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dimanche, 25 septembre 2016

Le Manuel d'Épictète

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Le Manuel d'Épictète

Ex: http://lesocle.hautetfort.com 

EPI-0.gifParmi les philosophies antiques, le stoïcisme tient une grande place. Traversant l'antiquité grecque et l'antiquité romaine sur près de six siècles, symbole du sérieux et de l'abnégation de tout un peuple, l'école du Portique apprend à ses disciples à vivre en harmonie avec l'univers et ses lois. Maîtrise de soi, courage, tenue, éthique, ce sont là quelques mots clés pour comprendre le stoïcisme. Le Manuel 1 d'Epictète, condensé de cette sagesse, permet à chaque Européen de renouer avec les plus rigoureuses racines de notre civilisation. Brillant exemple de ce que pouvait produire l'univers mental propre au paganisme européen, le stoïcisme continuera d'irriguer la pensée européenne sur la longue durée (avec notamment le mouvement du néo-stoïcisme de la Renaissance). Et au delà de la longue durée, il est important de souligner l'actualité de la philosophie stoïcienne. Philosophie de temps de crise comme le souligne son histoire, le stoïcisme redirige l'homme vers l'action.

Structure de l’œuvre: Le Manuel est volontairement court. Il s'agit d'un condensé des leçons données par Epictète. Si court qu'il soit, on pourrait s'attendre à une idée différente à chaque aphorisme. Et pourtant les idées centrales ne sont que quelques-unes. Le lecteur ne doit donc pas s'étonner de voir répétées sous des formes différentes, à partir d'observations différentes, les mêmes idées. Ce manuel est un précis de gymnastique, une gymnastique de l'âme. Quelques mouvements y sont codifiés. Ce qui importe n'est pas le nombre mais bien la perfection dans l'exécution. Que chacun puisse donc y voir une porte d'entrée vers une métaphysique de l'absolu, celle de nos origines et qui s'oppose à la métaphysique de l'illimité dans laquelle nous nous perdons aujourd'hui.

Gwendal Crom, pour le SOCLE

La critique positive du Manuel d’Épictète au format .pdf

Le Manuel est l’œuvre attribué à Epictète la plus célèbre. Attribué car tout comme Socrate, il n'écrit rien de son vivant. C'est le disciple d'Epictète, Arrien qui consigna les pensées du maître dans huit à douze œuvres (les Entretiens) dont seuls quatre nous sont parvenus. Le Manuel consiste en un condensé de ces entretiens. Disciple de l'école stoïcienne fondée par Zénon en 301 avant notre ère, Epictète fut par la suite abondamment cité par l'empereur Marc-Aurèle. Epictète forme avec Sénèque (qui le précéda) et Marc-Aurèle la triade du stoïcisme impérial (ou latin). Esclave affranchi né aux alentours de l'an 50 de notre ère, il put suivre durant sa servitude les leçons de Musonius Rufus, grande figure du stoïcisme romain. Une fois libre, il devint un philosophe porté en haute estime par ses contemporains. Epictète vécut dans la pauvreté toute sa vie en ayant pour principale préoccupation de répondre à la question « Comment doit-on vivre sa vie ? ». Il mourut selon toutes vraisemblances aux alentours de l'an 130.

EPI-2.pngLa pensée stoïcienne dégage à ses origines trois grands axes d'étude: la physique (l'étude du monde environnant), la logique et l'éthique (qui concerne l'action). La pensée d'Epictète a ceci de particulier qu'elle ne s'intéresse pas à l'étude de la physique et ne s'attarde que peu sur celle de la logique, même si Epictète rappelle la prééminence de cette dernière dans l'un de ses aphorismes: Le Manuel, LII, 1-2. Car en effet, toute éthique doit être démontrable.

Et si la pensée d'Epictète peut être considérée comme une pensée de l'action alors son Manuel est un manuel de survie, comme le considérait selon la légende Alexandre le Grand. Le Manuel est dénommé en Grec : Enkheiridion qui signifie également « que l'on garde sous la main » et désigne communément le poignard du soldat. Voilà pourquoi Alexandre le Grand gardait sous son oreiller nous dit-on, un poignard et Le Manuel d'Epictète.

Le stoïcisme a pour tâche de nous faire accéder au divin. Il n'est pas une illumination une révélation. C'est une voie d'accès au bonheur par l'exercice et la maitrise rigoureuse de la (froide) raison. C'est une constante gymnastique de l'esprit, une méditation à laquelle on doit se livrer en permanence pour redresser son esprit, redresser toute son âme vers un seul but : être en harmonie avec les lois de l'univers et accepter la marche de celui-ci sans s'en émouvoir. Ainsi, dans ses Pensées pour moi-même 2 (Livre I, VII), l'Empereur Marc-Aurèle remercie son maitre Julius Rusticus (qui fut vraisemblablement un élève d'Epictète) en ces termes: « De Rusticus : avoir pris conscience que j'avais besoin de redresser et surveiller mon caractère... [et] avoir pu connaître les écrits conservant les leçons d'Epictète, écrits qu'il me communiqua de sa bibliothèque ».

On ne saurait de fait évoquer la pensée d'Epictète sans évoquer la notion de tenue. Car la tenue est une manière d'être, un exemple pour soi et pour les autres comme le souligne Epictète. Ainsi pour le philosophe, il ne faut point attendre pour mettre en pratique ce qui a été appris. La perfection théorique n'a aucune valeur si elle n'est pas suivie d'effets. De plus, le stoïcisme croit aux effets retours du comportement sur l'âme humaine. C'est en effet en s'astreignant chaque jour à la discipline, à la méditation, au maintien d'une tenue que l'âme peut tendre vers la perfection. Simplement théoriser cette perfection ou pire, l'attendre, est vain et puéril. Il faut chaque jour trouver de nouvelles confirmations des enseignements du stoïcisme. Il faut chaque jour méditer cet enseignement comme on pratiquerait un art martial, pour que chaque mouvement appris se fasse naturellement, instinctivement.

Mais avant de pénétrer plus avant la pensée stoïcienne, il convient d'emblée de préciser qu'il ne faut pas confondre la philosophie stoïcienne avec le caractère « stoïque » qui désigne quelqu'un de résigné, faisant preuve d'abnégation et affrontant les coups du sort sans broncher. La philosophie stoïcienne est avant tout une recette du bonheur visant à se libérer totalement de l'emprise des émotions pour atteindre un état dit d'ataraxie, calme absolu de l'âme. Néanmoins, ce bonheur ne sera accessible qu'en étant « stoïque » : l'abnégation étant la base nécessaire pour accéder à la philosophie stoïcienne. De fait, cette recherche du calme absolu, de la maîtrise de soi intégrale ne put que plaire aux Romains comme le souligne Dominique Venner dans Histoire et Tradition des Européens 3. Peuple droit et rigoureux, cette philosophie enseignait entre autres à bien mourir, c'est-à-dire à affronter la mort en face, et au besoin, de se l'administrer soi-même lorsque l'honneur le commandait. Il sera d'ailleurs tentant de remarquer que la philosophie stoïcienne, par son rapport aux émotions, rappelle le bouddhisme là où le sérieux des Romains n'hésitant pas à se donner la mort rappelle étrangement celui des Samouraïs s'infligeant le seppuku. Que serait devenu une Europe où le stoïcisme aurait remplacé la morale chrétienne ? Qu'en serait-il également d'une noblesse européenne qui telle la noblesse japonaise aurait répondu de son honneur sur sa vie ? Ce sont là des pistes que l'historien méditatif saura explorer à bon escient. Mais avant d'entreprendre tel voyage, examinons comme dirait Epictète ses antécédents et ses conséquents.

