vendredi, 17 mars 2023
L'Indonésie, invisible mais présente dans le Pacifique
L'Indonésie, invisible mais présente dans le Pacifique
Peter Logghe
Source: Nieuwsbrief Deltapers, No. 178, Mars 2023
On connaît les grands acteurs géopolitiques dans et autour du Pacifique : la Chine bien sûr, et le Japon, Taiwan et l'ex-Indochine française, l'Inde, l'Australie. L'Indonésie n'est quasiment jamais citée dans la liste des "grands acteurs géopolitiques", alors que, par sa population et sa situation géographique unique, elle sera plus que décisive dans cette partie du monde, le sud-est de l'Asie en d'autres termes. Plusieurs géopolitologues prédisent déjà que les plus grandes tensions mondiales risquent de se produire dans cette région. Nous nous appuyons pour les données factuelles sur une récente contribution du Prof. Em. Jean-Marc Holz (Université de Perpignan) dans la revue française de géopolitique Conflits (n° 44, page 33 et suivantes).
L'Indonésie, avec ses 275,8 millions d'habitants, est le 4ème pays le plus peuplé de la planète, et c'est le plus grand pays musulman du monde. Son territoire comprend plus de 16.000 îles. Sa situation géographique est d'une importance exceptionnelle: elle est à la fois pont entre deux continents (Asie et Océanie) et à cheval sur deux océans, l'océan Indien et l'océan Pacifique. Le fait que le pays soit passé inaperçu sur la scène internationale peut être attribué aux options politiques prises après la déclaration d'indépendance du 17 août 1945. L'Indonésie a été le premier pays à se libérer d'une puissance coloniale (les Pays-Bas), et c'est peut-être pour cette raison qu'elle a choisi une politique étrangère indépendante dès le départ. Ce n'est pas un hasard si l'Indonésie, avec l'Inde, a pris la tête du mouvement des non-alignés.
Une position d'indépendance internationale comme condition pour maintenir l'unité du pays ?
Le fait est, écrit le professeur Jean-Marc Holz, que la jeune république indépendante n'a pas eu la vie facile et a dû faire face à toutes sortes de mouvements séparatistes (Java Ouest, Sulawesi, Moluques, etc.), en plus des poussées d'un puissant parti communiste (avec 6 millions de membres à l'époque), et de toutes sortes d'États islamiques. Les Américains ont tenté de toutes leurs forces de rallier l'Indonésie à leur cause dans la lutte contre l'avancée du communisme. Sukarno a tenu l'Indonésie à l'écart de ces défis internationaux et s'est efforcé de maintenir l'unité du pays. Suharto prend le pouvoir par un coup d'État militaire le 30 septembre 1965 et exerce des représailles contre les Chinois de l'île et les communistes du PKI, tenus pour responsables des troubles locaux et du coup d'État militaire qui s'en est suivi. Suharto rompt avec la tradition de rapprochement avec la Chine de Sukarno et interdit le PKI.
En août 1967, l'ANASE est créée et Jakarta en prend la direction, avec un double objectif : l'intégration économique régionale et l'arrêt de l'expansion communiste en Asie. Une dictature règne en Indonésie, mais elle fait croître l'économie comme jamais auparavant : entre 1965 et 1998, le PIB passe de 58,1 milliards de dollars à 430 milliards de dollars. Pourtant, les vieux démons restent actifs: en 1975, c'est la guerre civile au Timor, et le pays devient lentement mais sûrement la proie d'une islamisation croissante sous l'influence de prédicateurs salafistes arabo-yéménites. Le régime militaire, impliqué dans de nombreuses affaires de corruption, tombe en 1998. Un musulman modéré, A. Wahid, arrive au pouvoir et tente de fédérer les différents courants conflictuels autour de sa politique, mais les trois démons restent à l'œuvre: la corruption, les mouvements séparatistes et, surtout, l'islamisation rampante de la société indonésienne. Entre 1998 et 2001, elle a recensé 50 attentats (majoritairement islamistes).
Importance géopolitique de l'Indonésie
L'Indonésie est en quelque sorte la gardienne de plusieurs détroits stratégiques entre l'Asie, l'Europe et le Moyen-Orient, et elle occupe un rôle clé dans le Pacifique. Le détroit de Malacca est le fer de lance du commerce maritime international, avec 85.000 passages par an, 2 milliards de tonnes de trafic, dont une part particulièrement importante de pétrole du Moyen-Orient. Il représente 80 % de l'approvisionnement en pétrole de la Chine ! Il y a aussi les détroits de Probe, d'Ombai et de Wetar. Une région que la Chine lorgne également, la superpuissance asiatique ayant tenté d'installer un radar au Timor.
Outre sa position stratégique, les matières premières constituent également un atout majeur : gaz, caoutchouc naturel, biogaz, charbon et nickel (l'Indonésie est le premier exportateur mondial de nickel).
Jusqu'à présent, l'Indonésie a réussi à se tenir à l'écart de la surenchère sino-américaine, s'entêtant à maintenir sa neutralité. L'Indonésie se réfère toujours au non-alignement comme principe directeur et le met en œuvre dans la sphère économique : dans tous les secteurs économiques, les entreprises sont entourées de holdings d'État.
L'Indonésie compte 7 millions de Chinois sur son territoire. La Chine inonde l'île d'investissements et a supplanté le Japon comme principal partenaire commercial de l'Indonésie. Au sein de l'ONU, l'Indonésie semble parfois suivre la Chine : elle a par exemple voté contre l'ouverture d'une enquête sur la question des Ouïgours. L'Indonésie considère la montée en puissance économique de la Chine comme une opportunité plutôt que comme une menace. Par exemple, les sociétés chinoises d'Internet Huawei et ZT ont pu s'imposer en Indonésie comme les principaux opérateurs de la transformation électronique dans l'archipel.
Mais en même temps, l'Indonésie se rapproche des États-Unis en termes de politique de sécurité, affirme le professeur émérite Jean-Marc Holz. L'offre militaire de Washington est importante et les dépenses militaires de l'Indonésie augmentent, tandis que l'archipel porte une attention particulière à son indépendance : il n'y a pas de bases militaires étrangères sur son territoire. En 2015, par exemple, l'Indonésie s'est engagée dans un partenariat stratégique global avec les États-Unis. On pourrait dire que c'est le reflet de l'accord conclu par l'Indonésie avec la Chine en 2005. Le peuple indonésien semble s'accommoder de cette position de non-alignement : la seule question est de savoir combien de temps cet État stratégiquement important d'Asie du Sud-Est sera capable de résister aux pressions extérieures. Combien de temps l'Indonésie restera-t-elle ce "géant invisible", comme l'indique le titre de la contribution du professeur Holz ?
