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samedi, 07 octobre 2023

Considérations sur la torture et la cruauté - Entre Nietzsche et Foucault

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Considérations sur la torture et la cruauté - Entre Nietzsche et Foucault

JOÃO FRANCO

Introduction 

Le choix du thème de cet essai s'explique par le regain d'intérêt pour la question du conditionnement des corps et le changement d'approche de la dialectique entre les corps et les esprits au cours des derniers siècles. Friedrich Nietzsche dans Généalogie de la morale, notamment dans le deuxième essai, fait une excellente genèse de la cruauté et de la torture, établissant des thèses originales sur leur origine. Michel Foucault s'inspirera de ce deuxième essai comme point de départ de son ouvrage Surveiller et punir, dans lequel il traite du passage du modèle de la torture à celui de la discipline, passage d'une action sur le corps à une action sur l'esprit. Dans ce travail, nous utiliserons non seulement le mot esprit, mais aussi d'autres mots comme mental ou même âme pour désigner la même chose.

couv69664492.jpgLa première partie de cet article se concentrera sur l'approche nietzschéenne de la question de la torture et de la cruauté, en se focalisant sur une genèse de la cruauté qui est faite de manière innovante par Nietzsche, avec un accent sur les mnémoniques, le concept de dette et les punitions physiques et cruelles. D'où vient la cruauté et comment a-t-elle été ensuite opprimée et cachée dans l'homme ?

Dans la deuxième partie, nous aborderons les deux premiers chapitres de Surveiller et punir, d'inspiration fortement nietzschéenne et qui touchent à un tournant historique, lorsque le pouvoir politique, alarmé par les résultats souvent contre-productifs des exécutions publiques, se lance dans de nouvelles formes de discipline, de surveillance et de punition. Qu'est-ce que la torture, comment et pourquoi passe-t-on de la torture au système carcéral ?

Pour conclure, la troisième et dernière partie proposera une brève considération générale des pensées de Nietzsche et de Foucault sur cette question, abordées dans les deux parties précédentes, dans le cadre plus global de ce thème de la dialectique entre les corps et les esprits, en mentionnant quelques autres auteurs pertinents.

La genèse de la cruauté dans Généalogie de la morale

Friedrich Nietzsche écrit Généalogie de la morale en réponse à deux de ses antagonistes : Schopenhauer et Paul Rée. Tous deux avaient inspiré Nietzsche à un stade précoce, surtout Schopenhauer avec son monumental Le monde comme volonté et représentation, qui avait conduit Nietzsche de la philologie à la philosophie, mais entre-temps, Nietzsche avait écarté les deux. L'ouvrage de Paul Rée de 1877, L'Origine des sensations morales, dont les titres et les thèmes (notamment le libre arbitre, la responsabilité et la punition) présentent des similitudes, constitue ainsi le point de départ de la réplique de Nietzsche, divisée en trois essais[1].

Nietzsche commence le deuxième essai de la Généalogie de la morale par quelques considérations sur la nature morale de l'homme, sur l'apparition de la conscience et sur ce qu'il considère comme l'un des principaux traits de l'être humain : être un animal qui peut faire des promesses[2]. Cette émergence du concept de responsabilité, qui va à l'encontre de la faculté d'oubli, est à l'origine de l'émergence de l'individu souverain, de l'homme qui peut promettre et à qui on peut faire confiance[3]. La morale, malgré tout, est pour Nietzsche une sorte de camisole de force sociale, qui va agir sur les instincts et les passions innés et les plus irrationnels, c'est-à-dire un élément de castration de la liberté humaine.

Pour Nietzsche, la conscience est un fruit tardif[4], qui provient de la création en l'homme d'une mémoire par une mnémotechnique appliquée avec un fer rouge[5]. C'est la terreur qui accompagne l'acte d'engagement, avec des sacrifices, des mutilations et des rituels sanglants. Il serait préférable que l'Homme, comme les autres animaux, conserve la faculté d'oublier.

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Friedrich Nietzsche énumère plusieurs tortures historiquement germaniques, telles que la lapidation, la roue, l'empalement, l'écartement et l'écrasement par des chevaux, l'immersion du condamné dans de l'huile ou du vin bouillants, l'écorchement, l'excision de la chair de la poitrine, l'exposition du malfaiteur au soleil brûlant et aux mouches après avoir été recouvert de miel[6]. Ils ont aidé à fixer dans l'esprit certaines idées, sur ce qui était permis et ce qui était interdit. "Derrière les bonnes choses, combien de sang, combien d'horreur", écrivait-il [7].

Mais où est donc l'origine de la conscience de culpabilité, de la mauvaise conscience ? Elle est associée à la notion de dette, à la punition comme compensation, étrangère à la liberté ou à la non-liberté de la volonté. Il s'agissait d'une punition pour la colère provoquée par une perte et on cherchait une équivalence avec la perte subie par le créancier. Ces relations transactionnelles entre créancier et débiteur sont à l'origine de la cruauté et de la punition. Le débiteur, pour renforcer la force de sa promesse, met en gage une chose qui sera perçue en cas de défaillance[8]. Toutes sortes d'humiliations et de tortures seront appliquées au corps du débiteur s'il ne paie pas ce qu'il doit. C'est ici qu'apparaît l'une des innovations de la pensée de Nietzsche, en plaçant la genèse de la cruauté à la naissance de l'économie et des transactions commerciales."...Au lieu d'un avantage qui compenserait directement la perte (donc au lieu d'une compensation en argent, en terre ou en tout autre bien), le créancier reçoit comme compensation et indemnité une sorte de satisfaction intérieure, la satisfaction de pouvoir, sans remords, exercer son pouvoir sur un impuissant (...) La joie de violer, plus bas dans l'échelle sociale est le créancier, qui connaît ainsi les délices de ceux qui commandent, de ceux qui détiennent le pouvoir.(...) Le droit à la cruauté, était quelque chose de consacré et que les créanciers n'hésitaient pas à revendiquer[9]. Cette préférence pour la compensation cruelle, part d'un postulat qui a duré longtemps, le postulat que le débiteur doit payer, mais avec son corps et non avec des biens matériels équivalents à ceux que le créancier n'a pas reçus et qui lui ont fait beaucoup plus plaisir.

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Nietzsche abordera ensuite le caractère festif de la cruauté et de la torture, quelque chose qui selon lui s'éloigne de plus en plus de l'homme moderne," ...n'est pas pour nos pessimistes qui s'ennuient dans la vie... [10]", écrit-il dans une critique de ses contemporains imprégnés du pessimisme schopenhauerien ou du nihilisme du désespoir provoqué par la mort de Dieu, qui conduit à la prise de conscience que rien n'a de sens, et il avance un peu plus loin :"Aujourd'hui, la souffrance est l'un des principaux arguments contre l'existence, mais il fut un temps où elle était une attraction de premier ordre, un authentique leurre qui séduisait à la vie.[11]" La cruauté était même la grande joie des communautés archaïques, et ce désir de violence et d'atrocité se manifestait de manière naturelle et insouciante, sans que le remords ou la conscience ne s'en mêlent. La cruauté a même été spiritualisée et déifiée, impliquant un nombre incalculable de divinités, certaines même créées à cet effet, dans diverses religions, pour lesquelles les rites cruels, les sacrifices humains, faisaient partie de la vie quotidienne et, en tant que tels, de la vie sociale et culturelle de la communauté. Et même les jours de fête, la cruauté était à l'ordre du jour :"Quoi qu'il en soit, il n'y a pas si longtemps encore, il était impossible d'imaginer des mariages royaux ou de grandes fêtes populaires qui n'intégraient pas d'exécutions publiques, de tortures ou, par exemple, d'autodafés...[12]" Sans cruauté il n'y avait pas de fête, c'était un plaisir particulier de voir souffrir et encore plus de faire souffrir les autres, et c'est pourquoi même la personne la plus humble n'abdiquerait pas ce plaisir si elle avait l'occasion d'en profiter, le préférant à la réception de biens équivalents aux dommages qui avaient été causés.

Nietzsche, grand admirateur de la culture grecque, par laquelle il a commencé son œuvre[13], remonte aux débuts de la civilisation européenne, une civilisation encore balbutiante, à la recherche de justifications. Les dieux seraient créés pour être les spectateurs de la cruauté la plus violente et la plus atroce. "Tout mal dont un dieu se nourrit en spectacle est justifié."[14] Même le grand Homère présentait les dieux comme des amateurs de spectacles cruels et violents. Contrairement au christianisme, que Nietzsche ne cesse de critiquer pour sa morale esclavagiste, et pour ce péché originel qui culpabilise chacun dès sa naissance, obligeant à une expiation permanente et peut-être éternelle, dans le monde grec, les hommes n'avaient pas leur destin à la merci d'un quelconque déterminisme castrateur, ils forgeaient le destin de leurs propres mains, ils créaient des peuples et des royaumes à partir de rien. La vie était une tragédie, la plus belle forme de théâtre, à la grecque. "Une pièce sur la scène du monde"[15] pour Nietzsche. L'idée d'un libre arbitre domine... il n'y avait pas de déterminisme qui épuisait la nouveauté du spectacle pour les dieux, ils ne savaient pas ce qui allait se passer, même si parfois ils essayaient aussi de participer à la pièce. Il s'agissait d'attentions envers le spectateur, qui devenait aussi acteur par moments.

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L'évolution des communautés archaïques, a donné lieu à de nouveaux types de connexions, a approfondi l'économie et l'idée que tout a son prix, tout peut être payé[16].  En ce qui concerne la communauté et ses membres, il existe également une relation de créancier à débiteur. C'est là qu'apparaît la figure du paria, poussé dans une existence d'isolement et de misère, comme celui qui fracture la communauté. Le banni se retrouve au même niveau que l'ennemi, il se retrouve dans le domaine de la guerre, qui est à ce moment-là un domaine sans loi, un domaine de cruauté et d'atrocité absolues. "À mesure que la communauté se renforce, les actes d'individus isolés ont moins d'importance et les lois pénales deviennent plus clémentes. Les prêteurs deviennent plus puissants et peuvent supporter des pertes plus importantes sans être affectés.[17]" Cette réalité conduit à un brouillage de la cruauté, ainsi que des sentiments réactifs et de la prise à cœur des offenses subies, les offensés jouant alors le rôle de juges, de jurés et de bourreaux, mus par des sentiments personnels de vengeance. La survie de la communauté n'est plus facilement mise en danger par les actions d'un individu ou d'un petit groupe d'individus, ce qui rend également les punitions moins sévères. L'émergence des lois, conduit à une appréciation de plus en plus impersonnelle et prétendument impartiale des faits, par un tiers sans intérêt direct dans l'affaire, le juge. Cela va à l'encontre des sentiments et des instincts de vengeance et de réaction impulsive aux infractions reçues et conduit les parties en litige à devoir se soumettre à une autorité extérieure et accepter son verdict.

Nietzsche affirme même que la répression de la volonté de vivre et de cette cruauté vengeresse qui a longtemps dominé la vie de l'homme est due à la conception d'unités politiques de plus en plus grandes qui exigeront des lois plus complexes, la capacité de les imposer, et de plus en plus à l'idée de concentrer le monopole de la violence sur l'État, quelle que soit sa forme, même naissante ou décentralisée : " Incidemment, il faut admettre quelque chose de plus grave encore : c'est que, du point de vue de la strate biologique la plus élevée, les états de justice, ne peuvent être que des états d'exception, en tant que restrictions partielles de la volonté réelle de vivre, orientée vers l'exercice du pouvoir, et ils doivent être subordonnés aux objectifs globaux de cette volonté, en tant que moyens particuliers qu'ils sont, à savoir destinés à permettre la création d'unités de pouvoir plus grandes[18]." Les formes impériales, comme l'Empire romain, exigeraient un contrôle beaucoup plus grand sur le peuple, la concentration de la justice et de la "vengeance" dans leurs propres organes et instruments.

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Quant à l'origine et à la finalité des punitions, elles n'avaient pas pour but d'éveiller chez le condamné un sentiment de culpabilité, mais plutôt de punir celui qui avait causé du tort aux autres ou à la communauté. Ce sentiment de mauvaise conscience n'apparaîtra que plus tard, et pour Nietzsche, comme quelque chose de profondément négatif. Jusqu'alors, le remords était rare chez les criminels et les détenus. La punition ne rendait pas les condamnés plus dociles et plus faciles à contrôler, mais au contraire plus durs et plus froids, d'autant plus que la Justice, au niveau de "œil pour œil et dent pour dent" pratiquait le même type d'actions que les criminels, sans aucun prurit de conscience et au milieu de l'approbation générale voire de l'acclamation. Nietzsche expose brillamment cette situation :"Pendant des millénaires, les malfaiteurs soumis au châtiment ont eu la même impression de leurs crimes que celle de Spinoza : "inopinément, quelque chose a mal tourné", et non "je n'aurais pas dû faire cela"..... Ils se sont soumis au châtiment comme ceux qui acceptent la maladie, la calamité ou la mort, avec le même fatalisme courageux, dénué de révolte, avec lequel, par exemple, aujourd'hui encore, les Russes disposent de leur vie, dans laquelle ils sont supérieurs à nous, Occidentaux. À cette époque, si l'on critiquait l'acte, c'était une critique exercée sur l'intelligence : il ne fait aucun doute que le véritable effet de la punition doit être recherché dans l'affinement de l'intelligence, dans la prolongation de la mémoire, dans la volonté d'agir à l'avenir avec plus de prudence, plus de secret et de méfiance, dans la compréhension qu'il y a beaucoup de choses pour lesquelles on est définitivement trop faible, c'est-à-dire dans une sorte de correction de l'évaluation que l'individu fait de ses capacités.[19]" Cela va à l'encontre de l'idée de Nietzsche selon laquelle le criminel est souvent un homme supérieur, mais placé dans une situation défavorable, et trouve des échos dans les idées de Foucault que nous verrons dans la deuxième partie de ce travail, car bien souvent, le peuple regardait l'homme torturé avec admiration, comme le type d'homme intelligent et courageux qui agissait contre les puissants, en de nombreuses occasions, prenant temporairement le dessus sur eux.

Ce n'est qu'avec la stabilité politique et sociale apportée par la solidification d'États consolidés et complexes, avec la construction de véritables sociétés qui imposent et maintiennent la paix, avec des codes législatifs élaborés et des mécanismes policiers et juridiques pour en assurer le respect, que la mauvaise conscience apparaît. Une chose d'une importance capitale apparaît également, selon Nietzsche, l'âme. Cette domestication de l'homme, désormais sédentaire, socialisé, privé de véritable liberté, sans ennemis sur lesquels exercer son besoin de cruauté et de violence, apparaît comme la cause d'une profonde maladie morale pour Nietzsche. Ce plaisir de la chasse, de la destruction et de la domination, retiré à l'Homme, le conduit, dans la conception nietzschéenne, à retourner ces instincts cruels sur lui-même, sur son moi intérieur, qui augmente de façon exponentielle et devient la proie de tous les tourments et tortures mentales, une souffrance plus profonde et plus significative que celles qui ont agi sur le corps. La citation suivante est peut-être l'un des extraits les plus emblématiques et les plus révélateurs de La Généalogie de la morale, raison pour laquelle nous transcrivons ce long et magistral passage : "Tous les instincts qui ne se libèrent pas vers l'extérieur se tournent vers l'intérieur : ce processus, je l'appelle l'intériorisation de l'homme. Ce n'est qu'avec lui que ce que l'on appellera plus tard "l'âme" commence à émerger dans l'homme. Tout le monde intérieur, qui était à l'origine aussi mince que s'il était comprimé entre deux épidermes, s'est développé et élargi, a gagné en profondeur, en largeur et en hauteur, à mesure que les décharges extérieures étaient limitées. Les redoutables remparts que l'organisation étatique a érigés pour se défendre contre les anciens instincts de liberté (et les punitions sont surtout un élément intégral de ces remparts) ont fait que tous ces instincts de l'homme sauvage, libre et nomade se sont retournés contre l'homme lui-même. L'hostilité, la cruauté, le plaisir de la persécution, de l'attaque, de la transformation, de la destruction, tout cela se retourne contre les possesseurs de ces mêmes instincts : voilà l'origine de la "mauvaise conscience". L'homme qui, faute d'ennemis et de facteurs de résistance extérieurs, faute d'être contraint dans l'étroitesse oppressante de la régularité des mœurs, se déchire impitoyablement, se poursuit, se ronge, se détruit et se maltraite, cet animal qu'on veut "apprivoiser" et qui se déchire contre les barreaux de la cage où on l'a mis.... cet animal qu'on veut "apprivoiser" et qui se déchire contre les barreaux de la cage dans laquelle on l'a mis, cet être à qui on a tout volé, qui est rongé par la nostalgie de son désert et qui se voit obligé de se transformer en aventure, en chambre de torture, en jungle insécurisée et dangereuse...., ce fou, ce prisonnier désireux et désespéré était l'inventeur de la "mauvaise conscience".[20]

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C'était quelque chose de nouveau, quelque chose d'inouï. Ce nouveau type de spectacle dans lequel l'homme cherche à l'intérieur de lui-même quelque chose à déchirer, dans cet intérieur où se déroulent désormais les événements les plus violents et les plus fascinants, comme un animal sauvage qui se jette contre les barreaux d'une cage qui est son intérieur et qui, en temps de crise, fait sauter le vernis de la civilisation et quitte la cage ou qui, en temps ordinaire, cherche le danger de la liberté dans une vie de crime ou d'excès, a également besoin d'un nouveau type de spectateur :" En fait, il fallait des spectateurs divins pour que l'on puisse apprécier le spectacle qui avait commencé et dont on ne peut prévoir la fin, même aujourd'hui... Un spectacle trop spécial, trop merveilleux et paradoxal pour qu'on le laisse se dérouler à l'aveuglette, sans qu'on le remarque, sur une planète ridicule ![21] C'était pour Nietzsche le spectacle suprême, la Terre comme scène et l'Humanité comme acteur, et un spectacle aussi grandiose, violent et hypnotique devait avoir des spectateurs à sa hauteur, des demi-dieux, des dieux et autres divinités plus, intéressés par le déroulement d'événements aussi tragiques, sur lesquels ils n'ont aucun contrôle et qui avaient besoin de nouveauté, de nouveaux sommets de souffrance, d'héroïsme, de passion, de violence, pour maintenir leur intérêt.

La mauvaise conscience apparaît alors au cours de l'évolution politique et sociale de l'Humanité non pas comme un progrès ou une adaptation, mais comme une fracture qui laisse une marque indélébile sur l'Humanité, désormais réduite au niveau d'un animal domestique, docile, aux ordres de son maître, apte à être modelé par ceux qui ont gardé intact leur instinct violent, ceux qui sont guidés par leur volonté de puissance comme une étoile polaire. Même la création de l'État présuppose un acte de violence contre ceux qui s'y soumettent, et à partir de là, les actes violents ne cessent jamais. Pour Nietzsche, c'est ainsi que le peuple émerge, ce qui n'est possible que parce que les gens ont été rendus malléables et donc également façonnés à cette fin[22]. Mais Nietzsche va plus loin et explicite ce qu'il entend par État :"J'ai utilisé le mot "État" et il est facile de voir ce que j'entends par là : une bande de bêtes blondes, une race de seigneurs et de conquérants qui, organisés pour la guerre et possédant la force d'organiser, plantent sans pitié leurs griffes redoutables dans une population peut-être largement supérieure en quantité, mais encore errante et informe. C'est ainsi que l'"État" naît dans le monde, et je suppose que cela met fin à l'idée visionnaire qui identifie son début avec un "contrat". Qui peut commander, qui est par nature "maître", qui porte la violence dans ses faits et gestes..., a besoin de contrats pour quoi faire ?[23]" La critique de nombreux théoriciens libéraux et philosophes politiques, tels que Thomas Hobbes, John Locke ou Jean-Jacques Rousseau, qui ont marqué une ère politique en Europe et dans le Nouveau Monde, est évidente ici. Certains d'entre eux ont eu une influence concrète sur deux événements majeurs, les révolutions française et américaine, qui ont porté un coup fatal à l'Ancien Régime.

Nietzsche fait ainsi l'éloge de ces"créateurs d'états"[24], artistes involontaires qui, sans être soumis aux concepts de culpabilité et de responsabilité, sont dominés par l'égoïsme de l'artiste, qui voit dans son œuvre sa justification devant l'éternité. La mauvaise conscience serait donc la répression de l'instinct de liberté, qui inclut la liberté d'être cruel, et la répression de cette liberté conduirait l'homme à exercer la cruauté sur lui-même, souvent en s'autodétruisant.

La chronique de la torture et sa disparition, selon Foucault

004527084.jpgMichel Foucault a reçu de nombreuses influences dans son travail, non seulement de Nietzsche mais aussi de Heidegger, et sa philosophie est assez originale en unissant ce domaine à d'autres sciences sociales comme l'histoire, la psychologie, le droit ou la médecine[25].