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Le philosophe Epictète représenté avec une canne. Durant sa servitude, son maître lui mit la jambe dans un instrument de torture. Selon la légende, Epictète le prévint en ces mots: «Attention. Cela va casser ». Lorsque la jambe céda, Epictète dit alors « Ne t'avais-je point prévenu que cela allait casser ». Boiteux toute sa vie, il montra que l'on pouvait nuire à son corps mais pas à son âme.

Car le stoïcisme est une voie dure et qui n'est pas sans risques. Le rejet des émotions et donc de la subjectivité de l'existence expose celui qui s'y livre à une vie terne (car sans émotions) et tourmentée (tourmentée car on ne souffre jamais plus que de ce que l'on cherche à fuir, à nier ou à absolument contrôler). Celui qui recherche le bonheur et la suprême sagesse à travers la philosophie stoïcienne se devra de s'y livrer totalement. Il serrera alors conte lui ses enfants comme des êtres mortels, que l'univers peut à tout moment lui prendre sans que cela ne l'émeuve. Le Manuel, III: « Si tu embrasses ton enfant ou ta femme, dis-toi que c'est un être humain que tu embrasses ; car s'il meurt, tu n'en seras pas troublé ». Mais celui qui ne peut ou ne veut s'engager sur la voie de la philosophie mais recherche un exemple de tenue, une manière de redresser son âme tel l'empereur Marc-Aurèle aura alors à sa disposition les outils d'une puissante et européenne méditation. Tel Marc-Aurèle, il sera en moyen de faire le bien et de s'acquitter de sa tâche en ne cédant pas aux fastes et distractions que la vie pourrait lui offrir. Car c'est également cela la force de la pensée stoïcienne : elle offre deux voies. Une pour le philosophe et une autre pour le citoyen. C'est également en cela qu'elle est une pensée de l'action car elle n'est pas uniquement destinée à un corpus d'intellectuel mais constitue une manière de vivre que chaque Européen, que chaque citoyen peut faire sien. Philosophe et citoyen, tous deux seront en mesure de vivre selon ce qui est élevé. Qu'est ce qui est élevé ? La Sagesse. Que fait l'homme sage ? Le Bien. Comment se reconnaît-il ? Il vit dans l'Honneur.

Epi-1.jpgEt c'est cet Honneur au-dessus de tout, au-dessus de la vie elle-même qui est invoqué par la pensée d'Epictète. Car rappelons-le, la tenue est la base de la pensée stoïcienne. Sans Honneur, point de tenue. Sans tenue, point de voie d'accès à la Sagesse. Et sans Sagesse, on ne saurait faire le Bien. Il faut d'abord et avant tout vivre dans l'honneur et savoir quitter la scène le jour où notre honneur nous le commandera. C'est ce que ce grand Européen que fut Friedrich Nietzsche rappelle dans Le Crépuscule des Idoles 4 (Erreur de la confusion entre la cause et l'effet, 36): Il faut « Mourir fièrement lorsqu'il n'est plus possible de vivre fièrement ». Et s'exercer à contempler la mort jusqu'à ne plus la craindre, jusqu'à lui être supérieur est une des principales méditations stoïciennes : Le Manuel, XXI: « Que la mort, l'exil et tout ce qui paraît effrayant soient sous tes yeux chaque jour ; mais plus que tout, la mort. Jamais plus tu ne diras rien de vil, et tu ne désireras rien outre mesure ». Celui qui se délivrera de l'emprise de la mort sur son existence pourra alors vivre dans l'Honneur jusqu'à sa dernière heure.

Pour bien comprendre Le Manuel, il convient de rappeler les trois disciplines du stoïcisme selon Epictète. Selon lui, toute philosophie se répartie entre ces trois disciplines que sont : la discipline du discernement (le jugement que l'on porte sur soi et le monde environnant), la discipline du désir et des passions (celle qui régit l'être) et la discipline de l'éthique (c'est-à-dire celle qui régit l'action). Et par l'usage de la raison, on part de la première pour arriver à la troisième. Ce qui importe, c'est de pouvoir porter un jugement sûr permettant de régler tout notre être de la meilleure manière qui soit pour pouvoir enfin agir avec sagesse et donc ainsi faire le Bien. La première tâche qui nous incombe est donc de focaliser notre attention (et donc notre jugement) sur les choses qui importent.

Toute la démarche de celui qui s'engage sur la voie du stoïcisme consiste donc d'abord à pouvoir déterminer la nature de l'univers et à pouvoir se situer par rapport à lui. Et le stoïcisme nous enseigne que la première caractéristique de l'univers est qu'il est indifférent à notre sort. Tout est éphémère et n'est que changement. Nous ne pouvons rien contre cela. La marche de l'univers est inéluctable et nous ne sommes qu'une partie d'un grand Tout. Si les Dieux existent, ont prise sur notre existence et doivent être honorés, ils ne sont eux aussi qu'une partie d'un grand Tout et soumis au fatum. Il devient dès lors inutile de pester contre les coups du sort, de maudire les hommes et les Dieux face au malheur. La véritable Sagesse consiste à accepter tout ce qui peut nous arriver et à aller à la rencontre de notre destin le cœur serein. Voilà entre autres pourquoi on ne saurait craindre la mort qui forcément un jour viendra à nous. Prenant l'exemple des bains publiques pour illustrer les torts que notre environnement ou nos contemporains peuvent nous causer, Epictète nous dit (Le Manuel, IV) : « Ainsi, tu seras plus sûr de toi en allant te baigner si tu te dis aussitôt : « Je veux me baigner, mais je veux encore maintenir ma volonté dans un état conforme à la nature ». Et qu'il en soit ainsi pour toutes tes actions. Ainsi s'il te survient au bain quelque traverse, tu auras aussitôt présent à l'esprit : « Mais je ne voulais pas me baigner seulement, je voulais encore maintenir ma volonté dans un état conforme à la nature. Je ne la maintiendrais pas, si je m'irritais de ce qui arrive » ». C'est l'un des pivots de la pensée stoïcienne. Tout comme l'univers est indifférent à notre sort, nous devons être indifférents à sa marche. Mieux encore, épouser la marche du monde, accueillir le destin d'un cœur résolu, c'est faire acte de piété car c'est avoir fait sien le principe directeur qui guide l'univers lui-même. Et l'univers est par définition parfait donc divin. Ce sont ces considérations métaphysiques qui nous amènent à la raison. Et c'est par la raison que nous accéderons en retour au divin.

