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mardi, 21 octobre 2025

Trump, le découplage et la fiancée étrusque

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Trump, le découplage et la fiancée étrusque

Conversation avec Alexandre Douguine pour le programme télévisé Escalade de Sputnik TV

Alexandre Douguine

Alexandre Douguine imagine un monde arrivé à un point de rupture: l'influence d'Israël sur l'Amérique s'amenuise, Trump joue au poker nucléaire, et l'Occident dépérit comme un cadavre en décomposition, tandis que l'Eurasie prépare sa résurrection.

Présentateur Alexandre Boukarev : Commençons par le sujet le plus brûlant, puisque Donald Trump prononce en ce moment un discours devant la Knesset. On pourrait dire que cela marque une pause ou même un tournant dans le conflit entre Israël et Hamas. La première question est la suivante: dans quelle mesure l’accord entre Israël et le Hamas, que Trump qualifie pompeusement de “fin de la guerre”, est-il réellement durable et, surtout, qui en tirera le plus grand avantage, en ce qui concerne les événements en Israël et dans la bande de Gaza ?

Alexandre Douguine : Il me semble qu’objectivement, c’est une réussite pour Trump. Il a traversé une période électorale difficile. Son soutien total à Netanyahu impliquait l’étape suivante: reconnaître le démantèlement de l’État palestinien, en le reportant indéfiniment. Netanyahu et le gouvernement israélien ont demandé à l’Occident et au monde de refuser totalement de reconnaître la Palestine sous quelque frontière que ce soit, ni à Gaza ni en Cisjordanie, ainsi que le droit d’Israël à créer le “Grand Israël”. C’était leur position, et, apparemment, la cause déclencheuse de la tragédie à Gaza, un vrai génocide de la population locale.

Du point de vue de Netanyahu et de ses partisans radicaux religieux-politiques – Ben-Gvir, Bezalel Smotrich et d’autres ministres – ils suivent les théories de Dov Ber et Yitzhak Shapira sur la préparation à la construction du Troisième Temple et sur le "sacrifice de la vache rouge". Les vaches rouges, entre autres, ont été amenées d’Amérique. Il s’agit d’un ancien rituel juif qui précède la venue du Messie et la construction du Troisième Temple. Pour que cela se réalise, la mosquée d’Al-Aqsa, le lieu sacré de l'Islam à Jérusalem, doit être détruite.

Récemment, Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité nationale, y a mené un rituel religieux, violant ainsi les droits des musulmans tout en préparant symboliquement la mosquée à sa démolition. Il s'agissait d'un rite d’initiation pour la venue du Messie. Trump a soutenu cette ligne pendant longtemps, contre l’avis de ses partenaires occidentaux et de sa propre base, celle du mouvement MAGA, qui est en grande partie devenu anti-israélien. En raison de la politique pro-Netanyahu de Trump, des conflits ont éclaté entre ses propres soutiens en Amérique. Il a pris des risques, mais la prochaine étape de cette politique aurait signifié occuper Gaza, expulser les Palestiniens, refuser leur statut d’État et étendre le Grand Israël aux dépens de la Syrie et du Liban. Trump a suivi Netanyahu presque jusqu’à la fin, jusqu’à la ligne rouge, empruntant ainsi la voie du sionisme chrétien. Un travail idéologique, militaire et diplomatique immense a été réalisé pour orienter l’Amérique à soutenir le projet messianique de Netanyahu.

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Mais l’accord d’aujourd’hui est tout le contraire de cette orientation. Lorsque hier, l’envoyé spécial Witkoff a parlé devant les Israéliens et a mentionné Netanyahu, la foule a protesté et l’a fait taire. Ce n’est pas là une victoire de Netanyahu. L’échange d’otages, la libération de milliers de Palestiniens des prisons et le retrait des troupes de Gaza sont désormais compromis par Netanyahu lui-même. Les conditions du Hamas et des Palestiniens – forger un État palestinien indépendant, soutenu par de nombreux pays et même par l’OTAN, à l’exception des vassaux les plus fidèles de l’Amérique – ont prévalu.

