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jeudi, 01 février 2018

The Economist et la guerre mondiale

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The Economist et la guerre mondiale

par Jean Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Dans son édition papier du 27 janvier 2018 1) The Next War le journal financier britannique The Economist annonce une menace grandissante de guerre entre les grandes puissances “The Growing Threat of Great Power Conflict.”

TheE-NW93084.jpgEn éditorial, The Economist déclare que même si les guerres de ces 25 dernières années ont causé des millions de morts, une guerre entre Grandes Puissances n'était pas imaginable. Aujourd'hui du fait de changements à long terme dans les équilibres géopolitiques et parce que la domination militaire des Etats-Unis et de ses alliés est mise en défaut par la prolifération des nouvelles technologies, une troisième guerre mondiale est devenue plausible. Le monde, écrit-il, n'y est pas préparé.

D'ores et déjà, il prévoit l'explosion de conflits régionaux ou urbains meurtriers, notamment dans les quartiers misérables et surpeuplés des grandes villes. Le changement climatique, la croissance démographique, les conflits ethniques ou religieux, en seront les moteurs. Les carnages récents à Mossoul et Alep en sont la préfiguration.

Mais bien plus menaçant est le fait la Russie et la Chine soient désormais considérées par Washington comme des adversaires stratégiques. Ceci de proche en proche pourrait déboucher sur un holocauste nucléaire.

Or The Economist, organe représentatif du capitalisme anglo-américain dont le succès est lié à la domination américaine, loin d'utiliser ces mises en garde pour un nouvel appel à une mobilisation contre la guerre et aux négociations diplomatiques, évoque ces perspectives pour demander que le “hard power” c'est-à-dire l'armée américaine, soit utilisée partout dans le monde.

Cela seul permettra, selon lui, de sauvegarder la paix. Il prévient que si les classes dominantes russes et chinoises sont autorisées par l'Amérique à assurer leur domination dans leur propre pays, elles refuseront rapidement la domination américaine dans leurs sphères d'influence élargie, l'Asie orientale pour la Chine, l'Europe continentale et l'Asie centrale pour la Russie.

A la suite de cet éditorial, l'essentiel de The Next War est consacré à l'énumération des domaines où les Etats-Unis doivent réaffirmer leur pouvoir après « vingt ans de dérives stratégiques » L'ouvrage mentionne notamment de nouvelles armes nucléaires, ainsi que des armes conventionnelles rajeunies utilisant notamment l'Intelligence Artificielle et la robotique. Ni la Chine ni la Russie ne doivent être laissées libres de se doter de moyens comparables. Il ne mentionne pas le fait que les dépenses militaires américaines équivalent déjà à celles réunies des autres Etats

De plus, pour The Economist, les entreprises américaines de l'informatique et de l'Internet doivent être intégrées dans l'effort de réarmement américain. En particulier les GAFA doivent dorénavant, par une censure préalable, ne pas permettre aux oppositions à l'Amérique de s'exprimer librement, et moins encore de mener des cyber-guerres, comme la Russie, d'après Washington, l'a fait jusqu'ici sans opposition.

Observation

On notera que, dans tous les domaines où The Economist s'alarme d'un prétendu recul des Etats-Unis, le complexe militaro-industriel américain a déjà imposé au pays et au monde les différentes décisions que le journal estime nécessaires pour sauvegarder la domination américaine. Le dispositif nucléaire est en plein renforcement, les vecteurs comme les bombardiers stratégiques et les sous-marins en sont déployés dans le monde entier, y compris aux frontières de la Russie et de la Chine. Quant aux nouvelles technologies de l'informatique et de l'Internet, y compris l'Intelligence Artificlle avancée, tous les experts savent que les investissements américains visant à leur utilisation militaire dépassent largement ce que peuvent faire de leur côté la Russie et la Chine.

Ce qui manque encore aux Etats Unis et à leurs alliés, en premier lieu les Britanniques, est d'avoir convaincu leurs populations qu'elles doivent se préparer à une guerre mondiale inévitable. Or pour l'éviter, affirme The Economist, dans l'immédiat, elles doivent accepter de prendre en charge les coûts nécessaires à la domination militaire américaine. Ceci en admettant de fortes baisses de leurs niveaux de vie.

Ce dernier numéro de The Economist, manifestement, souhaite contribuer à une remobilisation des esprits. « Augmentons dramatiquement les moyens nécessaire au rétablissement de la domination américaine et la guerre nucléaire pourra peut-être être évitée ».

1) https://www.economist.com/na/printedition/2018-01-27
 

Een wereldorde gewrocht op wereldzeeën

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Een wereldorde gewrocht op wereldzeeën

door Jonathan Van Tongeren

Ex: http://www.novini.nl

In zijn boek Land en zee schetst de Duitse staatsrechtsgeleerde Carl Schmitt (1888-1985) de geopolitieke bronnen van het internationale recht en de Anglo-Amerikaanse wereldhegemonie, hij lokaliseert die in de overgang van de Britten van een eilandnatie naar een echte zeemacht.

