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dimanche, 26 février 2017

Hommage à Pascal Zanon, joyeux compagnon, cœur d’or et fidèle d’entre les fidèles

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Robert Steuckers :

Hommage à Pascal Zanon, joyeux compagnon, cœur d’or et fidèle d’entre les fidèles

J’ai rencontré Pascal Zanon à Bruxelles en juillet 1978, lors du défilé du 21 juillet où la foule était venue acclamer les parachutistes qui avaient sauté sur Kolwezi en mai. Il y avait encore une certaine ferveur politique (et non partisane) à cette époque : étudiants,  en ces jours proches des examens de fin d’année, nous étions attablés aux terrasses de la Place du Luxembourg, quand un crieur de journaux a annoncé que les paras de la Légion avaient sauté et nettoyé la ville minière du Katanga, un rugissement de joie sauvage a secoué la foule, les convives des terrasses comme les centaines d’employés qui se dirigeaient vers la gare en cette fin d’après-midi. Un vrombissement de joie et de colère, atavique et viscéral, que je n’ai plus jamais entendu depuis. Le 21 juillet, journée très ensoleillée cette année-là, je fais donc la connaissance, dans la foule des badauds, de celui que nous appelions « Julius » car c’est sous ce pseudonyme qu’il avait été le caricaturiste et le dessinateur d’Europe-Magazine, revue dirigée par Emile Lecerf, disciple de Montherlant. « Julius » croquait certes quelques figures de la détestable faune politicienne belge mais préférait son strip des aventures de la « P’tite Nem », une jolie et tendre étudiante, et, surtout, ne vivait alors que pour dessiner ses planches historiques, dont sa préférée, m’a-t-il confié, était celle de la bataille de Lépante (1571). L’histoire, tant l’évènementielle   -les nouvelles pédagogies ont essayé de l’éliminer-  que la quotidienne, l’intéressait bien davantage que la politique. Cela ne l’empêchait pas d’être un lecteur particulièrement attentif de toutes sortes de journaux et de revues politiques belges et françaises, dont il me résumait avec précision le contenu lors de chacune de nos rencontres. « Julius » était doté d’une mémoire d’éléphant.

PZ-ba.jpgLe 21 juillet 1978, c’est la volubilité de ce garçon d’origine italienne (au patronyme du Frioul et né d’une mère napolitaine), son accent du terroir bruxellois, son sens de la zwanze, sa bonté qui était immédiatement palpable, son incroyable gentillesse, qui m’ont fait dire tout de suite : « Voilà un excellent camarade ! ». J’ai su qu’il habitait Etterbeek mais ne suis jamais allé chez lui : nous nous rencontrions aux hasards de nos pérégrinations en ville : aux abords des bonnes librairies, dans le quartier de la Grand’Place, aux Puces de la Place du Jeu de Balle. « Julius » était immanquablement accompagné de copains et de copines, parfois très hauts en couleurs. Je me souviens ainsi d’une soirée au magnifique hôtel Métropole, suite à une rencontre dans une librairie toute proche qui n’existe plus aujourd’hui. Ces rencontres fortuites et agréables se sont étalées de 1978 à 1981. Mais la vie quotidienne, le déménagement avec mes parents à Wezembeek-Oppem, les études, les séjours à l’étranger (en Allemagne et en Angleterre) puis mon passage dans le cloaque du sinistre de Benoist à Paris et mon service militaire à Marche-en-Famenne m’ont fait perdre « Julius » de vue. En septembre 1983, je réaménage dans le quartier de la ville, qui, auparavant, avait toujours été le mien. Chez le libraire des lieux, surnommé « Jeremy Puddingtam »,  je tombe quelques années plus tard, en 1986, sur le premier album de la série « Harry Dickson », intitulé La bande de l’araignée. Le dessin me plait, ligne claire oblige. La représentation des véhicules, des bâtiments, des armes et des uniformes est très précise, ce qui fait la qualité d’une bonne bande dessinée depuis les exigences de réalisme d’Hergé et de Jacques Martin. La dernière planche de Coke en stock, album de Tintin que j’ai reçu à l’âge de trois ans et huit mois, m’avait fascinée, enfant, car j’y reconnaissais toutes les voitures qu’on trouvait à l’époque dans les rues de Bruxelles. Dans La bande de l’araignée (BA) et dans sa suite immédiate, Les spectres bourreaux (SB), cette volonté de reproduire avec la plus grande exactitude possible le réel est manifeste : comment ne pas être séduit par le premier dessin de Londres sous la brume, par le laitier anglais et le vendeur de journaux (p. 6), par l’immeuble de Scotland Yard (p. 14), par la voiture noire qui fonce sous un ciel d’automne tourmenté (p. 19), par les avions, par la calendre de la Peugeot (p. 25), par la Bugatti qui prend de l’essence sous la neige des Alpes (p. 30) ? Dans Les spectres bourreaux, album de 1988, le style s’est affirmé : splendides dessins que ce décollage d’appareils SIAI Marchetti (p. 4), que l’émergence hors des flots de l’U47 (p. 9), que les combats de la page 10, que le manoir anglais de la page 15, que l’avion au repos à Croydon (p. 17), que les commandos de marine anglais en fin d’album, etc. « Julius » était capable de donner du mouvement à ses dessins comme l’atteste de manière exemplaire la voiture noire d’Harry Dickson, fonçant à toute allure dans les rues de Londres (SB, p. 14).

PZ-HD.jpgEt surprise, après l’achat de ces deux albums, sans m’être rappelé que le prénom et le patronyme de « Julius » étaient Pascal et Zanon, au détour d’une rue de mon quartier, coucou, qui voilà qui déboule, comme le Général Alcazar au début de Coke en stock ? « Julius » ! Avec son intarissable volubilité habituelle, il me raconte ce qu’il est devenu : auteur de bande dessinée ! Le dessinateur d’Harry Dickson ! Son éditeur, Christian Vanderhaeghe, par ailleurs scénariste des albums, possède un hôtel de maître cossu dans le quartier. « Julius » en occupe le « basement » qui lui sert de studio.  Il m’emmène dans cette véritable caverne d’Ali Baba. Dans le fond, un matelas sommaire pour ses siestes et pour les soirs où il ratait le dernier tram vers Etterbeek. Des monceaux de livres avec des photos d’époque prises dans les sites que devait visiter  le héros Harry Dickson, au fil de ses aventures, pour que tout soit reproduit le plus fidèlement possible. Des livres avec des croquis militaires, des photos de matériels en action. Une maquette de tous les avions reproduits dans les albums. Une miniature de chaque voiture, au moins à l’échelle 1/43ème. Tout cela témoignait, sous mes yeux admiratifs, d’une volonté de pousser encore plus loin le réalisme voulu par Hergé et par Jacques Martin. Ce réalisme apparaît époustouflant dès le troisième album, Les trois cercles de l’épouvante (3CE, 1990), dont l’action se déroule surtout en Chine. « Julius » a été capable de reproduire bâtiments, véhicules, trains, bateaux, de la Chine des années 1930, avec le talent d’un maître avéré.

« Julius » devient une figure du quartier, fréquentant principalement le salon d’un glacier à barbe blonde, devenu témoin de Jéhovah, un des rares Belges à exercer ce métier artisanal dans le quartier car c’est l’apanage des Italiens. Il faut dire que « Julius » était un solide amateur de sucreries. Une boulimie insatiable ! Qui lui avait fait prendre des dizaines de kilos depuis notre première rencontre. Si je me contentais d’un café ou de deux boules à la vanille chez le glacier « jéhoviste », « Julius », invariablement, absorbait une plantureuse « coupe américaine », soit neuf boules de neuf parfums différents ! Et il n’était pas rare qu’il traversait la chaussée pour s’acheter un grand gâteau à la pâtisserie « Deneubourg-Baudet » qu’il allait dévorer tout entier en cachette dans sa caverne !

Après la parution des Trois cercles de l’épouvante, « Julius » quitte le quartier pour retourner à Etterbeek, à un jet de pierre de la station de métro Thiéffry. Nous nous rencontrons alors dans un café situé en un endroit hautement stratégique : en face, tout à la fois, d’un grand magasin de maquettes (Tamiya et autres), baptisé le « 16ème Escadron », et de la grande librairie de l’Escadron, spécialisée en livres d’histoire, d’histoire militaire et en opuscules sur tous les matériels existants et ayant existé, le tout en sept ou huit langues (polonais et russe compris). « Julius » et Vanderhaeghe sont évidemment des clients assidus de cette librairie, dont je deviendrai aussi un client fidèle, bien que moins fréquent. Et Vanderhaeghe se fournit en maquettes au « 16ème », pour donner aux albums la plus grande exactitude possible.

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« Julius » était tout seul dans son studio. Il n’avait pas une équipe d’adjoints autour de lui, comme Hergé ou Martin. C’est là qu’il faut saluer, humblement, sa puissance d’artiste : il faisait tout, absolument tout. Chaque détail des albums a été créé de sa main propre : on imagine le boulot, le temps investi, pour réaliser des planches comme celle de la page 21, dans Le royaume introuvable, où Harry Dickson va rencontrer son ennemi Georgette Cuvelier, sur la passerelle face au Quai de Valmy à Paris. Il faudra attendre le neuvième album, Les gardiens du gouffre, pour que Philippe Chapelle vienne apporter son excellente contribution, avant de prendre le relais de « Julius », dont la vue se troublait dangereusement à cause de la progression insidieuse de son diabète (rançon cruelle des « coupes américaines » et des gâteaux de Deneubourg-Baudet !). Dans cet album réalisé en duo, en trio avec Vanderhaeghe, il faut admirer une planche, celle où l’hydravion d’Harry Dickson survole la cité inca de Machu Picchu puis « une vallée encaissée de l’altiplano ». 

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Les conversations qui se déroulaient au café en face de la librairie de l’Escadron et du « 16ème Escadron » tournaient autour de la vie politique du royaume, de l’Europe et du monde, de l’évocation des amis actuels, anciens ou disparus mais je retiendrai surtout celles qui touchaient à l’histoire de la bande dessinée, au rôle et à la fonction de ce 9ème art, aux rencontres dans cet univers que « Julius » faisait, notamment suite aux festivals de la bande dessinée à Angoulême, où il s’était rendu assez souvent.

 « Julius » s’inscrivait, cela va sans dire, dans la tradition de la bande dessinée bruxelloise dite de la « ligne claire », inaugurée en son temps par Hergé. A cette ligne claire, il fallait ajouter un hyper-réalisme dans les décors. Aucun objet, bâtiment, véhicule ne pouvait être fictif, inventé au pied levé, et surtout anachronique. Comme j’avais pu le constater lors de ma visite de sa cave après notre première rencontre, chaque planche des aventures d’Harry Dickson est inspirée d’une photo d’époque, chaque véhicule ou aéronef est dessiné d’après maquette ou photo ou planche-profil : j’avais même un jour été avec Vanderhaeghe glaner dans une librairie de la Chaussée d’Alsemberg des ouvrages de photographies sur des villes européennes, Moscou, Saint-Pétersbourg et Istanbul, si je me souviens bien. Les scènes chinoises dans Les trois cercles de l’épouvante attestent tout particulièrement de cette infinie minutie, de ce souci maniaque de la documentation.  Jacques Martin tentait toujours de faire de même pour l’antiquité. Par ailleurs, ses excellents albums sur les costumes de l’antiquité, sur les villes des mondes grec et romain, dans la collection « les voyages d’Alix », puis du moyen-âge avec « les voyages de Jhen » et de l’époque contemporaine avec les « voyages de Lefranc », constituent un travail parallèle et utile, une poursuite de l’œuvre du maître discret tout à la fois de Goscinny pour Astérix et de Martin pour Alix, je veux parler de Jérôme Carcopino, auteur célèbre auprès des latinistes pour sa Vie quotidienne à Rome à l’apogée de l’Empire. « Julius » m’expliquait qu’il devait sa formation de dessinateur à Jacques Martin, à qui il vouait une profonde reconnaissance : c’était l’inventeur d’Alix, Lefranc et Jhen (Xan) qui lui avait prodigué les conseils qui comptent. « Julius » me disait assez souvent qu’il avait envie de réaliser des albums historiques, des récits de bataille comme Gettysburg ou surtout Lépante car il était fasciné par le rôle des galéasses vénitiennes dans cet affrontement naval du 16ème siècle. Il m’avait réitéré ce désir juste après que j’eus rédigé un long essai sur cette bataille et ses préliminaires récapitulant toute la confrontation euro-turque depuis le choc Manzikert en 1071, qui avait ébranlé dangereusement l’Empire byzantin. Dans les pages des derniers numéros de l’Europe Magazine d’Emile Lecerf, « Julius » avait commencé à croquer des épisodes de l’histoire, avec le désir (jamais réalisé) de renouer avec une tradition du journal de Spirou : les pages didactiques et historiques de l’Oncle Paul : cette chronique s’était étalée de 1951 aux années 1970. L’Oncle Paul a ainsi raconté plus d’un millier d’histoires à ses jeunes lecteurs (dont nous fumes tous, bien entendu). « Julius » avait la culture historique requise pour reprendre une chronique de ce genre.

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Pour « Julius », qui s’avérait véritable théoricien de sa profession dans les conversations qu’il tenait à Etterbeek ou ailleurs, à Saint-Gilles ou à Forest, la fonction du dessinateur de bandes dessinées était de reprendre la tradition des illustrateurs, métier qui avait progressivement disparu avec l’invention, la généralisation et le perfectionnement de la photographie. Il évoquait les pages de L’Illustration, célèbre publication française, qui avait encore recours, avant 1940, à de géniaux illustrateurs pour compenser le manque de photographies. Malheureusement, jamais il ne couchera sa vision du métier sur le papier et jamais il ne donnera le long entretien qu’il s’était promis de me donner. J’essaie ici, vaille que vaille, de reconstituer le fil de sa pensée en la matière. Discret, « Julius » ne révélait rien de compromettant, de désagréable ou de grotesque sur les collègues qu’il rencontrait à Angoulême ou à d’autres festivals. Simplement, il évoquait sa rencontre avec la coloriste d’Hergé, France Ferrari, décédée en 2005, dont il avait recueilli les confidences, peu amènes à l’égard de l’héritière Fanny Vlamynck. « Julius » refusait de révéler ces propos car il estimait que les diverses polémiques contre le nouveau couple Vlamynck/Rodwell de l’entreprise « Moulinsart » et du Musée Hergé n’étaient pas toujours de mise et que son projet de conserver la pureté de l’héritage hergéen, de le soustraire à tous mauvais pastiches ou à toute exploitation de piètre qualité était juste. Il n’y avait donc pas lieu d’ajouter une louche, pensaient « Julius » et Vanderhaeghe. On déplorera simplement que cette vigilance est quelquefois excessive, surtout contre des initiatives qui ont, elles aussi, le souci de maintenir un « hergéisme pur » : je pense aux Amis d’Hergé et au sculpteur Aroutcheff. Le hergéisme pur (où le mot « pur » n’est pas innocent ici !) est incompatible avec la mentalité marchande anglo-saxonne : c’est comme si Rastapopoulos avait emménagé à Moulinsart ! Impensable !

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« Julius » se foutait royalement des conventions sociales de l’Etat-Providence. Travaillant lentement, non par paresse comme pourraient le dire de méchantes langues, mais parce qu’il bossait seul, tout seul ; il ne gagnait guère sa croûte, les albums ne paraissant pas à intervalles suffisamment rapides. Jamais, il n’a payé un sou à une caisse de sécurité sociale, une de ces pompes à fric qui bouffent nos héritages et nos rentes pour engraisser des parasites politiciens et apparentés. « Julius » préférait donner ses maigres sous à des libraires, à des glaciers ou à des pâtissiers. Juste vision des choses : un livre, un gâteau, une glace, c’est du concret. Un jour, quand je fis un procès à ma caisse de sécurité sociale parce qu’elle me réclamait des cotisations indues, suite à un changement de statut, j’entendis, dans la salle du tribunal du travail, que l’on citait le nom de notre « Julius », lequel était évidemment absent ; il avait « envoyer son chat » comme on dit en Flandre. La caisse « Partena » le harcelait, lui envoyait des huissiers, retardait la parution des albums. Le convoquait au tribunal. L’avocat qui le persécutait et celui qui, minable mercenaire, devait défendre sa boite de voyous contre moi, était le même. Le juge s’est fichu de lui, l’a engueulé. Penaude, cette larve infecte, à tronche molle de gamin gâté, est venue gémir dans mon gilet : mon cas étant réglé, j’ai pris la défense de « Julius » et menacé de lancer une pétition contre sa crapule de mandante et contre sa clique d’avocaillons qui avaient l’outrecuidance de poursuivre un des plus grands artistes de la « ligne claire » pour quelques misérables deniers à jeter dans le tonneau des Danaïdes du machin Partena. J’ai rompu une lance, non pas pour « Julius » seul mais pour l’art en général, pour les artistes, contre la vermine avocassière, mutuelliste et politicienne. De toutes les façons, la gesticulation de Partena et de ses vils mercenaires n’a servi à rien. « Julius » a poursuivi sa trajectoire, en sifflotant et en ne payant jamais un penny. On l’a toujours soigné pour rien. Il a l’aura de l’artiste, les autres, la marque de Caïn que portent tous les méchants imbéciles. Le monde des artistes est lumineux, comme le cœur et la voix de « Julius ». Le monde des juristes et des mutuellistes est sombre comme un cloaque, comme une géhenne pestilentielle. Cet incident démontre que le système occidental, libéral en son essence et adepte de l’ingénierie sociale pour corriger ses effets les plus désastreux, est mis en place pour annuler l’indépendance des citoyens et surtout leur voler leur temps métaphysique, le temps de la réflexion, de l’introspection réparatrice et de la création artistique. Certains futuristes italiens, et aussi Gabriele d’Annunzio (qui n’était pas des leurs), parlaient de la nécessité d’établir une « artecrazia » contre tout le bric-à-brac politicien où l’homme était traité avec condescendance et mépris comme un « pauvre » ou comme un être imparfait à corriger, à formater pour lui enlever ses tendances soi-disant violentes mais aussi sa propension irrationnelle à créer de la beauté visuelle ou sonore (le thème d’ Orange mécanique d’Anthony Burgess). Violence répréhensible et création artistique sont mises sur un même pied par la vermine du système : « Julius » devait donc, parce que créatif, être pressé comme un citron, ruiné, jeté dans la misère mais, dixit Partena, c’était pour son bien, pour sa sécurité sociale.

PZ-ELV.gifDans la foulée des conversations éparses que nous tenions à intervalles irréguliers, Vanderhaeghe me demande en 1997 de faire traduire en néerlandais L’étrange lueur verte. L’ami MvD s’y attèle. Je lui file un coup de main. Il le fallait bien. Imaginez comment traduire la prose lyrique de Vanderhaeghe : « Les langueurs océanes d’Atlantic City sont brutalement balayées par le rugissement de deux bolides teintés d’or et de sang ». Ou encore : « Dans un grondement de tonnerre, un lingot de métal affilé comme une lame surgit de l’ombre du box voisin ». Pire : « Foudroyée, la Daimler-Benz décolle de sa trajectoire irradiant une étincelante lueur verte ». « Mais telle une météorite traversant l’éther, le bolide argenté plonge irrémédiablement vers l’enfer ! ». « Une coulée d’or embrase les murailles du Nouveau Monde inconscient de la menace qui fond sur lui ». En plus, Max, le complice de Georgette Cuvelier , s’exprime en un argot de truand marseillais, repris des romans policiers de Léo Malet, ancien anarchiste et surréaliste mais néanmoins traité de « xénophobe » à la fin de sa vie. La boucle était bouclée : le « lyrisme » de Vanderhaeghe faisait penser à certaines phrases du Cœur aventureux d’Ernst Jünger ; avec l’argot du surréaliste Malet, on était en plein dans un drôle de bain,  on pouvait « numéroter nos abattis ». Le pauvre MvD et le pauvre de moi ont dû mettre cela en néerlandais : les tournures trop flamandes ont déplu aux critiques hollandais ; les tournures hollandaises, injectées à dessein par MvD, ont déplu aux critiques flamands : vieille histoire qui avait déjà cassé la tête de Willy Vandersteen qui, longtemps, avait dû publier deux éditions de ses aventures de Bob et Bobette. Une pour les Pays-Bas, une autre pour la Flandre. « Julius », lui, était heureux : il avait pu, dans L’étrange lueur verte, dessiner de splendides voitures de course, des autos de la police américaine, des Boeing F-48, un char T3, des camions de pompiers new-yorkais et surtout deux appareils futuristes dont l’aile bleue de Georgette Cuvelier qui vaut bien l’aile rouge d’Olrik dans les aventures de Blake et Mortimer. Les dessins illustrant le combat entre l’appareil de Georgette et celui , tout jaune, d’Harry Dickson sont époustouflants. Du bel art.

