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lundi, 26 septembre 2016

Logique des révolutions

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Logique des révolutions

À propos de : Hamit Bozarslan et Gaëlle Demelemestre, Qu’est-ce qu’une révolution ? Amérique, France, Monde Arabe, 1763-2015, Éditions du Cerf.


Ex: http://www.laviedesidees.fr
 

Avec les « Printemps arabes », la question du fait révolutionnaire s’est vue posée à nouveaux frais. Suivant une démarche comparatiste, H. Bozarslan et G. Delemestre analysent le lien entre révolution et processus démocratiques, et reviennent sur le rôle des intellectuels dans la dynamique révolutionnaire.

revolutionslivre.jpgRecensé : Hamit Bozarslan et Gaëlle Demelemestre, Qu’est-ce qu’une révolution ? Amérique, France, Monde Arabe, 1763-2015, Paris, Éditions du Cerf, 2016, 400 p., 29€.

Depuis l’hiver 2010-2011, les soulèvements de populations dans différents pays arabes ont fait couler beaucoup d’encre. Les innombrables travaux sur le sujet ont cherché à comprendre les causes et les circonstances locales des révoltes arabes. Mais ces soulèvements ont surtout montré le besoin de repenser le fait révolutionnaire. Car, en faisant revenir « l’âge des révolutions » sur le devant de l’Histoire, « le Printemps arabe » a remis en cause les anciennes grilles d’analyse. Redéfinir le fait révolutionnaire et créer de nouveaux outils d’analyse à l’aune des soulèvements arabes est justement l’ambition de Qu’est ce qu’une révolution ? de Hamit Bozarslan et Gaëlle Demelemestre.

Dans cet ouvrage, les auteurs poursuivent la réflexion sur les révolutions arabes dans la démarche comparatiste initiée en 2011 par H. Bozarslan et al. dans Passions révolutionnaires [1]. Rédigé pendant le « Printemps » tunisien, ce livre comparait les crises révolutionnaires ayant éclaté au Moyen-Orient au cours du XXe siècle avec d’autres révolutions non occidentales. Pour sa part, Qu’est-ce qu’une révolution ? met les récentes révolutions arabes en parallèle avec les deux références historiques classiques en matière de contestation que sont les révolutions américaine et française. Ce faisant, l’ouvrage explore le rapport entre l’attente d’un changement révolutionnaire et l’idée de démocratie. Cette approche novatrice redonne toute leur place aux revendications démocratiques exprimées au commencement des soulèvements arabes, rappelant les dilemmes qu’ont dû affronter, en leur temps, les révolutionnaires américains et français.

Le concept de « révolution », entre slogan et catégorie scientifique

La première chose que les révoltes arabes ont remise en cause, c’est le terme de « révolution » même. A la fois rigide et polysémique, il ne permettait pas de rendre compte des différentes évolutions des « Printemps arabes ». Le retour des régimes liberticides, l’éclatement de guerres civiles et l’abandon des revendications démocratiques par une grande partie des populations qui ont suivi les contestations étaient loin de correspondre à l’image normative des révolutions [2]. Les nombreuses controverses qui ont accompagné l’usage du terme de « révolution » pour parler des soulèvements arabes illustrent bien la difficulté d’utiliser ce concept, qui fonctionne à la fois comme un slogan, destiné à agir sur la réalité pour la changer, et un terme théorique servant à décrire cette réalité en changement.

La première partie de l’ouvrage d’H. Bozarslan et G. Demelemestre vise à répondre à ces questions afin d’analyser les révolutions au-delà de telles controverses. Ils constatent que les chercheurs sont confrontés à une double exigence. D’une part, ils ont besoin d’« objectiver » la révolution, c’est-à-dire d’essayer de sortir du discours axiologique qui se tient sur elle, afin de la comparer à d’autres mouvements du même type. D’autre part, il leur faut comprendre que cette objectivation peut contredire les dénominations utilisées par les acteurs pour définir leurs expériences. Car, « désigner une expérience (…) comme une révolution, n’est pas un acte neutre : c’est monopoliser le droit de classer et de déclasser ». En effet, « la prétention même d’être une révolution produit des effets de nature révolutionnaire sur une société que le chercheur ne peut négliger » (p. 45-46).

La difficulté d’appréhender une révolution tient également à l’emprise de discours qu’elle engendre sur elle-même, sa propre « philosophie de l’histoire » faisant de la révolution une nécessité historique qui ne pouvait qu’advenir. Vécue comme une lutte eschatologique entre le Bien et le Mal, elle exige du chercheur qu’il se positionne pour ou contre elle. Si cette philosophie de l’histoire empêche d’aborder une révolution d’une manière historique et sociologique, il est également contre-productif de l’écarter de l’analyse. Car, vécue dans la chair de ses acteurs, elle exerce des effets transformateurs sur la société. Dès lors, le chercheur « est obligé de se dédoubler », en adoptant une posture sans « fétichisme, ni rejet » vis-à-vis de la révolution (p. 24-25). De multiples lectures du fait révolutionnaire sont donc proposées : il est analysé à la fois comme une attente, un principe de changement, une rupture historique, un événement universel ancré dans le particulier, et le processus d’institutionnalisation d’un nouvel ordre politique. Ce choix d’une pluralité de lectures est permis par la variation des échelles de temporalité dans lesquelles s’inscrit un fait révolutionnaire. Il est à la fois l’événement, souvent court et dense, qui aboutit au renversement de l’ancien régime ; le processus, souvent laborieux, de négociation d’un nouvel ordre institutionnel ; et une construction historiographique permettant d’insérer une révolution dans une histoire longue (p. 29). Chaque partie de l’ouvrage est, par conséquent, consacrée à une révolution différente traitée sous un aspect particulier.

revolution(1).jpgDeux « passions », révolution et démocratie

Le fil conducteur de l’ouvrage est l’exploration du rapport entre faits révolutionnaires et attentes démocratiques. Sans établir un lien de causalité entre ces deux « passions » – un lien démenti par nombre de révolutions ayant débouché sur des régimes autoritaires comme en Russie, Chine ou Iran – le livre explore les conditions historiques dans lesquelles ces deux éléments se sont juxtaposés. Très riches et informatives, les parties 2 et 3, rédigées par la philosophe Gaëlle Demelemestre, suivent les débats qui ont accompagné la construction d’un ordre démocratique en Amérique et en France. À travers une comparaison entre les deux mouvements révolutionnaires, l’auteure explique pourquoi ils ont débouché sur différentes façons de concilier pouvoir et libertés individuelles. Les conditions politiques dans lesquelles surviennent les deux révolutions jouent un rôle crucial dans cette différence. Aux États-Unis, la constitution d’une strate sociale active a précédé la création de l’État, permettant d’élever la liberté d’entreprendre au-dessus de tout. En revanche, en France, le legs de la société hiérarchisée était trop important pour permettre à une frange importante de la population d’influer sur les décisions politiques. En suivant une lecture tocquevillienne de la Révolution française, attentive aux continuités entre le nouvel ordre et l’Ancien Régime, l’auteure suggère que cette conjoncture initiale a amené les révolutionnaires français à reprendre la forme unitaire de la souveraineté conçue sous la monarchie. La force de cette analyse est de montrer que c’est par la confrontation à des dilemmes concrets que les révolutionnaires sont parvenus à des solutions politiques. Les idées ne flottent pas dans l’air : elles sont ancrées dans les luttes politiques concrètes que connurent ces deux révolutions.

Ces luttes, toutefois, n’empruntent pas toujours le langage démocratique. Dans le monde arabe, discuté par H. Bozarslan dans la partie 4, l’association entre idée du changement révolutionnaire et attente démocratique a longtemps été l’exception plutôt que la règle. Au cours de l’histoire du Moyen-Orient, pourtant riche en contestations, les révolutions passées justifiaient souvent l’autoritarisme comme formule politique, car il était impensable qu’une société pluraliste et conflictuelle puisse servir de base à l’accomplissement des grands desseins d’indépendance et de développement. De nombreux coups d’État militaires ont secoué les pays arabes, notamment l’Égypte, l’Irak, la Syrie ou la Lybie entre 1952 et 1969. Ils étaient généralement présentés ou vécus comme de véritables révolutions, même après avoir accouché de régimes autoritaires et liberticides. La nature plurielle et conflictuelle des sociétés était perçue comme une menace contre l’unité de la nation, unité indispensable dans la lutte contre les « ennemis » extérieurs aussi bien qu’intérieurs. Ce n’est qu’au tournant des années 2010 que les attentes démocratiques se sont mêlées à l’idée de changement radical, grâce notamment aux nouveaux médias et à l’émergence des sociétés civiles (p. 306). Toutefois, la tension entre deux conceptions antagonistes de la société n’a pas disparu. D’une part, il y a l’idée d’une société organique, vue comme un seul corps allant dans la même direction. D’autre part, la société est perçue comme un magma d’intérêts divers et divergents rendant le compromis et la négociation indispensables. C’est la première conception qui domine aujourd’hui en Égypte où la police, l’armée et d’autres institutions répressives ont pu légitimer leur pouvoir par la demande de sécurité formulée par une grande partie de la société. Cette lecture sociologique fine des processus post-révolutionnaires dans les pays arabes permet de comprendre les facteurs qui ont empêché la démocratisation de l’ordre politique, tels que l’étouffement des protestations publiques et la résilience institutionnelle de l’ancien régime.