In de eerste hoofdstukken van zijn boek schetst Schmitt de ontwikkelingen in de scheepvaart, de verkenning en de uiteindelijke beheersing van de zeeën. Hij gebruikt daar ettelijke hoofdstukken voor, waarmee hij ook het punt van de grote geleidelijkheid van deze ontwikkelingen overbrengt. Eerst was er wel zeevaart, maar waren er nog geen echte zeemachten, de zee begon als kustvaart en later beperkten handelsmachten als Genua en Venetië zich aanvankelijk tot binnenzeeën als de Middellandse Zee en de Zwarte Zee. Pas in de loop van de vijftiende eeuw gaat men de kust van Afrika verkennen, rondt men uiteindelijk de Kaap en trekken ontdekkingsreizigers als Vasco da Gama en Magellaan er op uit. En Columbus niet te vergeten.

schmitt.jpg.pagespeed.ic.Fn7rzaPS8K.jpgMaar het zijn protestanten in Noordwest-Europa die zich tot echte zeemachten ontwikkelen, doordat watergeuzen en piraten een primaire afhankelijkheid van de zee ontwikkelen. Het zullen uiteindelijk dan ook de Engelsen (en zij die als de Engelsen denken) zijn die de vrijgemaakte maritieme energieën beërven en het idee propageren dat de zee vrij is, dat de zee niemand toebehoort.Dat idee lijkt eerlijk genoeg, de zee is vrij dus van iedereen, niet waar? Maar als de open zee niemand toebehoort, geldt er uiteindelijk het recht van de sterkste. “De landoorlog heeft de tendens naar een open veldslag die beslissend is”, schrijft Schmitt. “In de zeeoorlog kan het natuurlijk ook tot een zeeslag komen, maar zijn kenmerkende middelen en methoden zijn beschieting en blokkade van vijandelijke kusten en confiscatie van vijandige en neutrale handelsschepen [..]. Het ligt in de aard van deze typerende middelen van de zeeoorlog, dat zij zich zowel tegen vechtenden als niet-vechtenden richten.”

En dan maakt Schmitt een cruciaal punt: “[S]inds de Britse inbezitname van de zee raakten de Engelsen en de volkeren die in de ban van Engelse ideeën staan, eraan gewend. De voorstelling dat een landrijk een wereldomspannende macht zou kunnen uitoefenen zou volgens hun wereldbeeld ongehoord en onverdraaglijk zijn.”

Het Britse eilandrijk groeide uit tot een wereldomspannende macht, doordat het voor de zee koos. “Nadat de scheiding van land en zee en de tweespalt der beide elementen eenmaal tot constitutie van de planeet was geworden” ontwikkelde men een hele manier van denken en een internationaal rechtssysteem “waarmee de mensen voor zichzelf de wijsheid en redelijkheid van deze situatie verklaarden, zonder het oerfeit daarvan in het oog te houden: de Britse keuze voor de zee en de tijdsgebondenheid daarvan.” Zodoende kunnen we ons geen ander mondiaal economisch systeem en geen ander internationaal recht meer voorstellen. Daaruit blijkt “dat de grote Leviathan ook macht over de geest en de ziel van de mens heeft”.

Land en zee is rijk aan waardevolle gedachten, maar tegelijk een zeer compact boek, zodat de lezer vooral de tijd moet nemen om de sterk geconcentreerde ideeën die het bevat op zich in te laten werken. Recent is er een Nederlandse vertaling verschenen bij Uitgeverij De Blauwe Tijger, die dit klassieke werk mooi uitgevoerd heeft in een tweetalige editie met op de rechterpagina’s de vertaling en links het originele Duits. Een kleinood voor iedereen die iets wil begrijpen van de wereld waarin wij leven!

N.a.v. Carl Schmitt, Land en zee. Een wereldhistorische beschouwing (Uitgeverij De Blauwe Tijger: Groningen, 2017), vertaling: Henry van Sanderburg, paperback met stofomslag.

Pourquoi l’écologie est nôtre. Ré-enchaîner Prométhée

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Pourquoi l’écologie est nôtre

Ré-enchaîner Prométhée

Partie I

par Thierry DUROLLE

Comme le soulignait très justement le philosophe italien Julius Evola (1), les mots n’échappent pas au processus total d’involution, ce qui résulte en une perte de sens, en un galvaudage et, pire, à une substitution de sens. Le terme de « païen » ne se soustrait donc pas à la dégradation de son sens originel, c’est-à-dire à celui de « paysan » (2).

