mardi, 06 novembre 2007
Implications géopolitiques des accords de Munich (1938)
Les implications géopolitiques des Accords de Munich en 1938
Par les accords de Munich de 1938, l’Allemagne de Hitler a négocié avec les puissances occidentales mais a exclu l’URSS de ces négociations. Pour les Allemands de l’époque, en pleine guerre d’Espagne, la question tchécoslovaque est une affaire ouest-européenne. Elle semble ne pas percevoir les intérêts traditionnels russes dans la région. Certes, Munich est une victoire diplomatique allemande, car elle élimine un Etat hostile à sa frontière orientale, bien armé et bien protégé par les chaînes des Monts Métallifères et dont le territoire s’enfonce comme un coin dans la masse territoriale compacte du Reich, permettant à une éventuelle action conjointe des troupes françaises, massées en Alsace et en Lorraine sur un ancien glacis du Reich, et des troupes tchèques, de neutraliser rapidement l’Allemagne, en tirant profit d’une profondeur territoriale assez réduite. De Wissembourg en Alsace à Karlsbad (Karlovy Vary), le Reich était le plus faible. A Munich, Hitler et Ribbentrop éliminent cette faiblesse.
Résumons clairement, en six points, les atouts gagnés par les Allemands à Munich:
1. Une maîtrise de la Bohème et de la Moravie:
Les accords de Munich assurent au Reich la maîtrise de la Bohème et de la Moravie. En effet, la bande territoriale occupées par les Sudètes germanophones est justement constituée des collines et des petites montagnes des Monts Métallifères et de l’Egerland, où se concentre le système défensif de l’armée tchèque. Sans les Métallifères et l’Egerland, le reste de la Bohème est quasiment indéfendable, face à tout coup de force allemand. De plus, en Moravie, la rétrocession de territoires sudètes au nord, en bordure de la Silésie, et au sud, au-dessus de Vienne, réduit considérablement la profondeur stratégique de l’Etat tchécoslovaque, déséquilibrant totalement son système de défense.
Rappelons ici deux réalités géographiques et historiques:
- La Bohème appartient au bassin de l’Elbe, son port naturel est Hambourg. Paradoxalement, l’indépendance de la Tchécoslovaquie, imposée par Versailles en 1919, enclavait la Bohème, alors qu’elle ne l’avait jamais été dans l’histoire. En supprimant l’indépendance tchécoslovaque, Hitler et Ribbentrop désenclavent le pays. C’est là un paradoxe curieux de l’histoire centre-européenne de ce siècle.
Ce paradoxe géographico-politique nous oblige à formuler quelques réflexions d’ordre historique:
- L’orientation géographique et géoculturelle de la Bohème est occidentale voire atlantique, dans la mesure où son système fluvial, principale voie de communication jusqu’à l’invention et la généralisation des camions automobiles, débouche sur la Mer du Nord.
- Le panslavisme tchèque est une curiosité, dans la mesure où les traditions catholiques, protestantes, hussites et libre-penseuses du pays sont assez incompatibles avec l’orthodoxie, option religieuse de la plupart des Slaves. Elles sont également très différentes du catholicisme polonais ou croate, plus charnel et plus merveilleux dans ses expressions, finalement plus proche de l’orthodoxie que les linéaments religieux traversant la Bohème tchèque.
- Ces tiraillements géoculturels de la Bohème proviennent:
a) De la guerre de Trente Ans, où l’Egerland, notamment, a été repeuplé de Catholiques bavarois pour contre-balancer le protestantisme pragois et les résidus de la révolte nationale hussite du XVIième siècle. L’optique de ce repeuplement est celle de la Contre-Réforme catholique.
b) De la Guerre au XVIIIième siècle entre la Prusse de Frédéric II et de l’Autriche de Marie-Thérèse. Dans cette guerre entre les deux puissances germaniques, la géopolitique hydrographique a joué un rôle considérable: Frédéric II voulait pour lui tout le bassin de l’Elbe et ne laisser à la Maison d’Autriche que le bassin danubien.
- La Moravie, située entre la Tchéquie et la Slovaquie, a un système hydrographique danubien. Les rivières importantes qui traversent le territoire morave se jettent dans le Danube. Frédéric II ne briguait pas la Moravie danubienne car seul le système fluvial de l’Elbe l’intéressait. Sa perspective était prussienne et nord-allemande. Hitler, qui vient de réaliser l’Anschluß de l’Autriche et de créer ainsi la Großdeutschland, a des visées danubiennes. Son Etat national-socialiste englobe les bassins du Rhin (partiellement partagé avec la France qui détient la rive occidentale en Alsace et contrôle la Moselle jusqu’à la frontière luxembourgeoise), du Danube jusqu’à la frontière hongroise (mais la Hongrie est un allié tacite du Reich), de la Weser, de l’Elbe et de l’Oder, les fleuves parallèles du nord de l’Allemagne.
- L’apport de la Bohème et de la Moravie au Reich national-socialiste sont donc: une maîtrise complète du bassin de l’Elbe et un renforcement de la présence allemande dans le bassin du Danube, du moins jusqu’à la frontière entre la Hongrie et le nouvel Etat yougoslave. Munich laisse toutefois la question du Danube ouverte.
- La Russie, traditionnellement, surtout depuis la conquête des territoires ukrainiens en bordure de la Mer Noire et de la Crimée entre 1768 et 1792, s’intéresse au trafic danubien et souhaite participer à toute gestion internationale de ce trafic fluvial. En effet, la maîtrise complète des systèmes fluviaux russes-ukrainiens et des fortes concentrations industrielles du Don et du Donetz, par exemple, de même que la rentabilisation des produits agricoles des très fertiles “terres noires” d’Ukraine, postule de les acheminer vers les grandes concentrations démographiques d’Europe, pour qu’elles y soient vendues ou transformées en produits industriels. De même, les pétroles du Caucase et leurs produits dérivés, ne peuvent accéder à l’Europe rapidement que par le Danube en évitant le verrou anglo-turc d’Istanbul. Pour toutes ces raisons, la Russie a toujours demandé de participer à la gestion du trafic fluvial danubien. Cette demande est légitime.
- L’Occident anglais et américain s’est toujours opposé à cette organisation germano-russe des bassins fluviaux centre-européens, ceux du Rhin et du Danube. Car elle aurait permis un trafic pétrolier soustrait à leur contrôle maritime en Méditerranée. La perspective de cette formidable synergie euro-russe était le cauchemar des puissances occidentales. Elle explique bon nombre de traditions militaro-diplomatiques anglaises et américaines:
- La protection systématique de l’Empire ottoman contre la Russie.
- Le refus de voir les troupes russes pénétrer en Thrace turque.
- La tentative de détacher le Caucase de l’Union Soviétique naissante (affaire des commissaires arméniens, fusillés par des contre-révolutionnaires, en présence d’officiers des services spéciaux britanniques), etc.
- Le soutien apporté, via des cercles maçonniques, à un particularisme tchèque qui enclavait son propre pays. De même, le soutien aux particularismes hollandais et belge verrouille potentiellement l’embouchure du Rhin en Mer du Nord. Et permet de débarquer rapidement des troupes spéciales de marine dans le delta des trois fleuves (Escaut, Meuse, Rhin), en cas d’invasion allemande ou française (en l’occurrence, ce seront des invasions allemandes).
- L’instrumentalisation de la France républicaine pour fournir la “chaire à canon”, en Crimée en 1854, en 1914-15 dans les Dardannelles (pour éviter que les Russes n’y débarquent: cette campagne sanglante de la première guerre mondiale est surtout une guerre préventive contre la Russie, alors alliée de la Grande-Bretagne!!), en 1917-18 à Salonique et en 1940. La France traditionnelle avait fait la paix avec l’Autriche par le mariage de Louis XVI avec Marie-Antoinette de Habsbourg puis avait développé considérablement sa marine et entamé des explorations planétaires (La Pérouse); pire, la marine française bat les Anglais dans la guerre d’Indépendance des Etats-Unis et débarque des troupes dans le Nouveau Monde, car elles ne font plus face au Saint-Empire en Lorraine. Russes, Polonais et Autrichiens peuvent en découdre avec les Turcs, anciens alliés de la France de François I à Louis XV; avec le jeune Louis XVI, la France se tourne vers l’Atlantique, reprend pied dans le Nouveau Monde, abandonne sa fatidique alliance avec l’Empire ottoman, ce qui permet aux Autrichiens de consolider leurs positions dans les Balkans et aux Russes de prendre la Crimée. A la fin du XVIIIième siècle, chaque puissance européenne a sa tâche géopolitique à accomplir, sans empiéter sur les intérêts de ses voisins; le développement de la puissance française s’effectue dans l’Atlantique et la Méditerranée occidentale (Corse); la puissance autrichienne se déploie vers l’Egée, la puissance russe vers la Mer Noire et Constantinople (ce qui provoque explicitement l’opposition de l’Angleterre, surtout après la victoire de la flotte russe en Méditerrannée à Chesmé en 1770). En manipulant des “clubs” et des cénacles répandant une idéologie fumeuse, les services de Pitt révolutionnent la France, la plongent dans le chaos et la guerre civile, et vengent ainsi l’humiliante défaite de Yorktown. Mais simultanément, ils torpillent l’entente franco-autrichienne et austro-russe, ne permettant plus à aucune des puissances européennes de mener une tâche géopolitique constructive, sans empièter sur les intérêts des autres (cf. le travail de l’historien français Olivier BLANC, Les hommes de Londres. Histoire secrète de la Terreur, Albin Michel, Paris, 1989).