Le rôle des idées et des intellectuels

En s’interrogeant sur le rapport entre révolution et démocratie, cet ouvrage s’inscrit dans une réflexion sur le rôle des idées dans une contestation révolutionnaire. Il fait écho, sans s’y référer explicitement, au fameux débat qui a opposé dans les années 1980 T. Skocpol et W. Sewell sur le rôle des Lumières dans le déclenchement de la Révolution française [3]. H. Bozarslan suggère, pour sa part, que « les idées ne font pas la révolution », mais qu’elles sont intériorisées par les acteurs et deviennent alors « attente », « conviction partagée que l’ordre établi n’est pas juste » (p. 58-59).

Ce rôle des idées justifie l’attention portée, dans l’ouvrage, aux intellectuels arabes, qui seraient, selon l’auteur, en partie responsables de l’échec de la démocratisation des sociétés arabes. Contrairement aux intellectuels nord-américains et français, les penseurs arabes n’ont pas élaboré de notions novatrices de citoyenneté permettant à leurs sociétés d’adopter des modèles institutionnels inédits (p. 307). Ni les sciences sociales, qui se sont désintéressées des questions de pouvoir, de citoyenneté et de représentation politique, ni les intellectuels « essayistes », repliés sur la problématique de « la condition arabo-musulmane », n’ont pu remplir une fonction politique semblable à celle des théoriciens révolutionnaires du XVIIIe siècle. Cette carence théorique est selon H. Bozarslan la raison de la différence de fond entre les révolutions arabes et les révolutions américaine et française. Quand ces dernières visaient à transformer la cité, à travers la reconfiguration des rapports entre l’individu, la collectivité et le pouvoir, les révolutions arabes se sont elles limitées à la volonté d’intégrer « la cité bourgeoise » dont le modèle existait déjà ailleurs. Les contraintes idéologiques pesant sur les intellectuels, telles la culture politique arabe, imprégnée de l’idée néo-platonicienne du « roi-philosophe », ou l’emprise de la Raison théologique et de l’imaginaire de la Nation, interdisaient d’accepter le principe d’une société divisée et conflictuelle.

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Le rôle des intellectuels dans les révolutions arabes ayant très peu été exploré jusqu’ici, cette analyse offre une contribution particulièrement bienvenue. Toutefois, en n’abordant les intellectuels que sous l’angle des idées qu’ils produisent, elle empêche de saisir les logiques sociales susceptibles d’expliquer l’ambivalence de leurs positionnements face aux insurrections. Étudier ces positionnements dans leur contexte aurait aidé à mieux comprendre pourquoi les intellectuels arabes n’ont pu élaborer qu’une vision restreinte du changement politique, et sont rapidement retombés dans la logique moubarakienne de la polarisation autour de la question islamiste. On observe, en outre, un certain décalage dans le traitement du rôle des idées dans les parties du livre respectivement consacrées aux révolutions américaine et française, et aux soulèvements arabes. Alors que les passages portant sur les premières montrent comment les conceptions théoriques s’élaborent au cours de luttes concrètes, la partie qui analyse les seconds se concentre sur le contexte intellectuel détaché des affrontements politiques, adoptant une approche quelque peu désincarnée des idées. Or, le rapprochement entre les trois cas de révolutions aurait pu être plus poussé, si l’ouvrage avait intégré les débats très intenses qui ont accompagné le processus révolutionnaire en Égypte, par exemple sur le sens de la démocratie (« la démocratie des urnes » vs. « la démocratie de la rue »), ou sur la signification de « la citoyenneté » et de « l’état civil » [4].

En dépit de ces quelques réserves, Qu’est-ce qu’une révolution ? offre une réflexion novatrice et nuancée sur les processus de démocratisation en contextes révolutionnaires. Cet ouvrage donne une vision globale des mouvements révolutionnaires et permet de mieux comprendre leur ancrage dans la philosophie politique.

Pour citer cet article :

Giedre Sabaseviciute, « Logique des révolutions », La Vie des idées , 9 septembre 2016. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Logique-des-revolutions.html

La CIA, l’Arabie saoudite et l’histoire inavouable d’al-Qaïda

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La CIA, l’Arabie saoudite et l’histoire inavouable d’al-Qaïda

 
Ex: http://maximechaix.info
 
Quinze ans après le 11-Septembre, alors que le Congrès vient d’autoriser les citoyens américains à poursuivre l’Arabie saoudite pour son rôle présumé dans ces attentats, la « guerre contre le terrorisme » lancée peu après l’effondrement des Tours jumelles ne trouve pas de conclusion. Dans ce contexte, un nombre croissant d’experts désignent le militarisme occidental dans le « Grand Moyen-Orient » comme un facteur majeur d’amplification de la menace terroriste. Or, une attention bien moindre a été accordée aux politiques clandestines de la CIA, des services secrets saoudiens et de leurs alliés, qui sont pourtant à l’origine de ce fléau. En effet, tout observateur avisé est au courant du rôle central de ces agences dans la création et l’essor d’al-Qaïda, depuis la campagne antisoviétique des années 1980 en Afghanistan jusqu’au soutien des groupes armés qui tentent de renverser Bachar el-Assad en Syrie. Plongée dans une période trouble et mécomprise de l’histoire récente des services spéciaux américains et de leurs principaux partenaires.

Après le scandale du Watergate, le Congrès impose à la CIA de sévères restrictions légales et budgétaires. En réponse, des officiers de l’Agence créent un réseau alternatif appelé le Safari Club, du nom d’une luxueuse résidence de vacances au Kenya où ses membres se réunissent. Comme l’a expliqué l’ancien diplomate canadien Peter Dale Scott dans son dernier ouvrage, L’État profond américain, « durant les années 1970, d’importants officiers actifs ou retraités de la CIA (…) étaient mécontents des réductions budgétaires menées sous le Président Carter par Stansfield Turner, le directeur de l’Agence. En réponse, ils organisèrent un réseau alternatif que l’on appelle le Safari Club. Supervisé par les directeurs des services secrets français, égyptiens, saoudiens, marocains et iraniens (alors sujets du Shah), le Safari Club était secondé à Washington par un “réseau privé de renseignement”, selon Joseph Trento. Ce réseau regroupait alors des officiers de l’Agence tels que Theodore Shackley et Thomas Clines, qui avaient été marginalisés ou renvoyés par le directeur de la CIA Stansfield Turner. Comme le prince [et ancien chef des services secrets saoudiens] Turki ben Fayçal l’expliquera plus tard, l’objectif du Safari Club n’était pas seulement l’échange de renseignements, mais également la conduite d’opérations clandestines que la CIA ne pouvait plus mener directement en raison du scandale du Watergate et des réformes qui s’ensuivirent. » Ainsi fut mise en place une sorte de « deuxième CIA » hostile au Président Carter, mais favorable à celui qui allait lui succéder, l’ancien gouverneur Ronald Reagan – un farouche opposant à l’apaisement entre les États-Unis et l’URSS.

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Années 1980 : la BCCI, la « deuxième CIA » et la création de la future al-Qaïda

À cette époque, le Safari Club a besoin d’un réseau de banques pour financer ses opérations anticommunistes. Avec la bénédiction du directeur de la CIA George Bush sénior, le chef des services secrets saoudiens Kamal Adham transforme la banque BCCI en une véritable blanchisserie internationale d’argent sale. Toujours selon Peter Dale Scott, « dans les années 1980, le directeur de la CIA William Casey prit des décisions cruciales dans la conduite de la guerre secrète en Afghanistan. Toutefois, celles-ci furent élaborées hors du cadre bureaucratique de l’Agence, ayant été préparées avec les directeurs des services de renseignement saoudiens – d’abord Kamal Adham puis le prince Turki ben Fayçal. Parmi ces décisions, nous pouvons citer la création d’une légion étrangère chargée d’aider les moudjahidines afghans à combattre les Soviétiques. En clair, il s’agit de la mise en place d’un réseau de soutien opérationnel connu sous le nom d’al-Qaïda depuis la fin de cette guerre entre l’URSS et l’Afghanistan. Casey mit au point les détails de ce plan avec les deux chefs des services secrets saoudiens, ainsi qu’avec le directeur de la Bank of Credit and Commerce International (BCCI), la banque pakistano-saoudienne dont Kamal Adham et Turki ben Fayçal étaient tous deux actionnaires. Ce faisant, Casey dirigeait alors une deuxième Agence, ou une CIA hors canaux, construisant avec les Saoudiens la future al-Qaïda au Pakistan, alors que la hiérarchie officielle de l’Agence à Langley “pensait que c’était imprudent”. »

Massivement cofinancée par les pétrodollars des Saoud – dont ceux puisés dans les caisses noires des contrats d’armements gérées par leur ambassadeur à Washington, le prince Bandar ben Sultan –, l’opération de soutien au jihad afghan débouchera sur le renforcement des seigneurs de guerre extrémistes et des trafiquants d’opium et d’héroïne dans les années 1980. Dans un précédent ouvrage, qui avait été recommandé par le général d’armée (2S) Bernard Norlain lorsqu’il dirigeait la Revue Défense Nationale, Peter Dale Scott expliqua qu’« en mai 1979, [les services secrets pakistanais de l’ISI mirent] la CIA en contact avec Gulbuddin Hekmatyar, le seigneur de guerre afghan qui bénéficiait certainement du plus faible soutien dans son pays. [Islamiste radical,] Hekmatyar était aussi le plus important trafiquant de drogue moudjahidine, et le seul à avoir développé un complexe de six laboratoires de transformation de l’héroïne dans le Baloutchistan, une région du Pakistan contrôlée par l’ISI. Cette décision prise par l’ISI et la CIA discrédite l’habituelle rhétorique américaine selon laquelle les États-Unis aidaient le mouvement de libération afghan. En fait, ils soutenaient les intérêts pakistanais (et saoudiens) dans un pays face auquel le Pakistan ne se sentait pas en sécurité. Comme le déclara en 1994 un dirigeant afghan à Tim Weiner, un journaliste du New York Times, “nous n’avons pas choisi ces chefs de guerre. Les États-Unis ont créé Hekmatyar en lui fournissant des armes. À présent, nous souhaitons que Washington les lâche et leur impose de ne plus nous tuer, afin de nous protéger de ces gens.” » Finalement, au début de l’année 2002, Hekmatyar appellera à la « guerre sainte » contre les États-Unis depuis son lieu d’exil dans la capitale iranienne, avant de s’installer au Pakistan pour organiser des opérations anti-occidentales en Afghanistan.