Les disciplines, notamment dans le contexte du système carcéral, les pouvoirs disciplinaires dans le conditionnement spatial du corps, les réseaux carcéraux, de la colonie pénitentiaire de type agricole, à la prison cellulaire, au panopticon bénédictin, ou à la maison de correction pour mineurs, sont au cœur de Surveiller et punir. Mais aux mains des autorités, le complexe disciplinaire est beaucoup plus polyvalent et va beaucoup plus loin : casernes, écoles, hôpitaux, hospices, sont également intégrés, selon Foucault, dans la logique de la surveillance, de la punition et du formatage[26].

Foucault commence Surveiller et punir par une description vivante de la torture, suivie de l'exécution sur quatre chevaux, de Damiens, qui avait tenté un régicide en France et avait été condamné en 1757. En revanche, suit une description de l'emploi du temps quotidien d'une prison, la Maison des jeunes détenus de Paris,[27] quelques décennies plus tard. La punition de Damiens a été particulièrement cruelle et violente car le régicide était le plus grave de tous les crimes. Sa mort a donc été lente, agonisante et même après sa mort, son corps a été brûlé et ses cendres dispersées. Dans l'autre cas, celui de la prison pour jeunes, les corps sont soigneusement limités dans leurs mouvements, et l'esprit soumis à des horaires serrés, qui sont méticuleusement respectés afin de créer un conditionnement chez les détenus.

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Les tortures, comme nous l'avons vu plus haut, agissent sur le corps même après la mort du supplicié. Il était courant d'exposer le corps sur des piliers, au bord des routes, de le traîner dans les rues, de le brûler et de disperser ses cendres, à une époque où cela n'était pas courant dans les sociétés européennes (les enterrements avaient lieu dans les églises et plus tard dans les cimetières). Cette exposition avait un rôle prophylactique, car elle servait à dissuader et à imprimer dans la mémoire du peuple le prix que devaient payer ceux qui défiaient le pouvoir souverain et absolu du roi, dans une similitude avec la mnémotechnique de Nietzsche du fer rouge, qui crée chez l'Homme le souvenir et la responsabilité de tenir ses promesses. Derrière la torture se cache une légitimation politique du pouvoir du souverain et une politique de contrôle des masses basée sur la peur. La concentration de la violence sur les corps permettrait de sauver les âmes qui étaient à l'époque considérées comme plus importantes que les corps.

Selon Foucault, il y a eu un rôle de l'atelier, de l'usine, bref de la révolution industrielle dans le passage de la torture aux institutions disciplinaires. Le corps n'est plus la cible principale des punitions, l'action sur le corps existe toujours, mais elle est secondaire, la cible est quelque chose d'immatériel, de plus intime et de plus profond, et elle est effectuée dans le but de transformer le caractère des prisonniers, ou de créer des travailleurs efficaces capables de se conformer aux horaires, dans des positions souvent inconfortables ou en effectuant des mouvements répétitifs. Les punitions sur le corps deviennent plus voilées, le corps et le sang sont cachés à l'aide de crêpes, de capuches ou de vêtements amples[28].

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Des mesures de sécurité pour les personnes inaptes ont également été mises en place, selon des méthodes beaucoup plus strictes et scientifiques. Outre les criminels, intégrés dans les nouveaux réseaux de structures pénitentiaires, un réseau d'asiles, d'hospices et de maisons de repos a vu le jour pour l'internement des personnes inaptes, détenues manifestement contre leur gré et dans la plupart des cas sans aucun trouble clinique, ou soumises à des expériences scientifiquement justifiées. Il s'agissait de personnes devenues gênantes, souvent pour leur propre famille, et qui ont été longtemps privées de tout droit, traitées de manière compulsive avec des bains froids, des sédatifs, des coups ou même des chocs électriques. Il s'agissait d'un système pénitentiaire en marge du système pénal et, contrairement au premier, il était fondé sur un arbitraire beaucoup plus grand, souvent à la discrétion de la famille ou de médecins facilement soudoyés.

L'emprisonnement est devenu un élément commun et fondamental du système pénal, contrôlant la vie quotidienne comme une forme de formation à des fins économiques. Il faut se souvenir du rôle de l'École et de son importance dans la formation des futurs ouvriers des usines nées de la révolution industrielle, mais aussi de la Caserne, de l'Hôpital et de la Prison comme action sur la capacité de résistance politique des citoyens, leur apprenant à suivre les ordres sans les contester. Cette technologie politique du corps repose sur une microphysique du pouvoir, qui agit individuellement sur chacun, façonnant les consciences et les corps, dans un perfectionnement du processus de construction de l'État déjà illustré par Nietzsche et qui agit toujours et de plus en plus dans le sens d'une limitation des libertés individuelles.

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Les emplois du temps sont nés dans les communautés monastiques, particulièrement actives à l'époque médiévale, puis se sont répandus dans le reste de la population au sein des disciplines. Auparavant, de nombreuses personnes n'étaient gouvernées que par le lever et le coucher du jour, qui variaient en fonction des saisons, et les horloges étaient absentes de la vie des citoyens ordinaires. La conjonction des horaires avec le système des prisons cellulaires avait pour but d'agir non seulement sur l'espace, mais aussi sur le temps. La prison est devenue un lieu de rééducation, un lieu d'isolement cellulaire, pour mieux agir sur l'esprit des détenus, en utilisant même des tranquillisants si nécessaire et d'autres drogues. L'émergence d'une pharmacopée moderne, et son rôle dans la docilisation des éléments criminels et inadaptés, ferait l'objet d'une étude approfondie à part entière, sans parler des méthodes chirurgicales qui verront le jour, comme la tristement célèbre lobotomie.

Dans cette émergence du système carcéral, il faut noter le panoptisme, une idée de Jeremy Bentham, une disposition circulaire de la prison, dans laquelle toutes les cellules s'ouvrent sur une cour centrale, où depuis une tour un gardien peut voir n'importe laquelle d'entre elles sans être vu. Ainsi, les prisonniers ne savent jamais si, à un moment donné, ils sont surveillés ou non par le gardien. Cela renforce l'idée d'un contrôle absolu sur les prisonniers, tout en épargnant à l'État la nécessité d'engager un grand nombre de gardes pour surveiller l'intérieur des prisons.

Les juges, qui, à l'époque de la torture, dirigeaient l'ensemble du processus, sans que le prisonnier n'y participe, puisqu'il n'apparaissait au procès que pour arracher des aveux ou lire la sentence, ont commencé à être assistés par d'autres spécialistes. Il ne s'agit plus de punir le corps, dont un criminel peut facilement sortir, comme un chien qui se secoue après un coup de pied, mais d'agir sur l'esprit et le caractère dans une véritable orthopédie morale et psychique (Peter Sloterdijk parle aussi de ce genre d'orthopédie, pour redresser non pas les os, mais l'esprit et le caractère).

Nous avons déjà vu plus haut que la poursuite des châtiments physiques tels que la peine de mort n'a pas pris fin, mais s'est humanisée à l'infini. C'était la fin des mille morts. Autrefois, la torture devait prolonger la mort et le torturé devait mourir mille fois dans la plus grande souffrance, mais aujourd'hui, l'objectif est d'avoir une mort rapide et discrète, qui épargne au condamné et aux personnes qui assistent invariablement aux exécutions des souffrances ou des images inutiles. Monsieur Guillotin a inventé l'appareil d'exécution qui porte son nom et qui permet une exécution rapide et efficace, ce que souhaitait son inventeur, et qui était utilisé assez fréquemment à la fin du XVIIIe siècle. On estime que pendant la période la plus violente de la Révolution française, entre 1793 et 1795, environ quinze mille personnes ont été tuées sur la guillotine, qui restait une méthode d'exécution habituelle. La dernière mort par guillotine a eu lieu en 1977.

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Entre 1830-1848, selon Foucault, on assiste à une disparition progressive de la torture en France, mais aussi dans la plupart des pays européens, certains pays comme l'Angleterre, la Prusse ou la Russie conservant certains châtiments corporels, comme la flagellation, et la peine de mort, lorsqu'elle persiste, fait l'objet de modifications afin d'être une exécution rapide, scientifique et efficace, sans souffrance considérée comme n'étant plus nécessaire et une marque d'un passé que le monde moderne veut en partie oublier.

Dans le deuxième chapitre de son ouvrage, Surveiller et punir, Foucault examine de plus près la torture, ses détails et ses gradations, les processus pénaux et les changements qui ont conduit de la torture au système pénitentiaire. À l'époque, avant le système pénitentiaire, la plupart des peines étaient des bannissements ou des amendes, les peines capitales, qui impliquaient la torture, représentaient entre 9 et 10 %, mais en raison de leur caractère public et de la publicité s'y rapportant, même avec l'exposition des condamnés et de leurs cadavres, elles avaient un grand impact sur la société.

Mais qu'est-ce que la torture après tout ? Selon Foucault, "la punition est une technique et ne doit pas être comparée aux extrêmes d'une rage sans loi. Une punition, pour être une torture, doit obéir à trois critères principaux : d'abord, produire une certaine quantité de souffrance que l'on peut, sinon mesurer exactement, du moins apprécier, comparer et hiérarchiser. La mort est un supplice dans la mesure où elle n'est pas simplement la privation du droit de vivre, mais l'occasion et la fin ultime d'une graduation calculée de souffrances : de la décapitation - qui réduit toutes les souffrances à un seul geste et en un seul instant : le degré zéro de la torture - à l'écartèlement qui les porte presque à l'infini, en passant par la pendaison, le bûcher et la roue, dans lesquels on agonise longtemps. La mort-suplice est l'art de conserver la vie dans la souffrance, de la subdiviser en "mille morts" et d'obtenir, avant que l'existence cesse, les agonies les plus exquises. La torture repose sur l'art quantitatif de la souffrance.[29]" Comme nous pouvons le constater, il s'agit d'une technique aux règles très précises et il existait même une gradation très détaillée des souffrances et des manuels pour sa mise en œuvre.

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Nous avons déjà noté que les prisons, mais aussi les écoles, les casernes, les hôpitaux et les hospices faisaient non seulement partie du système des disciplines, qui commençait par la formation des enfants et se poursuivait tout au long de la vie du citoyen[30]. La prison a adopté le modèle cellulaire, un modèle qui agit plus efficacement sur les esprits et établit un espace strict et rigide pour le corps. En isolement, le détenu avait le temps de réfléchir à ses crimes et de parfaire son caractère, sans profiter de la compagnie des autres prisonniers, la solitude étant une des armes supplémentaires utilisées par les autorités pour "briser" les prisonniers. Outre les cellules individuelles, un isolement encore plus strict, empêchant tout contact avec d'autres personnes, parfois pendant des périodes prolongées, a contribué à exercer une pression accrue sur les détenus, laissant souvent des séquelles physiques et psychologiques.

Dans le contexte des condamnations et des tortures ultérieures, les aveux du prisonnier jouent un rôle important. D'une part, l'accusé jurait de dire la vérité, sous peine de commettre un parjure, et d'autre part, la torture était une pratique courante pour faire avouer ses actes à l'accusé. Mais pendant longtemps, si l'accusé résistait à la torture sans avouer, il était considéré comme innocent, un héritage de l'ordalie médiévale. Plus tard, cela a cessé d'être simple s'il existait d'autres preuves ou témoignages pouvant être utilisés contre le suspect. En fait, le simple fait d'être accusé était déjà quelque chose de criminel, il n'aurait pas été accusé s'il n'avait rien fait. La question était de connaître le degré de culpabilité, c'était l'attitude générale envers les personnes accusées de crimes. La torture prend ainsi un caractère fortement théâtral, dans lequel le torturé joue également un rôle, avec diverses actions qui lui sont assignées au cours de la torture.

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Foucault, à propos de la torture, la qualifie même de" Théâtre de l'enfer, le corps est condamné, l'âme doit être sauvée[31]" . Le corps pouvait recevoir tous les châtiments, les tortures et les douleurs, mais il était important que l'âme soit sauvée par le repentir et la confession avant le dernier moment. Malgré cela, certains condamnés injuriaient, crachaient et blasphémaient jusqu'au bout, dans une hystérie justifiée par l'horreur dans laquelle ils étaient plongés, tandis que d'autres faisaient stoïquement face à leur destin, suscitant l'admiration de la population qui assistait invariablement à ce spectacle grotesque et finissait souvent par demander la libération des condamnés. Comme nous le verrons plus loin, le rôle que la population a joué et le parti qu'elle a souvent pris dans ces exécutions publiques et ces tortures a été un facteur décisif dans le changement de paradigme du modèle de la torture au modèle de l'incarcération.

9782729841799_1_75.jpgJudith Revel, dans son glossaire foucaldien,[32] fait également mention du corps et de l'investissement politique qui en est fait, dans le cadre du passage du corps de réceptacle de punitions, souvent pour tirer profit de l'âme, à un système de réclusion où l'intention était de... par des méthodes scientifiques bien étudiées pour corriger avant tout l'esprit et le caractère, agissant ainsi indirectement sur les corps, qui subissent également les effets de l'isolement, d'un emploi du temps rigide et d'une restriction physique marquée par le modèle cellulaire des prisons ou par le tristement célèbre panopticon de Jeremy Bentham. Le concept de discipline associé à cette modalité pénale développée entre le 18ème et le 19ème siècle a également été abordé et selon elle, "le régime disciplinaire se caractérise par un certain nombre de techniques de coercition qui exercent un contrôle systématique du temps, de l'espace et des mouvements des individus et qui affectent particulièrement les attitudes, les gestes, les corps..."[33].

Les tortures et les exécutions prennent l'aspect d'une liturgie pénale mais aussi politique. Il s'agissait d'une domination par la peur du peuple, la présence et le pouvoir du roi étant au cœur des tortures et des exécutions. Le peuple, en tant que témoin du châtiment, était également l'objet d'une intimidation de la part du pouvoir, en l'occurrence un pouvoir monarchique absolu. Mais il a aussi participé : insultes, crachats, ou même vengeance physique sur le condamné s'ils le laissent faire, parfois. D'autre part, il y eut aussi une révolte du peuple contre certaines sentences et des tentatives de libération des condamnés. Il s'agissait d'une solidarité du peuple avec les petits délinquants, tels que les mendiants, les petits voleurs et autres, qui subissaient des peines sévères. Il y avait souvent un aspect de carnaval, d'expiation collective de la culpabilité dans ces épreuves publiques, toujours bondées de monde, où l'on mangeait et buvait comme à un festin et auxquelles participaient des enfants jusqu'aux personnes âgées.

Dans le sens inverse, lorsque le peuple ne croyait pas à la justice de la peine infligée, il fallait déployer suffisamment de soldats pour tenir le peuple à distance et veiller à l'exécution de la sentence, car il est arrivé que les quelques soldats déployés en raison d'une mauvaise évaluation de la situation soient submergés par le peuple et que le bourreau et ses aides soient tués par la colère populaire et que les condamnés soient emmenés dans un endroit incertain ou cachés pour échapper à l'exécution. Parfois, la révolte populaire, bien que localisée, a conduit à des soulèvements violents, avec des actes de vandalisme, des pillages et des actions contre les autorités publiques. L'accentuation de ces situations a été l'un des facteurs qui ont conduit à la fin des supplices, elles avaient le pouvoir d'enflammer le peuple et les monarchies absolues avaient déjà leurs propres problèmes, elles étaient remises en question par un nombre croissant de penseurs et par une bourgeoisie mécontente qui voulait participer au partage du pouvoir, exigeant de profondes réformes politiques.

1008409-Michel_Foucault.jpgComme nous le dit Foucault : "Dans toute infraction, il y a un crimen majestatis, et dans le plus petit des criminels un petit régicide potentiel. Et le régicide, à son tour, n'est ni plus ni moins que le criminel total et absolu, car au lieu d'attaquer, comme tout délinquant, une décision ou une volonté particulière du pouvoir souverain, il attaque le principe dans la personne physique du prince. La punition du régicide devrait être la somme de toutes les tortures possibles.[34]" D'où tout le spectacle violent, rituel et progressiste autour du corps de Damiens, coupable du crime le plus grave qui soit.

Le bourreau était un peu comme le champion du roi. Il représentait le roi, qui ne pouvait pas se salir les mains dans le processus de la torture et dans l'application du coup de grâce, mais qui était représenté par le bourreau, qui avait une obligation lugubre mais nécessaire. En faisant payer un crime par une violence égale ou supérieure, le bourreau était souvent persécuté par le peuple, voire tué, surtout si les peines étaient injustes ou excessives. Rappelons que, souvent, les membres du clergé ou de la noblesse échappaient à leurs crimes avec des peines légères, tandis que les crimes commis par des éléments du peuple étaient plus sévèrement punis, même comme moyen de contrôler et de prévenir les bouleversements politiques et sociaux. Le roi pouvait suspendre l'exécution et le faisait parfois lorsqu'il voyait qu'il avait quelque chose à y gagner, ou lorsque les manifestations populaires étaient très fortes et que le roi voulait s'attirer la sympathie du peuple. Au fil du temps, le bourreau a commencé à agir de manière anonyme, encapuchonné, pour se protéger d'une éventuelle colère populaire. Nous trouvons ici un lien entre ce qu'Agamben écrira plus tard sur les deux corps du roi, l'un mystique et perpétuel et l'autre physique, et aussi comment l'attentat contre la vie et le corps du roi a été le plus grand crime de tous[35]. Le crime contre le roi est entré dans une catégorie à part, le régicide, très éloigné de l'homicide ordinaire, comme le crime le plus terrible de tous[36].

Le changement observé dans le dernier quart du 18ème siècle et au début du 19ème siècle est également lié au triomphe des Lumières, des idées libérales et démocratiques, les nouvelles institutions qui ont émergé après la chute de l'Absolutisme, ne voulaient pas punir par des atrocités les atrocités commises par les criminels. La peine de mort continue d'exister, mais elle est appliquée d'une manière différente et humanisée. La torture n'est plus associée aux exécutions, mais à un nouveau paradigme de conditionnement mental et corporel.

La dialectique entre le corps et l'esprit comme question d'actualité

De ce qui précède, nous pouvons affirmer que l'établissement de l'État en tant qu'entité politique complexe, qu'il s'agisse d'un royaume féodal, d'une république ou même d'un empire, a apporté avec lui la mauvaise conscience, et cette focalisation sur l'intérieur qui, selon Nietzsche, donne naissance à la dimension de l'âme. Si dans l'Antiquité, le corps était considéré de manière naturelle, que ce soit dans la dimension de la punition et de la cruauté, mais aussi dans celle de l'amour et de l'érotisme, le passage de l'Antiquité au Moyen Âge, l'avènement de la vie monastique et l'intériorisation de la morale chrétienne sont venus conditionner le corps de manière beaucoup plus étroite qu'auparavant. La chair devenait quelque chose d'intrinsèquement mauvais, il fallait agir sur elle pour la soumettre, en élevant en même temps l'esprit, qui émergeait ou ré-émergeait avec une grande force dans le monde européen, fruit d'un conditionnement politique et social plus étroit, puisque l'Empire romain avait été suivi par une myriade de royaumes et d'autres domaines de possession territoriale féodale, comme les duchés et les comtés, qui agissaient sur le peuple de manière beaucoup plus étroite.

9782707192370.jpgIl s'agissait d'une exacerbation de l'esprit, reléguant le corps au domaine du mal, de l'impureté, de la souffrance et de la dissimulation. Rappelons que les horaires, comme l'a bien expliqué Foucault, trouvent leur origine dans le domaine monastique, qui malgré ce grand déséquilibre entre le corps et l'esprit, était presque une oasis dans le monde violent, cruel et mortel de l'Europe médiévale, dans lequel les guerres et la violence, la faim et la maladie faisaient des ravages et où la mort était une présence constante. La vie en isolement et de contemplation, que ce soit dans des régions sauvages comme les montagnes ou les déserts, ou dans des monastères aux murs solides, dans une victoire temporaire de l'esprit ascétique que Nietzsche esquisse dans la troisième partie de Généalogie de la morale, contraste avec la vie mondaine d'action et de mouvement, souvent sujette aux tentations et aux déviations de la conduite jugée appropriée pour un chrétien.

À la fin du VIe siècle, la publication officielle d'une liste des péchés capitaux par le pape Grégoire Ier en fait une recommandation pour tous les chrétiens et conduit à une plus grande vigilance de la communauté envers les croyants et de chaque individu envers lui-même. Des peintres renommés comme Hieronymus Bosch ont consacré une grande partie de leur travail à dresser la liste des péchés et des châtiments que les pécheurs recevraient en enfer. La peinture et la sculpture sont apparues comme une prophylaxie du comportement pécheur, exposées dans les églises et les cathédrales pour l'édification du peuple.

Les phénomènes qui ont conduit à la Révolution française et le changement conséquent du paysage politique et social européen et nord-américain, créé par les mauvaises conditions de vie d'un peuple exploité qui vivait le plus souvent dans la misère et par une bourgeoisie qui continuait à accroître sa richesse, bien qu'elle restât largement exclue du partage du pouvoir, ont fait naître de nouveaux principes de philosophie politique de type libéral, qui, en matière religieuse, prônaient la laïcité, l'extinction des ordres religieux, la confiscation des biens de l'Église, entre autres options qui allaient parfois jusqu'à l'athéisme. Ce phénomène d'athéisme, combiné à un pessimisme omniprésent, donnera naissance, selon Nietzsche, au nihilisme, l'ennui de vivre qui imprègnera la société européenne à partir du XIXe siècle.