- Il faut juger les Accords de Munich sur l’arrière-plan de cette histoire européenne tumultueuse. Scellés entre les seules puissances centre- et ouest-européennes, il a donné l’impression aux Russes que l’accord n’envisageait pas de prolonger la ligne Rhin-Danube vers la Mer Noire, le Caucase et la Caspienne. Et de restaurer ainsi la “Symphonie” politique du XVIIIième siècle, où toutes les puissances non thalassocratiques avaient résolu leurs différends et commençaient, surtout la France et la Russie, à se doter de flottes combattives, capables d’emporter des victoires décisives.
2. Deux rêves médiévaux: Frédéric II et Ottokar II
Dans l’optique allemande qui prévalait sans nul doute à Munich, c’est une optique post-médiévale qui domine. La géopolitique globale de l’Europe n’est pas perçue comme opérant une rotation autour d’une axe partant de Rotterdam pour se prolonger jusqu’à Samarcande, mais comme une Europe retrouvant deux projets géopolitiques médiévaux, nés à une époque où la Russie est totalement absente de l’histoire européenne et se bat contre les peuples de la steppe, Mongols et Tatars. Ces deux idéaux médiévaux sont ceux de l’Empereur Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250) et du Roi de Bohème Ottokar II Premysl (1230-1278).
- L’Empereur Frédéric II conçoit l’Italie comme le prolongement méditerranéen du territoire compact et centre-européen qu’est la Germanie. A une époque où les Croisades ont finalement pour objet géopolitique la maîtrise de la Méditerranée, Frédéric II perçoit parfaitement l’importance stratégique de la Sicile, île en plein centre de la Méditerranée, permettant de contrôler les bassins occidental et oriental de la Mare Nostrum des Romains. A l’époque de l’alliance entre Rome et Berlin, depuis mai 1938, qui rend Munich possible et déforce la France, la figure de Frédéric II est remise à l’honneur, pour montrer qu’une combinaison des forces allemandes et italiennes permettrait à la fois de vertébrer le continent et de contrôler la Méditerranée à la place des Anglais. En pleine guerre d’Espagne, où l’Italie et l’Allemagne soutiennent Franco (dont les troupes avancent), se rendent maîtres des Baléares, et où l’Italie possède Rhodes en Egée, le plan “hohenstaufien” paraît subitement réalisable. Pour les Allemands et les Italiens, ce contrôle n’implique pas la Russie. Grave erreur car l’Angleterre est présente au Moyen-Orient, à proximité du Caucase et en Egypte. Ce n’était pas le cas du temps de Frédéric II. La vision médiévale et idéaliste des Allemands et des Italiens les a aveuglés. Ils n’ont pas bien perçu la nouvelle donne.
- Le Roi de Bohème a parfaitement conscience de l’importance géographique de son pays en Europe et sait qu’il occupe le centre du sous-continent, à l’ouest du Niémen et du Boug. Pour vertébrer le sous-continent, il faut organiser à partir de Prague, deuxième ville européenne en importance après Rome à cette époque, une dynamique centripète permettant de souder en un bloc plus ou moins homogène tous les territoires de la Baltique à l’Adriatique, de Stettin à Trieste. D’où les guerres qu’il a menées en Prusse et dans les Pays Baltes puis contre les Hongrois pour s’emparer de la Styrie (1260). L’axe de la géopolitique implicite d’Ottokar est vertical dans la perspective de la cartographie de Mercator. Ottokar sait que les forces centre- et ouest-européennes ne sont pas assez nombreuses et aguerries pour culbuter les Byzantins et organiser le cours inférieur du Danube, comme les Romains l’avaient fait lors de leur campagne en Dacie. L’Italie connaissait ces antécédents historiques: lors des négociations de Versailles, elle avait espéré faire de l’Adriatique une mer italienne en prenant le relais de Venise en Dalmatie et avait animé, avant l’Anschluß, une politique centre-européenne en protégeant le petit Etat autrichien résiduaire et en s’alliant à la Hongrie. Avec Munich, elle espère réaliser ce projet “vénitien” avec l’hinterland allemand, en tablant sur l’alliance tacite entre Berlin et Belgrade —grâce à la diplomatie de Göring et au régime de Stojadinovic— et sur les accords du Latran qui mettaient un terme à l’hostilité entre l’Etat national italien et le Vatican. Pour les Italiens de cette époque, en particulier pour un philosophe comme Julius Evola, l’Axe Rome-Berlin, signé après Munich, est une restitution géopolitique du gibelinisme de Frédéric II de Hohenstaufen, mais sans l’hostilité du Vatican et sans présence ottomane dans les Balkans.
- Mussolini a donc opté pour une révision de la politique italienne depuis 1915, année de l’entrée en guerre du pays aux côtés de l’Entente. Mais tout au long de l’année 1938, l’Italie a oscillé entre deux politiques possibles: en mars, au moment où les troupes allemandes entrent en Autriche pour sceller l’Anschluß, Hitler craint une intervention italienne pour sauver le Chancelier Schusschnig, d’autant plus que Lord Halifax tente d’apporter le soutien de l’Angleterre à une intervention italienne dans les cols alpins; mais Mussolini choisit de ne pas intervenir. Hitler lui en sera reconnaissant, jusqu’au bout. Mais immédiatement après les événements d’Autriche, on observe un rapprochement entre l’Angleterre et l’Italie, porté par Chamberlain. Le 16 avril 1938, l’Angleterre reconnait l’annexion de l’Abyssinie par Mussolini, contre laquelle elle avait pourtant vivement protesté et où elle s’était engagée aux côtés du Négus. Cette politique anglaise reçoit l’appui de Ciano, beau-fils de Mussolini. Hitler, voulant une alliance avec l’Italie, démet l’ambassadeur allemand à Rome, von Hassell, de ses fonctions et le remplace par Hans-Georg von Mackensen, plus favorable au tandem Rome-Berlin. En mai, pourtant, Hitler est invité officiellement en Italie, où le point culminant de la visite a lieu à Naples où 100 sous-marins italiens exécutent une formidable parade (immersion rapide puis sortie rapide hors des flots en tirant une salve), montrant aux Allemands et aux Anglais que l’Italie entend jouer un rôle prépondérant en Méditerranée. Avec les Allemands, elle pouvait défier l’Empire britannique et couper sa ligne d’approvisionnement en Méditerranée. Avec les Anglais, elle pouvait contenir tout projet allemand (et russe) dans la même zone, tout en conservant ses colonies libyennes, somaliennes et éthiopiennes. Mais les entrevues de mai 1938 ne débouchent pas sur une politique claire de la part de l’Italie: tant Mussolini que Ciano restent confus et prudents. C’est la victoire diplomatique de Munich qui poussera définitivement Mussolini dans le camp de Hitler. L’Italie jouera dès lors une carte anti-anglaise en Méditerranée. Et signera les accords instituant l’Axe Rome-Berlin.