Le paganisme peut susciter de nombreuse interrogations quant à sa pratique et quant aux différentes façon d’être païen. Étant donné que cette forme spirituelle ne possède pas de dogme, la porte reste ouverte à tout et n’importe quoi, notamment le néo-paganisme, démarche obsolète et souvent ridicule. Il convient de balayer d’un revers de main ces manifestations de « religiosité seconde ».

appel-aux-dieux-essais-sur-le-paganisme-dans-un-monde-oublie-de-dieu.jpgEnsuite, certains appliquent un verni (pseudo-)polythéiste à l’athéisme. Tel est le cas d’Alain de Benoist, notamment, à l’époque de son livre Comment peut-on être païen ? (3). Faisant fi de son athéisme, il faut tout de même saluer le « paganisme philosophique » professé dans cet ouvrage de qualité. En ce qui nous concerne, notre critique du livre d’Alain de Benoist demeure semblable à celle de l’auteur américain Collin Cleary (4) qui lui oppose un polythéisme théiste aux accents heideggériens.

La question du polythéisme, et de la manière d’être païen, nécessiterait un article à part entière, si ce n’est pas un ouvrage complet. Nous ne pouvons donner ici que quelques pistes avant d’approfondir notre sujet. Renouer avec les textes fondateurs de l’Europe pré-chrétienne est indispensable : L’Iliade et L’Odyssée d’Homère, La théogonie d’Hésiode, Les métamorphoses d’Ovide, les sagas nordiques et les textes du cycle arthurien. Quant aux écrivains et penseurs païens contemporains, impossible de tous les citer ici. Néanmoins, nous conseillons trois lectures aux personnes intéressées par ce sujet. Tout d’abord, le numéro 73 de la revue Terre & Peuple (5) dont le dossier central porte justement sur le paganisme. Puis L’Âme européenne. Réponses à Bernard-Henri Lévy (6) de Robert Dun (précurseur dans notre milieu du sujet central développé dans cet article) et, enfin, Histoire et tradition des Européens. 30 000 ans d’identité (7) de Dominique Venner. Ces titres devraient apporter, dans un premier temps, une lumière bienvenue sur ce thème fondamental.

pitie-pour-le-cosmos-bkhnes.jpgLe sujet que nous abordons constitue peut-être la racine principale de ce que l’on nomme paganisme : la relation de l’homme à sa terre, à la nature et au Kosmos; ces relations, ou plutôt interrelations, nous pourrions les réunir dans une seule expression, celle d’« écologie profonde » (ou « écologie intégrale »). Préoccupation majeure, l’écologie est malheureusement délaissée par de nombreuses personnes se réclamant de Droite au titre qu’elle serait de Gauche. Grave erreur ! La Gauche (extrême) a mis le grappin sur les questions environnementales, car la Droite radicale – sauf certains mouvements faisant exception comme feu le MAS ou, dans un registre plus « folklorique » dirons-nous, le Greenline Front – a abandonné ce thème qui fut le sien à l’origine. Heureusement vient de paraître aux éditions Akribeia un livre qui, nous espérons, remettra les pendules à l’heure, Piété pour le cosmos de l’Italien Giovanni Monastra et du Français Philippe Baillet.

Sans doute n’est-il pas nécessaire de présenter Philippe Baillet, illustre traducteur de Julius Evola, essayiste, auteur de nombreux articles (nous pensons notamment à la revue de tendance traditionaliste-révolutionnaire Totalité; saluons aussi son article écrit pour le dossier du numéro du magazine Terre & Peuple susnommé) et de plusieurs essais. Quant à Giovanni Monastra, il doit probablement être inconnu du public français. Son profil est très intéressant, car Monastra a une formation scientifique (il effectua des recherches dans les domaines de la neuropharmacologie, de l’immunopharmacologie) et se réclame également de la pensée traditionnelle, principalement d’Evola. Autant dire que nous avons affaire à un mélange explosif ! Le premier de nos auteurs, traduisant l’étude du second – et qui figure dans cet ouvrage – eut l’envie de contribuer, lui-aussi, à ce sujet essentiel qu’est l’écologie. Voici comment Piété pour le cosmos vit le jour.

GM-vita.jpgLa première partie de l’ouvrage s’intitule « Les racines révolutionnaires-conservatrices de la pensée écologique », elle est l’œuvre de Giovanni Monastra. Celui-ci débute son exposé par un constat évident, à savoir la césure entre l’homme et la nature, séparation qui s’est d’autant plus accéléré à cause de la révolution scientifique et de la révolution industrielle. Cet état dichotomique procède de la dégradation cyclique, la relation entre l’homme et la nature n’a pas toujours été ainsi comme le rappelle l’auteur. Les sociétés traditionnelles connurent une relation empathique et holistique de la nature. « La première modalité, dominante par le passé et qui renaît de nos jours, consiste en une approche empathique et holistique, donc une approche qui perçoit et “ sent ” la réalité vivante comme un Tout au sein duquel les différentes parties, du niveau microscopique aux macrosystèmes en passant par celui où nous nous situons, ont certes leur autonomie (et cela vaut en premier lieu pour l’homme, dont la liberté est hors de question), mais où cette autonomie ne revient pas à nier les interrelations profondes qui existent entre les parties. Tout cela s’accorde avec la conception de la nature comme “ puissance ” créatrice et sacrée (pour les cultures prémodernes), force unitaire ordonnée et complexe, gouvernée par un équilibre délicat qu’il ne faut pas enfreindre, mais au contraire respecter, si bien qu’il importe de ne pas dépasser certaines “ limites ” (p. 11.). »