Peter Logghe
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Gerd Bergfleth (1936-2023) : adieu à un penseur inconfortable
Gerd Bergfleth (1936-2023) : adieu à un penseur inconfortable
Bernard Lindekens
Source: Nieuwsbrief Deltapers - No. 178, mars 2023
Le 20 janvier de cette année, Gerd Bergfleth est décédé à Tübingen. Cet événement n'a pas été l'occasion d'éloges funèbres, d'appels à l'action et d'in memoriam. Bien au contraire. Les médias ont fait ce en quoi ils excellent traditionnellement, à savoir le silence. Même son ancien éditeur, Matthes & Seitz, s'est montré très avare de commentaires. Mais qui était Gerd Bergfleth?
Né en 1936 à Dithmarschen, il a étudié la philosophie, la littérature et le grec à Kiel, Heidelberg et Tübingen de 1956 à 1964, où il s'est finalement installé. À partir de 1975, il devient éditeur, traducteur et interprète de l'œuvre théorique de l'écrivain, philosophe, poète et surréaliste dissident français Georges Bataille (1897-1962). Michael Krüger, de la Frankfurter Rundschau, a écrit à propos de son livre sur la "Théorie du gaspillage/del la dépense" de Bataille (1): "Une étude qui n'est pas seulement l'une des meilleures jamais écrites sur la théorie du gaspillage/de la dépense de Bataille, mais aussi un brillant morceau de philosophie indépendante : en se glissant virtuellement dans la peau de Georges Bataille, en devenant presque "identique" à lui, Bergfleth a eu l'occasion de pousser sa pensée plus loin, pour ainsi dire". Mais il ne s'est pas contenté de présenter une introduction ambitieuse à l'œuvre théorique de Bataille, il s'est aussi passionné pour d'autres auteurs peu visibles comme le Marquis de Sade, Maurice Blanchot, Pierre Klossowski ou Jean Baudrillard. Bergfleth s'intègre ainsi parfaitement dans le concept d'édition qu'avait pensé Axel Matthes et devient peu à peu le philosophe attitré de la toute jeune maison d'édition Matthes & Seitz.
L'enfant terrible
Après l'effondrement du Troisième Reich, lorsque l'Allemagne a connu sa "Stunde Null", son "Heure Zéro", certains philosophes et professeurs d'avant-guerre sont revenus en Allemagne. Les adeptes de l'Ecole de Francfort ne s'étaient jamais vraiment imposés dans le monde universitaire anglo-saxon et allaient bientôt installer leur hégémonie en Allemagne. Le moyen d'y parvenir sera la théorie critique. Des personnalités comme Theodor Adorno, Max Horkheimer et surtout Herbert Marcuse développent une approche critique de la philosophie axée sur la critique sociale et politique, et notamment du capitalisme. En faisant appel à la raison, elle permettait aussi indirectement de rejeter toute pensée qui n'était pas en accord avec elle en la qualifiant d'irrationnelle. Mais des dissonances ne tardent pas à apparaître. La revue conservatrice Criticon était peut-être de loin la plus connue à l'époque, à côté d'un certain nombre d'autres revues de droite. L'éditrice Claudia Gerhke, par exemple, a organisé des réunions de 1976 à 1980, au cours desquelles est née l'idée d'une revue politico-littéraire : le Konkursbuch (en réaction au Kursbuch, plutôt de gauche, de Hans Magnus Enzensberger 1929-2022). Le premier Konkursbuch est paru le 1er avril 1978 sur le thème "Raisonnabilité et émancipation" et Gerd Bergfleth s'y est illustré. Même lorsque Axel Matthes fonde le magazine maison Der Pfahl, Bergfleth est présent. Mais c'est avec son livre Zur Kritik der palavernden Aufklärung (2) qu'il établira sa réputation d'enfant terrible. Il s'agit d'une petite anthologie où l'on trouve, outre des textes de Bergfleth lui-même, des textes de Jean Baudrillard ("Die Fatalität der Moderne") et de George Bataille ("Nietzsche"), entre autres. Dans l'un de ses essais du livre, "Zehn Thesen zur Vernunftkritik"(= "Dix thèses pour une critique de la Raison), Bergfleth constate l'échec de la raison en tant qu'agence dominante de la philosophie et explique le clivage entre sa vision personnelle et les lumières de la gauche. Bergfleth s'insurge contre la pensée produite par le mouvement de la gauche - libérale - des années 1970 et pense pouvoir annoncer l'alliance entre la Raison, assortie de ses interdits, et le pouvoir porté par les technocrates. Le livre a aussi immédiatement provoqué un petit scandale lorsque, dans un autre essai de la même anthologie, il a subrepticement inversé la pensée de Walter Benjamin et en a cherché la clé dans la judéité de la Théorie critique. Les plaintes pour antisémitisme n'ont pas manqué de se manifester. Axel Matthes a cependant défendu son auteur avec ferveur. À juste titre d'ailleurs, car Bergfleth citait en fait une lettre de Walter Benjamin à Gershom Scholem. Malgré tout, Bergfleth sera qualifié par le journal Die Zeit de "Matthes & Seitz -Faschist".
Le fait est que, malgré ce que certains appelleront sa francophilie, Bergfleth a réussi à révéler le fond allemand qui se cache derrière de nombreux textes français. Et c'est précisément grâce à sa connaissance pénétrante des styles de pensée avant-gardistes de Foucault, Derrida et Baudrillard qu'il a pu extraireet remettre en exergue les mondes mentaux de Nietzsche, Klages et Heidegger. Des mondes mentaux qui avaient été habilement enterrés dans la RFA d'alors au nom de l'"Aufklärung" ...
Le fait que l'esprit refoulé du soi-disant "pré-fascisme allemand" revienne par la porte dérobée de la pensée française du postmodernisme a déclenché toutes les sonnettes d'alarme parmi les disciples de Jürgen Habermas. Plus tard, il collaborera à la brillante revue Etappe et au journal Staatsbriefe. Il a également contribué à l'ouvrage pionnier Die selbstbewußte Nation. En dehors de l'Allemagne, il a également collaboré au numéro sur l'écologie de la revue française Krisis et est intervenu au 27e colloque du G.R.E.C.E. sur le même thème (3).
A l'occasion de son 80ème anniversaire, la revue allemande Sezession (4) écrivait que c'était le grand mérite de cet intrépide penseur non-conformiste d'avoir redécouvert cette autre Allemagne, plus sombre, à travers la France et d'avoir ainsi redonné à l'esprit allemand son pouvoir de séduction. Bergfleth appartenait à ce groupe de penseurs solitaires qui n'ont jamais fondé d'école, et c'est heureux. Bergfleth mérite d'être redécouvert. Le monde et la vie n'appartiennent pas à la seule raison.
