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mardi, 15 août 2023

Victor Hugo et le génie des énergies naturelles (eau, vent)

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Victor Hugo et le génie des énergies naturelles (eau, vent)

Nicolas Bonnal

Dans Quatre-vingt-treize, Hugo défie les hommes et leur barbarie. Il se fait le chantre en pleine guerre civile française, en pleine horreur révolutionnaire, de la sagesse, de la beauté et de la richesse de la nature.

Il décrit ainsi une promenade :

« Pendant que ceci se passait près de Tanis, le mendiant s’en était allé vers Crollon. Il s’était enfoncé dans les ravins, sous les vastes feuillées sourdes, inattentif à tout et attentif à rien, comme il l’avait dit lui-même, rêveur plutôt que pensif, car le pensif a un but et le rêveur n’en a pas, errant, rôdant, s’arrêtant, mangeant çà et là une pousse d’oseille sauvage, buvant aux sources, dressant la tête par moments à des fracas lointains, puis rentrant dans l’éblouissante fascination de la nature, offrant ses haillons au soleil, entendant peut-être le bruit des hommes, mais écoutant le chant des oiseaux. »

Bruit des hommes, chant des oiseaux. Hugo aimait Leopardi (voyez mon texte).

Hugo explique aussi que certains paysages créent du mal-être :

« En présence de certains paysages féroces, on est tenté d’exonérer l’homme et d’incriminer la création ; on sent une sourde provocation de la nature ; le désert est parfois malsain à la conscience, surtout à la conscience peu éclairée ; la conscience peut être géante, cela fait Socrate et Jésus ; elle peut être naine, cela fait Atrée et Judas. La conscience petite est vite reptile ; les futaies crépusculaires, les ronces, les épines, les marais sous les branches, sont une fatale fréquentation pour elle ; elle subit là la mystérieuse infiltration des persuasions mauvaises. »

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C’est tout le message de Tolkien (dernier écrivain romantique et magique) que l’on a là.

La nature est plus sage et plus belle. L’homme évidemment peut « dépasser » la nature. Cela fait longtemps qu’il ne le fait plus. Notez :

« Restez dans la nature. Soyez les sauvages. Otaïti est un paradis. Seulement, dans ce paradis on ne pense pas. Mieux vaudrait encore un enfer intelligent qu’un paradis bête. Mais non, point d’enfer. Soyons la société humaine. Plus grande que nature. Oui. Si vous n’ajoutez rien à la nature, pourquoi sortir de la nature ? Alors, contentez-vous du travail comme la fourmi, et du miel comme l’abeille. Restez la bête ouvrière au lieu d’être l’intelligence reine. »

Belle définition de la société idéale (« nature sublimée ») :

« Si vous ajoutez quelque chose à la nature, vous serez nécessairement plus grand qu’elle ; ajouter, c’est augmenter ; augmenter, c’est grandir. La société, c’est la nature sublimée. Je veux tout ce qui manque aux ruches, tout ce qui manque aux fourmilières, les monuments, les arts, la poésie, les héros, les génies. »

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Malgré la brutalité et l’imbécillité de l’homme, de ses guerres et de ses fabrications (comme dit Lao Tse)  la nature persiste :

« La nature est impitoyable ; elle ne consent pas à retirer ses fleurs, ses musiques, ses parfums et ses rayons devant l’abomination humaine ; elle accable l’homme du contraste de la beauté divine avec la laideur sociale ; elle ne lui fait grâce ni d’une aile de papillon ni d’un chant d’oiseau ; il faut qu’en plein meurtre, en pleine vengeance, en pleine barbarie, il subisse le regard des choses sacrées ; il ne peut se soustraire à l’immense reproche de la douceur universelle et à l’implacable sérénité de l’azur. Il faut que la difformité des lois humaines se montre toute nue au milieu de l’éblouissement éternel. L’homme brise et broie, l’homme stérilise, l’homme tue ; l’été reste l’été, le lys reste le lys, l’astre reste l’astre. »

On répète parce que c’est trop beau : « L’homme brise et broie, l’homme stérilise, l’homme tue ; l’été reste l’été, le lys reste le lys, l’astre reste l’astre. »

Il est amusant de voir d’ailleurs que la nature n’a jamais été aussi belle alors que l’homme écolo et repenti prétend à coups d’éoliennes et d’énième guerre mondiale la protéger.

Une dernière grande envolée poétique :

« Ce matin-là, jamais le ciel frais du jour levant n’avait été plus charmant. Un vent tiède remuait les bruyères, les vapeurs rampaient mollement dans les branchages, la forêt de Fougères, toute pénétrée de l’haleine qui sort des sources, fumait dans l’aube comme une vaste cassolette pleine d’encens ; le bleu du firmament, la blancheur des nuées, la claire transparence des eaux, la verdure, cette gamme harmonieuse qui va de l’aigue marine à l’émeraude, les groupes d’arbres fraternels, les nappes d’herbes, les plaines profondes, tout avait cette pureté qui est l’éternel conseil de la nature à l’homme. Au milieu de tout cela s’étalait l’affreuse impudeur humaine ; au milieu de tout cela apparaissaient la forteresse et l’échafaud, la guerre et le supplice, les deux figures de l’âge sanguinaire et de la minute sanglante ; la chouette de la nuit du passé et la chauve-souris du crépuscule de l’avenir. En présence de la création fleurie, embaumée, aimante et charmante, le ciel splendide inondait d’aurore la Tourgue et la guillotine, et semblait dire aux hommes : Regardez ce que je fais et ce que vous faites. »

L’homme brise et broie, l’homme stérilise, l’homme tue ; l’été reste l’été, le lys reste le lys, l’astre reste l’astre. »

La France de jadis…

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Enfin Hugo lance même un message sublime sur l’énergie naturelle. L’homme doit s’aider de la terre pour vivre mieux :

« Que tout homme ait une terre, et que toute terre ait un homme. Vous centuplerez le produit social. La France, à cette heure, ne donne à ses paysans que quatre jours de viande par an ; bien cultivée, elle nourrirait trois cent millions d’hommes, toute l’Europe. Utilisez la nature, cette immense auxiliaire dédaignée. Faites travailler pour vous tous les souffles de vent, toutes les chutes d’eau, tous les effluves magnétiques. Le globe a un réseau veineux souterrain ; il y a dans ce réseau une circulation prodigieuse d’eau, d’huile, de feu ; piquez la veine du globe, et faites jaillir cette eau pour vos fontaines, cette huile pour vos lampes, ce feu pour vos foyers. Réfléchissez au mouvement des vagues, au flux et reflux, au va-et-vient des marées. Qu’est-ce que l’océan ? une énorme force perdue. Comme la terre est bête ! ne pas employer l’océan ! »

 

Un gaullisme des marges

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Un gaullisme des marges

par Georges Feltin-Tracol

La vie politique française ne se réduit pas aux grands courants politico-intellectuels transnationaux (socialisme, conservatisme, collectivisme, nationalisme). Le gaullisme est une spécificité politique et historique de l’Hexagone qui procède en partie de la tradition bonapartiste. René Rémond parle dans Les droites en France d’une tradition autoritaire, ce qui est assez juste. Au sein de ce mouvement incarné par la personnalité, l’action et les idées de Charles De Gaulle coexistent différentes facettes, parfois antagonistes. C’est le cas du gaullisme social.

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Pierre Manenti examine cette faction assez méconnue. Il avertit néanmoins que « de nombreuses personnalités se sont réclamées et se réclament encore de cet héritage politique et social (Xavier Bertrand, Jean Castex, Gérald Darmanin, Nicolas Dupont-Aignan), mais la filiation directe s’était légitimement étiolée avec le temps ».

Les origines intellectuelles du gaullisme

L’étude s’étend de 1940 à 1995 et dresse un panorama non exhaustif des formations et partis du gaullisme social. Par « gaullisme social », il faut comprendre l’« aile gauche de la droite gaulliste pour certains, retour aux racines gaulliennes pour d’autres, alchimie subtile entre principes gaullistes et sensibilité humaniste, il se définit comme une synthèse, ni vraiment de droite, ni vraiment de gauche, qui s’exprime dans des politiques économiques et sociales. Par sa recherche d’une troisième voie entre capitalisme et socialisme, il est même la réconciliation du capital et du travail. Témoin d’un souci de l’autre, d’une volonté de réunir patronat et syndicats, bourgeois et ouvriers, autour d’un même objectif sociétal, il est surtout imprégné de l’esprit du catholicisme social (1) ». Il est principalement cité sous l’appellation générique de « gaullisme de gauche ». Mais qu’est-ce que le gaullisme ?