Trump a changé de cap: en soutenant Netanyahu à 99%, il s’est toutefois arrêté juste avant la dernière étape. Ce n’est plus le Grand Israël, ce n’est plus la venue du Messie, ce n’est plus la "vache rouge", ce n’est plus l'édification du Troisième Temple, ce n’est plus la destruction d’Al-Aqsa, et ce n’est plus le transfert des Palestiniens.

À quoi donc ont servi les sacrifices d'hier? Les Palestiniens reviennent à Gaza sous la supervision d'un État palestinien reconnu par l’Occident. Le Hamas aurait pu déposer les armes mais, maintenant, il assiste à son propre triomphe: ses hommes ont combattu pour l’indépendance et y étaient proches. La logique messianique de Netanyahu, qui a lancé une guerre sous la bannière du Messie, s’est effondrée. L’Iran, malgré les attaques perpétrées contre lui, reste solide. Son patriotisme a grandi; les exigences envers les femmes ont diminué: à Téhéran, on voit de plus en plus de femmes sans hijab. La majorité des pays du monde s’opposent à Netanyahu. L’Occident est divisé: les mondialistes, Soros et les Démocrates le rejettent; Trump le soutient, même si ce n’est pas inconditionnellement. Il joue cinq ou six parties en même temps, sans jamais en gagner une, mais en défendant ses propres intérêts. Mais surtout, il a montré qu’il n’était pas la marionnette d’Israël, ce dont on l’avait accusé. Il a obtenu un cessez-le-feu à Gaza, mais il ne s’agit pas d’une paix stable. Netanyahu et le lobby messianique l’accepteront difficilement: car ce serait accepter leur défaite.

Pourquoi alors gaspiller le capital moral de l’Holocauste? Le monde voit maintenant comment les actions d’Israël ont sapé sa supériorité morale. Ce n’est pas le Grand Israël. Trump, plaisantant sur son avion dans le “Paradis”, qui rappelle Biden, transmet chaque pensée sur les réseaux sociaux avec une spontanéité d'extraverti. Ce n’est pas une paix durable, que l'on vient de nous concocter, mais une nouvelle version de la même triste réalité qui pourrait bien mener à la troisième guerre mondiale. Une victoire fragile et momentanée pour Trump, mais une victoire réelle pour le Hamas et les Palestiniens, qui ont discrédité Israël et se sont rapprochés de la création d’un État qui leur serait propre. Cela déstabilise la région avec la menace de nouvelles guerres, peut-être sous des formes encore plus terrifiantes.

Présentateur : Des sondages récents aux États-Unis montrent que même les chrétiens sionistes et évangéliques, qui soutenaient autrefois le lobby israélien – en particulier les jeunes – retirent de plus en plus leur soutien. Sans parler de l’Europe et de la communauté musulmane aux États-Unis, qui fait aussi partie de l’électorat de Trump. Dans ce contexte, puisque, comme vous le dites, Trump n’a pas achevé ce jeu, que pensez-vous que l’avenir réserve à Israël, d’un point de vue politique et existentiel, s’il n’a pas réussi à atteindre l’objectif pour lequel il a tout risqué ?

Aleksandr Dugin : L’objectif pour lequel Israël a tout risqué est un phénomène métapolitique: l’attente de la venue du Messie. C’est quelque chose de plus grave que l’échec d’un complot politique ou d’une opération militaire. La seule signification d’Israël réside dans le fait d’être un projet messianique. Sans le Messie, il n’a aucune justification d’exister. En tant «qu’îlot de démocratie dans une mer islamique», il ne résistera pas. Il est confronté à un choix: intensifier la tension messianique ou s’effondrer. Tout pas en arrière signifie basculer dans le non-être.

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Aux États-Unis, une vague anti-israélienne grandit, même parmi d’anciens soutiens. Les jeunes – en particulier les Groypers, les nouveaux nationalistes qui ne sont pas des partisans de Trump – professent un antisémitisme qui va jusqu'au culte d’Hitler. C’est un phénomène de masse. Ils se demandent : « Israël d’abord ou l’Amérique d’abord ? ». Pour tout politicien, la réponse « Israël d’abord » signifierait la fin de sa carrière.