Bernard Lindekens
Notes:
(1) Gerd Bergfleth, Theorie der Verschwendung. Einführung in das theoretische Werk von Georges Bataille, 1985, Matthes & Seitz, Berlin, 146 p. ISBN : 978-3-88221-359-1
(2) Gerd Bergfleth et al, Zur Kritik der palavernden Aufklärung, 1984, Matthes & Seitz, Berlin, 198 pp. ISBN : 978-3-88221-344-2 (dans la série "debatte")
(3) XXVIIe colloque national du GRECE, Les Enjeux de l'écologie, Paris, 28/11/1993
(4) Voir le site Internet : https://sezession.de/57200/gerd-bergfleth-zum-80-geburtstag
Sur Bergfleth, voir aussi : http://www.archiveseroe.eu/bergfleth-a48275783
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Extraits du programme du mouvement BoerBurger (Pays-Bas)
Extraits du programme du mouvement BoerBurger, hier grand vainqueur des élections néerlandaises
- Il sera interdit aux enseignants de toutes les écoles de diffuser leurs idéologies personnelles parmi les élèves. Il y aura une ligne téléphonique d'urgence où les élèves et les parents pourront signaler tout dérapage.
- Plus d'argent pour la police et les forces de l'ordre.
- La couleur, l'âge, l'origine, l'orientation sexuelle et la religion ne doivent pas avoir d'importance. La discrimination est interdite. Il en va de même pour la discrimination positive. Les personnes qui postulent à un emploi au sein du gouvernement sont jugées sur la base de leur qualité et non sur la base de leur sexe, de leur handicap physique, de leur couleur, de leur orientation sexuelle, de leur religion ou autre. Il n'y aura donc AUCUN quota de femmes, ni aucun quota d'ailleurs, dans les ministères. Le seul quota qui existera sera un quota de qualité : 100 % des employés auront été sélectionnés selon leurs les qualités les meilleures.
- L'attribution des logements sera basée sur l'urgence plutôt que sur l'appartenance ethnique. Cela signifie qu'un groupe de population n'a pas plus ou moins de droit à un logement (abordable) qu'un autre groupe de population, uniquement sur la base de l'origine.
- Les immigrants qui NE viennent PAS d'une zone de guerre ou dont l'existence et celle de leur famille ne sont pas sérieusement menacées doivent pouvoir prouver qu'ils disposent d'un travail et d'un logement permanents aux Pays-Bas. S'ils peuvent le prouver et s'ils maîtrisent bien la langue néerlandaise, ils seront admis. Après avoir contribué pendant cinq ans à la société et à l'économie néerlandaises, ils pourront obtenir un permis de séjour permanent.
- Les demandeurs d'asile qui ne cherchent que la bonne fortune économique et sont sans travail ni revenu ne seront pas admis ou seront expulsés vers leur pays dès que possible.
13:18 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, pays-bas, europe, affaires européennes, boerburgerbeweging, politique, politique internationale | |
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La géopolitique des réseaux énergétiques
La géopolitique des réseaux énergétiques
Leonid Savin
Source: https://www.geopolitika.ru/article/geopolitika-energosetey
Les événements de ces dernières années ont radicalement changé le paysage énergétique mondial. Bien que les producteurs des principales ressources énergétiques soient restés les mêmes, les conditions du marché, les chaînes d'approvisionnement et les priorités ont changé. Pour l'Europe, le gaz naturel russe est devenu politiquement "toxique" et, dans le contexte de la transition vers l'énergie verte, cela a soulevé le dilemme de l'accès à l'énergie abordable nécessaire pour soutenir leurs propres économies. À l'échelle mondiale, l'intérêt pour les énergies propres s'accroît, créant une fenêtre d'opportunité pour un certain nombre de pays. Les outsiders sont contraints de se tourner vers le protectionnisme pour se protéger des impacts potentiels. L'évaluation des risques varie cependant. Certains considèrent les gains économiques comme la priorité absolue, d'autres privilégient les questions politiques, ce qui peut avoir pour effet d'exclure les préoccupations, les normes et les responsabilités environnementales de toute participation à des accords ou à des alliances.
Jason Bordoff et Megan O'Sullivan estiment que des changements géopolitiques importants sont en cours dans le secteur de l'énergie. De nombreux pays s'efforçant d'utiliser des énergies propres, le succès dans ce domaine est synonyme d'influence géopolitique accrue. On pourrait dire que des superpuissances de l'énergie propre émergent pour dominer le reste. Il existe plusieurs sources potentielles de domination : 1) la capacité de fixer des normes en matière d'énergie propre, un outil plus subtil que l'influence politique directe ; 2) le contrôle des chaînes d'approvisionnement des éléments essentiels à la technologie de l'énergie propre ; 3) la capacité de produire des composants à bas prix pour l'industrie ; et 4) la production et l'exportation de combustibles à faible teneur en carbone ou d'énergie propre elle-même.
D'une manière générale, la carte géopolitique mondiale de l'énergie se compose de points de production d'énergie, de nœuds et de connecteurs, ainsi que de canaux de transmission d'énergie tels que les réseaux électriques ou les gazoducs et oléoducs.
Les réseaux énergétiques sont les infrastructures qui relient la source d'énergie au consommateur d'énergie et représentent donc un élément essentiel des systèmes énergétiques nationaux et mondiaux. Au cours des cent dernières années, les réseaux (notamment d'électricité et de gaz) ont évolué, passant de réseaux locaux simples à des infrastructures complexes qui transfèrent l'énergie non seulement à l'intérieur des frontières nationales, mais aussi au-delà des frontières, de manière fiable et efficace.
Un rapport de l'Oxford Institute for Energy Studies sur les réseaux énergétiques à l'ère de la transition indique que "compte tenu de la stratégie de décarbonisation par défaut basée sur l'électrification, dans de nombreux endroits du monde, les réseaux électriques devraient être au cœur de l'infrastructure des futurs systèmes énergétiques qui transmettent la majeure partie de l'énergie consommée dans l'économie, en interaction avec d'autres réseaux énergétiques tels que le chauffage, l'hydrogène, le gaz naturel et la réfrigération". Toutefois, pour que cela se produise, le marché de l'électricité doit être conçu de manière à ce que les flux d'électricité restent à l'intérieur des lignes de transport d'électricité. Dans des endroits comme l'Europe, où les prix du marché de l'électricité sont largement identiques dans les différents pays et ne reflètent donc pas les contraintes du réseau électrique, les résultats du marché sont souvent ajustés en réattribuant la capacité des centrales électriques conventionnelles et en gérant l'utilisation des énergies renouvelables. Ce mécanisme est non seulement coûteux, mais aussi difficile à gérer efficacement, car il est soumis à la prise de risque (lorsqu'il est basé sur le marché) ou dépend de la transparence des coûts des centrales électriques (lorsqu'il est basé sur les coûts).