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Mes dernières rencontres avec « Julius » ont eu lieu à la librairie de l’Escadron. La cécité le menaçait, rendant pénible le métier de dessinateur. Le diabète faisait des ravages. Notre ami le Dr. Berens, dit le « Doc », avait prescrit une solide cure d’amaigrissement, l’avait exhorté à abandonner la consommation frénétique de gâteaux et autres sucreries. Les séjours à l’hôpital se succédaient. Mais rien n’abattait son insouciance. La famille Mosbeux, qui tenait la librairie de l’Escadron, avait pris « Julius » sous sa protection. Un repas chaud l’attendait souvent à la librairie, en fin d’après-midi, entre 17 h 30 et 18 h, confectionné avec tendresse et chaleur par Madame Mosbeux. Sa logeuse, Mme Podevin, avait toutes les indulgences pour lui, même si elle rouspétait parfois (à juste titre !). Vanderhaeghe était le bon Samaritain qui bougonnait mais qui avait une patience qui confinait à la sainteté. Douloureusement affecté par ces maux lancinants, « Julius » gardait intact son cœur d’or, son cœur d’enfant : il était toujours bouleversé quand un ami avait quelque ennui de santé, souvent bien moins grave que les siens. La dernière rencontre à l’Escadron ne laissait rien augurer de bon. « Julius » racontait des plaisanteries, était égal à lui-même, mais son état général avait empiré de façon inquiétante.

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Fin 2016, lors d’une visite de routine chez le médecin, celui-ci décèle l’imminence d’une rupture d’anévrisme, toujours fatale et de façon foudroyante. Réaction de « Julius » : « Bigre, je vais convoquer tous mes amis pour leur dire un dernier adieu » ! On le convainc de tenter l’opération. Elle réussit. Mais il y a des séquelles. Il part en revalidation. Il chope un début de pneumonie. Il meurt le 17 janvier 2017. Seul. Absolument seul. La clinique n’avertit personne. Le dernier héritier de la « ligne claire » est enterré à la va-vite, dans un cercueil « made in China », fourni par l’assistance publique. Une fin comme Mozart.

Nous avons perdu un excellent camarade. Nous n’en retrouverons jamais plus un pareil. Il est allé rejoindre l’ami Yves Debay qu’il admirait tant.

Robert Steuckers,

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samedi, 27 février 2016

Mort d’un enfant terrible du siècle dernier: Youri Mamleev

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Mort d’un enfant terrible du siècle dernier: Youri Mamleev

par Thierry Jolif

Ex: http://www.unidivers.fr

Écrivain du dépassement et de l’absurde métaphysique, Youri Mamleev, auteur des jubilatoires Chatouny et Le Monde et le rire, s’en est allé le 25 octobre 2015. Il est parti se frotter pour de bon à cet au-delà que, dans ses livres comme dans sa vie, il avait si souvent convoqué. Sans jamais s’en effrayer…

41sn4emvdml-562e3a2318a5b.jpgNé en Russie en décembre 1931, Youri Mamleev aura eu le parcours, quasi anonyme et pourtant, intérieurement flamboyant, des ses héros.

Dès les années 1960, celui qui était alors jeune diplômé et enseignait les mathématiques va se retrouver au cœur des cercles d’une jeunesse soviétique en quête de renouveau spirituel. Rien d’étonnant à ce que dans un environnement religieux réduit à néant la soif a étancher ait été grande. Ces groupes vont dès lors chercher tous azimuts, d’une façon bien différente de leurs contemporains américains de la contre-culture, évidemment. Toutefois, en parallèle des intérêts et des personnalités singulières y trouveront des échos fort importants.

L’ésotériste René Guénon, bien sûr est de ceux-ci. Les groupes auxquels Youri Mamleev prit part sont souvent considérés comme les premiers propagateurs du corpus guénonien en Russie, mais également, pour certains, d’une version plus alarmante, sinistre et corrosive de la spiritualité. Dévoiement pervers selon les uns, voie de la main gauche, nécessaire folie en esprit selon les autres. Côtoyant les esprits et les traditions les plus diverses, Youri Mamleev avant de se jeter corps et âme dans l’écriture, se fait fort d’étudier et d’expérimenter les voies spirituelles les plus diverses. Dans un éden athée, il se forge une connaissance non seulement livresque mais également intérieure et physique des grands courants religieux du monde et de leur frange : occultisme, hermétisme, non-dualisme, trantrisme…

Sans doute n’est-ce pas un hasard si c’est au milieu de ce melting-pot religieux que Mamleev pourra s’exiler aux États-Unis à la faveur d’une loi autorisant les citoyens soviétiques de confession juive à émigrer, loi paradoxale et facilitatrice d’un pouvoir machiavélique qui favorisera le départ de nombreux dissidents et esprits forts qui, à l’image de Youri Mamleev, n’étaient absolument pas  et en aucune manière juifs. Là-bas il travaillera à l’Université Cornell avant de s’installer en France en 1983 et d’y enseigner la littérature russe à L’Institut national des langues et civilisations orientales. Dix ans plus tard, il retourne en Russie et se consacre principalement à l’écriture théâtrale, il enseignera également la philosophie hindoue à l’Université d’Etat Lomonossov.

51t259iNsUL._AC_UL320_SR200,320_.jpgPubliant dès 1956 Youri Mamleev ne tarde pas à heurter les autorités soviétiques par une prose qui, si elle se veut réaliste, propose toute autre chose que celle dite socialiste. Le réalisme littéraire de Mamleev se veut métaphysique. Son dernier ouvrage traduit et publié en France, Destin de l’être, est en définitive moins la base de sa fusée théorique que son lanceur. Ces pages renferment tout ce qui humainement et théoriquement anima toujours l’art littéraire de Mamleev :

Pour un écrivain métaphysicien, la tâche consiste en la réorientation de sa vision spirituelle vers la face invisible de l’homme. Par conséquent il ne doit s’intéresser à l’homme « visible » qu’à cause de sa capacité à refléter les réalités de l’homme secret, transcendant et insaisissable. (Destin de l’être, p. 147)

Selon le critique russe Volodymyr Bodarenko, la mort de Mamleev constitue une grande perte pour la littérature en Russie, mais sa mort va sans doute guider plus de personnes encore vers cette œuvre si étonnante, redoutable, véritable renouvellement des lettres russes à la fois profondément ancrée dans la tradition littéraire du pays et totalement novatrice.

Une œuvre qui aura su dans le même geste détruire et ressusciter la geste romanesque elle-même. D’abord et avant tout, par le rire… Un rire sacré et désacralisant. Bien que tout à fait moderne la prose de Mamleev est contemporaine du sens ancien de la comédie, celle de Dante, ou, à tout le moins, de Balzac. En France, et en Occident en général, il semble bien que l’on est pas pris la juste mesure de ce que l’on s’est empressé de définir comme comique, grotesque, absurde dans l’œuvre écrite de cet écrivain qui à la mesure d’un Gogol, d’un Poe, d’un Lovecraft ou plus proche de nous d’un Thomas Ligotti  a le plus sérieusement du monde mis sa peau au bout de sa plume pour révéler les failles métaphysiques abyssales qui se camouflent dans les réalités trop fictives, restreintes et restrictives pour être honnêtes, du monde moderne.

Rassasié d’au-delà, Izvitski se fixait à présent sur le rire de l’Absolu ; comme quoi ce rire, s’il existait, était une chose inouïe, sauvage, inconcevable, car rien ne pouvait lui être opposé ; et dont la cause n’était point un décalage avec la réalité, mais ce qu’il ne nous était pas donné de savoir. (Chatouny, p. 203)

Dans le second de ses textes publié en français (La Dernière comédie) le monde offert à nos regards, dans le chapitre « En bas c’est pareil qu’en haut » (version familière et dérisoire du fameux adage hermétique), l’auteur évoque une atmosphère dont le comique renvoie à l’état désaxé et bouffon qui s’empare de la société moscovite lors de la visite du professeur Woland (dans Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov) – un caractère « post-apocalyptique » et ordurier en plus ! L’inversion est poussée à son paroxysme et met en avant les tares spirituelles d’un monde pour lequel le salut ne saurait être pensé sans être violemment dégradé. Panarel (le personnage « central » de ce chapitre), nouvelle et déjà très singulière incarnation du Fils de Dieu, le constate et l’accepte lui-même amèrement. L’aspect platement anthropophage de sa fin (et de la fin du chapitre) suggère bien ce terrible abaissement négatif de toute soif spirituelle dans l’orientation ultra-matérialiste de notre époque.

capture-20d-e2-80-99ecran-202015-10-26-20a-2015-11-37-562e3a6e0cd32.pngQuant à l’ambiance générale qui se dégage de Le Monde et le rire, elle n’est pas moins fantasque et lugubre. C’est le monde surnaturel lui-même qui y perd la tête. Et au cours de l’enquête surréaliste que nous fait suivre l’auteur nous croisons différents personnages psychiquement perturbés, fort différents du psychisme lambda en tout cas. Les personnages de cette galerie de portraits sont d’ailleurs regroupés génériquement et significativement sous le terme de « chamboulés ». Ici, le parallèle le plus signifiant avec la littérature russe antérieure serait sûrement le groupe de personnages évoqué par Pilniak dans son récit L’Acajou. Pilniak avait nommé cette troupe hétéroclite de clochards volontaires, de quasi fols mystiques, « okhlomon » (« emburelucoqués » dans la belle traduction française de Jacques Catteau).

En outre, cette assemblée de marginaux volontairement déclassés n’est pas sans rappeler celle du souterrain qui occupe une place centrale dans Les Couloirs du temps de Mamleev. Scientifiques « originaux », intellectuels déclassés, penseurs « bizarres » tous ont en commun une forme, plus ou moins obscure, de… « refus ». Ayant tous perçu intuitivement un « inconcevable », un « mystère » dépassant la commune, admise et plate raison « réaliste » et raisonnable, ils forment, bon gré mal gré, une société recluse de refuzniks… Mais également, en raison de cet intuitionnisme mal venu, un groupement qui laisse pénétrer au cœur endurcis du monde les prémisses d’un « outre-entendement » trop longtemps mis sous le boisseau… Mais :

Le mystère est partout jusque dans le marasme. (Le Monde et le rire)

Vous parlez d’or Lena : que la vie ordinaire ne se distingue en rien de l’Abîme ! Que l’on meure et ressuscite aux yeux de tous ! Que les hommes tiennent conciliabule avec les dieux ! L’inconcevable doit faire irruption dans le monde ! L’inconcevable et, au milieu : une gaieté sans frein ! Marre de l’ordre en vigueur : ici le royaume des vivants, là celui des morts, on naît ici, on meurt là et pas ailleurs ! Que la ténèbre envahisse les cieux et que retentisse la Voix de Dieu : « Allez-y, les gars, bringuez ! Fais la noce Mère Russie, advienne ce que tu voudras ! Amuse-toi tout ton saoul, pays où l’impossible devient possible ! Je te donne toute liberté, mort aux démiurges et à tous les rêves dorés ! » (Le Monde et le rire)

Malheureusement, en France, sur la vingtaine d’ouvrages parus de Mamleev seule une poignée est traduite et éditée :

Chatouny, Robert Laffont, 1986, réédition Le Serpent à plumes, 1998
La Dernière comédie, Robert Laffont, 1988
Fleurs du mal, Albin Michel, 1997
Les Couloirs du temps, Le Serpent à plumes, 2004
Le Monde et le rire, Le Serpent à plumes, 2007

samedi, 16 janvier 2016

Avec la mort de Pierre Boulez, une page de l’histoire de la musique française se tourne

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Avec la mort de Pierre Boulez, une page de l’histoire de la musique française se tourne

par Jean-François Gautier

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

(Breizh-info.com) – La mort de Pierre Boulez, né en 1925 à Montbrison (Loire), clôt un chapitre de l’histoire de la musique française qu’il avait illustrée avec éclat.

Collégien au petit séminaire de Montbrison, il prépara ensuite une mathématique supérieure à Lyon avant d’entrer en 1943 au Conservatoire de Paris dans la classe d’analyse musicale d’Olivier Messiaen. Pianiste remarquable, prodigieux lecteur, analyste incomparable, Boulez tenta très rapidement d’appliquer à l’écriture musicale ce que les mathématiciens de l’époque – le groupe Bourbaki, fondé en 1935 à Besse, en Auvergne – tentaient pour leur science : une approche systématique, dédiée à une construction générique telle que, partant de quelques propositions initiales, toutes les autres peuvent s’en déduire logiquement.

Appliquée par Boulez à l’écriture musicale, cette méthode, répandue de congrès musicaux en festivals de musique contemporaine, connut un succès planétaire, notamment grâce aux enseignements américains donnés dans des Universités, et non dans des Conservatoires à la manière française, où les instrumentistes côtoient les compositeurs. La position d’avant-gardiste adoptée par Pierre Boulez essaima d’autant mieux qu’elle clouait au pilori les références admises, dans de fortes polémiques qui participèrent à sa réputation. De son maître Messiaen, il disait publiquement : « Il ne compose pas, il juxtapose… ». Et son aîné André Jolivet, ami de Messiaen, fut affublé par lui du sobriquet de ‘Joli Navet’.

Organisateur né, Boulez se trouva néanmoins des relais en Allemagne, au Canada et aux États-Unis, qui répandirent sa bonne parole. Il y eut un grain de sable en France, en 1964 : André Malraux, alors ministre de la Culture du général De Gaulle, nomma à la tête de la direction de la musique le compositeur Marcel Landowski, et non Boulez que précédait sa réputation de caractère intraitable et colérique. Jugeant les structures des écoles et des orchestres français ‘sclérosées et vieillies’, Boulez s’exila alors à Darmstadt où l’accueillit une école de musique réjouie d’une recrue de ce format.

Il intriguera ensuite pour obtenir des postes en France. Grâce à ses réseaux, qui remontent jusqu’à Claude Pompidou, l’épouse du président de la République, il trouve des crédits pour faire bâtir en 1969, à côté du Centre Beaubourg-Georges-Pompidou, un Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique (Ircam), qui devient une autorité internationale pour les jeunes compositeurs. Cette création est suivie, en 1976, de celle de l’Ensemble Intercontemporain qui ne joue que des partitions de Boulez ou celles approuvées par lui.

Des querelles d’école s’en suivent, notamment en direction des ‘baroqueux’ qui émergent alors et tentent de reconstituer un répertoire du XVIII° siècle que Boulez juge ‘historiquement dépassé’, Bach mis à part. Polémiques aussi avec les jeunes confrères qui ne suivent pas ses orientations, et que Landowski regroupe en 1991 au sein de l’association Musique Nouvelle en Liberté, soutenue par le violoncelliste russe Rostropovitch et par l’anthropologue Claude Lévi-Strauss.

Boulez, qui avait pour mot d’ordre dans sa jeunesse de « brûler les maisons d’opéras », n’hésita pas en 1976, lorsque Wieland Wagner lui proposa de diriger à Bayreuth les quatre épisodes de L’Anneau des Nibelungen, pour le centenaire de leur création. Et il récidiva en 1979 en créant à l’Opéra de Paris la Lulu, d’Alban Berg, une œuvre entièrement dodécaphonique et inachevée qui avait dormi quarante-cinq ans dans les tiroirs. Dans les deux cas, la mise en scène assurée par Patrice Chéreau assura aux représentations le succès scandaleux qu’appréciait Boulez.

Sa réputation internationale doit aussi à sa capacité de conduire avec clarté les œuvres les plus disparates, à la tête des orchestres les plus divers, ceux de la BBC, de Cleveland, de Chicago, le Concertgebouw d’Amsterdam, le Philharmonique de New York, et tant d’autres encore. De chaque concert il faisait une leçon, ce que les instrumentistes et les étudiants en musique appréciaient par dessus tout.

De 1976 à 1995, Boulez fut aussi professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d’Invention, technique et langage en musique. Malgré une présence raréfiée certaines années, il montra là une forte capacité à manier le concept, et ses résumés de cours, traduits dans le monde entier, rencontrèrent tout à la fois un public enthousiaste et une opposition virulente.

Au total, Boulez aura plus convaincu par son entreprise de chef d’orchestre et de brillant analyste de partitions (Stravinsky, Debussy, à propos desquels il initia une jeunesse avide d’analyses claires), que comme compositeur. Si des œuvres de jeunesse comme Le Soleil des eaux (1950) ou Le marteau sans Maître (1954), sur des textes du poète René Char, ont montré combien il savait manier tout à la fois le lyrisme et la rigueur, ce qui permit d’ailleurs à nombre d’instrumentistes de réfléchir plus avant sur leur métier, les deux douzaines de partitions qui suivirent, constamment remaniées, ont consacré un statut partagé par nombre de compositeurs dans les sociétés modernes : ils sont coupés tout à la fois de leurs traditions populaires, tant mélodiques que rythmiques, et d’un public ordinaire tel que celui de Bach à la paroisse Saint-Thomas de Leipzig, ou au Café Zimmermann quand il y dirigeait, dans des pages totalement ‘contemporaines’, le Collegium Musicum cofondé en 1729 avec Telemann.

Le chef helvétique Ernest Ansermet, qui dirigea nombre de compositeurs du XX° siècle, fut l’un des principaux opposants à l’avant-garde boulézienne. Il lisait dans les partitions du nouveau maître des « produits de décomposition », ajoutant qu’il faisait partie de ceux qui « croyaient être à l’avant-garde de l’histoire – et n’importe quel imbécile vous dira qu’ils « avancent ». En réalité ils reculent, et en reculant ils sont tombés au-dessous de ce qu’était la musique à l’aube de l’histoire, à ce moment où les sons ne faisaient pas encore de la musique pour l’oreille humaine. »

Des polémiques dont il fut la cible – souvent des réponses à celles qu’il engageait lui-même – Boulez n’avait cure, tant ses réseaux et les postes qu’il avait conquis étaient solides. Reste maintenant, après sa mort, à attendre le jugement de la postérité. Il sera sans polémiques inutiles. Parlera-t-on encore de lui en 2050, et ses œuvres seront-elles encore jouées ? Et par qui ? Réponse dans trente-cinq ans.

J.F. Gautier

Photo : DR
Breizh-info.com, 2016, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

Breizh-info

dimanche, 04 novembre 2012

Ciao, Pino

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Addio a Pino Rauti, simbolo del Msi

Addio a Pino Rauti, simbolo del Msi

Pino Rauti era nato a Cardinale (Catanzaro) il 19 novembre del 1926

Giovanissimo partecipò alla nascita del Movimento sociale italiano di cui fu anche leader. Aveva 85 anni. Assunta Almirante: «E’ stato uno dei grandi della destra italiana»
 
 

È morto Pino Rauti. L’ex segretario del Movimento Sociale Italiano, che avrebbe compiuto 86 anni il 19 novembre, si è spento alle 9.30 di questa mattina nella sua casa di Roma. Nel 1946, giovanissimo, contribuì alla nascita del Movimento.  

“E’ stato uno dei bravi, dei grandi di questa destra”. le parole di Assunta Almirante, vedova di Giorgio Almirante, storico leader del Movimento sociale, che ha ricordato i guai giudiziari di Rauti, coinvolto nelle inchieste sul terrorismo stragista neofascista: “Molto ingiustamente è stato indicato come un uomo che aveva commesso errori che è stato accertato che non erano suoi, come la strage di piazza Fontana”. Per la vedova Almirante Rauti “è stato una persona di grande intelligenza, è stato indicato come il fondatore di Ordine nuovo ma era un uomo di partito come pochi ce ne sono stati”.  

 

Il Presidente della Camera dei deputati, Gianfranco Fini, ha espresso«il più profondo cordoglio per la scomparsa di Pino Rauti, uomo politico che ha rappresentato una parte di rilievo nella storia della Destra italiana». «Parlamentare rigoroso, intellettuale di profonda cultura, Rauti - conclude - ha testimoniato con passione e dedizione gli ideali della nazione e della società che appartengono alla storia politica del nostro Paese. Ai familiari esprimo i sentimenti della più intensa vicinanza mia personale e della Camera dei deputati».  

Il «fascista di sinistra», come è stato definito Giuseppe Umberto Rauti, nacque a Cardinale, in provincia di Catanzaro, il 19 novembre 1926. Fascista di sinistra in contrapposizione con il «fascismo di destra» incarnato da Giorgio Almirante, prima, e da Gianfranco Fini poi. L’attenzione di Rauti si concentrava, infatti, sulla socializzazione e sui temi dell’anticapitalismo e del terzomondismo interpretando, dal suo punto di vista, i motivi ispiratori del fascismo. Questo lo ha relegato per lungo tempo in una posizione minoritaria all’interno del Msi, partito che, giovanissimo, contribuisce a fondare alla fine del 1946. Nei primi anni cinquanta contribuisce a dare nuovamente vita all’organizzazione neofascista che rispondeva alla sigla FAR (Fasci di Azione Rivoluzionaria) insieme ad alcuni appartenenti alla corrente così detta «pagana» e «germanica» della prima organizzazione disciolta nel luglio del 1947.  