Années 1990 : les pétrodollars saoudiens financent les talibans et al-Qaïda… avec l’appui des services américains

Dans les années 1990, les pétrodollars saoudiens et le discret soutien de la CIA, du MI6 et de l’ISI favoriseront l’émergence des talibans. En effet, d’après le chercheur et journaliste britannique Nafeez Ahmed, qui fut un consultant dans les enquêtes officielles sur les attentats du 11-Septembre et du 7-Juillet, « à partir de 1994 environ et jusqu’au 11-Septembre, les services de renseignement militaire américains [1] ainsi que la Grande-Bretagne, l’Arabie saoudite et le Pakistan, ont secrètement fourni des armes et des fonds aux talibans, qui abritaient al-Qaïda. En 1997, Amnesty International a déploré l’existence de “liens politiques étroits” entre la milice talibane en place, qui venait de conquérir Kaboul, et les États-Unis. (…) Sous la tutelle américaine, l’Arabie saoudite continuait de financer [l]es madrasas. Les manuels rédigés par le gouvernement américain afin d’endoctriner les enfants afghans avec l’idéologie du jihad violent pendant la guerre froide furent alors approuvés par les talibans. Ils furent intégrés au programme de base du système scolaire afghan et largement utilisés dans les madrasas militantes pakistanaises financées par l’Arabie saoudite et l’ISI (…) avec le soutien des États-Unis. »

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Dans un monde où, pour citer le général de Gaulle, « les États n’ont pas d’amis [mais] que des intérêts », Nafeez Ahmed explique ces politiques clandestines de soutien aux talibans par le fait que « les administrations Clinton et Bush espéraient se servir [de ces extrémistes] pour établir un régime fantoche dans le pays, à la manière de leur bienfaiteur saoudien. L’espoir vain et manifestement infondé était qu’un gouvernement taliban assure la stabilité nécessaire pour installer un pipeline trans-afghan (TAPI) acheminant le gaz d’Asie centrale vers l’Asie du Sud, tout en longeant la Russie, la Chine et l’Iran. Ces espoirs ont été anéantis trois mois avant le 11-Septembre, lorsque les talibans ont rejeté les propositions américaines. Le projet TAPI a ensuite été bloqué en raison du contrôle intransigeant de Kandahar et de Quetta par les talibans ; toutefois, ce projet est désormais en cours de finalisation », mais visiblement sans la participation des supermajors occidentales. Rappelons alors que la multinationale californienne UNOCAL, qui a été absorbée par ChevronTexaco en 2005, négociait ce projet avec les talibans entre 1997 et le printemps 2001, avec le soutien du gouvernement des États-Unis. Or, le régime du mollah Omar protégeait Oussama ben Laden et ses hommes à cette époque.

Toujours dans les années 1990, les politiques clandestines de la CIA et de ses alliés britanniques, saoudiens et pakistanais favoriseront l’essor global d’al-Qaïda – une réalité documentée mais largement ignorée dans le monde occidental. Dans ce même article, Nafeez Ahmed rappelle que, « comme l’historien britannique Mark Curtis le décrit minutieusement dans son livre sensationnel, Secret Affairs: Britain’s Collusion with Radical Islam, les gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni ont continué de soutenir secrètement des réseaux affiliés à al-Qaïda en Asie centrale et dans les Balkans après la guerre froide, et ce pour les mêmes raisons que précédemment, à savoir la lutte contre l’influence russe, et désormais chinoise, afin d’étendre l’hégémonie américaine sur l’économie capitaliste mondiale. L’Arabie saoudite, première plateforme pétrolière du monde, est restée l’intermédiaire de cette stratégie anglo-américaine irréfléchie. »

Après les attentats contre les Tours jumelles et le Pentagone, la CIA durcira sa politique antiterroriste en détenant arbitrairement, en torturant et en liquidant des membres présumés ou avérés du réseau de Ben Laden dans le cadre de la « guerre globale contre le terrorisme ». Pourtant, « vers le milieu [des années 2000], l’administration Bush décida d’utiliser l’Arabie saoudite pour transmettre des millions de dollars à des jihadistes affiliés à al-Qaïda, à des extrémistes salafistes et à des islamistes des Frères musulmans. L’idée était de renforcer ces groupes à travers le Proche-Orient et l’Asie centrale, dans l’objectif de contrer et de refouler l’influence géopolitique de l’Iran chiite et de la Syrie. En 2007, [le grand reporter] Seymour Hersh lui-même rapporta en détail le déploiement de cette stratégie dans le New Yorker, citant un certain nombre de sources gouvernementales issues des milieux de la défense et du renseignement aux États-Unis et en Arabie saoudite. » Ainsi, l’administration Bush revendiquait alors une « guerre contre le terrorisme » tout en soutenant des groupes jihadistes par l’entremise des services saoudiens – une politique de guerre par procuration qui trouve ses origines en Afghanistan dans les années 1980, et qui sera imposée à la Syrie trois décennies plus tard. 

Années 2010 : la CIA coordonne l’effort de guerre anti-Assad des pétromonarchies et de la Turquie

En janvier 2016, quarante ans après la création du Safari Club, le New York Times révéla que l’Arabie saoudite avait été « de loin » le principal financeur de la guerre secrète de la CIA en Syrie, baptisée « opération Timber Sycamore ». Ce journal cita le rôle majeur du prince Bandar ben Sultan dans celle-ci – alors qu’il dirigeait les services saoudiens entre juillet 2012 et avril 2014 –, tout en reconnaissant que cette opération de « plusieurs milliards de dollars » annuels avait conduit au renforcement des groupes jihadistes en Syrie, avec la complicité de la CIA. Selon le Times, « les efforts saoudiens [en Syrie] furent dirigés par le flamboyant prince Bandar ben Sultan, (…) qui demanda aux espions du royaume d’acheter des milliers [de mitrailleuses] AK-47 et des millions de munitions en Europe de l’Est pour les rebelles. La CIA a facilité certains [sic] de ces achats d’armements pour les Saoudiens, dont un vaste deal avec la Croatie en 2012. Durant l’été de cette même année, ces opérations semblaient être hors de contrôle à la frontière entre la Turquie et la Syrie, les nations du Golfe transmettant de l’argent et des armes à des factions rebelles – y compris à des groupes dont les hauts responsables américains craignaient qu’ils soient liés à des organisations extrémistes comme al-Qaïda. »

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En réalité, malgré ces craintes à Washington, la CIA coordonnait clandestinement depuis le mois de janvier 2012 au moins deux réseaux d’approvisionnement en armes financés par les pétromonarchies du Golfe et la Turquie : une série de livraisons aériennes depuis les Balkans, qui a récemment fait l’objet d’une enquête approfondie du BIRN et de l’OCCRP confirmant le rôle central de la CIA dans ce trafic d’armes illégal ; et une autre voie d’approvisionnement maritime depuis la Libye, selon les révélations jamais démenties du journaliste d’investigation Seymour Hersh.

Ainsi, le New York Times confirma indirectement les propos de la parlementaire américaine Tulsi Gabbard. Trois semaines avant les attentats du 13-Novembre, elle avait dénoncé sur CNN le soutien clandestin d’al-Qaïda par la CIA sur le front syrien, critiquant le fait que l’Agence avait pour objectif de renverser Bachar el-Assad en soutenant des rebelles loin d’être aussi modérés qu’ils nous avaient été décrits jusqu’alors. Comme elle l’affirma durant cet entretien, « les États-Unis et la CIA doivent stopper cette guerre illégale et contreproductive pour renverser le gouvernement syrien d’Assad et doivent rester focalisés sur le combat contre notre ennemi réel, les groupes islamistes extrémistes. Car actuellement, nous voyons pourquoi cela est contreproductif : en œuvrant (…) pour renverser le gouvernement syrien d’Assad, nous [sommes] en train de renforcer nos ennemis, les islamistes extrémistes. »

Avant de donner de plus amples détails sur cette politique clandestine et ses conséquences, elle rappela qu’« il n’y pas eu de vote au Congrès pour autoriser l’usage de la force, pour autoriser une guerre visant à renverser un gouvernement souverain. Depuis que j’ai siégé [à la Chambre des Représentants], il n’y a eu aucun vote, y compris avant que je sois élue [en 2013]. Donc le peuple américain n’a pas eu l’opportunité de s’exprimer, d’approuver ou de désapprouver une telle guerre. Par conséquent, elle est illégale. » Il est fort probable que le caractère illicite de ces opérations explique pourquoi le Président Obama, l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton et d’autres hauts responsables américains ont systématiquement occulté le rôle majeur de la CIA dans le conflit en Syrie, comme l’a récemment souligné le professeur à l’université Columbia Jeffrey D. Sachs.