Ces « limites » sont d’une importance capitale car elles garantissent l’équilibre naturel. Notre civilisation (devrions-nous pas l’orthographier Zivilisation ?), que l’auteur qualifie de « faustienne », ou « prométhéenne », avec son axiome indépassable du Progrès ne peut qu’enfreindre ces limites. Le respect scrupuleux de celles-ci et, par conséquent, la lutte contre le prométheisme caractérise normalement toute écologie (ante litteram) véritable. « Il est fermement établi que la conception “ traditionnelle ” du monde est porteuse d’éléments culturels qui impliquent l’« endiguement » de la poussée prométhéenne, donc qui tendent à conserver, en freinant certaines tendances à la domination incontrôlée et rapace de la nature, tendances latentes chez l’homme en tant que tel, hier non moins qu’aujourd’hui (p. 13). »

À cause de ces tendances prométhéennes, l’homme envisage différemment la nature qu’il se contentait jusqu’à présent de respecter, toujours dans le cadre holiste des sociétés traditionnelle. Dorénavant, la nature est vu d’un point de vue mécaniste, rationaliste et scientiste; l’homme sort de la nature, et « le monde devient un champ d’expérimentation illimité, les seules limites étant celles imposées par les moyens techniques (p. 15) ». Giovanni Monastra poursuit : le monde « est comparé à un gigantesque laboratoire, où il convient de réaliser, c’est-à-dire de satisfaire, tous les rêves de puissance, de bonheur et de bien-être de l’homme complètement absorbé et englouti dans son aveugle hédonisme consumériste (p. 15) ». Ce qu’il faut retenir, c’est que l’« on assiste au passage de la technique traditionnelle comme « imitation de la nature » à la technique moderne comme « subversion de la nature (p.15) ». La conséquence ? « La nature devient muette : elle se referme sur elle-même et ne nous permet pas de la connaître à fond et complètement. Elle nous devient étrangère (p.17). »

GM-port.jpgAvant d’évoquer plusieurs précurseurs de l’écologie, et d’autres défenseurs de la nature, Giovanni Monastra se devait de mentionner le rapport entre la Gauche et les mouvements de préservation de la nature de manière générale. De nos jours, les partis écologistes sont souvent synonyme de partis d’extrême gauche, à tel point qu’un politicien comme Jean-Marie Le Pen les qualifiait de « pastèques » puisque vert à l’extérieur et rouge à l’intérieur, cette couleur désignant, bien entendu, leur véritable couleur politique. Assimiler l’écologie et la Gauche est « une énorme tromperie, qui a malheureusement pu s’appuyer aussi sur la façon de penser et le comportement concret […] d’une large faction des milieux de “ droite ” européens (p. 18) ». Pourtant, quelle soit marxiste ou pas, la Gauche ne fut pas toujours l’amie de l’écologie. « Elle a toujours exalté les vertus émancipatrices du progrès matériel sous toutes ses formes, au point de se faire la championne la plus stupide de l’industrialisme le plus exacerbé, à l’origine de toutes les pollutions. Le marxisme, lui, a toujours été intrinsèquement hostile aux perspectives écologistes. […] Selon Marx, la nature doit être “ humanisée” à travers la science afin de transformer la valeur intrinsèque du milieu en valeur d’usage pour l’homme (p. 19). »

Si nous remontons dans le temps, il apparaît très clairement que deux visions du monde antagonistes s’affrontent, celle issue des Lumières et celle qui provient du romantisme. La première est mue par l’idée de Progrès et de la domination de la nature par l’homme pour l’homme. La seconde « est volontiers antiprogressiste, holiste, organiciste, vitaliste, plus ou moins mystique (parfois dans un sens néopaïen), empathique envers la nature (p. 23) ». Cette dernière possède les valeurs promptes à la défense de la nature, elle instaure ainsi les fondements d’une pensée écologique ante litteram. L’Allemagne est le berceau de ce que l’on appellera plus tard l’écologie. « Ce fut précisément dans l’Allemagne de la fin du XIXe siècle que se forma un courant écologiste très actif, autour de quelques idées-forces. Il faut signaler en premier lieu les conceptions anthroposophiques de Rudolf Steiner, défenseur de l’agriculture biodynamique, puis les orientations antibourgeoises des Wandervögel (“ Oiseaux migrateurs ”), un mouvement de jeunesse non politique au sens strict, mais existentielle et culturel, animé par des idéaux nationaux-conservateurs, et enfin la composante ruraliste, nourrie par le mythe “ Sol et Sang ” (Blut und Boden), tournée vers la formation d’une nouvelle aristocratie spirituelle et très hostile à la modernité, à l’industrialisation, à l’urbanisation effrénée et à l’internationalisme niveleur, ennemi des identités populaires (p. 25). »