Pierre Manenti se penche sur la formation intellectuelle de Charles De Gaulle. Il voit dans le « catholicisme social, une clef de lecture gaulliste ». Ce n’est toutefois pas le seul apport déterminant. On y retrouve quelques constantes maurrassiennes, des aspirations démocrates-chrétiennes, des éléments régaliens radicaux-socialistes ainsi qu’un vitalisme nietzschéen - bergsonien si bien que « l’adjectif “ gaulliste “ incarne tout à la fois une philosophie de l’action, un sens du devoir et de l’unité face au péril (en écho à l’épopée de la France libre), une volonté de dépasser le clivage des partis (caractéristique du parlementarisme honni des Troisième et Quatrième Républiques), enfin le souci d’assurer à la France une juste place dans les relations internationales ».

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Charles De Gaulle (1837-1880), érudit celtisant.

Dans la biographie intellectuelle de l’« homme du 18 juin », l’auteur mentionne deux des oncles du Général : Charles De Gaulle (1837 - 1880), un brillant érudit et poète celtisant (2), et Jules De Gaulle (1850 – 1921), un célèbre savant entomologiste, spécialiste des guêpes et des abeilles. Il souligne en outre que dans la décennie 1930, les conceptions militaires du jeune officier, saluées par le colonel anti-conformiste Meyer, attirent l’attention de quelques élus de droite et de gauche dont le député de la Marne, un certain… Marcel Déat.

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Cet éclectisme formateur se retrouve aux premières heures de la France libre à Londres. À l’automne 1940, les droites y sont prédominantes avec la présence du député agraire – paysan de la Haute-Loire, Paul Antier (photo). Au fil des circonstances viennent s’agréger des militants de gauche. Un amalgame se réalise. Qu’on pense à André Malraux, soutien des républicains espagnols, qui côtoie Gilbert Renaud alias le colonel Rémy ouvertement monarchiste. Le royaliste mystique Georges Bernanos se rallie très tôt à la France combattante comme d’ailleurs le militant socialiste Louis Vallon qui connaissait déjà le Général avant-guerre. Nullement idéologie, mais plutôt praxis socio-historique à vocation politique, « le gaullisme a […] vécu des “ phases “, nourries par l’actualité, les aspirations des Français et l’évolution du paysage politique. Il y a eu un gaullisme ouvrier et un gaullisme libéral, un gaullisme souverainiste et un néo-gaullisme atlantiste et européen. Ces “ courants “, incarnations des grandes tendances du gaullisme, ont été plus ou moins reconnus par le Général de son vivant et ont longtemps fait l’objet de guerres de chapelles ». Les distinctions ne sont pas aussi tranchées.

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Frédéric Le Play.

Le RPF (Rassemblement du peuple français) « emprunta à l’économiste Frédéric Le Play l’idée d’une intervention renforcée de l’État dans les rapports entre le capital et le travail comme élément de convergence vers un compromis social : c’est l’association capital – travail, troisième voie entre capitalisme et communisme ». La référence au sociologue favori du Second Empire constitue un autre point de comparaison entre le gaullisme et le bonapartisme.

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Habituel dépassement de la droite et de la gauche

C’est dans un esprit de concorde sociale que le RPF crée l’Action ouvrière (AO), « le nouveau fer de lance du gaullisme social ». Elle édite L’Étincelle ouvrière, qui devient dès 1948 Le Rassemblement ouvrier. L’un de ses responsables, Jean Nocher (photo), porte-parole officiel du RPF, réclame une économie distributive chère aux milieux non-conformistes des années 1930 en Grande-Bretagne, au Canada et en France. Cette proximité théorique avec quelques « relèves manquées » de la décennie précédente (3) renforce la méfiance des autres partis politiques ainsi que de certains gaullistes libéraux-conservateurs.

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On croit à tort que le RPF est le premier mouvement gaulliste. Le 29 juin 1946, le professeur de droit constitutionnel et ancien résistant, René Capitant (photo), fonde l’Union des gaullistes pour la IVe République. Les journalistes et les politiciens traitent ce parti éphémère de résurgence de l’extrême droite peuplée d’anciens cagoulards ! On comprend mieux pourquoi « le gaullisme social a été, dès ses origines, le mouton noir de la famille gaulliste et ses représentants au mieux des dissidents, au pire des parias ». Il est cependant vrai que certaines figures majeures de ce gaullisme marginalisé présentent des originalités. Favorable à une troisième voie économique et sociale, Jacques Debû-Bridel (photo, ci-dessous) vient de l’Action Française. Il n’est pas le seul.

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Jacques Foccart, le puissant conseiller aux affaires africaines et malgaches auprès de Charles De Gaulle, puis de Georges Pompidou, suit les péripéties d’un allié du Front travailliste d’Yvon Morandat, la Convention de la gauche – Cinquième République (CG-Ve), une « fédération de cinq clubs ». La CG-Ve reste toutefois un « réseau hétéroclite et multiforme » qui accueille « d’anciens barbouzes et [des] personnalités atypiques » à l’exemple de Jean-Jacques Meïer. Ce dernier donne des articles au journal néo-maurrassien Aspects de la France sous le pseudonyme de Philippe Buren. Pierre Manenti avance même que ce « Philippe Buren » aurait plus tard été le bras droit d’un certain Christian Perroux, fondateur de L’Œuvre française… Il aurait pu pour la circonstance consulter l’ouvrage magistral de Philippe Vilgier consacré aux royalistes de gauche (4).

Dès la Libération, Jean-Jacques Meïer milite au Mouvement socialiste monarchique (MSM). Puis il entre vers 1956 au club politique Nouveau Régime qui participe à la fondation de la CG-Ve. Quant à Christian Perroux, Philippe Vilgier nous apprend qu’il « sera exclu de l’Union de la Gauche Ve République pour anti-sionisme. […] Il se rapprochera alors du groupe nationaliste extra-parlementaire de Pierre Sidos, L’Œuvre française. En 1977, il devient rédacteur en chef (avec Francis Dalloux) de la revue La Pensée nationale animée par Charles Saint-Prot (5) ». « L’aile sociale du gaullisme compta toute une faction de “ monarchistes de gauche “, qui trouvaient dans la CG-Ve l’opportunité d’une nouvelle virginité politique. »

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C’est aussi le cas pour l’Union pancapitaliste « créée par Marcel Loichot (photo, ci-dessus) en février 1965 pour défendre ses thèses sur la participation. Elle devint l’Union pancapitaliste pour désaliéner le salariat en janvier ». L’auteur ne mentionne pas que Marcel Loichot a travaillé sur ce projet avec l’essayiste, romancier et penseur Raymond Abellio.

Virage à gauche ?

Les vives discussions internes en 1966 – 1967 autour de la participation dans l’entreprise incitent les gaullistes sociaux à réaffirmer « la nécessité de refonder un grand parti social au sein de la famille gaulliste, épousant les formes d’un nouveau catholicisme social » dont la matrice française est pourtant contre-révolutionnaire et néo-corporatiste... Cette origine assez occultée expliquerait-elle que « le gaullisme social s’est […] sans cesse démarqué par sa volonté d’agir en dehors des instances officielles, de s’ouvrir à la gauche […] et de s’opposer à une supposée dérive à droite du parti gaulliste » ?

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C’est en 1958 avec l’adhésion de jeunes politiciens prometteurs et d’hommes aux convictions de gauche affirmées que « le gaullisme social devint un “ gaullisme de gauche “ ». Le phénomène est toutefois plus ancien. Agacé de croiser au RPF d’anciens membres des Ligues et des vétérans des Croix-de-Feu, Jacques Dauer (photo, ci-dessus) anime un Mouvement pour la Communauté (MPC) à la fin de la guerre d’Algérie, qui se transformera en 1964 en Front du Progrès (FDP). Il refuse ensuite de se soumettre aux instances gaullistes officielles et entame une carrière marginale de militant activiste. En 1967, « trois réseaux de gauche subsistaient en sous-marin au sein de l’UNR – UDT [Union pour la nouvelle République – Union démocratique du travail] : les gaullistes sociaux du RPF (Baumel, Clostermann, Calméjane, Marcenet), les anciens de la SFIO (Gorse) et les anciens du CRR [Centre de la réforme républicaine] (Barberots, Hamon) ».

Ce net tropisme de gauche n’empêche pas d’autres figures du gaullisme social de coopérer avec des hommes aux fortes idées de droite tels Philippe Malaud du CNIP (Centre national des indépendants et paysans). Le 3 octobre 1976, l’ancien Premier ministre et président du conseil général de la Corrèze, Jacques Chirac, exprime à Égleton « son souhait de voir évoluer le gaullisme vers un “ travaillisme à la française “ », ce qui est un indéniable appel du pied aux diverses tendances gaullistes de gauche. Or, l’année suivante, aux élections municipales à Paris, les listes conduites par le même Chirac vont de « Jean Tibéri, suppléant historique de Capitant, député de Paris, à Robert Bourgine, partisan de l’Algérie française, soutien de Tixier-Vignancour lors de l’élection présidentielle de 1965, rallié au RPR [Rassemblement pour la République] en 1977 ». L’auteur aurait pu ajouter et préciser que ces mêmes listes comptaient aussi des militants du PFN (Parti des forces nouvelles), l’une des premières scissions du Front national de Jean-Marie Le Pen.