Des instruments réglementaires appropriés sont nécessaires pour assurer une planification efficace du réseau électrique à long terme. Ces instruments comprennent l'utilisation d'un mécanisme de marché pour la fourniture de services de réseau chaque fois que cela est possible, ainsi que l'introduction d'une plus grande granularité dans la tarification de l'électricité dans le temps et dans l'espace.
Les réseaux de distribution d'électricité sont d'autant plus importants que la dé-carbonisation de secteurs tels que le chauffage et les transports se traduit par une plus grande volatilité de l'offre et de la demande et par des pics plus élevés dans des réseaux traditionnellement gérés de manière passive. Ces réseaux nécessitent une série d'instruments, tels que des tarifs réglementés efficaces, des régimes de connexion au réseau flexibles et des marchés locaux pour les services flexibles afin d'encourager l'utilisation efficace des actifs existants et le développement optimal de la capacité future".
Par conséquent, le réseau électrique sera l'un des domaines prioritaires du développement énergétique dans un avenir proche.
Or, les réseaux électriques des pays en développement posent un certain nombre de problèmes. Dans certains d'entre eux, où les réseaux ne sont pas encore dissociés, les sociétés de distribution sont impliquées à la fois dans le réseau et dans les activités de détail. Parallèlement, dans de nombreux pays en développement, tels que l'Inde et la Tanzanie, les tarifs de détail sont subventionnés, les pertes d'énergie techniques et commerciales sont élevées et les sociétés de réseau sont souvent dysfonctionnelles. Cela conduit à une situation où les sociétés de distribution d'électricité sont financièrement insolvables. L'accès à l'électricité est alors menacé.
Ajoutez à cela l'augmentation de la population mondiale et l'émergence de nouvelles technologies, ce qui signifie également une augmentation de la consommation d'électricité. La structure du secteur de l'énergie et de sa consommation peut être observée dans différents pays. Aux États-Unis, par exemple, ces dernières années, un peu moins de la moitié de l'électricité est produite à partir de gaz naturel, le reste se répartissant à peu près également entre le charbon, l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables, principalement les éoliennes et les panneaux solaires. Au total, un peu plus de 4000 TWh sont produits chaque année (contre 3000 en 1990).
La poursuite de la réduction de la demande de gaz naturel cette année et l'année prochaine en Europe dépend également de l'existence d'autres formes de production d'électricité. La France, premier exportateur d'électricité en Europe, est devenue importatrice pendant la majeure partie de l'année 2022 en raison de l'arrêt de la production d'électricité d'origine nucléaire et hydraulique. Une relance en 2023 pourrait réduire la demande de gaz de l'UE de 80 TWh. La Commission européenne a annoncé un décret d'urgence ambitieux visant à accélérer les projets d'énergie renouvelable afin de remplacer 140 TWh de gaz naturel par de l'énergie éolienne et solaire en 2023.
L'Europe part du principe que l'approvisionnement limité en gaz russe via Turkish Stream et Transgas, ainsi que le remplacement partiel du gaz dans la production d'électricité par le rétablissement de l'hydroélectricité, du nucléaire et des nouvelles énergies éolienne et solaire, suffiraient à combler le déficit de l'offre et de la demande estimé par l'AIE à 300 TWh en 2023.
Cela dit, l'ampleur de l'expansion des énergies renouvelables dans l'UE est variable. Ensemble, l'Espagne, les Pays-Bas et la Grèce ont représenté plus de la moitié de l'augmentation totale de la production d'énergie éolienne et solaire dans l'UE depuis 2019, tandis que la Bulgarie, la République tchèque et la Roumanie n'ont déployé pratiquement aucune centrale éolienne ou solaire. La Hongrie et la Pologne sont parties d'un niveau peu élevé, mais ont depuis enregistré une augmentation des énergies renouvelables.
Les États membres ont répondu à l'appel de l'UE pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables et dé-carboniser les industries conformément à ses objectifs REPowerEU. La République tchèque, la Pologne et la Slovaquie, entre autres, ont assoupli les réglementations ou annoncé de nouveaux projets pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables. De nombreux pays d'Europe centrale et orientale ont également annoncé des calendriers pour l'élimination progressive du charbon. L'Allemagne a mis en place des plans ambitieux visant à presque tripler la capacité de production d'énergie éolienne et solaire d'ici 2030. Cela permettrait de produire environ 1200 GWh par jour, contre une moyenne de 440 GWh par jour provenant de l'éolien et du solaire en 2021 (sur un total de 616 GWh par jour provenant des énergies renouvelables). La Commission européenne prévoit de porter la capacité des énergies renouvelables à 1236 GW d'ici à 2030. L'augmentation de l'utilisation de l'énergie solaire et éolienne permettrait à elle seule d'économiser 210 TWh/an de gaz naturel d'ici 2030, en plus des 1 160 TWh/an que les mesures "Fit for 55" devraient déjà permettre d'économiser. En atteignant les objectifs de Fit for 55 et de REPowerEU, l'UE pourrait réduire sa consommation de gaz de 1550 TWh - l'équivalent des importations de gaz russe dans l'UE en 2021 - d'ici 2027 et d'un total de 3100 TWh d'ici 2030. La question de savoir si ces objectifs européens et nationaux peuvent être atteints est une autre question.
Centres et périphéries
Une étude de l'Institut allemand pour la sécurité et la politique étrangère indique que "dans le cas de l'électricité, l'espace et le réseau sont soumis à des systèmes logiques concurrents en fonction du lieu. Au sein de l'UE, par exemple, le principe réglementaire de l'ordre s'applique à l'"espace électrique" de l'Europe, territorialement contigu. En revanche, dans les espaces politiquement et juridiquement perméables à l'influence extérieure, les grandes puissances cherchent à contrôler les flux d'électricité pour projeter leur pouvoir politique et créer des espaces centralisés ou hiérarchisés. Nous assistons actuellement à des processus de réintégration et de resynchronisation dans des régions telles que l'Asie centrale et le Caucase du Sud, l'Afrique du Nord, l'Asie du Sud et du Sud-Est - des régions qui, historiquement, n'ont été interconnectées que de manière marginale et dont les infrastructures sont fragmentées. Aujourd'hui, cela se fait soit par le biais d'interconnexions électriques telles que le Central Asian Power System (CAPS) et l'initiative chinoise Belt and Road (= Nouvelles Routes de la Soie), soit par la création de marchés de l'électricité tels que l'Union économique eurasienne (EAEU). Le degré de concentration et d'intégration socio-économique, technique, réglementaire et infrastructurelle de ces régions reste généralement faible. Cela accroît leur perméabilité au pouvoir politique extérieur et en fait des zones d'interconnexion et de concurrence. La concurrence pour les sphères d'influence normatives, techniques, économiques et donc géopolitiques s'intensifie. Dans la région continentale Europe-Asie, qui revêt une importance stratégique, la Chine, la Russie, la Turquie et l'Iran rivalisent avec l'UE et les États-Unis.