3. Hitler, Göring et la Yougoslavie:
Pour comprendre les relations réelles entre l’Allemagne et la Yougoslavie, que l’on croit conflictuelles mais qui ne l’ont nullement été, il faut se référer au Traité commercial germano-yougoslave d’avril 1934. A partir de ce traité, les rapports entre les deux pays seront excellents, malgré le fait que la Yougoslavie ait été construite pour empêcher tout débouché allemand ou autrichien sur l’Adriatique. Le Protocole de Dubrovnik de 1937 renforce encore davantage les liens économiques entre le Reich et la Yougoslavie. Krupp construit des usines dans le pays, amorce son industrialisation. Stojadinovic, le chef serbe de la Yougoslavie d’avant-guerre, entend clairement se détacher de la tutelle française, qui ne permet pas un tel envol industriel. Parallèlement à sa politique allemande, il développe d’excellentes relations avec l’Italie et la Bulgarie et envisage de renouer avec la Hongrie, créant de la sorte une synergie dans les Balkans. Mais après Munich, on constate un retour à des positions anti-allemandes (francophiles et slavistes pro-tchéques) et à l’achat d’avions de combat (Blenheim et Hurricanes) en Angleterre. L’Allemagne s’inquiète et Stojadinovic tombe en février 1939. Mais le Prince Paul de Yougoslavie rend visite à Hitler en juin 1939, et reçoit la garantie allemande pour les frontières de la Yougoslavie: Hitler promet de ne pas soutenir les “séparatistes” slovènes et croates ni d’appuyer les projets “grands-hongrois”; il ne dit pas un mot sur les Volksdeutschen de Yougoslavie. En revanche, Hitler demande aux Yougoslaves d’assouplir leurs positions vis-à-vis de l’Italie, d’adhérer à l’Axe pour lancer une politique méditerranéenne commune, de quitter la Société des Nations et de se désolidariser de l’Entente balkanique parce que les Turcs négocient avec les Anglais, selon la tradition diplomatique qui veut que la thalassocratie britannique soit la protectrice de la Turquie contre la Russie, mais aussi contre toute avancée allemande vers l’Egée. Le ministre yougoslave des affaires étrangères, Cincar-Markovic promet de maintenir les liens étroits avec l’Allemagne, d’améliorer les rapports italo-yougoslaves, mais estime que l’adhésion au Pacte antikomintern serait impopulaire dans le pays. Les relations germano-yougoslaves ont été renforcées par l’effet-Munich. Les liens économiques, diplomatiques et culturels entre les deux pays ont été plus solides qu’auparavant, bien que les cercles hostiles à l’Allemagne n’aient pas désarmés et aient notamment organisé des manifestations violentes contre la venue de diplomates allemands (dont von Neurath) et la visite de Ciano.
4. Georges Bonnet et la diplomatie française:
La France est la grande absente sur l’échiquier diplomatique européen au moment de l’Anschluß. Elle vit alors une crise politique. Le 10 avril, presque un mois après l’entrée de Hitler à Vienne, Edouard Daladier devient Premier Ministre et choisit une politique de paix, contrairement au gouvernement de Léon Blum que Churchill et Morgenthau avaient vainement tenté de maintenir en place. Churchill et Halifax espéraient qu’un gouvernement Blum aurait incité les Anglais à abandonner la politique de Chamberlain et aurait fait front commun contre l’Allemagne, avec les bellicistes anglais. Daladier, au contraire, est sur la même longueur d’onde que Chamberlain. Daladier remplace Joseph Paul-Boncour, belliciste et partisan d’un soutien inconditionnel aux Tchèques, par Georges Bonnet, européiste favorable à la paix et s’inscrivant dans la ligne d’Aristide Briand, avocat du rapprochement franco-allemand dans les années 20. Pour Bonnet, toute guerre en Europe conduira à la catastrophe, à la fin de la civilisation. Il le croit sincèrement et déplore que Chamberlain, avec sa politique d’apaisement, ne cherche qu’à gagner du temps et à lancer une industrie de guerre et une industrie aéronautique pour armer l’Angleterre, qui se sent faible sur le plan de l’arme aérienne, après les résultats obtenus par les Allemands pendant la guerre d’Espagne (acheminement des troupes de Franco par des avions transporteurs, mise au point des techniques de chasse et de bombardement, perfectionnement de la logistique au sol, etc.). Daladier et Bonnet croiront soutenir une politique de paix à Munich.
Mais les diplomates français et leurs homologues anglais déchanteront le 30 novembre 1938, quand le Comte Ciano annonce à la tribune de la Chambre des Corporations de l’Italie fasciste que Rome entend “faire valoir ses droits” en Méditerranée occidentale, c’est-à-dire en Tunisie, en Corse, et même à Nice. Mussolini annonce quant à lui les mêmes revendications devant le Grand Conseil fasciste, en y ajoutant l’Albanie, clef pour le contrôle de l’Adriatique et du Détroit d’Otrante. Pour la France, il y a dès lors au moins un front supplémentaire, sur les Alpes et en Afrique du Nord. Pire, si Franco accepte de payer sa dette à l’Italie et à l’Allemagne et de venger le soutien par le Front Populaire et les gauches françaises à ses ennemis républicains, en ouvrant un troisième front sur les Pyrénées, Paris devra combattre sur trois fronts à la fois. Le cauchemar de l’encerclement par la coalition germano-hispano-milanaise du XVIième siècle revient brutalement à l’avant-plan. Paris réagit en intensifiant ses liens avec les Etats-Unis, qui, par la bouche de leur ambassadeur William Bullitt, avaient déjà manifesté leur intention d’intervenir dans une éventuelle guerre en Europe, contre les “dictateurs”. Bonnet parvient à obtenir une centaine de chasseurs Curtiss H75, donnant ainsi à l’aviation française, déjà excellente, un atout supplémentaire pour faire face aux Allemands et aux Italiens qui avaient éprouvé leurs avions pendant la guerre d’Espagne. Bonnet introduit ainsi directement la carte américaine dans le jeu des alliances en Europe.
Deuxième tentative de Bonnet pour déserrer l’étau qui menace la France: négocier directement avec les Allemands, pour qu’ils calment les ardeurs de leurs alliés italiens. Bonnet renoue ainsi avec la politique pacificatrice de Briand, mais dans un contexte où l’Allemagne est considérablement renforcée, tant sur le plan militaire (plus de menace tchèque, entente relative avec la Pologne et la Yougoslavie, alliance italienne et présence indirecte en Méditerranée) qu’industriel (apport des aciéries et des usines d’armement tchèques, très performantes). Le 6 décembre 1938, Ribbentrop et Bonnet signent dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay une déclaration franco-allemande, ouvrant des relations de bon voisinage et acceptant les frontières telles qu’elles sont actuellement tracées. Chamberlain et Halifax encouragent cette initiative. Churchill la déplore. En janvier 1939, cet accord franco-allemand est déjà réduit à néant par les circonstances.
5. Beck, Hitler et la Pologne:
On oublie trop souvent que les accords de Munich ont été possibles grâce à la Pologne. Dès janvier 1938, Hitler s’était assuré la neutralité polonaise face à ses rapports avec l’Autriche (catholique) et la Tchécoslovaquie. Le 14 janvier, en effet, Hitler rencontre Beck à Berlin pour régler un litige (une loi polonaise visait à exproprier tous les étrangers possédant des terres dans les zones frontalières: les Allemands et les Ukrainiens sont particulièrement visés). Au cours des pourparlers, en présence du ministre des affaires étrangères von Neurath, assez hostile à tout rapprochement avec la Pologne au contraire de Hitler, Beck confie que la Pologne n’a aucun intérêt en Autriche et que ses rapports avec la Tchécoslovaquie ne peuvent pas être plus mauvais. Pour Beck, les relations polono-tchèques sont mauvaises parce que la Tchécoslovaquie abrite une minorité polonaise, parce qu’elle s’est alliée à l’URSS ennemie de la Pologne et menace dès lors toute la frontière méridionale du pays. Beck refuse toutefois d’adhérer au Pacte antikomintern, signé entre Berlin et Tokyo. Mais il promet de poursuivre la politique germanophile du Maréchal Pilsudski. En septembre, quelques jours avant Munich, les Polonais demandent à Londres que les droits de la minorité polonaise en Bohème soient garantis. Avec l’appui tacite du gouvernement de Varsovie, le mouvement OZON (Camp de l’Unité Nationale) s’agite dans toute la Pologne pour réclamer une intervention militaire aux côtés de l’Allemagne en Tchécoslovaquie. Kennard, l’ambassadeur britannique, doit se rendre à l’évidence: les Polonais ne se laisseront pas manipuler dans un sens anti-allemand. Après Munich, les Polonais occupent Teschen, un district peuplé de ressortissants de nationalité polonaise. Ce n’est donc qu’après Munich que les relations polono-allemandes vont se détériorer, sous l’influence britannique d’une part, pour la question du corridor de Dantzig d’autre part. Le changement d’alliance de la Pologne fera basculer Hitler, pourtant favorable à une entente germano-polonaise. Ce changement de donne conduira à la signature du Pacte germano-soviétique.