Citant l’historien George L. Mosse, Monastra montre bien l’influence sur le réenchantement entre le peuple et sa terre via l’intermédiaire du romantisme. Il « a bien fait ressortir l’influence du romantisme sur l’intérêt croissant pour la nature lié au bien-être du Volk dans les milieux “ nationaux ” allemands à la fin du XIXe siècle et au début du siècle suivant. Mosse a également souligné l’intégration panthéiste des racines historiques du Volk dans la nature, conformément au sentiment de la correspondance de l’homme, par l’intermédiaire de son âme, avec le paysage et ainsi avec le Volk incarnant l’esprit vital du cosmos (p. 25) ».

klagesttttttt.jpgGiovanni Monastra va donc ensuite énumérer, en les présentant eux et leur idées, différents penseurs écologistes ou proche de la nature. Citons Ernst Haeckel, Ernst Moritz Arndt, Wilhelm Heinrich von Riehl, l’écrivain norvégien Knut Hamsun, les frères Friedrich Georg et Ernst Jünger, Oswald Spengler – qui dénonça « la domination de la technique [qui] nourrit la toute-puissance de l’économie et la diffusion cancérigène du marché, tout en s’en nourrissant elle-même (p. 46) » – Konrad Lorenz, Alexis Carrel, Ortega y Gasset, Julius Evola, René Guénon, etc. Parmi tous ces brillants penseurs, Giovanni Monastra s’intéresse particulièrement à un personnage regrettablement méconnu en France : Ludwig Klages (photo).

Nous omettrons volontairement une succincte biographie de cet auteur allemand, pour le moment du moins… Concentrons-nous sur ce qui, chez Klages, suscite l’intérêt de Giovanni Monostra. Notons déjà qu’il rédigea un manifeste écologiste en 1913 qui fit date (8). Analysant la pensée de Klages, Monostra souligne que l’« on voit s’exprimer ici [chez Ludwig Klages], il y a donc un siècle, plusieurs thèmes chers à l’écologisme de ces dernières décennies : la dénonciation de l’aliénation urbaine, de la pollution, du trafic routier, la conscience de la perte de l’empathie humaine envers la nature. […] De manière prémonitoire, il dénonce les dommages infligés au milieu par les troupeaux de touristes (pp.36 et 38) ». Ludwig Klages fustigeait l’idéologie du Progrès, tout autant que son pendant technique qui remettra l’homme au servage, dans les usines, au service d’un patron.

meditations-du-haut-des-cimes-2016.jpgGiovanni Monastra, se réclamant de l’immense œuvre de Julius Evola, met brièvement en lumière la pensées du philosophe italien concernant la nature ou plutôt sa vision de la nature, bien qu’elle ne représente pas un sujet à part entière dans son œuvre. Notons qu’Evola critiquait tout mouvements de « retour à la nature » qu’il identifiait à une réponse catagogique à un vide existentiel, les deux émanant d’une société « crépusculaire et décomposée ». Evola connaissait bien l’un des aspects de la nature, celui qui défie les hommes et les pousse à se surpasser, quitte à y laisser la vie. Alpiniste chevronné sa vision de la nature ne se targue d’aucun matérialisme, ni d’aucun sentimentalisme, Giovanni Monastra cite le philosophe. Il « s’agit donc de rendre à la nature – à l’espace, aux choses, au paysage – ce caractère lointain et étranger à l’homme qui était couvert à l’époque de l’individualisme, quand l’homme projetait dans la réalité, pour se la rendre proche, ses sentiments, ses passions, ses petits élans lyriques. Il s’agit de redécouvrir le langage de l’inanimé […]. C’est de cette façon que la nature peut parler à la transcendance (p. 60) ».

Monastra explique très bien que pour Evola, « la nature incontaminée est avant tout expression du primordial et de l’inaccessible, qui renvoie symboliquement, dans son objectivité pure, au sacré, au numineux, dont elle est saturée. L’approche évolienne est donc éloignée de l’« humain trop humain », et c’est pourquoi, sans doute, elle paraît « indigeste » à beaucoup : elle exprime une écologie digne du bouddhisme zen, à des distances abyssales de tout sentimentalisme et de toute rhétorique fastidieuse (p. 60) ».

En conclusion, Giovanni Monsatra conseille en premier lieu au lecteur de méditer les pensées des différents auteurs cités à travers son article. Puis, il appelle de ses vœux la « création » d’un anthropocentrisme « écocompatible ». « On n’échappe as à son destin en se cachant, mais plutôt en exposant sous une forme claire un nouvel anthropocentrisme “ écocompatible ”, responsable et solidaire, ancré dans des valeurs fondatrices, réellement conscient de la dimension temporelle et de la succession des générations, à l’égard desquelles nous avons des devoirs imprescriptibles (p. 67). »