Avec la perte d'influence de l'Église, une ère de revalorisation du corps a commencé, d'où également la perception de son importance croissante et l'impact de la torture. Alors que le corps retrouvait une partie de l'importance et de la liberté qu'il avait dans l'Antiquité, la répulsion à l'égard des châtiments corporels, et notamment de la torture, s'est également accrue. Cela ne veut pas dire que les courants et mouvements puritains n'ont pas subsisté ou émergé, comme dans l'Angleterre victorienne, par exemple. Ce changement de paradigme a rendu beaucoup plus acceptable le fait d'agir selon l'esprit plutôt que selon la chair. Nietzsche est l'un des philosophes qui, le premier, s'est penché sur l'importance du corps, en tant que philosophe de l'action et philosophie en mouvement, abandonnant le modèle du philosophe enfermé dans son bureau, le modèle du philosophe contemplatif qui avait dominé le Moyen Âge, au profit du philosophe qui vit dans le monde et écrit sur ce qu'il vit. Dans son empressement à vivre selon ses maximes, à la limite, Nietzsche a terminé sa carrière en serrant le cou d'un cheval à Turin.

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Le refoulement de la cruauté, dont parle Nietzsche, a conduit à l'élargissement du forum intérieur de l'homme et à l'apparition à grande échelle des névroses et de certains types de maladies psychiatriques dont le monde souffre beaucoup aujourd'hui et que Freud et Jung ont commencé à analyser systématiquement au début du XXe siècle, ouvrant à la médecine au sens large la voie vers l'intérieur impalpable de l'homme.

Le XXe siècle a connu une évolution encore plus favorable vers la libération du corps, mais en tombant dans l'excès du signe opposé qui avait enveloppé le Moyen Âge, plongeant souvent dans un matérialisme et un consumérisme effrénés, tandis que le processus de contrôle de l'être humain se développait, agissant de plus en plus sur cette "âme" tombée en désuétude, voire en disgrâce. En plus de Foucault, qui s'est consacré à l'étude des corps, nous pouvons souligner d'autres noms comme Giorgio Agamben ou Maurice Merleau-Ponty (bien que ce dernier soit dans une perspective très différente).

merleau-ponty.jpgMerleau-Ponty, qui a été fortement influencé par Husserl et Heidegger, met en évidence le rôle du corps dans son rôle d'expression et de perception, les gestes apparaissent comme une construction du réel, comme un être au monde, dans le cadre de ses travaux dans le domaine de la phénoménologie et de l'existentialisme. Ses théories sur l'art et sa conception de l'espace profondément liée au corps lui-même sont également intéressantes[37].

Agamben concentre une partie de son attention sur la question de la pornographie dans le monde contemporain, associée au concept de profanation[38]. Dans le monde d'aujourd'hui, nous vivons des situations aux deux extrêmes, le culte du corps associé au désir de jeunesse éternelle et à des sports tels que le bodybuilding. D'autre part, on assiste à une banalisation de l'exposition des corps qui s'éloigne de l'exposition associée à l'art classique et relève davantage d'une exposition forcée, souvent à des fins commerciales. Le concept d'âme a été pratiquement expurgé, en raison des connotations historiques auxquelles il a été associé. D'autre part, l'action des institutions sur l'esprit n'a jamais été aussi forte, dans une tentative de conditionnement qui commence de plus en plus tôt, avec les crèches et les garderies qui agissent sur l'esprit des enfants et la virtualisation de la vie contemporaine, dans un simulacre de réalité, qui laisse un vide dans l'être humain. Pour le reste, nous n'avons pas encore réussi à atteindre un équilibre sain entre l'esprit et le corps, à la manière du Romain Juvénal, et nous alternons depuis des siècles entre deux extrêmes.

Conclusion

Nous pouvons conclure que Foucault s'inspire de Nietzsche pour résumer la situation de la torture en France dans les premiers chapitres de Surveiller et punir comme un contraste avec ce qui suit, le passage du régime de la torture à celui de l'incarcération. Les autorités ont cessé d'agir sur les corps, en raison d'une série d'inconvénients que nous avons déjà mentionnés plus haut, et ont commencé à agir sur l'esprit, en assumant un conditionnement non seulement spatial et physique mais aussi psychique, en réglementant la vie quotidienne des détenus jusque dans les moindres détails. La transition s'est faite vers quelque chose que l'on pourrait qualifier d'orthopédie morale, un terme récupéré plus tard par Sloterdijk, un type d'orthopédie visant à redresser non pas les os, mais l'esprit et le caractère.

Dans la première partie de l'article, nous avons vu comment Nietzsche construit une généalogie de la torture et de la cruauté et présente la thèse novatrice selon laquelle celles-ci sont liées au concept de dette, mais aussi comment naissent la mauvaise conscience et l'âme.

Dans la deuxième partie, l'accent a été mis sur l'ouvrage Surveiller et punir et sur la manière dont Foucault relate les événements et les phénomènes qui ont conduit de l'ère de la torture à celle du système carcéral. Nous avons vu comment des facteurs économiques, politiques et sociaux ont conduit à l'abandon d'un système pour faire place à un nouveau.

Dans la troisième partie de ce bref essai, nous avons exploré de manière plus dynamique les confluences entre ces deux penseurs, en nous appuyant également sur plusieurs autres noms pour approfondir la question du passage d'une focalisation sur le corps à l'esprit dans la punition moderne et la dialectique entre ces deux concepts.

Notes bibliographiques

Homo-Sacer-1997-2015.jpgAGAMBEN, Giorgio, Homo Sacer - O poder soberano e a vida nua I , Éditeur UFMG, Belo Horizonte, 2007.

AGAMBEN, Giorgio, Profanações , Livros Cotovia, Lisbonne, 2006.

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FOUCAULT, Michel, Surveiller et punir - Naissance de la prison, 20e édition, Editora Vozes, Petrópolis, 1999.

GUTTING, Gary (Ed.), The Cambridge Companion to Foucault, Cambridge University Press, Cambridge, 2005.

JANAWAY, Christopher, "Naturalism and Genealogy", in PEARSON, Keith Ansell (Ed.), A Companion to Nietzsche, Blackwell Publishing, Oxford, 2006.

NIETZSCHE, Friedrich, Généalogie de la morale, Relógio D'Água, Lisbonne, 2000.

REVEL, Judith, Foucault - concepts essentiels , Claraluz, São Carlos (SP), 2005.

Notes:

[1]

                        [1] Voir Christopher Janaway, "Naturalism and Genealogy", in Keith Ansell Pearson, Keith Ansell (Ed.), A Companion to Nietzsche, Blackwell Publishing, Oxford, 2006, pp. 353 et suivantes.

[2]

                        [2] Cf. Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, Relógio d' Água, Lisbonne, 2000, p.59.

[3]

                        [3] Voir Friedrich Nietzsche, op. cit, p. 60 et suivantes.

[4]

                        [4] Idem, p.63.

[5]

                        [5] Idem, p.64.

[6]

                        [6] Idem, pp. 65, 66.

[7]

                        [7] Idem, ibid.

[8]

                        [8] Voir Friedrich Nietzsche, op. cit. p. 67 et 68.

[9]

                        [9] Idem, p. 69 et 70.

[10]

                        [10] Idem, p.72.

[11]

                        [11] Idem, p.73.

[12]

                        [12] Idem, pp.71, 72.

[13]

                        [13] Nous faisons ici référence à La naissance de la tragédie, l'une de ses premières œuvres.

[14]

                        [14] Cf. Friedrich Nietzsche, op. cit.

[15]

                        [15] Idem, ibid.

[16]

                        [16] Cf. Friedrich Nietzsche, op. cit.

[17]

                        [17] Idem, p.79.

[18]

                        [18] Idem, p. 85.

[19]

                        [19] Idem, p. 95.

[20]

                        [20] Idem, pp. 97,98.

[21]

                        [21] Idem, p. 98.

[22]

                        [22] Cf. Friedrich Nietzsche, op. cit.

[23]

                        [23] Idem, ibid.

[24]

                        [24] Idem, p.101.

[25]

                        [25] Voir Gary Gutting (Ed.), The Cambridge Companion to Foucault, Cambridge University Press, Cambridge, 2005.

[26]

                        [26] Felix Driver, "Bodies in Space-Foucault's account of disciplinary power", in Colin Jones and Roy Porter, (Eds.), Reassessing Foucault - Power, Medicine and the Body, Routledge, London, 1994, pp. 113 ff.

[27]

                        [27] Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison , 20e édition, Editora Vozes, Petrópolis, 1999, p.10.

[28]

                        [28] Idem, p.21.

[29]

                        [29] Idem, p.38.

[30]

                        [30] Idem, p.41.

[31]

                        [31] Idem, p.64.

[32]

                        [32] Cf. Judith Revel, Foucault - conceitos essenciais , Claraluz, São Carlos (SP), 2005, pp. 31 et suivantes et 35 et suivantes.

[33]

                        [33] Judith Revel, op.cit.

[34]

                        [34] Michel Foucault, op. cit.

[35]

                        [35] Giorgio Agamben, Homo Sacer - O poder soberano e a vida nua I , Editora UFMG, Belo Horizonte, 2007, p.100.

[36]

                        [36] Idem, p. 109.

[37]

                        [37] Cf. Taylor Carman et Mark B. N. Hansen, (Eds.), The Cambridge Companion to Merleau-Ponty, Cambridge University Press, Cambridge, 2005.

[38]

                        [38] Cf. Giorgio Agamben, Profanações, Livros Cotovia, Lisbonne, 2006.

samedi, 12 août 2023

Michel Foucault et le progrès de la surveillance dans notre monde moderne

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Michel Foucault et le progrès de la surveillance dans notre monde moderne

Nicolas Bonnal

Plus personne ne conteste que nous vivons dans des sociétés de vigilance et de surveillance. Le pouvoir bienveillant, tutélaire et doux peut désormais tout contrôler avec les progrès de la technologie et le déclin de la réactivité des populations. Le terrorisme, la dette ou la Russie serviront de croquemitaine. Bernanos écrivait en 1945 :

« Aujourd’hui l’exception est devenue la règle, la Démocratie mobilise tout, hommes, femmes, enfants, animaux et machines, sans même nous demander de trinquer à sa santé. »

Évoquons Michel Foucault. On le prend pour le maître à penser de tous ceux qui au pouvoir achèvent de replâtrer notre société. En réalité, en le relisant, je me rends compte qu’il est possible sans se forcer de faire une lecture guénonienne et traditionaliste de Foucault – comme on peut en faire une de Nietzsche ou même de Karl Marx quand il décrit l’apparition du capitalisme et la progressive et monstrueuse destruction du libre paysan d’Angleterre (Capital, I, 6). Foucault a très bien décrit la monstruosité moderne en marche à partir de la fin du Moyen-Âge par exemple, ce que nos profs et experts appellent eux "les Lumières". Son texte résonne curieusement quand il évoque le Moyen-Âge, âge définitivement plus libre que nos temps modernes. Pensez au grand critique soviétique Bakhtine et à sa relecture révolutionnaire/traditionnelle de Rabelais par exemple.

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On l’écoute et on le relit un peu mieux alors (Surveiller et punir, surtout) :

« Les Lumières, qui ont découvert les libertés, ont également inventé les disciplines. »

Foucault prend le contre-pied de Debord (la Société du Spectacle… et évoque une société moderne post-spectaculaire fondée sur des techniques et des technologies du contrôle humain :

« La punition a cessé peu à peu d’être théâtre. Et tout ce qu’il pourrait prendre avec lui comme un spectacle sera affecté par un indice négatif. »

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Il écrit le rôle des couvents baroques (comme il a raison), des casernes et des hôpitaux dans cette gestation de notre monde sinistre où il faut, disait une sage dame, périr en symétrie. Il souligne le rôle de la Réforme et des armées protestantes :

« La grande discipline militaire a été formée, dans les armées protestantes de Maurice d’Orange et Gustave-Adolphe (dessin), à travers un rythme qui a été souligné par les exercices de piété ; l’existence dans l’armée doit avoir, dit plus tard Boussanelle, ‘des perfections du cloître lui-même’. »

Pensons aux automates de Kleist. On progressa alors, on fit des manœuvres, des pas, des exercices. Et des danses aussi, dont se moquent Montesquieu, Pouchkine et Molière :

« L’acte est décomposé en ses éléments ; la position du corps, des membres, des articulations est définie ; à chaque mouvement est assigné une adresse, une amplitude, une durée ; son ordre de succession est prescrit. Le temps pénètre dans le corps, et avec lui toutes les minutieuses commandes de puissance. »

Foucault remet à leur place les psychologues et les fonctionnaires de l’orthopédie morale :

« Il y a dans la justice moderne et dans ceux qui l’administrent un embarras de punir qui n’exclut pas toujours le zèle ; il croît sans cesse: sur cette blessure, le psychologue fourmille aussi bien que le modeste fonctionnaire de l’orthopédie morale. »

Comme Sorel dans son histoire oubliée de Francion, Foucault décrit l’atmosphère carcérale – pour ne pas dire concentrationnaire! – du collège jésuite :

« Prenons l’exemple de la ‘classe’. Dans les écoles jésuites, il y avait encore une organisation binaire et massive à la fois : les classes, qui pouvaient avoir jusqu’à deux ou trois cents élèves, et étaient divisées en groupes de dix. Chacun de ces groupes avec leur décurion, était placé dans un champ, le romain ou le carthaginois ; à chaque décurie correspondait une décurie inverse. La forme générale était celle de la guerre et de la rivalité entre Carthage et Rome. »

Foucault évoque la grande modification, pour parler comme Butor. On torture toujours les hommes, mais autrement :

« La souffrance physique, la douleur du corps même, ne sont plus les éléments constitutifs du chagrin. La punition est passée d’un art de sensations insupportables à une économie de droits suspendus. »

Foucault ajoute sarcastique :

« À la suite de cette nouvelle circonspection, toute une armée de techniciens est venue soulager le bourreau, l’anatomiste immédiat de la souffrance : les gardes, les médecins, les aumôniers, les psychiatres, les psychologues, les éducateurs. »

L’homme tranquillisé d’Huxley est bien sûr au programme :

« Au moment où l’heure de l’exécution approche, les patients reçoivent des injections de tranquillisants. Utopie de la modestie judiciaire: supprimer l’existence en évitant de ressentir les dommages, en privant tous les droits sans les faire souffrir, en imposant des peines libérées de la souffrance. L’utilisation de la psychopharmacologie et de divers ‘déconnecteurs’ physiologiques, même s’ils doivent être provisoires, s’inscrit dans la logique de cette pénalité. »

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Du coup on sera privé des spectacles punitifs :

« Le grand spectacle de la punition physique disparaît alors au début du XIXe siècle ; le corps suppléé est déguisé ; l’appareil théâtral de la souffrance est exclu de la punition. On entre dans l’ère de la sobriété punitive. »

C’est qu’on délaisse le corps pour attaquer l’âme :

« Depuis les 150 ou 200 ans que l’Europe a mis en place ses nouveaux systèmes de sanctions, les juges, peu à peu, mais selon un processus qui remonte à loin, ont été mis à même de juger autre chose que des crimes : ‘l’âme’ des criminels. »

Ambiance religieuse réformatrice. Foucault use du mot « cellule » :

« La cellule, cette technique du monachisme chrétien qui ne subsistait que dans les pays catholiques, devient dans cette société protestante l’instrument par lequel l’homo oeconomicus et la conscience religieuse peuvent se reconstituer en même temps. »

Il évoque l’ambiance carcérale de l’univers de Nicolas Ledoux ou d’Oberkampf, qui fabrique alors nos toiles de Jouy. C’est que le monde moderne naît dans la prison :

« La prison, lieu d’exécution de la sentence, est en même temps un lieu d’observation des individus punis. Dans deux sens. Surveillance naturellement. Mais aussi la connaissance de chaque détenu, de son comportement, de ses dispositions profondes, de son amendement progressif ; les prisons devraient être conçues comme un lieu de formation pour une connaissance clinique des condamnés… »

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Foucault évoque bien sûr le panopticon du monstrueux Bentham (il fit pendre un de ses domestiques pour un vol de fourchette) devenu l’idole des penseurs contemporains :

« Le panopticon devint vers 1830-1840 le programme architectural de la plupart des projets pénitentiaires. »

Le programme, avant la machine à habiter de Le Corbusier :

« En bref, constituer une prison-machine avec une cellule de visibilité où le détenu sera coincé ‘dans la maison de verre du philosophe grec’ et un point central à partir duquel un regard permanent peut contrôler à la fois les prisonniers et le personnel. »

Très nourri de lectures juridiques et pénitentiaires, Foucault évoque l’Allemand Julius :

« Julius lut comme un processus historique accompli ce que Bentham avait décrit comme un programme technique. Notre société n’est pas celle du spectacle, mais de la vigilance ; sous la surface des images, vous atteignez les corps en profondeur… »

J’ai évoqué ici Fukuyama qui dit que le bourgeois fut une fabrication de l’intelligence britannique, à partir de Locke et de Hobbes. Foucault remarque :

« La belle totalité de l’individu n’est pas amputée, réprimée, altérée par notre ordre social, mais l’individu y est soigneusement fabriqué, selon toute une tactique de forces et de corps. »

Notre néo-classique explique bellement :

« Nous sommes beaucoup moins grecs que nous le pensons. Nous ne sommes pas sur les gradins ou sur la scène, mais sur la machine panoptique, dominée par ses effets de puissance que nous étendons nous-mêmes, puisque nous sommes l’un de ses rouages. »

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Cet aspect laborantin du monde moderne est ici excellemment décrit :

« L’hôpital d’abord, puis l’école et plus tard encore l’atelier n’ont pas simplement été ‘mis en ordre’ par les disciplines ; ils sont devenus, grâce à elles, de tels appareils que tout mécanisme d’objectivation peut être utilisé comme instrument de sujétion, et tout accroissement de pouvoir donne naissance à une connaissance possible ; de ce lien, typique des systèmes technologiques, c’est ainsi que la médecine clinique ; la psychiatrie ; la psychologie des enfants ; la psychopédagogie ; la rationalisation du travail ont pu se former dans l’élément disciplinaire. »

J’espère en avoir assez fait pour susciter chez les plus attentifs une relecture traditionnelle et antimoderne de Michel Foucault. Je laisserai encore la parole au maître Tocqueville, cet expert en prisons d’ailleurs, qui écrit dans sa démocratie  en Amérique :

« Sous le gouvernement absolu d’un seul, despotisme, pour arriver à l’âme, frappait grossièrement le corps ; et l’âme, échappant à ces coups, s’élevait glorieuse au-dessus de lui ; mais dans les républiques démocratiques, ce n’est point-là que la tyrannie ; elle laisse le corps et va droit à l’âme. »

Nicolas Bonnal sur Amazon.fr

jeudi, 18 février 2021

Quand le coronavirus ressuscite Foucault

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Quand le coronavirus ressuscite Foucault

Par Javier Barraycoa

(ex : postmodernia.com )

Être confiné chez soi, soumis à la pression du télétravail qui oblige à des autorégulations disciplinaires, ou à la séparation volontaire d'un mètre de ses semblables quand on sort faire ses courses dans des rues à moitié vides, ne peut que nous rappeler la pensée de Michel Foucault. Il fut l’auteur d'innombrables ouvrages consacrés à expliquer le passage des sociétés traditionnelles aux sociétés qui contrôlent, soit aux sociétés disciplinaires. Son oeuvre nous semble d'une actualité effrayante. Autant on voudrait éviter les théories conspirationnistes sur l'apparition de ce nouveau coronavirus, autant un frisson nous parcourt la colonne vertébrale, lorsque nous voyons comment, en quelques jours, au prix d'une pandémie, les "plaques tectoniques" de la géopolitique se déplacent à la vitesse de l'éclair. Mais il vaut peut-être mieux laisser cela pour une autre fois.

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Pour l'instant, nous ne reprendrons que quelques brèves réflexions de Foucault et nous verrons que son cadre théorique s'inscrit parfaitement dans la situation que nous vivons. Comme nous l'avons dit, la pensée de notre auteur a marqué une étape importante dans le changement de la vision que nous avons du pouvoir. La modernité du XVIIIe siècle avait développé un système de contrôle typique d'un état absolu, dont le référent était le panopticon : une structure spatiale qui permettait aux surveillants de surveiller sans être vu par les contrôlés. Le mécanisme, conçu par Bentham, pouvait être utilisé pour contrôler une prison ainsi bien qu'une usine. L'œil qui voit tout était une représentation de la déification de l'État.