Lors de cette interview sur CNN, Tulsi Gabbard expliqua également que cette guerre secrète « est contreproductive car actuellement, des armements américains vont dans les mains de nos ennemis, al-Qaïda et ces autres groupes, des groupes islamistes extrémistes qui sont nos ennemis jurés. Ce sont des groupes qui nous ont attaqués le 11-Septembre, et nous étions censés chercher à les vaincre, mais pourtant nous les soutenons avec ces armes pour renverser le gouvernement syrien. (…) Je ne veux pas que le gouvernement des États-Unis fournisse des armes à al-Qaïda, à des islamistes extrémistes, à nos ennemis. Je pense que c’est un concept très simple : vous ne pouvez vaincre vos ennemis si, en même temps, vous les armez et vous les aidez ! C’est absolument insensé pour moi. (…) Nous en avons discuté [avec des responsables de la Maison-Blanche,] à la fois durant des auditions [parlementaires] et à d’autres occasions, et je pense qu’il est important que les citoyens des États-Unis se lèvent et disent : “Regardez, nous ne voulons pas aller [en Syrie] et faire ce qui s’est passé avec Saddam Hussein, faire ce qui s’est passé en Libye avec Kadhafi, car ce sont des pays qui ont sombré dans le chaos et qui ont été conquis par des terroristes islamistes à cause des actions des États-Unis et d’autres [pays].” »

Interrogé quelques semaines après ces déclarations, [2] Nafeez Ahmed souligna que « la représentante Gabbard est une femme politique de premier plan au sein du Parti Démocrate », dont elle assurait la vice-présidence avant de rejoindre l’équipe de campagne de Bernie Sanders. Ce bon connaisseur des arcanes de Washington ajouta qu’elle dispose d’un « accès à des informations gouvernementales confidentielles relatives aux politiques étrangères et militaires des États-Unis, puisqu’elle siège dans deux importantes commissions parlementaires : la Commission de la Chambre des Représentants sur les Forces armées et celle concernant les Affaires étrangères. De ce fait, ses critiques visant les politiques clandestines de l’administration Obama en Syrie sont à prendre très au sérieux. »

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Surpris que les déclarations de Tulsi Gabbard n’aient pas suscité d’indignation nationale aux États-Unis, Nafeez Ahmed ajouta que « son témoignage sur CNN, loin d’être une “théorie du complot” infondée, confirme le soutien de la CIA en faveur de groupes affiliés à al-Qaïda en Syrie – qui s’opère principalement par l’entremise de nos partenaires régionaux tels que les États du Golfe et la Turquie. » Ces actions clandestines étant aujourd’hui de notoriété publique, elles soulèvent des questions dérangeantes sur la façon dont les intérêts géostratégiques court-termistes des États-Unis et de leurs alliés continuent de menacer la sécurité nationale de nos démocraties, et de déstabiliser un nombre croissant de pays. Finalement, moins d’une semaine après les attentats du 13-Novembre, Tulsi Gabbard déposa une proposition de loi, dont le but est de « stopper immédiatement la guerre illégale et contreproductive visant à renverser le gouvernement syrien d’el-Assad », cette initiative n’ayant toujours pas été débattue ni votée à la Chambre des Représentants.

Comment les opérations de la CIA et de leurs alliés saoudiens échappent au contrôle du Congrès

L’article du New York Times cité précédemment souligna aussi l’importance des chefs de station de la CIA en Arabie saoudite, qui y sont décrits comme étant « le véritable lien » entre Washington et Riyad depuis plusieurs décennies. Le Times fit remonter les origines de cette relation opaque et fusionnelle à la création du Safari Club. En mobilisant des fonds étrangers dans les années 1980, ce réseau a permis de financer les opérations clandestines de la CIA en Angola, au Nicaragua et en Afghanistan tout en échappant à la supervision du Congrès américain. Un tel système de financement sera adopté dès 2012 dans la guerre en Syrie, cette institution ne pouvant contrôler ce que le Washington Post a décrit en 2015 comme un « vaste effort [anti-Assad] de plusieurs milliards de dollars impliquant [la CIA,] l’Arabie saoudite, le Qatar [,] la Turquie » et leurs alliés, à travers l’« une des plus grandes opérations clandestines » de l’Agence. Conformément à la doctrine du « déni plausible », les financements extérieurs qu’elle mobilise ne sont pas soumis à la supervision du Congrès, qui ne peut exercer son contrôle sur les activités et les budgets des services spéciaux étrangers. Il en résulte que les États-Unis peuvent aisément rejeter la faute de l’essor des groupes extrémistes en Syrie sur leurs alliés du Proche-Orient, alors que la CIA soutient activement leurs opérations depuis les « MOC » (Military Operations Centers), des bases secrètes en Turquie et en Jordanie depuis lesquelles ont été livrées des milliers de tonnes d’armement aux milices anti-Assad, y compris les plus extrémistes.

Si les politiques imposées depuis quarante ans par les maîtres-espions américains et saoudiens recèlent encore bien des secrets, il ne fait plus de doute qu’elles ont grandement favorisé la création et l’internationalisation des réseaux jihadistes qui menacent dorénavant la paix mondiale. Comme l’avait expliqué Yves Bonnet, l’ancien responsable « de la Direction de la surveillance du territoire (DST) (…), la CIA et l’Arabie saoudite ont créé de toutes pièces le terrorisme messianique dont se réclament Al-Qaïda et Daesh. » Et pour citer à nouveau Nafeez Ahmed, « les réseaux moudjahidines afghans ont été formés et financés sous la supervision de la CIA, du MI6 et du Pentagone. Les États du Golfe ont apporté des sommes d’argent considérables, tandis que l’Inter-Services Intelligence (ISI) pakistanais a assuré la liaison sur le terrain avec les réseaux militants coordonnés par [Abdullah] Azzam, [Oussama] ben Laden et [leurs complices]. L’administration Reagan a par exemple fourni 2 milliards de dollars aux moudjahidines afghans, complétés par un apport de 2 milliards de dollars de l’Arabie saoudite. »

Après avoir rappelé ces faits bien connus, Nafeez Ahmed remet en cause une idée fausse qui a été continuellement reprise par une grande majorité d’experts et de journalistes occidentaux depuis le 11-Septembre : « Selon la croyance populaire, cette configuration désastreuse d’une collaboration entre l’Occident et le monde musulman dans le financement des extrémistes islamistes aurait pris fin avec l’effondrement de l’Union soviétique. Comme je l’ai expliqué lors d’un témoignage au Congrès un an après la sortie du rapport de la Commission du 11-Septembre, cette croyance populaire est erronée. (…) Un rapport classifié des services de renseignement américains, révélé par le journaliste Gerald Posner, a confirmé que les États-Unis étaient pleinement conscients du fait qu’un accord secret avait été conclu en avril 1991 entre l’Arabie saoudite et Ben Laden, alors en résidence surveillée. Selon cet accord, Ben Laden était autorisé à quitter le royaume avec ses financements et partisans et à continuer de recevoir un soutien financier de la famille royale saoudienne à la seule condition qu’il s’abstienne de cibler et de déstabiliser le royaume d’Arabie saoudite lui-même. Loin d’être des observateurs distants de cet accord secret, les États-Unis et la Grande-Bretagne y ont participé activement. »

Dans le dernier livre de Peter Dale Scott, cet accord d’avril 1991 entre Ben Laden et la famille royale saoudienne est corroboré en citant le livre lauréat du prix Pulitzer de Lawrence Wright sur al-Qaïda et le 11-Septembre. D’après d’autres sources crédibles, cette entente aurait été renouvelée en 1995, selon Anthony Summers, puis en 1998, selon Ahmed Babeeb. Parallèlement, d’après l’ancien diplomate et officier consulaire américain à Djeddah Michael Springmann, « la CIA transféra [des moudjahidines ayant combattu en] Afghanistan vers les Balkans, l’Irak, la Libye et la Syrie en leur accordant des visas US illégaux » – affirmant avoir découvert que le consulat dans lequel il travaillait était en fait une « base de la CIA ».

Au vu des éléments étudiés dans cet article, loin d’être la nébuleuse insaisissable qui nous est décrite dans les médias occidentaux, le réseau d’al-Qaïda a été utilisé par les services spéciaux américains et leurs partenaires y compris après la guerre froide, afin de remplir différents objectifs géostratégiques inavouables. Comme nous l’avons analysé, il s’agit de faits corroborés qui nous permettent, quinze ans après le 11-Septembre, de mesurer à quel point ces politiques clandestines de la CIA et de leurs alliés sont hors de contrôle. Les informations montrant que les forces soutenues par l’Agence en Syrie combattent celles qui appuient les opérations du Pentagone sur le terrain en sont une illustration édifiante.

La « guerre contre le terrorisme » : une guerre perpétuelle, lucrative (et mondiale ?)

Ainsi, une étude approfondie de l’histoire d’al-Qaïda indique que l’essor global du jihad armé découle essentiellement des relations troubles entre les responsables de la CIA et leurs homologues saoudiens, dont le royaume est décrit par de nombreuses sources autorisées comme le principal sponsor des organisations islamistes à travers le monde. Du jihad afghan au takfir syrien, des actions clandestines de la CIA massivement cofinancées par les pétrodollars saoudiens ont donc renforcé la nébuleuse al-Qaïda jusqu’à présent, et ce malgré le 11-Septembre, la mal-nommée « guerre contre le terrorisme », et les récents attentats ayant frappé les populations occidentales. Comme nous l’avons étudié, ces opérations de la CIA ont été bien souvent déléguées aux services saoudiens et à d’autres partenaires étrangers, ce qui explique pourquoi il est si difficile de comprendre le jeu dangereux de l’Agence vis-à-vis du terrorisme islamiste.