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Une mouvance divisée et fragmentée

L’hostilité à l’atlantisme réunit une part non négligeable des gaullistes sociaux. L’ancien maire de Levallois-Perret, Patrick Balkany, commença à militer au Mouvement des démocrates de Michel Jobert. Secrétaire général de l’Élysée entre 1969 et 1973, Michel Jobert s’opposait en compagnie d’Édouard Balladur au duo national-conservateur Marie-France Garaud – Pierre Juillet (6). Plus tard, le jeune RPR sera dirigé sous la supervision lointaine de Chirac par un quatuor redoutable composé de Garaud, de Juillet, d’Yves Guéna et de Charles Pasqua qui déporte le mouvement vers la droite. La contre-performance aux européennes de 1979 « recentre » le parti chiraquien sous l’impulsion conjointe d’Édouard Balladur, de Philippe Séguin et du jeune Alain Juppé (sans oublier le rôle déterminant en coulisse de Bernadette Chirac).

Homme de confiance de Georges Pompidou, Michel Jobert affronte régulièrement un autre conseiller, Philippe Séguin, qui sera de 1985 à 1995, le « nouveau chef des gaullistes sociaux ». Avant de devenir par la grâce du système médiatique le porte-parole du « non » au référendum sur le traité de Maastricht en 1992, Philippe Séguin s’était allié à Charles Pasqua au nom d’un « gaullisme populaire », mélange de patriotisme gaulliste sourcilleux et de gaullisme social. Depuis la réélection de François Mitterrand en 1988 et soumis à la concurrence croissante d’un Front national renouvelé sous l’impulsion de Bruno Mégret, « le RPR était devenu le champ d’une bataille féroce pour l’appropriation culturelle et politique de l’héritage du Général ». En 1990, unis, Séguin et Pasqua tentent de saper l’autorité interne du technocrate libéral pro-européen Alain Juppé. Les magouilles propres à tous les partis politiques permettent lors des assises (congrès) du RPR au duo Chirac – Juppé de l’emporter largement.

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Histoire du gaullisme social montre une mouvance politique plus que disparate, éclatée en une multitude de groupuscules plus ou moins éphémères avec le « premier parti gaulliste de gauche giscardien », l’Union gaulliste pour la démocratie (UGD), ou des « giscardiens de gauche, des cousins éloignés ». Apparaissent vers 1982 des « gaullistes (de gauche) mitterrandiens » à l’instar de Michel Jobert, ministre du Commerce extérieur de 1981 à 1983. En 1988, l’ancien ministre giscardien, Jean-Pierre Soisson, bientôt ministre d’ouverture de François Mitterrand, lance France Unie qui attire un temps les orléanistes de gauche de la NAR (Nouvelle Action royaliste). Pierre Manenti néglige la grande porosité entre certains milieux gaullistes de gauche et des courants royalistes. Cependant, les écrits du comte de Paris, Henri d’Orléans (1909 – 1999), La Nation française de Pierre Boutang, le mouvement Patrie et Progrès de Philippe Rossillon, co-auteur de Survivre à De Gaulle (7), ou le militantisme francophone d’un Philippe de Saint-Robert relèvent-ils du champ magnétique du gaullisme social ?

Il constate en revanche avec raison qu’« à partir de 1989, le gaullisme social devient une notion protéiforme écartelée entre une tradition ouvriériste et sociale (aux accents participationnistes) et une nouvelle orientation anti-européenne et souverainiste (inspirée par la campagne de Maastricht de 1992) ». En outre, la fin de la décennie 1980 et la capitulation du RPR devant les idées centristes de l’UDF (Union pour la démocratie française, la confédération giscardienne) marquent un tournant majeur pour ce courant composite. « Devenue floue au début des années 1990, la notion de “ gaulliste social “ perdit […] ses derniers points de repère avec la campagne de Maastricht, dans laquelle s’opposaient fédéralistes et souverainistes, chiraquiens et séguinistes, tantôt inspirés par le discours gaulliste de l’Europe des nations, tantôt guidés par des ambitions plus personnelles. »

En décembre 1994, le séguiniste Florian Longuépée cherche à coordonner les « souverainistes sociaux » au sein d’un Rassemblement pour une autre politique (RAP). Mais l’acceptation finale de leur champion, Philippe Séguin, par ailleurs d’une hostilité permanente envers la droite nationale, aux règles maastrichtiennes ruine cette ultime tentative sociale-gaulliste…

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Des méfaits oubliés 

Pour Pierre Manenti, « plus que l’aile gauche du gaullisme, le gaullisme social a été un coup politique et une ambition humaine pour ses représentants ». Il en a resté de brillantes individualités. En 2004, le député gaulliste de Seine-et-Marne, Didier Julia (photo, ci-dessus), élu sans interruption de 1967 à 2012, qui participa aux campagnes électorales de René Capitant, qui rejeta l’abolition de la peine capitale et qui refusa la diabolisation du FN, se rendit en Irak baasiste sous embargo international afin de libérer des otages français. Toute la grasse presse le conspua bien évidemment.

L’auteur passe bien trop rapidement sur deux travers gaullistes de gauche. À la fin de la guerre d’Algérie, le pouvoir recrute dans les anciens réseaux de la Résistance et des milieux gaullistes de gauche les barbouzes qui pourchassent l’OAS. Sous les « Trente Glorieuses », maints gaullistes de gauche favorisent le « gaullisme des affaires », des combines politico-financières aux retentissements journalistiques considérables. Dans un autre domaine, Yvon Morandat, secrétaire général de l’AO en 1949, puis secrétaire national du RPF en 1950 et fondateur du Front travailliste en 1965, serait à l’origine de la saisie des manuscrits inédits de Céline au moment de l’Épuration.

La lutte clandestine et un goût évident pour l’entourloupe commerciale favorisent le tropisme franc-maçon. Bien des gaullistes de gauche ont été initiés en loge. Cela explique-t-il l’incroyable morcellement des formations gaullistes de gauche ? Des pages 317 à 328, l’auteur recense « les mouvements et partis du gaullisme social », ce qui accentue l’intérêt de l’ouvrage. L’UDT a existé quatre fois ! Mentor de François Fillon, Joël Le Theule, connu pour son anti-chiraquisme viscéral, milita au Club Technique et Démocratie. Jacques Dauer fonde en mai 1968 un Comité pour la démocratie combattante. Cette appellation singulière fait penser à la faction secrète anarcho-communiste de Georges Fontanis, Organisation – Pensée – Bataille, au sein de la Fédération anarchiste. Dès 1953, cette faction clandestine se transforma en Fédération communiste libertaire aux inclinations nettement léninistes…

Quant paraît Histoire du gaullisme social, Pierre Manenti est le conseiller politique de la ministresse déléguée chargée du Logement, Emmanuelle Wargon (2020 – 2022). On peut s’interroger si cette synthèse souvent pertinente n’aurait pas une dimension politique cachée immédiate. L’auteur voudrait-il désigner de manière implicite que le « macronisme », ce « bobo-populisme » ou cet « extrême centre » autoritaire, serait l’héritier indirect du gaullisme social ? Si cette hypothèse se révèle exacte, ce serait certainement son ultime coup de grâce.

GF-T  

Notes

1 : Sur le catholicisme social, cf. Philippe Levillain, Albert de Mun. Catholicisme français et catholicisme romain, du « Syllabus » au Ralliement, École française de Rome, coll. « Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome », n° 247, 1983; Daniel Moulinet, Actions et doctrines sociales des catholiques 1830 - 1930, Éditions du Cerf, 2021.

2 : Sur cet autre Charles De Gaulle, véritable barde celte du XIXe siècle, cf. Robert Steuckers, Pages celtiques., Éditions du Lore, 2017.

3 : Olivier Dard, Le rendez-vous manqué des relèves des années trente, PUF, coll. « Le nœud gordien », n° 367, 2002.

4 : Philippe Vilgier, Le Lys Rouge et les royalistes à la Libération, Éditions du Camelot et de la Joyeuse Garde, 1994.

5 : Idem, note 66, p. 158.

6 :  Olivier Faye, La Conseillère. Marie-France Garaud, la femme la plus puissante de la Ve République, Fayard, coll. « Pluriel », 2022.

7 : cf. Jacques Gagliardi et Philippe Rossillon, Patrie et Progrès, Survivre à de Gaulle, Plon, coll. « Tribune libre », n° 46, 1959.

  • Pierre Manenti, Histoire du gaullisme social, préface d’Hervé Gaymard, Perrin, 2021, 343 p., 21 €.