Par conséquent, des questions apparemment purement techniques entrent dans le domaine de la politique. L'infrastructure du réseau électrique, en particulier sous la forme de réseaux électriques intégrés, façonne les relations politiques et socio-économiques entre deux ou plusieurs centres, ainsi qu'entre les centres d'une part et les périphéries d'autre part.
Les centres eux-mêmes sont définis ici comme des espaces saturés d'infrastructures et d'industries (y compris en dehors de la sphère d'influence d'un pays) caractérisés par une forte densité de transactions économiques et sociales, une homogénéité normative et politique et une faible perméabilité aux forces géopolitiques extérieures. En revanche, la périphérie se caractérise par des infrastructures sous-développées, une faible industrialisation, des conditions socio-économiques instables, un centre de gravité politique faible ou absent, un degré élevé de perméabilité au pouvoir géopolitique extérieur et de fortes forces centrifuges.
Selon la théorie des réseaux socio-économiques, les centres et les périphéries peuvent être reliés de plusieurs manières. Un centre peut être relié à plusieurs zones situées à sa périphérie. En même temps, deux ou plusieurs centres peuvent être reliés entre eux par un espace périphérique commun. Il est également possible que plusieurs centres, chacun avec sa propre périphérie, coexistent et ne soient que faiblement reliés les uns aux autres. Les différents regroupements centre-périphérie reflètent les différents rapports de force géoéconomiques et les projections géopolitiques.
Les interconnecteurs, les réseaux électriques et les systèmes synchrones d'alimentation en énergie n'influencent pas seulement les relations énergétiques ; ils façonnent également les relations centre-périphérie en tant que vecteurs de connexion et d'intégration. Grâce à son projet "Ceinture et Route", la Chine promeut une vision globale de la connectivité énergétique mondiale.
De nouveaux centres de gravité émergent et les périphéries se transforment d'espaces frontaliers en espaces de connexion.
La zone continentale qui s'étend de l'Europe à l'Asie présente une dynamique particulière. D'une part, trois alliances et centres de pouvoir internationaux existent déjà, à savoir ceux de l'UE, de la Russie et de la Chine. D'autre part, de nouvelles interconnexions et de nouveaux réseaux électriques sont en cours de développement et de nouveaux centres, tels que l'Iran, la Turquie et l'Inde, sont de plus en plus actifs dans la construction d'infrastructures électriques transfrontalières. Bien qu'elles existent à des profondeurs différentes, les tendances d'intégration de l'électricité dans les trois macro-régions présentent des caractéristiques similaires : à mesure que de nouveaux centres de gravité émergent, les périphéries se transforment d'espaces frontaliers en espaces interconnectés. En conséquence, les frontières des anciens espaces s'estompent tandis que de nouveaux grands espaces sont créés. Ainsi, l'ancienne confrontation géopolitique entre le centre continental et la périphérie maritime s'affaiblit visiblement.
Au sein de l'Eurasie, on assiste donc à une consolidation autour de certains centres énergétiques et à un renforcement ou à un affaiblissement de la coopération, en fonction du climat politique.
Par exemple, les pays de l'UE tentent de créer leur propre marché fermé, bien que certains d'entre eux dépendent encore de l'approvisionnement en électricité de la Russie. Et s'il existe des raisons politiques de passer à d'autres réseaux, il existe un certain nombre de limitations techniques qui font qu'il est difficile de le faire rapidement. Par exemple, en 2022, les autorités estoniennes ont déclaré qu'elles ne se déconnecteraient pas du réseau russe avant 2025.
Dans une autre région, en revanche, nous assistons à une consolidation des interactions dans ce sens. En janvier 2013, Mohammad-Ali Farahnakian, conseiller en affaires internationales du ministre iranien de l'énergie, a déclaré qu'une entreprise iranienne avait reçu l'approbation de la Russie, de l'Azerbaïdjan et de l'Iran pour travailler sur un projet de synchronisation des réseaux électriques des trois pays. "Après l'approbation finale du projet, les travaux de synchronisation des réseaux électriques commenceront", a-t-il assuré. L'élaboration du projet, a-t-il noté, prévoit l'étude des composantes économiques, techniques et environnementales. Les résultats de l'étude et de l'élaboration ont été soumis aux agences respectives des trois pays.
Le projet CASA-1000, qui vise à relier les pays d'Asie centrale à l'Afghanistan et au Pakistan et à échanger de l'énergie électrique selon les normes internationales, est prometteur.
13:00 Publié dans Actualité, Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, énergie, réseaux énergétiques, économie | |
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La Voie de la Main Vide, l'ascèse guerrière du sujet radical
La Voie de la Main Vide, l'ascèse guerrière du sujet radical
René-Henri Manusardi
Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/la-della-mano-vuota-ascesi-guerriera-del-soggetto-radicale
Division et opposition dans la modernité
L'un des aspects les moins considérés du nouveau paradigme de la Modernité - qui, à partir de la Renaissance, a progressivement subverti l'Ordre divin fondé sur le théocentrisme et promulgué l'anthropocentrisme, c'est-à-dire le culte de l'Homme comme centre et axe de la gravitation universelle à la place de Dieu, niant ainsi le paradigme sacré de la Tradition - est donné par sa capacité à être essentiellement diviseur et opposant, confirmant ainsi sa matrice angélologique d'origine diabolique (du gr. διάβολος = trompeur, accusateur, séparateur, diviseur) et l'introduction de la subversion satanique dans l'Histoire.
Une telle division, une telle opposition violente, avec la Modernité émerge, nous la trouvons, elle est affirmée partout et se justifie juridiquement parce que l'unité atemporelle du bonum Traditionis garantie par la lex Dei est tronquée, qui déterminait non seulement le péché individuel par fragilité ou malice, mais surtout le péché social d'égoïsme et d'obstination, admonestant le pécheur à la conversion, de l'écuyer de service au roi, les obligeant à racheter le mal commis, sous peine de non-absolution et/ou d'excommunication. La division et l'opposition, avec la pensée et le langage de la Modernité, se manifestent dans tout le savoir humain et dans toute organisation sociopolitique : immanence contre transcendance en philosophie ; Écriture contre Tradition en théologie ; défense de l'ordre civil contre justice sociale en politique ; tolérance religieuse des minorités contre guerres de religion en géopolitique, avec l'adage accommodant et sans solution de Cuius regio, eius religio.