Selon l’auteur, « une approche écologique identitaire, et jamais prédatrice, non fondée sur le culte du développement et l’exploitation, permet de privilégier la vocation spécifique d’un lieu et d’en mettre en valeur les particularités (p. 68) ». Mais, ce qui transparaît avant tout dans l’essai de Monastra, c’est l’urgence d’un retour à l’organicité (ou holisme). « La tâche d’aujourd’hui qui apparaît essentielle consiste à faire un travail culturel de recomposition d’un tout unitaire (p. 68). »

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De ce roboratif essai, qui constitue la première partie de Piété pour le cosmos, nous retiendrons quelques idées directrices dont l’importance se révèle cruciale pour l’établissement d’une écologie profonde conforme à notre vision du monde. Parmi elles, mettre un terme à l’hybris, trait de caractère de notre civilisation faustienne, en réhabilitant un « juste retour à la limite ». Plus que jamais, il est grand temps de ré-enchaîner Prométhée ! Cela devrait permettre à l’homme de se « ré-intégrer au monde » dans une logique biocentrique, donc de reconsidérer la nature et les interactions qu’il a avec elle. Les idées fantaisistes de développement durable ou de Green Economy prônées par les pseudo-écologistes, et les bonnes âmes, ne sont que foutaises. Une écologie intégrale ne sera jamais conciliable avec l’économie de marché et le libéralisme, même dans sa variante libérale-libertaire. Bien que le sujet ne soit que légèrement effleuré par Giovanni Monastra, l’enracinement nous semble une condition sine qua non. Nous entendons par enracinement un sentiment d’appartenance au sol de ses ancêtres par exemple ou un attachement émotionnel/spirituel fort à une « patrie charnelle ». Va de paire l’exaltation du Beau (et du Bien), le fameux Kalos Kagathos, ré-apprendre à s’émerveiller devant une cascade ou une forêt plutôt qu’applaudir l’implantation d’éoliennes qui défigurent le paysage. Grâce à ce texte de Giovanni Monastra, l’homme de Droite redécouvrira les liens qui l’unissent à la terre, et (re)découvrira peut-être que la défense de la nature ne fut jamais et n’est toujours pas l’exclusivité des crasseux à dreadlocks et des écologistes de salon.

Thierry Durolle

Notes

1 : Julius Evola, « L’affaiblissement des mots », dans L’Arc et la Massue, Éditions Trédaniel, 1996.

2 : Du latin paganus, paysan.

3 : Alain de Benoist, Comment peut-on être païen ?, Albin Michel, 1981, réédition Avatar Éditions, 2009.

4 : Collin Cleary, L’appel aux dieux. Essais sur le paganisme dans un monde oublié de Dieu, Les Éditions du Lore, 2016.

5 : Magazine Terre & Peuple, n° 73, équinoxe d’automne 2017, « Paganisme pour aujourd’hui et pour demain ».

6 : Robert Dun, L’Âme européenne. Réponses à Bernard-Henri Lévy, L’Anneau, 1993, nouvelle édition, chez l’auteur, 1994.

7 : Dominique Venner, Histoire et tradition des Européens. 30 000 ans d’identité, Éditions du Rocher, 2002, réédité en 2004.

8 : Ludwig Klages, L’Homme et la Terre, RN Éditions, 2017.

• Giovanni Monastra, Philippe Baillet, Piété pour le cosmos, Akribeia, 2017, 176 p., 15 €.

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Pourquoi l’écologie est nôtre. De l’utilité d’être intelligemment conservateur

Partie II

par Thierry DUROLLE

Dans la première partie de notre article sur Piété pour le cosmos, nous avions décortiqué la première partie de l’ouvrage. Giovanni Monastra y rappelait les bases de l’écologie envisagée d’un point de vue traditionaliste, celle-ci s’apparentant à la Deep Ecology (biocentrée et en opposition avec la Shallow Ecology anthropocentrée), puis l’auteur énumérait un certains nombre d’auteurs ayant influencé cette pensée écologique issue majoritairement du romantisme allemand.

Cette partie était à l’origine un article. Celui-ci eut un effet stimulant sur son traducteur, Philippe Baillet, co-fondateur de la revue Totalité et traducteur émérite, entre autre, de Julius Evola. En plus de la version de l’article originale, Philippe Baillet décida d’écrire une contribution sur l’écologie qui se nomme par conséquent « Conservation, conservatisme, national-socialisme, écologie : des liens très étroits ».

À la vue de la longueur de la première partie de cette recension, cette deuxième partie sera volontairement beaucoup plus courte.

lorenzkraehe.jpgPhilippe Baillet débute son étude avec la notion de conservatisme. Le dictionnaire Larousse propose la définition suivante : « Attitude ou tendance de quelqu’un, d’un groupe ou d’une société, définie par le refus du changement et la référence sécurisante à des valeurs ou des structures immuables (1). » Un brin réducteur tout de même que cette définition. Nonobstant les a priori partisans sur le conservatisme, le bon sens voudrait que sa définition première corresponde au maintien et à la préservation de ce qui est bien pour une société ou une nation. Ainsi préserver, conserver la nature intacte n’est-il pas, au-delà de la nécessité vitale, une question politique de bien commun ?