Tucker Carlson critique Israël avec prudence, s’opposant aux Groypers et faisant appel au patriotisme américain. Charlie Kirk – qui a peut-être été tué parce qu’il refusait de soutenir Israël – était une figure influente. La propagande mondialiste et liée à Soros alimente le sentiment anti-Israël, en envoyant des activistes d’Antifa et des figures du mouvement LGBT protester contre Israël. Les musulmans tentent de les mettre de côté, mais Soros utilise ces forces – tout comme il a utilisé notre opposition – pour des actions pro-palestiniennes.

La pression vient des deux côtés: de droite, des jeunes nationalistes; de gauche, des libéraux. L’Anti-Defamation League, orientée anti-Trump, perd de son influence. L’attitude de l’Amérique envers Israël a changé, et Trump le perçoit. Lui, Kushner et d’autres sionistes ont suivi Netanyahu, mais en tant que pragmatique et homme d’affaires, Trump comprend que la situation ne peut pas lui être favorablement retournée. Le facteur islamique aux États-Unis reste marginal, et le lobby juif continue de dominer la scène politique américaine. Cependant, le sentiment anti-israélien de dizaines de millions de personnes est devenu trop fort pour être ignoré.

Présentateur : Qui paiera pour la reconstruction de Gaza? La question reste sans réponse.

Aleksandr Dugin : C’est une question qui reste ouverte. Rien n’est gratuit. Détruire est facile, créer est difficile. Ils chercheront à rejeter la responsabilité sur l’Europe (qui devra payer), avec une partie seulement à charge des États-Unis. Israël ne paiera rien. Les pays islamiques pourraient participer mais Gaza deviendrait alors un pont pour les processus politiques palestiniens, ce qui menace Israël. D’un point de vue géopolitique et messianique, Israël a été vaincu. Avant que Gaza ne soit reconstruite, le Moyen-Orient traversera des moments de tension. Il est possible qu’Israël lance à nouveau une opération militaire, cette fois contre l’Iran.

Présentateur : Passons à un autre sujet international concernant Donald Trump mais qui concerne cette fois directement la Russie. Je voudrais en savoir plus non pas sur les missiles Tomahawk en soi, mais sur le dialogue indirect qui se déroule via les déclarations de Vladimir Poutine et Donald Trump. Récemment, Trump a mentionné les Tomahawk, puis Poutine a parlé d’Anchorage, soulignant que nous restons fidèles à nos accords et que cette ligne se poursuivra. Trump n’a pas commenté directement, mais a dit qu’il comptait appeler Poutine avant de prendre une décision concernant les Tomahawk. Il semble qu’il y ait deux courants: l'un, caché, invisible pour nous, et l'autre qui implique Zelensky, Macron et d’autres qui discutent des Tomahawk.

Alexandre Douguine : La situation est extrêmement grave et ne doit pas être sous-estimée. Trump, sûr de sa capacité à exercer des pressions, des chantages et à forcer les autres à accepter ce qu’il appelle la “paix”, manipule diverses parties, y compris le puissant lobby pro-israélien et Netanyahu, lobby qui est une force profondément enracinée dans la politique américaine. Ses méthodes coercitives fonctionnent souvent et c’est alarmant. D’un côté, cela le satisfait: c’est un homme des cycles courts, ce n'est pas un stratège. Il résout les problèmes instantanément, encaissant immédiatement les profits. C’est une approche entrepreneuriale: gagner tout de suite, le lendemain n’a pas d’importance. On peut tout perdre au casino, en échangeant des gains à long terme contre des gains rapides. C’est la mentalité d’un entrepreneur américain: la valeur est dans la transaction qui s'effectue ici et maintenant.