EPI-4.jpgNous devons donc ne nous préoccuper que de ce qui ne dépend que de nous car selon Epictète, l'une des plus grandes dichotomies à réaliser c'est celle existante entre les choses qui dépendent de nous et celles qui n'en dépendent pas. Parmi les choses qui dépendent de nous, le jugement que l'on se fait de soi et de l'univers qui nous entoure. Ce qui dépend de nous, c'est tout ce qui a trait à notre âme et à notre libre-arbitre. Et parmi les choses qui ne dépendent pas de nous : la mort, la maladie, la gloire, les honneurs et les richesses, les coups du sort tout comme les actions et pensées de nos contemporains. L'homme sage ne s'attachera donc qu'à ce qui dépend de lui et ne souciera point de ce qui n'en dépend point. C'est là la seule manière d'être libéré de toute forme de servilité. Car l'on peut courir après richesses et gloires mais elles sont par définition éphémères. Elles ne trouvent pas leur origine dans notre être profond et lorsque la mort viendra nous trouver, à quoi nous serviront-elles ? Pour être libre, il convient donc de d'abord s'attacher à découvrir ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas. C'est bel et bien la première discipline du stoïcisme : celle du discernement. En se plongeant dans Le Manuel d'Epictète, on apprendra vite qu'il faut d'abord et avant tout s'attacher à ce que l'on peut et au rôle dont le destin nous a gratifié. Le rôle qui nous est donné l'a été par l'univers (que ce soit par l'entremise des Dieux ou par la voie des causes et des conséquences) et c'est donc avec ferveur que nous devons le remplir. C'est en faisant ainsi, cheminant aux côtés de ses semblables, modeste et loyal, que l'on sera le plus utile aux siens et à sa patrie. C'est bel et bien une vision fataliste de l'existence, un amor fati très européen. Rappelons-nous qu'aller à l'encontre du destin, c'est défier les Dieux et l'univers. Et pourtant... cela nous est bel et bien permis à nous Européens. La Sagesse consiste à savoir que cela ne peut se faire que lorsque tel acte est commandé par l'absolue nécessité et en étant prêt à en payer le prix. On se replongera dans l'Iliade pour se le remémorer. Mais comme il est donné à bien peu d'entre nous de connaître ce que le destin leur réserve, notre existence reste toujours ouverte. Il n'y a pas de fatalité, seulement un appel à ne jamais se dérober lorsque l'histoire nous appelle. Voici une autre raison de s'exercer chaque jour à contempler la mort. Car si nous ne nous livrons pas quotidiennement à cette méditation, comment réagirons-nous le jour où il nous faudra prendre de véritables risques, voir mettre notre peau au bout de nos idées ? Lorsque le Destin frappera à notre porte, qu'il n'y aura d'autre choix possible qu'entre l'affrontement et la soumission, le stoïcien n'hésitera pas. Que seul le premier choix nous soit accessible, voici le présent que nous fait le stoïcisme. Le Manuel, XXXII, 3: « Ainsi donc, lorsqu'il faut s'exposer au danger pour un ami ou pour sa patrie, ne va pas demander au devin s'il faut s'exposer au danger. Car si le devin te déclare que les augures sont mauvais, il est évident qu'il t'annonce, ou la mort, ou la mutilation de quelque membre du corps, ou l'exil. Mais la raison prescrit, même avec de telles perspectives, de secourir un ami et de s'exposer au danger pour sa patrie. Prends garde donc au plus grand des devins, à Apollon Pythien, qui chassa de son temple celui qui n'avait point porté secours à l'ami que l'on assassinait ».

Qu'en est-il à présent des trois disciplines du stoïcisme. Comme il a été dit précédemment, être et action découlent du discernement et l'on peut ainsi affiner la définition des trois disciplines du stoïcisme:

  • Discernement: On s'attachera à déterminer les choses qui dépendent de nous et celles qui n'en dépendent pas.
  •  Être: On se bornera à ne point désirer ce qui ne dépend pas de nous et inversement à désirer ce qui en dépend.
  • Action: On pourra alors agir selon ce que notre être nous commande et ne pas aller vers ce qui nous en détournerait.

EPI-3.jpgIl convient de s'attarder maintenant sur ces définitions de l'être et de l'action. Comme nous le voyons, non seulement nous devons aller dans la bonne direction mais qui plus est nous interdire tout ce qui pourrait nous en détourner. Vivre en stoïque, c'est vivre de manière radicale. Que l'on vive le stoïcisme en philosophe ou en citoyen ne change rien à cela. Il n'y a pas de place pour la demi-mesure. Une droite parfaitement rectiligne, c'est ce qui doit symboliser le chemin parcouru par l'homme antique, l'homme stoïque. Il a été dit plus haut que tout était éphémère, que tout n'était que changement. A partir de cette constatation, sachant que nous ne devons point désirer et accorder d'importance à ce qui ne dépend point de nous, il devient dès lors impossible de s'attacher à ses possessions, à ses amis, à sa famille. Ceux-ci ne nous appartiennent pas et rien de ces choses et de ces personnes ne sont une extension de nous-même. Hommes ou objets, nous n'en jouissons que temporairement. Et cela ne doit pas être vu comme un appel à l'indifférence et à l'égoïsme. L'enseignement qui doit en être retiré est que la vérité et l'exigence de tenue ne doivent pas tenir compte de ces que nos contemporains, si proches soient-ils de nous, peuvent en penser. De même, l'argent et les biens matériels ne sont que des outils. Des outils au service du bien, de la cité, de la patrie. Celui qui se laisse posséder par ce qui est extérieur à lui-même ne mérite pas le titre de stoïcien, le qualificatif de stoïque. Et à ceux qui verront le stoïcisme comme trop dur, Epictète répond que la Sagesse a un prix. Nous ne pouvons désirer la paix de l'âme et les fruits d'une vie de servitude. A vrai dire, à vouloir les deux à la fois, on n'obtient bien souvent ni l'un ni l'autre. Et à ceux qui se décourageront en chemin, Epictète rappelle que nous pouvons trouver en nous tous les outils pour persévérer. Face à l'abattement, invoquons la ferveur, face à la fatigue, invoquons l'endurance, face aux insultes et aux coups, invoquons le courage.

Quelles sont alors les valeurs qui doivent être invoquées en toutes circonstances par l'Européen sur la voie du stoïcisme ? Puisque tout n'est qu'éthique, puisque tout n'est que tenue, que doit-on se dire inlassablement pour être prêt le jour où le destin nous appellera ?

  • Méprise mort, maladie, honneurs, richesses
  • Ne te lamente de rien qui puisse t'arriver
  • Maîtrise-toi car tu es le seul responsable de tes actes
  • Joue à fond le rôle qui t'es donné
  • Agis ou lieu de décréter
  • Respecte les liens du sang, de hiérarchie et les serments
  • Ne te détourne jamais de ton devoir
  • Ne te justifie jamais, ris des éloges que tu reçois
  • Ne parle que lorsque cela est nécessaire
  • Ne commet rien d'indigne
  • Par ta conduite, amène les autres à la dignité
  • Ne fréquente pas ceux qui sont souillés
  • Modération en tout. Accepte les bonnes choses de la vie sans les rechercher. Enfin, ne les désire plus
  • Les Dieux gouvernent avec sagesse et justice :

« Sache que le plus important de la piété envers les Dieux est d'avoir sur eux de justes conceptions, qu'ils existent et qu'ils gouvernent toutes choses avec sagesse et justice, et par conséquent, d'être disposé à leur obéir, à leur céder en tout ce qui arrive, et à les suivre de bon gré avec la pensée qu'ils ont tout accompli pour le mieux. Ainsi, tu ne t'en prendras jamais aux Dieux et tu ne les accuseras point de te négliger »

Epictète, Le Manuel, XXXI

epi-6.jpgAller au-devant du monde le cœur serein. Rester droit face aux pires menaces et affronter la mort sans faillir, voilà la grande ambition du stoïcisme. En des temps troublés, l'Européen, quel que soit son rang, trouvera dans le Manuel tous les outils pour y arriver. Par la méditation, la raison et la maîtrise de soi il pourra se forger jour après jour une antique et véritable tenue. Le stoïcisme est également l'une des traditions par laquelle on peut se rapprocher du divin puis enfin mériter soi-même ce qualificatif. Devenir « pareil au Dieux » fut l'une des grandes inspirations de nos plus lointains ancêtres au sein de toute l'Europe. Germains et Celtes aux ancêtres divins ou Latins et Hellènes rêvant de prendre place à la table des Dieux, tous étaient habités par cette métaphysique de l'absolu qui guide nos âmes depuis nos origines. Une métaphysique de l'absolu qui les poussait à rechercher la perfection, l'harmonie, la beauté. Avec la raison menant au divin et le divin menant à la raison, le stoïcisme réussit un syncrétisme que beaucoup ont cherché à réaliser en vain pendant des siècles. Et cette sagesse n'est nullement incompatible avec les fois chrétiennes comme avec nos antiques fois européennes. Le libre penseur, l'incroyant lui-même n'en est pas exclu. Voilà pourquoi celui qui ouvre Le Manuel aura alors pour horizon l'Europe toute entière et ce, à travers toutes ses époques. Que celui qui contemple alors notre histoire se rappelle ces paroles d'Hector dans L'Iliade 5 (XII, 243) : « Il n'est qu'un bon présage, celui de combattre pour sa patrie ».

