute la petite agglomération est en­tourée d'une palissade ou d'un mur de protection. Généra­le­ment, il y a également une tour, pourvue de cloches. Les bâ­timents sont en bois ou en torchis (branchages recou­verts de terre séchée). Le cimetière est hors les murs et tou­jours entouré d'une palissade ou d'un mur. Le chemin qui y mène est entouré de croix de bois ou de pierre.

 

On entre au monastère entre l'âge de quinze et dix-sept ans. On y passe d'abord trois années de probation. Les moines pren­nent en charge l'éducation et l'enseignement. L'idéal ascétique des moines égyptiens ne s'est pas imposé d'em­blée. Le célibat, par exemple, ne s'est imposé qu'après de lon­gues disputes vers la fin du 7ième siècle. A partir de cet­te époque, les contraventions aux règles monacales sont punies de lourdes peines; dans les locaux du monastère, les moines doivent garder le silence absolu.

 

Le pain est la nourriture principale. L'eau, la seule boisson tolérée. Ce n'est qu'après de longues décennies de querelles que des règles nouvelles acceptent la bière et, plus rare­ment, le vin. Pendant les périodes de jeûne, la nourriture est encore plus chiche. Mais, en contrepartie, les moines, y compris leur Abbé, doivent être autonomes et produire eux-mêmes leur nourriture. Les moines doivent donc tra­vailler la terre et élever du bétail, filer et tisser, confec­tionner leurs vêtements, fabriquer des meubles et des ou­tils. On ne sait pas grand'chose des règles du culte à cette époque, sauf que le jeudi saint, les moines se lavaient mu­tuellement les pieds et qu'au jour de Pâques, on pratiquait le vieux rite de bouter le feu au «bûcher pascal». Enfin, comme chaque tribu ou clan avait son propre monastère, chaque monastère avait ses propres coutumes et ses pro­pres fêtes religieuses.

 

Textes antiques et légendes celtiques

 

Le travail intellectuel qui s'effectuait dans les monastères ir­lan­dais, consistait à approfondir les éléments de la foi chrétienne mais aussi et surtout à transmettre le savoir de l'antiquité classique, sur base des manuscrits disponibles, ainsi qu'à transcirre l'héritage oral des Celtes. Dans les en­luminures, qui sont parmi les plus belles du monde, nous retrouvons des symboles de la vieille Irlande celtique et de l'Orient. Dans les arts plastiques, ces symboles sont éga­lement très présents (Croix; grandes croix irlandaises ou celtiques). Le latin est langue d'église, de science et d'écri­ture; la langue quotidienne celtique, elle, n'a jamais été éra­diquée.

 

Columcille et Iona

 

L'expansion vers l'Est de l'église monacale celtique-irlan­daise a commencé à partir d'Iona en Ecosse. Ce monastère a­vait été fondé par Columcille, que l'on appelle aussi Colomban l'Ancien. Columcille descendait d'une famille illustre; il est né en 521 et, dès l'âge de quinze ans, reçoit une formation dans plusieurs monastères. Les chroniques le décrivent comme un homme de haute stature, de grande intelligence, animé par un fougueux enthousiasme pour sa foi, comme un excellent poète et un bon copiste de textes anciens. Vers l'âge de trente ans, il quitte son monastère avec sept compagnons pour fonder de nouveaux monas­tères en Irlande. Là-bas, il eut une idée audacieuse qu'il mit aussitôt en pratique: en 563, il traverse la mer en direction de l'île de Hy (hy = île), située en face de la grande île de Mull sur la côte occidentale de l'Ecosse. Pour Columcille, Hy était la porte vers la Bretagne ex-romaine et le Con­ti­nent, tout en étant suffisamment isolée pour pouvoir y servir Dieu dans la paix et la sérénité. Dans d'autres chro­ni­ques, on apprend qu'il aurait été mêlé à un bain de sang, per­pétré par un roi irlandais, et que c'est la raison prin­cipale de sa fuite.