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Les conséquences? Il n’a pas de temps de s'attarder sur elles: le rythme doit s’accélèrer. Et ça, c’est dangereux, car jusqu’à présent, cela a fonctionné pour lui. Il applique maintenant cette méthode à la Russie, mais ici, ce n’est pas approprié. Il s’agit de projets à long terme, de grandes stratégies, de géopolitique, toutes choses que Trump évite. Il agit dans l'instant, et cela est forcément risqué. En tentant d’imposer un principe commercial – « Allez, Poutine, faisons la paix à mes conditions » – il entend la réponse de Poutine: « Non, ce ne sont pas mes conditions à moi ». Trump répond alors par des menaces: « D’accord, alors – nous couperons les ponts, enverrons des Tomahawks, de nouvelles armes ». Cette intimidation envers la Russie, tout comme envers la Chine, est extrêmement dangereuse et vaine.

Selon moi, Poutine agit avec la plus grande délicatesse: il ne cède pas sur les questions stratégiques, ne fait pas de compromis sur des intérêts vitaux, et les défend avec fermeté, mais il est prêt à continuer ce jeu désagréable et risqué. L’histoire des Tomahawks, c'est comme au poker. Poutine joue des stratégies complexes; Trump joue au poker, où seuls le bluff et les gestes rapides comptent. Mais si, lors de négociations difficiles, la mise monte, l’apparence de “simple jeu” de notre part disparaîtra.

Peskov l’a affirmé clairement, et nos politiciens ont dit la même chose: nous avons tracé des lignes rouges; l’Occident les a dépassées, et nous n’avons pas réagi. L’Occident croit à tort que nous ne réagirons jamais. Livrer des Tomahawks à Kiev signifie, du point de vue technique-militaire, que du personnel américain attaquera en profondeur le territoire russe: il n’y a pas d’autre moyen, comme le confirment les experts. Trump, avec son style “dur”, lance un ultimatum qui mène directement à un conflit militaire avec nous. Il refuse clairement de penser à une escalade nucléaire, en supposant que cela se déroulera comme avec l’Iran: les États-Unis attaqueront la Russie pour forcer un accord rapide sur l’Ukraine.

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Présentateur : Comme avec l’Iran ?

Alexandre Douguine: L’Iran, éloigné d’Israël, soutient les chiites. Pour l’Iran, la situation était complexe mais elle n'était pas vitale. Pour la Russie, c’est différent: cela touche nos intérêts directs. En jouant à la roulette russe avec l’escalade pour perspective, Trump joue avec le feu. Si nous cédons, si nous ne répondons pas aux attaques avec des Tomahawks sur notre territoire, et  si on ne sait pas ce qu’ils pourraient transporter dans leurs ogives, cela annulerait tous nos succès, sacrifices et souffrances. Il ne s’agit pas de la menace d’une contre-offensive ukrainienne, que nous avons à peine réussi à gérer. C’est quelque chose de bien plus grave. Si nous ne répondons pas aux attaques directes américaines, ils pourront nous faire tout ce qu’ils veulent.

Le monde est dans le chaos; chacun tire dans sa propre direction; il n'y a personne sur qui compter. Nous sommes seuls: ou nous repoussons l’agression américaine, qui pourrait commencer à tout moment, ou une guerre avec les États-Unis sera inévitable. Trump, avec son arrogance agressive, a dépassé une limite que même Biden et les mondialistes ne voulaient pas franchir. Il ne s’agit pas seulement d’Anchorage. C’est du poker géopolitique, où une partie déclare: «Maintenant, on passe à la roulette russe».

Présentateur : Directement à la roulette russe, tel est le nouveau facteur ?

Alexandre Douguine : Oui. Les Tomahawks sont un nouveau facteur dans l'escalade. Il ne s’agit pas de la victoire de l’Ukraine ou de la défaite de la Russie, mais du début d’un affrontement militaire direct entre la Russie et les États-Unis, le seuil de la troisième guerre mondiale. Nous nous sommes approchés de cette ligne à plusieurs reprises et avons fait marche arrière, mais Trump accélère les événements, alimentant les tensions.

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Melania Trump tente de réfuter les fausses informations concernant les enfants ukrainiens, tandis que Maria Lvova-Belova (photo) a démontré de manière convaincante aux Américains l’absurdité des accusations contre notre président et contre elle-même. Nous y sommes parvenus, mais nous ne pouvons arrêter cette escalade maniaque de Trump, déguisée en pacification.