Pour le SOCLE :

De la critique positive du Manuel, les enseignements suivants peuvent être tirés :

                    - Le Manuel dicte la tenue idéale à tenir pour un certain type d'Européen.

                    - C'est un devoir sacré pour chacun d'être utile là où il est.

                    - Il ne saurait y avoir de réflexion sans action.

                    - L'honneur est au-dessus de la vie.

                    - L'hubris doit être condamné.

                    - On doit être guidé par une métaphysique de l'absolu.

                    - Le divin mène à la raison. La raison mène au divin.

Bibliographie

  1. Le Manuel. Epictète. GF-Flammarion.
  2. Pensées pour moi-même. Marc-Aurèle. GF-Flammarion.
  3. Histoire et tradition des Européens. 30 000 ans d'identité. Dominique Venner. Editions du Rocher.
  4. Le crépuscule des idoles. Friedrich Nietzsche. Folio Essais.
  5. L'Iliade. Homère. Traduit du grec par Fréréric Mugler. Babel.

Bologne, PISA, Plan d’études 21

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Bologne, PISA, Plan d’études 21

Quels sont les liens entre les réformes scolaires et l’hégémonie culturelle?

par Dieter Sprock

Ex: http://www.zeit-fragen.ch

Dans toute l’Europe, un nombre sans cesse grandissant de parents s’interroge sur le déroulement de l’enseignement dans les écoles de leurs pays. Les élèves n’apprennent plus à lire correctement et les parents passent des heures, après leur journée de travail, à enseigner à leur progéniture ce qui serait en fait la mission de l’école. Les heures de cours privés ont bonne conjoncture.
Beaucoup de maîtres d’apprentissage se plaignent du manque de maturité des candidats-apprentis. Souvent, ils ne sont guère capables de comprendre un mode d’emploi ou de résoudre de simples calculs.
Les Hautes Ecoles également sont confrontées à des étudiants ne remplissant souvent pas les conditions prérequises pour les études, tant au niveau professionnel qu’au niveau mental. Le nombre des jeunes gens abandonnant leurs études s’élève dans la plupart des pays européens à 30% ou plus, dans les matières techniques ce taux s’élève même à près de 50%.1 L’économie manque de spécialistes bien formés.
Ces problèmes ne datent pas d’aujourd’hui. Depuis plus de 20 ans, des réformes scolaires et universitaires se succèdent les unes après les autres dans la plupart des pays européens. Deux organisations internationales en sont les actrices principales. Ce sont d’une part l’OCDE, responsable pour la gestion centralisée des développements scolaires à l’aide des tests PISA et l’UE avec le processus de Bologne pour la gestion centralisée de l’enseignement supérieur et universitaire.

La façon dont Bologne a modifié le paysage des écoles supérieures

Le 19 juin 1999, les Ministres de la formation de l’UE signèrent à l’Université de Bologne une déclaration d’intention pour l’Espace européen de la formation, appelée «Déclaration de Bologne», à l’aide de laquelle le système universitaire européen fut remplacé par le système américain de Bachelor/Master.
Une délégation suisse de 7 personnes, composée de représentants de la politique et de la science sous la direction du Secrétaire d’Etat Charles Kleiber, était aussi présente. M. Kleiber signa cette déclaration – allant contre l’avis du conseil des recteurs d’Université ayant participé au voyage – et intégra ainsi, sans discussion préalable, également la Suisse dans cette restructuration selon le modèle anglo-américain. Une semaine auparavant, l’Assemblée plénière de la Conférence des recteurs des universités suisses avait statué que la déclaration présentée était inacceptable pour la Suisse.2
Par le biais de la Déclaration de Bologne, on créa un Espace européen de la formation unitaire et on raccourcit la durée des études. A l’aide de critères et de méthodes unifiées pour le contrôle de qualité – l’European Credit Transfer System (ECTS) – on commença à mesurer et à comparer les performances dans les différentes filières des études et des pays. Les mobiles invoqués furent l’amélioration de la mobilité et de la capacité des étudiants à trouver un emploi, la garantie de la compétitivité des universités européennes face à la concurrence globale.
Rien de tout cela n’a été atteint. En réalité, il en résulta un monstre bureaucratique axé sur l’économie de marché réduisant la liberté de l’enseignement et de la recherche et transformant les universités en entreprises économiques et les étudiants en clients. Des entreprises disposant de moyens financiers considérables poussent la recherche dans une direction dont le seul objectif est les bénéfices. «Le slogan est défini par davantage de compétitivité, de performance, d’efficacité. Et avant tout davantage d’Europe [en réalité d’UE]», écrit Matthias Daum dans Die Zeit.3
Kurt Imhof, sociologue zurichois et pourfendeur du système de Bologne, parle dans une interview accordée à la Sonntagszeitung d’un «apprentissage boulimique: ingurgiter, recracher, oublier». L’apprentissage a été réduit au «mainstream». Le personnel enseignant est contraint, «à standardiser le savoir, puis à le tester au moyen de réponses à choix multiples». Actuellement, le savoir est transmis à l’aide d’un entonnoir puis testé. «Les étudiants ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Par manque de temps, ils ne peuvent plus faire d’analyse critique de la matière et doivent se satisfaire des idées reçues», déclare M. Imhof.4

La façon dont PISA restructure l’école obligatoire et définit les contenus d’apprentissage

La transformation des écoles obligatoires, ayant débuté déjà à la fin des années 60 avec la propagation de formes individualisées de l’apprentissage, obtint avec PISA un nouvel élan. Accompagné d’un matraquage médiatique, la publication des premiers résultats des tests au début de notre siècle provoqua dans certains pays européens ce qu’on appela le «choc PISA». Par la suite, adhérant totalement aux injonctions des planificateurs de PISA, ces pays commencèrent à restructurer leur politique scolaire afin d’obtenir de meilleurs résultats dans le «palmarès des pays» en adaptant les contenus d’apprentissage aux tests.
De cette manière, on veut uniformiser, rendre mesurables et contrôlables au niveau international les connaissances. «Le test PISA, soi-disant neutre», déclare Jochen Krautz, professeur en didactique, dans une interview accordée à la «Neue Zürcher Zeitung», «conduit à une toute nouvelle définition du terme «formation»: Il ne s’agit plus des connaissances, mais de la capacité à s’adapter.»5
Le terme de l’«orientation sur les compétences» est étroitement lié au système PISA. Cependant, le mot «compétence» n’a, dans tout ce qui touche aux tests PISA et aux réformes scolaires, rien à voir avec notre idée de personnes compétentes, que nous apprécions, mais conduit à une banalisation de l’école orientée sur l’action.

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Les formes d’apprentissage individualisées ne sont pas un soutien individuel, comme on pourrait le comprendre, mais elles mènent à une situation où l’apprenant est livré à lui-même. Elles visent l’abolition de l’enseignement en classe. Les maîtres d’école ne doivent plus enseigner mais jouer aux «accompagnateurs». Les nouveaux manuels scolaires sont déjà conçus de manière à ce que les élèves puissent, avec l’aide d’Internet, travailler seuls et corriger eux-mêmes leurs résultats. L’enseignant est aujourd’hui déjà pour une bonne partie remplacé par l’ordinateur. La salle de classe numérique n’est plus une utopie, bien que les recherches, notamment de Hattie,6 démontrent que le succès dans l’apprentissage dépend essentiellement de la transmission par et des relations avec l’enseignant. Depuis toujours et partout, les êtres humains ont pris cela en compte en veillant soigneusement à ce que l’école transmette à leurs enfants toutes les connaissances scolaires et culturelles fondamentales.7 Pourquoi donc cette rupture?