D’autres événements sont à mentionner dans les rapports triangulaires entre la Tchécoslovaquie, la Pologne et l’Allemagne. Avant Munich, le 31 juillet 1938, Kopecky, chef du parti communiste tchécoslovaque, déclare lors d’un meeting qu’il est nécessaire d’établir un “front slave soviéto-tchécoslovaco-polonais contre les fascistes allemands”. Après Munich et après le rattachement des territoires des Sudètes au Reich élargi à l’Autriche, puis, après le coup de Prague et l’entrée de Hitler dans la capitale de la Bohème, bon nombre d’émigrés tchèques se retrouvent en Pologne, pays peu tchécophile, comme nous l’avons vu. Parmi ces émigrés, le plus notoire a été le Général Lev Prchala qui en appelle, à Varsovie, à la constitution d’une nouvelle armée tchécoslovaque. Prchala et ses amis sont pro-polonais, rêvent d’un bloc polono-tchèque dirigé contre l’Allemagne et l’URSS, développent une idéologie slaviste grande-polonaise mais anti-russe, visant à constituer un Etat s’étendant de la Baltique à la Mer Noire, vœu traditionnel du nationalisme polonais et souvenir du grand Etat polono-lithuanien du XVIIième siècle. Staline refusera d’accorder du crédit à ce slavisme-là et le considérera comme une menace contre l’URSS. Le développement de cette idéologie grande-polonaise et conservatrice, sous couvert de restaurer la défunte Tchécoslovaquie et de la placer sous la protection de l’armée polonaise, intéresse les Britanniques mais inquiète d’autant plus Staline, si bien qu’on peut le considérer comme un facteur du rapprochement germano-soviétique. L’idéologie du bloc slave mitteleuropéen, cordon sanitaire entre le Reich et l’URSS, sera reprise telle quelle par les militaires conservateurs polonais et tchèque au service de l’Angleterre pendant la guerre. Les plans du Général polonais Sikorski et du Président tchèque Benes, énoncés dans la revue américaine Foreign Affairs au début de l’année 1942 et prévoyant une confédération polono-tchèque, seront rejetés catégoriquement par Staline et le gouvernement soviétique en janvier 1943. Cette attitude intransigeante de Staline, alors même que la bataille de Stalingrad n’est pas encore gagnée, tend à prouver que l’ébauche de cette confédération polono-tchéque à dominante catholique par le Général Prchala a inquiété Staline et a sans doute contribué à le pousser à signer le pacte germano-soviétique. Staline préférait sans nul doute voir les Allemands à Varsovie plutôt que les Polonais à Odessa.
6. Les puissances occidentales et l’URSS de Staline:
N’oublions pas que la conférence de Munich a lieu en pleine guerre civile espagnole, où les Allemands et les Italiens soutiennent le camp nationaliste de Franco et les Soviétiques, le camp des Républicains. Par personnes interposées, une guerre est donc en train de se dérouler entre les protagonistes du futur Axe germano-italien et l’URSS. Mais les troupes républicaines flanchent, se montrent indisciplinées, les milices anarchistes sont incapables de faire face aux régiments plus professionnels et mieux entraînés du Général catholique et nationaliste, les communistes bien structurés et disciplinés sont dégoûtés de ce romantisme révolutionnaire inopérant et commencent à se retirer du jeu, constatant, devant Barcelone, que la partie est perdue. L’alliance franco-tchéco-soviétique, qui visait le statu quo en Europe et le containment de l’Allemagne, a échoué dans ses objectifs. Litvinov, commissaire soviétique aux affaires étrangères, tente toutefois d’en sauver l’esprit et suggère quelques jours après l’Anschluß, le 17 mars 1938, une alliance des trois grandes puissances (Grande-Bretagne, France, URSS), afin de maintenir le statu quo, mis à mal par l’Allemagne. Litvinov veut que Londres, Paris et Moscou garantissent de concert l’intégrité du territoire tchécoslovaque. Mais Paris et Londres hésiteront, préféreront négocier à Munich. Les Soviétiques savent que le contrôle de la Bohème implique ipso facto le contrôle de toute l’Europe centrale. Si Paris et Londres abandonnent Prague, l’URSS n’a plus que deux solutions:
a) Dévier les forces de l’Allemagne contre l’Ouest et/ou
b) Se rapprocher de l’Allemagne, désormais puissance incontournable sur l’échiquier européen.Ces deux objectifs, après le remplacement de Litvinov par Molotov, constituent les fondements du pacte germano-soviétique d’août 1939.
Par ailleurs, l’URSS est opposée à l’Occident ailleurs dans le monde. Par le Caucase et en Iran, l’Angleterre menace le flanc sud de l’URSS. Son aviation, à partir des Indes, à partir des bases iraniennes ou irakiennes, peut atteindre les champs prétrolifères du Caucase et frapper le nouveau quadrilatère industriel créé par Staline au sud de l’Oural. Par l’Iran et la Caspienne, l’Angleterre peut aussi frapper Stalingrad, remonter le cours de la Volga par Astrakhan, bombarder Batoum et Bakou, menacer le chemin de fer Krasnovodsk-Achkhabad. A l’époque, la menace britannique sur le flanc sud de l’URSS est réelle: les historiens de l’avenir devront sans doute se demander si les Anglais n’ont pas exercé un chantage sur Staline après la signature du pacte Ribbentrop-Molotov et la victoire allemande contre la France. Et se demander aussi si la mobilisation de l’armada américaine dans la guerre du Golfe, n’est pas la réédition de cette présence menaçante, mais, cette fois, avec l’alliance turque et avec des armes ballistiques à plus longue portée.
Conclusion:
Avec Munich, l’Allemagne retrouve certes l’espace politique du Reich médiéval, perdu depuis les Traités de Westphalie de 1648. L’idéologie du Troisième Reich, centralisatrice dans sa pratique, structure cet espace qui a souffert longtemps de ses divisions institutionnelles et confessionnelles. La diplomatie allemande de 1938 a réussi cet exploit, mais en réfléchissant à partir de critères trop européens, trop européo-centrés. Elle a raisonné comme avant Leibniz, premier diplomate et philosophe allemand à avoir saisi intuitivement l’importance cardinale de l’immense espace russo-sibérien. Ce type de raisonnement explique deux déficits de Munich, en dépit de la victoire diplomatique allemande:
a) Le Reich n’a pas compris que des facteurs extra-européens, bien maîtrisés par les Britanniques, déterminaient la marche des événements en Europe. On ne pouvait plus penser l’Europe centrale sans penser conjointement la maîtrise de la Mer Noire, du Caucase, de l’Asie centrale jusqu’au Pamir. Pourtant, le mythe indo-européen resassé dans l’Allemagne nationale-socialiste, mais de façon figée, simpliste et caricaturale, aurait dû rappeler clairement l’unité spatiale soudant le cœur de l’Europe centrale à l’espace traversé par les peuples-cavaliers scythes, sarmates, perses-iraniens, etc. L’eurasisme est avant tout le souvenir de ces peuples indo-européens qui se sont élancés jusqu’au Pacifique et dont les cosaques sont les premiers légataires aujourd’hui.
b) Comme Mussolini le lui a reproché à la fin de la guerre, peu avant sa mort, dans une conversation avec le fasciste français Victor Barthélémy, adjoint de Doriot, ancien membre du PCF, réfugié en Italie après le débarquement des Américains et des Français de De Gaulle en Provence en août 1944, Hitler n’a jamais compris la Méditerranée. Il n’a pas trop compris que l’Italie lui permettait de contrôler les deux bassins et d’y détruire le système des communications maritimes de la Grande-Bretagne. Les Anglais ont directement perçu le danger, forts des analyses que leur avaient léguées le géopolitologue Halford John Mackinder, dans Democratic Ideals and Reality (1919, 1ière éd.).
Enfin, la diplomatie allemande et celle de Litivinov n’ont pas raisonné en termes de “Symphonie”. Exclure la Russie des débats ou vouloir maintenir le statu quo de Versailles (avec la France et la Tchécoslovaquie), c’est oublier les leçons de la seule grande alliance digne de ce nom dans l’histoire européenne: la Sainte-Alliance fondée à la fin du XVIIième siècle par le Prince Eugène de Savoie, pour libérer les Balkans d’un pouvoir extra-européen, une Sainte-Alliance qui a permis de regagner 400.000 km2 sur les Ottomans et qui s’est poursuivie jusqu’en 1791, où elle s’apprêtait à libérer la Serbie, à donner le coup de grâce aux Turcs, mais où elle a dû distraire la majeure partie des ses troupes pour affronter les révolutionnaires français, excités en sous-main par les services spéciaux de Pitt.
Enfin, les arbitrages successifs de Vienne, pour calmer les velléités de guerre entre Hongrois et Roumains, montrent que l’enjeu danubien n’était guère perçu. Or, l’Angleterre le connaissait bien, elle sait que la maîtrise militaire et économique de ce fleuve soustrairait l’Europe à toute tutelle maritime. L’Angleterre semble avoir la plus longue mémoire historique: elle se rappelle, indubitablement, que le Tsar Paul Ier, en s’alliant à Napoléon, voulait, avec l’Empereur des Français, prendre pied aux Indes et en chasser les Britanniques. Paul Ier suggérait d’acheminer des troupes par le Danube, la Mer Noire (dominée par la flotte russe de Crimée, dont la construction avait effrayé Londres) et la Caspienne. Cette route est fondamentale. Les Européens l’ont oubliée. Munich en est la preuve. Il faut s’en rappeler. Et ne pas diffuser une géopolitique trop idéaliste et mutilée.
Robert STEUCKERS, Forest 27-29 septembre 1998.