 

Dopo due attentati a Roma, presso il Ministero degli Esteri e all’ambasciata statunitense, il 24 maggio 1951 furono condotti numerosi arresti nei confronti dei quadri di questa organizzazione, fra questi: Pino Rauti, Fausto Gianfranceschi, Clemente Graziani, Franco Petronio, Franco Dragoni e Flaminio Capotondi. Tra gli arrestati anche il filosofo Julius Evola, considerato l’ispiratore del gruppo. Il processo si concluse il 20 novembre 1951: Graziani, Gianfranceschi e Dragoni furono condannati a un anno e undici mesi. Altri dieci imputati a pene minori. Tutti gli altri vennero assolti. Tra loro Evola, Rauti ed Erra. Con la fine del processo si concluse definitivamente anche l’adozione della sigla FAR. Nel 1954, dopo la vittoria dei fascisti in doppiopetto e la nomina a segretario di Arturo Michelini, dà vita al centro studi Ordine Nuovo. Nel 1956 Ordine Nuovo esce dal MSI. Arriverà ad avere dai 2.000 ai 3.000 iscritti. Successivamente Giorgio Freda ed altri esponenti di estrema destra entreranno a far parte di Ordine Nuovo. Negli anni sessanta e settanta, il nome di questa organizzazione verrà usato per rivendicare una serie di attentati, ai quali Rauti si dichiarerà sempre estraneo. Nel maggio del 1965 l’istituto di studi militari Alberto Pollio organizza un convegno sulla «guerra rivoluzionaria», a Roma all’Hotel Parco dei Principi, che viene finanziato dallo Stato Maggiore dell’esercito: si trattava di un raduno fra fascisti, alte cariche dello Stato e imprenditori: Rauti presenta una relazione su «La tattica della penetrazione comunista in Italia». Il 16 aprile 1968 parte insieme ad altri 51 estremisti di destra (fra cui l’agente del SID Stefano Serpieri, Giulio Maceratini, Mario Merlino, Stefano Delle Chiaie, Franco Rocchetta) da Brindisi per un viaggio di istruzione sulle tecniche di infiltrazione, nella Grecia dei Colonnelli, a spese del governo greco. Con l’arrivo alla segreteria del MSI nel 1969 di Giorgio Almirante, Rauti e un gruppo di dirigenti rientrò nel partito, e alla guida del movimento restò Clemente Graziani.  

 

Il 4 marzo 1972 il giudice Stiz di Treviso esegue mandato di cattura contro Rauti per gli attentati ai treni dell’8 e 9 agosto 1969. Successivamente l’incriminazione si estenderà agli attentati del 12 dicembre. Il 21 novembre 1973 trenta aderenti ad Ordine Nuovo vengono condannati dalla magistratura per ricostituzione del Partito Nazionale Fascista e viene decretato lo scioglimento dell’organizzazione. Nel 1974, con la rivoluzione dei garofani in Portogallo, viene scoperta l’organizzazione eversiva internazionale fascista Aginter Press con la quale ha stretti rapporti anche Rauti attraverso l’agenzia Oltremare per la quale lavora. Nessuna di queste inchieste ha mai accertato qualche reato a suo carico. Successivamente Pino Rauti fu inquisito per la strage di Piazza della Loggia a Brescia e in merito il 15 maggio 2008 è stato rinviato a giudizio. Assolto il 16 novembre 2010 in base all’articolo 530 comma 2 del codice di procedura penale (insufficienza di prove). Nelle richieste del pm Roberto Di Martino, per quanto concerne la posizione di Pino Rauti si afferma che la sua è una «responsabilità morale, ma la sua posizione non è equiparabile a quella degli altri imputati dal punto di vista processuale. La sua posizione è quella del predicatore di idee praticate da altri ma non ci sono situazioni di responsabilità oggettiva. La conclusione è che Rauti va assolto perché non ha commesso il fatto».  

 

Nel 1972 Rauti viene eletto deputato alla Camera nelle file del Msi nel collegio di Roma, dove verrà sempre rieletto fino alle elezioni del 1994. È promotore di una stagione di rinnovamento dentro il partito, lanciando un quindicinale «Linea», e organizzazioni parallele, dal Movimento giovani disoccupati, ai Gruppi Ricerca Ecologica, e sostenendo i Campo Hobbit fu riferimento delle nuove generazioni del Fronte della Gioventù. La sua era detta la componente dei «Rautiani». Nel 1979, al XII congresso del MSI-DN, viene eletto vicesegretario. È animatore di mozioni congressuali come «Linea futura» (1977), «Spazio Nuovo» (1979 e 1982) e «Andare oltre» (1987). Il 14 dicembre 1987, al XV congresso del MSI a Sorrento, raccoglie quasi la metà dei consensi, insieme alla corrente di Beppe Niccolai, per l’elezione a segretario, ma è battuto da Gianfranco Fini, sostenuto dal segretario uscente e padre nobile del partito Giorgio Almirante, ormai gravemente malato.  

 

mercredi, 24 octobre 2012

CIAO, ALBERTO

CIAO, ALBERTO

Oggi, una mattina come tante, iniziata non bene e non male, nella normalità, mentre stavo iniziando a dedicarmi alle mie occupazioni quotidiane, squilla il telefono, è un mio / nostro sodale che mi da la triste notizia che Alberto B. Mariantoni è andato oltre.

Mi scorrono nella mente ricordi, immagini, idee, le interminabili discussioni fatte in altrettante interminabili nottate, la voglia di combattere contro questo mondo ingiusto ed inumano. Vado a prendere una sua lettera autografa – e già anche nei tempi di internet c’è ancora chi scrive a mano – scritta in bella calligrafia – perché per Alberto, come per la Tradizione estremo orientale, scrivere bene significava pensare bene, scritta con la penna stilografica, come si faceva una volta, anche se si lamentava che l’inchiostro non era più buono come quello di un tempo, la giro e rigiro tra le mani: non riesco a concentrarmi.

Mi sostiene solamente la consapevolezza che continueremo a stare insieme, anche se non materialmente, perché, ad un certo grado di affinità, gli spiriti si pensano.

Economista, saggista, storico, solo pochissime altre personalità possono vantare di essere state autenticamente ribelli ed eretiche. La sua attenzione si è da sempre focalizzata sulla indispensabilità di uscire dall’apparente insolubile dualismo capitalismo-marxismo. Lo studio dei meccanismi dell’economia e, di conseguenza monetari, attraverso l’analisi delle ricorrenti ed inspiegabili crisi inflazionistiche ed economiche formano, negli ultimi tempi, il nucleo centrale del suo interesse extra-storico e politico.

I suoi articoli e saggi di economia, purtroppo, conoscono una lunga notte. Le sue tesi sconvolgono le classiche coordinate di analisi economico-politica. Come pensare che economia libera ed economia statizzata in realtà abbiamo le medesime matrici e producano i medesimi risultati? Come pensare che esse congiuntamente decidano dei destini delle monete ? Come pensare che esse siano organizzativamente e finalisticamente simili ?

Alberto ancora una volta colpirà nel segno.

Testimone e protagonista del suo tempo non indietreggiò, mai, davanti al suo destino, anche quando questo gli fu avverso. Forse proprio per questa sua coerenza, tutto un “ certo “ ambiente lo ha isolato, contribuendo, tuttavia, a farne un uomo troppo alto per essere intaccato da critiche meschine.

Tante volte varcò la porta della stima personale e del successo, a differenza di altri che a quella porta bussarono, con il cappello in mano, senza mai varcarla.

E questo è, forse, il peccato che questo nostro tempo di nani non gli perdona.

“ A mio giudizio, abbiamo quella illudente e fuorviante percezione della nostra esistenza, in quanto continuiamo testardamente ed incosapevolmente a volere assolutamente “ leggere” o interpretare la realtà che ci contorna, attraverso le lenti deformanti e snaturanti della “visione ideologica” della vita e della storia”, così ci diceva e scriveva.

Ciao Alberto.

Claudio Marconi   FotoAlberto

ALBERTO B. MARIANTONI È “ANDATO AVANTI”

ALBERTO B. MARIANTONI È “ANDATO AVANTI”

Ex: http://www.eurasia-rivista.org/  

 

ALBERTO B. MARIANTONI È “ANDATO AVANTI”

La redazione di “Eurasia” dà l’estremo saluto ad Alberto Bernardino Mariantoni, politologo, saggista storico, esperto di questioni del Vicino Oriente e studioso delle religioni.

Lo ricordiamo come collaboratore della rivista, in particolare col suo storico saggio Dal “Mare Nostrum” al “Gallinarium Americanum”. Basi USA in Europa, Mediterraneo e Vicino Oriente (“Eurasia” 3/2005), il quale ha avuto l’inestimabile merito di sollevare definitivamente la questione dell’occupazione della nostra terra da parte di eserciti stranieri. Dopo tale illuminante articolo, anche i media collaborazionisti cosiddetti “autorevoli” dovettero “correre ai ripari” per tamponare la falla, ovvero la “fuga di notizie”, che rischiava di trasformarsi in un’alluvione; così avvenne che in una trasmissione di una rete televisiva nazionale, citando il saggio di Mariantoni, venne imbastita una ridicola messinscena tra “esperti” i quali, arrampicandosi sugli specchi, cercavano di minimizzare l’inaudita gravità di un apparato tentacolare che, per la sua sola presenza, rende nulla ogni pretesa di indipendenza e sovranità delle nazioni sottoposte a pluridecennale imposizione.

Lo ricordiamo anche come uomo, generoso, tollerante, sempre disponibile e mai “in cattedra”, sebbene, grazie alla sua esperienza diretta delle cose di cui trattava, si sarebbe potuto atteggiare a “professore” più di tanti altri che, per molto meno, fanno sfoggio di conoscenze puramente libresche, imparate dai “bignamini”.

Mariantoni era un “interventista della cultura”, nel più aureo filone dei grandi Italiani che, del loro sapere, non han fatto una base per guadagnare onori e prebende vivendo sempre da “struzzi”, ma lo hanno costantemente messo a disposizione di una “battaglia” sentita come improrogabile: quella per la libertà, l’indipendenza, l’autodeterminazione e la sovranità politica, economica, culturale e militare di tutti i popoli del mondo.

Per chi intendesse saperne di più su questa grande figura di italiano, mediterraneo ed europeo, consigliamo la lettura dei testi contenuti nel suo sito personale: http://www.abmariantoni.altervista.org/

Addio Alberto, che la morte ti sia lieve. Come tu stesso dicevi sempre, è solo la vita che va verso la vita. 

Enrico Galoppini, a nome della Redazione di “Eurasia”

Who was Alberto B. Mariantoni?

Alberto Bernardino Mariantoni è nato a Rieti ( I ), il 7 Febbraio del 1947.

E’ laureato in Scienze Politiche e specializzato in Economia Politica, Islamologia e Religioni del Vicino Oriente. E’ Master in Vicino e Medio Oriente.

Politologo, scrittore e giornalista, è stato per più di vent’anni Corrispondente permanente presso le Nazioni Unite di Ginevra e per circa quindici anni sul tamburino di «Panorama». Ha collaborato con le più prestigiose testate nazionali ed internazionali, come «Le Journal de Genève», «Radio Vaticana», «Avvenire», «Le Point», «Le Figaro», «Cambio 16», «Diario de Lisboa», «Caderno do Terceiro Mundo», «Evénements», «Der Spiegel», «Stern», «Die Zeit», «Berner Zeitung», «Il Giornale del Popolo», «Gazzetta Ticinese», «24Heures», «Le Matin», «Al-Sha’ab», Al-Mukhif Al-Arabi», nonché «Antenne2», «Télévision Suisse Romande», «Televisione Svizzera Italiana», ecc.

E’ esperto di politica estera e di relazioni internazionali, con particolare riferimento ai paesi arabi e musulmani e dell’Africa centrale ed occidentale. Ha al suo attivo decine e decine di inchieste e di reportages in zone di guerra e di conflitti politici. E’ autore di oltre trecento interviste ai protagonisti politici ed istituzionali dei paesi del Terzo Mondo e della vita politica internazionale.

Ha insegnato presso la Scuola di Formazione continua dei giornalisti di Losanna. E’ stato Professore invitato presso numerose Università Europee e Vicino-Orientali.

Ha scritto: «Gli occhi bendati sul Golfo» (Jaca Book, Milano 1991); «Le non-dit du conflit israélo-arabe» (Pygmalion, Paris, 1992); «Le storture del male assoluto» (Herald Editore, Roma, 2011); con AA.VV., «Una Patria, una Nazione, un Popolo» (Herald Editore, Roma 2011); con AA.VV., «Nuova Oggettività – Popolo, Partecipazione, Destino» (Heliopolis Edizioni, Pesaro, 2011).

Dal 1994 al 2004, è stato Presidente della Camera di Commercio Italo-Palestinese.

Nel 2009-2010 ha collaborato, come docente, con lo I.E.M.A.S.V.O - Istituto 'Enrico Mattei' di Alti Studi sul Vicino e Medio Oriente di Roma.

English:

Alberto Bernardino Mariantoni was born in Rieti (Italy), on February 7th, 1947.

He graduated in Political Sciences and specialized in Political Economy, and Islamic studies and Religions of the Middle-East. He is also a post-graduate Master in the Near and Middle East.

As a political commentator, writer and journalist he was – for more than twenty years – permanent correspondent at the United Nations in Geneva (Switzerland). For approximately fifteen years he was included in the list of front-page editorialists of “Panorama” (a major, nationally distributed Italian news magazine). He has collaborated with top-ranking, prestigious national and international media organs, such as “Le Journal de Genève”, “Radio Vaticana”, “Avvenire”, “Le Point”, “Le Figaro”, “Cambio 16”, “Diario de Lisboa”, “Caderno do Terceiro Mundo”, “Evénements”, “Der Spiegel”, “Stern”, “Die Zeit”, “Berner Zeitung”, “Il Giornale del Popolo”, “Gazzetta Ticinese”, “24Heures”, “Le Matin”, “Al-Sha’ab”, and “Al-Mukhif Al-Arabi”, plus “Antenne2”, “Télévision Suisse Romande”, “Televisione Svizzera Italiana”, etc.

He is an expert on foreign politics and international relations, with particular reference to Arabic and Muslim countries, and the countries of Central and West Africa. He has authored many dozens of inquiries into, and reports from, war zones/regions struck by political conflicts. He has also authored more than 300 interviews with political and institutional personages of Third World countries and the international political scene.

He has taught for the continuing professional development school for journalists in Lausanne (Switzerland). He has been ‘guest professor’ at various European and Near-East Universities.

He has written: «Gli occhi bendati sul Golfo» (blindfolded on the Gulf) (published by Jaca Book, Milan, 1991) and «Le non-dit du conflit israélo-arabe» (the unsaid on the Israel-Arab conflict) (published by Pygmalion, Paris, 1992);«Le storture del male assoluto» (Herald Editore, Roma, 2011); con AA.VV., «Una Patria, una Nazione, un Popolo» (Herald Editore, Roma 2011); con AA.VV., «Nuova Oggettività – Popolo, Partecipazione, Destino» (Heliopolis Edizioni, Pesaro, 2011).

From 1994 to 2004, he was Chairman of the Italian-Palestinian Chamber of Commerce.

In 2009-2010, he collaborated as professor with I.E.M.A.S.V.O – ‘Enrico Mattei’ Advanced Studies Institute on the Near and Middle East, Rome (Italy).

 

jeudi, 12 janvier 2012

Otto Scrinzi: Ein Gründervater des Dritten Lagers ist tot

Otto Scrinzi: Ein Gründervater des Dritten Lagers ist tot 

Ex: http://freigeist-blog.blogspot.com/

130_0.jpgIn der Nacht vom 1. auf den 2. Jänner 2012 verstarb Nationalratsabgeordneter a.D. Dr. Otto Scrinzi im 93. Lebensjahr in seinem Heimatbundesland Kärnten. Mit Otto Scrinzi ist einer der letzten Gründerväter des Dritten Lagers der Zweiten Republik von uns gegangen. Unmittelbar nach der Heimkehr aus der Kriegsgefangenschaft stellte er sich neben seiner Arbeit als Facharzt in den Dienst des staatlichen Gemeinwesens. So begründete der 1918 in Osttirol geborene Scrinzi in seiner nunmehrigen Heimat Kärnten den Verband der Unabhängigen (VDU) mit, wurde dessen Landesobmann und vertrat den VDU 1949 bis 1956 im Kärntner Landtag als Abgeordneter und Klubobmann. Neben seiner landespolitischen Tätigkeit setzte er sich auch als Standesvertreter für die Belange der Kärntner Ärzteschaft ab 1949 ein.
 
Gründervater des Dritten Lagers, Demokrat und Sachpolitiker

 

 

 
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Neben dem Aufbau seiner bürgerlichen Existenz als Arzt setzte sich Scrinzi als untadeliger Demokrat in der Nachkriegszeit vor allem für jene Bevölkerungsschichten ein, die nicht zu den Günstlingen des sich etablierenden schwarz-roten Proporzsystems gehörten: Kriegsheimkehrer, Soldatenwitwen und -waisen und die vielen Volksdeutschen, die als Altösterreicher von den kommunistischen Terrorregimen nach 1945 aus ihrer alten Heimat vertrieben worden waren. Diese Engagement führte ihn an die Wiege von VDU und FPÖ. In seinen Prinzipien als nationalliberaler Volksvertreter unterschütterlich, suchte er immer den Dialog mit den politischen Mitbewerbern und streckte die Hand aus, um als Oppositionspolitiker seine fundierten Argumente in den politischen Diskurs mit einzubringen. Dies machte ihn auch zu einem geschätzten Fachmann in gesundheits- und sozialpolitischen Sachfragen bei SPÖ und ÖVP.

 

Mitbegründer der FPÖ, Obmannstellvertreter und langjähriger Nationalrat

Ab 1956 bemühte er sich mitzuhelfen, die Kärnter Landesgruppe des VDU in die neue Freiheitliche Partei Österreich (FPÖ) zu integrieren. Ab 1966 vertrat Srinzi sein Heimatbundesland Kärnten insgesamt 13 Jahre im österreichischen Nationalrat. Dort setzte er sich in Fragen der Sozial- und Gesundheitspolitik für notwendige Reformen ein und erkannte schon damals die Systemfehler, unter denen wir bis heute zu leiden haben. Sein besonderes Engagement galt über viele Jahre hinweg als Südtirolsprecher der FPÖ dem Engagement für die deutsche und ladinische Volksgruppe in Südtirol. Als Oppositionspolitiker mahnte er bei der österreichischen Bundesregierung  rastlos den Einsatz für die Landsleute im südlichen Tirol ein, und setzte sich lebenslang für die Selbstbestimmung der Südtiroler und eine Rückkehr des südlichen Tiroler Landesteils zu Österreich ein. Als Bundesparteiobmannstellvertreter forderte er in den siebziger Jahren eine grundlegende Erneuerung der FPÖ ein, um das rot-schwarze System erfolgreich überwinden zu können.

Nicht bequem, dafür aber immer prinzipientreu

So konsequent er die Finger in die Wunden der Regierungspolitik von Rot und Schwarz legte, so konsequent mahnte er auch im eigenen politischen Lager Prinzipientreue ein. Als es in der FPÖ in Zeiten einer rot-blauen Koalition 1983 bis 1986 kurzzeitig ein Liebeugeln mit dem FDP-Modell gab, stellte er sich als Präsidentschaftskandidat der „National-Freiheitlichen Aktion“ 1986 zur Verfügung und leitete damit wiederum eine Rückkehr zu einer echten freiheitlichen Politik in der FPÖ ein. Als Funktionsträger im Freiheitlichen Akademikerverband sowie Herausgeber, Schriftleiter und Autor des Magazins Die Aula nahm er in 5 Jahrzehnten in vielfältiger Weise zu gesellschaftspolitischen Grundsatzfragen, jenseits der Tagespolitik Stellung. Mit Otto Scrinzi verliert nicht nur die freiheitliche Gesinnungsgemeinschaft einen geschätzten Repräsentanten und Weggefährten, sondern darüber hinaus Österreich einen Politiker, der stets für die Gemeinschaft, und niemals für den Eigennutz eingestanden ist.Bundesparteiobmann HC Strache würdigte den FPÖ-Gründervater: „Scrinzi war jemand, den man mit Fug und Recht als freiheitliches Urgestein bezeichnen konnte und der die Werte unserer Gesinnungsgemeinschaft immer gelebt hat."

Nachruf auf Primar und Nationalrat a.D. Dr. Otto Scrinzi

Ein großer Freund Südtirols ist von uns gegangen

Nachruf auf Primar und Nationalrat a.D. Dr. Otto Scrinzi

Otto-Scrinzi
 

MOOSBURG – In der Nacht vom 1. auf den 2. Jänner 2012 ist in Kärnten ein Mann verstorben, dem Südtirol viel zu verdanken hat. Der österreichische Primar und Nationalratsabgeordnete a.D. Dr. Otto Scrinzi war 93 Jahre alt geworden. Er hatte ein erfülltes Leben hinter sich, welches von der Liebe zu Südtirol und von selbstlosem Einsatz für Volk und Heimat geprägt war. Scrinzis Südtiroler Eltern hatte es 1918 nach Lienz verschlagen. Der junge Bursch verbrachte seine Schulferien zumeist bei den Großeltern in Branzoll bei Bozen und in Petersberg. Er half während der Faschistenzeit seinem Onkel, einem aus dem Schuldienst entlassenen Lehrer, bei der Durchführung des heimlichen deutschen Schulunterrichts.