Emprise sur la Suisse et Plan d’études 21

Afin que ce bouleversement structurel de l’école obligatoire puisse se réaliser également en Suisse, on dût, au moins partiellement, l’extraire de son ancrage dans la démocratie directe. L’école obligatoire [en Suisse alémanique, ndt.] était, jusqu’il y a environ 10 ans auparavant, sous contrôle de représentants des autorités scolaires régionales et communales, élus tous les 4 ans par le peuple. Ce contrôle par des personnes de professions très diverses a été éliminé et remplacé par des «services spécialisés pour l’évaluation de l’enseignement» dits professionnels, sans plus aucune légitimité démocratique. Ensuite, les enseignants responsables d’un établissement (par ex. les «doyens») qui, selon la compréhension démocratique suisse étaient sur un pied d’égalité avec leurs collègues, furent remplacés par des chefs d’établissements disposant d’un pouvoir décisionnel important. Ces changements étaient tous nécessaires pour imposer les réformes dictées d’en haut et déconnectées de la pratique.
Une étude, réalisée à l’Université de Brême dans le domaine de recherche «Etat en mouvement» (!) par des partisans (!) des réformes, décrit avec étonnement comme il a été facile en Suisse de mettre à l’écart les «veto players» [les instances démocratiques, ndt.] grâce à une manipulation habile des débats sur les réformes du système d’enseignement à l’intérieur du pays.8
Le Plan d’études 21 est le résultat de ce processus. S’il est mis en vigueur, il permettra de bétonner au niveau législatif les réformes déjà réalisées et de mettre au pas les écoles récalcitrantes.

«Pourquoi ont-ils créé Pisa?»

Roman Langer, sociologue et professeur adjoint à l’Institut de pédagogie et psychologie de l’Université Johannes Kepler de Linz (Autriche) a analysé dans une étude intitulée «Warum haben die Pisa gemacht» [Pourquoi ont-ils créé Pisa?] la question de savoir quels dessins et constellations politiques ont engendré puis imposé le système PISA.9
Il a divisé ce développement en trois phases en commençant avec le «choc du spoutnik» que les Etats-Unis vécurent en 1957, suite à l’envoi du premier satellite soviétique dans l’Espace. Ils ripostèrent avec une grande campagne de formation.
La deuxième phase débuta, elle aussi, par un choc provoqué cette fois au début des années 80 aux Etats-Unis suite aux résultats catastrophiques publiés dans une enquête nationale sur le niveau de formation dans le pays, enquête intitulée «A Nation at Risk». Par la suite, le gouvernement américain contraignit l’OCDE, sous menace de la quitter, de créer des normes internationales de formation. De cette manière, il voulut forcer les Etats fédéraux américains d’accepter le contrôle de leur politique de formation par le gouvernement fédéral, bien que celle-ci ne fasse pas partie de ses prérogatives, à l’instar des cantons suisses et des Länder allemands. L’OCDE céda au chantage et devint ainsi un acteur central dans le domaine de la formation en inventant PISA.
La troisième phase, fut initiée par le Conseil européen, définissant une stratégie politico-économique pour les Etats européens. Déclenché par le «processus de mondialisation postsocialiste» et sous le choc des résultats des premiers tests PISA, les pays germanophones, y compris la Suisse, acceptèrent les normes de formation élaborées aux Etats-Unis et promues par l’OCDE, bien que, selon Langer, les Etats-Unis eux-mêmes n’avaient «nullement fait que des expériences positives» avec ce système. Le modèle prônant les compétences élaboré par l’OCDE fut également repris sans aucune analyse critique (Langer, p. 62)

Internationalisation de la politique de formation

Entre-temps, les études analysant la direction des politiques nationales de formation par des organisations internationales du genre de l’OCDE et de l’UE abondent. L’Université de Brême a créé, précisément à ce sujet, un domaine particulier de recherches dont est issu l’étude, déjà mentionnée plus haut, intitulée «Soft Governance in Education. The Pisa Study and the Bologna Process in Switzerland».
Les deux sociologues Kirstin Martens et Klaus Dieter Wolf analysent dans leur étude intitulée «Paradoxien der Neuen Staatsräson. Die Internationalisierung der Bildungspolitik in der EU und der OECD»10 [Les paradoxes de la nouvelle raison d’Etat. L’internationalisation de la politique de formation au sein de l’UE et de l’OCDE] l’influence croissante des organisations internationales sur les politiques de formation des Etats-nations. Ils arrivent à la conclusion qu’à leur étonnement l’UE et de l’OCDE avait énormément gagnée en importance au cours des dernières années dans le domaine des réformes des systèmes de formation nationaux. Ils furent surpris «qu’un domaine politique, jusqu’à présent solidement ancré dans les systèmes politiques nationaux et la souveraineté culturelle se retrouve soudainement sur l’agenda internationale». Les auteurs s’étonnent également «de l’envergure du pouvoir transformateur» dont ont fait preuve les deux organisations sans posséder de «compétences juridiques dans le domaine de l’enseignement». Ils expliquent ce succès par «la manipulation des rapports de force au sein des Etats» à l’aide de laquelle les deux organisations ont profité de leur influence sur les cadres politiques des gouvernements nationaux pour faire prévaloir leurs intérêts (Martens et Wolf, p. 145 s.). A cela, il n’y a vraiment rien à ajouter.

Contestation!

Ne soyons pas dupe, il n’y a aucun doute: deux organisations sous dominance américaine, l’OCDE et l’UE, exercent leur influence sur la politique européenne de formation. Il est incompréhensible que les pays européens – et malheureusement aussi la Suisse – reprennent des normes américaines de formation alors que les Etats-Unis – mis à part les écoles et universités d’élite ne respectant pas ces normes – sont bien connus pour leur mauvais système de formation.
Les effets de cette politique erronée sont évidents et suffisamment décrits. Entre-temps, dans de nombreux pays, l’opposition se renforce. «Contestation!» («Einspruch!» en allemand) est le nom d’une brochure d’une quarantaine de pages paru en Suisse, rassemblant une trentaine de prises de position critiques rédigées par des personnalités politiques et universitaires renommées. Elle en est à sa 4e édition et le tirage total dépasse les 10 000 exemplaires.11
En outre, des parents se sont regroupés pour revendiquer que leurs enfants puissent à nouveau profiter d’un enseignement sérieux à l’école obligatoire.12 Dans une bonne douzaine des 21 cantons de la Suisse alémanique, des initiatives populaires cantonales ont déjà abouti pour tenter d’empêcher l’introduction du Plan d’études 21.13
Seule la voix de la politique fait défaut. Langer parle d’une modèle des 4 phases concernant le traitement des citoyens critiques par les instances politiques: D’abord, on tente d’ignorer et de passer sous silence les critiques. Puis, on diffame ces personnes en les traitant d’incompétents ou de malhonnêtes. Ensuite, on leur concède le bien-fondé de certains points critiques, tout en les caractérisant d’aspects totalement marginaux. Finalement, on prétend que les critiques exprimées sont bien connues et réfutées depuis longtemps. (Langer, p. 64). Je laisse au choix du lecteur de reconnaître dans laquelle de ces 4 phases se trouve le débat dans son propre pays ou dans sa propre région.

En quoi tout cela relève-t-il de l’hégémonie culturelle?