 

Imitation de Saint Antoine

 

Pour comprendre cette attitude, il faut savoir que l'une des caractéristiques essentielles du monachisme irlandais est de suivre l'exemple de Saint Antoine, qui consiste à partir dans le désert, s'éloigner de sa patrie, de tout ce que l'on aime et de tout ce qui est familier, pour expier ses péchés et pour ne plus se consacrer qu'à Dieu; mais aussi, dans la foulée, à convaincre d'autres personnes d'imiter cet exem­ple et de mener une vie de sainteté. Dans ce sens, les moi­nes doués étaient sollicités par deux appels contradic­toires: partir vers un pays lointain mais demeurer à l'abri du mon­de, sur une île par exemple, et d'y fonder un mo­nastère tout en militant pour la conversion des autres. Derrière cet­te pratique religieuse, nous retrouvons l'antique coutume d'ex­clure les malfaiteurs ou ceux qui ont, par leurs actes ou par leurs omissions, jeté le discrédit sur la communauté ou entaché son honneur; les «bannis» sont ainsi envoyés vers des contrées inhabitées. Columcille, bien sûr, n'était pas un malfaiteur, car son départ n'a pas été secret et s'est fait avec l'appui de sa communauté. Mais il se sentait cou­pa­ble. A l'île qu'il s'est choisie, il donne le nom d'Iona, mot hébreu signifiant la colombe. Son nom «Columcille» si­gnifie en langue celtique «colombe de l'Eglise»; ce n'est pas son nom d'origine, mais celui qu'il a acquis et légué à la postérité.

 

Columcille et ses moines ont rendu l'île fertile et habi­table; ils y ont construit une église en bois; puis des bâ­teaux avec l'aide d'habitants du pays. Les moines assurent par la suite l'éducation des enfants et prodiguent des soins aux malades. L'île, désormais habitable, attire des colons. La vie du monastère s'épanouit. Mot d'ordre: le travail est prière et la prière est travail. Les missionnaires issus d'Io­na partent chez les Pictes, qui ne connaissaient encore rien du christianisme, puis vers les Orkneys et les Shetlands, vers l'Islande. En 583, Columcille couronne le premier roi des tribus pictes unifiées. Iona hérite du savoir de la «Can­dida Casa» de Withorn et devient de la sorte le berceau de la chrétienté écossaise. Raison pour laquelle on parle d'«é­gli­se monacale» irlando-écossaise. Quand Columcille meurt en 597, après 34 années de travail, des monastères ont été fondés dans le sud de l'Angleterre; sa réputation a atteint les Francs de Gaule, les Wisigoths d'Espagne et les Lombards.

 

Destruction et reconstruction d'Iona

 

Après la mort de Columcille, son œuvre est poursuivie par des moines issus d'Irlande, jusqu'en 806 où l'île est atta­quée par les Vikings qui détruisent le monastère. L'île sa­crée devient alors une île des morts: en souvenir de son importance capitale, le premier roi du Royaume-Uni des Pictes d'Ecosse s'y fait inhumer en 860. Par la suite, Iona, pendant plus de 200 ans, devient le cimetière des rois de cette contrée septentrionale d'Europe. Dans ce cimetière ro­yal, le Reilig Odhrain, nous trouvons les tombes de 48 rois écossais, 4 rois irlandais et 8 rois norvégiens; parmi eux: Duncan et son meurtrier Macbeth. Quand, au début du XIIIième siècle, s'établissent à Iona une abbaye bénédictine et un couvent de pères augustins, c'en est fini de la tradi­tion irlandaise. Mais en 1938, quelque 150 hommes et fem­mes fondent la Iona Community sous l'égide du prêtre-ouvrier Macleod de Glasgow, qui, grâce à des dons, a en­trepris de reconstruire l'Abbaye de Columcille.

 

Johanna BECK.

(texte issu de Mensch und Maß, 27ième année, n°4 [23.2.1987]; adresse: Ammerseestr. 2, D-8121 Pähl).