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dimanche, 04 novembre 2007
K. Leontiev: précurseur russe de Spengler
Konstantin Leontiev: précurseur russe de Spengler
Réflexions sur la vie et l'œuvre de K. Leontiev
Aldo FERRARI
Bien que peu connu en Occident, Konstantin Nicolaïevitch Leontiev est, selon l'opinion de tous ceux qui se sont penchés sur sa vie et son œuvre, l'un des principaux phénomènes humains et spirituels de la Russie du siècle passé. Né en 1831 dans une famille noble de la Russie centrale, Leontiev, au cours de son existence pittoresque et tourmentée, fut tour à tour médecin, narrateur et critique littéraire, penseur historico-politique et, dans ses dernières années, moine. Il est l'auteur de nouvelles et de narrations originales —publiées dans un recueil intitulé “De la vie des Chrétiens en Turquie”— que “seul un siècle trop riche en littérature comme le XIXième russe peut se permettre d'oublier”, écrit lke célèbre Mirsky. Leontiev est aussi l'interprète lucide et très pertinent d'une critique littéraire attentive principalement aux valeurs esthétiques et formelles de l'art. Son essai “Analyses, styles et atmosphère” est dédié aux romans de Tolstoï et constitue véritablement le chef-d'œuvre de la critique littéraire russe du siècle passé. Il se montre hostile au journalisme utilitaire et “progressiste” qui, depuis Belinsky jusqu'à la renaissance esthétique de la période symboliste, s'est toujours efforcé d'instrumentaliser et d'avilir la grande littérature russe. En ce sens, Leontiev est isolé dans ce XIXième siècle russe, mais sa position demeure néanmoins d'une incontestable pertinence.
D'un point de vue religieux, Leontiev est devenu un défenseur passionné et intransigeant de la tradition orthodoxe et, plus particulièrement, de la vie monastique, après une extraordinaire conversion —admirablement décrite dans sa correspondance avec Rozanov, récemment rééditée à Londres— qui a mis fin à une longue période de perception exclusivement esthétique de la réalité. Intimement lié aux grands centres de la spiritualité chrétienne-orientale du Mont Athos et d'Optina Poustynia, il a polémiqué intensément contre tous ceux qui tentaient, plus ou moins de bonne foi, de rénover et de moderniser l'Eglise orthodoxe. Leontiev estimait qu'ils minaient ainsi la vérité et reniaient la complexité de la religion chrétienne. L'élément dominant dans la religiosité léontievienne consiste en une aspiration sincère et très intense au salut individuel, que l'on atteint en observant de façon très stricte les traditions ecclésiastiques et en dominant sévèrement ses passions: c'est là un idéal ascétique, certes bien éloigné des expériences religieuses de Khomiakov, Dostoïevsky et Tolstoï qui furent tous, comme Leontiev, au centre de la culture religieuse russe de cette période, mais qui, somme toute, est beaucoup plus conforme à l'esprit de la tradition orthodoxe.
Toutefois, malgré la valeur des écrits littéraires et critiques et malgré le caractère extraordinaire de son expérience religieuse, le noyau central de l'œuvre de Leontiev doit être séparé de sa conception de l'histoire. Il fut, à l'instar de Herzen dans le camp progressiste, le penseur religieux et conservateur le plus original et le plus profond. Il nous paraît opportun de dire d'emblée que sa pensée ne peut d'aucune façon être définie comme slavophile ou panslaviste. Dans l'orbite de l'idéologie comme dans celui de la littérature, la position de Leontiev est totalement atypique. Quoi qu'il en soit, cette pensée s'inscrit pleinement dans cette querelle complexe qui a pour objet la signification et le destin de la Russie, surtout par rapport à la civilisation européenne avec laquelle elle a des affinités mais qui lui est néanmoins fondamentalement antagoniste. C'est là une question centrale qui a tourmenté la pensée, la littérature et l'historiographie russes de Tchaadaïev à Soljénitsyne.
Au cours d'une première période “optimiste”, Leontiev affirme que la Russie devrait se mettre à la tête d'une nouvelle civilisation slave-orientale, centrée sur les valeurs religieuses et politiques héritées de Byzance qu'il oppose en toute conscience à l'évolution de la modernité européenne dans un sens d'irreligion et de matérialisme. Mais, à la suite de cette phase “optimiste”, il devine, avec grandes lucidité et clairvoyance, supérieures à celles de Dostoïevsky dans Les démons, l'avènement en Russie d'une révolution socialiste et athée, suivie de l'instauration d'un système despotique, inconcevable précédemment.
Ces “prophéties” historico-politiques de Leontiev proviennent en réalité d'une saisie inédite des particularités culturelles, sociales et psychologiques du peuple russe, ainsi que d'une intuition pointue de l'essence totalitaire et arbitrairement destructrice des diverses utopies socialistes, intuition partagée non seulement par Dostoïevsky, mais par de nombreux et célèbres représentants de la pensée européenne du XIXième siècle, comme Rosmini, Donoso Cortés et Kierkegaard.
Byzantinisme et monde slave (dont une traduction italienne est parue en 1987 aux éditions All'Insegna del Veltro à Parme) est un ouvrage qui s'inscrit, lui, dans la phase finale de la pensée historique leontievienne et qui en constitue l'expression le plus complexe et la plus suggestive. La première partie de cet ouvrage, écrit en 1873, nous décrit les fondements historiques et culturels de la Russie que l'auteur place non pas dans l'appartenance ethnique au monde slave (là, il polémique directement avec la pensée des slavophiles et des panslavistes) mais dans l'héritage religieux et politique de Byzance. L'importance de l'héritage byzantin a été décisive pour la Russie, ce que confirment des historiens de grande valeur tels Toynbee ou Obolensky, mais c'est à leontiev qu'il revient d'avoir mis, le premier, cette importance en exergue. De plus, Leontiev est aussi le premier, en Russie, à avoir jugé Byzance de façon autonome, en abandonnant ce travail conventionnel et stérile de comparaison avec le monde classique et avec l'Europe occidentale. Dans l'œuvre de Leontiev, Byzance est donc revalorisée, considérée comme une civilisation originale, féconde sur le plan culturel et politique.
Ensuite, dans Byzantinisme et monde slave, nous avons une analyse historico-sociale et psychologique attentive des diverses nationalités slaves et balkaniques. Mais, surtout, Leontiev esquisse dans ce travail une conception originale de l'histoire, tout en prenant le contre-pied des thèses de Danilevsky, exprimées dans La Russie et l'Europe. Leontiev en effet dépasse le préjugé conventionnel d'eurocentrisme et plaide en faveur d'une vision nouvelle de l'histoire humaine: celle-ci serait l'addition d'une pluralité de “types historico-culturels”, vivant sur base de principes spécifiques et autonomes en matières religieuses, politiques et éthiques.
Ces mondes historico-culturels —qui sont dix dans le typologie systématisée par Danilevsky— constituent, selon Leontiev, des entités organiques soumises, comme tout ce qui existe dans l'espace et dans le temps, à un processus de développement en trois phases, partant d'une simplicité initiale indifférenciée pour aboutir à une complexité riche, multiforme et finalement unifiée-uniforme, puis, dans une troisième phase, pour retourner à un état primitif de mélanges et de simplifications.
Comme tous les organismes vivants, les civilisations, elles aussi, connaîtraient une enfance (sociétés archaïques, tribales et féodales), une maturité (sociétés de types “renaissancistes”) et une sénilité (sociétés décadentes).
Dans Byzantinisme et monde slave, Leontiev expose une conception de l'histoire qui annonce le morphologisme du XXième siècle de Spengler et de Toynbee. La conception leontievienne de l'histoire (et de l'histoire russe) trouve ses accents les plus forts dans le refus radical des évolutions récentes des sociétés européennes, entrées, malgré ses triomphes d'ordres technologique et économique, dans une phase ultime, pré-mortelle, de leur développement historique. Dans sa critique de l'Europe occidentale, Leontiev mêle curieusement un traditionalisme religieux orthodoxe à un dédain esthétique qui rappelle Baudelaire et Herzen.
Il me parait en outre utile de rappeler que la littérature critique et universitaire sur Leontiev relève principalement des écrits de la renaissance religieuse russe du début de notre siècle, notamment Rozanov, Soloviev, Berdiaev et Boulgakov ainsi qu'à certains exposants de l'émigration post-révolutionnaire. Enfin, je souhaite relever l'intérêt profond que portent quelques chercheurs italiens à la personnalité et à l'œuvre de Leontiev, parmi lequels Evel Gasparini et Divo Barsotti. Récemment, Leontiev a fait l'objet d'études, surtout en France et dans les pays anglo-saxons, où l'on a republié ses livres et où l'on a consacré de nombreux essais à son œuvre.
Prof. Aldo FERRARI.
(article paru dans “Intervento”, n°82-83, 1987).
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jeudi, 01 novembre 2007
Bouddhistes et chrétiens en Corée
Bouddhistes et chrétiens en Corée
Lorsque, récemment, une vingtaine de Coréens ont été enlevés par les Talibans en Afghanistan, la plupart des téléspectateurs occidentaux se sont étonnés que ces orientaux s’y activaient au titre de missionnaires chrétiens.