Zbigniev Brzezinski, dans son fameux livre «Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde.»14 est particulièrement attentif au «composant culturel». Il dit qu’il a souvent été «sous-estimé», en mettant le doigt sur la culture de masses américaine qui exerce, notamment pour les jeunes, une fascination carrément magique: «Les programmes américains alimentent les trois quarts du marché mondial de la télévision et du cinéma. Cette domination est tout aussi marquée dans le domaine des musiques populaires, et, de plus en plus, des phénomènes de mode – vestimentaires, alimentaires ou autres – nés aux Etats-Unis se diffusent par imitation dans le monde entier. Sur Internet, l’anglais sert de «lingua franca» et une majorité écrasante des services en ligne, sur les réseaux informatiques, sont localisés aux Etats-Unis, ce qui a une influence décisive sur le contenu des communications.» Puis, Brzezinski de continuer que les Etats-Unis attirent, dans une proportion de plus en plus grande, les individus souhaitant approfondir leur formation ou se spécialiser. «On estime à un demi-million les entrées annuelles sur le territoire de nouveaux étudiants étrangers. Parmi les meilleurs d’entre eux, bon nombre ne retourneront jamais dans leur pays d’origine. On trouve des diplômés des universités américaines dans les cabinets gouvernementaux sur tous les continents.» (Brzezinski, p. 51).


Brzezinski ne laisse aucun doute quant à la volonté de l’Amérique de tirer profit de cette situation. «A mesure que ce modèle gagne du terrain dans le monde, il crée un contexte propice à l’exercice indirect et apparemment consensuel de l’hégémonie américaine.» Celle-ci implique «une structure complexe d’institutions et de médiations conçues pour engendrer le consensus et atténuer les déséquilibres et les désaccords». Ainsi la suprématie globale américaine repose-t-elle sur un système élaboré d’alliances et de coalitions couvrant, au sens propre, la planète. (Brzezinski, p. 53)


Espérons que le cynisme provocant de Brzezinski incitera aussi nos politiciens à réfléchir!   

1    Schmidt, Mario. Studienabbrecher. Lasst sie nicht fallen. www.zeit.de/2014/53/studienabbrecher-studium-hochschule-hochschulpakt/komplettansicht
    Studienabbrüche an Schweizer Universitäten. edudoc.ch/record/110176/files/
Staffpaper11.pdf
2    Müller, Barbara. Die Anfänge der Bologna-Reform in der Schweiz. Berne 2012, p. 155
3    Daum, Matthias. Sie können das nicht unterzeichnen! www.zeit.de/2012/52/Bologna-Reform-
Universitaeten-Schweiz
4    Sebastian Ramspeck et Balz Spörri dans une interview de Kurt Imhof, SonntagsZeitung du 31/10/09
5    Krautz, Jochen. Den Pisa-Test sollte man
abschaffen, Interview accordée à Claudia Wirz,
in: «Neue Zürcher Zeitung» du 14/7/14
6    Hattie, John. Lernen sichtbar machen.
Baltmannsweiler 2015, 3. erweiterte Auflage
7    Felten, Michael. Auf die Lehrer kommt es an! Gütersloh 2010
8    Bieber, Tonia. Soft Governance in Education.
The PISA Study and the Bologna Process in
Switzerland. TranState Working Paper No. 117, Bremen 2010. Traduction en allemand sur
www.schulforum.ch
9    Langer, Roman. Warum haben die Pisa gemacht? In: Warum tun die das? Governanceanalysen zum Steuerungshandeln in der Schulentwicklung.
Wiesbaden 2008. p. 49–72.
10    Martens, Kersten et Wolf, Klaus Dieter. Zeitschrift für Internationale Beziehungen. 13. Jg. (2006)
Heft 2, p. 145-176, www.kj.nomos.de/fileadmin/zib/doc/Aufsatz_06_02.pdf
11    Pichard, Alain und Kissling, Beat (Ed.).
Einspruch! Kritische Gedanken zu Bologna,
Harmos und Lehrplan 21.
12    www.elternfuereinegutevolksschule.ch/Eltern_fuer_eine_gute_Volksschule/Willkommen.html
13    www.lehrplan21-nein.ch/media/aktuelles/20160210_karte_ch_gegen_lp21_beiblatt.pdf
14    Brzezinski, Zbigniev. Le grand échiquier.
L’Amérique et le reste du monde. Paris 1997.

TTIP – la forme juridique de l’arbitrage

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TTIP – la forme juridique de l’arbitrage

par Dario Rivolta*

Ex: http://www.zeit-fragen.ch

Dans les accords entre des particuliers, on introduit souvent une clause indiquant la possibilité d’un arbitrage en cas de controverses entre les parties adverses portant sur l’interprétation ou le non-respect de l’accord par une des parties contractantes. Dans la plupart des cas, on remettra le jugement à un tiers, telle la Chambre de commerce du pays, où l’accord a été signé, ou celle de Genève ou de Stockholm ou une autre. Dans tous les cas, on indique explicitement que tout ce qui a été signé ou ce qui n’est pas prévu expressément par l’accord doit être conforme aux lois de l’Etat dans lequel le travail ou la livraison ont été effectués.


Dans le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI ou TTIP en anglais) négocié depuis 4 ans entre les délégués des Etats-Unis et les fonctionnaires de la Commission européenne, (si nécessaire à la demande du Conseil européen), on mentionne également la possibilité d’un arbitrage pour résoudre d’éventuels conflits entre diverses entreprises ou bien entre celles-ci et des Etats signataires. En aucun cas pourtant, on mentionne des lois existantes ou futures. En d’autres termes, cet aspect sera la raison pour l’engagement des tribunaux d’arbitrages et leurs sentences car l’objectif de ces accords est la protection des investissements. Un pourvoi en appel n’est pas prévu selon la proposition américaine et un tel tribunal sera doté de trois arbitres: un pour chaque partie et un troisième, élu par accord commun. Jusqu’à présent, la contre-proposition européenne se limite à la seule revendication que soit garanti le fait que les arbitres n’aient pas de conflits d’intérêts (Les donneurs d’ordre ne devront-ils pas les payer?) et qu’il y ait la possibilité de faire un recours.


De telles conditions ne sont pas nouvelles: déjà dans les années 1960, divers gouvernements allemands avaient conclu des accords similaires avec 130 autres Etats, afin de protéger les investissements privés (allemands!). Bien que tous n’étaient pas égaux, ils prévoyaient la possibilité, en cas de violation des intérêts d’une partie, de faire recours auprès d’un tribunal d’arbitrage et de soumettre le fauteur à des sanctions avec indemnisation des «victimes». Le sens et le but étaient de contrer l’insécurité du droit et le manque de fiabilité de quelques systèmes juridiques pour garantir les intérêts de ceux ayant investi des millions, voire des milliards, dans ce pays.


Dans les négociations actuellement en cours, il est clairement précisé qu’il sera possible d’intervenir contre des expropriations «directes ou indirectes» des investissements.
Là, il ne faut pas penser uniquement à des conflits entre des particuliers ou à des nationalisations explicites. Tout acte gouvernemental représentant un risque ou diminuant les gains prévus des investisseurs est traité comme une expropriation «indirecte».