Scrinzi trug zusammen mit Freunden deutsche Bücher über die Berge nach Südtirol und half bei dem Aufbau der „Katakombenschulen“ mit. Als in Österreich in der Zeit des Ständestaates die Demokratie abgeschafft wurde und die Staatsführung mit Mussolini paktierte, schloss sich der junge Innsbrucker Student Scrinzi den illegalen Nationalsozialisten an.

Wie viele seiner Landsleute erwartete auch Scrinzi, dass dem Anschluss Österreichs die Befreiung Südtirols folgen würde. Diese Hoffnung wurde durch den Pakt Hitlers mit Mussolini und durch das schreckliche Optionsabkommen bitter enttäuscht. Ein innerer Bruch mit der NS-Parteilinie war die Folge. Als Leiter des karitativen „Reichsstudentenwerkes“ in Innsbruck vergab Otto Scrinzi Förderungen an Südtiroler Studenten, verbunden mit der Auflage, nicht für Deutschland zu optieren, sondern in Südtirol zu verbleiben. Zu den derart Geförderten gehörte auch der spätere SVP-Politiker Friedl Volgger.

Durch diese und ähnliche Tätigkeiten geriet Otto Scrinzi in das Visier der Gestapo, Einvernahmen und auch einige Tage Haft waren die Folge. Seine Einrückung zur Wehrmacht nach seiner Promotion zum Doktor der gesamten Heilkunde rettete ihn vor weiterer Bespitzelung und Verfolgung.

Als Truppenarzt diente Dr. Scrinzi auf dem Balkan und an der Eismeerfront, um nach dem Krieg Primararzt in Kärnten, Landtagsabgeordneter und 1966 Nationalratsabgeordneter und Südtirolsprecher der Freiheitlichen Partei Österreichs zu werden. Weitere politische Funktionen: Mitglied in der Beratenden Versammlung des Europarates, Delegationsmitglied bei den Vereinten Nationen.

In einer großen parlamentarischen Rede wies Scrinzi im Jahre 1969 darauf hin, dass die „Paket“-Autonomielösung schwerwiegende Mängel aufwies: Von dem Fehlen einer einklagbaren Verankerung bis hin zur ungelösten Ortsnamensfrage. Die weitere Entwicklung hat der damaligen Kritik des Abgeordneten Scrinzi Recht gegeben.

Auch nach seinem Ausscheiden aus der aktiven Politik blieb Dr. Scrinzi seiner Heimat Südtirol verbunden. Als Kurator der „Laurin-Stiftung“, der nach Einstellung der „Stillen Hilfe“ größten Südtirol-Stiftung, half Dr. Scrinzi Jahrzehnte hindurch, Hunderte von Bauernhöfen und gewerblichen Betrieben durch großzügige Umschuldungen aus unverschuldeten Notlagen zu retten.

Dazu kamen kulturelle Förderungen, die Dorfgemeinden, kirchlichen Organisationen, Schützenkompanien, Musikkapellen und Vereinen zugute kamen.

Ein besonderer Schwerpunkt war die Schaffung und Dotierung von Assistentenstellen und die Vergabe von Stipendien für Südtiroler an der Innsbrucker Universität. Auch Zuschüsse an Institute und Bibliotheken wurden gewährt.

Die Stiftungstätigkeit führte Dr. Scrinzi immer wieder in die alte Heimat Südtirol und auch zu bewegenden Begegnungen mit ehemaligen Freiheitskämpfern der Sechzigerjahre.

Im Februar 2003 ehrte der Südtiroler Schützenbund Dr. Scrinzi mit dem Ehrenkranz. In seinen Lebenserinnerungen „Politiker und Arzt in bewegten Zeiten“ schrieb Scrinzi: „Für mich persönlich war diese Auszeichnung eine Art zweiter Einbürgerung in meine Heimat, aus der meine Familie nach vielhundertjähriger Ansässigkeit 1918 ausgebürgert worden war.“

Diese Ehrung hat Dr. Scrinzi mehr gefreut als die vorher erfolgte Verleihung des Großen Goldenen Ehrenzeichens für Verdienste um die Republik Österreich.

In seinem letzten Lebensabschnitt musste Dr. Scrinzi noch erleben, dass die italienischen Behörden die offenbar ungeliebte Stiftungstätigkeit zu kriminalisieren versuchten. Eine Tätigkeit, über die Dr. Scrinzi in seinen Lebenserinnerungen schrieb: „Diese meine Altersarbeit und die Möglichkeit, für meine Landsleute manch Gutes tun zu können, waren Erfüllung für mich, die Wiederbegegnung mit einer seligen Kindheits- und Jugendliebe. Und wären es nur diese Jahre …, dann hätte mein Leben einen Sinn gehabt.“

mercredi, 14 septembre 2011

Vaart wel, professor Piet Tommissen

Vaart wel, professor Piet Tommissen
 
Peter W. LOGGHE
 
Ex: Nieuwsbrief - Deltastichting, Nr. 51 (september 2011)
 
Ik moet bekennen dat ik toch wel geëmotioneerd geraakte toen ik het overlijdensbericht van professor Piet Tommissen onder ogen kreeg. Weliswaar bereikte hij de gezegende leeftijd van 87 jaar en bleef hij nog zeer lang boeken uitgeven en artikels schrijven.  Maar deze Vlaamse economist, socioloog en overtuigd nationalist heeft ongetwijfeld bij een aantal mensen meer sporen nagelaten dan hij misschien wel heeft vermoed. Ook en vooral in het buitenland.
 
Professor Piet Tommissen is de Carl Schmitt-kenner en –specialist bij uitstek. De rechtsgeleerde en jurist Schmitt was – vanuit de vooroorlogse situatie in Duitsland natuurlijk – zowat de zondebok van de kringen van politicologie en juridische wetenschappen overal in Europa.  Maar tevens was het werk van Schmitt zeer vruchtbaar, zodat Roman Schnur over Schmitt zei: “Het is de eik waaronder de everzwijnen hun truffels kwamen zoeken”.  Piet Tommissen, toen nog een jonge knaap, zocht contact met Carl Schmitt en werd uiteindelijk goed bevriend. De eerste bibliografie over Schmitt werd door dezelfde Tommissen verzorgd, in het jaar 1953. Men moet zich de toestanden proberen voor te stellen: geen computers, geen fax- of kopiemachines, alles met stylo of potlood overschrijven. In de harde naoorlogse jaren naar Plettenburg reizen, zal ook al geen lachertje geweest zijn.

Nooit sant in eigen land

Vanaf 1990 zou Tommissen trouwens een soort jaarboeken uitgeven, “Schmittiana”, bij Duncker & Humblot in Berlijn. Jaarboeken gewijd aan de studie van de werken van Schmitt – de eerste drie Schmittiana  verschenen in 1988, 1990 en 1191 als dubbelnummers van de “Eclectica”-monografieën uitgegeven bij de EHSAL. Jaarboeken waar vele juristen, waar vele politicologen inspiratie hebben gevonden. IJkpunten zijn het geworden in de studie van Carl Schmitt. “Onze” Piet Tommissen.

Piet Tommissen volgde economische studies aan Handelshogeschool Sint-Aloysius in Brussel en de Universiteit te Antwerpen. Voor zijn doctoraatsthesis – een tweede belangrijk thema trouwens –  koos hij voor het onderwerp Vilfredo Pareto, wij hebben het over  1971. Kenners laten zich nog altijd zeer positief uit over het boek.  Tommissen toont hier al zijn kunnen: een interdisciplinaire waarnemer en een man met een grote eruditie.  Ook in de kunst kon hij zijn mannetje staan: ik verwijs graag naar zijn contacten met de laatste ‘Belgische’ surrealist Marc Eemans.
 
Hij was niet alleen een uitstekend kenner van Pareto en Schmitt, maar ook van Georges Sorel, Julien Freund en zovele andere Franse politieke en metapolitieke denkers. Toen het Franse luxetijdschrift van Nieuw Rechts, Nouvelle Ecole, in 2007 een nummer uitbracht over Georges Sorel, lazen wij met interesse de tekst daarin van de onvermoeibare Piet Tommissen.

Piet Tommissen was nooit sant in eigen land. In gelijk welk ander Europees land zou een man als Tommissen in de bloemen gezet worden, overstelpt met staatsfelicitaties. Niet zo in dit land. Piet Tommissen werd niet geëerd in België. Waarom? We hebben er het gissen naar. Was het omdat zijn politieke overtuiging zo sterk was? Was het omdat hij de Vlaamse zaak méér dan genegen was en eigenlijk sterk heel-Nederlands dacht (vandaar zijn engagement in de Marnixring, zijn bijdragen aan het vormingstijdschrift TeKoS)?

Ik zal professor Piet Tommissen niet licht vergeten. Ik zal hem niet licht vergeten omwille van zijn publicaties op latere leeftijd, de zogenaamde “Buitenissigheden’ waar hij met veel humor en zachte spot zijn wedervaren uit vroegere dagen opriep. Ik zal hem niet licht vergeten omdat hij mij Carl Schmitt liet ontdekken. Laten we vooral niet vergeten dat professor Tommissen waarschijnlijk ook een van de eersten is geweest die het Mohleriaans begrip ‘conservatieve revolutie’ in de Lage Landen heeft verspreid en een aantal Vlaamse en Nederlandse jongeren heeft geïnspireerd. En blijft inspireren.


Dank u, Piet Tommissen. Vaart wel, professor Piet Tommissen!

(P.L)

Voor rouwbetuigingen aan kunt u op deze verbinding terecht.

Piet Tommissen: le Grand Maître des notes en bas de page

Piet Tommissen: le Grand Maître des notes en bas de page

 

Modeste, il brisait les blocages mentaux

 

Hommage au Schmittien flamand Piet Tommissen

 

Par Günter MASCHKE

 

“La rcherche sur Carl Schmitt, c’est moi’”, aurait pu dire Piet Tommisen dès 1952, alors qu’il n’avait que vingt-sept ans. Ce Flamand était à l’époque un étudiant sans moyens, qui étudiait  seul l’économie politique et la sociologie, en autodidacte, alors qu’il avait un boulot banal. Sans cesse, il venait à Plettenberg dans le Sauerland pour rencontrer Carl Schmitt, après des voyages pénibles dans un pays totalement détruit. Et l’étudiant Tommissen posait des questions au Maître: il était très respectueux mais si curieux et si pressant qu’il exagérait parfois dans ses véritables interrogatoires, jusqu’à perdre la plus élémentaire des pitiés! A l’époque, il n’y avait pas de photocopieurs et Tommissen recopiait sur sa petite machine à écrire portable des centaines d’essais ou de documents, tout en pensant à d’autres chercheurs éventuels: il utilisait sans lésiner de gros paquets de papier carbone.

 

Sans Tommissen, la célébrité de Carl Schmitt aurait été plus tardive

 

Certes, Carl Schmitt, grand juriste et politologue allemand, diffamé et réprouvé après 1945, avait quelques autres amis fidèles mais il faut dire aujourd’hui que le travail le plus pénible pour le sortir de son isolement a été effectué par Piet Tommissen. Sans ce briseur de blocus venu de Flandre, la célébrité acquise par Schmitt aurait été bien plus tardive. Tommissen a établi la première bibliographie de Schmitt de bonne ampleur (cf. “Versuch einer Carl Schmitt-Bibliographie”, Academia Moralis, Düsseldorf, 1953); il a écrit une série impressionnante, difficilement quantifiable, de textes substantiels, en allemand, en français, en néerlandais, en espagnol, etc., sur la vie et l’oeuvre du plus récent de nos classiques allemands en sciences politiques; il a découvert et édité les multiples correspondances entre Schmitt, grand épistolier, et d’autres figures, telles Paul Adams, Hugo Fischer, Julien Freund, etc.; enfin, à partir de 1990, il a publié huit volumes de la série “Schmittiana” (chez Duncker & Humblot à Berlin), tous absolument indispensables pour qui veut s’occuper sérieusement de l’oeuvre de Schmitt. Tout véritable connaisseur de Schmitt devra dorénavant acquérir et potasser cette collection.

 

Tommissen était le maître incontesté d’un genre littéraire particulièrement noble: l’art de composer des notes en bas de page. Ses explications, commentaires, indices biographiques et bibliographiques réjouissent le “gourmet”, même après maintes lectures et relectures, et constituent les meilleurs antidotes contre les abominables simplifications qui maculent encore et toujours la littérature publiée sur Schmitt et son oeuvre. Dis-moi qui lit avec zèle les notes de Tommissen et je te dirai quelle est la valeur des efforts qu’il entreprend pour connaître Schmitt!

 

Tommissen était surtout la “boîte à connexions” dans la recherche internationale sur Schmitt ou, si on préfère, la “centrale de distribution”. Presque tout le monde lui demandait des renseignements, des indices matériels, des conseils. Ainsi, il savait tout ce qui se passait dans le monde à propos de Schmitt. Pour ne citer que quelques noms: tout ce à quoi travaillaient Jorge Eugenio Dotti en Argentine, Alain de Benoist en France, Antonio Caracciolo en Italie, Jeronimo Molina en Espagne ou moi-même, auteur de ces lignes nécrologiques, Tommissen le savait et c’est pour cette raison qu’il pouvait susciter de nombreux contacts fructueux. Tous ceux qui connaissent les cercles de la recherche intellectuelle s’étonneront d’apprendre que Tommissen a toujours su résister à la tentation de rationner ses connaissances ou de les monopoliser. Son mot d’ordre était: “Le meilleur de ce que tu peux savoir, tu dois toujours le révéler à tes étudiants!”.

 

Bon nombre d’admirateurs de Tommissen déploraient une chose: notre professeur ne prenait que fort rarement position et ne formulait qu’à contre-coeur des assertions théoriques fondamentales. Cette réticence n’était nullement la faiblesse d’un collectionneur impénitent mais le résultat d’une attitude toute de scrupules, indice d’une grande scientificité. Après une conversation de plusieurs heures avec Tommissen, mon ami Thor von Waldstein était tout à la fois enthousiasmé et perplexe: “Qui aurait cru cela! Cet homme incroyable creuse en profondeur. Il sait tout en la matière!”.

 

Il serait toutefois faux de percevoir Tommissen exclusivement comme un “schmittologue”. Il était aussi un excellent connaisseur des écrits de Vilfredo Pareto et de Georges Sorel, deux “mines d’uranium” comme les aurait définis Carl Schmitt. Il y a donc un mystère: comment un homme aussi paisible et aussi bienveillant que Tommissen ne s’est-il préoccupé que de ces “dinamiteros” intellectuels? Sa thèse de doctorat, qu’il n’a présentée qu’en 1971, et qui s’intitule “De economische epistemologie van Vilfredo Pareto” (Sint Aloysiushandelhogeschool, Bruxelles), lui a permis, après de trop nombreuses années dans le secteur privé, d’amorcer une carrière universitaire. Cette thèse restera à jamais l’un des travaux les plus importants sur le “solitaire de Céligny”, sur celui qui n’avait plus aucune illusion. Quant aux études très fouillées de Tommissen sur Sorel, cette géniale “plaque tournante” de toutes les idéologies révolutionnaires, devraient à l’avenir constituer une lecture obligatoire pour les lecteurs de Sorel, qui se recrutent dans des milieux divers et hétérogènes.

 

L’oeuvre majeure de Tommissen est une histoire des idées économiques

 

La place manque ici pour évoquer en long et en large les recherches de Tommissen sur la pensée politique française des 18ème et 19ème siècles, ses essais sur les avant-gardes surréalistes et dadaïstes en Europe. Pour mesurer l’ampleur de ces recherches-là, il faut consulter la bibliographie composée avec amour par son fils Koenraad Tommissen (“Een buitenissige biblografie”, La Hulpe, Ed. Apsis, 2010).

 

L’exemple le plus patent de l’excellence des travaux de Tommissen en sciences humaines (au sens large) est incontestablement son ouvrage majeur “Economische systemen” (Deurne, 1987). Dans l’espace relativement réduit de 235 pages, Tommissen nous brosse l’histoire des idées économiques de l’antiquité à la Chine post-maoïste, en complétant son texte, une fois de plus, d’innombrables notes de bas de page et d’indices substantiels. Il nous révèle non seulement l’histoire dramatique de l’économie politique à travers les siècles mais nous introduit également à l’étude du substrat politique, culturel et idéologique de “l’homme travaillant” au cours de l’histoire. Un bon livre nous épargne très souvent la lecture de centaines d’autres et nous encourage à en lire mille autres!

 

La personnalité de Piet Tommissen nous révèle aussi que le questionnement, la lecture, la compilation, la pensée, l’écriture ne connaissent jamais de fin, que ce travail est épuisant mais procure aussi énormément de bonheur.

 

“Si tu veux aller à l’infini

Borne-toi donc à arpenter le fini en tous ses recoins”

(“Willst Du ins Unendlichen schreiten,

Geh nur im Endlichen nach allen Seiten”),

nous dit l’Olympien de Francfort-sur-le-Main, de Weimar.

 

Piet Tommissen, né le 20 mars 1925 à Lanklaar dans le Limbourg flamand est décédé à Uccle le 21 août 2011.

 

Günter MASCHKE.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°36/2011 – http://www.jungefreiheit.de ).

In Memoriam Piet Tommissen

“Scribens mortuus est”

In memoriam Piet Tommissen

(20 mars 1925 – 21 août 2011)

 

par Hans VERBOVEN

 

Dans la basilique Saint Servais de Grimbergen nombreux étaient les amis, les collègues, les voisins et les parents du Professeur Piet Tommissen rassemblés pour prendre congé de lui, le 26 août 2011. Le prêtre, Gereon van Boesschoten, o. praem., dès le début de la célébration eucharistique, a rappelé la signification du vers “Mijn schild ende betrouwen, zijt Gij o God mijn Heer” (“Ô Seigneur, Mon Dieu, Tu es mon bouclier et ma confiance”), qui ornait le faire-part. Filip de Vlieghere, président du Marnixring (“Cercle Marnix”), a évoqué les grandes qualités humaines et les capacités d’organisateur du défunt Piet Tommissen. Un collègue “émérite” de la haute école EHSAL, esquissa un portrait très pertinent de ce professeur d’université à l’immense érudition. La cérémonie fut sobre, de grand style, avec le drapeau flamand orné du lion noir et le drapeau du “Cercle Marnix” flanquant l’autel; elle se termina par le “Gebed voor het Vaderland” (“la Prière pour la Patrie”), particulièrement bien joué par l’organiste Kamiel D’Hooghe. C’est vraiment ainsi que le défunt l’aurait voulu.

 

Lorsque je rendis visite au Professeur Tommissen, pour la dernière fois, à Uccle, au début de cette année, j’avais amené, à sa demande, une photo de mes enfants. A l’arrière de la photo, il a inscrit leurs noms et leurs dates de naissance. C’était typique de lui, de l’homme qu’il était, de cet archiviste invétéré, de ce collectionneur. Chaque rencontre, chaque conversation téléphonique commençait toujours par un petit débat sur les heurs et malheurs de la vie familiale: seulement après cette brève enquête, on parlait du “boulot”. Son fils Koenraad, ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants étaient sa grande passion.

 

Attendri et avec beaucoup d’emphase, il me parlait toujours des visites de ses plus jeunes descendants. Lors de notre dernière rencontre, je lui ai offert un livre, avec la dédicace suivante: “Pour le Professeur Tommissen, en remerciement de son amitié et de ses conversations grand-paternelles”. Pour moi aussi, il était un grand-père, dans tous les sens du terme. Il était cordial et prévenant, d’une gentillesse totale et il avait la sagesse et le raffinement que seule procure une longue vie. En vérité, un grand homme!

 

Le Professeur Tommissen était un grand savant et, surtout, le fondateur et le “grand seigneur” de toutes les recherches entreprises autour de l’oeuvre et de la personnalité du penseur et juriste allemand Carl Schmitt. Bon nombre de professeurs d’université allemands venaient lui demander conseil et lui soumettaient leurs manuscrits pour qu’il les corrige. Ses connaissances sur Vilfredo Pareto, Ernst Jünger, Victor Leemans et Georges Sorel, entre autres personnalités, étaient immenses, sans pareilles. Armin Mohler le nommait le “petit écureuil des Flandres”, allusion à cette pulsion qui était la sienne et le poussait à collectionner avec acribie et scientificité détails, notes, anecdotes et références. Outre sa riche bibliothèque, il possédait une énorme correspondance, composée de milliers de lettres et échangée avec les personnalités les plus diverses et les plus renommées de l’intelligence européenne de notre après-guerre. Il faut savoir que sa qualité de professeur n’était pas une vocation tardive, bien qu’elle ne put s’accomplir que fort tard dans sa vie.