Max Stirner sur l'art et la religion

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Max Stirner sur l'art et la religion

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2023/08/02/max-stirner-om-konst-och-religion/

L'un des représentants les plus originaux de la philosophie allemande fut Max Stirner (1806-1856), auteur de Der Einzige und sein Eigentum, une sorte de jeune hégélien et, pendant un certain temps, l'un des principaux objets de la haine de Marx et Engels. La philosophie de Stirner peut être qualifiée d'égoïste ; il décrit la croyance en la plupart des phénomènes sociaux, de la propriété à l'État et à l'humanité, comme des spectres. Aujourd'hui, on parle parfois de "constructions sociales". La perspective de Stirner rappelle en partie cette approche, mais se concentre sur la manière dont ces spectres ou "roues dentées dans la tête" affectent l'individu. Il a également développé une vision dialectique de l'évolution historique de la relation entre "der Einzige" et les fantômes qui hantent le cerveau. Selon Stirner, les êtres humains et la civilisation passent par trois phases, qu'il appelle, ce qui n'est pas très politiquement correct, "négroïde", "mongoloïde" et "caucasienne". Dans la dernière phase, l'homme maîtrise sa création et non l'inverse; on peut comparer cela au schéma historique de Marx, qui met l'accent sur l'économie plutôt que sur les fantômes cérébraux, mais la perspective de base est similaire. Après avoir été maîtrisé par sa création, l'homme reprend le contrôle, avec des outils beaucoup plus puissants qu'avant le début du processus. L'une des différences entre Marx et Stirner réside dans le fait que pour Stirner, il est possible aujourd'hui, au niveau individuel, de se libérer de l'État, de la propriété, etc. Libéré mentalement, il faut ajouter que l'État reste une réalité, quelle que soit la façon dont on l'envisage.

Stirner a été décrit par Spengler comme un représentant de l'égoïsme commun plutôt que de l'égoïsme noble ("je vaux pour moi-même" contre "je vaux pour la culture"). Mais tout comme Engels a d'abord encensé "St Max", avant que Marx ne le débarrasse impitoyablement de ces illusions, il a influencé une partie de la droite la plus authentique. L'Anarch d'Ernst Jünger est un développement du "Einzige" de Stirner ; Schmitt et Mussolini l'ont également lu. On ne sait pas dans quelle mesure ils ont compris la phase "caucasienne" de Stirner ; la critique de "Saint Max", qu'elle soit de droite ou de gauche, s'est souvent concentrée sur son apparence petite-bourgeoise. Jünger nous donne une idée de la manière dont un type de personnalité plus héroïque pourrait traiter certains arguments de Stirner ; Evola peut également être intéressant dans ce contexte. Sa distance par rapport aux idéologies/"fantômes cérébraux" de la société moderne, sa nature socialement et idéologiquement de promiscuité, et son aspect de sur-socialisation rappellent souvent Stirner, même si ce dernier aurait considéré la tradition comme un autre spectre cérébral. Ce à quoi Evola a probablement objecté qu'il ne parlait pas de ce qu'il n'avait pas vécu et que le matérialisme de Stirner était le véritable spectre.

Art et religion

L'art fait l'objet, et la religion ne vit que dans ses nombreux liens avec cet objet, mais la philosophie se démarque très clairement de l'un et de l'autre.

- Stirner

391971-gf.jpgPlusieurs écrits de Stirner sont désormais disponibles sur l'internet, notamment Kunst und Religion de 1842. Stirner utilise le raisonnement hégélien pour expliquer la religion comme une sorte d'aliénation. L'homme sent qu'il a une autre face en lui et "il est poussé à se diviser entre ce qu'il est réellement et ce qu'il doit devenir". Il s'agit d'une analyse purement anthropocentrique de la religion plutôt que d'une analyse plus cosmologique, mais elle n'est pas totalement inintéressante. En particulier, Stirner place l'artiste au centre, car ce sont, selon lui, les génies artistiques qui fondent les religions. "Seul le fondateur d'une religion est inspiré, mais il est aussi le créateur des Idéaux, par la création desquels tout autre génie sera impossible", écrit Stirner. Il note également que la vraie religion n'est pas tiède, qu'il y a l'amour religieux et la haine religieuse. C'est ici que Stirner devient étonnamment actuel, "à notre époque, la quantité de haine a diminué dans la mesure où l'amour de Dieu s'est affaibli. Un amour humain s'est infiltré, qui ne relève pas de la piété pieuse mais plutôt de la morale sociale ; il est plus "zélé" pour le bien de l'homme que pour le bien de Dieu". Religion et morale sociale ne sont pas la même chose, ce qui signifie qu'une église envahie par la morale sociale sous la forme du libéralisme de gauche risque de mettre la religion au second plan.

Quoi qu'il en soit, Stirner décrit un cycle historique, comparable au jeu de Spengler entre culture et civilisation, dans lequel les génies artistiques créent des religions, qui sont ensuite soutenues par les gens ordinaires avant d'être appauvries et finalement détruites par la rencontre avec les artistes à nouveau. Mais aujourd'hui, les artistes sont des comédiens, qui montrent qu'ils sont devenus des coquilles vides. Mais le cycle ne s'arrête pas là, "même la comédie, comme tous les arts, précède la religion, car elle ne fait que laisser la place à la nouvelle religion, à celle qui se formera à nouveau".

Il y a donc des idées intéressantes chez Stirner, même si sa compréhension de la religion est clairement limitée par son contexte historique. Il peut être utile d'examiner deux penseurs influencés par Stirner, à savoir Dora Marsden et Hakim Bey, et la manière dont ils ont tenté de dépasser ces limites pour "der Einzige".

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Comme nous l'avons mentionné plus haut, Stirner a donné à l'artiste un rôle central dans l'histoire et a influencé de nombreuses âmes artistiques. Par l'intermédiaire de Dora Marsden (1882-1960), éditrice, suffragette et philosophe, l'égoïsme de Stirner a eu une influence non négligeable sur l'avant-garde britannique. Ezra Pound, T. S. Eliot, D. H. Lawrence, James Joyce et Wyndham Lewis, entre autres, ont écrit dans son journal The Egoist. Marsden apparaît comme une personnalité hors du commun, à la fois intelligente et indomptable, avec un désir presque germanique de créer un système structuré. Sa perspective se confond avec Héraclite, le mysticisme et la logique stricte. Au lieu de l'anarque de Jünger, elle parlait de l'archiste. Dans L'illusion de l'anarchisme, elle écrit que "à la naissance de chaque unité de vie, il y a un archiste. Un archiste est quelqu'un qui cherche à établir, maintenir et protéger, par les armes les plus puissantes dont il dispose, la loi de ses propres intérêts". Elle dépeint le monde comme une arène où les différents intérêts s'affrontent, un contrepoint utile à la vision libérale du monde d'aujourd'hui où les intérêts sont soit camouflés en idéaux, soit diabolisés.

Il est intéressant de noter que, dès The Egoist, Dora Marsden a développé une vision du monde plus cosmique, dans laquelle l'ego créatif est devenu quelque chose de permanent plutôt que temporaire. Plus tard, elle a écrit The Mysteries of Christianity (Les mystères du christianisme), où elle aborde l'aspect "féministe" du christianisme.

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La question de savoir dans quelle mesure sa métaphysique représente un perfectionnement de Stirner plutôt que quelque chose de propre, bien qu'original, est une autre question. Dans ce contexte, les réflexions de Hakim Bey sur Stirner dans l'essai Black Crown & Black Rose - Anarcho-Monarchism & Anarcho-Mysticism dans son ouvrage désormais classique intitulé T.A.Z. sont intéressantes. Bey n'est pas un penseur totalement dépourvu de problèmes et son langage est parfois théâtral, voire pathétique. Néanmoins, cet essai est probablement la meilleure tentative pour rapprocher der Einzige d'une cosmologie plus traditionnelle (bien que l'absence de Dora dans la discussion de Bey sur l'individualisme et le monisme radical suggère qu'il ne l'a pas lue). Bey place le matérialisme de Stirner dans un contexte historique, "né longtemps après la déliquescence de la chrétienté, mais bien avant la découverte de l'Orient et de la tradition illuministe cachée dans l'alchimie occidentale, l'hérésie révolutionnaire et l'activisme occulte". Il se rapproche ici de la catégorisation par Evola du dévotionnalisme et de la foi aveugle en des choses non expérimentées comme des formes inférieures de spiritualité. Sa critique de Stirner identifie les deux points les plus faibles : l'absence d'un "concept opérationnel de la conscience non ordinaire" et "une certaine froideur à l'égard de l'autre". Stirner n'avait pas lui-même expérimenté d'autres états de conscience que ceux du petit-bourgeois, et était donc enclin à en considérer les fruits comme des spectres cérébraux. Malgré des approches similaires à l'argument de l'"union des égoïstes", l'éros est également plutôt absent de l'œuvre de Stirner. Bey mentionne qu'il peut s'agir d'une réaction compréhensible à "la chaude suffocation de la sentimentalité et de l'altruisme du 19ème siècle", mais l'isolement n'est pas non plus une voie fructueuse.