Les propagandistes de la « Bonne Nouvelle », ne sont-ce pas des pères blancs affublés de longues barbes, qui arrivent toujours avec les caravanes et les canonnières colonialistes ? Dans les pays asiatiques aussi, les polémiques anti-chrétiennes avaient véhiculé l’image de zélotes chrétiens aux phénotypes occidentaux ou, du moins, de protégés ou d’agents des puissances occidentales et de leurs intérêts. Cette image est aujourd’hui un anachronisme.
Les groupes les plus nombreux de zélotes de la foi chrétienne en Asie sont désormais issus des régions fraîchement christianisées ou de vieux centres chrétiens qui ont dû résister pendant des siècles au milieu de masses non chrétiennes. Exemples : les Philippines ou l’Etat du Kerala au sud-ouest de la fédération indienne, pour les vieux centres chrétiens, et la Corée du Sud pour les terres récemment christianisées. Dans ce dernier pays, plus de la moitié de la population se déclare membre de l’une ou l’autre église chrétienne, dans la plupart des cas des communautés évangéliques dont le quartier général se situe évidemment aux Etats-Unis.
Ce poids du christianisme date de l’armistice de 1953, qui mit fin à la guerre de Corée. Pour immuniser la Corée du Sud contre le communisme, les Américains ont prodigué de l’aide à tous niveaux (matériel, médical, enseignement) et les fonds de cette aide ont été canalisés via des réseaux missionnaires connaissant la langue du pays et les ressorts de sa société.
La population s’est mise à associer christianisme et charité, bien-être et technologie occidentale. Des millions de Coréens se firent baptiser.
Le Bouddhisme coréen
La montée en force du christianisme se fit principalement au détriment du bouddhisme. Le bouddhisme coréen est vieux d’environ dix-sept siècles. Dans les couches populaires, il se mêle au chamanisme indigène, qui continue, lui aussi, à exister sous des formes pures, non mixées. Mais le bouddhisme en Corée a surtout été une religion de l’élite et, pendant les mille premières années de son existence, fut même religion d’Etat. En 1392, la dynastie Yi, qui monte et prend le pouvoir, emmène dans son sillage des lettrés néo-confucéens, qui se moquent du bouddhisme, en le traitant de superstition bizarre. Les moines sont alors expulsés des villes et se retirent dans des ermitages en montagne (nous avons affaire là à un cas non voulu de « retour aux racines »).
Le bouddhisme fut formellement remis à l’honneur, dans la plénitude de sa gloire d’antan, lorsque les Japonais annexèrent la Corée en 1910. Mais, malgré cela, cette époque fut dure pour les bouddhistes coréens car les autorités japonaises les obligèrent à s’affilier à des sectes nippones et à en reprendre les pratiques. Ainsi, par exemple, les moines furent contraints de prendre femme, en suivant l’exemple des ordres japonais de moines mariés, qui sont en fait des prêtres gardiens de temple, dont la fonction est héréditaire.
Lorsque les missionnaires protestants lancèrent leur grande offensive prosélyte à partir de 1953, le bouddhisme n’était guère en mesure de se défendre : il n’était plus représenté que par une communauté mal organisée de moines qui, dans la plupart des cas, avaient subi une formation très pauvre et sommaire, et par des laïcs profanes dont les doctrines n’avaient aucun fondement solide.
La situation en Corée était donc bien différente de celle qui régnait en Thaïlande, au Myanmar et au Sri Lanka, où le bouddhisme s’est défendu systématiquement contre les missions, si bien que celles-ci n’ont pas pu avancer et prospérer, même sous le colonialisme. Ceux qui, aujourd’hui en Occident, associent le christianisme à de pâles et molles figures comme le Cardinal Daneels (Primat de Belgique) ou avec le dolorisme fataliste des chrétiens du Moyen Orient qui ont tenté de survivre pendant des siècles sous le knout des musulmans, seront certainement effrayés de constater le fanatisme des « Evangelicals », formés à l’américaine, qui sévissent dans les « Etats du front de la foi », comme en Corée.
Il ne pourrait guère en être autrement, car il faut en effet être animé d’une solide dose de fanatisme de néophyte pour s’en aller en Afghanistan et y dire, au nez et à la barbe des Talibans, que l’islam est une erreur. Le même zèle et la même vigueur se retrouvent chez les nouveaux chrétiens de Corée quand il s’agit d’affronter les bouddhistes, plus inoffensifs jusqu’ici.
Matérialisme
Dans un rapport qu’adressent les bouddhistes aux organisations qui défendent les droits de l’homme au niveau international, on apprend que des enseignants persécutent des élèves non baptisés, que des officiers forcent les recrues à se faire baptiser, que des festivités bouddhistes sont perturbées et que le feu est parfois bouté à des temples bouddhistes.
Bien que seulement une petite minorité de ces nouveaux chrétiens se livrent à de telles extrémités, la vaste communauté chrétienne coréenne soutiendrait passivement ces comportements. On cite dans ce contexte un converti, ancien bouddhiste devenu protestant : « Lorsque je pense à ces gens qui détruisent les idoles, je pense que je suis, moi, un lâche, parce que je ne fais pas la même chose. Ils sont de meilleurs chrétiens que moi ».
Cependant la christianisation totale de la Corée du Sud n’est pas chose faite, loin s’en faut. A une échelle encore modeste, on constate que des nouveaux chrétiens se reconvertissent au bouddhisme. Mais le principal danger qui guette l’âme coréenne demeure le matérialisme. Un récent sondage de Gallup oblige à constater que plus de la moitié des chrétiens en titre de Corée du Sud ne sont en fait plus croyants. Oui, dans ce pays du « Front de la foi » aussi, la sécularisation progresse. On voit les mêmes conséquences de la sécularisation qu’en Europe : haut taux de suicides, taux bas de fécondité. A cela s’ajoute une spécificité régionale, contre laquelle le christianisme (et surtout le catholicisme) protège : l’avortement sélectif qui supprime les fillettes avant la naissance. Cette coutume provoque un déséquilibre patent entre les sexes, sur le plan quantitatif. La future génération de garçons coréens reprochera bien amèrement à la génération actuelle d’avoir tourné le dos à la foi.
MOESTASJRIK/ ‘t PALLIETERKE.
(article tiré de « ‘t Pallieterke », Anvers, 10 octobre 2007).00:30 Publié dans Eurasisme, Géopolitique, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 30 octobre 2007
India e Myanmar
India e Myanmar vicini a siglare l'Accordo Strategico di Port Sittwe |
Secondo fonti ufficiali di Delhi, l'India è vicina a siglare un accordo con la giunta militare del Myanmar per sviluppare il porto di Sittwe. Il porto dovrebbe permettere un facile ed economico trasporto di beni nei distanti e isolati stati nord-orientali dell'India. L'India investirà 103 milioni di dollari nel progetto, nonostante gli inviti internazionali per delle sanzioni contro il governo militare. 'Enormi benefici' "Siamo alla fase finale dei negoziati e l'accordo dovrebbe esserci in un mese", afferma un ufficiale del ministero degli esteri Indiano, che vuole restare anonimo. Con l'accordo, l'India investirà 103 milioni di dollari per sviluppare il porto e installare le infrastrutture per usare il fiume Kaladan. L'India sosteneva il movimento birmano per la democrazia fino a metà degli anni '90, quando iniziò a migliorare le relazioni con la giunta in uno sforzo per competere con la crescente influenza della Cina in Myanmar. Adesso costruisce strade e ferrovie nel Myanmar occidentale, e le sue compagnie cercano di avere l'accesso ai ricchi depositi di petrolio e gas naturale. |
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mercredi, 24 octobre 2007
Russie: arrière-cour de l'Europe ou avant-garde le l'Eurasie?
Wladimir WIEDEMANN
Intervention lors de la “Freideutsche Sommeruniversität”, août 1995
Lorsque nous évoquons la notion d'Empire, nous devons nous rappeler que ce concept, au sens classique, se manifeste sous deux formes historiques légitimées: une forme occidentale (ou “romaine occidentale”) et une forme orientale (ou “romaine orientale”, byzantine). Ainsi, l'idée authentique d'Empire est liée indubitablement à une perspective téléologique: la réunification finale de deux parties provisoirement séparées d'un Empire originel. Du moins sur le plan des principes. Car il est bien évident que cette “réunification de l'Empire” ne peut se réduire au niveau d'accords politiques purement formels dans l'esprit d'une diplomatie utilitaire et profane. Néanmoins, ce problème peut et doit être discuté par les deux parties concernées au niveau d'une idéologie impériale actualisée voire d'une théologie impériale. Mais qu'en est-il de ces deux parties?