Peu traitée dans les médias, l’histoire inavouable d’al-Qaïda doit être expliquée à l’opinion publique car, comme le démontre la tragédie syrienne, les leçons du jihad afghan n’ont visiblement pas été retenues par nos dirigeants. Ainsi, de nouvelles catastrophes liées au terrorisme sont à craindre dans le monde occidental, notamment du fait du retour de Syrie des combattants extrémistes dans leurs pays d’origine. Hélas, dans un contexte de guerre perpétuelle qui génère annuellement des milliards de dollars de profits pour les multinationales de l’énergie, de l’armement, du mercenariat et du renseignement privé, les dirigeants occidentaux ont-ils la volonté de stopper ces interventions et de redéfinir une stratégie proche-orientale moins militarisée, mais certainement plus constructive ? Après quinze années d’une « guerre contre le terrorisme » qui a considérablement amplifié cette menace, qui a favorisé une privatisation massive des opérations militaires, et qui aurait engendré la mort de plus d’un million de personnes rien qu’en Irak, en Afghanistan et au Pakistan, cette question dérangeante mérite d’être posée.

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Enfin, concernant le casus belli qui a légitimé cette guerre perpétuelle, une interrogation tout aussi perturbante subsiste. En effet, les principaux accusés des attentats du 11-Septembre n’ont toujours pas été jugés par les tribunaux militaires de Guantánamo. Bien que les aveux extirpés sous la torture sont juridiquement irrecevables, il n’en demeure pas moins que le plus grand crime de l’Histoire moderne des États-Unis n’a encore jamais fait l’objet d’un quelconque procès. Or, le Congrès américain vient d’autoriser les familles des victimes de ces événements à poursuivre l’Arabie saoudite en justice pour son rôle présumé dans ces attaques – malgré le veto du Président Obama, qui empêchera la promulgation de cette loi. Dans ce contexte, au vu de la relation fusionnelle entre le royaume des Saoud et la CIA, cette analyse écrite par Jean-Pierre Chevènement en 2004 est encore plus pertinente aujourd’hui : « la propagation du terrorisme islamiste, certes regrettable, fournit aussi un alibi idéal à l’entreprise de recolonisation du Moyen-Orient et de domination mondiale, à l’échelle d’unnouveau siècle américain”, dans laquelle s’est lancée l’administration de George W. Bush. L’histoire du retournement des milices wahhabites d’Oussama ben Laden contre les États-Unis, qui les avaient soutenus contre l’URSS en Afghanistan, comporte tant de zones d’ombres qu’on peut se demander si la coopération très étroite entre la CIA et les services secrets saoudiens du prince Turki, congédié seulement quinze jours avant le 11-Septembre, n’éclairerait pas utilement les circonstances d’un événement qui a ouvert une page nouvelle dans l’histoire des relations internationales : comme Athéna sortant tout armée de la cuisse de Jupiter, la “Quatrième Guerre mondiale” a été décrétée ce jour-là. » [3]

Maxime Chaix

Notes

[1]. J’ai demandé à Nafeez Ahmed ce qu’il signifiait par « services de renseignement militaire », une expression qu’il emploie fréquemment. En réalité, il fait référence aux branches paramilitaires des services spéciaux agissant dans le cadre d’opérations clandestines, comme celles de la CIA, du MI6, de l’ISI (etc.), et qui sollicitent parfois l’appui des forces spéciales et des services de renseignement militaire.

[2]. Je réalisais alors une interview écrite de Nafeez Ahmed, qui n’a jamais vu le jour en raison des attentats du 13-Novembre et de la surcharge de travail que ce drame avait engendrée pour lui et moi.

[3]. Hyperlien et accentuation ajoutés. 

Le journaliste l’ignore, mais les mots ont un sens

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Le journaliste l’ignore, mais les mots ont un sens

Dans un essai consacré à la «langue des médias», Ingrid Riocreux s’attaque au langage tel que le pratiquent quotidiennement les journalistes. En analysant les propos tenus et les commentaires, elle parvient à une triste conclusion: faute de maîtriser le langage, les journalistes s’intéressent peu aux faits, ils préfèrent promouvoir des idées.

La Langue des médias est un essai stimulant qui s’attaque résolument au quatrième pouvoir en analysant ce qui fait sa force et sa faiblesse: le verbe. Le langage des journalistes  y est disséqué avec précision. Chercheuse associée à la Sorbonne, son auteure, Ingrid Riocreux, s’intéresse d’abord aux mots, à leur contextualisation ainsi qu’à l’énoncé, à la prononciation et aux fautes. Le correcteur qui sommeille chez tout auditeur lui saura gré d’avoir relevé (sa cible préférée est France Info) des «gouvernomon», «Ôrope» et «cor d’heure», sans oublier le «pople palestinien» et le délicieux «rrocourr rrochté». Certaines fois, cette prononciation hasardeuse induit d’admirables lapsus: ainsi, après le référendum sur l’Indépendance de l’Ecosse, on entend que «David Cameron s’est adressé aux cons du oui» (camp).

Elle pointe le mimétisme des journalistes, leurs tics de langage, ce «parler spécifique (vocabulaire, phraséologie, oui, mais aussi prononciation)» étant qualifié de «sociolecte». Certains de ces tics ne nous surprennent même plus:

«On se dirige vers un forfait de Mamadou Sakho.»

«Les frondeurs semblent se diriger vers une abstention.»

riocreux.jpgDésormais, une manif ne se disperse plus mais se disloque. Le verbe générer a remplacé susciter, tandis qu’impacter (avoir un impact sur) s’est imposé. On parle de déroulé (et non de déroulement) ou de ressenti (sentiment). Or, regrette-t-elle, cet appauvrissement du vocabulaire conduit parfois à des erreurs. Ainsi des violences qui se font désormais «en marge» des manifestations, alors qu’elles les accompagnent. «En marge» également, les agressions sexuelles de la place Tahrir en Égypte? Pourtant, les violeurs étaient aussi des manifestants.

On aborde ici l’enjeu politique du langage: «De l’adoption du mot à celle de l’idée, il n’y a qu’un pas.» Ingrid Riocreux note que les journalistes s’approprient aisément des mots et expressions d’origine militante, comme le terme de «sans-papiers», forgé par la «gauche radicale altermondialiste pour en finir avec la force péjorative du mot clandestins». Terme, s’amuse-t-elle, utilisé sans sourciller par… Valeurs actuelles, tout comme ceux de «migrants» ou d’«islamo-fascisme». Le journaliste n’analyse pas les mots mais les reprend à son compte. Il court alors le risque de se tromper:

«On ne parle presque plus de romanichels, de gens du voyage, de bohémiens, de tziganes, de nomades ou de gitans, mais de Roms (même quand ce ne sont pas des Roms).»

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Sans doute de manière inconsciente, le journaliste recourt aisément à des qualificatifs qui discréditent celui qu’ils désignent. Invariablement, les médias opposent climatologues et climato-sceptiques. Or, ce dernier terme renvoie à une forme d’incompétence donc d’illégitimité –comme s’il était inconcevable qu’il y ait des climatologues sceptiques.

Des convictions en forme d’évidence

Si l’«eurosceptique» est admis, il en va tout autrement pour l’europhobe. On signifie à la fois qu’un «parti est europhobe (et) qu’il a tort», estime Ingrid Riocreux, pour qui les journalistes distinguent ici «un anti-européisme toléré (Nicolas Dupont-Aignan par exemple) et un anti-européisme nauséabond, qu’on se doit de détester (le Front national)».

Après tout, cette nuance pourrait être légitime si elle était à l’œuvre pour désigner également les partisans de l’Europe. Mais les journalistes se contentent des «europhiles» et ignorent les «eurobéats», considérant que cette dernière tournure est «née dans la bouche des anti-Européens». En fait, les journalistes sont eux-mêmes europhiles (que l’on se souvienne des débats de 2005) car il s’agit pour eux de «la seule posture moralement acceptable.» C’est une «conviction en forme d’évidence» (Alain Minc parlait ainsi du passage à l’euro).

Inconscients ou non, les choix partisans sont multiples. Tandis que le terme «islamophobe» est entré dans le langage courant, celui de «christianophobe» reste marginal. Ou alors fortement nuancé: «Les catholiques espèrent une forte mobilisation contre ce qu’ils appellent un acte christianophobe.» «Madiba», surnom affectueux donné par ses partisans à Nelson Mandela, est utilisé sans la moindre précaution de langage alors qu’il ne viendrait l’idée à personne de parler de Kadhafi comme du «frère guide.»

Des précautions oratoires qui induisent le soupçon

Les précautions de langage s’observent dans tout ce qui touche à l’islam. Evoquant deux faits divers, Ingrid Riocreux analyse les étranges choix rédactionnels qui conduisirent à oblitérer les noms des meurtriers, mais pas ceux de leurs victimes.

En janvier 2010, Hakim est poignardé dans un lycée. Pour désigner le meurtrier, les journalistes recourent à la périphrase: un camarade, l’agresseur, un jeune homme, le suspect… Son prénom, Islam, est révélé par la réinfosphère ou fachosphère –selon le camp dans lequel on se situe. «Le journaliste, en s’évertuant à dissimuler le nom de l’agresseur, n’est ni méchant ni mauvais: il croit bien faire.» En fait, poursuit-elle, il anticipe «constamment la réception de son discours et, partant, l’interprétation qu’en fera l’auditeur».

webjournaliste.jpgDeux ans après, un assassinat similaire survient (le meurtre du jeune Kilian, en juin 2012). Le Monde choisit de désigner le suspect comme un… Vladimir avant de préciser que «le prénom a été changé». S’ensuit un courrier des lecteurs auquel répond le médiateur: il s’agissait de respecter l’anonymat du suspect «conformément à la loi» – argument fallacieux tant cette précaution est rarement respectée par ailleurs.

Pour Ingrid Riocreux, ces scrupules sont contreproductifs: «En se refusant à donner une information qu’il estime dangereuse, le journaliste pousse son auditeur à chercher par lui-même et à trouver, non seulement l’information en question, mais un faisceau d’éléments supplémentaires qui vont dans le sens opposé à la position défendue par les médias de masse». D’où la perte de confiance et le discrédit de la profession, régulièrement mesurés dans les sondages.