Cependant, au XIXe siècle, ce pouvoir souverain est devenu obsolète en soi et a dû se développer, et concurrencer les nouvelles formes de contrôle social. Ce fut l'émergence de sociétés disciplinaires, où les dispositions spatiales et le contrôle jouent à nouveau un rôle fondamental. Mais cette fois, ce n'est pas une idéologie de l'État souverain qui légitime le pouvoir, mais des ‘’micro-idéologies’’ (des "savoirs" selon Foucault) qui se superposent les unes aux autres, créant des "espaces" où le corps est discipliné. D'où ses analyses approfondies des hôpitaux, des écoles, des prisons, des asiles, en tant qu'"espaces" où s'applique la connaissance/pouvoir (une connaissance technologique du corps et de l'esprit), qui permet le développement de ce qu'il appelle les "technologies du soi", c'est-à-dire la construction de l'identité du soi par la connaissance scientifique ou les "savoirs" (essentiellement les idéologies) et l'acquisition de processus comportementaux prédéterminés.

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Foucault, dans la dernière phase de son travail intellectuel, a tenté de démontrer que la société disciplinaire qui avait été créée (les comportements actuels de consommation en seraient une expression de plus) ne remplaçait pas ou ne s'opposait pas au pouvoir souverain, mais plutôt le complétait. De ces frictions, une nouvelle modalité de pouvoir/discipline émergerait qui ne s'occuperait plus du contrôle disciplinaire des sujets, mais de celui des populations. Il a appelé ce fait l'apparition de la biopolitique, du biopouvoir. Avec ces termes, il a tenté d'expliquer le souci du pouvoir de contrôler la "population" (un concept qui correspond au sujet du biopouvoir). Pour l'État, il devient aussi important d'exercer imperceptiblement son pouvoir sur les sujets individuels par le développement de disciplines de maîtrise de soi, que de contrôler un sujet - pris dans son ensemble - qui est la population. D'où la préoccupation des États pour la maîtrise des naissances, de l'espérance de vie, de l'accroissement de la population, de son vieillissement, en bref de ses paramètres en tant qu'être vivant.

Le génie de Foucault réside peut-être dans la description de la disjonction entre le pouvoir souverain, les techniques disciplinaires et le biopouvoir. Cette inévitable discordance entre les différentes formes d'exercice du pouvoir, serait résolue de la manière la plus surprenante et la plus actuelle. Le déclencheur de tout cela serait la sécularisation de la modernité. Dans une société où le transcendant est présent, le pouvoir - d'une certaine manière - n'a pas de limites ni de discontinuités. Mourir signifie passer de la soumission à l'État souverain à la juridiction d'un Dieu souverain. Par conséquent, en présence du pouvoir, elle était maintenue (même si elle était dans l'imaginaire particulier) au-delà de la mort. Mais la sécularisation et l'immanentisation de la vie mettent une limite au pouvoir. Il ne peut être exercé qu'en temps historique. Ceci, selon un Foucault, philosophe clairvoyant, obligerait à une resacralisation du pouvoir temporel. Mais il est difficile, voire impossible, de le rendre explicite dans une société moderne ou contemporaine.

photomichelfoucault.pngLe besoin de resacralisation et d'une charnière pour s'adapter aux trois formes de pouvoir que nous avons exposées, se résout avec la "sacralisation" d'une des disciplines développées dans la modernité : la clinique. Foucault voit dans la médicalisation de la société (omniprésence des thérapies, des protocoles médicaux, présomption que nous sommes tous malades et avons besoin d'être soignés), dans la légitimité auto-accordée de l'État à contrôler cette thérapeutique et dans les mécanismes de contrôle de la population, la survie du pouvoir. Dans la modernité, l'État ne se préoccupe pas des personnes, il se préoccupe des statistiques. C'est pourquoi, une fois l'exercice des modalités du pouvoir dans l'au-delà rendu impossible, l'État - affirme Foucault - ne se préoccupe pas de la mort, mais de la mortalité.

Nous ne pouvons pas oublier comment les premières études de notre philosophe sur le biopouvoir ont cherché leurs fondements dans le contrôle des espaces dans les villes face aux épidémies. Les grandes épidémies ont conduit à recréer l'espace des villes (en créant des rues plus larges, en éliminant les quartiers fermés, ...) qui à leur tour ont permis un meilleur contrôle policier et politique. Aujourd'hui, en ces temps d'épidémie globale/locale, même si nous sommes dirigés par un gouvernement plus que maladroit, on ne peut s'empêcher de remarquer comment les observations du penseur français se concrétisent. Nous avons des gouvernements qui ne se soucient pas des morts (parce qu'ils sont condamnés à mourir en isolement), mais des statistiques quotidiennes de mortalité et d'infections. Presque automatiquement, bien que paresseusement, les mécanismes de contrôle spatial ont déjà été mis en route, retournant à la réclusion déguisée en auto-confinement volontaire. Le pouvoir, à travers ses médias, nous aide dans le contrôle de l'autodiscipline dans nos maisons ou dans les protocoles de déplacement. Et tout cela avec la conviction que le pouvoir est le garant de notre salut.

Si Foucault devait être ressuscité, il sourirait probablement et se tairait.

https://grupominerva.com.ar

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lundi, 28 septembre 2020

Crise sanitaire : le retour de Michel Foucault

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Crise sanitaire : le retour de Michel Foucault

Au moment où les dernières mesures sanitaires anti-Covid (principalement, fermeture des bars et des restaurants à partir de 22 heures à , et fermeture totale de ces établissements à Marseille ; le tout pour les quinze prochains jours) sont annoncées, le 23 septembre, par le ministre de la Santé, le peuple français se rend-il compte dans quelle mesure les sociétés humanistes et libérales peuvent s’avérer in fine coercitives et inhumaines, parce que d’abord moralistes et technocratiques ? 

Celui qui avait perçu ce travers des systèmes modernes est Michel Foucault (1926-1984). Pourtant, beaucoup d’universitaires le disaient dépassé. Et, encore aujourd’hui, le camp national le qualifie – à juste titre – de « déconstructeur », essentiellement de la famille et de l’identité, alors que la gauche libertaire en fait encore un héros de l’anticarcéralisme et le dénonciateur de tous les types de coercition. Un esprit rebelle, jusqu’à soutenir et la « révolution sexuelle » (théorie du genre, etc.) et la révolution islamique d’Iran. En bref, un islamo-libertaire avant l’heure ! Pour autant, n’oublions pas qu’en dépit de ses contradictions le grand auteur revient toujours. 

En bon nietzschéen, Foucault n’a jamais tranché entre la philosophie de la déduction et celle de l’intuition, ou entre celle des mots et celle des choses. Il a donc mené une recherche intempestive des « jeux de vérité » – disait-il –, et ce, selon les époques et les cultures : en se fondant sur les travaux du linguiste Ferdinand de Saussure, il a conclu que la nature humaine était structurée tel le langage. Résultat : « l’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine », avait-il écrit dans Les mots et les choses. Comme si l’ego pouvait être de trop…

De fait, Foucault a été le visionnaire d’un monde humain déclinant, mais déclinant en faveur de, et non pas contre, l’humanisme : à l’image du serpent qui s’étiole pour mieux évoluer. D’un même geste, il a saisi de quelle manière le discours médical du XIXème s’était façonné à l’aune des progrès techniques et industriels de son temps, ceux-ci révélant les organes, de « nouveaux » objets constitutifs de l’intérieur du corps. Deux conséquences : la maladie comme effet immédiat de la vie, et la folie comme l’autre inéluctable de la rationalité (par exemple, dans le cas de l’incendie meurtrier de Paris, en février 2019). Voilà pourquoi l’âme devient la « prison du corps » et la folie « le déjà-là de la mort ».

Seulement, tout ce cheminement génère ses propres ornières : alors que « la prison ne peut pas manquer de fabriquer des délinquants » et que « notre société n’est pas celle du spectacle, mais de la surveillance », toute cité demeure conformément à l’« impératif du secret », d’autant plus que « l’inspection fonctionne sans cesse » (in Surveiller et punir), des thèses n’ayant de sens qu’eu égard à celles de son Histoire de la folie à l’âge classique. « L’internement, ce fait massif dont on trouve les signes à travers toute l’Europe du XVIIème siècle, est chose de ʺpoliceʺ […] Avant d’avoir le sens médical que nous lui donnons (…), l’internement a été exigé par tout autre chose que le souci de la guérison ». Prophétique s’il en est ! Car comment ne pas voir dans cette formule la prévision d’un biopouvoir, tel un vice consubstantiel aux ères bâties sur les technosciences ? Ou quand biopolitique rime avec tragique.

mercredi, 04 décembre 2019

Foucault, el neoliberal

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Foucault, el neoliberal

Ex: https://www.geopolitica.ru

Uno de los temas que está entrando a debate en los ambientes izquierdistas franceses es la cada vez más manifiesta afinidad existente entre el pensamiento de la denominada Nueva Izquierda, nacida en Mayo del 68, y el neoliberalismo económico. Hoy, este debate está empezando a caldear los ánimos y se puede decir que gira alrededor de la figura de uno de los gurús más importantes de la Nueva Izquierda: Michel Foucault. Gracias al trabajo de investigación publicado por varios de sus discípulos y críticos, hoy surge una nueva imagen de un Foucault menos izquierdista, o de extrema izquierda, y más bien apuntando en un sentido contrario: el de un apologista de la sociedad neoliberal y del capitalismo tardío. Realizando un examen de la obra de Michel Foucault, los sociólogos franceses Daniel Zamora y Michael C. Behrent, han mostrado una nueva imagen del famoso filósofo postmoderno, después de compilar una serie de estudios acerca de la influencia del neoliberalismo en el pensamiento de Foucault: su estudio titulado Foucault y el neoliberalismo, publicado por la editorial Amorrortu, resulta muy revelador. En una entrevista hecha por la revista Ballast, Daniel Zamora señala como al final de su vida Foucault mostró un gran interés por el neoliberalismo. “Foucault”, dice Zamora, “se sentía muy atraído por el liberalismo económico: el cual veía como una posible forma de gobierno menos normativa y autoritaria que la izquierda socialista y comunista que encontraba totalmente obsoleta. Veía al neoliberalismo como una opción “mucho menos burocrática” y “mucho menos disciplinaria” que la propuesta por el Estado social de postguerra. Imaginaba un neoliberalismo que no proyectaría un modelo antropológico sobre los individuos y que les ofrecería mayor autonomía frente al Estado” (1).

Este tema no deja de tener una profunda repercusión en el ámbito académico, pues la Nueva Izquierda francesa – convertida en el núcleo duro de la postmodernidad occidental – había sido cubierta con un halo de invulnerabilidad y reconocimiento acrítico de todos sus postulados. Muchos de sus autores han sido consagrados en las universidades y las academias como clásicos del pensamiento que son ineludibles, y los estudios hechos sobre ellos se hacen ya innumerables. Recordemos que bajo el rotulo de la Nueva Izquierda se agrupaban una serie de pensadores modernos, sobre todo franceses, que habían optado por una revisión sistemática de la herencia del pensamiento de la Modernidad Occidental y en la cual convergían autores como Félix Guattari, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Jacques Lacan, Jacques Derrida, entre otros. Muchos de ellos optaron por una “deconstrucción” de la cultura occidental, la cual clamaban estaba llena de prejuicios, autoritarismo, exclusiones y disciplinas que habían producido un totalitarismo velado en las sociedades democráticas y liberales. A través de la revisión del aparato teórico de la modernidad, sus autores esperaban demoler ideológicamente semejante legado y preparar la llegada de una nueva libertad: la de un “cuerpo sin órganos”, una lengua sin contenidos, un mundo menos estructurado que podría finalmente ser considerado afín a una sociedad libre. Muchos de los autores de esta Nueva Izquierda habían sido disidentes de la Guerra Fría, identificándose como izquierdistas, pero detestando los regímenes del socialismo real, a los cuales consideraban demasiado autoritarios, y desligándose de cualquier herencia de la filosofía ilustrada, que resultaba para ellos demasiado dogmática. El ataque sistemático a las instituciones sociales, a las formas veladas de gobierno y poder, sin hablar de su provocadora actitud hacia el orden general de la Europa de la postguerra, convirtió a los representantes de la Nueva Izquierda en el objeto de un culto fetichista de las nuevas generaciones universitarias, sobre todo en las facultades de humanidades y filosofía, como los grandes exponentes de una izquierda anárquica e individualista. Hoy día es imposible no oír los nombres de alguno de ellos en los pasillos universitarios o siendo citados en revistas científicas de investigación como autoridades consagradas. Lo que no deja de ser un giro irónico para una serie de autores que se rebelaban contra la autoridad establecida. De hecho, las posiciones de muchos de los representantes de la Nueva Izquierda no pasaron desapercibidas, e incluso lograron llamar la atención de la CIA, que vio con buenos ojos la deserción de los autores de izquierda franceses, porque “ya no hay más Sartres, ya no hay más Gides”, sino que en su lugar se mostraban hostiles a la Unión Soviética y atacaban los presupuestos básicos del marxismo. Esto último despertó la simpatía de los organismos de inteligencia norteamericanos, quienes comentaban que «en el campo de la antropología», dice un documento de la CIA, «la influencia de la escuela estructuralista vinculada con Claude Lévi Strauss, Foucault y otros, ha cumplido esencialmente la misma función. […] creemos sea probable que su demolición de la influencia marxista en las ciencias sociales perdure como una contribución profunda tanto en Francia como en Europa Occidental» (2).

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Como recuerda el sociólogo Daniel Zamora, Foucault llamó a abandonar las luchas políticas y sociales, que habían perdido sentido en el Estado de Bienestar de la postguerra, y más bien proponía dedicarse a una “resistencia molecular”, donde fueran cuestionadas las grandes construcciones modernas y se disolvieran las masas homogéneas de la sociedad industrial. «En realidad», dice Daniel Zamora, «la idea de una revolución “molecular” descentralizada que pudiera conducir a grandes cambios se mostró poco realista, especialmente cuando se trataba de las relaciones económicas. Si se quiere entrar en una polémica, uno podría preguntarse por la relación entre esta visión con el neoliberalismo. “No olvides inventar tu vida”, concluía Foucault a comienzos de 1980. ¿Acaso no se asemeja mucho esto al mantra de Gary Becker de que nosotros debemos convertirnos en “empresarios de nuestro yo”?» (3). Y no deja de llamar la atención que precisamente esta convergencia entre el postmodernismo y el neoliberalismo alcanzara su mayor auge en las universidades norteamericanas, donde surgió precisamente el epíteto “postmoderno” y donde todos sus representas (Foucault, Deleuze, Derrida) alcanzaron un gran reconocimiento en vida. Zamora una vez más pone el dedo en la llaga y dice que resulta una empresa inútil «reconciliar a Marx con Foucault en alguna síntesis mayor, cuando de hecho al final de su vida Foucault “decidió deshacerse del marxismo”». Tampoco  puede alegarse que Foucault desconociera los primeros experimentos neoliberales en la política y la sociedad, pues él conoció muy bien la California gobernada por Ronald Reagan – quien por cierto destruyó el sistema de hospitales psiquiátricos del Estado federal, lo cual siempre fue uno de los grandes sueños de la anti-psiquiatría foucaultiana – y donde impartió varios cursos en sus universidades. En lugar de eso, Zamora recuerda la «profunda conexión entre el neoliberalismo como forma de gobernabilidad y la promoción, por parte de Foucault, de la invención de nuevas subjetividades. Lejos de oponerse, son dos ojos pares. Más abierto al pluralismo, el neoliberalismo parecía ofrecer un marco menos estrecho para la proliferación de experimentos de minorías» (4). Aquí cobra todo su sentido las palabras del filósofo francés Jean-Claude Michéa, para quien “Foucault es el complemento cultural del economicismo de Hayek, Friedman y Gary Becker”.

Todo lo anterior nos ayuda a explicar porqué algunos de los seguidores y discípulos de Foucault han terminado por convertirse en grandes defensores del capitalismo de mercado, mientras atacan de un modo inmisericorde los sistemas de pensiones, los servicios sociales y el Estado de Bienestar de la postguerra. Basta con citar a Beatriz Preciado, una de las representantes más radicales de la izquierda feminista, quien escribía en el periódico digital Libération que «no debemos llorar por el fin del estado de bienestar, porque el Estado de Bienestar es el hospital psiquiátrico, la oficina de discapacitados, la prisión, la escuela patriarcal-colonial-heteronormativa» (5). Por supuesto, este desmonte de las instituciones estatales está completamente de acuerdo con las políticas neoliberales promocionadas por grandes figuras del mundo de los negocios como Bill Gates o Georges Soros, quienes también se han convertido en grandes defensores de las políticas a favor de las minorías sexuales, el feminismo, amigos de la inmigración masiva y promotores del anti-racismo, mientras promueven la demolición del aparato estatal y su suplantación por un sector privado y una sociedad civil organizada que reemplazaría cualquier forma de poder público. Como ya había observado Marx, el capitalismo no es un sistema social conservador ni mucho menos: “La burguesía sólo puede existir si no es revolucionando incesantemente los instrumentos de producción, y con él todo el régimen social… La época de la burguesía se caracteriza y distingue de todas las demás, por la conmoción ininterrumpida de todas las relaciones sociales, por una inquietud y una dinámica incesantes. Las relaciones inconmovibles y mohosas del pasado, con todo su séquito de ideas y creencias viejas y venerables, se derrumban… Todo lo que se creía permanente y perenne se esfuma, todo lo santo es profanado” (6). Por lo que no resulta extraño que el gran capital financiero asumiera hoy el patrocinio de la nueva revolución de las relaciones sociales que se está gestando, siendo esta revolución íntimamente unida a las transformaciones del capitalismo y su concepción del individuo, que hoy pasa de estar basada en el naturalismo filosófico del siglo XIX al trans-humanismo que es promocionado por empresas como Google o filósofos postmarxistas como Toni Negri, para quienes la naturaleza eterna no existe sino que puede ser alterada por la biotecnología o la nanotecnología que hoy se está desarrollando.

No deja de ser interesante observar, como este nuevo capitalismo y neoliberalismo han impregnado la cultura de la izquierda. Una vez demolidos los últimos restos del socialismo real y conquistado el mundo por la globalización, la izquierda por fin se ha separado del comunismo y ha decidido conscientemente convertirse en el buldócer del capitalismo. Algunos intelectuales de izquierda como Nancy Fraser o Daniel Zamora han señalado esta contradicción. Nancy Fraser, por ejemplo, en su libro Las fortunas del feminismo ha mostrado como, poco a poco, el movimiento feminista ha abandonado todas sus reivindicaciones de izquierda, unidas al comunismo y al igualitarismo radical, para en su lugar adoptar el discurso del “empoderamiento femenino” planteado por el capitalismo neoliberal, cuyo modelo sería la mujer exitosa en la política y la economía, estilo Hillary Clinton o Margaret Thatcher (7). Otros, como Daniel Zamora han señalado que la postmodernidad foucaultina terminó por ser un antecesor directo de la Tercera Vía de Tony Blair y Anthony Giddens, convirtiéndose de este modo en un defensor de la globalización. Quizás esta impregnación cada vez mayor del socialismo por elementos liberales sea la causa del hundimiento de los partidos comunistas y la razón por la cual hoy día las clases trabajadoras votan cada vez más por los partidos identitarios de derecha, tanto en América Septentrional como en Europa. Una vez que la izquierda se unió al gran capital financiero y abrazó el liberalismo cultural, era inevitable que las clases trabajadoras, consideradas demasiado autoritarias y totalitarias, fueran atacadas y sustituidas por objetos de rebelión que chocaban con su sentido común. Resulta interesante anotar que ya en 1947, el comisario soviético y responsable del control ideológico de la cultura en Rusia Andrei Zhdánov denunciara en su momento este giró en la cultura occidental y de la izquierda francesa. Al comentar la obra de Jean-Paul Sarte en su curso Sobre la historia de la filosofía, Zhdánov señalaba como esta figura izquierdista de primera línea en Europa alababa el Diario de un ladrón del criminal homosexual Jean Genet: un libro que comenzaba declarando que su tema seria “la traición, el robo y la homosexualidad”, para finalmente acabar en la depravación y el nihilismo. Zhdánov vería en ello el desplome de la filosofía occidental, última consecuencia del cosmopolitismo burgués: la destrucción de toda moral y de relación social en defensa de las pasiones individuales y la estética. “Hoy”, escribía Zhdánov, “esas filosofías se presentan bajo una forma nueva, particularmente repugnante, reflejando toda la profundidad, toda la bajeza, toda la villanía de la decadencia burguesa. Los «souteneurs» y los criminales de derecho común en filosofía significan, evidentemente, el límite de la ruina y de la descomposición” (8).