En fin de compte, Stirner reste un auteur enrichissant, comme le suggèrent ceux qui ont été inspirés par lui. La distance spirituelle qu'il recherchait par rapport aux "roues dentées dans la tête" du monde moderne n'est pas moins saine aujourd'hui. Le sentiment de liberté qui peut naître du fait de considérer "l'État", le "racisme" ou autres chimères comme des spectres cérébraux est souvent significatif, que l'on s'inspire d'Evola ou de Stirner. Jünger, Marsden et Bey montrent comment d'autres types de personnalité peuvent compléter la pensée de "St Max".

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L'homme politique en tant que menteur pathologique

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L'homme politique en tant que menteur pathologique

Renzo Giorgetti

Source: https://www.heliodromos.it/il-politico-come-bugiardo-patologico/

La souveraineté, entendue comme l'exercice du pouvoir pour organiser et gouverner des communautés de personnes, a toujours eu, dans les civilisations traditionnelles, un profond enracinement dans le sacré, devenant, plus qu'un simple fait humain, la manifestation de forces transcendantes. Le monarque exerce un pouvoir qui est avant tout l'émanation directe du sacré, d'influences véritablement supérieures qui le légitiment bien plus que n'importe quel consentement obtenu ou offert par ses gouvernés. Idéalement, le monarque est avant tout un pontife, exerçant son ministère (ministerium = service) en veillant à l'harmonie de son royaume en accord avec l'ordre cosmique, lui-même reflet de cet ordre sacré qui forme et régit tout ce qui existe. Le détenteur de la royauté est le médiateur entre la terre et le ciel, il est le centre, le point de contact entre ces réalités, agissant pour assurer leur communication et leur interaction (1). Cette qualité, non seulement humaine mais surtout transcendante, était considérée comme pleinement réelle et, même lorsqu'elle était en voie de dissolution, comme une tendance idéale à laquelle on pouvait toujours se référer (comme on le voit dans les rituels égyptiens et chinois, ainsi que dans la conception pontificale de la principauté romaine et dans la notion médiévale de Sacrum Imperium) (2).

Le souverain en tant que pouvoir purement terrestre, qui s'impose en éliminant ses adversaires ou en obtenant leur consentement par des avantages, appartient déjà à une période ultérieure, où le pouvoir commence à devenir une sorte de fin en soi, une réalité autoréférentielle faisant de moins en moins référence à des objectifs extra-mondains. La figure du "politicien" commence à émerger, un individu qui n'obtient le pouvoir qu'en vertu de ses pouvoirs de force et de ruse, et qui opère comme un simple administrateur qui doit de temps en temps obtenir un consensus ou comme un tyran qui concentre tout le pouvoir en lui-même en luttant constamment contre ses adversaires. La politique se définit de plus en plus comme un "art" (un art profane, bien sûr, qui ne se fonde plus sur le rta, l'ordre sacré du monde, mais sur l'anrta, le mensonge, la violation et la subversion de cet ordre) (3), comme une activité qui s'épuise dans la simple gestion des relations humaines et qui trouve dans la conquête du pouvoir le but le plus important, sinon le seul.

Un développement (certainement pas chronologique, mais plutôt idéal) de cette évolution pourrait être esquissé de la manière suivante : du prêtre-roi qui reflète l'ordre céleste sur terre, on passe au roi-guerrier qui s'impose uniquement par la force, à ceux qui achètent le consentement par les richesses ou la promesse de leur obtention, et enfin à ceux qui gouvernent par le ressentiment et l'envie sociale, en exploitant la volonté du dernier à gravir les échelons de l'échelle hiérarchique (4).

Dans l'état de bouleversement actuel, les choses sont arrivées à un tel point (le monde politique est l'avant-garde de la dissolution) que ce n'est même plus le serviteur qui a le pouvoir, mais l'exclu, l'intouchable, l'individu qui se situe en dehors de tout ordre. Dans le "monde à l'envers", un tel type humain, au lieu d'être relégué au bas de l'échelle sociale, en occupe au contraire les plus hautes places, dans l'inversion étant "tombé" du bas pour ensuite "s'installer", comme sédiment, au sommet de la pyramide inversée du pouvoir (sur ce dernier sujet, nous renvoyons à notre discussion précédente) (5).

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Un tel être, se plaçant en dehors de tout ordre, rejettera, combattra (même sans en être conscient) tout ce qui est harmonie, équilibre, justice.

Frithjof Schuon en fait une analyse extrêmement précise, fondamentale pour comprendre ses conceptions et son mode d'action (6). Le tchandala, le paria, l'intouchable "tend à réaliser les possibilités psychologiques exclues par les autres hommes", transgresse par nature, trouve sa satisfaction dans ce que les spécimens équilibrés et performants rejettent. Il représente le summum de l'impureté, de la dégradation, de la "dissonance psychologique". Capable de "tout et rien", il peut s'engager dans les activités "les plus bizarres et les plus sinistres" (l'acrobate, l'acteur, le bourreau), transgressant les règles établies, comme un saint à l'envers, se distinguant par son abnégation à adhérer à un style de vie déséquilibré et déséquilibrant. Son âme n'a pas de véritable centre de gravité individuel, sa vie se déroule "en périphérie et en inversion", dans une transgression qui lui donnera "en quelque sorte un centre qu'il n'a pas", le libérant illusoirement de sa nature équivoque. Il s'agit d'une subjectivité centrifuge et illimitée, qui le conduit à fuir la loi, parce qu'elle le ramènerait à ce centre qui est si totalement étranger à sa nature. Il est inférieur et se comportera toujours comme tel. Non seulement il n'a pas la mentalité du supérieur, mais il ne peut même pas la concevoir exactement : c'est pourquoi toute valeur est ignorée par lui, quand elle n'est pas ouvertement méprisée. L'honnêteté, la sincérité, l'honneur, à ses yeux n'existent tout simplement pas, ne représentant qu'une illusion, un obstacle limitant sa montée en puissance. Tout son être est basé sur le mensonge, qui le domine complètement, faisant de lui la première victime de ses mensonges, qu'il croit même souvent, le faisant vivre dans une réalité encore plus illusoire que celle à laquelle il condamne ceux qui lui sont soumis.

On comprend alors pourquoi le mensonge atteint un niveau que l'on peut qualifier de pathologique (7). Il ne s'agit même plus de "raison d'Etat" ou de machiavélisme, l'homme politique contemporain ment parce que le mensonge est son essence même. Il ment parce que c'est une nécessité, parce que tout son univers repose sur le mensonge, qui lui donne consistance et identité, qui le définit et lui donne un rôle dans le monde. Sinon, il serait contraint d'avoir un centre, d'adhérer à un ordre, chose inconcevable pour lui, voire impossible, car cela le condamnerait à l'extinction. Sa survie repose sur cela. Il n'est donc pas condamnable, car il ne s'agit au fond que d'un instinct de conservation. Après tout, de tels individus ont toujours existé ; le seul véritable problème réside dans leur position au sein du corps social, une position qui est actuellement la plus erronée, c'est-à-dire au sommet, à l'extrême opposé de celle qui leur conviendrait le mieux et qu'ils ont toujours occupée à toutes les époques, lorsque le monde était encore dans une phase de normalité, pas encore bouleversé et subverti dans ses valeurs fondamentales.

Renzo Giorgetti

Notes:

1) Nous avons déjà abordé ce sujet, exemples à l'appui, dans Com'è difficile cavalcare la tigre, Solfanelli, Chieti, 2020, pp.33-36.

2) Le détenteur de la royauté n'est évidemment pas naïf. Son devoir est de tout mettre en œuvre pour que la norme, l'ordre sacré, reste respecté (Manavadharmashastra 7.10). S'il doit toujours agir sans tromperie, il peut garder ses plans cachés, afin que ses ennemis ne puissent pas profiter de sa conduite morale juste et donc nécessairement plus limitée que celle de celui qui agit sans scrupules.

3) Inéluctablement lié à anrta est nrrti, la dissolution, la mort.

4) Sur ce point déjà René Guénon, dans le septième chapitre de Autorité spirituelle et Pouvoir temporel, Guy Trédaniel, Paris, 1984 (1ère éd. 1929). Dans ces différentes manières de vivre et d'interpréter la souveraineté, on aura reconnu le cloisonnement fonctionnel des sociétés indo-européennes (sacerdotale, guerrière, marchande, servile), critère interprétatif qui vaut aussi pour la formulation d'une métaphysique de l'histoire et pour une meilleure compréhension de l'époque actuelle. Cf. How difficult it is to ride the tiger, idem, pp.28-58.

5) Une discussion que nous avons approfondie dans Pourquoi les pires gouvernent toujours dans les démocraties, maintenant le deuxième chapitre de La società da liquidare, Solfanelli, Chieti, 2021, pp.32-37.