Le prix Nobel de la paix a été décerné à un agent obscur de Soros pour une révolution colorée ratée au Venezuela: une honte absolue pour ce prix. Pourquoi Trump a-t-il besoin de ce prix discrédité? Son image de pacificateur est fausse, fruit de la sénilité et de l’absurdité.

La fragilité de la situation s’accroît, et les Tomahawks la rendent mortellement dangereuse. Zelensky se féliciterait si l’Amérique commençait à se battre pour lui: ce serait sa victoire à lui. Pendant quatre ans, il a cherché à entraîner l’Occident dans un conflit direct avec la Russie; il pourra ensuite se retirer, même si son pays est détruit.

L’élite mondiale se dégrade: certains sombrent dans la démence, d’autres deviennent toxicomanes, changent de sexe ou se transforment en monstres.

L’Occident perd son visage humain. Soros est un monstre; Trump en est un autre, incapable de distinguer les rêves de la réalité. L’Occident décline, entraînant dans sa tourmente notre propre guerre civile avec le mouvement Antifa, les marxistes, les transgenres, la mode furry. Ils exportent cette apocalypse zombie, infectant l’humanité avec le venin de la folie. C’est extrêmement dangereux: l’Occident possède des bases, des armes et le désir de mourir lors d’un spectacle, comme la tour de Babel qui s’effondre et secoue la terre.

Présentateur : Permettez-moi d’aborder le cadre philosophique, puisque vous avez mentionné le Prix Nobel de la Paix. Certains soutiennent que le déclin de l’Occident profite à la Russie seulement si cela se produit lentement, afin que ses effets centrifuges ne déstabilisent pas le monde entier. Comment voyez-vous cela ?

Alexandre Douguine : Ce qui compte, c’est que l’Occident pourrisse sans nous. Il existe une torture appelée «la fiancée étrusque»: attacher un cadavre à une personne vivante de façon à ce que la putréfaction pénètre dans la chair vivante. L’occidentalisme, le libéralisme, la mondialisation, la numérisation, le désir d’imiter l’Occident: c’est cela, cette «fiancée étrusque».

L’Occident est mort, et plus on s’en rapproche, plus il devient dangereux. Que son déclin soit rapide ou lent n’a pas d’importance. La clé, c’est de pratiquer sans retard le découplage, de couper tous liens avec ce monstre toxique. L’Occident a toujours eu une tendance à la dégénérescence, mais il a maintenant atteint le stade terminal, celui d’un déclin irréversible. Si cela se décompose plus rapidement, c’est peut-être même mieux. L’important, c’est d'isoler cette baraque infectée appelée «société occidentale éclairée», de mettre entre elle et nous un mur infranchissable.

L’humanité doit se sauver de l’Occident. Quiconque reste lié à cette «fiancée étrusque» en décomposition est condamné: le poison se répandra, vite ou lentement, peu importe, mais la maladie qu'il apporte est inévitable. La rupture aurait dû se produire il y a cent ans, deux cents ans. Nous repoussons toujours cela, en pensant que l’Occident ne se décomposera pas ou que son déclin sera d’une certaine manière agréable. Les élites contaminées par une pensée à court terme poursuivent le plaisir immédiat, ignorant les conséquences. La contamination a pénétré notre culture et notre sang. La question n’est pas de savoir si un déclin rapide ou lent nous avantage, mais de savoir qu’il doit se produire sans nous. Nous avons fait beaucoup pour nous en détacher, mais il reste encore beaucoup à faire: l’infection est profonde.

Présentateur : Passons maintenant à ce que nous avons fait et à ce que nous faisons, passons au dernier sujet d’aujourd’hui: le sommet des chefs d’État de la CEI au Tadjikistan et le discours de Vladimir Poutine. De nombreuses questions ont été abordées. Je voudrais demander quelles sont les perspectives de la CEI en ce qui concerne la coopération de la Russie avec les autres pays du Commonwealth. Poutine a cité la Biélorussie comme un exemple de coopération avec nos voisins géographiques et historiques. Que voulait-il dire en faisant une analogie entre la Biélorussie et les autres pays de la CEI dans le cadre de projets communs ?