Frente a este panorama, resulta bastante significativo que hoy esté apareciendo una nueva generación de autores izquierdistas que, distanciados de los medios de comunicación y exiliados de las academias, han comenzado a denunciar este devenir de la Nueva Izquierda, convertida para muchos de ellos en uno de los pilares centrales del sistema capitalista globalizado y defendida por un grupo de gurús intelectuales enemigos de las causas populares. Mientras Daniel Cohn-Bendit y Bernard-Henry Lévy – protagonistas de Mayo del 68 y grandes héroes de la izquierda libertaria – se dedican ahora a denunciar como fascistas todos los movimientos contestatarios – caso de los chalecos amarillos en Francia y el crecimiento de las olas populistas en el Primer Mundo –, otros han decidido regresar a las causas originales del comunismo y abrazar los movimientos populistas dirigidos contra el sistema. Este viejo estandarte ha sido alzado una vez más por autores como Jean-Claude Michéa, Constazo Preve, Diego Fusaro, Adriano Errigel y Kevin Boucaud-Victoire, quienes han decidido dejar de lado cualquier cooperación con la izquierda fucsia y multicolor para más bien plantearse la pregunta contraria y necesaria: ¿cuáles serán los presupuestos de la actual lucha contra el cosmopolitismo burgués como último elemento de la alienación sistemática de lo social y la cultura? Para esta izquierda populista, la lucha contra el capitalismo ya no puede pasar por el deseo deconstruccionista de la anarquía individual y el abandono de todo contenido social, antes bien se trata de una nueva contestación que pretende rescatar del olvido todo aquello desechado por la Nueva Izquierda en el transcurso del siglo XX.  Si la Nueva Izquierda abandonó el socialismo y afirmó, por el contrario, el libre mercado y la libertad individual a favor de proyectos individuales de “experimentación del yo”, la izquierda populista propone más bien “la síntesis entre las ideas de izquierda y los valores de la derecha en nombre del interés nacional”. Es decir, el rescate del “trabajo, la solidaridad, la defensa de los débiles, la comunidad” junto con “la familia, la patria, el Estado, el honor”, tal y como afirma actualmente el filósofo italiano Diego Fusaro (9).

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Esta nueva brecha, que pareciera estarse formando en la izquierda europea, nos pone frente a una disyuntiva: una defensa a ultranza de la globalización y el neoliberalismo, amparada en la postmodernidad como la ideología global de una multitud imperial sin rostro o contenido, o por el contrario la defensa de un nacional-populismo que se enfrenta al cosmopolitismo y reclama una defensa del trabajo frente al capitalismo financiero y de los valores nacionales frente al universalismo. Semejante división, sin embargo, recuerda a otra que ya había sucedido en el pasado, cuando la socialdemocracia y el socialismo moderado europeo había adoptado el programa del reformismo, dejando la bandera de la revolución y la lucha violenta al socialismo nacionalista, que se encarnó en el sindicalismo y los movimientos nacionales. Ante estos nuevos devenires políticos, la izquierda europea tendrá que enfrentar una disyuntiva que parece estarse transformando en una guerra civil en su interior.

Notas:

1. Entrevista a Daniel Zamora, “Peut-on critiquer Foucault?”, en la revista electrónica Bastiat, https://www.revue-ballast.fr/peut-on-critiquer-foucault/

2. France: Defection of the Leftist Intellectuals, en http://www.deigualaigual.net/cultura/2017/1222/braudel-le...

3. Entrevista a Daniel Zamora, “La résistence chez Foucault ne prend plus vraiment le visage de la lutte des clases”, en https://comptoir.org/2019/09/05/daniel-zamora-la-resistan...

4. Ibid.

5. Beatriz Preciado, “Nous disowns Revolution”, en https://next.liberation.fr/culture/2013/03/20/nous-disons...

6. Karl Marx y Friederich Engels, Biografía del Manifiesto Comunista, Editorial Mexico S.A., 1949, pág. 75-76.

7. Nancy Fraser, Las fortunas del feminismo, Traficante de Sueños, 2015.

8. A. Zhdánov, “Sobre la historia de la filosofía”, en http://www.filosofia.org/hem/dep/pce/nb024071.htm

9. Entrevista de Rafaele Alberto Ventura a Diego Fusaro, “Le cas Fusaro”, en https://legrandcontinent.eu/fr/2018/10/27/nous-avons-renc...

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vendredi, 25 août 2017

How French “Intellectuals” Ruined the West: Postmodernism and Its Impact, Explained

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How French “Intellectuals” Ruined the West: Postmodernism and Its Impact, Explained

Postmodernism presents a threat not only to liberal democracy but to modernity itself. That may sound like a bold or even hyperbolic claim, but the reality is that the cluster of ideas and values at the root of postmodernism have broken the bounds of academia and gained great cultural power in western society. The irrational and identitarian “symptoms” of postmodernism are easily recognizable and much criticized, but the ethos underlying them is not well understood. This is partly because postmodernists rarely explain themselves clearly and partly because of the inherent contradictions and inconsistencies of a way of thought which denies a stable reality or reliable knowledge to exist. However, there are consistent ideas at the root of postmodernism and understanding them is essential if we intend to counter them. They underlie the problems we see today in Social Justice Activism, undermine the credibility of the Left and threaten to return us to an irrational and tribal “pre-modern” culture.

Postmodernism, most simply, is an artistic and philosophical movement which began in France in the 1960s and produced bewildering art and even more bewildering  “theory.” It drew on avant-garde and surrealist art and earlier philosophical ideas, particularly those of Nietzsche and Heidegger, for its anti-realism and rejection of the concept of the unified and coherent individual. It reacted against the liberal humanism of the modernist artistic and intellectual movements, which its proponents saw as naïvely universalizing a western, middle-class and male experience.

It rejected philosophy which valued ethics, reason and clarity with the same accusation. Structuralism, a movement which (often over-confidently) attempted to analyze human culture and psychology according to consistent structures of relationships, came under attack. Marxism, with its understanding of society through class and economic structures was regarded as equally rigid and simplistic. Above all, postmodernists attacked science and its goal of attaining objective knowledge about a reality which exists independently of human perceptions which they saw as merely another form of constructed ideology dominated by bourgeois, western assumptions. Decidedly left-wing, postmodernism had both a nihilistic and a revolutionary ethos which resonated with a post-war, post-empire zeitgeist in the West. As postmodernism continued to develop and diversify, its initially stronger nihilistic deconstructive phase became secondary (but still fundamental) to its revolutionary “identity politics” phase.

It has been a matter of contention whether postmodernism is a reaction against modernity. The modern era is the period of history which saw Renaissance Humanism, the Enlightenment, the Scientific Revolution and the development of liberal values and human rights; the period when Western societies gradually came to value reason and science over faith and superstition as routes to knowledge, and developed a concept of the person as an individual member of the human race deserving of rights and freedoms rather than as part of various collectives subject to rigid hierarchical roles in society.

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The Encyclopaedia Britannica says postmodernism “is largely a reaction against the philosophical assumptions and values of the modern period of Western (specifically European) history” whilst the Stanford Encyclopaedia of Philosophy denies this and says “Rather, its differences lie within modernity itself, and postmodernism is a continuation of modern thinking in another mode.” I’d suggest the difference lies in whether we see modernity in terms of what was produced or what was destroyed. If we see the essence of modernity as the development of science and reason as well as humanism and universal liberalism, postmodernists are opposed to it. If we see modernity as the tearing down of structures of power including feudalism, the Church, patriarchy, and Empire, postmodernists are attempting to continue it, but their targets are now science, reason, humanism and liberalism. Consequently, the roots of postmodernism are inherently political and revolutionary, albeit in a destructive or, as they would term it, deconstructive way.

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The term “postmodern” was coined by Jean-François Lyotard in his 1979 book, The Postmodern Condition. He defined the postmodern condition as “an incredulity towards metanarratives.” A metanarrative is a wide-ranging and cohesive explanation for large phenomena. Religions and other totalizing ideologies are metanarratives in their attempts to explain the meaning of life or all of society’s ills. Lyotard advocated replacing these with “mininarratives” to get at smaller and more personal “truths.” He addressed Christianity and Marxism in this way but also science.

In his view, “there is a strict interlinkage between the kind of language called science and the kind called ethics and politics” (p8). By tying science and the knowledge it produces to government and power he rejects its claim to objectivity. Lyotard describes this incredulous postmodern condition as a general one, and argues that from the end of the 19th century, “an internal erosion of the legitimacy principle of knowledge” began to cause a change in the status of knowledge (p39). By the 1960s, the resulting “doubt” and “demoralization” of scientists had made “an impact on the central problem of legitimization” (p8). No number of scientists telling him they are not demoralized nor any more doubtful than befits the practitioners of a method whose results are always provisional and whose hypotheses are never “proven” could sway him from this.

We see in Lyotard an explicit epistemic relativity (belief in personal or culturally specific truths or facts) and the advocacy of privileging  “lived experience” over empirical evidence. We see too the promotion of a version of pluralism which privileges the views of minority groups over the general consensus of scientists or liberal democratic ethics which are presented as authoritarian and dogmatic. This is consistent in postmodern thought.

Michel Foucault’s work is also centered on language and relativism although he applied this to history and culture. He called this approach “archeology” because he saw himself as “uncovering” aspects of historical culture through recorded discourses (speech which promotes or assumes a particular view). For Foucault, discourses control what can be “known” and in different periods and places, different systems of institutional power control discourses. Therefore, knowledge is a direct product of power. “In any given culture and at any given moment, there is always only one ‘episteme’ that defines the conditions of possibility of all knowledge, whether expressed in theory or silently invested in a practice.”[1]

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Furthermore, people themselves were culturally constructed. “The individual, with his identity and characteristics, is the product of a relation of power exercised over bodies, multiplicities, movements, desires, forces.”[2]  He leaves almost no room for individual agency or autonomy. As Christopher Butler says, Foucault “relies on beliefs about the inherent evil of the individual’s class position, or professional position, seen as ‘discourse’, regardless of the morality of his or her individual conduct.”[3] He presents medieval feudalism and modern liberal democracy as equally oppressive, and advocates criticizing and attacking institutions to unmask the “political violence that has always exercised itself obscurely through them.” [4]

We see in Foucault the most extreme expression of cultural relativity read through structures of power in which shared humanity and individuality are almost entirely absent. Instead, people are constructed by their position in relation to dominant cultural ideas either as oppressors or oppressed. Judith Butler drew on Foucault for her foundational role in queer theory focusing on the culturally constructed nature of gender, as did Edward Said in his similar role in post-colonialism and “Orientalism” and Kimberlé Crenshaw in her development of “intersectionality” and advocacy of identity politics. We see too the equation of language with violence and coercion and the equation of reason and universal liberalism with oppression.

It was Jacques Derrida who introduced the concept of “deconstruction,” and he too argued for cultural constructivism and cultural and personal relativity. He focused even more explicitly on language. Derrida’s best-known pronouncement “There is no outside-text” relates to his rejection of the idea that words refer to anything straightforwardly. Rather, “there are only contexts without any center of absolute anchoring.” [5]

Therefore the author of a text is not the authority on its meaning. The reader or listener makes their own equally valid meaning and every text “engenders infinitely new contexts in an absolutely nonsaturable fashion.” Derrida coined the term différance which he derived from the verb “differer” which means both “to defer” and “to differ.” This was to indicate that not only is meaning never final but it is constructed by differences, specifically by oppositions. The word “young” only makes sense in its relationship with the word “old” and he argued, following Saussure, that meaning is constructed by the conflict of these elemental oppositions which, to him, always form a positive and negative. “Man” is positive and ‘woman’ negative. “Occident” is positive and “Orient” negative. He insisted that “We are not dealing with the peaceful co-existence of a vis-a-vis, but rather with a violent hierarchy. One of the two terms governs the other (axiologically, logically, etc.), or has the upper hand. To deconstruct the opposition, first of all, is to overturn the hierarchy at a given moment.”[6] Deconstruction, therefore, involves inverting these perceived hierarchies, making “woman” and “Orient” positive and “man” and “Occident” negative. This is to be done ironically to reveal the culturally constructed and arbitrary nature of these perceived oppositions in unequal conflict.

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We see in Derrida further relativity, both cultural and epistemic, and further justification for identity politics. There is an explicit denial that differences can be other than oppositional and therefore a rejection of Enlightenment liberalism’s values of overcoming differences and focusing on universal human rights and individual freedom and empowerment. We see here the basis of “ironic misandry” and the mantra “reverse racism isn’t real” and the idea that identity dictates what can be understood. We see too a rejection of the need for clarity in speech and argument and to understand the other’s point of view and avoid minterpretation. The intention of the speaker is irrelevant. What matters is the impact of speech. This, along with Foucauldian ideas, underlies the current belief in the deeply damaging nature of “microaggressions” and misuse of terminology related to gender, race or sexuality.

Lyotard, Foucault, and Derrida are just three of the “founding fathers” of postmodernism but their ideas share common themes with other influential “theorists” and were taken up by later postmodernists who applied them to an increasingly diverse range of disciplines within the social sciences and humanities. We’ve seen that this includes an intense sensitivity to language on the level of the word and a feeling that what the speaker means is less important than how it is received, no matter how radical the interpretation. Shared humanity and individuality are essentially illusions and people are propagators or victims of discourses depending on their social position; a position which is dependent on identity far more than their individual engagement with society. Morality is culturally relative, as is reality itself. Empirical evidence is suspect and so are any culturally dominant ideas including science, reason, and universal liberalism. These are Enlightenment values which are naïve, totalizing and oppressive, and there is a moral necessity to smash them. Far more important is the lived experience, narratives and beliefs of “marginalized” groups all of which are equally “true” but must now be privileged over Enlightenment values to reverse an oppressive, unjust and entirely arbitrary social construction of reality, morality and knowledge.

The desire to “smash” the status quo, challenge widely held values and institutions and champion the marginalized is absolutely liberal in ethos. Opposing it is resolutely conservative. This is the historical reality, but we are at a unique point in history where the status quo is fairly consistently liberal, with a liberalism that upholds the values of freedom, equal rights and opportunities for everyone regardless of gender, race and sexuality. The result is confusion in which life-long liberals wishing to conserve this kind of liberal status quo find themselves considered conservative and those wishing to avoid conservatism at all costs find themselves defending irrationalism and illiberalism. Whilst the first postmodernists mostly challenged discourse with discourse, the activists motivated by their ideas are becoming more authoritarian and following those ideas to their logical conclusion. Freedom of speech is under threat because speech is now dangerous. So dangerous that people considering themselves liberal can now justify responding to it with violence. The need to argue a case persuasively using reasoned argument is now often replaced with references to identity and pure rage.

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Despite all the evidence that racism, sexism, homophobia, transphobia and xenophobia are at an all-time low in Western societies, Leftist academics and SocJus activists display a fatalistic pessimism, enabled by postmodern interpretative “reading” practices which valorize confirmation bias. The authoritarian power of the postmodern academics and activists seems to be invisible to them whilst being apparent to everyone else. As Andrew Sullivan says of intersectionality:

“It posits a classic orthodoxy through which all of human experience is explained — and through which all speech must be filtered. … Like the Puritanism once familiar in New England, intersectionality controls language and the very terms of discourse.” [7]

Postmodernism has become a Lyotardian metanarrative, a Foucauldian system of discursive power, and a Derridean oppressive hierarchy.

The logical problem of self-referentiality has been pointed out to postmodernists by philosophers fairly constantly but it is one they have yet to address convincingly. As Christopher Butler points out, “the plausibility of Lyotard’s claim for the decline of metanarratives in the late 20th century ultimately depends upon an appeal to the cultural condition of an intellectual minority.” In other words, Lyotard’s claim comes directly from the discourses surrounding him in his bourgeois academic bubble and is, in fact, a metanarrative towards which he is not remotely incredulous. Equally, Foucault’s argument that knowledge is historically contingent must itself be historically contingent, and one wonders why Derrida bothered to explain the infinite malleability of texts at such length if I could read his entire body of work and claim it to be a story about bunny rabbits with the same degree of authority.

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This is, of course, not the only criticism commonly made of postmodernism. The most glaring problem of epistemic cultural relativity has been addressed by philosophers and scientists. The philosopher, David Detmer, in Challenging Postmodernism, says

“Consider this example, provided by Erazim Kohak, ‘When I try, unsuccessfully, to squeeze a tennis ball into a wine bottle, I need not try several wine bottles and several tennis balls before, using Mill’s canons of induction, I arrive inductively at the hypothesis that tennis balls do not fit into wine bottles’… We are now in a position to turn the tables on [postmodernist claims of cultural relativity] and ask, ‘If I judge that tennis balls do not fit into wine bottles, can you show precisely how it is that my gender, historical and spatial location, class, ethnicity, etc., undermine the objectivity of this judgement?” [8]

However, he has not found postmodernists committed to explaining their reasoning and describes a bewildering conversation with postmodern philosopher, Laurie Calhoun,

“When I had occasion to ask her whether or not it was a fact that giraffes are taller than ants, she replied that it was not a fact, but rather an article of religious faith in our culture.”

Physicists Alan Sokal and Jean Bricmont address the same problem from the perspective of science in Fashionable Nonsense: Postmodern Intellectuals’ Abuse of Science:

“Who could now seriously deny the ‘grand narrative’ of evolution, except someone in the grip of a far less plausible master narrative such as Creationism? And who would wish to deny the truth of basic physics? The answer was, ‘some postmodernists.’”

and

“There is something very odd indeed in the belief that in looking, say, for causal laws or a unified theory, or in asking whether atoms really do obey the laws of quantum mechanics, the activities of scientists are somehow inherently ‘bourgeois’ or ‘Eurocentric’ or ‘masculinist’, or even ‘militarist.'”

How much of a threat is postmodernism to science? There are certainly some external attacks. In the recent protests against a talk given by Charles Murray at Middlebury, the protesters chanted, as one,

“Science has always been used to legitimize racism, sexism, classism, transphobia, ableism, and homophobia, all veiled as rational and fact, and supported by the government and state. In this world today, there is little that is true ‘fact.'”[9]

When the organizers of the March for Science tweeted:

“colonization, racism, immigration, native rights, sexism, ableism, queer-, trans-, intersex-phobia, & econ justice are scientific issues,”[10] many scientists immediately criticized this politicization of science and derailment of the focus on preservation of science to intersectional ideology. In South Africa, the #ScienceMustFall and #DecolonizeScience progressive student movement announced that science was only one way of knowing that people had been taught to accept. They suggested witchcraft as one alternative. [11]

Despite this, science as a methodology is not going anywhere. It cannot be “adapted” to include epistemic relativity and “alternative ways of knowing.” It can, however, lose public confidence and thereby, state funding, and this is a threat not to be underestimated. Also, at a time in which world rulers doubt climate change, parents believe false claims that vaccines cause autism and people turn to homeopaths and naturopaths for solutions to serious medical conditions, it is dangerous to the degree of an existential threat to further damage people’s confidence in the empirical sciences.

The social sciences and humanities, however, are in danger of changing out of all recognition. Some disciplines within the social sciences already have. Cultural anthropology, sociology, cultural studies and gender studies, for example, have succumbed almost entirely not only to moral relativity but epistemic relativity. English (literature) too, in my experience, is teaching a thoroughly postmodern orthodoxy. Philosophy, as we have seen, is divided. So is history.

Empirical historians are often criticized by the postmodernists among us for claiming to know what really happened in the past. Christopher Butler recalls Diane Purkiss’ accusation that Keith Thomas was enabling a myth that grounded men’s historical identity in “the powerlessness and speechlessness of women” when he provided evidence that accused witches were usually powerless beggar women. Presumably, he should have claimed, against the evidence, that they were wealthy women or better still, men. As Butler says,

“It seems as though Thomas’s empirical claims here have simply run foul of Purkiss’s rival organizing principle for historical narrative – that it should be used to support contemporary notions of female empowerment” (p36)

I encountered the same problem when trying to write about race and gender at the turn of the seventeenth century. I’d argued that Shakespeare’s audience’s would not have found Desdemona’s attraction to Black Othello, who was Christian and a soldier for Venice, so difficult to understand because prejudice against skin color did not become prevalent until a little later in the seventeenth century when the Atlantic Slave Trade gained steam, and that religious and national differences were far more profound before that. I was told this was problematic by an eminent professor and asked how Black communities in contemporary America would feel about my claim. If today’s African Americans felt badly about it, it was implied, it either could not have been true in the seventeenth century or it is morally wrong to mention it. As Christopher Butler says,

“Postmodernist thought sees the culture as containing a number of perpetually competing stories, whose effectiveness depends not so much on an appeal to an independent standard of judgement, as upon their appeal to the communities in which they circulate.”

I fear for the future of the humanities.

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The dangers of postmodernism are not limited to pockets of society which center around academia and Social Justice, however. Relativist ideas, sensitivity to language and focus on identity over humanity or individuality have gained dominance in wider society. It is much easier to say what you feel than rigorously examine the evidence. The freedom to “interpret” reality according to one’s own values feeds into the very human tendency towards confirmation bias and motivated reasoning.