6) Ce thème est amplement développé dans Caste e razze, Edizioni all'insegna del Veltro, Parma, 1979, pp. 11-16, d'où sont extraits les passages cités.

7) Dans la réalité inversée d'aujourd'hui, cette situation va du pathologique au physiologique.

Les origines romaines de la fête de l'Assomption

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Les origines romaines de la fête de l'Assomption

Source: https://www.romanoimpero.com/2012/08/feriae-augusti-ferragosto.html

FERIAE AUGUSTI - ORIGINES DE FERRAGOSTO (ITALIE)

FERRAGUE AUGUSTE

Cette fête tombe le 15 août et est aujourd'hui dédiée à l'Assomption de la Vierge Marie, mais peu de gens savent que cette fête est païenne. En 18 avant J.-C., Octave fut en effet proclamé Auguste, donc vénérable et sacré, par le Sénat. À cette occasion, l'empereur déclara tout le mois d'août Feriae Augusti, les fêtes augustéennes, car ce mois comprenait de nombreuses fêtes religieuses, dont la plus importante était la fête de Diane, qui tombait le 13.

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Le terme Auguste provient à l'origine du nom de la grande mère syrienne Atargatis, appelée "l'Augusta", c'est-à-dire la plus grande, la plus sacrée, la déesse à la couronne en forme de tourelle qui se dresse fièrement sur deux lions.

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Il semble qu'en 21 avant J.-C., les Feriae Augusti aient changé de nom pour devenir les FERIAE AUGUSTALES, réunissant ainsi toutes les fêtes du mois en une seule célébration. Désormais, les récoltes seront dédiées à l'empereur en tant que garant du ravitaillement, non seulement des Romains en général, mais aussi des pauvres qui recevaient gratuitement du grain et de l'huile.

FERIAE AUGUSTI (Ferragosto) Du 1er au 31 août.

Les Consualia

AOÛT
Les fêtes du 15 au 21 août étaient célébrées à Rome en l'honneur du dieu archaïque Consus, dieu des moissons, protecteur des récoltes et donc des greniers et des approvisionnements. En tant que divinité de la terre, un temple souterrain du VIIIe siècle avant J.-C. lui était consacré, dans lequel la lumière ne pouvait pénétrer qu'à cette période et pendant les Consualia de décembre, où l'on célébrait à nouveau sa fête.

C'est à cette occasion qu'eut lieu le viol des Sabines et, depuis l'époque de Romulus, cet événement était également célébré, car Rome avait engagé des vierges, mais cela est moins crédible, car les Sabines avaient des coutumes beaucoup plus libres que celles des Romains, à tel point que, pour accepter la paix, elles rédigèrent des lois auxquelles les Romains devaient se soumettre s'ils voulaient qu'elles restent sur le territoire romain.

Cela impliquait un comportement respectueux et obséquieux à l'égard des Sabines : ne pas leur faire porter de fardeaux, leur céder la place, ne pas les insulter, etc.

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La déesse Consiva

Mais la déesse Ops, également connue sous le nom d'Ops ou Openconsiva, était en fait l'ancienne déesse mère Consiva, déesse primitive et sabine, introduite à Rome par Titus Tatius. La déesse était liée à la nature et portait un fils sans avoir d'époux et restait vierge (comme toutes les déesses mères, d'où la virginité de la Madone), puis elle épousait le fils et régnait avec lui, et cette pratique se poursuivait avec la mort et la renaissance annuelles du fils (d'où le mythe de la figure du Christ) sous la forme d'une végétation qui descendait de la mère et lui revenait.

Plus tard, de divinité italique, elle devint romaine, bien qu'associée dans son culte à Saturne et à Consus, dont elle était l'épouse, mais le dieu usurpa sa place, devenant la principale divinité de la nature et des récoltes.

Néanmoins, le culte de la déesse s'est maintenu et c'est à sa protection que l'on confiait les grains récoltés et stockés dans les greniers. Deux sanctuaires lui étaient dédiés, l'un au Capitole et l'autre au Forum, et en son honneur étaient célébrées les traditionnelles fêtes d'Opiconsivia, le 25 août.

À Rome, Ops avait également un sanctuaire dans la Regia, près de la maison des Vestales et de la domus publica du Forum romain; seuls le pontifex maximus et les Vestales y avaient accès. Selon une tradition rapportée par Macrobe dans Ops Consiva, mais la question était controversée, il pouvait être reconnu comme la divinité tutélaire secrète de Rome. Elle devait rester secrète pour éviter que des ennemis ne l'invoquent et lui fassent quitter la ville qu'elle protégeait.

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DIANA

Au mois d'août, il y avait à Rome de nombreuses fêtes et célébrations associées, dont la plus importante était celle de Diane sur l'Aventin. Diane était une déesse très importante et très suivie, mais pas tant dans l'Urbs que dans les campagnes de toute l'Italie.

Dans les campagnes, Diane régnait en tant que déesse des champs cultivés et des bois, ainsi que des herbes sauvages qui étaient non seulement comestibles mais aussi saines, de sorte qu'elle était également vénérée en tant que déesse de la santé, des herbes et des sources, y compris des eaux curatives, mais surtout en tant que déesse Maga. L'Église en savait quelque chose et a vu son culte perdurer pendant plus de 1000 ans après l'interdiction des cultes païens, raison pour laquelle elle a condamné les sorcières au bûcher, car les secrets de la guérison par les plantes et de la magie étaient dus à Diane et se transmettaient dans la lignée féminine, de mère en fille.

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La preuve en est que Paracelse (portrait, ci-dessus), lorsqu'au 16ème siècle il voulut redécouvrir la médecine, désormais détruite par la religion chrétienne qui avait aboli les écoles et le savoir, alla dans les campagnes interroger les femmes, qui lui révélèrent, au moins en partie, les herbes et la magie. Paracelse reconnaît la sagesse de certaines figures féminines qui sont fondamentales pour son savoir médical et au-delà. Pour lui, la femme est la matrice (matrix), dans le monde visible et invisible, qui cache en elle le secret de la nature. Alors que selon la tradition, à commencer par Hippocrate, et aussi pour les Grecs, la femme n'est que le vase qui recueille la semence, pour Paracelse le sentiment de la femme enceinte est déterminant pour l'aspect de l'âme de l'enfant.

Lors de la fête de Diane Aventine, le monde était guéri de la malice et de l'injustice, de sorte que les serviteurs et les maîtres se rendaient ensemble au temple sur l'Aventin, puis dans les bois, pour un pique-nique sain ante litteram. C'était donc la divinité la plus redoutée par les chrétiens, car elle était la déesse du pagus, c'est-à-dire des villages, et le paganisme était beaucoup plus difficile à éradiquer que la religion romaine officielle des villes.

LES FÊTES D'AOÛT

1er août - TEMPLUM MARTIS ULTORIS in Foro Augusti. Dedicatio du temple de Mars Ultor dans le Forum Augusti, construit par Auguste après la bataille de Philippes. 
1er août - TEMPLUM SPEI, en l'honneur de la déesse Spes, l'Espérance. Anniversaire de la dédicace du temple.

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5 août - TEMPLUM SALUTIS, en l'honneur de Salus (statue, ci-dessus), déesse de la santé et de la prospérité privée et publique. En 311 av. C. Iunius Bubulcus avait promis à la déesse un temple sur la colline de Quirinalis.
9 août - TEMPLUM SOLIS INDIGETIS, première fête en l'honneur du dieu Sol Indiges. Dedicatio du temple du Soleil Indige.
12 août - LYCHNAPSIA, en l'honneur de la déesse égyptienne Isis.

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12 août - TEMPLUM VENERIS VICTRICIS, en l'honneur de Vénus Victrix. La dédicace du temple a été commémorée.
12 août - TEMPLUM HERCULIS INVICTI en l'honneur d'Hercule Invictus. La dedicatio a été commémorée.
12 août - TEMPLUM HERMETIS INVICTI en l'honneur d'Hermès Invictus, Hermès le Victorieux. La dedicatio a été commémorée.
12 août - TEMPLUM HONORIS, VIRTUTIS, FELICITATI en l'honneur des Dieux Honor, Virtus et Felicitas, (Honneur, Vertu et Bonheur). La dédicace du temple est commémorée.
13 août - Fête de DIANA AVENTINA. Les prérogatives de Diane sont ensuite transmises à la Vierge Marie, vierge comme Diane, mais alors que la déesse porte la corne de lune dans ses cheveux, la Vierge Marie la piétine ainsi que l'ancien serpent, symbole de la Grande Mère, qui est également diabolisé.