 

Au cours des premières années de son mariage, il avait eu bien d’autres chats à fouetter. Tommissen fut un homme qui dut se tailler seul un sentier dans la vie, accompagné par sa chère épouse, Agnès Donders, morte beaucoup trop tôt. Sa thèse de doctorat, à l’UFSIA d’Anvers, fut la toute première qui fut défendue dans cette célèbre université dirigée par les Jésuites. Le poste d’enseignement universitaire qu’il obtint auprès de la haute école EHSAL à Bruxelles et de la LUC au Limbourg fut bel et bien la récompense méritée de son dévouement et de sa persévérance. Tommissen travaillait et s’occupait de sa famille sans fléchir: le résultat fut un flot ininterrompu d’articles dans toutes sortes de revues et de monographies. Son fils, le Dr. Koenraad Tommissen, en établissant la bibliographie de son père, a compté pas moins de 614 publications (cf. “Een buitenissige bibliografie”, La Hulpe, 2010).

 

Piet Tommissen était un grand Flamand, conscient de l’être, qui joua un rôle fort important dans la renaissance de la vie culturelle flamande après la seconde guerre mondiale. Les revues “Golfslag” et “De Tafelronde” sont étroitement liées à sa personne. Dès le départ, en 1956, il collabora à “Dietsland-Europa”, où il signait ses contributions de son propre nom, ce qui n’était guère évident en une époque où les conséquences de la répression gouvernementale étaient partout perceptibles. Tommissen fournit également des articles de bonne facture à “Teksten, Kommentaren en Studies” et à “Kultuurleven”. Ensuite, il participa à la création du “Marnixkring Zennedal” (“Cercle Marnix – Vallée de la Senne”) et fut, pendant un certain temps, le président de ce club de service d’inspiration nationale flamande.

 

J’ai lu beaucoup de ce qu’a écrit Piet Tommissen mais les textes de lui, que j’ai préférés, sont ceux qui furent, au cours de ces dernières années, consignés dans ses “Buitenissigheden”, ses “Extravagances”, une série de petits livres où notre homme a couché sur le papier de véritables petites perles: certaines d’entre elles étaient nouvelles, d’autres étaient anciennes et retravaillées, toutes concernaient des sujets variés. Deux d’entre ces “Extravagances” sont autobiographiques. Elles sont toutes d’une prose épurée, d’un ton doux et humoristique. Je les ai lues et je les relirai. En effet, celui qui écrit, demeure. Mais nous regretterons tous amèrement les bonnes conversations que nous avons eues avec ce gentil professeur.

 

Hans VERBOVEN.

(Hommage paru dans “’t Pallieterke”, Anvers, 31 août 2011).

jeudi, 08 septembre 2011

Piet Tommissen o dell'ostinazione - In Memoriam

Piet Tommissen o dell'ostinazione 

In memoriam (1925-2011)

Günter Maschke

Si è spento lo scorso 21 agosto Piet Tommissen, sociologo ed economista belga, noto per i suoi studi su Vilfredo Pareto e Carl Schmitt, del quale fu amico e bibliografo e alla cui opera, a lungo negletta, ha dedicato una quantità di scritti che hanno contribuito a diffonderla su scala internazionale. Molto stretto fu anche il suo rapporto con Julien Freund. Tommissen – “il matto” come lo definiva amabilmente Gianfranco Miglio – è stato senz’altro uno degli esponenti più in vista della tradizione del realismo politico europeo e un punto di riferimento per tutti i giovani studiosi che a questa tradizione si sono richiamati nel corso degli anni. Lo ricordiamo pubblicando l’omaggio che in occasione dei suoi 75 anni, nel 2000, gli ha dedicato Günter Maschke, a sua volta amico ed editore di Schmitt, nonché curatore di alcune sue importanti raccolte di scritti.

Cicerone disse una volta: «Niente fa più impressione dell’ostinazione». Questa frase potrebbe applicarsi perfettamente alla vita e all’opera dell’economista politico fiammingo Piet Tommissen, che ha festeggiato lo scorso 20 marzo i suoi 75 anni conservando intatta la sua impressionante energia lavorativa.

Quanti cercano ancora la prova dell’evidenza che ogni cultura riposa sull’atto gratuito, sul lavoro prestato senza remunerazione, la troveranno nella persona di Piet Tommissen. Dopo la Seconda guerra mondiale, Carl Schmitt era il capro espiatorio favorito nella sfera delle scienze giuridiche e politiche tedesche, ma anche, occorre ripeterlo, la «quercia sotto cui i cinghiali venivano a cercare i loro tartufi» (Roman Schnur dixit). Durante questo buio periodo, il giovane Piet Tommissen ha dato la sua amicizia a Schmitt, insieme ad alcuni, rari fedeli amici tedeschi; ha presto redatto la prima bibliografia di Carl Schmitt in condizioni difficili (Versuch einer Carl-Schmitt-Bibliographie, Academia Moralis, Düsseldorf 1953). E quando dico «condizioni difficili», voglio ricordare ai miei contemporanei che Tommissen ha effettuato questo lavoro molto prima che esistessero ovunque, come oggi, delle fotocopiatrici in cui è possibile riprodurre testi a bizzeffe. Tommissen ritrascriveva a mano, con la sua penna a inchiostro, centinaia di articoli di Schmitt o li batteva su una vecchia macchia per scrivere da viaggio, con carta carbone, per aspera ad astra. Ha effettuato questo lavoro quand’era uno studente senza mezzi, nei duri anni del dopoguerra in cui ogni viaggio esplorativo verso Plettenberg (dove Schmitt si era ritirato) presentava continue difficoltà finanziarie. È dunque con inizi così difficili che Tommissen, nel corso degli anni, è divenuto il migliore esperto, e il più meticoloso, dell’opera di Carl Schmitt.

I frutti di questo lavoro così disinteressato si ritrovano oggi in innumerevoli articoli e studi, in nuove bibliografie e, a partire dal 1990, in una collana di libri battezzata «Schmittiana» che esce presso Duncker & Humblot a Berlino. Oggi noi riteniamo tutti che simili lavori siano facili da realizzare, ma fu lungi dall’essere così all’epoca eroica del giovane studente e del giovane economista Tommissen. Direi persino di più: senza la marea di contributi e di dettagli apportati e scoperti da Tommissen, l’impresa di diffamazione internazionale che ha orchestrato il boicottaggio e l’ostracismo contro Schmitt – e contribuito così alla sua gloria! – apparirebbe ancora più sciocca e pietosa perché non avrebbe alcun valido argomento, né saprebbe nulla delle tante sfaccettature delle sua persona.

Tommissen, che ha studiato le scienze economiche alla Haute Ecole économique Sint-Aloysius a Bruxelles e all’Université des Jésuites di Anversa, ha dovuto lavorare, accanto alle sue ricerche, per guadagnarsi il pane come procuratore industriale. Accede al titolo di dottore nel 1971 presentando una tesi su Vilfredo Pareto. Intitolata De economische epistemologie van Vilfredo Pareto (Sint-Aloysius Handelshogeschool, Bruxelles 1971), questa tesi può essere considerata come una delle più importanti e fondamentali opere mai redatte sul grande uomo. Ogni ricercatore che desiderasse dedicarsi seriamente all’italiano Pareto dovrebbe acquisire almeno una conoscenza passiva dell’olandese. Il che non mi impedisce di rimpiangere che Tommissen non abbia scritto il suo libro in tedesco o in francese: ma, ahimè, la gloria è ingiusta, mostruosa per le lingue minoritarie. In questo lavoro, noi incontriamo già tutto Tommissen: un osservatore interdisciplinare che si serve di questa interdisciplinarietà con la massima naturalezza, come se fosse evidente; un autore che possiede la grande arte di mettere in esergo i legami tra le cose più diverse. Alla lettura di questa tesi, non acquisiremo solo conoscenza dei problemi fondamentali dell’economia politica europea fino agli anni che hanno immediatamente seguito la Prima guerra mondiale, ma anche di tutto lo sfondo politico, filosofico e psicologico che animava il «solitario di Céligny». Tommissen ci restituisce con amore e espressività tutto questo sfondo, di solito ignorato da molti autori, troppo legati alla superficie dei testi. Nessun altro studio dettagliato renderà pertanto la tesi di Tommissen caduca.

Ma si capirebbe male il personaggio Tommissen se lo si considerasse solo come uno specialista di Schmitt e Pareto, lui che ha insegnato dal 1972 al 1990 alla Haute Ecole d’Economie Sint-Aloysius di Bruxelles in cui curava la collana «Eclectica» che contiene montagne di tesori, di aneddoti e dettagli sempre inaspettati su Schmitt. Pochi ricercatori sanno in Germania che conosce anche bene Georges Sorel, Julien Freund e il pensiero politico francese del XIX e del XX secolo. Tommissen ha sempre dichiarato, expressis verbis, che voleva praticare le «scienze umane nel senso più ampio del termine».

Un esempio particolarmente sorprendente di concretizzazione di questa volontà è il suo libro Economische Systemen (Uitgeverij N.V., Deurne, 1987). In poche pagine, Tommissen vi abbozza la storia delle idee economiche dall’antichità alla Cina post-maoista e le innumerevoli note e considerazioni fondate che ha aggiunto al testo ci aprono a quel dramma che è la storia economica dell’umanità e ci comunicano le radici e le fondamenta politiche, culturali e ideologiche dell’uomo lavoratore nel corso della storia. Un buon libro rende la lettura di cento altri superflua e ci incoraggia a leggerne ancora altre migliaia. Ecco! Straordinarie conoscenze in letteratura e storia dell’arte… Ma in tutti i lavori di economia e scienze politiche scritti da Tommissen il lettore è costantemente sorpreso dalle sue straordinarie conoscenze della letteratura e della storia dell’arte, poiché aveva a lungo accarezzato l’idea di studiare la filologia germanica e la storia dell’arte. Conosce ad esempio il dadaismo e il surrealismo europei in tutte le loro varianti. Non aveva ancora trent’anni quando invitava già nelle Fiandre per tenervi delle conferenze autori tedeschi come Heinz Piontek e Heinrich Böll (e sarei tentato di aggiungere: quando questi erano ancora degli scrittori interessanti!).

Solo quanti sono consapevoli dell’enorme lavoro prestato da Tommissen hanno il diritto di pronunciare una critica: questo maestro della nota a piè di pagina esagera talvolta nel suo zelo di voler dire tutto, poiché sottovaluta spesso le conoscenze dei suoi lettori. Ma in Tommissen non vi è alcun orgoglio a motivare la sua azione, né alcuna vanità, perché è il calore umano incarnato. Per lui, l’uomo è nato per aiutare il suo prossimo e per ricevere da questo un aiuto equivalente. Tanto che Tommissen, l’eminenza, non ha alcuna vergogna di imparare qualcosa, anche d’infima importanza, in uno scrittoretto appena uscito dalla pubertà e senza esperienza.

Una fedele dedizione a Pareto e Schmitt

Sempre felice di dare un’informazione, sempre alla ricerca di informazioni da altri con la più squisita amabilità, Tommissen ha permesso la nascita di molti lavori scientifici e ha seminato molto più di quanto i tanti ingrati lascino intendere al loro pubblico. Un uomo di questa natura così particolare e valida merita i nostri omaggi perché ha dedicato volontariamente e fedelmente una grande parte della sua vita a quelli che considera i suoi maestri: Vilfredo Pareto e Carl Schmitt. Viene in mente un brillante saggista e sovrano narratore come Adolf Frisé che per molti decenni non ha esitato a esplorare l’opera di Robert Musil e a diffonderla. Spesso la luce che brilla sotto il moggio è la più viva! Ad multos annos, Piet Tommissen!

lundi, 05 septembre 2011

Adieu au Professeur Piet Tommissen (1925-2011)

 

Adieu au Professeur Piet Tommissen (1925-2011)

 

Quelques jours après avoir lu l’hommage publié par “Junge Freiheit” suite au décès du Professeur Helmut Quaritsch, l’ancien éditeur de la revue “Der Staat” (Berlin), j’apprenais, jeudi 1 septembre, en feuilletant sur le comptoir même du marchand de journaux mon “’t Pallieterke” hebdomadaire, dont je venais de prendre livraison, la mort du Professeur Piet Tommissen, qu’évoque avec une belle émotion le journal satirique anversois. Deux géants mondiaux des sciences politiques viennent donc de disparaître cet été, nous laissant encore plus orphelins depuis les disparitions successives de Panayotis Kondylis, de Julien Freund, de Gianfranco Miglio ou d’Armin Mohler.

 

A la recherche de Pareto et Schmitt

 

J’avais appris, tout au début de mon itinéraire personnel, où, forcément, les tâtonnements dominaient, qu’un certain Professeur Tommissen avait publié des ouvrages sur Vilfredo Pareto et Carl Schmitt. Nous savions confusément que ces auteurs étaient extrêmement importants pour tous ceux qui, comme nous, refusaient la pente de la décadence que l’Occident avait empruntée dès les années 60, immédiatement après les “technomanies” et les américanismes des années 50. Nous voulions une sociologie et, partant, une politologie offensives, contructrices de sociétés ayant réagi vigoureusement, “quiritairement” contre l’éventail d’injustices, de dysfonctionnements, d’enlisements, de déliquescences que le complexe bourgeoisisme/économicisme/libéralisme/parlementarisme avait induit depuis la moitié du 19ème siècle. Pareto démontrait (et Roberto Michels plus sûrement encore après lui...) quelles étaient les étapes de l’ascension et du déclin des élites politiques, destinées au bout de trois ou quatre générations à vasouiller ou à se “bonzifier” (Michels). Nous voulions être une nouvelle élite ascendante. Nous voulions bousculer les “bonzes”, leur indiquer la porte de sortie. Naïveté de jeunesse: ils sont toujours là; pire, ils ont coopté les laquais de leur laquais. Nous connaissions moins bien Schmitt à l’époque mais nous devinions que sa définition du “politique” impliquait d’aller à l’essentiel et permettait de trier le bon grain de l’ivraie dans le kaléidoscope des agitations politiques et politiciennes du 20ème siècle: que ce soit sous la république de Weimar, dans le marais politicard de la pauvre Belgique de l’entre-deux-guerres (le “gâchis des années 30” dira le Prof. Jean Vanwelkenhuyzen), dans les turpitudes des Troisième et Quatrième Républiques en France auxquelles De Gaulle, formé par René Capitant, disciple de Carl Schmitt, tentera de mettre un terme à partir de 1958.

 

Première rencontre avec Piet Tommissen dans la rue du Marais à Bruxelles

 

Il y avait donc sur la place de Bruxelles, un professeur d’université qui s’occupait assidûment de ces deux géants de la pensée politique européenne du 20ème siècle. Il fallait donc se procurer ses ouvrages et les lire. J’avais vu une photo du Professeur Tommissen dans un numéro d’ “Eléments” ou dans une autre publication du “Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Civilisation Européenne”. Ce visage rond et serein m’avait frappé. J’avais retenu ces traits lisses et doux et voilà qu’en février ou en mars 1975, en sortant des bâtiments réservés aux romanistes et germanistes des Facultés Universitaires Saint-Louis, rue du Marais à Bruxelles, je vois tout à coup le Prof. Piet Tommissen, campé devant l’entrée du 113, à l’époque occupé par la “Sint-Aloysius Handelhogeschool”, où il dispensait ses cours. Il était impressionnant, non seulement par la taille mais aussi, faut-il le dire, par le joyeux embonpoint qu’il affichait, lui qui fut aussi un très fin gourmet et un bon amateur de ripailles estudiantines, ponctuées de force hanaps de blonde cervoise. Je suis allé vers lui et lui ai demandé, sans doute un peu emprunté: “Bent u Prof. Tommissen?”. Une certaine appréhension me tourmentait: allait-il envoyer sur les roses le freluquet que j’étais? Que nenni! Le visage rond et lisse de la photo, ancrée dans le recoin d’une de mes circonvolutions cérébrales, s’est aussitôt illuminé d’un sourire inoubliable, effet d’une sérénité intérieure, d’une modestie et d’une bonté naturelles (et sans pareilles...). Cette amabilité contrastait avec l’arrogance qu’affichaient jadis trop d’universitaires, souvent à fort mauvais escient. Le Prof. Tommissen était à l’évidence heureux qu’un quidam cherchait à se procurer ses ouvrages sur Pareto et Schmitt. Il m’a indiqué comment les obtenir et je les ai achetés.

 

Piet Tommissen et Marc. Eemans

 

Ensuite, plus aucune nouvelle de Tommissen pendant au moins trois longues années. Je le retrouve plus tard dans le sillage de son ami Marc. Eemans, avec qui il avait édité de 1973 à 1976 la revue “Espaces”. Je rencontre Eemans, comme j’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de le rappeler, à l’automne 1978, sans imaginer que le peintre surréaliste et évolien était lié d’une amitié étroite avec le spécialiste insigne de Pareto et Schmitt. L’histoire de cette belle amitié, ancienne, profonde, intense, n’a pas encore été explorée, n’a pas (encore) fait l’objet d’une étude systématique. De tous les numéros d’ “Espaces”, je n’en possède qu’un seul, depuis quelques semaines seulement, trouvé chez l’excellent bouquiniste ixellois “La Borgne Agasse”: ce numéro, c’est celui qui a été consacré par le binôme Tommissen/Eemans à l’avant-gardiste flamand Paul Van Ostaijen, dont on connait l’influence déterminante sur l’évolution future de Marc. Eemans, celui-là même qui deviendra, comme l’a souligné Tommissen lui-même, “un surréaliste pas comme les autres”. A signaler aussi dans les colonnes d’ “Espaces”: une étude de Tommissen sur la figure littéraire et politique que fut l’étonnant Pierre Hubermont (auquel un étudiant de l’UCL a consacré naguère plusieurs pages d’analyses, surtout sur son itinéraire de communiste dissident et sur son socialisme particulier dans un mémoire de licence centré sur l’histoire du “Nouveau Journal”; cf. Maximilien Piérard, “Le Nouveau Journal 1940-1944 - Conservation révolutionnaire et historisme politique – Grandeur et décadence d’une métapolitique quotidienne”; promoteur: Prof. Michel Dumoulin; Louvain-la-Neuve, 2002).

 

“De Tafelronde” et “Kultuurleven”

 

Tommissen, comme Schmitt d’ailleurs, n’était pas exclusivement cantonné dans les sciences politiques ou l’économie: il était un fin connaisseur des avant-gardes littéraires et artistiques, s’intéressait avec passion et acribie aux figures les plus originales qui ont animé les marges enivrantes de notre paysage intellectuel, des années 30 aux années 70. On devine aussi la présence de Tommissen en coulisses dans l’aventure de la fascinante petite revue d’Eemans et de Gaillard, “Fantasmagie”. “Espaces” fut une aventure francophone de notre professeur flamand, par ailleurs très soucieux de maintenir et d’embellir la langue de Vondel. Mais ses initiatives et ses activités dans les milieux d’avant-gardes ne se sont pas limitées au seul aréopage réduit (par les circonstances de notre après-guerre) qui entourait Marc. Eemans. En Flandre, Tommissen fut l’une des chevilles ouvrières d’une revue du même type qu’ “Espaces”: “De Tafelronde”, à laquelle il a donné des articles sur Ernst Jünger, Jean-Paul Sartre, Stefan George, Apollinaire, Edgard Tijtgat, Alfred Kubin, etc. Parallèlement à “Espaces” et à “De Tafelronde”, Piet Tommissen collaborait à “Kultuurleven”, qui a accueilli bon nombre de ses articles de sciences politiques, avec des contributions consacrées à Henri De Man, Carl Schmitt, Vilfredo Pareto et des notules pertinentes sur Thom et sa théorie des catastrophes, sur René Girard, Rawls et Baudrillard, sans oublier Heidegger, Theodor Lessing et Otto Weininger.

 

“Dietsland Europa”

 

Tommissen n’avait pas peur de “se mouiller” dans des entreprises plus audacieuses sur le plan politique comme “Dietsland-Europa”, la revue du “flamingant de choc”, un coeur d’or sous une carapace bourrue, je veux parler du regretté Bert Van Boghout qui, souvent, par ses aboiements cinglants, ramenait les ouailles égarées vers le centre du village. On sait le rôle joué par des personnalités comme Karel Dillen, futur fondateur du “Vlaams Blok”, et par le Dr. Roeland Raes, dans le devenir de cette publication qui a tenu le coup pendant plus de quarante années sans faiblir. Tommissen et moi, nous nous sommes ainsi retrouvés un jour, en l’an de grâce 1985, au sein de la rédaction d’un numéro spécial de la revue de Van Boghout sur Julius Evola, dossier qui sera repris partiellement par la revue évolienne française “Totalité” de Georges Gondinet. C’était au temps béni du meilleur adjoint que Van Boghout ait jamais eu: l’étonnant, l’inoubliable Frank Goovaerts, qui pratiquait les arts martiaux japonais jusque dans l’archipel nippon, traversait chaque été la France en moto, jouait au bridge comme un lord anglais et était ouvrier sur les docks d’Anvers; il fut assassiné dans la rue par un dément en 1991. Dans les colonnes de “Dietsland-Europa”, Tommissen a évoqué son cher Carl Schmitt, qui le méritait bien, le livre de Bertram sur Nietzsche, Hans Freyer (dont on ne connait que trop peu de choses dans l’espace linguistique francophone), Pareto, les courants de droite sous la République de Weimar, la théorie schmittienne des grands espaces et la notion évolienne de décadence.