It has become commonplace to note that the far-Right is now using identity politics and epistemic relativism in a very similar way to the postmodern-Left. Of course, elements of the far-Right have always been divisive on the grounds of race, gender and sexuality and prone to irrational and anti-science views but postmodernism has produced a culture more widely receptive to this. Kenan Malik describes this shift,

“When I suggested earlier that the idea of ‘alternative facts’ draws upon ‘a set of concepts that in recent decades have been used by radicals’, I was not suggesting that Kellyanne Conway, or Steve Bannon, still less Donald Trump, have been reading up on Foucault or Baudrillard… It is rather that sections of academia and of the left have in recent decades helped create a culture in which relativized views of facts and knowledge seem untroubling, and hence made it easier for the reactionary right not just to re-appropriate but also to promote reactionary ideas.”[12]

This “set of concepts” threaten to take us back to a time before the Enlightenment, when “reason” was regarded as not only inferior to faith but as a sin. James K. A. Smith, Reformed theologian and professor of philosophy, has been quick to see the advantages for Christianity and regards postmodernism as “a fresh wind of the Spirit sent to revitalize the dry bones of the church” (p18). In Who’s Afraid of Postmodernism?: Taking Derrida, Lyotard, and Foucault to Church, he says,

“A thoughtful engagement with postmodernism will encourage us to look backward. We will see that much that goes under the banner of postmodern philosophy has one eye on ancient and medieval sources and constitutes a significant recovery of premodern ways of knowing, being, and doing.” (p25)

and

“Postmodernism can be a catalyst for the church to reclaim its faith not as a system of truth dictated by a neutral reason but rather as a story that requires ‘eyes to see and ears to hear.” (p125)

We on the Left should be very afraid of what “our side” has produced. Of course, not every problem in society today is the fault of postmodern thinking, and it is not helpful to suggest that it is. The rise of populism and nationalism in the US and across Europe are also due to a strong existing far-Right and the fear of Islamism produced by the refugee crisis. Taking a rigidly “anti-SJW” stance and blaming everything on this element of the Left is itself rife with motivated reasoning and confirmation bias. The Left is not responsible for the far-Right or the religious-Right or secular nationalism, but it is responsible for not engaging with reasonable concerns reasonably and thereby making itself harder for reasonable people to support. It is responsible for its own fragmentation, purity demands and divisiveness which make even the far-Right appear comparatively coherent and cohesive.

In order to regain credibility, the Left needs to recover a strong, coherent and reasonable liberalism. To do this, we need to out-discourse the postmodern-Left. We need to meet their oppositions, divisions and hierarchies with universal principles of freedom, equality and justice. There must be a consistency of liberal principles in opposition to all attempts to evaluate or limit people by race, gender or sexuality. We must address concerns about immigration, globalism and authoritarian identity politics currently empowering the far- Right rather than calling people who express them “racist,” “sexist” or “homophobic” and accusing them of wanting to commit verbal violence. We can do this whilst continuing to oppose authoritarian factions of the Right who genuinely are racist, sexist and homophobic, but can now hide behind a façade of reasonable opposition to the postmodern-Left.

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Our current crisis is not one of Left versus Right but of consistency, reason, humility and universal liberalism versus inconsistency, irrationalism, zealous certainty and tribal authoritarianism. The future of freedom, equality and justice looks equally bleak whether the postmodern Left or the post-truth Right wins this current war. Those of us who value liberal democracy and the fruits of the Enlightenment and Scientific Revolution and modernity itself must provide a better option.

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Helen Pluckrose is a researcher in the humanities who focuses on late medieval/early modern religious writing for and about women. She is critical of postmodernism and cultural constructivism which she sees as currently dominating the humanities. You can connect with her on Twitter @HPluckrose

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Notes

[1] The Order of Things: An Archaeology of the Human Sciences (2011) Routledge. p183

[2] ‘About the Beginning of the Hermeneutics of the Self: Two Lectures at Dartmouth.’ Political Theory, 21, 198-227

[3] Postmodernism: A Very Short Introduction. (2002) Oxford University Press. p49

[4] The Chomsky – Foucault Debate: On Human Nature (2006) The New Press. P41

[5] http://hydra.humanities.uci.edu/derrida/sec.html

[6] Positions. (1981) University of Chicago Press p41

[7] http://hotair.com/archives/2017/03/10/is-intersectionality-a-religion/

[8] Challenging Postmodernism: Philosophy and the Politics of Truth (2003) Prometheus Press. p 26.

[9] In Sullivan http://hotair.com/archives/2017/03/10/is-intersectionality-a-religion/

[10]  http://dailycaller.com/2017/01/30/anti-trump-march-for-sc...

[11] http://blogs.spectator.co.uk/2016/10/science-must-fall-ti...

[12] https://kenanmalik.wordpress.com/2017/02/05/not-post-trut...

Helen Pluckrose

Helen Pluckrose is a researcher in the humanities who focuses on late medieval/early modern religious writing for and about women. She is critical of postmodernism and cultural constructivism which she sees as currently dominating the humanities.

vendredi, 17 février 2017

Y a-t-il un populisme de gauche ? Le cas de Podemos

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Y a-t-il un populisme de gauche ?

Le cas de Podemos

par Javier Portella

Ex: http://www.bvoltaire.fr 

Comment ce Michéa, qui voit juste en mettant dans le même panier « Hayek et Foucault », peut-il ne pas voir que Podemos, c’est du « Foucault » tout craché ?

« Tout mon livre doit être lu comme un soutien à la révolution culturelle accomplie par Podemos et aux combats des partisans de la décroissance ! » C’est ainsi que Jean-Claude Michéa – quelqu’un pour la pensée duquel j’ai la plus grande estime – s’exprimait l’autre jour lors de l’entretien accordé à Libération et où il était question de son dernier livre Notre ennemi, le capital. C’est curieux de constater la déférence avec laquelle les médias amis du capital accueillent la pensée iconoclaste, anti-système, de Jean-Claude Michéa ; lequel, loin de leur faire la moindre courbette, en profite, comme c’était le cas lors de l’entretien à Libé, pour décocher des flèches envenimées contre l’esprit libéral-libertarien que le journal incarne.

La raison la plus probable d’un tel accueil est sans doute… la plus bête aussi : c’est quand même de la « gauche » que Michéa vient, doivent-ils se dire, les bobos des rédactions ! Quoi qu’il en soit, le fait est que toute cette déférence médiatique ne va pas sans rappeler celle que les grands médias espagnols ont accordée à Podemos ; une déférence sans laquelle jamais le parti de ces jeunes gauchistes ne serait passé, dans l’espace de quelques mois, du néant où il était aux portes (encore closes) du pouvoir.

Mais la comparaison s’arrête là car, quelles que soient les illusions que Michéa se fait à l’égard de Podemos, il n’y a aucun rapport entre l’idéologie de ce parti et la pensée de ce grand penseur qui a mis nettement en lumière le rapport intime reliant le libéralisme de « droite » (le capitalisme, dans sa dimension économique) et le libertarisme de « gauche » (le même capitalisme sous son jour sociétal).

Comment Michéa, ce grand pourfendeur du nihilisme libertarien qui déracine tout à son passage, peut-il applaudir à la « révolution culturelle » accomplie par ceux qui ne rêvent que de dissoudre les restes d’identité nationale qui peuvent encore demeurer en Espagne, tout comme ils souhaitent en finir avec l’assujettissement des femmes frappées, aujourd’hui encore, prétendent-ils, par l’oppression patriarcale ? Qu’y a-t-il à admirer chez ces partisans de la théorie du genre qui se font les apôtres des revendications des associations de lesbiennes, gays, transsexuels et transgenres, sans oublier – c’est finalement là le plus important – que s’ils parvenaient au pouvoir, ils ne se borneraient pas à faciliter la vie de l’oligarchie en sauvegardant l’invasion migratoire que nos peuples subissent : les gens de Podemos adorent tellement la dissolution « multiculturelle » qu’ils seraient parfaitement capables d’organiser des ponts aériens pour aller chercher les migrants directement sur place.
 

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Deux femens se sont enchaînées dans la cathédrale Almudena: un happening foucaldien de mauvais goût. Même si Foucault peut être qualifié de "nietzschéen", ce faux nietzschéisme n'est en tous les cas pas "apollinien"... 

Comment ce Michéa, qui voit juste en mettant dans le même panier « Hayek et Foucault », peut-il ne pas voir que Podemos, c’est du « Foucault » tout craché ? Sans doute ne le voit-il pas parce que si, sur le plan sociétal, Podemos tombe en plein dans la fange nihiliste, il n’en va pas de même sur le plan économique. Là, c’est vrai, son libertarisme ne rejoint nullement le libéralisme, les positions anticapitalistes de Podemos étant plus qu’évidentes – du moins sur le papier, car mille autres questions restent posées.

Il y a deux grands fronts, finalement, dans la lutte du peuple contre les élites de l’oligarchie : le front sociétal ou culturel, et le front économique. Lorsqu’on oublie, chez ceux qu’on appelle parfois « les populistes de gauche », leur déchéance nihiliste concernant l’invasion migratoire, la dissolution sexuelle, la négation de l’identité nationale, lorsqu’on ne retient que leurs « bonnes intentions » sur le plan économique, cela revient à considérer que, de ces deux fronts – et là, je ne pense pas qu’au seul Michéa –, il y en a un qui l’emporte décidément sur l’autre. Cela revient à considérer, en un mot, que l’argent et la bouffe sont toujours la clé du monde : son « infrastructure », comme l’appellent depuis toujours les marxistes – clé ou infrastructure qu’aucun libéral-capitaliste ne saurait, d’ailleurs, contredire.

Javier Portella. 

jeudi, 08 septembre 2016

Quelques remarques sur la « French Theory »

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Quelques remarques sur la « French Theory »

par Robert Steuckers

bousquet.jpgOn me demande souvent quelle est ma position face à ce que le monde académique américain appelle la « French Theory ». Elle peut paraître ambigüe. En tous les cas de figure, elle ne correspond pas à celle qu’ont adoptée des personnalités que les maniaques de l’étiquetage placent à mes côtés, à mon corps défendant. Récemment, un théoricien néo-droitiste ou plutôt néo-néo-droitiste, François Bousquet, a rédigé un opuscule pamphlétaire dirigé contre les effets idéologiques contemporains de l’idéologie que Michel Foucault a voulu promouvoir par ses multiples happenings et farces contestatrices des ordres établis, par ses ouvertures à toutes les marginalités, surtout les plus farfelues. A première vue, le camarade néo-droitiste Bousquet, qui a accroché son wagonnet au « canal historique » de cette mouvance, a bien raison de fustiger ce carnaval parisien, vieux désormais de trois ou quatre décennies (*). Le festivisme, critiqué magistralement par Philippe Muray avant son décès hélas prématuré, est un dispositif fondamentalement anti-politique qui oblitère le bon fonctionnement de toute Cité, handicape son déploiement optimal sur la scène mondiale : dans ce contexte absurde, on n’a jamais autant parlé de « citoyenneté », alors que le festivisme détruit la notion même de « civis » de romaine mémoire. La France, depuis Sarközy et plus encore depuis le début du quinquennat de Hollande, est désormais paralysée par diverses forces délétères dont les avatars plus ou moins bouffons de ce festivisme post-foucaldien se taillent une large part.

Le paysage intellectuel français est envahi par cette luxuriance inféconde, ce qui déborde, via les relais médiatiques, dans la vie quotidienne de chaque « citoyen », distrait de sa nature de zoon politikon au profit d’un histrionisme ravageur. L’interprétation anti-foucaldienne de Bousquet peut donc s’avérer légitime quand on pose le diagnostic d’une France gangrénée par diverses forces pernicieuses dont ce festivisme inauguré par les foucaldiens avant et après la mort de leur gourou.

Cependant, une autre approche est parfaitement possible. L’Occident, que j’ai toujours défini comme un ensemble idéologique et politique négatif et vecteur de déclin, est constitué d’un complexe touffu de dispositifs de contrôle installés par des pouvoirs malsains se réclamant notamment de Descartes et surtout de Locke. Aujourd’hui, ces dispositifs cartésiens/lockiens, occidentaux au sens négatif du terme (notamment pour les penseurs russes), sont critiqués par une figure actuelle de la gauche américaine comme Matthew B. Crawford. Cet auteur est à la base un philosophe universitaire qui a rejeté ces dispositifs idéologico-philosophiques abscons et déréalisants pour devenir l’entrepreneur d’un bel atelier de réparation de motos. Il explique son choix : c’est une lecture approfondie de Heidegger qui l’a amené au rejet définitif de cet appareil philosophico-politique occidental, expression sans doute de ce que le philosophe de la Forêt Noire nommait la « métaphysique occidentale ». Heidegger, pour Crawford, est le philosophe allemand qui a essayé d’infléchir la philosophie en direction de la concrétude, de la substance palpable, après avoir constaté que la philosophie occidentale débouchait dans un cul-de-sac, sans espoir d’en sortir.

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Crawford, comme Foucault, est donc un heideggerien cherchant à retrouver la concrétude derrière le fatras idéologique occidental. Crawford et Foucault constatent, suite à une lecture attentive des écrits de leur maître souabe, que Locke, figure emblématique de la pensée anglo-saxonne et, par suite, de la pensée politique dominante dans toute l’américanosphère, rejetait la réalité dans tous ses aspects comme un médiocre ensemble de trivialités. Cette position de Locke, père fondateur d’un libéralisme aujourd’hui dominant sur la planète, conduit à considérer tout contact avec les réalités concrètes, tangibles et substantielles comme non philosophique voire anti-philosophique, donc comme une démarche dépourvue d’importance voire grosse de perversités à oublier ou à refouler.

Foucault, avant Crawford, avait souligné la nécessité de se débarrasser de cet appareil conceptuel oppresseur bien qu’en lévitation perpétuelle, cherchant délibérément à rompre tout contact avec le réel, à détacher hommes et peuples de tout ressourcement dans la concrétude. Dans ses premiers écrits, que Bousquet ne cite pas, Foucault a montré que les dispositifs de pouvoir inaugurés par les Lumières du 18ème siècle ne constituent nullement un mouvement de libération, comme le veulent les propagandes occidentales, mais, au contraire, un mouvement subtil de mise au pas des hommes et des âmes destiné à dresser l’humanité, à l’aligner sur des schémas rigides et à l’homogénéiser. Dans cette optique, Foucault constatait que, pour la modernité des Lumières, l’hétérogénéité, constitutive du monde, soit les innombrables différences entre peuples, religions, cultures, « patterns » sociaux ou ethniques, devait irrémédiablement disparaître. Claude Lévi-Strauss, pour sa part, en tant que philosophe et ethnologue, avait plaidé pour le maintien de tous les schèmes ethno-sociaux afin de sauver l’hétérogénéité du genre humain parce que c’était justement cette hétérogénéité qui permettait à l’homme de pouvoir poser des choix, d’opter, le cas échéant, pour d’autres modèles si les siens, ceux de ses héritages, venaient à faillir, à s’affaiblir, à ne plus s’avérer capables de faire front dans les combats pour la vie. L’option de Lévi-Strauss était donc ethnopluraliste.

Foucault, lui, a choisi une autre voie pour échapper, croyait-il, à l’emprise des dispositifs inaugurés par les Lumières et visant l’homogénéisation totale et complète de l’humanité, toutes races, ethnies et cultures confondues. Pour Foucault, interprète audacieux de la philosophie de Nietzsche, l’homme, en tant qu’individu, devait « se sculpter soi-même », faire de sa personne une nouvelle sculpture au hasard de ses caprices et de ses désirs, en combinant autant d’éléments possibles, choisis arbitrairement pour changer son donné physique et sexuel, comme le suggèreront en force, et jusqu’à la folie, les théories du genre après lui. C’est cette interprétation-là du message nietzschéen que Bousquet, dans son nouveau pamphlet néo-droitiste, a fustigée copieusement. Mais, indépendamment de cette audace polissonne de Foucault et de tous les foucaldiens qui l’ont suivi, la pensée de Foucault est également nietzschéenne et heideggerienne quand elle entend susciter une méthode « généalogique et archéologique » pour en arriver à comprendre le processus d’émergence de notre cadre civilisationnel occidental, aujourd’hui rigidifié.

akm-mf.gifJe pense que Bousquet aurait dû tenir compte de plusieurs refus de Foucault pour ne pas demeurer au stade du pur prurit pamphlétaire : la critique foucaldienne de l’homogénéisation des Lumières et du rejet lockien du réel comme insuffisance indigne de l’intérêt du philosophe (cf. Crawford), la double méthode archéologique et généalogique (que la philosophe française Angèle Kremer-Marietti avait mise en exergue jadis dans un des premiers ouvrages consacrés à Foucault). En ne tenant pas compte de ces aspects positifs et féconds de la pensée de Foucault, Bousquet fait courir un risque à son landernau néo-droitiste parisien, celui de réintroduire en son maigre sein une rigidité conceptuelle dans les stratégies métapolitiques alternatives qu’il entend déployer. L’anti-foucaldisme de Bousquet a certes ses raisons mais il me paraît inopportun d’opposer de nouvelles rigidités à l’apparatus actuel constitué par les nuisances idéologiques dominantes. Foucault demeure, en dépit de ses multiples giries, un maître qui nous apprend à comprendre les aspects oppresseurs de la modernité issue des Lumières. La faillite des établissements politiques inspirés par le fatras lockien conduit aujourd’hui les tenants de ce bataclan démonétisé à faire appel à la répression contre tous ceux qui, pour paraphraser Crawford, feraient mine de vouloir retourner à un réel concret et substantiel. Ils tombent le masque que Foucault avait, après Nietzsche, essayé de leur arracher. La modernité est donc bel et bien un éventail de dispositifs oppresseurs : elle peut dissimuler cette nature foncière tant qu’elle tient un pouvoir qui fonctionne vaille que vaille. Cette nature revient au galop quand ce pouvoir commence à crouler.

Le festivisme des post-foucaldiens n’a finalement été qu’un fin peinturlurage pour donner du bois de rallonge aux établissements « lockiens ». A ce titre, Crawford est, dans le contexte contemporain, plus pertinent et plus compréhensible que Foucault quand il explique comment les pensées soi-disant libératrices des lockiens ont éloigné l’homme du réel, jugé imparfait et mal agencé. Ce réel, par sa lourde présence, handicape la raison, pensait Locke, et mène les hommes à l’absurde. Nous avant là, anticipativement, et sur un plan philosophique apparemment raisonnable et décent, le réflexe défensif et agressif de l’établissement actuel face à diverses réactions dites « populistes », ancrées dans le réel de la vie quotidienne. Ce réel et ce quotidien se rebiffent contre une pensée politique imposée et anti-réaliste, niant les ressorts du « réel réellement existant », du « réel sans double (imaginaire) » (Clément Rosset). La pensée politique dominante et les appareils juridiques sont lockiens, nous dira Crawford, dans la mesure où le réel, où toute concrétude, toute tangibilité, sont posés derechef comme imparfaits, insuffisants, absurdes. Les tenants de ces postures arrogantes sont dans le déni, le déni de tout. Et ce déni absolu finira par basculer dans le répressif ou par sombrer dans le ridicule ou dans les deux à la fois, le temps d’une apothéose bouffonne, grimaçante. En France, le trio Cazeneuve, Valls et Hollande, et le cortège des femelles qui tournoient autour d’eux en donne déjà un avant-goût sinon une illustration. 

mf-th-inst-pen.jpgFoucault avait découvert que toutes les formes de droit instaurées depuis le 17ème siècle français (cf. son livre intitulé « Théories et institutions pénales ») étaient répressives. Elles avaient abandonné un droit, d’origine franque et germanique, qui était, lui, véritablement libertaire et populaire, pour le troquer contre un appareillage juridique et judiciaire violent en son essence, anti-réaliste, hostile au « réel réellement existant » qu’est par exemple la populité. Le comportement de certains juges français face aux réactions populaires, réalitaires et acceptantes, ou face à des écrits jugés incompatibles avec les postures rigides dérivées de l’antiréalisme foncier des fausses pensées des 17ème et 18ème siècles, est symptomatique de la nature intrinsèquement répressive de cet ensemble établi, de ce faux libertarisme et révolutionnisme désormais rigidifiés parce qu’institutionalisés.

Nous pourrions donc percevoir la « French Theory », et ses aspects dérivés de la pensée de Foucault (en ses différents aspects successifs), non comme un vaste instrumentarium visant à recréer arbitrairement l’homme et la société, tels qu’ils n’ont jamais été auparavant dans l’histoire et dans la phylogénèse, mais, au contraire, comme une panoplie d’outils pour nous débarrasser du fardeau que Heidegger désignait comme des « constructions métaphysiques » faillies qui oblitèrent désormais lourdement la vie réelle, le donné vital des peuples et des individualités humaines. Nous devons nous doter d’instruments conceptuels pour critiquer et rejeter les dispositifs oppresseurs et homogénéisants de la modernité occidentale (lockienne), qui ont conduit les sociétés de l’américanosphère dans l’absurdité et le déclin. De plus, un rejet cohérent et philosophiquement bien charpenté des appareils issus des Lumières implique de ne pas inventer un homme soi-disant nouveau et fabriqué (sculpté, dirait Foucault dans ce qu’il faut bien nommer ses délires…).

slotleben.jpgL’anthropologie de la révolte contre les dispositifs oppresseurs qui se donnent le masque de la liberté et de l’émancipation pose un homme différent de cet homme séraphinisé des lockiens secs et atrabilaires ou modelé selon les fantaisies hurluberluesques du Foucault délirant des années 70 et 80.  La voie à suivre est celle d’une retour/recours à ce que des penseurs comme Julius Evola ou Frithjof Schuon appelaient la Tradition. Les voies pour modeler l’homme, pour le hisser hors de sa condition misérable, tissée de déréliction, sans toutefois le chasser du réel et des frictions permanentes qu’il impose (Clausewitz), ont déjà été tracées, probablement aux « périodes axiales » de l’histoire (Karl Jaspers). Ces voies traditionnelles visent à donner aux meilleurs des hommes une épine dorsale solide, à leur octroyer un centre (Schuon). Les ascèses spirituelles existent (et n’imposent pas nécessairement le dolorisme ou l’auto-flagellation). Les « exercices » suggérés par ces traditions doivent impérativement être redécouverts, comme d’ailleurs le philosophe allemand Peter Sloterdijk vient récemment de le préconiser. De fait, Sloterdijk exhorte ses contemporains à redécouvrir les « exercices » d’antan pour se discipliner l’esprit et pour se réorienter dans le monde, afin d’échapper aux impasses de la fausse anthropologie des Lumières et de leurs piètres avatars idéologiques des 19ème et 20ème siècles.