Pour illustrer cela, voici quelques exemples:

  • En 2009, l’entreprise suédoise Vattenfall, demanda 1,4 milliards d’euros au gouvernement allemand pour des présumés dommages subis suite à des mesures exigées en faveur de l’environnement lors de la construction d’une centrale à charbon. La plainte fut abandonnée suite à l’adaptation des mesures prévues en faveur de l’environnement.
  • En 2011, Philip Morris accusa le gouvernement australien et demanda des dédommagements. La cause était une nouvelle loi votée par le Parlement, demandant à tous les producteurs des normes plus sévères pour l’emballage des cigarettes avec l’objectif de diminuer ainsi la consommation de tabac. Cela limiterait les gains de l’entreprise multinationale. En 2015, l’Australie gagna le litige uniquement grâce à une subtilité formelle, suite à quoi la plaignante annonça un recours aussitôt que le Partenariat transatlantique (TTIP) serait en vigueur.
  • En 2012, l’Equateur fut condamné à payer 1,7 milliards de dollars à l’Occidental Petroleum Corp. parce que le pays lui avait retiré la concession d’exploitation d’un champ de pétrole, après que la société américaine ait remis ses propres droits à une société canadienne, sans y être autorisée.
  • En 2012, Vattenfall demanda à nouveau à l’Allemagne 4 milliards d’euros de dédommagements parce que le gouvernement avait décidé la sortie du nucléaire.
  • En 2014, le groupe d’énergie allemand RWE recourut à l’arbitrage contre le gouvernement espagnol parce que celui-ci avait limité les subventions en faveur des énergies renouvelables.
  • L’accord panaméricain Nafta (un précurseur de ce que pourrait être TTIP) contient la même clause d’arbitrage (la clause dite ISDS). Sur la base de celle-ci, l’entreprise américaine Lone Pine Ressources demanda en 2013 250 millions de dollars au Canada parce que le Québec avait pris des précautions et interdit la fracturation hydraulique afin de protéger les eaux du fleuve Saint Laurent. En outre, le Canada perdit le procès contre Exxon Mobil et Murphy Oil. L’Etat canadien avait osé d’imposer que 16% des profits des extractions concessionnelles devaient être utilisées pour la recherche de nouveaux gisements. Toujours dans le contexte du traité Nafta, le Canada dut payer 13 milliards de dollars à l’entreprise américaine Ethil. L’Etat canadien avait interdit l’utilisation du MMT, un additif pour l’essence, produit par le géant chimique Ethil parce qu’il nuit à la santé humaine.

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Voilà quelques exemples pour prouver la facilité avec laquelle les grandes multinationales peuvent accuser les gouvernements en ayant recours à «la protection des investissements» ancrée dans les divers accords. Avant tout, il est évident que les intérêts commerciaux prévalent aux lois démocratiques et légitimes des gouvernements et des Parlements.


La clause de l’arbitrage en discussion (ISDS) existe, dans une première version, depuis 1959 mais jusqu’en 1995, elle ne fut appliquée qu’exceptionnellement. Depuis ce moment et notamment dès 2000, le recours à de tels arbitrages a augmenté de façon exponentielle. Cela revient pour le législateur à du chantage éveillant la méfiance envers les décisions ou les lois pouvant mettre à risque les intérêts des grandes multinationales. Seuls très peu de pays, dont le Brésil, ont refusé d’utiliser le modèle ISDS lors d’accords commerciaux et l’Afrique du Sud a même fait savoir qu’elle allait se retirer de tous les accords commerciaux prévoyant l’application de cette clause, y compris des accords déjà signés.


Dans la discussion sur le TTIP, la question des arbitrages n’est pas encore clarifiée. A Bruxelles, on pense encore pouvoir changer les clauses d’une manière ou d’autre. Malgré la pratique du secret gardé dans les négociations, il semble que les Américains insistent avec persévérance sur leur position de la NAFTA.


Il est évident que l’affaire des arbitrages est essentielle. Même les évêques américains, avec leurs collègues européens ont diffusé leur propre «recommandation» constatant que les méthodes proposées jusqu’à présent «pourraient apporter des avantages injustifiés pour les intérêts commerciaux utilisant les règles des tribunaux d’arbitrage ou des systèmes juridiques pour affaiblir d’importantes normes en matière d’environnement, du droit de travail et des droits de l’homme … Une attention disproportionnée pour l’harmonisation ou la simplification de la régulation ne doit pas constituer la base pour mettre en danger des normes appropriées de la sécurité, du travail, de la santé et de l’environnement appliquées localement par des organismes étatiques, fédéraux ou régionaux …».


Nous ne savons pas comment cette confrontation se terminera et quel pourrait être un éventuel compromis, s’il y en a. Ce qui est certain, c’est que l’obsession d’éviter les tribunaux publics et l’ignorance de lois locales ou étatiques, restreint objectivement la liberté de tout Etat de droit. De plus en plus souvent, la volonté citoyenne est contournée et les législations nationales sont soumises aux intérêts et décisions commerciaux.    •
(Traduction Horizons et débats)

*    Dario Rivolta est chroniqueur pour les informations politiques internationales et conseiller en commerce extérieur. Il est spécialiste des sciences politiques, spécialisé dans le domaine de la psychologie sociale. De 2001 à 2008, il a été député au Parlement italien et vice-président de la Commission des Affaires étrangères. Il a représenté le Parlement italien au Conseil de l’Europe et à l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale. Puis, il était également responsable des relations internationales de son parti.

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Lorsque le «libre-échange» prime sur le droit étatique…

Un tribunal international a ordonné au gouvernement canadien de payer 17 millions de dollars de dédommagements à deux entreprises pétrolières, suite à une violation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA, NAFTA en anglais).
Une porte-parole de «Natural Resources Canada» a précisé dans un courriel que la décision juridique du 20 février 2015 avait octroyé à Exxon Mobil 13,9 millions de dollars avec intérêts en sus, et à Murphy Oil 3,4 millions avec intérêts en sus.
Michelle Aron a déclaré qu’Ottawa analyserait cette décision et les possibles réactions après en avoir délibéré avec les gouvernements de la Terre-Neuve et du Labrador.
Le comité de la NAFTA avait statué que les obligations concernant les dépenses de recherches imposées par le gouvernement aux deux entreprises pétrolières, violaient l’art. 1106 de l’accord de libre-échange.
Cet article défend aux gouvernements d’exiger des prestations spécifiques comme conditions préalables à des investissements.
Exxon Mobil n’a pas voulu se prononcer et Murphy Oil n’a pas pu être atteint.

Source: The Canadian Press du 6/3/15

Critiques croissantes envers TTIP

Les désaccords proviennent-ils aussi de la sphère du politique?

km. A l‘intérieur de l‘UE, l’acceptation du prétendu Traité du libre-échange transatlantique (TTIP) diminue constamment. Si l‘on analyse les résultats du dernier sondage de l‘Eurobaromètre du printemps 2016, le soutien au sein de l‘UE a continué à baisser et se trouve en moyenne à 51% des personnes interrogées. Dans huit pays, il est inférieur à 50%: en France, en Italie, en Croatie, en Slovaquie, en Slovénie, au Luxembourg, en Allemagne et en Autriche. Les deux derniers pays ont les taux d‘approbation les plus bas: 25% pour l‘Allemagne et 20% pour l‘Autriche.
Peut-être est-ce aussi en raison des élections à venir que des hommes politiques renommés des Etats de l‘UE critiquent TTIP en haut lieu. Le secrétaire d‘Etat français Matthias Fekl, responsable du commerce, a annoncé le 30 août qu‘il voulait proposer la rupture des négociations concernant TTIP à la réunion des ministres du commerce de l‘UE le 23 septembre à Bratislava. Le président français François Hollande avait déclaré quelques jours auparavant que les négociations avec les Etats-Unis étaient sclérosées et déséquilibrées. Le ministre allemand de l‘économie Sigmar Gabriel a déclaré, lui aussi, que TTIP avait «en fait échoué». Le 31 août, le chancelier autrichien Christian Kern a critiqué et remis en question non seulement TTIP, mais également l’Accord économique et commercial global (AECG, CETA en anglais), signé en 2014 entre le Canada et l’UE.
Le chancelier autrichien a demandé un sondage sur Internet parmi les membres de son parti qui durera jusqu‘au 18 septembre, et auquel des citoyens non-membres du parti peuvent également participer.
Les questions montrent clairement que les critiques avancées concernant ce traité sont également intégrées:

  • «L‘Autriche doit-elle accepter l‘application provisoire de CETA au niveau de l‘UE?
  • CETA doit-il être mis en vigueur s’il contient la possibilité de procédures d‘arbitrage contre des Etats?
  • CETA doit-il être mis en vigueur s‘il permet d‘abaisser les normes qualitatives européennes?
  • Les traités de libre-échange futurs devront-ils être construits de manière à ce que les normes qualitatives européennes (p.ex. pour la sécurité des produits, la protection des données, des consommateurs, de la santé, de l‘environnement et des animaux) puissent être maintenues?
  •  Les négociations futures sur TTIP ou d‘autres traités du libre-échange doivent-ils être liées à l’obligation de garantir la plus grande transparence possible?» Et le chancelier d’ajouter: «Nous nous sentirons naturellement obligés de respecter les résultats de ce sondage.»