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13 août - VERTUMNALIA, dédiée au dieu Vortumnus (Vertumnus ou Vortumnus), l'ancien dieu étrusque des saisons, celui qui faisait mûrir les fruits.
13 août - HERCULES VICTOR, pour l'anniversaire du temple dédié au dieu Hercule Victor.
13 août - FLORALIA, pour l'anniversaire du temple dédié à la déesse Flora. 
13 août - CASTOR ET POLLUX, pour l'anniversaire du temple dédié à Castor et Pollux. Les "Dioscures" qui décidèrent du sort de la bataille du lac Regillus (496 av. J.-C.) en annonçant leur victoire sur les Latins dans le Forum.

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17 août - les PORTUNALIA, célébrant Portunus (Portunus ou Portumnus), le dieu des ports, en même temps que Janus (Ianus), le dieu qui regarde vers le passé et l'avenir (photo: temple de Portunus).
19 et 20 août - VINALIA RUSTICA, fête du vin en l'honneur de Jupiter (Iuppiter), où l'on demandait la protection des raisins en cours de maturation.
19 août - VENUS, pour l'anniversaire du temple dédié à la déesse Vénus.
21 août - CONSUALIA, dédiée à Conso (Consus), dieu des récoltes. 
23 août - VOLCANALIA, dédiée à Vulcain (Vulcanus), dieu du feu, fabricant d'armes et de foudre.
24 août - MUNDUS PATENS, première fête des dieux du monde souterrain. Dans le comitium, il y avait une ouverture qui communiquait avec le monde souterrain. L'ouverture était fermée par le "lapis manalis". Trois fois par an, le lapis était levé.
25 août - OPICONSIVIA, pour célébrer Opis Consiva, une ancienne déesse romaine protectrice de l'abondance et de l'agriculture, qui a reçu l'attribut Consiva signifiant "qui sème, qui plante", à sa protection était confié le grain récolté et stocké dans les greniers. 

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27 août - VOLTURNALIA, en l'honneur du dieu Volturnus (en latin Vulturnus), père de la nymphe Giuturna (Iuturna), patronne de la source qui alimentait le "lacus Iuturnae", dans le Forum. 
28 août - TEMPLUM SOLIS ET LUNAE IN CIRCUS MAXIMO, pour la dedicatio du Temple du Soleil et de la Lune. 
28 août - VICTORIAE, fête de la déesse Victoria, la Nike grecque. 
30 août - MUNDUS PATENS, en l'honneur des morts.

En plus de ces temples ouverts pour les Feriae Auguste, le prêtre du dieu Quirinus offrait un sacrifice sur un autel dans le temple souterrain situé sous le Circus Maximus. Bien entendu, pendant tout le mois, on ne travaillait pas et on festoyait souvent devant les temples aux frais de l'État.

César Auguste accorda donc un mois de vacances au peuple romain, notamment parce qu'en août, les travaux des champs étaient terminés et que les paysans se sentaient bien. De plus, à Rome, il y avait presque toujours des jours de fête, 25 jours de fête, ce qui, avec le couronnement d'Octave, en faisait 26, alors autant déclarer une fête pour tout le mois, ce qu'Octave fit, sous les acclamations du peuple.

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COSMOS
bulletin d'information n° 165

"Ferragosto et l'Assomption
Comment en est-on arrivé à célébrer l'Assomption le 15 août?
Marie, mère de Dieu, n'était pas très présente dans les Évangiles: elle disparaît avec la descente de l'Esprit Saint, mais dans les Évangiles apocryphes, elle est mentionnée avec le Transit de la Vierge Marie attribué à Joseph d'Arimathie et, au 6ème siècle, avec la Dormition de la Vierge Marie de saint Jean le Théologien.

Le culte de l'Assomption n'a commencé à se répandre qu'entre le 4ème et le 5ème siècle. À Jérusalem, il a commencé à être célébré au début du 6ème siècle dans l'église construite sur le site de Gethsémani, où Marie aurait été enterrée. L'empereur Maurice ordonna d'étendre la célébration à tout l'empire et, vers l'an 1000, elle devint un anniversaire où l'on se reposait. Appelé "Dormition", ce repos n'était pas clairement défini : tantôt il s'agissait d'un corps non corrompu, tantôt d'un corps enveloppé de lumière et porté au ciel par les anges.

Mort ou endormi ? Le débat s'est poursuivi pendant des siècles, jusqu'à ce que, en 1950, Pie XII confirme que l'Assomption est un fait divinement révélé, l'œuvre de l'Esprit Saint.

Mais Ferragosto, en Italie, est une fête très ancienne qui, comme beaucoup d'autres fêtes devenues chrétiennes, a des origines païennes.

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En 18 avant J.-C., l'empereur romain Octave, proclamé Auguste (c'est-à-dire vénérable et sacré) par le sénat romain, déclara que tout le mois d'août serait férié et consacré aux Feriae Augusti, une série de célébrations solennelles, dont la plus importante tombait le 13 et était dédiée à Diane, la patronne du bois, des phases de la lune et de la maternité. 

La fête était célébrée dans le temple dédié à la déesse et constituait l'une des rares occasions où les Romains, maîtres et esclaves, se mêlaient librement.

Diane était célébrée à Rome, en Grèce sous le nom d'Athéna, et au Proche-Orient, à la même époque, on fêtait une autre Grande Mère, la déesse syrienne Atargatis, connue sous le nom de déesse Syrie, qui était considérée comme la protectrice de la fertilité et des travaux des champs.

Outre Diane, les Feriae étaient une fête dédiée à Vertumnus, dieu des saisons et de la maturation des récoltes, à Consus, dieu des champs et à Ops, déesse de la fertilité. En bref, les Feriae étaient une célébration de la fertilité et de la maternité et, comme beaucoup d'autres fêtes, elles étaient d'origine orientale.

Avec le christianisme, ces mêmes prérogatives ont été attribuées à la Vierge Marie, dont la solennité a commencé à être célébrée à la place de celle de Diane. Quoi qu'il en soit, la tradition du mois d'août comme mois des Feriae s'est maintenue, ce qui explique que les usines et les magasins restent encore "fermés pour cause de vacances" jusqu'à la fin du mois d'août, même si personne ne se souvient de l'empereur qui les a instituées comme une autocélébration.

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Les premières traces d'occupation humaine dans la vallée du lac Nemi remontent à l'âge du bronze. La forêt, lieu sacré dans toutes les civilisations indo-européennes, était le siège de cultes liés à la grande et toute-puissante déesse-mère - déesse de la vie sous toutes ses formes, humaine, animale et végétale - identifiée plus tard à Diane et assimilée à Artémis, dont le symbole était la lune : le lac Nemi, dans lequel se reflète la lune, était appelé "le miroir de Diane". Dans son temple, un rendez-vous fixe était fixé chaque année le 13 août, l'"Idus nemorenses", d'où les "feriae augustae".

Le terme Ferragosto désigne donc une fête populaire qui, à la mi-août, célébrait la fin des travaux agricoles. Cette fête, typiquement romaine, a été rendue obligatoire à la Renaissance par décret papal".

LA FÊTE DE L'ASSOMPTION

La Dormitio

Avec le christianisme, toutes les fêtes païennes ont été abolies, au grand dam du peuple, en particulier la fête du temple de Diane Aventine. Pour apaiser le mécontentement, mais aussi pour empêcher les gens de se rendre sur l'Aventin, le temple ayant été détruit, l'Église décréta au 6ème siècle la fête de la Dormition de la Vierge Marie, avec son Assomption au ciel, le 15 août. Cependant, ce n'était pas encore l'Assomption de Marie.

Depuis la Renaissance, les fêtes ont été rendues obligatoires par des décrets papaux. La Dormitio, ou sommeil de Marie, devait être comprise comme le passage à la vie éternelle par son assomption au ciel avec son corps. Ce n'est pas nouveau, c'est aussi arrivé à Sémélé, dans le mythe grec, déesse de la lune rétrogradée en femme, amante de Jupiter et mère de Dionysos, qui a été élevée au ciel avec son corps et son âme au moment de sa mort, c'est-à-dire un instant avant. 

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LE DOGME

Cette croyance en la Vierge Marie a été transformée en dogme par le pape Pacelli Pie XII en 1950 (alors que l'immaculée conception avait déjà été déclarée dogme par Pie IX en 1854).

Le 15 août est donc la plus haute fête mariale.

Voici les précédents du dogme :

Le Transitus de la Vierge Marie, attribué à Joseph d'Arimathie.

L'ASSOMPTION DE LA VIERGE
- La Vierge avait donc demandé à son Fils de l'avertir de la mort trois jours auparavant. La promesse se réalisa : la deuxième année après l'Ascension, Marie était en train de prier lorsque l'ange du Seigneur lui apparut avec une branche de palmier et lui dit : "Dans trois jours aura lieu ton Assomption".

- La Vierge a convoqué Joseph d'Arimathie et d'autres disciples du Seigneur à son chevet et leur a annoncé sa mort.

- Le dimanche, à la troisième heure, comme l'Esprit Saint descendait sur les apôtres dans une nuée, le Christ descendit lui aussi avec une multitude d'anges et reçut l'âme de sa mère bien-aimée. 