Après la division et l'opposition cartésiennes dévastatrices entre res cogitans et res extensa, le correctif idéaliste hégélien apparaît, qui tentera une synthèse philosophique entre les thèses et antithèses de la modernité qui se divisent et s'opposent. Mais ce faisant, Hegel ne fera que susciter, justifier et favoriser la montée et la violence politique du troisième pouvoir, inspirant les idéologies philosophiques culturelles nées au 19ème siècle, ainsi que les totalitarismes sociopolitiques des 20ème et 21ème siècles avec Karl Marx et Vladimir Lénine (renversement de l'idéalisme en matérialisme communiste), Giovanni Gentile et Benito Mussolini (l'idée de l'État fasciste), Arthur De Gobineau et Adolf Hitler (l'idée de la race aryenne), Sigmund Freud et Carl Jung (le panpsychisme sexuel et l'inconscient collectif), Charles Darwin et Teilhard de Chardin (l'évolutionnisme biologique et spirituel), pour finir avec Karl Popper et George Soros (le totalitarisme libéral de la société ouverte) avec les corrélats postmodernes liquides de la pensée unique, du transhumanisme, du politiquement correct, de l'idéologie du genre, de la finis Storiae promulgués par les seigneurs de l'or, pervers et sataniques, de Davos.
Même l'art de l'alchimie avec ses corollaires gnostiques, ésotériques et cabalistiques, qui de l'Antiquité au Moyen Âge pré-moderne semble avoir eu sa propre unité dans l'espace du Sacré avec Avicenne, Albert le Grand, Thomas d'Aquin, Roger Bacon, Dante Alighieri et bien d'autres, ainsi que sa propre homogénéité interne, trouve avec la modernité de la Renaissance sa propre radicalisation divisante et antagoniste dans la figure du magicien blanc et du magicien noir, qui, au fil des siècles et par des voies souterraines, arrivent jusqu'à la proclamation par Helena Blavatsky de la Voie Théosophique de la Main Droite et de la Voie de la Main Gauche, une définition qui, avec René Guenon et Julius Evola - avec des corrections et des répudiations de leur part de l'espace théosophique -, implique également une théorie philosophique et une praxis métapolitique traditionaliste, dans un continuum délibéré avec l'hindouisme tantrique, qui chez Evola donne naissance à la figure de l'homme indifférencié.
Aller au-delà
Il faut cette prémisse pour comprendre que la Postmodernité que nous vivons actuellement, qui supplante inexorablement le paradigme de la Modernité en passant de l'anthropocentrisme au technocentrisme transhumain, et qui d'oppositionnelle et clivante devient liquide (Baumann), une fiction, un simulacre de sacralité, un simulacre d'absolu (Douguine).
"Il ne s'agit pas d'un retour à la Tradition. Au contraire, le postmoderne surpasse le moderne, en détruisant ses fondements, mais à condition que le prémoderne ne revienne en aucune façon. Il est la conclusion logique du moderne, son aboutissement nihiliste, et non un dépassement de ses limites. Le postmodernisme est, en dernière instance, le triomphe du nihilisme : caché dans le moderne, il est maintenant complètement clair, transparent et n'est plus obligé de se cacher" (Alexandre Douguine, Théorie et phénoménologie du sujet radical, AGA Editrice, Milan 2019, p. 33).
Par conséquent, un dépassement est nécessaire, un dépassement des perspectives de division et d'opposition qui ont caractérisé la modernité et un dépassement des faux simulacres liquides et simulants opérant dans la postmodernité. En particulier, il est nécessaire de dépasser les concepts métaphysiques et métapolitiques formulés dans la Voie de la Main Gauche comme une accélération du processus de destruction de la postmodernité afin de favoriser un nouveau réveil de la Tradition, précisément parce que la postmodernité a changé les conditions de cette lutte. Comme l'enseigne magistralement Alexandre Douguine :
"Aujourd'hui, dans le processus de transition vers la postmodernité, il est nécessaire de faire le pas suivant : développer une stratégie de révolte contre le monde postmoderne, en adaptant le traditionalisme aux nouvelles conditions historiques et culturelles ; non pas tant pour résister aux changements en cours, mais pour en être profondément conscient, pour intervenir dans le processus en lui assignant une direction radicalement différente. L'objectif n'est pas tant la victoire que la bataille elle-même. Si elle est correctement préparée et menée contre l'ennemi réel, cette guerre sera déjà une victoire" (Op. cit., p. 36).
À cet égard, dans notre précédent article pour Idee & Azione, intitulé Metaphysics of Chaos and the Radical Subject ( https://www.ideeazione. com/metaphysics-of-chaos-and-radical-subject/ ), nous posions la question suivante : Si la Volonté post-sacrée du Sujet radical dont parle Douguine - que nous définissons comme la volonté d'appartenance totale au Divin (comme expression du désir angélique de Dieu) - est le dépassement ontologique de la volonté de puissance nietzschéenne, est-il également possible d'envisager une nouvelle voie philosophique et métapolitique au sein de la métaphysique du Chaos qui aille au-delà, qui dépasse et qui soit capable de dépasser la Voie de la Main Gauche ? Notre réponse à cette question a été positive et s'est développée à la fois dans l'ordre de la praxis et de la theoria.
En ce qui concerne la praxis, sur la base des intuitions douguiniennes, nous avons soutenu que la vertigineuse décadence du postmodernisme est tellement accélérée et centrifuge que son entropie auto-implosive n'exige plus que l'on chevauche le tigre de manière évolutive mais d'attendre sa dissolution en se préparant, d'un point de vue métapolitique, à mettre en œuvre les communautés organiques de destin, avec leur lutte proactive contre la présence de l'OTAN en Europe et contre les diktats des seigneurs de l'or, pervers et diaboliques, de Davos.
