Alors que de nombreux pays pratiquent la dévaluation compétitive, dans la guerre des monnaies c’est la Chine qui se trouve dans le rôle du méchant.
Alors même que plusieurs pays – Japon, Suisse, Corée du Sud, Brésil – sont intervenus sur le marché des changes pour faire baisser la pression sur leur monnaie, et d’autres – Israël, Inde, Thaïlande, Australie – s’apprêtent à en faire autant, elle se trouve dans le rôle du principal accusé d’avoir volontairement sous-évalué sa monnaie. Une forme de concurrence déloyale qui lui permet d’inonder le monde de produits à prix cassés et de constituer des excédents commerciaux gigantesques. Aussi, au lieu d’investir et de dynamiser l’activité économique tant au pays qu’à l’étranger, elle se constitue une montagne de réserves.
C’est sur cette toile de fond que des nombreux politiciens, économistes et faiseurs d’opinion exigent une réponse musclée contre le géant asiatique.
Surtout aux États-Unis qui, au cours des sept premiers mois de l’année, ont importé du «Made in China» pour 193 milliards de dollars, contre des exportations de seulement 48,6 milliards. Dans un pays qui peine à se relever de la récession, où le chômage dépasse les 10% et qui, de surcroît, est à la veille des élections nationales, l’idée est populaire. Une fois n’est pas coutume, les démocrates se sont alliés à l’opposition républicaine et ont voté une loi qui prévoit de surtaxer les produits chinois.
Rien ne dit que Washington passera aux actes. Des menaces brandies maintes fois sont restées sans suite. Et pour cause: deux tiers des exportations chinoises sont le fait des multinationales américaines et Washington n’agira pas contre leurs intérêts. Les entreprises comme Apple, HP, Nike et Wal-Mart en seraient les plus grands perdants. Puis, sanctionner les produits en provenance de Chine serait un autogoal (but marqué contre son camp, NDLR); les consommateurs américains paieront quatre fois plus pour les produits fabriqués aux États-Unis.
Un désastre pour le monde
L’arrêt des importations chinoises ramènerait-il les emplois aux pays? Fred Bergsten, du Peterson Institute for International Economics, à Washington, estime qu’un demi-million de places de travail pourraient être créées aux États-Unis si Pékin ne manipulait pas sa monnaie. Nancy Pelosi, la présidente du Congrès, a parlé d’un million.
Faux, rétorque Andy Xie, économiste chroniqueur au New Century Weekly de Pékin. Les nouvelles places de travail partiront dans d’autres pays à bas coûts de production. Dans les années 80, lorsque le Japon avait doublé la valeur du yuan par rapport au dollar, aucun emploi n’était revenu aux États-Unis.
Kevin Hasset, directeur des études de politiques économiques à l’American Enterprise Institute, un centre de réflexion et d’analyse conservateur, refuse de faire du géant asiatique un bouc émissaire. «S’en prendre à la Chine pourrait donner lieu à une guerre commerciale du même genre que celle dans les années 30. Une telle attitude ne serait qu’une distraction pour ne pas voir la réalité en face.» Comme Kevin Hasset, plusieurs économistes affirment que la perte de compétitivité est la source du mal américain.
Les faiblesses de l’économie américaine ne devraient pas pour autant cacher le fait que la politique monétaire chinoise pose problème. Le premier ministre de la République populaire, Wen Jiabao, l’a ouvertement admis lors du Sommet Europe-Chine cette semaine à Bruxelles. Il a reconnu qu’une réforme est nécessaire, mais que cela se fera pour servir d’abord les intérêts chinois. Une mesure brutale, selon lui, serait un désastre pour la Chine et pour le monde.
Et pour cause, l’économie chinoise dépend toujours trop des exportations. Celles-ci représentent près de 40% du produit intérieur brut. Une réévaluation rapide les ferait chuter, fermerait des centaines d’usines et jetterait des milliers d’ouvriers dans la rue. Sans sa politique d’exportation agressive, l’économie chinoise ne pourrait pas absorber les 15 millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Il y va de la stabilité sociale et politique de l’Empire du Milieu.
La Chine n’est pas réfractaire à modifier sa politique monétaire, mais veut aller à son propre rythme. La bonne nouvelle est qu’elle s’y prépare activement. Depuis une semaine, le yuan est échangé librement, en quantité limitée et de façon expérimentale sur la plate-forme électronique d’ICAP et de Thomson Reuters. Pékin teste sa volatilité dans un marché libre.