Le camp du bien

Le langage résulte donc d’un choix politique qui est en général celui que le journaliste estime être le camp du progrès ou du bien. Ingrid Riocreux se refuse à établir une opposition droite-gauche, préférant parler d’une adhésion au sens de l’histoire. «Le journaliste est un croyant (et) sa raison lui dit qu’on ne peut pas aller contre l’histoire.» En témoignent l’utilisation fréquente d’adverbes temporels: déjà, encore, pas encore. Ainsi, le «mariage homosexuel est déjà autorisé dans dix pays» tandis que la peine de mort «est encore légale dans une centaine de pays.» Ce faisant, le journaliste n’informe pas le lecteur ou l’auditeur mais lui dit plutôt «ce qu’il doit comprendre.»

Ni droite ni gauche? Interrogée par Slate.fr, Ingrid Riocreux préfère parler d’un «bain lexical et idéologique: nous sommes tous amenés à prendre position en utilisant tel ou tel mot». Il s’agit de dénoncer «le mythe de la neutralité. Le choix des mots n’est jamais innocent. C’est très bien d’être engagé politiquement mais il faut l’assumer. Ce qui m’embête beaucoup, c’est quand le journaliste prétend ne pas l’être, comme lorsqu’il défend le mythe de la neutralité de la radio du service public».

Employant le terme «manipulation» avec précaution, elle estime que le journaliste est davantage manipulé que manipulateur et lui préfère celui d’«orientation». Le journaliste n’a pas les outils pour décrypter les discours et la rhétorique. L’aisance avec laquelle des personnages politiques se jouent d’interviews mal préparées ou trop révérencieuses le montre aisément.

Le choix d’accompagner ce qu’il est convenu d’appeler le «politiquement correct», dans des domaines aussi différents que l’écologie, l’art contemporain, la politique vaccinale ou éducative, montre également la difficulté d’appréhender ces sujets, voire de les maîtriser suffisamment pour pouvoir bien informer. Pour réhabiliter la méthode syllabique, «trop idéologiquement marquée», il suffit de lui donner son autre nom, moins connu, de méthode explicite. Les journalistes s’en satisferont.

Enfin, le journaliste «n’enquête que sur les gens à qui il veut nuire»: un groupe d’opposants à l’IVG est un sujet à traiter, mais on ne fera jamais d’«infiltration dans un centre du Planning familial». Tout comme on évitera de montrer certaines images trop violentes afin d’en protéger le spectateur: l’IVG, relève-t-elle, est invisible et, comme le foie gras, les «détracteurs seuls (en) montrent les images.» Paresse sélective de l’enquêteur? Certains sujets sont soumis à un «silence médiatique obligatoire», qui irrigue jusqu’au «monde universitaire où il est pourtant de bon ton de critiquer les médias».

«Il ne s’agit pas ici de prétendre qu’enquêter sur les réseaux islamistes ou les groupuscules néonazis soit sans intérêt. La question n’est pas là; ce qu’il faut regretter, c’est le panel restreint et répétitif des sujets traités.»

Les médias en font-ils trop ou pas assez?

A la question, récurrente sur beaucoup de sujets, sorte de marronnier nombriliste, «les médias en font-ils trop?», elle oppose cette assertion: «le journaliste ne se demande jamais s’il n’en fait pas assez».

Décodant un article des Décodeurs consacré à la photo du petit Aylan («Mensonges, manipulations et vérités»), elle montre comment, faute d’une contre-enquête, il en vient à donner du crédit aux rumeurs qu’il entend démonter. Les enfants avaient-ils des gilets de sauvetage? La rumeur prétend que non. Réponse du Monde: «On ne sait pas si les enfants portaient les gilets.» 

«Autre argument des complotistes», poursuit le quotidien du soir : «la famille d’Aylan n’était pas une famille de réfugiés politiques mais de réfugiés économiques car ils ne vivaient plus dans une zone de guerre (en Syrie) mais dans un pays en paix (la Turquie). C’est oublier un peu vite que la famille a vécu pendant une longue période en Syrie (native de Kobané, dans le nord de la Syrie, elle vivait depuis quelques années à Damas, avant de fuir les combats)…» Cette réponse, observe Ingrid Riocreux, ne fait que confirmer ce que disent les complotistes, en reformulant leur argumentation de manière positive.

Etablissant un parallèle (osé, pour le moins) avec les enfants noyés dans les piscines où nul cadavre n’est jamais montré, elle affirme que «la photo d’un enfant mort n’est pas informative, elle est injonctive». En fait, la contre-enquête n’en est pas une. Pour les médias, la photo en soi devrait suffire.

La perte de crédit de la profession est sans doute là, dans cet exercice insatisfaisant du métier de journaliste. L’émergence des réseaux sociaux et, surtout, de sources d’information alternatives est pourtant un signal alarmant.

«Faute d’avoir les moyens d’analyser les techniques du discours, nous ne croyons plus rien ni personne. Ni le journaliste ni celui qu’il interroge. […]. Nous accordons une vertu excessive aux sources d’information alternatives. Elles ne racontent pas forcément autre chose mais elles le racontent autrementOr, met-elle en garde, «la réinfosphère recourt […] volontiers aux méthodes des désinformateurs qu’elle prétend dénoncer.»

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Analyse et polémique

En lisant cet ouvrage, je m’attendais à le voir analysé, critiqué, encensé ou démoli. Il a été étrangement peu commenté. «Je critique les grands médias; il est normal qu’ils ne se précipitent pas pour parler du livre», explique l’auteur à Slate, se disant «plutôt agréablement surprise» de sa réception. A l’exception d’un article à charge de L’Obs (ici, avec réponse d’Ingrid Riocreux ici), d'une critique, intelligente et honnête, dans Vice, c’est plutôt la droite qui s’en empare (Atlantico, Éric Zemmour…). Tenant désormais un blog sur Causeur, Ingrid Riocreux n’écarte pas le risque d’une politisation facile de ses écrits.

À tort. D’abord, la compétence universitaire est indiscutable (agrégation et doctorat), tout autant que la capacité à aligner, donc à décrypter, des phrases incompréhensibles (qu’on lise le résumé de sa thèse), sans négliger un plaisir évident à la joute intellectuelle.

La Langue des médias laisse pourtant une étrange impression. Elle y pose d’excellentes questions, apporte de bonnes réponses mais s’appuie sur des exemples pour le moins polémiques. IVG, climato-scepticisme, mariage homosexuel, l’affaire Méric, islam, migrants…: les sujets qu’elle choisit sont sensibles, ce qu’elle ne peut ignorer. Montrant quel camp choisissent les journalistes (en faveur de l’IVG par exemple), elle décrypte leur discours et observe qu’il tient à déprécier ceux qui s’y opposent.

Est-ce pour Ingrid Riocreux une manière de se protéger en choisissant un angle d’attaque qui, de facto, l’expose à des réactions indignées des journalistes? Lesquels s’exonéreraient alors d’une lecture attentive  de son livre? Elle confie à Slate avoir écarté des sujets qu’elle connaît mal (l’économie, par exemple[1]), pour privilégier des «thèmes que tout le monde maîtrise à peu près, ceux dont il est question dans les dîners en famille et qui créent des frictions».

Soutenir une manière d’équité dans le traitement des informations appelle d’importantes réserves. On se souvient de la phrase de Jean-Luc Godard: «L’objectivité, ce n’est pas cinq minutes pour Hitler, cinq minutes pour les juifs». Cet apparent équilibre de l’information n’en est pas un. N’est-il pas normal que les médias accordent plus d’intérêt ou de bienveillance à des sujets qui sont devenus la norme, notamment sous une forme législative, même si le débat resurgit parfois?

C’est prendre le risque que le journaliste du «camp du bien» ignore cet ouvrage, alors qu’il devrait le lire, ne serait-ce que pour interroger sa manière de restituer des informations (qu’Arrêt sur images ne l’ait pas même évoqué me laisse pantois). Et ne plus jamais dire à un interviewé cette phrase péremptoire, «Je ne peux pas vous laisser dire cela», alors que, justement, son rôle est de lui faire dire cela.

1 — Et c’est dommage, car il y a aussi matière à étude. Exemple: chaque été, à quelques jours d'intervalle, sont publiées deux études similaires dans leur approche. L'une conclut à un jour de «libération fiscale», l'autre calcule le jour où la planète commence à «vivre à crédit». Dans Le Monde, la première étude est jugée «non sérieuse», avec une longue analyse des Décodeurs, rubrique censée en revenir aux faits. Suffisamment «non sérieuse» pour que le journal y consacre deux articles (en 2014 et 2016), un tweet en 2015 renvoyant à l'article de l'année précédente. En parallèle, l'étude consacrée à la planète trouve un écho favorable, avec un article chaque année (20142015, 2016) qui en retrace les conclusions, avec force schémas. Dans un cas, le calcul n'est pas pris au sérieux; dans l'autre il l'est. Sans autre explication possible qu'un choix éditorial, ou moral. Retourner à l'article

Geopolítica del Nilo: la guerra por el trono del faraón

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Geopolítica del Nilo: la guerra por el trono del faraón

Desde hace milenios, las más grandes civilizaciones se han originado alrededor de grandes ríos. El Yangtsé, el Ganges, el Indo, el Tigris y el Éufrates… Todos ellos han sido testigos del auge y caída de poderosos pueblos. Asimismo, en todos los rincones del planeta, el control de los ríos ha constituido causa constante de guerras y conflictos. Los ríos otorgan poder; el poder de saciar la sed y paliar el hambre. También el poder de transportar mercancías y personas de manera sencilla y veloz. Y en muchos casos, de todo ese poder depende la supervivencia misma de una nación. Por todo ello, por ese poder, la humanidad no ha cesado de empuñar las armas, ni de alzar y destruir imperios y civilizaciones alrededor de sus aguas. Y si antes se empuñaban espadas, ahora son los tanques y los fusiles los que aparecen tras los tambores de guerra. Las aguas del Nilo, desde tiempos de los faraones hasta la actualidad, han sido testigos de ello.