Dans le domaine de la Théorie proprement dite, en revanche, après avoir appris de Douguine que :
- la métaphysique du Chaos ou Nouvelle Métaphysique se manifeste sous les espèces de l'ordre inclusif comme un nouveau logos chaotique (incluant ainsi de manière synchrone les dimensions atemporelle et temporelle), qui, étant né du Chaos est inclus dans le Chaos initiateur du Cosmos (Ordre Divin) ;
- l'acteur de la métaphysique du Chaos : "Le Sujet radical est incompatible avec toute structure temporelle. Il réclame avec force un antitemps, fondé sur le feu puissant de l'éternité, transfiguré dans la lumière de la radicalité. (...) seul le geste drastique du Sujet radical, (...) cherche à se libérer du temps par la construction d'une (impossible) réalité non temporelle" (Alexandre Douguine, La quatrième théorie politique, NovaEuropa, Milan 2017, pp. 239-240) ;
- nous en avons déduit qu'un tel geste drastique de libération du temps, propre au Sujet radical, ne devrait plus avoir lieu - étant donné l'accélération auto-implosive du postmodernisme - en chevauchant le tigre par la Voie de la Main Gauche, mais par une nouvelle ascèse métaphysique et spirituelle profonde, que nous entendons appeler explicitement la Voie de la Main Vide, en nous référant en cela à la fois à la tradition méditative du Zen, et à la tradition apophatique philosophique et théologique propre à la tradition occidentale classique et chrétienne pré-moderne. La Voie de la Main Vide représente un dépassement philosophique, anthropologique, théologique, angélologique, ascétique et mystique de la Voie de la Main Droite et de la Voie de la Main Gauche, conservant de la première la constance spirituelle et la rigueur éthique, tandis que de la seconde elle veut faire sienne la tendance extrême et totale à ne pas s'épargner et à toujours viser le sommet à n'importe quel prix.
De la métaphysique du Chaos, de ses profondeurs peut être générée la Voie de la Main Vide, un nouveau Dasein possible du Sujet Radical et son itinéraire existentiel effectif. Un chemin métaphysique et spirituel fondé sur l'expérience vivante de la manifestation de la conscience de soi. C'est-à-dire sur la reconnaissance expérimentale de la réalité ontologique de l'âme individuelle, qui se réalise à travers la pratique consciente du hic et nunc, de l'ici et du maintenant, non pas dans la pratique occidentale étroite et réductivement psychologisée de la pleine conscience, mais pour vivre dans l'Immanence, qui est "conscience" de la présence vivante de la Transcendance, du Totalement Autre, qui est l'origine et le Père de notre être, c'est-à-dire de notre Dasein, et qui nous pousse à la lutte pour un nouveau commencement de la Tradition. Nous allons maintenant illustrer quelques fondements anthropologiques d'un ordre ascétique-mystique, concernant la théorisation de la Voie de la Main Vide, précédés d'un très bref excursus historique sur la pratique de la conscience en Occident.
Immanence et transcendance
La Voie de la Main Vide est structurée autour des pierres angulaires de l'expérimentation pratique méditative et existentielle de l'Immanence et de la Transcendance. Précisément, vivre l'Immanence à la recherche et en présence de la Transcendance et vivre la Transcendance dans l'Immanence. Tout cela, par la pratique de l'ici et du maintenant, du hic et nunc ou de la conscience. Une pratique de la conscience qui n'est pas basée sur la réflexion et le raisonnement, mais sur la pratique du silence et du vide mental. Une conscience qui ne se lit donc pas comme une faculté de l'esprit, mais comme une structure de l'âme consciente. Une âme consciente individuelle, l'essence qui génère et maintient en existence le corps et les pouvoirs de l'âme, c'est-à-dire l'esprit (mémoire, intellect, volonté), grâce à son énergie vitale.
Pendant longtemps, au moins jusqu'au début de l'an 2000 et au-delà, la pratique méditative d'une sorte de "conscience" évanescente, poétique et plus ou moins érotiquement dissimulée a été l'un des domaines et des leitmotivs du mouvement New Age. De ce chaos sans queue ni tête, uniquement préoccupé par la définition d'une réalité vaguement divine, de nature panthéiste et impersonnelle, délibérément dépourvu de références éthiques dans le domaine sexuel, qui a fait un massacre de nanas par de pseudo-gourous du néant, de la mort et du business, capables de ne distribuer que le bonheur de la copulation initiatique en la faisant passer pour une cessation de la souffrance et une ascension vers des degrés supérieurs de conscience, de connaissance et d'éveil, a fini par émerger une nouvelle façon de concevoir et de mettre en œuvre le thème méditatif de la conscience, celui de la mindfulness (pleine conscience).
Portée par des psychothérapeutes - majoritairement mais pas uniquement - issus de l'aire cognitiviste, corroborée par une expérience méditative réelle mais souvent discrète, la pleine conscience est née, s'est développée et s'est consolidée parallèlement à son activité et à sa pénétration dans les milieux sanitaires et socio-sanitaires américains et anglo-saxons. Considérée comme une discipline aux contours scientifiques, ses enseignants n'osent pas s'exprimer sur les thèmes du Divin et de la Transcendance par pudeur ou par révérence aux reliquats de la science positiviste matérialiste qui conditionne encore aujourd'hui le monde scientifique. Ces psychothérapeutes, autoproclamés "maîtres" de la pleine conscience, en raison de spécialisations ou de maîtrises qui n'ont pas grand-chose à voir avec l'expérience méditative qui, pour être efficace et apprise, doit être la conséquence d'une longue pratique, occidentalisent des pratiques ad hoc de tradition essentiellement bouddhiste comme celles de la conscience non jugeante, ils utilisent des critères d'analyse hyper-relativistes dans le domaine de la gnoséologie et de la méthodologie psychologique, ils ne se dégagent pas totalement du paradigme freudien qui entache toutes leurs interprétations du réel psychologique de l'ombre de l'utopie pansexualiste concrète ou sublimée. Tout cela se produit, dans l'exercice de leur profession, à cause d'une Weltanschauung épistémologique réductrice autour de la nature humaine lue dans le binaire psychologique et anthropologique corps-esprit et non dans le binaire holistique et neuroscientifique corps-esprit-âme/conscience.
Au Japon, la Voie de la Main Vide est une dénomination liée au Bushido et en particulier à certains de ses arts martiaux, comme le Karaté. Nous avons choisi cette dénomination parce qu'elle exprime le mieux le sens du vide de l'âme consciente qui, dans l'immanence de sa propre condition existentielle, de son propre être (Dasein), s'ouvre à la transcendance comme une fleur qui s'ouvre aux rayons du soleil, réalisant ainsi la conscience de l'ici et du maintenant.
La Voie de la Main Vide est un chemin existentiel de mise en œuvre de la katharsis (purification) et de la kénosis (faire le vide) qui permettent l'éveil du Sujet Radical. C'est une condition quotidienne dans laquelle, dans l'événement méditatif et en dehors de celui-ci, on vit dans une pure Immanence ouverte à la Transcendance. La pratique de la pleine conscience n'est qu'une étape qui précède et suit d'autres étapes de dévoilement et d'éveil de l'âme consciente et de sa volonté d'appartenir totalement au Divin, comme décrit dans certains de nos trois articles précédents intitulés Les armes spirituelles du sujet radical, où les premiers degrés d'ouverture de la conscience, de l'âme consciente en fait, sont décrits en progression, ce qui sera suivi dans de futurs articles.