Les « Gender Studies » et les gesticulations post-foucaldiennes sont également des impasses, des échecs : elles ont annoncé notre « kali yuga », imaginé par l’antique Inde védique, époque de déliquescence avancée où hommes et femmes se conduisent comme les bandarlogs du « Livre de la Jungle » de Kipling.  Un retour à ces traditions et ces exercices, sous le triple patronage d’Evola, Schuon et Sloterdijk, signifierait mettre une parenthèse définitive aux expériences bizarres et ridicules qui ont conduit l’Occident à son déclin actuel, qui ont amené les Occidentaux à déchoir profondément, à devenir des bandarlogs.

Robert Steuckers,

Bruxelles-Ville, juin 2016. 

(*) Le problème de Bousquet, c’est qu’il fustige ce carnaval grand format au départ d’un cénacle tout aussi carnavalesque, mini-format, où des figures à la Jérôme Bosch s’agitent et se trémoussent.    

lundi, 09 juin 2014

Sobre el triunfo de la biopolítica en Foucault

Sobre el triunfo de la biopolítica en Foucault

por Giovanni B. Krähe

Ex: http://geviert.wordpress.com

El liberalismo pretende, entonces, demostrarle a la política cuáles son sus límites en una dimesión extraña a la política misma. En este sentido, intenta demostrar “una incompatibilidad de principio entre el desenvolvimiento óptimo del proceso económico y una maximización de los procedimientos gubernamentales” (363). En este sentido, el liberalismo no nace del contractualismo o del análisis económico, sino de la “busqueda de una tecnología liberal de gobierno”. La regulación de la forma jurídica se muestra, en este sentido, instrumentalmente eficaz. Siguiendo esta argumentación, el sistema parlamentario puede ser visto, entonces, como el “modo más eficaz de economía gubernamental” (363). Foucault trata de demostrar que la teoría democrática y el estado de derecho, son ambos instrumentalmente ventajosos para el liberalismo en su objetivo de racionalizar la gobernabilidad. En otros términos, se trata de trasladar la dinámica y la naturaleza ecónomica en el ámbito de la política, con el objetivo de suplantarla. En este sentido, se puede deducir fácilmente que el liberalismo no es una política en sentido estricto, puesto que no existe una política liberal sino una reflexión crítica de carácter liberal sobre la práctica gubernamental y la naturaleza de lo político. Para lograr tal objetivo, el liberalismo se apoya en dos dimensiones completamentente extrañas a la política: la dimensión de lo social (a través del utilitarismo individualista) y la dimensión económica (el mercado). Se notará por qué ha sido tan simple, para los grupo de ideológos neo-marxistas, declinar el binomio sociedad-mercado en los términos de un (supuesto) liberalismo de izquierda. El objetivo último de la crítica liberal será alcanzar “una tecnología del gobierno frugal” (Foucault cita Franklin).

samedi, 14 septembre 2013

L'IRONIE CONTRE LA “POLITICAL CORRECTNESS”

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Robert Steuckers:

L'IRONIE CONTRE LA “POLITICAL CORRECTNESS”

Université d'été de "Synergies Européennes", lundi 28 juillet 1997

Cercle Proudhon, Genève, décembre 1997

Organiser un atelier de l'Université d'été sur l'ironie comme “arme” contre la “political correctness” est politiquement et métapolitiquement justifié.

En effet, quelle est l'origine de la “political correctness” (dorénavant en abrégé: PC)?

Aux Etats-Unis, dès la fin des années 70, le relativisme, la ruine des idéaux et des ressorts communautaires provoquent une réaction qui prend forme dans le livre de John Rawls, A Theory of Justice (1979).

Pour atteindre l'idéal de la justice, pour le concrétiser, il faut, entre autres choses:

- une philosophie normative

- des normes capables de revigorer les ressorts coopératifs et communautaires de la société.

- Or, la tendance générale de la philosophie anglo-saxonne avait été de dire que les normes n'avaient pas de sens.

Donc, à la veille de l'accession de Reagan à la présidence des Etats-Unis, on dit: «Il faut des normes».

Pour avoir des normes, deux solutions:

1. Adopter les idées de Rawls, et ainsi promouvoir la justice, la coopération, la communauté. Mais c'est incompatible avec le programme néo-libéral de Reagan.

2. Déclarer indépassables, les “valeurs” du libéralisme telles qu'elles avaient été fixées par Locke à la fin du 17ième siècle. C'est Nozick qui offre cette option dans son livre Anarchy, State, Utopia (1974). Pour Nozick, l'Etat doit protéger ces valeurs libérales anglo-saxonnes contre toutes les autres.

Toutes les autres? Cela fait beaucoup de choses! Beaucoup de choses à rejeter!

Avec Hobbes, la philosophie politique anglaise avait rejeté hors de son champs les controverses religieuses parce qu'elles menaient à la guerre civile (ère des neutralisations disait Carl Schmitt).

Avec les déistes (Charles Blount, John Toland, Matthew Tindal, Thomas Woolston), la raison doit oblitérer les parts obscures de la religion, pour qu'elles ne deviennent pas subitement incontrôlables.

Comme on est en Europe, les déistes acceptent le christianisme par commoditié (sans y croire), mais ce christianisme signifie:

- un christianisme raisonnable (sans excès, sans fanatisme, etc.);

- le déisme a pour objectif de "raisonnabiliser" le christianisme (et toute la sphère religieuse);

- religion et "bon sens" doivent coïncider;

- il ne peut pas y avoir d'opposition entre religion et “bon sens ";

- il faut évacuer les mystères, car ils sont incontrôlables.

- les institutions religieuses doivent être "tranquilles”;

- miracles et autres "absurdités" du Nouveau Testament sont purement "symboliques".

John Butler, issu du filon aristotélo-thomiste médiéval répond à l'époque aux déistes:

- l'homme est un "être insuffisant", "imparfait", il présente donc ontologiquement des lacunes, il est quelques fois ontologiquement "absurde";

- l'homme a besoin de béquilles culturelles, dont, surtout, un système de normes, de fins. Ce système doit certes être logique, mais pas complètement accessible à notre raison.

C'est dans le contexte de cette disputatio  entre les déistes et Butler qu'il faut replacer deux grands maîtres de l'ironie:

- John Arbuthnot (1667-1735) et

- Jonathan Swift (1667-1745).

John Arbuthnot, ami et inspirateur de Swift est médecin et mathématicien. Il n'écrira pas de livre qui fera date, sauf peut-être son Martinus Scliberus, satire exagérant les défauts des hommes réels. Qui souligne l'inadéquation entre la théorie idéale de l'homme et l'homme de chair, de sang, de vice et de stupre.

L'ironie d'Arbuthnot se retrouvera dans le maître-ouvrage de Swift: Gulliver's Travels  (= Les voyages de Gulliver).

Première remarque sur les “Voyages de Gulliver": on croit que c'est un livre pour les enfants; effectivement une masse de versions édulcorées de ce livre existent à l'usage des enfants. Mais faisons nôtre cette remarque de Maurice Bouvier-Ajam: «Que d'éditions abêties, mutilées, trahies pour "plaire" au jeune lecteur! Et de quelles joies cette mutilation de l'œuvre ne prive-t-elle pas l'adulte, trompé et blasé prématurément... et frauduleusement...».

D'Arbuthnot, Swift reprend:

- la pratique de la physiognomie, c'est-à-dire un mode d'arraisonnement du réel et plus particulièrement du grotesque qui lui est inhérent (à mettre en parallèle avec les “Caractères” de La Bruyère et avec le "regard physiognomique" de Jünger);

- la pratique de l'humour et du sarcasme;

- un point de vue physique (physiologique au sens nietzschéen, participant de la “révolte des corps" et de la Leiblichkeit).

- un rationalisme moqueur et non constructiviste, moralisateur, pédant;

- l'idée d'un rationalisme comme "humilité de l'intelligence".

 

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Souvent, la "raison", dans le contexte de la modernité européenne, est "révolutionnaire" parce qu'elle abat les irrationalités stabilisantes de la société en place, pour les remplacer par de nouveaux édifices raisonnables mais rigides (querelle des déistes).

Face à cette rationalité moderne, la rationalité de Swift:

- n'est pas un irrationalisme conservateur articulé pour répondre aux déistes ou aux rationalistes

- mais une moquerie qui fragilise toutes les conventions, y compris anticipativement, celles des rationalistes.

Swift:

- raille les fanatismes des catholiques et des sectes protestantes "non conformistes";

- se révolte contre les ambitions constructivistes des déistes;

- dresse une pathologie des "Etats mystiques", qui ne camouflent, derrière leurs discours sublimes, que des turpitudes, des désirs inavoués de stupre ou de richesse.

- démontre que les discours des sectes protestantes (Quakers, Rauters, Huguenots extrémistes) sont des "convulsions", des "fermentations troubles de l'animalité" (Cf. A Tale of a Tub. Discourse Concerning the Mechanical Operation of the Spirit).

Dans The Battle of Books, on trouve une critique acerbe du rationalisme car celui-ci est:

- ambitieux;

- insolent;

- inacceptablement hostile à l'égard de la "gloire des Anciens";

- une activité théorique stérile (Cf. le Royaume de Laputa).

Swift prévoit déjà: «La fièvre de la spéculation, de l'enquête rationnelle, et, déjà, du progrès mécanique, que la société qui lui est contemporaine exhibe déjà; il la présente comme l'ardeur agitée de cerveaux surchauffés, dans lesquels se bousculent toutes sortes de "projets" et d'inventions, autant de chimères sans queue ni tête» (Legouis/Cazamian, p. 762).

L'homme est par essence vil et corrompu. Pour y remédier:

- Hobbes avait prévu un contrat et l'érection du Léviathan;

- Locke avait forgé l'idée du contrat démocratique moderne et préconisé, à la suite des déistes, d'"expurger les mystères";

- Swift reste un pessimiste fondamental:

- le contrat ne changera pas la nature humaine;

- le contrat ne sera toujours que provisoire;

- ni mystères de la religion ni noirceurs de l'âme humaine ne sont éradicables.

Chez Swift, nous découvrons un rejet de toutes les affirmations générales [qui prendra ultérieurement des formes très diverses: chez Herder, chez les Romantiques allemands, chez Jünger (cf. sa définition du "nationalisme" comme révolte du particulier contre le général), dans la révolte diffuse depuis Foucault contre les affirmations générales actuelles].

Avec Swift démarre aussi la tradition littéraire anglaise de la "contre-utopie”.

- L'utopie est un lieu idyllique, une île merveilleure ou la lune chez Cyrano de Bergerac.

- Mais la tradition utopique draine en elle-même sa propre réfutation. Le projet idéal de l'utopiste est trop souvent froid et sec, pur projet de législation alternative visant à CORRIGER LE RÉEL. Dans ce cas, écrit le Prof. Raymond Trousson dans Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique:  «il n'est pas possible d'évoquer un possible latéral, mais de peser sur l'histoire».

Cette tradition contre-utopique trouvera son apogée dans le 1984 d'Orwell, où le futur devient cauchemar (Future as Nightmare). Le futur est alors le fruit, le résultat d'une volonté de transposer dans le réel les idées:

- des déistes/des rationalistes;

- de Locke;

- des projets de sociétés parfaites;

Nous retrouvons l'intention de Nozick.

Pour Rainer Zitelmann, la pensée utopique s'articule autour de trois idées majeures:

- La "fin de l'histoire", après la généralisation planétaire du "projet" ou du "code".

- La croyance en la possibilité d'émergence d'un "homme nouveau", par dressage ou rééducation.

- La croyance aux effets "eudémoniques" de l'égalité.

Ces trois idées marquent fortement la "political correctness" actuelle. C'est contre elles qu'il faut déployer ironie, sarcasmes et moqueries.

Les recettes de cette stratégie du rire sont multiples.

Examinons-en deux:

- L'œuvre de l'Espagnol Eugenio d'Ors.

- L'œuvre du sociologue néerlandais Anton Zijderveld.

Puis replaçons leurs arguments dans un contexte philosophique contemporain plus général.

EUGENIO D'ORS (1881-1954):

dors.jpgCe philosophe catalan a été défini comme: un "Socrate nordique", un "Goethe méditerranéen", un "personnage de théâtralité baroque".

A 25 ans en 1906, il décide: «Je serai ironique». Option première qui ne sera jamais démentie.

Sa réflexion sur l'ironie part du constat suivant:

- Présence de l'ironie dans la philosophie grecque, où l'ironie est jugée négative par Aristophane et Platon, mais jugée intéressante par Socrate (qui déploie son "ignorance méthodique" et sa "maïeutique") et par Aristote pour qui l'ironie est une modestie intellectuelle (Butler, Swift).

D'où d'Ors retient de l'ironie grecque qu'elle est "une sorte d'humilité courtoise qui suscite la confiance, une façon de se comporter qui est altruiste". Retenons cette définition, mais ajoutons-y celle de Cicéron: «L'ironie est une habilité polémique». Dans ce cas, elle est une stratégie du dialogue, de la polémique politique.

Mais d'Ors va plus loin que le dialogue:

- La présence de l'interlocuteur finit par n'être plus nécessaire chez lui.

- d'Ors applique l'ironie au monologue intérieur (Céline) du penseur solitaire.

- d'Ors prend distance par rapport à son objet;

- d'Ors dépassionne les débats philosophiques et politiques;

- d'Ors dévalue ainsi tactiquement son objet (précisons: tactiquement et non pas fondamentalement);

- d'Ors aborde tout objet de façon oblique (pas d'affrontement frontal: stratégie intelligente de l'esquive qui s'avère bien utile quand on est quantitativement, numériquement inférieur).

- pour d'Ors, l'ironiste aborde l'objet du débat sans avoir l'air de s'impliquer, ni même de la connaître vraiment.

- Avec cette position détachée, il va opter pour une stratégie de hit and run; il va soulever tantôt tel aspect, tantôt tel autre, frapper, se retirer, obliger l'ennemi à se fixer sur tel front et alors il attaquera sur un autre front, pour revenir au premier comme par hasard.

- l'ironie de d'Ors ne vise pas une connaissance globale, totale, mais reste ouverte à toutes les additions et les soustractions; ainsi elle ne divise pas, mais intègre au départ du divers, de la fragmentation.

- Mieux: l'ironie de d'Ors intègre la contradiction; elle admet qu'il y a des contradictions insurmontables dans le monde.

Avec Eugenio d'Ors, l'ironie devient synonyme d'"esprit philosophique" et même de "dialectique". Elle cherche à éviter l'écueil d'une philosophie trop préceptive.

Il y a là un parallèle évident avec notre propre démarche: refuser les préceptes du "nouvel ordre mondial", issu des affirmations de Locke, réactualisées et figées hors contexte  —et anachroniquement—  par Nozick et Buchanan.

L'objectif de d'Ors est:

- d'observer la réalité, de l'accepter dans ses diversités;

- d'éviter l'écueil d'un normativisme sec (que la philosophie relativiste avait jugé dénué de sens);

- de faire de la philosophie ironique la fidèle interprète de la réalité:

- de baigner à nouveau la philosophie dans les eaux vives de la curiosité;

- de s'inscrire dans la tradition vitaliste hispanique (Cf. le "ratiovitalisme" d'Ortega y Gasset).

- d'affirmer que les contradictions sont toujours déjà là, non comme dans la vulgate hégélienne, où la contradiction est perçue comme une forme ultérieure dans le temps. Eugenio d'Ors affirme la simultanéité du réel et des contradictions, sans vectorialité ni téléologie.

Ensuite:

1. L'ironie correspond à la plasticité du monde:

- mots-clefs: activité, flexibilité, dynamisme, élasticité.

- l'ironie respecte la "malléabilité" de tout objet (jamais elle ne le pose comme a priori rigide et fermé).

- l'ironie vise l'adéquation de l'intellect à un monde de lignes "estompées": fluides, fuyantes, diffuses (cf. Hennig Eichberg, in Vouloir n°8).

2. L'ironie correspond à l'ambigüité du langage:

Cet aspect de la philosophie de d'Ors est très important dans la lutte contre toute orthoglossie (contre toute prétention à imposer un langage unique, pour une pensée unique).

Première chose à retenir:

- Toute langue est la forme nécessaire que doit revêtir le savoir humain.

- Cependant, dit d'Ors, dans tout lexique, et plus particulièrement dans tout lexique philosophique, il y a toujours un "minimum d'équivoque" ou d'"inévitables imprécisions".

Pour d'Ors comme pour nous, ce n'est pas une tare mais "une garantie de vivacité, ce qui est hautement désirable", car le langage est alors bien le reflet du dynamisme du monde et du savoir.

Tout mot, toute parole, est dans une telle optique un ÉVENTAIL de possibilités créatrices ouvertes, un mouvement, une impulsion pour la pensée, une potentialité active d'enchaînements, de sources et de MÉTAPHORES.

D'Ors s'appuie sur la définition du langage de HUMBOLDT:

«Le langage n'est pas un résultat, tout de quiétude et de repos, mais une énergie, une création continue».

L'amphibologie (double sens que revêt ou peut revêtir toute phrase) et l'inexactitude du langage font de celui-ci une RAMPE DE LANCEMENT pour l'innovation: tout vrai écrivain écrit de perpétuels NÉOLOGISMES. (L'écrivain donne des sens nouveaux aux mots, les enrichit, les complète, complète leur champ sémantique, révèle des facettes occultées, oubliées ou refoulées du vocabulaire).

Par leur ambigüité constitutive, les langues ne résistent pas à l'exactitude quantitative et à la rigueur terminologique des symboles mathématiques. Pour les tentatives de construire une philosophie more geometrico  est condamnée à l'échec (mais aussi de construire une orthoglossie où les mots seraient tous absolument UNIVOQUES).

- L'ironie consiste à reconnaître cet incontournable fait de la linguistique: l'amphibologie.

- L'ironie reconnait le caractère irrécusablement métaphorique de toute parole, reconnait la dualité ou la pluralité inhérente à toute formulation. D'Ors: «Ley más laxa, más inteligente».

Conclusion de ce point 2:

«L'équivocité polysémique, que la philosophie conventionnelle (et partant, toute orthoglossie ou toute "novlangue" à la Orwell), ont considéré comme une malédiction babelienne, devient par le travail et la grâce, la légèreté, la flexibilité et la souplesse de l'ironie d'orsienne, une chance de comprendre davantage de choses dans ce qui est dit, de ne pas réduire le contenu du discours et de la pensée à des univocités rigides. Et surtout l'ironie d'orsienne nous permet toujours de compter avec la collaboration créatrice de l'autre, de l'interlocuteur potentiel (remarquons que la bonne formule pour désigner le dialogue avec l'Autre, venu d'une autre civilisation ou d'une autre culture est: “dialogue interculturel”).

Contre toutes les orthoglossistes fanatiques, présents et à venir, d'Ors sanctifie le PÉCHÉ ORIGINEL des langages, c'est-à-dire leur plurivocité. On ne peut pas renoncer aux contradictions et aux ambigüi­tés.

3. L'ironie correspond à la nature inépuisable de la vérité:

Comme l'ironie est MODESTIE INTELLECTUELLE, elle accepte qu'il reste des secrets, des mystères, dans le ciel et sur la terre (contrairement aux déistes). Il est impossible d'interpréter de façon EXHAUSTIVE les faits du monde. Ce serait aller à l'encontre de la nature.

4. L'ironie correspond à un monde où l'on travaille et l'on joue:

Dès 1911, d'Ors dit: «je vais énoncer la philosophie de l'homme en activité, de l'homme qui travaille et qui joue» (En 1914 paraît son livre: Filosofia del hombre que trabaja y juega).

L'existence humaine, c'est certes la lutte pour la vie, mais c'est aussi la fête et la joie. Ignorer l'aspect ludique, c'est mutiler cruellement l'humanité. Car le jeu est souvent, plus que le travail, le “lieu de la créativité”.

5. L'ironie correspond à l'aspect contradictoire du réel:

6. L'ironie correspond à l'expression catalane de “SENY":

- Quand les Catalans parlent de "Seny", ils entendent un mélange de sagesse, de savoir, de maturité, de prudence, de bon sens et d'intelligence.