 

L’appel de Carl Schmitt: devenir des “Gardiens des Sources”

 

Au cours de cette période —j’ai alors entre 18 et 24 ans— j’apprends, sans doute de la bouche d’Eemans, que la Flandre, et plus particulièrement l’Université de Louvain, avait connu pendant l’entre-deux-guerres, à l’initiative du Prof. Victor Leemans, une “Politieke Academie”, dynamique think tank focalisé sur tous les thèmes de la sociologie et de la politologie qui nous intéressaient. Tommissen s’est toujours voulu incarnation de l’héritage, réduit à sa seule personne s’il le fallait et s’il n’y avait pas d’autres volontaires, de cette “Politieke Academie”. Il a oeuvré dans ce sens, en laissant un maximum de traces écrites car, on le sait, “les paroles s’envolent, les écrits restent”. C’est la raison pour laquelle il est resté un “octogénaire hyperactif”, comme le soulignait très récemment Peter Wim Logghe, rédacteur en chef de “Teksten , Kommentaren en Studies”. Pourquoi? Parce que, dans ses “Verfassungsrechtlichen Aufsätze” et plus particulièrement dans la 5ème subdivision de la 17ème partie de ce recueil, intitulée “Savigny als Paradigma der ersten Abstandnahme von der gesetzesstaatlichen Legalität”, Carl Schmitt a réclamé, non pas expressis verbis mais indirectement, l’avènement d’une sorte de centrale intellectuelle et spirituelle, qu’il évoquait sous le nom poétique de “Hüter der Quellen”, “les Gardiens des Sources”. Voilà ce que Tommissen a voulu être: un “Gardien des Sources”, dût-il se maintenir à son poste comme le soldat de Pompéi ou d’Herculanum, en dépit des flots de lave qui s’avançaient avec fureur face à lui. Quand la lave refroidit et se durcit, on peut en faire de bons pavés de porphyre, comme celui de Quenast. Avec la boue “enchimiquifiée” et les eaux résiduaires de la société de consommation, on tuera jusqu’à la plus indécrottable des chienlits. Petite méditation spenglerienne et pessimiste...

 

La “Politieke Academie”

 

Nous aussi, nous interprétions, sans encore connaître ce texte fondamental de Schmitt, notre démarche métapolitique, au dedans ou en dehors de la “nouvelle droite”, peu importait, comme une démarche de “gardien des sources”. Alors qu’avons nous fait? Nous avons entamé une recherche de textes émanant de cette “Politieke Academie” et de ce fascinant Prof. Leemans. Nous avons trouvé son Sombart, son Marx, son Kierkegaard, que nous comparions aux textes sombartiens édités par Claudio Mutti et Giorgio Freda en Italie, aux rares livres de Sombart encore édités en Allemagne, notamment chez DTV; nous cherchions à redéfinir les textes marxiens à la lumière des dissidents de la IIème et de la IIIème Internationales (Lassalle, Dühring, De Man,...). Mais la “Politieke Academie” avait des successeurs indirects: nous plongions dans les trois volumes de monographies didactiques sur la vie et l’oeuvre des grands sociologues contemporains que la célèbre collection “Aula” offrait à la curiosité des étudiants néerlandais et flamands (“Hoofdfiguren uit de sociologie”); seul germaniste dans le groupe, j’ajoutais les magnifiques ouvrages de Helmut Schoeck (dont: “Geschichte der Soziologie – Ursprung und Aufstieg der Wissenschaft von der menschlichen Gesellschaft”). Tout cela constituait un complexe de sociologie et de sciences politiques tonifiant; avec cela, nous étions à des années-lumière des petits exercices insipides de statistiques étriquées et de meccano “organisationnel” à l’américaine, nappé de la sauce vomitive du “politiquement correct”, qu’on propose aujourd’hui aux étudiants, en empêchant du même coup l’avènement d’une nouvelle élite, prête à amorcer un nouveau cycle sociologique parétien, en coupant l’herbe sous les pieds d’avant-gardistes qui sont tout à la fois révolutionnaires et “gardiens des sources”.

 

A cette époque de grande effervescence intellectuelle et de maturation, nous avons rencontré le Professeur Tommissen à la tribune du “Centro Studi Evoliani” de Marc. Eemans, où il a animé une causerie sur Pareto et une autre sur Schmitt. Nous connaissions mieux Pareto grâce à l’excellent ouvrage de Julien Freund sur le sociologue et économiste italien, paru à l’époque chez Seghers. Notre rapport à Schmitt, à l’époque, était indirect: il passait invariablement par l’ouvrage de Freund: “Qu’est-ce que le politique?”. De Carl Schmitt lui-même, nous ne disposions que de “La notion du politique”, publié chez Calmann-Lévy, grâce à l’entremise de Julien Freund, sans que nous ne connaissions véritablement le contexte de l’oeuvre schmittienne. Celle-ci n’était accessible que via des travaux académiques allemands, difficilement trouvables à Bruxelles. Finalement, j’ai obtenu les références nécessaires pour aller commander les ouvrages-clefs du “solitaire de Plettenberg” chez ce cher librairie de la rue des Comédiens, au coeur de la vieille ville de Bruxelles. Résultat: une ardoise, alors considérable, de 5000 francs belges, que mon père est allé apurer, tout à la fois catastrophé et amusé. Une bêtise d’étudiant, à ses yeux... Nous étions au printemps de l’année 1980 et une partie de l’ardoise (il n’y avait pas seulement les 5000 francs résiduaires payés par mon géniteur...) avait été généreusement offerte par le Bureau de traduction de Mr. Singer, chez qui j’avais effectué mon stage pratique obligatoire de fin d’études. Singer, germanophone issu de la communauté israélite berlinoise, aimait les étudiants qui avaient choisi la langue allemande: il voulait toujours leur offrir des livres qui exprimaient la pensée nationale allemande, sinon des ouvrages qui communiquaient à leurs lecteurs l’esprit prussien de discipline. Quand je lui ai suggéré de me financer du Carl Schmitt, Singer, déjà octogénaire et toujours sur la brèche, était enchanté. Et voilà comment, de Tommissen à Singer, et de “Over en in zake Carl Schmitt” jusqu’à la pharamineuse commande au libraire de la rue des Comédiens, a commencé mon itinéraire personnel de schmittien en herbe. Inutile de préciser, que cet itinéraire est loin d’être achevé...

 

“Nouvelle école”: Tommissen à mon secours

 

En 1981, très exactement à la date du 15 mars, je débarque avec mes parents et mes bagages à Paris, où me reçoivent les amis Gibelin et Garrabos. J’étais devenu le secrétaire de rédaction de “Nouvelle école”, la très belle revue de l’inénarrable et fantasque de Benoist. Celui-ci, avec l’insouciance et l’impéritie de l’autodidacte parisien prétentieux, avait décidé de me faire fabriquer des numéros de “Nouvelle école” sur Pareto et sur Heidegger. C’est évidemment de la candeur de journaliste. Comment peut-on demander à un galopin de tout juste 25 ans, qui n’a pas étudié les sciences politiques ou la philosophie, de fabriquer de tels dossiers en un tourne-main? Tout simplement parce qu’on est un farfelu. Mais, moi, on ne m’a jamais appris à discuter, d’ailleurs Schmitt abhorrait la discussion à l’instar de Donoso Cortès. Il fallait obéir aux ordres et aux consignes: il fallait agir et produire ce qu’il fallait produire. Donc il a bien fallu que je m’exécute, sans trop gaffer. Comment? Eh bien, en m’adressant aux deux seules personnes, que je connaissais, qui avaient pratiqué Pareto à niveau universitaire: Bernard Marchand et Piet Tommissen! Bernard Marchand avait rédigé un mémoire à l’UCL sur les néo-machiavéliens, tels que James Burnham les avait présentés. Il nous a livré, à titre d’introduction, une version adaptée et complétée de son mémoire. Tommissen est ensuite venu à mon secours et m’a confié des textes de lui-même et d’un certain Torrisi. Guillaume Faye, plus branché sur les sciences politiques, a commis un excellent texte sur la notion de doxanalyse qu’il avait tiré de sa lecture très attentive des oeuvres de Jules Monnerot. D’où: première mission accomplie! Réaction grognone de de Benoist, dans l’affreux bouge dégueulasse de restaurant, qui se trouvait à côté des bureaux du GRECE, rue Charles-Lecocq dans le 15ème, et où il avait l’habitude de se “restaurer”: “C’est la colonisation belge... Je vais finir par m’appeler Van Benoist et, toi, Guillaume, tu t’appeleras Van Faye...”. Il ne manquait plus que “Van Vial” et “Van Valla” au tableau... Après cette parenthèse parisienne, où les anecdotes truculentes et burlesques ne manquent pas, il fallait que j’accomplisse mon service militaire et que je mette la  dernière main à mon mémoire de fin d’études, commencé en 1980.

 

La défense orale de mon mémoire: encore Tommissen à mon secours!

 

Vu la maladie puis le départ à la retraite de mon promoteur de mémoire, Albert Defrance, je ne présente mon pensum au jury qu’en septembre 1983. Ce n’est pas un mémoire transcendant. Ecole de traduction oblige, il s’agit d’une modeste traduction, annotée, justifiée et explicitée dans son contexte. Mais elle entrait dans le cadre des sciences politiques, telles que nous les concevions. Au début, j’avais souhaité traduire un des ouvrages de Helmut Schoeck mais ceux-ci étaient tous trop volumineux pour un simple mémoire dit de “licence” (selon le vocabulaire belge, avant l’introduction du vocabulaire de Bologne). Finalement, le seul ouvrage court brossant un tableau intéressant des pistes sociologiques et politologiques que nous aimions explorer était celui d’Ernst Topitsch et de Kurt Salamun sur la notion d’idéologie. Mais problème: Defrance s’intéressait à la question mais il n’était plus là. Mon cher professeur de grammaire allemande, Robert Potelle, reprend le flambeau mais avoue, avec la trop grande modestie qui le caractérise, qu’il n’est pas habitué à manier le vocabulaire propre à ces disciplines. Frau Costa, notre professeur d’histoire allemande, fait preuve de la même modestie exagérée (“Wie haben Sie einen solchen Wortschatz meistern können?”), alors que son cours sur le passage de Weimar au national-socialisme, avec la fameuse “Ermächtigungsgesetz” fut une excellente introduction à une problématique abordée par Schmitt. Que faire? Comment trouver un universitaire germanophone spécialisé dans la thématique? C’est simple: appeler Tommissen pour qu’il soit l’un de mes lecteurs extérieurs. Rendez-vous est pris à Grimbergen, dans le foyer, antre et bibliothèque de notre professeur. Tommissen accepte: il aime la clarté et la concision de Topitsch et Salamun. Lors de la défense orale, Tommissen aiguille le débat sur une note, que j’avais ajoutée, sur la notion wébérienne de “Wertfreiheit”. Ce terme est intraduisible en français. Seul Julien Freund avait forgé une traduction acceptable: “neutralité axiologique”. En effet, si je suis “libre”, donc “frei” donc en état de “liberté”, de “Freiheit”, et si je suis dépourvu de tout “jugement impromptu de valeur”, donc si je suis “neutre”, quand j’observe une réalité sociologique ou politique, qui, elle, véhicule des valeurs, je suis en bout de course “libre de toute valeur”, donc “axiologiquement neutre”, chaque fois que je pose un regard scientifique sur un phénomène social ou politique. Weber plaçait aussi cette notion de “Wertfreiheit” dans le contexte de sa distinction entre “éthique de la responsabilité” (“Verantwortungsethik”) et “éthique de la conviction” (“Gesinnungsethik”). Ni l’une ni l’autre ne sont dépourvues de “valeur” mais la responsabilité implique un recul, un usage parcimonieux et raisonnable des ressources axiologiques tandis que la conviction peut, le cas échéant, déboucher sur des confrontations et des blocages, des paralysies ou des déchaînements, justement par absence de recul et de parcimonie comportementale.

 

Voilà ce que j’ai pu répondre, en bon allemand, et ainsi obtenir une distinction. Je la dois indubitablement à l’ascendant de Tommissen et à sa manière habile de poser effectivement la question principale qu’il convenait de poser face à ce mémoire, modeste traduction.

 

La bibliothèque de Grimbergen

 

L’un des premiers textes de Piet Tommissen fut un récit de son voyage, avec son épouse Agnès, chez Carl Schmitt, à Plettenberg en Westphalie. Avec grande tendresse, Tommissen a décrit ce voyage, la réception profondément amicale que lui avait prodiguée Carl Schmitt. A mon tour de raconter aussi deux ou trois impressions de ma visite à Grimbergen, pendant l’été 1983: accueil chaleureux d’Agnès et Piet Tommissen, visite de la bibliothèque. Dans la pièce de séjour, il y avait ce fauteuil du maître des lieux, tout entouré d’étagères construites sur mesure, croulant sous le poids des livres du mois, potassés pour écrire le prochain article ou essai. Tout, dans la maison, était agencé pour faciliter la lecture. La bibliothèque de Grimbergen était fabuleuse: elle mérite bien la comparaison avec les autres grandes bibliothèques privées que j’ai eu l’occasion de visiter: celle d’Alain de Benoist évidemment; celle de Mohler, vue à Munich en plein été torride de 1984; celle, luxuriante et chaotique de Pierre-André Taguieff, véritable labyrinthe où évoluait un gros chat teigneux et espiègle; celle, somptueuse, dans la villa de Miglio, vue en mai 1995 à Côme et celle de Peter Bossdorf, la plus magnifiquement agencée, vue en automne 2010. Cette évocation des grandes bibliothèques est évidemment un clin d’oeil à Tommisen: celui-ci s’enquerrait toujours des livres achetés par ses hôtes et leur demandait d’évoquer leurs bibliothèques...

 

Pierre-André Taguieff à Bruxelles

 

Plus tard, début des années 90, quand Pierre-André Taguieff préparait son ouvrage “Sur la nouvelle droite”, paru en 1994 chez Descartes & Cie, il avait sollicité un rendez-vous avec Tommissen et avec moi-même: le soir de cette journée, nous avons dîné dans un restaurant minuscule, uniquement destiné aux gourmets, en compagnie de mon camarade Frédéric Beerens et d’un majestueux ami de Tommissen, affublé d’une énorme barbe rousse qui lui couvrait un poitrail de taureau. Discussion à bâtons rompus, surtout entre Taguieff et Tommissen sur la personnalité de Julien Freund. On reproche à Taguieff certains travaux jugés inquisitoriaux sur la “nouvelle droite” ou sur les mouvements populistes (l’ouvrage de Taguieff sur “L’illusion populiste” est d’ailleurs le plus faible de ses ouvrages: les chapitres concernant la Flandre et l’Autriche ne comportent aucune référence en langue néerlandaise ou allemande!). Mais il faut rendre hommage au philosophe qui a critiqué le “bougisme” contemporain et a assorti cette critique d’un appel à la résistance de toutes les forces politiques qui n’entendent pas s’aligner sur les poncifs dominants. Ensuite, l’oeuvre majeure de Pierre-André Taguieff, “L’effacement de l’avenir” deviendra indubitablement un grand classique: on y découvre un excellent constat de faillite du “progrès”, une critique extrêmement pointue du présentisme ainsi qu’une critique fort pertinente des nouvelles formes de fausse démocratie qui ne sont, explique Taguieff, que des “expertocraties”. On peut évoquer ici le “double langage” de Taguieff, non pas au sens orwellien du terme, où la “liberté” serait l’ “esclavage”, mais dans le sens où nous avons affaire à un théoricien en vue de la gauche mitterrandienne et post-mitterrandienne, obsédé par le joujou “racisme” comme il y avait un “joujou nationalisme” du temps de Rémy de Gourmont, un intellectuel post-mitterrandien qui a pondu une triclée de travaux sur cette notion-joujou qui n’a pas d’autre existence ou de statut que ceux de “bricolages médiatiques”; au fond: s’il existe à l’évidence des préjugés raciaux, cela n’empêchera nullement le pire des racistes de trouver un jour son bon “nègre”, son “bon arbi” ou son juif favori. Même le Troisième Reich recrutait Blancs, Blacks et Beurs, et Indiens bouddhistes, hindouistes, musulmans ou sikhs, pourvu qu’il s’agissait de lutter contre la ploutocratie britannique. Et le plus acharné des anti-racistes fulminera un jour contre un représentant quelconque d’une autre race que la sienne ou sera agité par un prurit antisémite; dans la vie quotidienne les exemples sont légion. Quant aux Blancs, ils sont tout aussi victimes de préjugés raciaux que les autres.

 

Taguieff situe ses propres travaux sur le racisme et l’anti-racisme dans le cadre d’un axe de recherches inauguré par l’Américain Gordon W. Allport (“The Nature of Prejudice”, 1ère éd., 1954): le danger que recèle ce genre de démarche, qui est propre à un certain libéralisme totalitaire, est d’amorcer une critique des “préjugés” qui amènera à un rejet puis à un arasement des “valeurs”, posées derechef comme des “irrationalités” à gommer, des  valeurs sans lesquelles aucune société ne peut toutefois fonctionner, sans lesquelles toute société devient, pour reprendre la terminologie du Prof. Marcel De Corte, principal collaborateur d’Eemans au temps de la revue “Hermès” (1933-1939), une “dissociété”. Taguieff est conscient de ce danger car son idéologie “républicaine” (certes plus nuancée que les insupportables vulgates que l’on entend ânonner à longueur de journées) n’est pas dépourvue de “valeurs”, notamment de “valeurs citoyennes”, qui risquent l’arasement au même titre que les valeurs catholiques, conservatrices ou “raciques” (dans la mesure où elles sont vernaculaires), pour le plus grand bénéfice de l’idéologie présentiste qui conçoit la société non pas comme une communauté de destin mais comme un supermarché. Taguieff est donc ce penseur post-mitterrandien, qui a partagé l’illusion de la grande foire multiraciale annoncée par les “saturnales de touche-pas-à-mon-pote” (dixit Louis Pauwels), et, simultanément, le penseur d’une “nouvelle révolution conservatrice” à la française, une “révolution conservatrice” qui critique de fond en comble la notion fétiche de progrès. C’est en ce sens que j’ai voulu présenter ses ouvrages lors d’une université d’été de “Synergies Européennes” en Basse-Saxe. Taguieff mérite maintenant plus que jamais ce titre de “théoricien révolutionnaire-conservateur” car il a oeuvré d’arrache-pied pour poursuivre, défendre et illustrer l’oeuvre de Julien Freund. Quant à la critique des préjugés, mieux vaut se plonger dans les écrits et les pamphlets de ceux qui luttent contre le festivisme (Philippe Muray), facteur d’un impolitisme total, ou contre les vrais préjugés et débilités du “politiquement correct” comme Elizabeth Lévy, Emmanuelle Duverger ou Robert Ménard. Ce sont là critiques bien plus tonifiantes.

 

Après le dîner avec Tommissen et son ami barbu, Beerens et moi avons ramené notre bon Taguieff à son hôtel: n’ayant pas le coffre et l’estomac breugheliens comme les nôtres, il est revenu de nos agapes en état de franche ébriété; sur la banquette arrière de la petite Volkswagen de Beerens, il émettait de joyeuses remarques: “je suis un être dédoublé, ha ha ha, un bon joueur d’échecs, hi hi hi, je parle avec tout le monde, hu hu hu, et je roule tout le monde, ha ha ha!”. Enfin un intellectuel parisien qui se comportait comme nos joyeux professeurs qui manient allègrement la chope de bière, comme Tommissen ou l’angliciste Heiderscheidt, ou comme l’heideggerien Gadamer, qui participait, presque centenaire, aux canti de ses étudiants et tenait à respecter les règles des festivités estudiantines. Dommage que Taguieff ne soit pas resté longtemps ou ne soit jamais revenu: on en aurait fait un bon disciple de Bacchus et du Roi Gambrinus! En réalité, c’est vrai, il est un “être dédoublé”, in vino veritas, mais il ne “roule” pas tout le monde, il séduit tout le monde, tant les tenants de la gôôôche de toujours que les innovateurs qui puisent dans le vrai corpus de la “révolution conservatrice”!