La dernière héritière des traditions impériales romaines-occidentales a été la Germanie, tandis que la dernière héritière des traditions romaines-orientales ou byzantines a été la Russie. Comme le philosophe allemand Reinhold Oberlercher le remarque très justement, les Allemands et les Russes sont les deux seuls peuples d'Europe capables de porter à bout de bras de véritables grandes puissances politiques. Dans son ouvrage Lehre vom Gemeinwesen, il écrit: «En tant qu'Empire (Reich) porté par les tribus de souche germanique, la forme politique propre du peuple allemand a pour mission de constituer un Reich englobant tous les peuples germaniques, lequel devra, de concert avec l'Empire des peuples russes (Grands-Russes, Petits-Russiens et Biélorusses), constituer un Axe de sécurité nord-asiatique et établir l'ordre sur la plus grande masse continentale du monde» (1).
Permettez-moi d'étudier plus en détail les thèmes de l'idée impériale en son stade actuel et de la politique impériale de la Russie. L'effondrement de l'Etat communiste a conduit en Russie à un vide idéologique, à la perte de toute orientation générale. Mais on sait pourtant que la nature ne tolère aucun vide. Ainsi, l'antique idée impériale, l'idée d'un Empire religieux-orthodoxe, dans le contexte d'un nouveau sens historique, doté d'un nouveau contenu social et géopolitique, est en passe de renaître. De quoi s'agit-il?
Bien évidemment, la Russie nouvelle, post-communiste, n'est plus la vieille Russie féodale, tsariste, avec son servage. Aujourd'hui, il n'y a en Russie ni aristocratie ni classe moyenne. Il y a toutefois des intérêts historiques, objectifs et nationaux bien tangibles: ce sont les intérêts d'une nation qui compte dans le monde, les intérêts d'un peuple porteur d'Etat, et ces intérêts sont clairement délimités: il faut du pain pour le peuple, du travail pour tous les citoyens, de l'espace vital, un avenir assuré. Mais pour concrétiser ces intérêts, il y a un hiatus de taille: la nomenklatura paléo-communiste demeurée au pouvoir jusqu'ici n'avait aucun projet social “créatif” et ne voulait que se remplir les poches avec l'argent volé au peuple et, pire, placer cet argent sur des comptes à l'étranger, dans des banques fiables. En d'autres mots: ce nouveau capitalisme spéculateur montre les crocs en Russie: il est incarné par cette nomenklatura, liée à la caste corrompue et bigarrée des “hommes d'affaire”, et parasite sans vergogne le corps d'une Russie devenue “libérale-démocrate” et dépouillée de toutes ses protections. Ainsi, depuis le début de la perestroïka, un capital de 500 milliards de dollars américains a quitté le pays. Le gouvernement Eltsine ne dit pas un mot sur ce “transfert”, mais dès que quelques misérables milliards sont offerts à titre de crédit par la Banque Mondiale, il fait battre tambour et sonner buccins!
Mais le temps est proche où ces crocs mafieux recevront l'uppercut définitif qui les mettra hors d'état de nuire. Ce coup, ce sont les forces intérieures de la Russie qui le porteront et ces forces sont actuellement incarnées par les nouveaux propriétaires du capital industriel et producteur. Bien entendu, il s'agit ici, en première instance, du complexe militaro-industriel qui se trouvait jusqu'ici, à titre formel sous contrôle étatique. Quelle sera l'intensité du processus de privatisation dans ce domaine? C'est une question de temps et cela dépend aussi des circonstances globales, politiques et économiques, qui détermineront l'histoire prochaine de la Russie. Mais une chose est claire d'ores et déjà: tôt ou tard, le pays générera une classe de véritables industriels et c'est à ce moment-là que naîtra la future grande puissance russe.
Je voudrais maintenant parler des fondements géopolitiques, économiques et idéologiques de la grande puissance russe. C'est connu: le bien-être du peuple et la puissance réelle d'un Etat dépend des placements en capital domestique, parce que ces placements garantissent la création de nouveaux emplois et augmente le pouvoir d'achat de la population. Ensuite, il est clair qu'au stade actuel de développement de la production, ce ne sont pas les entreprises moyennes et petites qui s'avèreront capables de générer et de placer de tels capitaux. Seules les très grandes entreprises d'envergure internationale sont en mesure de le faire, car elles peuvent financer une recherche très coûteuse et une formation de personnel adéquate. Ce sont surtout les Américains et les Japonais qui possèdent aujourd'hui des sociétés disposant de telles masses de capitaux et sont capables de faire face dans le jeu de la concurrence planétaire. Ces entreprises sont celles qui créent dans le monde la majeure partie des nouveaux emplois, bien rémunérés.
Les centres principaux de production de haute technologie moderne se concentrent de plus en plus dans les zones autour des grandes métropoles des côtes pacifiques, parce que la base du développement d'une production de ce type, c'est l'accès au commerce planétaire. Aujourd'hui, dans ce domaine, c'est le commerce maritime qui joue le rôle-clef, dont les voies de communication sont contrôlées par la politique militaire américaine dans toutes les zones stratégiquement importantes. C'est en constatant ce centrage sur le Pacifique qu'est née la thèse du “Pacifique comme Méditerranée du XXIième siècle”, c'est-à-dire du Pacifique comme nouvel espace où se développe actuellement la civilisation du progrès technique. Si les choses continuent à se développer dans ce sens, les conséquences en seront fatales pour tous les pays européens; ceux-ci seront contraints, sur le plan économique, à se soumettre à l'hégémonie américaine dans toutes les questions-clefs de la dynamique de la production moderne et aussi pour tous les mécanismes socio-politiques. Ce sera également le problème de la Russie. Mais ce sera justement le “facteur russe” qui permettra aux autres Européens de prendre une voie alternative, qui permettra de libérer toutes les initiatives russes et européennes des diktats américains. Cette alternative, c'est le “commerce continental”.
Imaginez un instant que les grandes voies de communications du commerce mondial —ou du moins celles qui relient l'Europe à l'Asie méridionale et à l'Extrême-Orient (surtout l'Inde et la Chine)— deviennent continentales. Ce serait là un accès direct et alternatif aux grands marchés qui sont déjà prospères aujourd'hui et qui sont potentiellement de longue durée. Cet accès par voie continentale serait d'abord plus rapide et offrirait des avantages non négligeables à certains technologies qui sont en train de se développer. Sur le plan théorique, tout cela semble séduisant, mais, en pratique, l'essentiel demeure absent, c'est-à-dire un système réellement existant de communications transcontinentales.
Pourquoi un tel système de communication n'est-il pas déjà disponible? Parce que la politique extérieure de la Russie bolchévique-stalinienne a commis une erreur fondamentale. En effet, les communistes ont été perpétuellement induits en erreur par un pronostic illusoire d'origine idéologique, prévoyant une évolution sociale conduisant à une révolution mondiale, qui, elle, allait réaliser l'“Idée” sur la Terre. En d'autres mots, au lieu de détruire la société bourgeoise, l'élite révolutionnaire russe aurait dû la consolider, afin de concentrer les énergies des masses sur la construction réelle du pays et sur l'exploitation “civilisée” de ses espaces et de ses richesses. La chimère de la révolution mondiale a englouti en Russie de colossales richesses, mais, simultanément, son importance géopolitique en tant que puissance continentale ne pouvait être détruite sur l'échiquier international.
L'ancien Empire russe avait justement émergé autour d'un axe constitué par une voie commerciale traversant l'Europe orientale, soit la voie ouverte par les Scandinaves et “conduisant des Varègues aux Grecs”. Par une sorte de constance du destin, le devenir actuel de la Russie dépend une nouvelle fois —et directement— de l'exploitation efficace d'un commerce transcontinental, de la croissance de marchés intérieurs au Grand Continent eurasien. Ce destin géopolitique, grand-continental et eurasien, les forces réellement productrices de la Russie commencent à la comprendre. Ces forces sont potentiellement génératrices d'Empire et peuvent être définie comme telles. Elles commencent aussi à formuler des exigences politiques propres. Et, à ce propos, Sergueï Gorodnikov, qui a consacré beaucoup d'attention à cette problématique, écrit:
«Notre besoin est le suivant: nous devons rapidement construire des structures de transport commerciales paneurasiatiques qui relieront toutes les civilisations créatrices; ensuite, notre besoin est de garantir militairement la sécurité de ces civilisations, ce qui correspond aussi complètement aux intérêts de l'Europe, je dirais même à ses intérêts les plus anciens et les plus spécifiques, tant dans le présent que dans l'avenir. C'est la raison pour laquelle le nationalisme russe ne doit pas seulement compter sur une neutralité (bienveillante) de l'Europe dans sa politique d'Etat. Mieux, il trouvera en Europe des forces très influentes qui pourront et devront devenir ses alliés. C'est toute particulièrement vrai pour l'Allemagne qui s'est renforcé par sa réunification et désire en secret retrouver toute son indépendance en tant qu'Etat et toute sa liberté de manœuvre» (2).