Aleksandr Dugin : Poutine voulait souligner la nécessité de construire, à la place de la CEI, un État unifié de l’Union eurasiatique selon le modèle de l’Union Russie-Biélorussie. C’est notre seule voie.

Ses paroles peuvent être interprétées de plusieurs manières, mais je n’en vois qu’une seule: de ce qui a été dit et non dit, de la logique de l’histoire géopolitique, il en découle que nous devons agir ensemble comme un seul pôle – les peuples de l’Empire russe, de l’ancienne Union soviétique, partie indissociable de la civilisation eurasienne: notre peuple, notre culture, notre société – ou nous nous retrouverons entourés d’États hostiles, non souverains et marionnettes comme l’Ukraine, sous l’influence d’acteurs extérieurs, pas nécessairement occidentaux. Il pourrait s’agir du pôle islamique, de la Chine ou d’autres centres de pouvoir. La souveraineté n’est possible que pour de grands blocs civilisationnels: la Russie, la Chine, l’Inde et le monde islamique. La souveraineté du monde islamique, comme on le voit à Gaza et en Palestine, est faible. Cependant, elle pourrait se réorganiser, peut-être sous l’influence du facteur palestinien, dans un nouveau type de califat. Alors, l’Asie centrale deviendrait une zone de conflit entre le pôle islamique, la Russie et la Chine: c'est là une perspective sombre.

Poutine lance un dernier avertissement: soit la CEI se transforme en une véritable Union eurasiatique, soit le destin des États semi-souverains post-soviétiques sera tragique. Il n’est pas nécessaire d’atteindre une unification totale comme avec la Biélorussie, mais un partenariat militaire, économique, politique et culturel sous forme d’union devrait servir d’exemple à tous les États de la CEI, y compris l’Ukraine. La guerre en Ukraine est le résultat du refus de cette voie, tout comme en Moldavie et en Géorgie. Il manque encore un argument: la conquête de Kiev. Quand nous conquerrons Kiev, les paroles de Poutine auront du poids. Nous devons démontrer la nécessité de l’État de l’Union par un acte décisif et irréversible. Sinon, augmenter la tonalité de la rhétorique ne servira à rien.

Cf.: https://www.multipolarpress.com/p/trump-decoupling-and-th...

 

Voyage dans l'univers parallèle

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Voyage dans l'univers parallèle

Karl Richter

Le député de l’AfD Markus Frohnmaier est accusé par des cercles de l’Union (démocrate-chrétienne) de "trahison" nationale. Il prévoit en effet un voyage à Moscou et souhaite y rechercher le "dialogue". Une démarche attendue depuis longtemps et qui est très raisonnable. Mais: en pleine guerre en Ukraine, que l’Occident a principalement déclenchée et qu’il maintient toujours en ébullition par tous les moyens, cela ne peut évidemment pas passer. L’hypocrisie de l’Union démocrate-chrétienne appartient à cette catégorie "où l’on ne peut pas manger autant qu’on voudrait vomir". Commettre plus de trahison nationale que celle qui a été infligée aux Allemands par l’Union depuis la fondation de la République fédérale jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas possible.

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Frohnmaier (photo) veut aller à Moscou, et, moi, je viens juste d’en revenir. Après des années d’absence, cela faisait belle lurette qu’il était temps d'y retourner, et malgré la campagne médiatique, les voyages en Russie ne sont ni impossibles ni interdits. Après trois ans et demi de guerre, je voulais me faire ma propre idée de la façon dont le pays gère cela, un pays qui, selon la propagande occidentale, est au bord de l’effondrement et est isolé internationalement. Et surtout, je voulais faire la preuve, constater de visu: sommes-nous désormais, en tant qu’Allemands, haïs par les Russes à cause de la politique incroyablement stupide et dangereuse de nos dirigeants ?