- Pour le Catalan Eugenio d'Ors, l'ironie est la méthode du philosophe doué de "seny".

- Eugenio d'Ors replace ainsi l'ironie dans l'éthique, refuse de faire de l'ironie une pure arme de destruction.

- L'ironie ramène les choses à leurs justes proportions, qui ne sont jamais figées mais toujours en mouvement.

- L'ironie est donc une "position de liberté" vis-à-vis des axiomes rigides.

- L'ironie, en tant que position de liberté, donne à celui qui la pratique une position souveraine, libre de toute entrave, indépendante face au monde (mundanus),  aux contingences frivoles ou éphémères.

- Le philosophe ironique est davantage libre-penseur que le philosophe dogmatique.

La SOCIOLOGIE D'ANTON ZIJDERVELD:

Anton_Zijderveld_-_2012.jpgAprès le philosophe catalan Eugenio d'Ors, abordons la sociologie du Néerlandais Anton Zijderveld (disciple d'Arnold Gehlen).

Pour lui:

- L'humour est spontanéité et authenticité;

- L'humour est une fonction sociale oblitérée et traquée par la modernité;

- L'humour est une fonction sociale qu'il convient impérativement de réhabiliter. Dans cette optique, il faut, dit-il, retrouver le sens des fêtes, du carnaval, de la Fête des Fous où se conjuguent ébats de toutes sortes, dérision ritualisée du pouvoir et des édiles.

Le point de vue de Zijderveld n'est pas destructeur ou dissolvant: il dit que l'humour ne détruit pas les institutions (au sens de Gehlen), il les maintient en les remettant en question à intervalles réguliers, il évite qu'elles ne tournent à vide ou dérivent dans l'absurbe de la répétition.

Zijderveld s'oppose à ce qu'il appelle une “gnose sociale”, ou plus spécifiquement, le “nudisme social”. Selon le “nudisme social”, l'homme moderne est porté par l'obsession consistant à dire que l'homme n'est authentique que s'il a abjuré tous les rôles qu'il a joués, joue ou pourrait jouer au sein des institutions.

Rôles et institutions sont considérés par les “nudistes sociaux” comme des vecteurs d'aliénation oblitérant le véritable "moi" (fiction).

La fête médiévale, la Fête des Fous, les esbaudissements des Goliards, les confréries carnavalesques impliquent justement le port du masque: cela signifie qu'un homme authentique, qu'il soit boucher, boulanger, architecte ou médecin, adopte une inauthenticité fictive dans un segment limité du temps, le temps du carnaval, où est restitué brièvement le chaos originel.

Pour Zijderveld, la “gnose”, le “nudisme social”, l'obsession de l'homme authentique sans rôle ni profession ni béquille institutionnelle, est un apport du christianisme.

Mais l'histoire du moyen-âge européen, de la Renaissance, nous révèle que ce christianisme n'est qu'un mince vernis.

Preuve: la persistance des Saturnales ro­maines sous la forme du FESTUM STULTORUM ou du FESTUM FATUUM, pendant lequel blasphèmes et moqueries sont pleinement autorisés: il s'agit ni plus ni moins d'une INVERSION SALUTAIRE DE LA NORMALITÉ QUOTIDIENNE, qui permet de recréer brièvement le chaos originel, pour montrer son impossibilité dans le quotidien, la nécessité des institutions et, en même temps, leur fragilité.

 

shipoffools.jpg

Autre signe que le christianisme médiéval n'est que vernis: la présence permanente dans cette société médiévale des GOLIARDS et des VAGANTES, qui ne cessent de blasphémer dans leurs chansons et de véhiculer des idées anti-cléricales (Cf. Les Chants de Cambridge  de 1050 et les Carmina Burana  de 1250, mis en musique en ce siècle par Carl Orff).

A partir du Concile de Bâle en 1431, de la Condamnation des fêtes par la faculté de théologie de Paris en 1444 (Charles VII doit constater que les mesures prises n'ont aucun effet!), à partir de la Renaissance, la Fête des Fous est plus réglementée (Ordonnance du Parlement de Dijon en 1552), de même que les charivaris, dont la fonction devient la moralisation de la société (moqueries contre les adultères, les filles volages, etc.).

La Bazoche des étudiants juristes de Paris, Lyon et Bordeaux organise des théâtres caricaturants et satiriques, se mue ensuite en club littéraire (dans les Pays-Bas méridionaux, on parle de "Chambre de Rhétorique” ou "Kamers der Rederrijkers", plus audacieuses que dans les grands royaumes modernes).

Zijderveld cite deux auteurs:

- Rabelais (nous y revenons)

- Erasme (Laus Stultitiae: Eloge de la folie).

Conclusion de Zijderveld:

- Battre en brèche l'arrogance de l'Aufklärung

- Démontrer que le moyen-âge est moins "obscurantiste" qu'on ne l'a écrit

- Démonter que le moyen-âge était bien davantage anti-répressif que la modernité (Foucault), du moins dans les espaces-temps réservés à la fête.

- Montrer que l'INVERSION des règles quotidiennes doit pouvoir exister dans toute société, pour assurer une convivialité féconde.

Mais quid de l'humour dans la modernité selon Zijderveld?

- L'humour de la Fête des Fous, des Saturnales, est régulateur, naturel.

- L'humour n'y est pas simple "soupape" de sécurité.

Aujourd'hui:

- L'humour est rejeté parce qu'il serait AGRESSIF (arguments psychanalytiques). Cette agression latente doit être systématiquement "punie" (“Surveiller et punir” selon Foucault).

La réponse de Zijderveld:

- L'humour permet à tous d'entrevoir la fragilité des choses, même les plus sublimes;

- L'humour permet la communication sociale de manière optimale.

- L'humour soude la solidarité du groupe.

- L'humour permet la résistance passive contre la tyrannie ou l'occupation.

RICHARD RORTY: CONTINGENCE, IRONIE ET SOLIDARITÉ

Quelle position la philosophie actuelle laisse-t-elle à l'ironie?

Quelle est la place de l'ironie dans le contexte du "nouvel ordre mondial", après la concrétisation des projets de Nozick et Buchanan?

rorty.JPGLe corpus le plus significatif, le plus souvent évoqué à l'heure actuelle est l'œuvre de RICHARD RORTY (Contingency, Irony and Solidarity).

Rappelons quelques points essentiels de l'œuvre de Rorty:

- La philosophie ne peut évoluer si elle s'en tient à des critères délibérément soustraits au temps.

- Une démarche philosophique doit toujours être replacée dans son contexte historique.

- Il faut parier pour une philosophie plus formatrice (bildende) que préceptive.

- Il faut refuser la réduction de tous les discours à un seul discours universel.

- Il faut proclamer la légitimité des discours "contingents" à deux niveaux: au niveau individuel (autopoiésis; Selbsterschaffung)  et au niveau communautaire (consolider la solidarité).

La place du philosophe ironique (comme d'Ors) se justifie par:

- la réponse au double défi qu'il apporte, double défi de l'autopoiésis et de la solidarité.

- son savoir modeste qui veut que ses convictions, ses espoirs et ses besoins sont toujours CONTINGENTS.

- son souci d'éviter d'ériger un MÉTA-DISCOURS.

- sa volonté de comprendre et de faire comprendre que la raison pure de Kant et son avatar actuel “la raison communicationnelle” de Habermas sont devenus obsolètes, dans le sens où elles sont universalistes, métadiscours, se méfient de la contingence et de l'histoire.

- Nous n'avons plus besoin de "méta-discours" mais d'un RECOURS à la multiplicité des faits contingents.

- La solidarité ne dérive plus de l'adhésion à un méta-discours partagé par tous obligatoirement, mais par respect "nominaliste" et "historique" des multiples contingences qui font le monde.

- Rorty réhabilite la PHRONESIS grecque, soit la sagesse et l'intelligence pratiques.

- Rorty rejette les philosophie, les théories qui se posent comme purement spectatrices (sa différence d'avec d'Ors) et refusent l'IMMERSION dans la contingence concrète d'un contecxte historique qui réclame implicitement la solidarité.

- Rorty réclame l'abolition des représentations figées.

- Rorty n'est pas relativiste, puisqu'il ne nie pas les valeurs propres à une contingence particulière.

- Rorty développe un ethno-centrisme axiologique ET pragmatique qui n'est nullement missionnaire. Il ne cherche pas à imposer ailleurs dans le monde les valeurs (ou les non-valeurs) de la “culture nord-atlantique".

Conclusion:

Rorty se base sur NIETZSCHE, FREUD, WITTGENSTEIN et HEIDEGGER (dont il ne reprend pas la définition de l'“Etre”), pour affirmer que les sociétés sont des contingences, pour rejeter le filon philosophique platonicien, pour dire que le philosophe doit se pencher sur la littérature, dont ORWELL et NABOKOV, parce que tous deux nous montrent l'effet de la CRUAUTÉ des métadiscours en acte à l'égard des contingences réelles de la vie et du monde.

Réel, vous avez dit "réel"?

Ce qui nous amène à Rabelais, Nietzsche, Foucault et Bataille.

RABELAIS:

rab.jpgRabelais (1494-1553), pourquoi Rabelais?

Au XXième siècle son exégète le plus intéressant est le Russe Mikhaïl BAKHTINE (1895-1975), linguiste et philosophe, historien des mentalités comme Michel Vovelle en France, Nathalie Davis dans l'espace linguistique anglo-saxon et Carlo Ginzburg en Italie.

La langue pour Bakhtine comme pour Foucault est:

- l'atelier où se forgent les instruments et les stratégies du pouvoir;

- mais elle est AUSSI le socle sur lequel se constitue une nouvelle communauté.

La langue de Rabelais, dans ses dimensions grotesques, ramène au CORPS, à ses limites et à ses capacités.

Les sources de l'écriture rabelaisienne sont les RÉCITS POPULAIRES, les CONTES et les LÉGENDES, dont les thèmes sont l'existence de sympathiques canailles, de simplets, de fous.

L'intérêt de cette écriture, c'est qu'elle hisse au niveau de la littérature universelle la dimension PARODIQUE des récits populaires.

Rabelais a vécu la rue, les marchés, les auberges et les tavernes de son temps, mais, simultanément, il a occupé de hautes fonctions.

Il fait ainsi charnière entre la culture populaire (encore largement païenne) et la culture des élites (christianisée).

Rabelais perçoit la différence entre:

- la langue des marchés, HÉTÉROGÈNE et NON FIGÉE et la langue des institutions, HOMOGÈNE et FIGÉE. Il perçoit très bien, avant la normalisation moderne, qu'il y a à la base, dans le peuple, pluralité et polysémie, tandis qu'au sommet il n'y a plus qu'univocité.

Bakhtine parlera de "réalisme grotesque" et pourra développer une critique subtile des rigidités soviétiques sans encourir les foudres du régime.

rabelais.jpgBakhtine en mettant en parallèle son réalisme grotesque et le réalisme socialiste officiel, revalorisera “LE PEUPLE RIANT SUR LA PLACE DU MARCHÉ”.

A partir de la Renaissance, l'église, la cour, l'Etat absolutiste, puis l'Etat sans monarque mais porté par l'Aufklärung, vont tenté de réduire au silence ce rire populaire, véhicule d'une formidable polysémie.

Pour Bakhtine, il s'agit d'une COLONISATION DE LA SPHÈRE VITALE (à mettre en parallèle avec les thèses analogues d'Elias, de Huizinga et de Simmel).

A la verticalité imposée d'en haut, il oppose la convivialité horizontale de la place publique.

Cette revalorisation de la convivialité et de l'humour corsé du peuple lui vaudra la critique négative de Tzvetan Todorov (auteur de Nous et les autres). Todorov accuse Bakhtine de “prendre parti pour le peuple sans esprit critique”.

Simone Périer (professeur à Paris VII) rend hommage, elle, à Bakhtine pour:

- sa biographie difficile (handicap, refus de lui accorder un doctorat)

- pour son hymne à la joie, sa profession de foi dans l'énergie collective («La sensation vivante qu'a chaque être humain de faire partie du peuple immortel, créateur de l'histoire»).

Que veut Bakhtine?

1. Transcender l'individuel: Bakhtine refuse de réduire l'humain à l'être biologique isolé ou à l'individu bourgeois égoïste.

2. Restaurer le carnaval (rabelaisien) en tant qu'antidote à l'“individuation malfaisante”.

3. Restaurer le PARLER HARDI, expression de la conscience nouvelle, libre, critique et historique.

4. Restaurer “la PROXIMITÉ rude et directe des choses désunies par le mensonge et le pharisaïsme”.

Il y a donc chez Rabelais une affirmation sans faille de la CORPORÉITÉ (de la LEIBLICHKEIT).

FOUCAULT:

Michel-Foucault.jpgNietzsche voit dans le corps le site d'une complexité née de multiples et diverses intersubjectivités et interactions, le lieu de passage de l'expérience, toujours diverse, chaque fois unique.

Foucault va systématiser ce filon corporel qui part du paganisme, de Rabelais et de Nietzsche.

Pour Foucault:

- l'homme est figure de sable, passagère et contingente, créée par des savoirs et des pratiques, tissés de hasard.

- si l'homme est CORPS, ce corps en tant que surface est lieu, site, évoluant dans un lieu spatial concret. C'est là que l'homme se situe et non dans un monde d'idées: par conséquent, toute lutte réelle est LOCALE.

- ce lieu doit être connu, sans cesse exploré, par enquête et historia  (= enquête en grec). L'enquête sur le lieu de notre vécu doit équivaloir à l'enquête lors d'un procès en droit. S'il y a enquête, il n'y a pas d'arbitraire, il y a liberté (et démocratie).

- mais le quadrillage de la modernité surplombe les enquêtes, distrait les hommes concrets de l'attention minutieuse qu'ils doivent apporter à leur lieu, à leur contingence.

- le quadrillage déclare apporter la démocratie et la transparence, mais pour s'imposer, il doit contrôler, CORRIGER, discipliner les corps (la "political correctness” est l'aboutissement de cette frénésie).

- dans un tel univers, le droit donne formellement l'égalité et la liberté, mais dans la concrétude quotidienne s'instaurent les micro-pouvoirs disciplinants, essentiellement inégalitaires et dyssimétriques.

- face à ces micro-pouvoirs, il n'est pas possible d'opérer un renversement global (le "tout ou rien" de la révolution fasciste ou communiste): on ne peut opposer que des résistances à un pouvoir "capillaire", des résistances multiformes, sans totalisation, une série de CONTRE-FEUX.

- l'objectif de la modernité: le PANOPTISME de l'architecture carcérale. Les grands mythes des Lumières recèlent le danger d'un espace transparent sans échappatoire (cf. 1984 + toute la veine contre-utopique de la littérature anglaise).

- pour Foucault, la VISIBILITÉ voulue par la modernité panoptique est un PIÈGE (les déistes déjà voulaient éliminer les "mystères"). «NOTRE SOCIÉTÉ N'EST PAS CELLE DU SPECTACLE MAIS DE LA SURVEILLANCE».

- le droit et la justice modernes sont les instruments de cette surveillance ubiquitaire: d'où la nécessité, pour Foucault, de rejeter radicalement le droit et de se montrer extrêmement sceptique à l'égard de la notion moderne de justice. Foucault développe un ANTIJURIDISME radical.

Mais la contestation du droit est restée dans l'orbe du droit; ses efforts se sont annulés. Il aurait fallu animer un PÔLE DE RÉTIVITÉ (exemple: les chahuts du 1 mai 96 organisés par les socialistes belges contre leurs dirigeants, les manifestations devant les palais de justice en Belgique en octobre 96, la suite, les "marches blanches" ayant été trop polies).

Foucault a plutôt parié pour les VIOLENCES MASSIVES, ce qu'on lui reproche aujourd'hui, de même que sa volonté de mettre la Vie au-dessus du droit (cf. Renaut, Ferry et même son biographe Jean-Claude Monod).

Conclusion:

La sextuple lecture de Swift, d'Ors, Rorty, Zijderveld, Bakhtine et Foucault doit nous conduire tout d'abord à

- ORGANISER CE PÔLE DE RÉTIVITÉ réclamé par Foucault.

Puis:

- de rejeter tout utopisme construit more geometrico.

- de tenir compte de l'extrême fragilité du matériel humain;

- de se maintenir dans la contingence, seul lieu possible de notre action;

- de chercher à restaurer la fête, comme espace virtuel d'inversion des valeurs;

- d'organiser une résistance ludique, difficilement dénonçable comme "totalitaire";

- de dénoncer la modernité et ses institutions politiques et judiciaires, de même que tous ses micro-pouvoirs comme une volonté obsessionnelle de SURVEILLER et PUNIR.

- de dire que l'orthoglossie obligatoire, la pensée unique et la "political correctness" sont des aboutissements de cette obsession de surveiller et de punir. Elles doivent être considérées puis traitées comme telles.

En conséquence, sur le plan philosophique qui doit précéder toute démarche pratique, nous devons allumer les CONTRE-FEUX du GRAND REFUS, impulser les synergies du PÔLE DE RÉTIVITÉ voulu par Foucault.

Bibliographie:

A. Généralités:

- ERASME, Eloge de la folie, Garnier-Flammarion, 1964.

- Julio CARO BAROJA, Le carnaval, Gallimard, Paris, 1979.

- Jacques HEERS, Fêtes des fous et carnavals, Fayard, Paris, 1983.

B. Sur Swift:

- Michael FOOT, «Introduction» to Jonathan Swift's Gulliver's Travels, Penguin, Harmondsworth, 1967.

- Emile LEGOUIS, Louis CAZAMIAN, Raymond LAS VERGNAS, A History of English Literature, J.M. Dent & Sons Ltd, London, 1971.

- Ernest TUVESON, Swift. A Collection of Critical Essays, Spectrum/Prentice-Hall, Inc., Englewood Cliffs, N.J., 1964.

- Ernest TUVESON, «Swift: The dean as Satirist», in E. TUVESON, Swift..., op. cit.

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- Robert MERLE, «L'amère et profonde sagesse de Swift», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.

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- Caspar von SCHRENCK-NOTZING, «Jonathan Swift», in: Lexikon des Konservativismus, Stocker Verlag, Graz, 1996.

C. Sur Eugenio d'Ors:

- Alfons LOPEZ QUINTAS, El pensamiento filosofico de Ortega y d'Ors. Una clave de interpretación, Ediciones Guadarrama, Madrid, 1972.

- Gonzalo FERNANDEZ DE LA MORA, Filósofos españoles del siglo XX, Planeta, Madrid, 1987.

D. Sur Foucault:

- Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975.

- Michel FOUCAULT, L'ordre du discours, Gallimard, Paris, 1971.

- Michel FOUCAULT, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Gallimard, Paris, 1966. 

- Michel FOUCAULT, «Omnes et singulatim. vers une critique de la raison politique», in: Le Débat, n°41, sept.-nov. 1986.

- Luc FERRY & Alain RENAUT, La pensée 68. Essai sur l'anti-humanisme contemporain, Gallimard, Paris, 1985.

- Luc FERRY & Alain RENAUT, 68-86. Itinéraires de l'individu, Gallimard, Paris, 1987.

- Gilles DELEUZE, Foucault, Editions de Minuit, Paris, 1986.

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- François EWALD, «La fin d'un monde», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984. 

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- Jürgen HABERMAS, «Les sciences humaines démasquées par la critique de la raison: Foucault», In: Le Débat, n°41, op. cit.

- Jürgen HABERMAS, «Une flèche dans le cœur du temps présent», in Critique, Tome XLII, n°471-472, op. cit.

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- Richard RORTY, La filosofia dopo la filosofia. Contingenza, ironia e solidarietà, Prefazione di Aldo G. Gargani, Editori Laterza, Roma/Bari, 1989.

- G. HOTTOIS, M. VAN DEN BOSSCHE, M. WEYEMBERGH, Richard Rorty. Ironie, Politiek en Postmodernisme, Hadewijch, Antwerpen/Baarn, 1994.

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F. Sur la problématique utopie/contre-utopie:

- Richard SAAGE (Hrsg.), Hat die politische Utopie eine Zukunft?, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1992.

- Ernst NOLTE, «Was ist oder was war die “politische” Utopie?», in R. SAAGE, op. cit.

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- Iring FETSCHER, «Was ist eine Utopie? Oder: Zur Verwechslung utopischer Ideale mit geschichtsphilosophischen Legitimationsideologien», in: R. SAAGE, op. cit.

- Raymond TROUSSON, Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, Editions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 1975.

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- Michel JEANNERET, «Et tout pour la tripe», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.

- Pascal DIBIE, «Une ethnologie de la Renaissance», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.

- Simone PERRIER, «Démesure pour démesure: le Rabelais de Bakhtine», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.

H. Ouvrages d'Anton Zijderveld:

- Anton C. ZIJDERVELD, The Abstract Society. A Cultural Analysis of Our Time, Penguin/Pelican, Harmondsworth,1974.

- Anton C. ZIJDERVELD, Humor und Gesellschaft. Eine Soziologie des Humors und des Lachens, Styria, Graz, 1971.