El Nilo se extiende a lo largo de unos 6700 kilómetros y, aunque no se ha establecido con total exactitud dónde se sitúa su origen, pueden identificarse dos ramales. Por un lado el denominado Nilo Blanco, que nace en Burundi y fluye la zona de los Grandes Lagos de África oriental. De aquí provienen el 14% de las aguas que recorren la cuenca del Nilo hasta el Mediterráneo. Paralela a esta rama del río corre el Nilo Azul, que nace en las tierras altas de Etiopía y que, junto al río etíope de Atbara, aporta el 86% de los recursos hídricos con los que los egipcios riegan sus campos.

Desde sus fuentes hasta el Mediterráneo el Nilo atraviesa once países africanos (Rwanda, Burundi, República Democrática del Congo, Tanzania, Kenia, Uganda, Eritrea, Etiopía, Sudán del Sur, Sudán y Egipto), a los cuales proporciona agua dulce y fértiles márgenes idóneos para la agricultura. Sin él, países como Egipto o Sudán no podrían sobrevivir, pues es el río el que hace posible la vida en el seno mismo de las ardientes arenas del desierto del Sáhara. De hecho, de los más de 450 millones de personas que habitan estos países –más de un tercio de la población total de África–, al menos la mitad depende de las aguas del río Nilo. Es la única fuente de agua potable en la que se puede confiar a largo plazo y una pieza imprescindible para asegurar la seguridad alimentaria en una zona caracterizada por un crecimiento exponencial e incesante de la población –se calcula que en los próximos 25 años dicha región doblará su población– y marcados contrastes entre sequías e inundaciones –que además están siendo intensificados por el cambio climático. Prueba de ello es que el 99% de la población egipcia habita en los márgenes del Nilo, concentrándose más del 80% de los más de 84 millones de habitantes egipcios en el triángulo que conforma su delta a orillas del Mediterráneo. En definitiva, la importancia del Nilo lo convierte en un factor determinante para la estabilidad de toda la zona.

carte_nil_png.jpgEl Nilo para Egipto

La historia de Egipto a lo largo de los últimos 6000 años ha estado marcada por el Nilo. Sin él las pirámides jamás habrían sido construidas ni tampoco habría sido tan ardiente el deseo de los pueblos sucesivos, desde los griegos hasta los mamelucos, de controlar su territorio. Herodoto lo formuló así: “Egipto es un regalo del Nilo”.

No obstante, el gran poder del Nilo necesita de las decisiones políticas adecuadas para poder ser aprovechado. Por un lado, se calcula que, al ritmo de crecimiento actual, la población egipcia podría pasar de los 85 millones de habitantes de ahora a 120 millones en 2025. Por otra parte, en un contexto climático marcado por ciclos de sequías e inundaciones, con una agricultura que absorbe el 80% de las reservas nacionales de agua y un sector industrial en expansión, la buena utilización del Nilo es vital para la supervivencia de la nación árabe. Especialmente teniendo en cuenta que actualmente la mitad de las necesidades de grano y cereales de los egipcios son suplidas por medio de importaciones, haciéndoles muy vulnerables a los cambios mundiales en el precio de los alimentos.

Más allá de la dependencia física de Egipto para con las aguas del Nilo, la historia colonial grabó a fuego en el imaginario de sus habitantes la concepción del rio como un derecho de nacimiento, como una propiedad nacional legítima. Así, con la configuración del Estado egipcio moderno ya en el siglo XIX, éste quedaría íntimamente vinculado a la idea de un país cuya revolución agrícola e industrial devendría del control total de El Cairo sobre las aguas del Nilo por medio de sistemas de regadío, canales y presas. Éstos convertirían a Egipto en un gran exportador de algodón y otros productos agrícolas al mercado mundial. Todo ello se consolidaría a raíz de una serie de tratados entre las potencias coloniales y los distintos territorios bajo su control que, siguiendo intereses principalmente británicos, negarían a Etiopía o Sudán la posibilidad de construir presas u otras obras de ingeniería que alteraran el curso o produjeran cambios en el caudal del Nilo.

De esta forma Egipto quedaría como el único actor capaz de modificar y manejar las dinámicas del río en función de sus necesidades hídricas, sin necesidad de consentimiento previo por parte del resto de naciones de la cuenca del Nilo, reservándose para él un uso anual de 48 billones de metros cúbicos de agua –4 billones serían posteriormente concedidos a Sudán– y pudiendo vetar construcciones que quisieran llevar a cabo dichos estados y que afectaran directa o indirectamente al curso del río. En un posterior tratado de 1959 las cantidades anuales de agua a las que tenían derecho Egipto y Sudán se ampliarían a 55 y 18 billones de metros cúbicos respectivamente, lo que suponía el 99% del agua que fluía cada año por el Nilo. Asimismo se establecía que, en el caso de que Egipto y Sudán aceptaran que un tercer país llevara a cabo un proyecto en el Nilo, ambos países establecerían una comisión permanente para monitorear la construcción. Además a Sudán se le permitiría construir dos presas, la de Roseires y la de Khashm al-Girba. Por otra parte, territorios de estados todavía no existentes como Rwanda, Burundi, Kenia o Tanzania, por los que fluye el Nilo, quedaron fuera de toda posibilidad de decisión sobre sus aguas.

Nuevos Faraones

Tras la crisis de Suez, los egipcios vendrían a ser los amos absolutos del río. Así, de la misma forma que los antiguos egipcios consideraban a sus faraones como los dioses terrenales que preservaban el Nilo y sus ciclos de sequías e inundaciones, el ejecutivo del Egipto contemporáneo controlaría a voluntad de qué formas podrían ser utilizadas las aguas fluviales, tanto dentro de sus fronteras estatales como fuera de ellas.

No obstante, el trono del faraón forjado en los tratados coloniales y embellecido después por Egipto y Sudán vendría a ser contestado por otros aspirantes. Y es que no sólo al ejecutivo cairota le preocupa aprovechar al máximo los recursos que el Nilo ofrece. Río arriba, problemas como el crecimiento poblacional acelerado, las hambrunas derivadas de sequías y la necesidad de suplir de energía eléctrica a los sectores económicos en crecimiento en los que depende el desarrollo económico, son también preocupaciones plasmadas en las agendas políticas de los distintos gobiernos.

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Por ello, los proyectos de presas o de sistemas de irrigación se suceden sin cesar. Ya en 1970 El Cairo amenazó con iniciar hostilidades contra Etiopía si no detenía su proyecto de la presa de Fincha y se aludió al tratado de 1902 entre Etiopía y Gran Bretaña para frenar el proyecto. En 2004 Tanzania sería también amenazada por Egipto por su propósito de construir un gasoducto en el Lago Victoria, haciéndose de nuevo referencia a los tratados coloniales de principios del siglo XX.

A pesar de todo, la presión conjunta de los países ribereños de las orillas altas del Nilo ha llevado a reducir progresivamente la hidro-hegemonía egipcia en los últimos 15 años. Asimismo, el desinterés de la administración de Hosni Mubarak por la política africana ha disminuido notablemente la influencia cairota sobre la cuenca del Nilo, especialmente en un momento en el que los países africanos están llevando a cabo grandes esfuerzos por consolidar unas relaciones exteriores, tanto a nivel regional como internacional, de alto nivel.

Por otra parte, no se debe infravalorar la entrada del poder financiero chino en la región, el cual ha abierto la posibilidad de llevar a cabo proyectos hasta ahora totalmente inasequibles. Así, los banqueros y las grandes empresas de construcción e ingeniería chinas, a quienes no amedrentan las amenazas de inestabilidad tradicionalmente utilizadas por los egipcios, no han cesado de financiar los ambiciosos proyectos de ingeniería hidroeléctrica de Sudán o Etiopía, que suman ya más de 25, siguiendo una tendencia que se reproduce en toda África.

El rival etíope

Entre los más fervientes pretendientes a participar en el gobierno del Nilo está Etiopía. Ya en 1964 realizarían un detallado informe en el que se estudiaban las posibilidades de construir presas para la obtención de energía a lo largo de toda la cuenca del Nilo Azul. Desde entonces los esfuerzos por desarrollar infraestructuras para la obtención de energía hidroeléctrica conjuntamente con los países vecinos no han cesado. Las sequías de los años 80, y las terribles hambrunas que generaron, que afectaron tanto a Egipto como a Etiopía, no hicieron sino elevar las tensiones respecto al codiciado río.

Y es que, frente a la insaciable sed de Egipto, Etiopía muestra un descomunal hambre de desarrollo. Todo ello ha llevado al gobierno de Addis Abeba a construir multitud de presas en los últimos 40 años, tomando en desconsideración las protestas que llegaban desde El Cairo. No obstante, dichas obras quedarían reducidas a la nada en comparación con el proyecto que se iniciaría en 2011: la presa conocida como “Grand Ethiopian Reinassance Dam” (GERD). Esta obra ha necesitado de una inversión total de 4.800 millones de dólares y cuando sea terminada, aproximadamente en 2017, se convertirá en la presa más grande de toda África, con una capacidad de almacenamiento de agua de hasta 74 billones de metros cúbicos y con una producción energética al máximo rendimiento de 6000 megavatios anuales, lo que supondría triplicar la actual capacidad etíope. Además, una vez finalizada no sólo permitirá abastecer de electricidad a Etiopía sino también a los países vecinos tales como Uganda, Djibuti, Kenia, Somalia y Sudán, e incluso a Egipto.