D'un point de vue phénoménologique, le thème de l'Immanence vécue comme une expérience extrême dans laquelle l'âme consciente, l'Atman, est purifiée et vidée de son égocentrisme inné qui lui coupe les ailes et la ferme à l'ouverture vers la Transcendance, est étroitement lié à l'horror vacui et à l'aridité spirituelle. Il s'agit de deux questions qui doivent être abordées avec une grande énergie et avec des corrélations psychologiques, sociologiques et, surtout, anthropologiques et ascético-mystiques. Pour l'instant, il suffit de rappeler que l'horreur du vide, horror vacui, est une perception intense et addictive d'un ordre existentiel lié au sens de la mort et de l'isolement existentiel, alors que l'Atman, l'âme consciente, est créée pour vivre éternellement et pour s'intégrer dans la société humaine et, à l'avenir, dans la communion des saints. La stérilité spirituelle, causée par la purification de l'ego et son évidement, effraie l'âme consciente, qui a été créée dans le desiderium Dei, pour vivre heureuse dans l'éternité et non dans la souffrance de la douleur et de l'absence du Divin.
Avec ces hypothèses de renoncement total à l'ego, on peut comprendre que, face à de telles difficultés, l'âme consciente, amoureuse de la Tradition, soit tentée de s'arrêter, de faire marche arrière et de renoncer à sa transformation, qui provoquerait l'éveil du Sujet radical, pour se contenter d'une dérive intellectuelle et d'un intimisme anesthésiant qui la protégerait à jamais de la violence de ce combat visant à l'émergence de l'ego et à l'émergence du Soi pour vivre face au Divin et être guidée par Lui.
Le thème de la Transcendance, vécu dans la perception phénoménologique du Totalement Autre, du Divin qui apparaît, qui se révèle à l'âme consciente et la remplit de joie et de consolation pour continuer sa lutte pour la Tradition, est lié à l'égoïsme de l'absence et à la manipulation du Divin. Ici encore, nous soulignons l'importance d'aborder et d'approfondir ces questions vitales pour une relation correcte avec la Transcendance. Dans ce contexte, nous affirmons simplement que l'âme consciente, l'Atman, doit travailler généreusement à l'expulsion de sa tension égoïste d'adhésion permanente au Divin, par la vertu contraire de la générosité, afin d'éviter que, lorsque le Divin n'est pas perçu comme étant présent, elle ne s'enlise dans l'égoïsme de l'absence, une condition qui conduit à la non-opération, mais seulement à l'attente passive de son retour.
La question de la manipulation du Divin est un sujet brûlant que nous aborderons dans un avenir proche, lié entre autres aux thèmes douguiniens concernant le Double, ou le Sujet radical et l'Antéchrist. Pour l'instant, nous dirons simplement que, comme nous l'enseignent les Pères du désert, plus l'âme consciente se rapproche du Divin, plus le type de tentations auxquelles elle est soumise devient subtil. À la base de ces tentations, il y a la preuve de se considérer comme un démiurge, un magicien, un manipulateur, en fait, du Divin.
Bien qu'il s'agisse en théorie d'une épreuve absurde pour l'intelligence, qui réalise que tout ce qu'elle reçoit est un don qui lui arrive quand, combien et comment le Divin le veut pour sa transformation, le don des charismes, qui ne sont en aucun cas un signe de perfection spirituelle de l'âme consciente (c'est-à-dire qu'ils ne sont pas des gratia gratum faciens) mais simplement un don gratuit (c'est-à-dire qu'ils sont des gratia gratis data) pour aider son prochain sur le chemin du Sentier spirituel, est mal compris par l'âme consciente qui le prend pour un pouvoir personnel. Si l'Atman succombe à cette épreuve, il devient ipso facto le domaine des seigneurs angéliques des ténèbres, auxquels il demandera tôt ou tard à être possédé dans l'illusion qu'il peut les gérer en sa faveur et à sa guise.
Cette illusion a accompagné, tout au long de l'histoire de notre espace métapolitique, certains groupes qui ont pratiqué la Voie de la Main Gauche dans le contexte occultiste spécifique exprimé ici. Il n'est pas dans notre intention de les juger, ni de les interroger ou de les mépriser ; au contraire, dans une certaine mesure, nous pouvons les admirer pour la noblesse de leurs intentions. Cependant, rappelons à tous que pour parvenir à la contemplation de la gloire du Divin et en jouir individuellement, il ne suffit pas d'être ouvert à Lui, mais il faut être humble en reconnaissant sa propre condition humaine de fragilité et être plein de foi dans l'action de Son Esprit qui seul peut nous guider vers la plénitude de la vérité : "vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres" (Évangile de Jean 8:32).
La Voie de la Main Vide, c'est un chemin d'ascèse guerrière, c'est l'itinéraire de l'Eveil du Sujet Radical, c'est la Grande Guerre Sainte pour la conquête du Royaume Intérieur et la condition sine qua non pour construire l'Empire Européen au sein de la Civilisation Multipolaire. De la Voie de la Main Droite, il hérite de la constance et de l'éthique. De la Voie de la Main Gauche, il hérite de la radicalité et de la totalité. Mais la Voie de la Main Vide les surpasse comme le Sujet radical avec la Volonté Post-Sacrée, la volonté d'appartenance totale au Divin, a surpassé la volonté de puissance du Zarathoustra Nietzschéen. Car dans la Voie de la Main Vide, la main de l'âme consciente se déploie et s'ouvre pour recevoir en elle la totalité du Divin et être guidée par Lui dans la bataille finale contre les ténèbres de l'anti-civilisation post-moderne avec l'énergie, la ténacité et l'extrémisme combatif des anciens guerriers, que seul le Sujet Radical peut pleinement manifester à la fin de l'Histoire :
Eléazar, appelé Auaran (qui signifie "celui qui transperce", Ndlr), voyant l'un des éléphants, protégé par l'armure royale, dominer toutes les autres bêtes et pensant que le roi était dessus, voulut se sacrifier pour le salut de son peuple et assurer son nom éternel. Il s'élança donc hardiment à travers la phalange et frappa à mort à droite et à gauche, tandis que les ennemis se divisaient devant lui et reculaient de part et d'autre. Il passa sous l'éléphant, le transperça de son épée et le tua ; il tomba sur lui et Eléazar mourut". (Extrait du premier livre des Maccabées 6, 43-46).
René-Henri Manusardi
11:30 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voie de la main vide, tradition, traditionalisme | |
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