Pour commencer: non, aucune trace de germanophobie. Les Russes "normaux" que l’on rencontre dans l’ascenseur, au restaurant ou au supermarché et qui savent que l’on vient d’Allemagne, savent apparemment, et aussi bien que leur gouvernement, faire la distinction entre les Allemands et leur régime dangereux, dont la haine envers l’Allemagne est effrayante. Au contraire, malgré tout, le respect pour les Allemands reste élevé, et ceux qui ont de la famille en Allemagne ou y sont déjà allés, le montrent volontiers et s'efforcent, amicalement, de prononcer à notre intention quelques mots d’allemand. Même à l’aéroport, lors du départ, je suis salué par le personnel strict qui contrôle mon passeport et mon billet d’avion avec un "Au revoir !" bien soutenu.

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Ce ne signifie pas que la guerre ne se déroule pas. À l’arrivée à Samara sur la Volga (photo), il y a, tout d'un coup, une "alerte drone", et, plus tard, il s’avère que cela fait partie du quotidien. Mais l'alerte se fait uniquement par SMS, par un avertissement sur le téléphone. En réalité, pour les gens, cela se ressent à peine, la vie continue normalement. S'il n'y avait pas, sur certains bus, le "Z" patriotique bien affiché, et s'il n'y avait pas de grandes affiches dans les rues pour faire la promotion du service dans les forces armées – pour des montants à sept chiffres en roubles –, on pourrait croire que la guerre n’est qu’une illusion. Il est évident que même le gouvernement ne la grossit pas trop et ne veut pas imposer trop de restrictions à la population. Cependant, il doit augmenter la TVA de 20 à 22 % à partir du 1er janvier 2026 pour financer la défense.

Le philosophe et géopolitologue Alexandre Douguine a récemment formulé une remarque: pour de nombreux conservateurs en Occident, la Russie représente une sorte d’idéal, celui de l’Europe d’autrefois, un idéal "meilleur", auquel l’Occident d’aujourd’hui a tourné le dos de manière systématique, tandis que la Russie – aussi officiellement – se voit comme le gardien des valeurs traditionnelles de l’Europe. En réalité, le tableau de la vie publique, pour les Européens de l’Ouest, qui, chez eux, sont déçus et irrités, est presque paradisiaque: il se présente sous un jour tranquille, aussi bien à Moscou qu’à Novossibirsk, loin en Sibérie. Dans les spots publicitaires à la télévision, on ne voit que des personnes blanches. À Samara, j’ai vu un (en chiffres: 1) Noir, à Moscou trois. Et personne ne semble se soucier du risque éventuel d’être poignardé dans le métro ou poussé sur la voie ferrée. En cette "Allemagne qui est la meilleure qui ait jamais existé" (Steinmeier), on dénombre statistiquement 80 délits à l’arme blanche par jour. Il ne faut rien exagérer. Mais, il n'en demeure par moins que le risque d’être poignardé est un indicateur de la qualité de vie.

Douguine a justement critiqué la société russe qui est en guerre, pour laquelle la guerre est, dans l’ensemble, très lointaine. Douguine a dit que, malgré l’hostilité ouverte de l’Occident, le pays se concentre encore trop peu sur sa propre identité et continue à ressembler à une simple copie d’anciennes sociétés occidentales. C’est exact. À la télévision, on voit, à l’exception d’une ou deux chaînes de musique folklorique russe ou de films patriotiques de guerre, le même genre de déchets sous-culturels qu’ici, des comédies stupides dans les programmes du soir et de la musique pop. Dans les supermarchés, on trouve de tout, et à l’exception de grandes entreprises comme Daimler ou Microsoft, qui se sont pliées aux sanctions, on peut se procurer tous les produits occidentaux, de la crème Nivea à la bière Spaten en passant par les ordinateurs Apple, tout cela reste omniprésent. Même dans les banques, on remarque que malgré l'abandon du système de paiement occidental SWIFT, on travaille encore sur des ordinateurs Dell. La "libération", celle qui aurait libéré les Russes des logiciels et des matériels américains, et qui a été annoncée il y a plusieurs années, n’a apparemment pas encore été réalisée. Sur la route, on voit aussi de plus en plus de voitures chinoises, en plus de Hyundai et Daihatsu.