- La splendeur de la lumière et le doux parfum qui se dégageait lorsque les anges chantaient le Cantique des Cantiques au moment où le Seigneur dit : "Comme un lis parmi les épines, tel est mon bien-aimé parmi les jeunes filles" étaient si grands que tous ceux qui étaient là tombèrent sur leur visage, comme les apôtres lorsque le Christ s'était transfiguré en leur présence sur le mont Thabor, et pendant une heure et demie, personne ne put se relever. 

- Puis la lumière s'est éteinte et, avec elle, l'âme de la Vierge Marie a été emportée au ciel dans un chœur de psaumes, d'hymnes et de cantiques. Et lorsque le nuage s'éleva, la terre entière trembla et, en un seul instant, tous les habitants de Jérusalem virent clairement la mort de la sainte Marie. "

- A ce moment-là, Satan incita les habitants de Jérusalem à prendre les armes et à s'en prendre aux apôtres pour les tuer et s'emparer du corps de la Vierge, qu'ils voulaient brûler. Mais un aveuglement soudain les empêcha d'exécuter leur plan et ils finirent par s'écraser contre les murs. Les apôtres s'enfuirent avec le corps de la Vierge, le portant jusqu'à la vallée de Josaphat où ils le déposèrent dans un tombeau : à cet instant, une lumière venue du ciel les enveloppa et, alors qu'ils tombaient à terre, le saint corps fut enlevé au ciel par des anges.

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Voilà le dogme de la Vierge :

Le dogme catholique a été proclamé par le pape Pie XII le 1er novembre 1950, l'année sainte, par la "Constitution apostolique-Munificententissimus-Deus" (Dieu très généreux). Il s'agit du dernier dogme, après les deux proclamés par Pie IX au 19ème siècle.

"C'est pourquoi, après avoir de nouveau adressé à Dieu des supplications et invoqué la lumière de l'Esprit de Vérité, à la gloire du Dieu tout-puissant, qui a répandu sur la Vierge Marie sa bienveillance particulière pour l'honneur de son Fils, le Roi immortel des siècles et vainqueur du péché et de la mort pour la plus grande gloire de son auguste Mère et pour la joie et l'exultation de toute l'Église, par l'autorité de notre Seigneur Jésus-Christ, des saints apôtres Pierre et Paul, et la nôtre, nous prononçons, déclarons et définissons comme dogme révélé par Dieu que l'immaculée Mère de Dieu, toujours vierge Marie, ayant achevé le cours de sa vie terrestre, a été revêtue de la gloire céleste en corps et en âme.

Par conséquent, si quelqu'un, à Dieu ne plaise, osait nier ou mettre volontairement en doute ce qui a été défini par Nous, qu'il sache qu'il a manqué à sa foi divine et catholique. "

ANATHEME SIT !

Le dogme de l'infaillibilité papale ex cathedra, par lequel le pape:
"jouit de l'infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que son Église soit pourvue pour définir la doctrine concernant la foi et les mœurs : c'est pourquoi ces définitions du Pontife romain sont immuables par elles-mêmes, et non par le consentement de l'Église. Si donc quelqu'un a la prétention de s'opposer à cette Notre définition, à Dieu ne plaise : qu'il soit anathème. " 
(Pastor Aeternus, 18 juillet 1870)

L'Église reconnaît donc qu'en cette occasion précise, le pape a proclamé un dogme en exerçant la fonction de Pasteur et de Docteur de tous les chrétiens, et donc avec le charisme de l'infaillibilité.

En 1854, Pie IX a proclamé ex cathedra (c'est-à-dire sans l'approbation du Conseil des évêques) le dogme de l'Immaculée Conception de Marie. Ce dogme établit que, dès sa conception, elle n'a pas été souillée par le "péché originel". 

Qui avait établi l'existence du péché originel ? Le pape avec le Concile, bref Jésus n'y est pour rien.

Cette proclamation n'a pas du tout plu aux évêques, car dans l'Église primitive, la question de la foi était définie par les conciles et non par le pape. Comme au concile de Nicée, où la divinité du Christ a été définie en l'absence du pape et avec une faible participation de l'Occident. La controverse portait principalement sur la possibilité pour le pape de proclamer des dogmes de foi sans le conseil des évêques.

Les protestations sont nombreuses, notamment de la part de l'évêque de Pittsburgh, trois mois après le début du concile : "Un coup mortel. Nous allons devoir avaler ce que nous avons vomi" ; l'accusation, souvent portée contre les catholiques, de considérer le pape comme une divinité, le préoccupe. Dans le passé, ces accusations ont toujours été rejetées, mais une fois l'infaillibilité déclarée, comment pourrons-nous nous défendre ?

Le non-respect du dogme entraîne l'anathème, qui, dans l'Ancien Testament, est la destruction totale :

"Ce qui est entré en contact avec la divinité païenne est désormais maudit, ne peut être touché, doit être voué à une destruction complète ; c'est l'anathème. Comme les choses, un peuple peut être anathème. Dans le Deutéronome, on peut lire: "Lorsque le Seigneur ton Dieu t'aura fait entrer dans le pays dont tu vas prendre possession, et qu'il aura chassé devant toi plusieurs nations : les Héthiens, les Jergésiens, les Amorites, les Phéréziens, les Égyptiens, les Cananéens et les Jébusiens, sept nations plus grandes et plus puissantes que toi, lorsque le Seigneur ton Dieu les aura mises en ton pouvoir et que tu les auras vaincues, tu les voueras à l'extermination ; tu ne feras pas d'alliance avec elles et tu ne leur accorderas pas de faveur" (Deutéronome 7,1-2).

Dans l'Église catholique et orthodoxe, l'anathème est devenu une malédiction qui condamne au diable les hérétiques et les sorcières, ainsi que les dissidents, par exemple ceux qui ne croient pas au dogme.

Le résumé sur le dogme :

1) Qui a établi que le Pape est infaillible lorsqu'il parle du dogme ?
- Le Pape.
2) Qui a établi que le Pape, lorsqu'il parle en dogme, est inspiré par Dieu ?
- Le Pape.
3) Qui détermine si, à un moment donné, le Pape parle par le dogme ou sans le dogme ?
- Le Pape.
4) En bref, qui a inventé le dogme du Pape ?
- Toujours le Pape. Même les empereurs romains, pourtant pontefici maximi, n'avaient jamais été aussi loin.

La synthèse du dogme :

1) L'Assomption de Marie est une anticipation de la résurrection de la chair, qui pour tous les autres hommes n'aura lieu qu'à la fin des temps, lors du Jugement dernier.
- Une simple anticipation ? Tant de bruit pour si peu ?
2) L'Eglise anglicane a déclaré en 2005 par un document de la Commission Internationale Catholique Anglicane qu'elle acceptait l'Assomption de Marie, mais pas en tant que dogme.
- Ce qui signifie qu'il n'est pas obligatoire de l'accepter, d'accord, mais l'ont-ils acceptée ou non ?
3) Les chrétiens orthodoxes et arméniens célèbrent la Dormition de Marie : Marie serait assumée au ciel après sa mort.
- C'est-à-dire que son cadavre aurait été transporté dans le monde immatériel du Paradis ?
4) Ni la Dormition ni l'Assomption ne sont un dogme chez les orthodoxes ou les Arméniens. La principale différence entre la Dormition et l'Assomption est que cette dernière n'implique pas nécessairement la mort, mais ne l'exclut pas non plus.
- Encore une fois, que voulez-vous dire par "elle ne l'exclut pas", vous déclarez que c'est un dogme mais vous ne savez pas comment cela s'est produit ? Dieu le lui a-t-il à moitié expliqué ?
5) Les Eglises protestantes, par contre, ne croient pas à l'Assomption de Marie, car elle n'est pas racontée dans l'Evangile.
- S'ils ne reconnaissent pas le Pape, ils n'acceptent certainement pas ce qu'il dit comme dogme.

LA MORALE DE LA FABLE

Il n'était pas bon de célébrer une fête qui concernait les Romains anciens et païens, il fallait inclure une fête catholique importante, et voici l'Assomption, mais pas question, les Romains continuent à célébrer les Feriae Augusti, ou, en langue vernaculaire, la fête de l'Assomption.

BIBLIOGRAPHIE

- Giovanni Pugliese Carratelli - Imperator Caesar Augustus - Index rerum a se gestarum - avec introduction et notes - Naples - 1947 -
- Luciano Canfora - Auguste fils de Dieu - Bari - Laterza - 2015 -
- Arnaldo Marcone - Auguste - Salerne - 2015 -
- John F. Donahue - 'Towards a Typology of Roman Public Feasting' in Roman Dining - A Special Issue of American Journal of Philology - University Press - 2005 -
- Georges Dumézil - Fêtes romaines - Gênes - Il Melangolo - 1989 -