 

La Foire du Livre à Francfort

 

Mais où Tommissen était le plus présent, sans y être physiquement, c’était à la Foire du Livre de Francfort, que j’ai visitée de 1984 à 1999, ainsi qu’en 2003. Pour moi, la Foire du Livre de la métropole hessoise a toujours été “maschkinocentrée”, c’est-à-dire centrée autour de la truculente personnalité de Günter Maschke, cet ancien révolutionnaire de mai 68, devenu schmittien, un des plus grands schmittiens de la Planète Terre au fil du temps. Et qui dit Günter Maschke, dit Carl Schmitt et tout l’univers des schmittiens. Après avoir arpenté pendant toute la journée les énormes halls de la Foire, nous nous retrouvions fourbus le soir chez Maschke, pour discuter de tout, mais pas dans une ambiance compassée, faite de sérieux papal: nous avons sorti les pires énormités, en riant comme des collégiens ou des soudards qui venaient d’achever une bataille. A la table, outre le grand expert militaire suisse Jean-Jacques Langendorf, et le Dr. Peter Weiss, directeur de la maison d’édition “Karolinger Verlag”, nous avions très souvent le bonheur d’accueillir le grand philosophe grec Panayotis Kondylis et l’écrivain allemand Martin Mosebach. Dans ces joyeuses retrouvailles annuelles, Maschke évoquait toujours Tommissen avec le plus grand respect. En effet, de 1988 à 2003, Piet Tommissen a publié ses miniatures sur Carl Schmitt dans la série “Schmittiana”, chez le prestigieux éditeur berlinois Duncker & Humblot, acquerrant la célébrité dans l’univers restreint des bons politologues, qui sont tous, évidemment, des schmittiens, où qu’ils vivent sur le globe! Le système Tommissen, celui de la note pertinente, y a fait merveille: en quoi consiste l’excellence de ce système? Eh bien, il aiguille le train de la recherche vers des voies souvent insoupçonnées. Schmitt a rencontré telle personnalité, lu tel livre, participé à tel colloque: Tommissen explicitait en peu de mots l’intérêt de cette rencontre, de cette lecture ou de cette participation pour le reste ou la suite de l’oeuvre et ouvrait simultanément des perspectives nouvelles et inédites sur la personnalité rencontrée, l’auteur du livre lu par Schmitt ou les organisateurs du colloque qui avait bénéficié de sa participation. La même méthode vaut bien entendu pour Eemans et le champs énorme que celui-ci a couvert en tant que peintre avant-gardiste, éditeur de revues originales, historien de l’art. On a pu se moquer de cette méthode: à première vue et pour un esprit borné, elle peut paraître désuète mais, à l’analyse, elle porte des fruits insoupçonnés. Enfin, en 1997, nous avons pu célébrer la parution de “In Sachen Carl Schmitt” auprès de “Karolinger Verlag”, avec une analyse des textes satiriques de Carl Schmitt et une autre sur la correspondance Schmitt/Michels.

 

Alberto Buela et Horacio Cagni à Bruxelles

 

J’ai eu aussi le bonheur de recevoir un jour à Bruxelles le Dr. Alberto Buela et le Dr. Horacio Cagni du CNRS argentin. Ils voulaient voir trois personnes: Tommissen, dont ils n’avaient pas l’adresse, Christopher Gérard, l’éditeur de la revue “Antaios”, et moi-même. Ce ne furent que joie et libations. D’abord en l’estaminet aujourd’hui disparu que fut “Le Père Faro” à Uccle, ensuite sur la terrasse de “chez Karim”, Place de l’Altitude Cent, où la faconde de Buela, philosophe, professeur d’université, sénateur et rancher argentin, fascinait les autres clients et même les passants qui s’arrêtaient et commandaient un verre de vin, pour avoir l’insigne plaisir de l’entendre discourir! Bref, comme me disait en juin dernier un animateur de la radio “Méridien Zéro” (Paris): la métapolitique par la joie ! “Metapolitik durch Freude”! Le lendemain: à quatre, Buela, Cagni, Gérard et moi, nous prenions le train vers Vilvorde, où nous attendait Tommissen pour nous véhiculer jusqu’à Grimbergen. Nouvelle visite de la bibliothèque où le maître des lieux me montre une collection complète de mes “Orientations”, magnifiquement reliée et placée dans la bibliothèque aux côtés d’autres revues du même acabit. Et toujours le fauteuil, entouré d’étagères sur mesure... Ensuite, libations dans une salle jouxtant l’Abbaye et la Collégiale Saint Servais de Grimbergen: les bières de l’Abbaye, généreusement offertes par Tommissen, ont coulé dans nos gosiers. Thème du fructueux débat entre Tommissen et Buela: Carl Schmitt et l’Amérique latine. On sait que Buela écrit inlassablement des articles philosophiques à dimensions véritablement politiques (au sens de Schmitt et de Freund),  et qui gardent une mesure grecque, au départ d’auteurs hispaniques, marqués par la tradition espagnole et par l’antilibéralisme de Donoso Cortès, qui ont tant fasciné Carl Schmitt.

 

Visite à Uccle

 

Après la mort prématurée de son épouse Agnès, Tommissen, au fond, était inconsolable. La grande maison de Grimbergen était devenue bien vide, sans la bonne fée du foyer. Notre professeur a pris alors la décision de s’établir à Uccle, dans un complexe résidentiel pour seniors, où il s’est acheté un studio, dans lequel il a empilé la quintessence de sa bibliothèque. Là il rédigera ses “Buitenissigheden”, ses “Extravagances”, et sans doute les dernières livraisons de ses “Schmittiana”. Je lui ai rendu visite deux fois, d’abord avec ma future épouse Ana, ensuite avec mon fils. Lors de notre première visite, il m’a offert ses “Nieuwe Buitenissigheden”, avec de la matière à traiter fort bientôt car, en effet, ce petit volume aux apparences fort modestes, contient trois thématiques qui m’intéressent: Wies Moens comme avant-gardiste et “révolutionnaire conservateur” flamand et nationaliste. Un auteur qui fascinait également Eemans et a sans doute contribué à déterminer ses choix, quand il entra en dissidence définitive et orageuse par rapport au groupe surréaliste bruxellois, autour de Magritte, Mariën, Scutenaire et les autres. Il me reste à travailler cette matière “Moens” et à l’exposer un jour au public francophone. Deuxième thématique: la “Politieke Academie”, dont il s’agira de réactiver les projets jusqu’à la consommation des siècles. Troisième thématique: la théorie de Brück, qui fascinait les rois Albert I et Léopold III, et qui sous-tend une variante du “suprématisme” anglo-saxon. Mais, infatigable, et porté par la ferme volonté d’écrire jusqu’à son dernier souffle, pour témoigner, révéler, arracher à l’oubli ce que ne méritait pas de l’être, Tommissen avait également sorti en 2005, “Driemaal Spengler”, un recueil de trois maîtres articles sur Oswald Spengler, parmi lesquels une étude sur la réception de l’auteur du “Déclin de l’Occident” en Flandre. La réception, lors de cette première visite à l’appartement d’Uccle, fut joviale. Notre professeur était au mieux de sa forme.

 

Juillet 2011: ultime visite

 

Notre dernière visite, début juillet 2011, cinq semaines avant sa disparition et sous une chaleur caniculaire, avait pour objet premier de lui communiquer, entre autres documents, une copie d’un entretien que l’on m’avait demandé sur Marc. Eemans et le “Centro Studi Evoliani”. Cet entretien se référait souvent à la monographie que Tommissen avait consacrée au “surréaliste pas comme les autres”. Cet entretien a plu à beaucoup de monde, y compris au nationaliste révolutionnaire évolien Christian Bouchet et à l’inclassable post-communiste Alain Soral qui l’ont immédiatement affiché sur leurs sites respectifs. Pour définir les positions d’Eemans dans cet univers avant-gardiste et surréaliste, je ne pouvais pas trouver de meilleur inspirateur que Tommissen. J’ai trouvé notre Professeur assez fatigué mais il faut dire aussi que l’après-midi de notre visite était particulièrement chaud, lourd et malsain. La conversation s’est déroulée en trois volets: Eemans et les cercles politico-littéraires ou politico-philosophiques des années 30 en Belgique, avec surtout la présence à Pontigny de Raymond De Becker qui y évoqua le néo-socialisme de De Man et Déat, un thème récurrent dans les recherches de Tommissen; le cercle “Communauté” fondé par Henry Bauchau et De Becker; leur “académie” à laquelle participait Marcel De Corte, également collaborateur de la revue “Hermès” d’Eemans; l’évolution de Bauchau et De Becker vers la psychanalyse jungienne (et les retombées de cet engouement sur Hergé) et la participation de De Becker à la revue “Planète” de Louis Pauwels. Sans compter l’impasse dans laquelle s’est retrouvée l’intelligentsia “conservatrice” ou “révolutionnaire-conservatrice” ou “non-conformiste des années 30” en Belgique, à partir du moment où l’Action Française de Maurras est condamnée par le Vatican en 1926; pour remplacer l’idole Maurras, désormais à l’index, une partie de cette intelligentsia va changer de gourou et adopter Jacques Maritain. Les vicissitudes de cette transition, que n’a pas vécu l’intelligentsia flamande, expliquent sans doute le peu de rapports entre les intellectuels des deux communautés linguistiques, ou le caractère très ténu de leurs références communes. Enfin, l’étude de Tommissen sur le rapport entre Francis Parker Yockey et la chorégraphe flamande Elsa Darciel (cf. euro-synergies.hautetfort.com/ ). Au cours de l ‘entretien, mon fiston et moi-même fûmes gâtés: deux volumes autobiographiques de Tommissen (“Een leven vol buitenissigheden”) et un volume avec la bibliographie complète des oeuvres de notre professeur. Deuxième volet: Tommissen n’a cessé d’interroger mon fils sur les innovations à la KUL, sur l’état d’esprit qui y règne, sur les matières qui y sont enseignées, etc. Troisième volet, avec mon épouse; Tommissen n’importunait jamais les dames avec ses engouements politiques ou philosophiques, il passait aux thèmes de la vie quotidienne et de la famille. Il nous a dit: “Aimez-vous et profitez des bons côtés de la vie”. Ce fut notre dernière rencontre.

 

Nous avions promis de nous revoir en septembre pour poursuivre nos conversations: cette année les voies du dépaysement estival nous ont menés tour à tour en Zélande, dans l’Eifel et les Fagnes, au Cap Blanc-Nez et sur la côte d’Opale, dans la Baie de la Somme, à Oslo, dans les Vosges et en Franche-Comté, sur le Chasseral suisse et sur les bords du Lac de Neuchâtel. Le 21 août, deux jours après notre retour de cette escapade dans le Jura, Piet Tommissen s’éteignait à Uccle. Une magnifique et émouvante cérémonie a eu lieu à Grimbergen le 26 août, ponctuée par le “Gebed aan ’t Vaderland”.

 

Avec la disparition de Piet Tommissen, ce sont des pans entiers de souvenirs, de la mémoire intellectuelle de la Flandre, qui disparaissent. Mais, avec lui, une chose est sûre: nous savons ce que nous devons faire jusqu’à notre dernier souffle de vie. Nous devons témoigner, lire, recenser, repérer des anecdotes en apparence futiles mais qui expliquent les transitions, notamment les transitions qui partent de la gauche officielle pour aboutir à des gauches non conformistes comme celles que parcoururent Pierre Hubermont ou Walter Dauge en Wallonie, celles qu’empruntèrent Eemans ou Moens qui, tous deux, mêlent étroitement avant-gardes, militantisme flamand et engouements philosophiques traditionnels. Nous devons aussi rester des schmittiens, attentifs à tous les aspects de l’oeuvre du “catholique prussien du Sauerland”. Car il s’agit de demeurer, envers et contre toutes les déchéances, tous les impolitismes et tous les festivismes, des “Gardiens des sources”.

 

En attendant, nous devons encore dire “Merci! Mille mercis!” à Piet Tommissen, pour sa gentillesse et pour son érudition.

 

Robert STEUCKERS.

Rédigé, grande tristesse au coeur, à Forest-Flotzenberg, le 4 septembre 2011.

lundi, 11 juillet 2011

Un très grand Européen

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Un très grand Européen

par Georges FELTIN-TRACOL

Kuk-doppeladler3.jpgLe 4 juillet 2011 à Pöcking en Bavière est décédé à l’âge de 98 ans un ardent Européen, Otto de Habsbourg-Lorraine. Moralement atteint par la disparition, dix-huit mois plus tôt, de son épouse, la princesse Regina de Saxe – Meiningen, qu’il avait rencontrée au hasard d’une action caritative dans un camp de réfugiés hongrois en Allemagne à la fin des années Quarante, et physiquement affaibli par une mauvaise chute à son domicile, l’archiduc Otto ne montrait plus ces derniers temps cette formidable vitalité qu’il avait su déployer tout au cours de sa vie marquée par les tragédies du XXe siècle.

Né le 20 novembre 1912 en Autriche-Hongrie, Otto de Habsbourg-Lorraine est l’aîné de l’archiduc Charles et de la princesse Zita de Bourbon-Parme. En 1916, il voit son père succéder à François-Joseph Ier et devenir le nouvel empereur Charles Ier d’Autriche et roi Charles IV de Hongrie. Proche de son cousin l’archiduc François-Ferdinand assassiné, le 28 juin 1914, à Sarajevo, le nouvel empereur-roi tente dès 1917 d’arrêter l’immense carnage européen en souhaitant négocier une paix séparée avec la France. Il soutient les initiatives diplomatiques secrètes de ses beaux-frères, les princes Sixte et Xavier de Bourbon-Parme, ainsi que celles du maréchal Smuts, le Premier ministre du dominion sud-africain. Hélas, ces approches sont torpillées par la sinistre figure de ce cancer de la politique française qu’est le Parti radical et radical-socialiste, Clemenceau.

La fin de la Grande Guerre en 1918 entraîne la révolution, la chute de la dynastie autrichienne et l’éclatement de l’ensemble danubien au profit d’une application aveugle des idées nationalitaire et stato-nationale. Écarté du pouvoir et surveillé par les Alliés, l’empereur Charles essaye à deux reprises en 1921 de reprendre sa couronne en Hongrie, mais il y renonce devant le refus du régent Horthy et de l’Entente. Trahi et malade, l’empereur-roi s’exile sur l’île de Madère et il y meurt en 1922, laissant une veuve et huit enfants.

En dépit de conditions matérielles difficiles, l’impératrice Zita inculque à ses enfants le sens du devoir. Elle « insistait sur la discipline de la vie. Je ne sais pas si cela correspondait à son caractère ou si elle s’était crue obligée, à la mort de mon père, de le remplacer. Toujours est-il que son éducation fut très sévère, mais je lui en suis profondément reconnaissant aujourd’hui (1) ». Véritable maîtresse-femme, l’Impératrice affronte les épreuves avec dignité et abnégation. Sa fidélité à son époux défunt fait qu’elle ne signera jamais la moindre déclaration de loyauté à la République autrichienne…

Axée sur l’histoire et la politique, l’instruction du jeune Otto est aussi linguistique. Son apprentissage est polyglotte puisqu’il va bientôt s’exprimer couramment sept langues (l’allemand, le hongrois, le français, l’espagnol, l’anglais, l’italien et le latin). Très jeune, il apprend aussi le croate et, à la suite de séjours fréquents au bord du golfe de Biscaye, il s’initie au basque… Bien plus tard, dans l’enceinte du Parlement européen, il prononcera une allocution en latin. Seul Bruno Gollnisch, qui lui a rendu hommage dans un communiqué, pourra lui répondre.

Sa facilité pour les langues et son appétence pour l’histoire lui font prendre conscience du fait européen, et ce dès l’Entre-deux-guerres. « Qui connaît l’histoire sait que, par le passé de ma famille, je suis lié à de nombreuses régions de ce continent, que ce soit la Flandre ou le Brabant, l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne, la Lorraine, la Lituanie et la Hongrie, la Suisse actuelle, l’Italie et la Bourgogne. N’étais-je pas, de ce fait, le légataire d’une vocation européenne avant la lettre ? (2) »

Ce n’est pas un hasard s’il écrit en 1967 une biographie de Charles Quint (3). C’est en 1936 qu’il rencontre à Paris un autre passionné de l’Europe : le comte Richard Coudenhove-Kalergi, auteur de la Paneurope. Certes, Coudenhove-Kalergi conçoit l’unité continentale européenne comme le dernier palier avant l’avènement d’une Fédération mondiale. Cette idée ne lui appartient pas en propre puisque ce « zonisme » se retrouve tout aussi bien chez Denis de Rougemont ou Jacques Maritain avec une propension « planétarienne » marquée, que chez Carl Schmitt ou Karl Haushofer (4). Comme la langue d’Ésope, la politogénèse européenne peut être un agent au service du mondialisme ou un amplificateur de puissance majeur des identités enracinées. A contrario des vieilles thèses européistes, il importe aujourd’hui de la considérer comme le facteur oppositionnel le plus efficient au projet d’État mondial.

Dans les années Trente, la mue européenne d’Otto de Habsbourg-Lorraine n’est pas encore complète. Après avoir lu Mein Kampf et cerné la personnalité de son auteur, il cherche à empêcher l’Anschluss de l’Autriche par l’Allemagne. Il devient l’ennemi personnel d’Hitler qui le fait condamner à mort. En 1937, le chancelier autrichien Schuschnigg envisage un instant de lui confier la direction d’un gouvernement d’union nationale afin de résister aux menées de Berlin. Schuschnigg recule cependant sous la pression conjuguée de l’Allemagne, de l’Italie et de la Petite-Entente (le Tchécoslovaque Bénès déclarant préférer Hitler aux Habsbourg…).

Entre 1940 et 1944, Otto de Habsbourg-Lorraine quitte l’Europe en feu et s’installe aux États-Unis. Le conférencier découvre l’American way of life, son matérialisme et l’absence de profondeur historique : « Je ne suis devenu un vrai Européen que quand je vivais aux États-Unis, et surtout lorsque j’ai tourné le dos aux gratte-ciel de New York (5). »

De retour sur le « Vieux Continent » à la fin du second conflit mondial, Otto de Habsbourg-Lorraine se fait l’avocat de la cause européenne qu’il juge vitale pour l’avenir du continent d’autant qu’après le national-socialisme, l’Europe se retrouve menacée par le danger communiste. Membre de la W.A.C.L. (Ligue anti-communiste mondiale) et adhérent dès 1948 – 1949 à la Société du Mont Pèlerin au sein de laquelle il soutient l’école néo-libérale autrichienne, von Mises en particulier, et aussi l’ordo-libéralisme de Wilhelm Röpke, l’Archiduc ne cesse d’avertir ses compatriotes du péril soviétique qu’il confond souvent avec la politique expansionniste traditionnelle de la Russie. En 1994, il « n’accepterai[t] l’idée de l’admission de la Russie à la Communauté européenne qu’après qu’elle ait décolonisé. C’est géographiquement et culturellement un pays européen, mais avec ses immenses possessions de l’Oural à l’Océan Pacifique, ce que l’on appelle la Sibérie, elle ne sait même pas elle-même si elle est européenne ou non (6) ».

Son libéralisme est assez pragmatique. Il conteste les empiétements tentaculaires de l’État sur les petits entrepreneurs et les classes moyennes. En 1967, la revue Janus consacre un dossier sur le « capitalisme populaire » auquel collaborent Denis de Rougemont et Otto de Habsbourg-Lorraine.

Pour vivre, l’Archiduc devient journaliste et couvre la fin de la guerre civile chinoise. Puis, il suit les combats en Indochine et voyage en Asie – Pacifique. De ses reportages sort L’Extrême-Orient n’est pas perdu (7), une enquête sur les futurs « Tigres » et « Dragons » alors tout juste décolonisés et risquant de passer sous la coupe bolchevique. L’acuité de l’époque le rend atlantiste quand bien même son atlantisme demeure raisonnable. À partir des années Soixante, il applaudit la politique étrangère du général de Gaulle. Au sein des cénacles atlantistes, il revendique l’égalité entre les deux rives de l’Atlantique et condamne la sujétion de l’Europe aux États-Unis. Sans succès. Pis, en 1990 – 1991, il approuvera l’intervention occidentale au Koweït contre l’Irak.

Soucieux de participer à l’aventure européenne, outre la présidence de l’Union paneuropéenne internationale de Coudenhove-Kalergi, Otto de Habsbourg-Lorraine devient en 1979 député européen à Strasbourg – Bruxelles après avoir acquis la nationalité allemande un an plus tôt. Élu de Bavière, il fait partie de la très droitière C.S.U. (Union chrétienne sociale) de Franz Josef Strauss. Pendant vingt ans, il y développe une certaine idée de l’Europe, car « ce qui distingue notre continent des autres, c’est son immense passé, avec ses éléments que sont la spiritualité chrétienne et le bon sens formé par la sagesse grecque et par le droit romain (8) ». C’est aussi un grand militant de la diversité culturelle intrinsèque de l’Europe. « Dans une Europe “ pluriculturelle ” et non pas “ multiculturelle ”, une Europe pluraliste donc, la coexistence des cultures et des langues me paraît […] possible et même souhaitable (9). » Son plaidoyer en faveur du pluralisme culturel s’inspire du précédent institutionnel de la Double-Monarchie habsbourgeoise…

Hostile à toute langue hégémonique – dont l’anglais -, et déçu que le latin ne soit plus la langue véhiculaire de la civilisation européenne, Otto de Habsbourg-Lorraine suggère de faire du français la langue officielle de l’ensemble européen. À cet effet, il organise et préside le Comité international pour le français, langue européenne, ce qui lui permet en 1970 d’être associé étranger à l’Institut de France. Son intérêt pour la langue de Molière n’est pas anecdotique. Il n’oublie pas qu’il est Capétien par sa mère et que sa famille est originaire de Lorraine avec le duc François qui devint empereur du Saint-Empire (François Ier) et époux de Marie-Thérèse d’Autriche. C’est en souvenir de ce passé lorrain que le duc de Bar qu’il est aussi, épousa à Nancy, le 10 mai 1950, la princesse Regina. Par ailleurs, toujours par héritage familial, ce descendant de la Maison de Bourgogne est de 1922 à 2001 le chef souverain de la Toison d’Or dont les actes sont rédigés en français (10). C’est en 2007 qu’il « abdique » finalement sa charge de prétendant impérial et royal au profit de son fils aîné, l’archiduc Charles, déjà Grand-Maître de la Toison d’Or.