La dynamique économique du pays est visible partout. Que Vladimir Poutine, qui vient de fêter son 73ème anniversaire, soit le garant principal de cette croissance, ne fait aucun doute pour mes interlocuteurs russes. L’un d’eux, le représentant de longue date du Parti démocratique libéral (LDPR), Valeri Voronine, considère que le chef du Kremlin est le chef d’État le plus compétent au monde, qui, en 25 ans de règne, a réalisé des exploits et a conféré à son pays une nouvelle influence mondiale. Tout le monde doit être d’accord avec cette évaluation, du moins tous ceux qui se souviennent de la situation de la Russie dans les années 1990. La guerre, depuis 2022, n’a pas sérieusement menacé cette reprise, au contraire.

Les sanctions ont surtout nui aux populations des pays qui les ont appliquées. En Allemagne, les prix de l’énergie domestique ont augmenté de 50,3% entre 2020 et 2024. Non, ce n’est pas de la propagande du Kremlin. Ce chiffre a été publié jeudi par l’Office fédéral de la statistique dans un communiqué. Les responsables de cette catastrophe résident à Berlin et à Bruxelles, pas à Moscou.

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La société russe fonctionne aujourd’hui comme une société parallèle. Elle n’a pas besoin de rougir face à l'Occident, surtout pas face à la société allemande devenue un "Shithole". Peut-être deviendra-t-elle, dans le cadre de la confrontation continue avec l’Occident, dans les années à venir, encore plus "russe" qu’elle ne l’est aujourd’hui – ou peut-être plus eurasiatique. Sur les aéroports, on voit partout des inscriptions en russe, en anglais et en chinois (photo). Sans aucun doute, l’Occident, par ses politiques aberrantes, a fortement favorisé l’intégration de l’espace eurasien et la multipolarisation de la politique internationale: c'est bien là le résultat patent de ses sanctions suicidaires. En plus de l’axe eurasien, d’autres "grands espaces régionaux" se développeront dans un avenir proche – Douguine en prévoit dans son livre "Mission eurasienne" (2022) pas moins de douze, dont cinq rien qu'en Asie –; leur formation est déjà alimentée par la dynamique économique du monde non occidental (BRICS!). Le reste du processus est tout simplement dû à la politique aveugle de l'Occident, qui se débat avec force contre son propre déclin.

Sur le front de la communication, la multipolarisation a déjà créé des faits concrets. Non seulement l’UE censure les médias russes et refuse à RT ou Sputnik leur licence de diffusion. La censure russe n’est pas non plus une coquille vide et touche une série de médias allemands, même relativement inoffensifs comme "Welt", qui ne peuvent pas être consultés sur Internet en Russie. Pour les personnes intellectuellement productives qui dépendent d’un flux libre d’informations, cela est tout aussi inacceptable que la répression de l’UE. De temps en temps, un serveur VPN aide le chercheur. En résumé: les déclarations répétées de l’UE sur la liberté de la presse ne sont qu’une farce. Sur le sujet de la "démocratie dirigée", l’Occident n’a rien à reprocher à la Russie. Le fait que, en Allemagne, certains candidats indésirables – comme lors des dernières élections communales en Rhénanie du Nord-Westphalie – soient systématiquement exclus et qu’on travaille ouvertement à interdire le plus grand parti d’opposition, n’échappe pas à mes interlocuteurs russes.

Lorsque, après un peu plus de deux semaines, le portillon du poste de contrôle des passeports à l’aéroport de Munich s'est refermé derrière moi, je n’ai pas eu un bon pressentiment. Tout ce qui aurait paru incongru jadis revient soudainement: des voilées complètes, des Noirs, des freaks du mouvement Antifa aux cheveux bleus. Non, je ne veux pas de ces "valeurs occidentales-là". Je ne les accepte pas. Si j’avais l’occasion de commettre une trahison nationale comme le député de l’AfD Markus Frohnmaier, je n’hésiterais pas.