Baillet rappelle également l’importance que revêtait, au sein du national-socialisme, la défense de l’environnement et de la protection des animaux, et par conséquent l’application en terme politique de la compréhension du Sinn der Erde national-socialiste. La programmation mentale post-Seconde Guerre mondiale fut efficace en ce qu’il s’agit de la dénazification et de l’occultation des tenants et des aboutissants de la politique hitlérienne. Personnellement, nous avions découvert la dimension écologique du IIIe Reich via la revue Terre & Peuple (2). Quoi que l’on pense du national-socialisme, les lois du 24 novembre 1933 sur la protection des animaux, du 19 juillet 1934 et du 1er juillet 1935 sont exemplaires.

Parmi les sujets évoquées dans la riche étude de Philippe Baillet, il nous semble impératif, en tant que païen identitaire, d’évoquer le concept d’Heimat. Contrairement à Das Vaterland, « la terre des pères », expression possédant un sens juridique dans la langue de Goethe, l’expression Die Heimat, « le pays natal », possède un caractère essentiellement organique impliquant de facto l’enracinement. « La Heimat peut donc être perçue même en l’absence d’un État. Elle ne renvoie pas à un concept juridique, c’est une réalité d’ordre phénoménologique : elle relève volontiers du “ ressenti ”, comme on a coutume de dire aujourd’hui, mais au sens le plus fort du terme (p 92). »

Plus développée, cette partie du livre écrite par Philippe Baillet a notre préférence. Nous regrettons l’absence d’éclairage sur certains mouvements tels l’Artamanen Gesellschaft, et plus généralement, la mouvance Völkisch. Il est d’ailleurs vraiment regrettable qu’aucun ouvrage, qu’aucune étude ne soit disponible en français sur le sujet… Globalement Piété pour le cosmos est un excellent livre sur l’écologie vue de Droite. L’ouvrage aurait pu sans doute être plus complet, mais la présence de nombreuses références devraient permettre aux intéressés de la question écologique d’explorer de nouveaux horizons.

Thierry Durolle

• Giovanni Monastra – Philippe Baillet, Piété pour le cosmos, Akribeia, 2017, 176 p., 15 €.

Notes

1 : Nous citons la définition trouvée sur www.larousse.fr.

2 : cf. Terre & Peuple Magazine, n°41, automne 2009.

La barbarie vivifiante de Julien Gracq

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La barbarie vivifiante de Julien Gracq

par Fares Gillon

Ex: https://www.philitt.fr

[Cet article est initialement paru dans la revue PHILITT #5 consacrée à la barbarie]

syrtes.gifDans Le Rivage des Syrtes, Julien Gracq prend le contre-pied d’une conception exclusivement négative de la barbarie en la présentant comme un renouveau nécessaire à la revivification d’un vieil État somnolent.

Le Rivage des Syrtes met en scène une vieille cité fictive, Orsenna, qui jouit tranquillement de sa paix, dans la sérénité des cimetières. Autrefois, une guerre l’avait opposée à un monde de l’autre côté de la mer, le Farghestan, civilisation en forme de « mosaïque barbare où le raffinement extrême de l’Orient côtoie la sauvagerie des nomades ». Après quelques escarmouches, « les hostilités languirent et s’éteignirent d’elles-mêmes tout à fait ». Selon un accord tacite, toutes les relations furent coupées, la mer devint une frontière infranchissable, et chacun vécut de son côté comme si l’autre n’existait plus. Durant trois siècles, Orsenna s’est enfoncée dans sommeil sans heurts. Le jeune héros, Aldo, s’ennuie d’une vie de plaisirs mondains et se fait envoyer comme fonctionnaire à l’Amirauté, port censément militaire sur le rivage de la région des Syrtes, qui fait face à l’ennemi tricentenaire, invisible et inconnu. L’inactivité militaire a progressivement fait de l’Amirauté une « bizarre entreprise rentable, qui s’enorgueillissait devant les bureaux de la capitale de ses bénéfices plus que de ses faits d’armes », plus occupée de fermage que de conquêtes ou de défense. « On pouvait enregistrer le progrès de son engourdissement inquiétant, dans le reflux de la vie aventureuse et dans le sourd appel montant de la terre rassurante et limitée. »

La rumeur barbare

Aldo s’étonne de trouver l’Amirauté dans un « état de stagnation », d’« irrémédiable décadence » : « L’aspect habituel du port était celui du profond sommeil », dit-il déçu. Pourtant, il demeure sceptique face à la montée de rumeurs et de « bruits » persistants qui laissent deviner que quelque chose se prépare du côté du Farghestan. Il refuse de les créditer du moindre fond de vérité – alors même qu’il aspire confusément à la nouveauté qui s’annonce, alors même qu’il a précisément quitté Orsenna dans l’espoir de rompre la monotonie de l’existence d’un fils de bonne famille. Lorsque l’administration d’Orsenna l’engage à prendre ces « bruits » plus au sérieux, il est surpris que son scepticisme qu’il croyait de commande ne soit pas partagé en haut lieu ; il franchira pourtant le pas qui précipitera le bouleversement.