Il faudra attendre pour voir. Dans ce contexte, il est intéressant de voir que les participants du Sommet du G20 à Hangzhou en Chine, semblent être «nerveux». La «Neue Zürcher Zeitung» se permet d‘écrire dans son éditorial du 6 septembre que les chefs d‘Etat et de gouvernement étaient inquiets suite au fait que les «perdants» de la mondialisation «expriment de plus en plus souvent leur mauvaise humeur lors des élections». Et le journal d‘ajouter: «La couche des dirigeants politiques est en soucis, car suite à ce développement, ils se sentent remis en question.»
Les chefs d‘Etat et de gouvernement du G20 devraient cependant comprendre – tout comme les politiciens de l‘UE s‘exprimant actuellement – que les critiques face à la mondialisation et ses projets, tels TTIP et CETA, ne sont pas primairement basées sur des mobiles utilitaristes, donc avancées par les «perdants» du système. De très nombreuses personnalités du monde entier se font de réels soucis au sujet de l’actuel système mondial financier et économique, ses méthodes et ses effets secondaires – par exemple les injustices criantes et les guerres dévastatrices – qui pourraient précipiter toute l’humanité dans un gouffre sans fond.

Machtkampf zwischen USA und EU

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Machtkampf zwischen USA und EU

Streit um Besteuerung von US-Unternehmen in Europa geht aufs Ganze

Norman Hanert
Ex: http://www.preussische-allegemeine.de

Im Schatten der schwierigen Verhandlungen zum TTIP-Abkommen hat sich zwischen Brüssel und Washington ein Konflikt  über die Besteuerung von US-Konzernen entzündet. Viele Großunternehmen aus Übersee haben mit Steuersparmodellen in Ländern wie Irland hohe Gewinnrück­lagen angehäuft, die nun Begehrlichkeiten wecken.


Gekämpft wird in dem Streit mit harten Bandagen. Nach den Ermittlungen der EU-Kommission wegen der Besteuerung für das Unternehmen Apple in Irland hat die US-Regierung eine Warnung an die EU-Kommission geschickt, die im Ton ungewöhnlich scharf ausgefallen ist. Washington wirft der EU-Wettbewerbsaufsicht vor, sie agiere wie eine übernationale Steuerbehörde und habe ganz speziell US-Firmen im Visier.


Die USA kündigen zudem an, man „prüfe weiterhin eventuelle Antworten, wenn die Kommission an ihrem aktuellen Kurs festhält“. Aus Sicht einiger linker Kritiker stellt die Reaktion aus Washington einen Beleg dafür dar, wie weit die US-Administration mittlerweile durch die Interessen amerikanischer Konzerne bestimmt sei.


Der Wahrheit näher kommen dürfte allerdings eine andere Deutung: Eine Reihe von US-Firmen wie eben Apple, aber auch Amazon, Google, Microsoft oder Facebook, haben in den vergangenen Jahren hohe Gewinnrücklagen gebildet, die nun ins Visier der Politik gerückt sind. Laut einer Untersuchung, die der US-Kongress bereits vor einigen Jahren vorgelegt hat,  haben  US-Firmen Reserven von insgesamt zwei Billionen Dollar angehäuft. Dabei hätten sie unter anderem die entgegenkommende Steuerpraxis in verschiedenen EU-Ländern genutzt.


Allein die Geldreserven von Apple schätzen Experten derzeit auf über 230 Milliarden Dollar. Aus Sicht der US-Regierung ärgerlich ist, dass Apple über 90 Prozent der Summe bislang außerhalb des Heimatlandes belässt. Der iPhone-Hersteller ist damit nicht allein. Auch andere Konzerne  haben die Steuergesetze verschiedener EU-Länder genutzt, um ihre Gewinne kleinzurechnen und den hohen Steuersätzen in den USA zu entkommen.


Üblicherweise will der US-Fis­kus 35 Prozent auf jene Gewinne,  die vom Ausland  in die USA transferiert werden – so zumindest die bisherige Regelung. Inzwischen hat nämlich in Washington eine Diskussion über eine Sonderregelung, einen sogenannten „tax holiday“, begonnen. Wie bereits im Jahr 2004 sollen Unternehmen von einer Sonderregelung profitieren, wenn sie Geld in die Vereinigten Staaten transferieren. Bei der Steueramnestie vor zwölf Jahren mussten sie lediglich 5,25 Prozent Steuern auf  Auslandsgewinne zahlen, wenn sie in die USA überwiesen wurden. Als Folge holten US-Firmen damals über 300 Milliarden Dollar in ihr Heimatland.


Ob sich ein derartiger Erfolg wiederholen lässt, hängt nicht zuletzt vom Agieren der EU ab. Werden die US-Firmen bereits von Brüssel zur Kasse gebeten, dann schmälert dies die zu erwartenden Einnahmen für die Steuerkasse der Vereinigten Staaten.


Dass sich Brüssel in der Angelegenheit überhaupt mit der US-Regierung anlegt, ist dem Zusammentreffen mehrerer Umstände geschuldet: Eine wichtige  Rolle spielt die personelle Besetzung der EU-Kommission.  So hat die dänische EU-Wettbewerbskommissarin Margrethe Vestager bereits mehrfach bewiesen, dass sie einen Konflikt mit großen Konzernen wie etwa Google nicht scheut. Dabei kann die Sozialliberale aus einer starken Position handeln: Vestagers Heimatland Dänemark gilt in Sachen Steuerdumping als unverdächtig.


Noch wichtiger aber: EU-Kommissionspräsident Jean-Claude Juncker ist gut beraten, Vestager speziell in der Angelegenheit  Konzernbesteuerung völlig freie Hand zu lassen und ihr nicht in die Quere zu kommen. Der Luxemburger gilt unter anderem deshalb bereits als politisch schwer angeschlagen, weil auch sein Heimatland Unternehmen mit „kreativen“ Steuerlösungen angelockt hat. Juncker war jahrelang Finanzminister, später Premierminister von Luxemburg.


Als geschwächt gilt auch die Position der  EU-Handelskommissarin Cecilia Malmström. Bereits in der Vergangenheit war ihr – unter anderem aus Frankreich – ganz offen vorgeworfen worden, sie setze  sich in Brüssel für die Interessen der US-Regierung ein.


Auch ihr bisheriges Vorgehen bei den Verhandlungen zum Freihandels- und Investitionsschutzabkommen (TTIP) mit den USA hat starke Kritik hervorgerufen. Mittlerweile erscheint sogar ein Scheitern des Abkommens und damit ein massiver Misserfolg Malmströms möglich: Nach dem, was nach außen dringt, sind die Verhandlungen der EU mit den Amerikanern festgefahren, während US-Präsident Obama  nur noch kurze Zeit im Amt ist.  Sollte in wenigen Wochen Donald Trump als  nächster US-Präsident ins Weiße Haus einziehen, kann TTIP in seiner bisherigen Form vermutlich als erledigt angesehen werden.      

Norman Hanert