VÍDEO: Video de Stratfor explicando el impacto geopolítico del Nilo

Niloazul_m.jpgCon todo ello, Etiopía pasaría de ser un país donde tan sólo un tercio de la población tiene acceso a energía eléctrica a ser el mayor exportador de energía de África oriental. Al mismo tiempo, los problemas derivados de la sequía se verían enormemente reducidos y se experimentaría un notable estímulo del desarrollo económico. O desde luego así lo creen las autoridades etíopes, que consideran que un fracaso en la construcción de la presa constituiría un fracaso de Etiopía en su totalidad. Tal es la importancia de la GERD para ellos que han financiado las obras con recursos públicos propios.

A pesar de todo, el tradicional amo del Nilo no tardaría en responder ante semejante desafío arquitectónico. Así, las autoridades cairotas no tardarían en concebir la GERD como una amenaza para su seguridad nacional ante la posibilidad de que la presa reduzca el flujo de agua que llega hasta las orillas egipcias del Nilo. Sin duda alguna el ejemplo etíope se reproducirá en el resto de países ribereños en cuanto gocen de los recursos necesarios, con lo que la hegemonía hídrica de Egipto se hará añicos.

No obstante, Egipto no cesaría en sus esfuerzos por impedir que el proyecto se llevase a cabo. En 2010, en un correo filtrado por Wikileaks, aparecían declaraciones de altos cargos egipcios que, en colaboración con Sudán, planeaban un ataque militar sobre la presa en construcción. Posteriormente, ya con Morsi en el poder tras la primavera egipcia, el elevado tono de las discusiones tampoco desaparecería. En una conversación televisada por error, varios políticos egipcios proponían alimentar la inestabilidad interna en Etiopía mediante la financiación de grupos armados dentro de sus fronteras y el propio presidente llegó a asegurar que si la cantidad de agua que corría por la cuenca egipcia del Nilo se reducía una sola gota ésta sería sustituida con sangre egipcia.

Sin embargo, y aunque no debemos olvidar que Egipto consta con uno de los ejércitos más poderosos de África, la inestabilidad económica y política que impera en el país desde la caída de Mubarak –incluyendo focos de insurgencia islamista en el Sinaí–, junto con la pérdida de influencia por el aumento de fuerza geopolítica del resto de países ribereños subsaharianos –Rwanda, Tanzania, Uganda, Kenia Burundi y Sudán del Sur han dado ya su apoyo al proyecto–, y la distancia de más de 1000 kilómetros que separan la frontera sur de Egipto del enclave de la presa, hacen totalmente inviable una intervención armada, pues su precio económico, militar y político sería demasiado elevado.

Debemos considerar por otra parte la enorme influencia de Etiopía en el mantenimiento de la estabilidad regional. Es un aliado clave de Estados Unidos en su lucha contra el terrorismo islamista tanto en el Cuerno de África como en la península arábiga y fueron los esfuerzos diplomáticos etíopes los que evitaron que la independencia de Sudán del Sur en 2011 no derivara en una escalada de agresiones con el norte. Por otra parte, es algo notable que Etiopía se haya mostrado dispuesta a la participación de Egipto y Sudán en el proyecto, demostrando con ello el deseo de hacer de la operación un juego beneficioso para todos los implicados.

La Iniciativa de la Cuenca del Nilo

La pérdida de peso geopolítico de Egipto proviene, entre otras causas, por el mayor empuje ejercido por los países ribereños situados al sur del Sáhara. Frente a la influencia y poder del gigante egipcio, estos estados han llevado a cabo una estrategia clara de “la unión hace la fuerza”. El reflejo institucional de esta perturbación en el centro de gravedad en la región se ha materializado en la Iniciativa de la Cuenca del Nilo (NBI por sus siglas en inglés).

Se trata de una asociación regional intergubernamental que busca promover la integración regional y el desarrollo económico cooperativo, equitativo y sostenible del río Nilo, de tal forma que todos los participantes puedan compartir los beneficios socio-económicos de sus aguas, a la vez que se mantiene la paz, la estabilidad y la seguridad de la región. En definitiva, se trata de aunar las agendas políticas regionales acerca del Nilo en un proyecto común, cumpliendo así con los principios de la Convención de Naciones Unidas sobre los Cursos Fluviales.

Aunque la idea original surgió en 1997 no se hizo realidad hasta el 22 de febrero de 1999. En dicha fecha los ministros encargados del manejo de los recursos hídricos de Burundi, República democrática del Congo, Egipto, Etiopia, Kenia, Rwanda, Sudan del Sur, Sudan, Tanzania y Uganda –y Eritrea como Estado observador– se reunieron en Dar es-Salaam (Tanzania). En dicho encuentro se acordó que la NBI no buscaría otra cosa sino el desarrollo económico y social sostenible de la región de la cuenca del Nilo, a través de la utilización compartida de sus recursos, en base a los principios de equidad, sostenibilidad y buena voluntad, y gozó con el apoyo de instituciones y donantes como el Banco Mundial.

La iniciativa fue concebida como una institución transitoria hasta que fueran completadas las negociaciones acerca del Acuerdo sobre el Marco Cooperativo (Cooperative Framework Agreement o CFA), cuando la NBI se tornó, al fin, permanente en marzo de 2011, tras la firma del acuerdo de Entebe. Dicho acuerdo permite a todos los países ribereños construir presas y llevar a cabo proyectos en común. El acuerdo, catalogado como “una solución africana para un problema africano”, ha sido ya ratificado por Etiopía, Rwanda, Uganda, Kenia, Tanzania y Burundi, y parece que Sudán del Sur y la República Democrática del Congo serán los siguientes. Egipto y Sudán, en cambio, se han negado a firmarlo, alegando que uno de sus artículos vulnera los derechos de uso preexistentes. Si bien, tras su partición en 2011 y la crisis interna resultante –incluida la derivada de la necesidad de relocalizar sus recursos hídricos–, y tras varios informes que han demostrado que la construcción de presas en Etiopía no afectarían significativamente a sus reservas de agua, Sudán está comenzando a inclinarse hacia el bloque sur, una decisión que le reportaría un gran número de beneficios.

nil-g_8zORnwUc.jpgAsí, la NBI ha logrado que el eje gravitacional de la región se haya desplazado al sur. Con ello Egipto, a pesar de sus esfuerzos de mantener el statu quo con su participación de la iniciativa, tendrá que cambiar su estrategia, y aceptar la necesidad de tejer alianzas con las naciones meridionales de la cuenca; será ésta la única vía por la que podrá capear su inminente crisis hídrica sin provocar una escalada de tensiones armadas en la región, a la vez que se beneficia del desarrollo económico de la zona.

El futuro: la cooperación o la guerra

En definitiva, la urgencia que requieren los problemas hídricos regionales para ser resueltos va poco a poco forzando a los Estados a ceder en sus posturas hacia una posición de consenso y cooperación. Y es que retos como la reducción de la pobreza, frenar la degradación del medio ambiente o la generalización de los servicios públicos, son comunes a todos los Estados de la cuenca, algunos de ellos entre los más pobres del mundo, y su resolución depende en gran medida del buen uso y del aprovechamiento de los recursos que contiene el Nilo en sus meandros. Además, los cambios deberán realizarse tanto a nivel de las políticas públicas internas de cada Estado como en materia de cooperación internacional.

En el ámbito de las relaciones internacionales el cambio de rumbo ya está en marcha, aunque sin duda queda mucho camino por delante. El 23 de marzo de 2015 el presidente egipcio Abdel Fattah Al-Sisi, el primer ministro etíope Hailemariam Desalegn y el presidente sudanés Omar al-Bashir, firmarían un acuerdo en base a la buena voluntad, para que el proyecto de la GERD en Etiopía siga adelante sin que se produzcan más comportamientos hostiles. Además el ejecutivo de El Cairo ha procedido a estrechar sus relaciones con el resto de países africanos participantes de la NBI, poniendo fin, al menos de momento, a su postura defensiva para con los privilegios de la era colonial.

Por otra parte, será necesario evaluar de qué manera pueden desarrollarse los grandes proyectos arquitectónicos que demandan las distintas economías de la región sin que supongan un perjuicio para las poblaciones locales. Situaciones como la acaecida en 2009 en Sudán, cuando 15.000 familias fueron desplazadas hacia zonas desérticas tras la construcción de la presa de Morowe y la consiguiente inundación de sus tierras, no deberían volver a repetirse. Si se busca realmente la integración y el desarrollo económico de todos los pueblos de la región, las poblaciones más vulnerables deberán ser protegidas, promoviéndose la defensa de los derechos humanos. Asimismo, los gobiernos regionales tendrán que empezar a contar con la participación de los actores no estatales, ya sean ONGs o asociaciones de granjeros o pescadores. Esto permitirá, por un lado, que las demandas y necesidades de dichos grupos sean incluidas en la agenda, abordando las crisis y los conflictos de manera cooperativa y multidimensional, a la vez que se aprovechan sus conocimientos y experiencia sobre el terreno, algo de gran utilidad cuando los recursos logísticos y humanos son muy limitados.

En resumen, si se quiere evitar la conflictividad de la región, el Nilo deberá ser gestionado por medio de la cooperación entre todos los actores implicados, promoviendo la confianza entre los gobiernos, la transparencia en materia de política energética, agrícola y de gestión del agua, así como el desarrollo de proyectos e inversiones comunes que supongan beneficios colectivos.