JGRherne.jpgOrsenna est l’image même de l’État stable, depuis si longtemps habitué qu’il en a perdu toute vigueur. « Le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour faire tout bouger », ainsi que le fait dire Gracq à Marino, le commandant de l’Amirauté, très attaché au maintien de cet équilibre, satisfait de l’existence sans surprise qu’il entraîne et inquiet du moindre changement. Mais à la tête d’Orsenna, un nouveau maître a l’ambition de secouer les choses : « Il y a trop longtemps qu’Orsenna n’a été remise dans les hasards. Il y a trop longtemps qu’Orsenna n’a été remise dans le jeu. » Devant un Aldo effaré, Danielo, l’homme fort de la Seigneurie d’Orsenna, expose sa volonté de sauver Orsenna contre elle-même, contre son « assoupissement sans âge », quitte à l’engager sur un chemin de mort et de destruction. « Quand un État a connu de trop de siècles, dit Danielo, la peau épaissie devient un mur, une grande muraille : alors les temps sont venus, alors il est temps que les trompettes sonnent, que les murs s’écroulent, que les siècles se consomment et que les cavaliers entrent par la brèche, les beaux cavaliers qui sentent l’herbe sauvage et la nuit fraîche, avec leurs yeux d’ailleurs et leurs manteaux soulevés par le vent. 

La sécurité contre la vie

La sécurité dans laquelle végète Orsenna, son assurance que rien ne changera, que les choses resteront toujours ce qu’elles sont, sont les signes de son déclin et de sa momification. Dans une société comme la nôtre où la sécurité est un argument électoral, il peut sembler surprenant que cette dernière soit comprise ici comme le signe de la mort ; c’est que nous confondons la conservation d’une vie individuelle, la bourgeoise « sécurité des biens et des personnes », avec la vie au sens fort. Mais « le monde n’est justifié qu’aux dépens éternels de sa sûreté » : quand on se mure contre les « hasards » et le « jeu », contre l’aiguillon de la vie, on conserve certes son corps et sa tranquillité d’esprit, mais c’est au même titre que les onguents conservent les cadavres. Or les cadavres n’ont aucun droit sur la vie, par définition. « Il y a plus urgent que la conservation d’une vie, si tant est qu’Orsenna vive encore. Il y a son salut. » Comme dans la parabole évangélique des talents, celui qui ne remet pas en jeu ce qu’il a reçu, celui qui ne risque rien, ne mérite rien. On ne peut faire fructifier quelque chose que l’on ne risque pas de perdre.

Au cœur du roman, le récit du lent éveil d’Orsenna face aux événements prend une dimension spirituelle lorsque Aldo assiste au sublime sermon d’une messe de Noël. C’est que Noël est la fête du « Roi qui apportait non la paix, mais l’épée », d’une lumière germant au cœur des ténèbres hivernales, de la naissance par excellence qui est le modèle de tout avènement : « Je vous apporte la nouvelle d’une ténébreuse naissance », clame le prêtre. Si le texte ne le dit pas explicitement, l’évocation de la Nativité vise bien les « invasions barbares » qui, du Farghestan, déferleront bientôt sur Orsenna, en ceci qu’elles ouvrent un nouveau cycle, une ère d’incertitude féconde : « En cette nuit d’attente et de tremblement, dit le prêtre, en cette nuit du monde la plus béante et la plus incertaine, je vous dénonce le Sommeil et je vous dénonce la Sécurité. »

La commémoration de la naissance du Christ est l’occasion de fustiger « la race de la porte close », « ceux qui tiennent que la terre a désormais son plein et sa suffisance », « les sentinelles de l’éternel Repos » prêtes à tout pour préserver le statu quo et sauvegarder ce qu’elles n’ont pas même acquis de leurs mains, mais dont elles n’ont fait qu’hériter. Or, comme l’écrit Ernst Jünger, ami de Gracq, dans Les Falaises de marbre, « l’héritage est la richesse des morts ». Et les morts s’opposent aux vivants, a fortiori aux naissances et à leur cortège de désagréments : « Il est des hommes pour qui c’est chose toujours mal venue que la naissance ; chose ruineuse et dérangeante, sang et cris, douleur et appauvrissement, un terrible remue-ménage – l’heure qu’on n’a point fixée, les projets qu’elle traverse, la fin du repos, les nuits blanches, toute une tornade de hasards autour d’une boîte minuscule. »

Et si la naissance doit apporter aussi la mort, si les têtes doivent fleurir au bout des piques, si l’ordre et la marche du monde doivent en être troublés, ainsi soit-il ! Car vient un moment où « tout vaut mieux que d’être ligoté vivant à un cadavre, tout soudain est préférable à se coller à cette chose condamnée qui sent la mort ». Outre que la naissance est « le Sens ». Quel sens ? Celui même de la vie.

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