L’esprit bourguignon a toujours sous-tendu l’idéal politique d’Otto de Habsbourg-Lorraine. « Connaissant l’impossibilité d’imposer au continent le gouvernement d’une seule nation, l’Europe future devra être gérée dans le cadre d’un système d’harmonisation des intérêts qui ne sera que le legs administratif de la Franche-Comté (11). » Un jour peut-être, les Européens redécouvriront ce principe supranational et enraciné parce que « l’histoire est un perpétuel recommencement. Mais on ne peut pas la considérer sur ce plan linéaire. Elle progresse en dents de scie, sans retour intégral à ce qui fut (12) ». Il est clair que, pour lui, « la forme de l’Empire fut continuellement soumise à des changements. Mais son âme, pour laquelle se battent les puissances les plus diverses, est demeurée intacte (13) ».

Il est navrant, déplorable même, qu’Otto de Habsbourg-Lorraine ne fut jamais président du Parlement européen, seulement son doyen, ni même le premier président du Conseil européen à la place du fantomatique Herman van Rompuy. Sa rectitude morale et son catholicisme fervent l’ont desservis auprès de politiciens médiocres et sans grand dessein. À ces postes, il aurait pu concrètement réorienter les institutions européennes vers une nouvelle légitimité dont la portée est supérieure au concept de souveraineté. Il estimait en tout cas que « l’idée de sacré peut être restauré dans ses droits. Les gens en ont besoin (14) » et que « l’idée européenne a de profondes racines chrétiennes. D’où la certitude que l’avenir de l’Europe est inimaginable sans un renouveau de la religion (15) ».

Pendant la Guerre froide, il craint que l’Europe devienne le lieu d’affrontement effectif entre les deux Super-Grands. Dans Europe. Champ de bataille ou grande puissance (16), il condamne la conférence de Yalta, dénonce la mainmise soviétique d’une partie du continent, regrette les pratiques diplomatiques policées du Congrès de Vienne (1814 – 1815) et avance la notion féconde de patriotisme européen. Attentif à la Décolonisation, Otto de Habsbourg-Lorraine renouvelle les thèses eurafricaines de Coudenhove-Kalergi en promouvant l’urgence impérieuse d’une vraie coopération euro-africaine afin que le continent noir ne rallie pas le camp de Moscou (17)…

Cet adversaire farouche de l’U.R.S.S. contribue aussi à sa dislocation. Le 19 août 1989, il organise à Sopron en Hongrie un pique-nique de l’Union paneuropéenne qui permet à des Allemands de l’Est de se réfugier en R.F.A. Il se réjouit de la chute du Mur de Berlin et de la fin du « Rideau de fer ». Son aide auprès des peuples libérés d’Europe centrale et orientale est telle qu’en 1991, plusieurs mouvements politiques hongrois lui demandent de se porter candidat à la présidence de la République hongroise de leur pays. Otto de Habsbourg-Lorraine décline cette proposition parce qu’il ne veut pas se contenter d’une fonction honorifique. Dans les années 1960, il avait déjà refusé le trône d’Espagne !

Dans la décennie 1990, il soutient les différents traités européens (Maastricht, Amsterdam, Nice, voire Lisbonne et le traité constitutionnel). Il se satisfait de la fin de la Yougoslavie et des indépendances slovène et croate. Pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine, il appelle les Européens à intervenir militairement contre les Serbes. Le siège de Sarajevo entre 1993 et 1995 restera longtemps à ses yeux la honte de l’Europe. Ce fervent catholique n’a toutefois pas peur d’écrire que « face au matérialisme, totalitaire ou rampant, notre allié naturel, c’est l’islam (18) ».

Son parti-pris pro-bosniaque ne l’empêche pas néanmoins de s’inquiéter du devenir démographique de l’Europe. Constatant le flot ininterrompu des vagues migratoires extra-européennes et sachant que « si les Européens renoncent à assurer leur descendance, d’autres peuples occuperont les places vides (19) », il n’est « pas favorable à une politique d’intégration, s’agissant d’une immigration massive […] qui nous crée des problèmes parce que nous ne sommes pas un continent d’immigration. C’est un des grands problèmes. Et nous ne le résoudrons qu’en donnant graduellement aux autres continents la possibilité d’accéder à notre niveau de vie sur leurs propres terres, et non en attirant chez nous la masse de leur population. Il faut leur faire comprendre que la solution des problèmes africains n’est pas dans les quartiers contournant la gare du Nord à Paris, mais en Afrique (20) ».

Son attachement sincère aux patries charnelles européennes se manifeste à diverses reprises. Il tient à saluer depuis la tribune du Parlement européen les délégations venues de Catalogne, d’Écosse ou de Transylvanie. Il participe au Liber amicorum de Marcel Regamey, adepte du fédéralisme intégral différencié et fondateur de la Ligue vaudoise (21).

Recensant l’ouvrage de Jean Sévilla, Le Chouan du Tyrol. Andreas Hofer contre Napoléon, Jean Mabire relevait qu’« à toute fédération il faut un fédérateur. Je ne suis pas de ceux qui sourient de la monarchie; je crois que le seul qui puisse aujourd’hui y prétendre sur notre continent se nomme Otto de Habsbourg-Lorraine. En complément de ce livre sur Andreas Hofer, je viens de lire d’un trait son essai : L’idée impériale. Histoire et avenir d’un ordre supranational […]. Que d’idées à y reprendre ! (22) »

Fin analyste de l’histoire sans sombrer dans un pessimisme crépusculaire, Otto de Habsbourg-Lorraine a bien saisi les défis de notre temps et diagnostiqué les maux de nos sociétés gâteuses et frivoles. On pourrait penser que son inhumation, le 17 juillet, dans la crypte des Capucins à Vienne signifie l’enterrement de l’Europe. Il n’en est rien, car, incarnation de notre mémoire du futur, l’Archiduc est à jamais un Européen d’avant-hier et d’après-demain. Il a posé les fondements de ce qui sera.

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : Otto de Habsbourg-Lorraine, Mémoires d’Europe, entretiens avec Jean-Paul Picaper, Paris, Critérion, 1994, p. 22.

2 : Idem, p. 65.

3 : Otto de Habsbourg-Lorraine, Charles Quint, Paris, Hachette, 1967, réédité en Charles Quint, un empereur pour l’Europe, Bruxelles, Éditions Racine, coll. « Les racines de l’histoire », 1999.

4 : Sur le « zonisme », cf. Bernard Bruneteau, « L’Europe nouvelle » de Hitler. Une illusion des intellectuels de la France de Vichy, Monaco, Éditions du Rocher, coll. « Démocratie ou totalitarisme », 2003.

5 : Otto de Habsbourg-Lorraine, Mémoires d’Europe, op. cit., p. 249.

6 : Idem, p. 100.

7 : Otto de Habsbourg-Lorraine, L’Extrême-Orient n’est pas perdu, Paris, Hachette, 1962.

8 : Otto de Habsbourg-Lorraine, Mémoires d’Europe, op. cit., p. 250.

9 : Idem, p. 214.

10 : Il existe aujourd’hui deux ordres de la Toison d’Or. La branche autrichienne, authentique et légitime, reconnue par l’Autriche comme personnalité juridique de droit international, provient directement de son fondateur, le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, qui imposa une direction héréditaire, d’où sa transmission successive par mariage aux Habsbourg, puis aux Lorraine d’Autriche. Conservée par Philippe V au mépris des règles fondatrices, la Toison d’Or espagnole est devenue au fil du temps une contrefaçon puisque le principe héréditaire n’est plus respecté avec Joseph Ier Bonaparte, Isabelle II et Amédée Ier. Par ailleurs, outre sa reconnaissance par la République française (ce qui en est une preuve supplémentaire), le nombre de récipiendaires, plus obligatoirement catholiques, est désormais illimité. Enfin, la décision d’attribution, écrite en espagnol, est contresignée par le Président du gouvernement. Le dévoiement est complet.

11 : Otto de Habsbourg-Lorraine, Mémoires d’Europe, op. cit., p. 196. La Franche-Comté est, au Moyen Âge, le comté libre (franc) de Bourgogne qui relève du Saint-Empire romain germanique alors que le duché de Bourgogne dépend du royaume de France.

12 : Idem, p. 83.

13 : Otto de Habsbourg-Lorraine, L’idée impériale. Histoire et avenir d’un ordre supranational, Nancy, Presses universitaires de Nancy, coll. « Diagonales », 1989, p. 202.

14 : Otto de Habsbourg-Lorraine, Mémoires d’Europe, op. cit., p. 266.

15 : Otto de Habsbourg-Lorraine, L’idée impériale, op. cit., p. 214.

16 : Otto de Habsbourg-Lorraine, Europe. Champ de bataille ou grande puissance, Paris, Hachette, 1966.

17 : Otto de Habsbourg-Lorraine, Européens et Africains. L’entente nécessaire, Paris, Hachette, 1963.

18 : Otto de Habsbourg-Lorraine, L’idée impériale, op. cit., p. 209.

19 : Idem, p. 177.

20 : Otto de Habsbourg-Lorraine, Mémoires d’Europe, op. cit., pp. 250 – 251.

21 : Collectif, Mélanges à Monsieur Marcel Regamey à l’occasion de son septante-cinquième anniversaire, Lausanne, Cahiers de la Renaissance vaudoise, n° 102, 1980.

22 : Jean Mabire, « Andreas Hofer et le double visage de notre Europe », dans Le Choc du Mois, n° 40, mai 1991, p. 43.


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In Memoriam - Vladimir Dimitrijevic & Otto von Habsburg

mardi, 02 mars 2010

In Memoriam Jean-Claude Valla (1944-2010)

In Memoriam

Jean-Claude Valla

(16/5/1944 – 25/2/2010)

Soube hoje, por um amigo francês, da morte de Jean-Claude Valla, jornalista, editor, historiador homem de cultura. Co-fundador do GRECE e seu secretário-geral nos anos 70, foi um dos intelectuais de relevo do que se convencionou chamar a "Nouvelle Droite". Colaborou em numerosas publicações e dirigiu várias revistas, incluindo tanto a «Éléments» como o «Figaro Magazine». Deixa uma extensa obra historiográfica, dedicada especialmente ao período contemporâneo, na qual se destacam os fascismos e a colaboração. Participou em diversas revistas de História, tendo actualmente presença habitual na «NRH». Conheci-o na XIII Table Ronde, em 2008, onde foi um dos oradores, e tive oportunidade de trocar com ele algumas palavras. Já não está entre nós. Descanse em paz.
Ex: http://penaeespada.blogspot.com/

dimanche, 23 novembre 2008

Hommage à Giorgio Locchi (1923-1992)

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Hommage à Giorgio Locchi (1923-1992)

 

par Gennaro MALGIERI

 

Giorgio Locchi est mort de la seule façon qu'il aurait jugée acceptable: de manière imprévue, presque sans avertir personne, alors qu'il voulait écrire un essai sur Martin Heidegger. Sans doute, a-t-il eu une lueur de conscience, entre le moment où la mort s'est annoncée et celui où elle l'a frappé, quelques minutes plus tard, et il a très certainement remercié les dieux de lui offrir une sortie de scène aussi soudaine, car l'idée de rester longtemps malade ou diminué le faisait immensément souffrir. A la fin du mois de juin 92, lors de son dernier séjour à Rome, il m'a parlé du mal qui l'avait frappé deux années plus tôt et qu'il avait vaincu. Il me disait que la perspective de devenir un tronc inerte le faisait frémir parce qu'avec le temps qui passe, on s'accroche plus étroitement, plus profondément, plus égoïstement à la vie. Paroles de Locchi qui ne m'ont pas surpris. Aujourd'hui, j'y repense, comme si elles avaient été un présage.

 

Pour quelqu'un qui comme moi était de ses amis, ce n'est pas facile de rendre hommage à Giorgio Locchi, de récapituler tout ce qu'il nous a légué. Je pourrais tenter de tracer un profil du journaliste, correspondant à Paris du Tempo pendant plus de trente ans. Et de raconter une infinité d'anecdotes sur ses rapports avec Renato Angiolillo. Ou encore de souligner l'importance de tous les services qu'il a rendu à l'information en Italie: sur les événements d'Algérie, sur la naissance de l'existentialisme, sur le mai 68 parisien. Ses vues étaient portées par un anti-conformisme extraordinairement courageux et intelligent. Je voudrais aussi souligner le rôle capital qu'a joué Giorgio Locchi dans l'évolution de la droite française, insister sur le bout de chemin qu'il a fait avec Alain de Benoist, sur la passion qu'il éprouvait à former des jeunes intellectuels, sur ses activités au sein du GRECE et sur ses contributions à la revue Nouvelle Ecole.  Je voudrais aussi pouvoir rassembler ici tous les éléments de la vaste mosaïque qu'était sa personnalité, rendre compte de son amour pour la musique et le cinéma, de sa maîtrise des choses physiques et scientifiques. Et je pourrais aussi raconter l'histoire de notre amitié et relater celle de son refuge parisien qui m'a été si cher, ainsi qu'à une poignée d'autres Italiens, où nous nous retrouvions pour évoquer le passé ou pour manifester notre hostilité au système ambiant. Mieux: nous y venions pour écouter Locchi qui nous évoquait Nietzsche ou Wagner, Heidegger ou la Révolution Conservatrice, ses expériences en Allemagne ou les moments cruciaux de la seconde guerre mondiale qu'il a vécue comme acteur du «front intérieur». Il nous parlait aussi de la «droite impossible» et d'une Europe tout aussi impossible. Et il nous faisait part de ses projets, commentait les revues auxquelles il collaborait, évoquait les articles qu'il voulait écrire et les livres qu'il voulait publier. Nous voyions peu de choses de Paris quand nous allions chez «Meister Locchi» et Saint-Cloud, où il vivait pratiquement en reclus, fut, pendant de nombreuses années, le point de rencontre de beaucoup d'entre nous.

 

Le journaliste, l'ami, l'organisateur de manifestations culturelles, l'agitateur d'idées vivent et vivront toujours dans le cœur de ceux qui ont connu Giorgio Locchi et ont été ses amis. Ses livres, ses idées, ses essais dispersés dans Nouvelle Ecole, La Destra, L'Uomo Libero  et Elementi,  ses articles du Tempo  et du Secolo d'Italia resteront les témoignages écrits d'un engagement intellectuel et politique au sens le plus noble du terme, mais qu'il a ressenti comme le fardeau d'une défaite européenne pendant plus de quarante ans. Nous avons d'abord vu Giorgio sceptique et méfiant, puis la confiance ne lui est revenue qu'au moment où on a parlé de la réunification allemande. Ce n'est pas pour rien qu'il a voulu être à Berlin quand l'Allemagne s'est remembrée: c'était pour lui, me disait-il, un rêve qui se réalisait, un événement qui se déroulait sous ses yeux et qu'il n'avait pas imaginé voir se réaliser, même s'il n'avait jamais cessé de croire au-delà des limites qu'impose le pessimisme, attitude justifiée s'il en est.

 

Les idées de Locchi étaient les idées d'une Europe qui n'existe plus: mais cette inexistence n'était pas pour lui une raison pour ne pas en défendre ou en illustrer les principes. Mais quand on lui en faisait le reproche, il rétorquait: ses idées étaient les idées de l'Europe éternelle que cette Europe conjoncturelle de notre après-guerre ne voulait pas, momentanément, reconnaître.

 

Son attitude à l'égard du fascisme, par exemple, était loin d'être simplement revendicative voire revencharde. Giorgio Locchi voulait, dans le bouillonnement culturel de la parenthèse fasciste, recueillir tous les éléments qui n'étaient pas caducs. Il nous a fait part de ses réflexions à ce sujet dans son opuscule intitulé L'essenza del fascismo  (Il Tridente, 1981). Il s'y réfère à la vision du monde qui fut l'inspiratrice du fascisme historique mais qui n'a nullement disparu avec la défaite de ce dernier. Cet ouvrage constitue aujourd'hui encore un prodigieux «discours de vérité», au sens grec, qui cherche à soustraire le fascisme de toutes ces explications fragmentaires qui ont cours actuellement et à toutes les formes de démonologie générant préjugés sur préjugés. Locchi, en fait, a développé une réflexion historique propre selon un schéma philosophique cohérent, appuyé sur une option interdisciplinaire, elle-même prélude à une théorie synthétique de l'essence du fascisme.

 

Dans son enquête, Locchi soutenait qu'il n'était pas possible de comprendre le fascisme si l'on ne se rendait pas compte qu'il était la première manifestation politique d'un phénomène spirituel et culturel plus vaste, dont l'origine remonte à la seconde moitié du XIXième siècle et qu'il appelait le «surhumanisme». Les pôles de ce phénomène, qui ressemble à un énorme champ magnétique, sont Richard Wagner et Frédéric Nietzsche qui, par leurs œuvres, ont «agité» le «principe nouveau» et l'ont diffusé et dilué dans la culture européenne entre la fin du XIXième et le début du XXième siècle.

 

Ce principe est le «sentiment de l'homme» comme volonté de puissance et système de valeur. Dans ce sens, le principe surhumaniste, avec lequel le fascisme est en rapport «génétique/spirituel», s'articule comme le rejet absolu du «principe égalitaire» qui lui est opposé et qui informe le monde d'aujourd'hui, toile de fond de nos circonstances.

 

Locchi avançait la thèse suivante: «Si les mouvements fascistes ont désigné l'ennemi spirituel avant de désigner l'ennemi politique, s'ils ont dénoncé les idéologies démocratiques  —libéralisme, parlementarisme, socialisme, communisme, anarcho-communisme—  c'est bien parce que dans la prospective historique  instituée par le principe surhumaniste, ces idéologies s'articulent comme autant de manifestations du principe égalitaire antithétique, apparues successivement dans l'histoire mais toujours présentes; toutes tendent, en définitive, vers le même but mais avec un degré de conscience différent; toutes ensemble, elles sont la cause de la décadence spirituelle et matérielle de l'Europe, de l'“avilissement progressif” de l'homme européen, de la désagrégation des sociétés occidentales».

 

Reliant ces considérations à la prospective historique dans laquelle opère le fascisme, à l'unisson avec les autres fascismes européens, Locchi pose une thèse du plus haut intérêt qui contribue au «dés-occultement» du fascisme, en mettant en lumière son essence même.

 

Ces thématiques, Locchi les a développées dans son ouvrage Wagner, Nietzsche e il mito sovrumanista  (Akropolis, 1982; il s'agit partiellement d'une remise en forme de ses articles de musicologie parus en français dans Nouvelle Ecole,  n°30 et 31/32; ndlr). Dans sa brillante préface, Paolo Isotta précise, avec minutie, quelles sont les tendances égalitaires et quelles sont les tendances surhumanistes qui entrent en jeu et les posent comme deux conceptions du monde antithétiques et irréconciliables. C'est un livre très dense, particulièrement difficile, parfois rébarbatif dans certains de ses chapitres; il n'empêche que lorsqu'Isotta et moi-même l'avons présenté devant un auditoire comble d'étudiants napolitains, en décembre 1982, il semblait véritablement captiver ces jeunes qui sont restés pendant deux heures rivés sur leurs sièges puis ont harcelé Locchi de questions pertinentes, qui n'avaient vraiment rien de banal. L'auteur n'en a pas paru surpris.

 

Outre ce livre, j'ai de Locchi un autre grand souvenir: celui de son ouvrage polémique Il male americano  (Lede, 1979), auquel Alain de Benoist a apporté quelques petites notes complémentaires (en français, ce texte est paru dans Nouvelle Ecole  n°27-28, sous le pseudonyme de Hans-Jürgen Nigra, également repris pour l'édition allemande; ndlr). Ce texte est capital à mon sens car il démonte la mécanique du colonialisme culturel américain et nous permet de jeter un autre regard sur l'Amérique. Locchi, en revanche, n'aimait pas trop ce texte, estimant qu'il relevait davantage du combat que de la formation, qu'il était plus polémique que philosophique.

 

Dans les tiroirs du bureau de Giorgio Locchi, se trouvent de nombreux projets, des ébauches de textes, le schéma d'un livre sur Heidegger et d'un autre sur la conception du temps chez les Indo-Européens. Ils resteront certainement tels que Giorgio les a laissés parce qu'avant toutes choses, il était un perfectionniste et ne voulait rien publier sans être pleinement convaincu que cela en valait la peine.

 

Il reste encore, parmi les innombrables lettres qui constituent sa correspondance, un splendide roman qui a pour héros un Italien qui combat en Allemagne une guerre désespérée pour défendre l'Europe. Je ne saurais jamais si c'est par pudeur ou par orgueil que Giorgio Locchi a toujours refusé de le présenter à un éditeur.

 

Gennaro MALGIERI.

(traduction française: Robert Steuckers).          

 

 

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