La nouvelle alliance stratégique paneurasiatique entre l'Est et l'Ouest aura pour élément constitutif l'alliance géopolitique inter-impériale entre l'Allemagne et la Russie, les deux détenteurs de la légitimité impériale romaine en Europe. Ce recours à l'antique légitimité romaine est une chose, la tâche actuelle de cette alliance en est une autre: il s'agit pour elle de fédérer les intérêts économiques et politiques dans une perspective de progrès tecnologique global. Il s'agit de rassembler toutes les forces intéressées à développer l'espace économique eurasiatique. Pour réaliser ce programme, il faudra créer des unités économiques suffisamment vastes pour obtenir les moyens nécessaires à développer des projets de telles dimensions et pour se défendre efficacement contre les résistances qu'opposeront les Américains et les Japonais. Construire des entités économiques de cette dimension implique une coopération étroite entre les potentiels techniques russes et européens.
Le combat qui attend Russes et Européens pour établir un nouvel ordre paneurasiatique sera aussi un combat contre les résidus de féodalisme et contre les formes politiques dépassées à l'intérieur même de ce grand continent en gestation, c'est-à-dire un combat contre les forces qui se dissimulent derrière une pensée tribale obsolète ou derrière un fondamentalisme islamique pour freiner par une résistance douteuse la progression d'une culture et d'une économie grande-continentale. Comme le développement de notre civilisation postule des exigences globales, ce combat devra être mené avec tous les moyens diplomatiques et militaires, jusqu'à la destruction totale des forces résiduaires. Seule une lutte sans merci contre les résidus d'un féodalisme millénaire, contre le “mode de production asiatique”, nous permettra de détruire les derniers bastions du vieux despotisme tyrannique et de la barbarie, surtout sur le territoire de la Russie où, aujourd'hui, ces forces se manifestent sous les aspects de la criminalité caucasienne et asiatique, des sombres bandes mafieuses, résultats de cette peste léguée par le bolchevisme: l'absence de toute loi et de tout droit.
Sur ce thème, je me permets de citer une fois de plus Sergueï Gorodnikov: «Il est clair qu'une tâche de ce type ne pourra être menée à bien que par un Etat fortement centralisé selon les conceptions civiles. Un tel Etat ne pourra exister que si l'armée marque la politique de son sceau, car l'armée, de par son organisation interne, est la seule institution étatique capable de juger, étape par étape, de la valeur politique des choses publiques et dont les intérêts sont identiques à ceux de la bourgeoisie industrielle en phase d'émergence. Seule une alliance étroite entre l'armée et la politique est en mesure de sauver l'industrie nationale de l'effondrement, les millions de travailleurs du chômage et de la faim et la société toute entière de la dégradation morale, d'extirper le banditisme et le terrorisme, de faire pièce à la corruption et de sauver l'Etat d'une catastrophe historique sans précédent. L'histoire du monde dans son ensemble a prouvé qu'il en est toujours ainsi, que les efforts d'une bourgeoisie entreprenante et industrielle ne peuvent reposer que sur l'institution militaire; ensuite, dans la société démocratique, il faudra accroître son prestige social au degré le plus élevé possible et l'impliquer dans l'élite effective de la machinerie étatique» (3).
Certes, cet accroissement du rôle socio-politique de l'armée, garante de la stabilité globale de l'Etat dans la situation présente, mais aussi de la stabilité de cette société civile en gestation, implique une légitimisation du statut particulier qu'acquerront ainsi les forces armées. En d'autres termes, il s'agit de créer une forme d'ordre politique où les autorités militaires et les autorités civiles soient des partenaires naturels sur base d'une séparation de leurs pouvoirs respectifs. Ensuite, un tel régime, qui pourrait être défini comme “régime de salut national”, postule l'existence d'une troisième force, une force intermédiaire, investie de la plus haute autorité dans cette tâche aussi important que spécifique consistant à fixer des normes juridiques. Une telle force pourrait s'incarner dans l'institution que serait la puissance même de l'Empereur, exprimant en soi et pour soi, et en accord avec les traditions historiques dont elle provient, l'idée d'un “compromis mobile” entre les intérêts de toutes les couches sociales. Ainsi, la dignité impériale à Byzance, qui s'est également incarnée dans les réalités de l'histoire russe, présentait quatre aspects fondamentaux. Ce qui revient à dire que l'Empereur russe-orthodoxe devrait être:
1) Protecteur de l'Eglise d'Etat en tant qu'institution sociale (C'est le pouvoir de l'Empereur en tant que Pontifex Maximus).
2) Représentant dans intérêts du peuple (Pleins pouvoirs de l'Empereur en tant que tribun populaire).
3) Chef des forces armées (Pleins pouvoirs d'un Proconsul ou du Dictateur au sens romain du terme).
4) Autorité juridique supérieure (Pleins pouvoirs du Censeur).
L'autorité et la stabilité d'un véritable pouvoir d'Imperator dépend directement de la fidélité de l'Empereur aux principes fondamentaux de la Tradition, au sens théologique comme au sens juridique du terme. C'est pourquoi ce pouvoir dans le contexte russe signifie que, d'une part, le rôle social de l'Eglise orthodoxe devra être fixé et déterminé, de même que, d'autre part, les traditions de la société civile. Une particularité de l'idée impériale russe réside en ceci qu'elle a repris à son compte l'idéal byzantin de “symphonie” entre l'Eglise et l'Etat, c'est-à-dire de la correspondance pratique entre les concepts d'orthodoxie et de citoyenneté, sur laquelle se base également la doctrine russe-byzantine d'un Etat éthique qui serait celui de la “Troisième Rome”, d'un nouvel Empire écouménique.
Dans quelle mesure ces idéaux sont-ils réalisables à notre époque? Question compliquée, pleine de contradictions, mais que les Russes d'aujourd'hui sont obligés de se poser, afin de s'orienter avant de relancer le traditionalisme russe et d'en faire l'idéologie de la grande puissance politique qu'ils entendent reconstruire. Le retour de ces thématiques indique quelles sont les tendances souterraines à l'œuvre dans le processus de formation de la société civile russe. Si, en Europe, c'est la culture qui a été porteuse des traditions antiques et donc des traditions civiles, en Russie c'est la religion qui a joué ce rôle, c'est-à-dire l'Eglise orthodoxe; c'est elle qui a fait le lien. En constatant ce fait d'histoire, nous pouvons avancer que la renaissance réelle de la société civile en Russie est liée inévitablement au déploiement de l'héritage antique véhiculé par l'Eglise orthodoxe. Il me semble que l'essentiel des traditions politiques antiques réside justement dans les traditions qui sous-tendent la puissance impériale au sens idéal et qui sont proches du contenu philosophique de l'Etat idéaliste-platonicien.
Quelles sont les possibilités d'une restauration concrète de l'idée impériale civile et d'un ordre impérial en Russie? Ce processus de restauration passera sans doute par une phase de “dictature césarienne”, parce que, comme l'a un jour pertinemment écrit Hans-Dieter Sander, on ne peut pas créer un Empire sans un César. En effet, seul un César, élevé légitimement au rang de dictateur militaire, est capable de consolider les intérêts des forces les plus productives de la Nation à un moment historique précis du développement social et d'incarner dans sa personne les positions morales, politiques et socio-économiques de ces forces et, ainsi, sous sa responsabilité personnelle en tant que personalité charismatique, de jeter les fondements d'une nouvelle société, représentant un progrès historique.
Le but principal en politique intérieure que devrait s'assigner tout césarisme russe serait de préparer et de convoquer une représentation de tous les “états” de la nation, en somme une Diète nationale, qui, en vertu des traditions du droit russe, est le seul organe plénipotentiaire qui peut exprimer la volonté nationale génératrice d'histoire. Cette Diète nationale détient aussi le droit préalable de déterminer la structure générale de l'Etat russe et de réclamer l'intronisation de l'Empereur. La Diète nationale est ainsi en mesure de légitimer la restauration de l'Empire et, s'il le faut, de constituer un régime préliminaire constitué d'une dictature de type césarien (Jules César avait reçu les pleins pouvoirs du Sénat romain qui avait accepté et reconnu officiellement sa légitimité).
Toute restauration cohérente de l'Empire, au sens traditionnel, métaphysique et politique du terme, n'est possible en Russie, à mes yeux, que si l'on accroît le rôle socio-politique de l'armée et de l'Eglise, mais aussi si l'on consolide l'autorité des juges. Car ce sont précisément les juges (et en premier lieu les juges à l'échelon le plus élevé de la hiérarchie et de la magistrature impériales) qui pourront jouer un rôle médiateur important dans la future restructuration totale de la société russe, en travaillant à créer des institutions juridiques stables. D'abord parce que cette valorisation du rôle des juges correspond à la tradition historique russe, à l'essence même de l'Etat russe (par exemple: dans la Russie impériale, le Sénat était surtout l'instance juridique suprême, disposant de pleins-pouvoirs étendus et normatifs, dans le même esprit que le droit prétorien romain). Ensuite, cette revalorisation du rôle des juges constitue également la réponse appropriée à l'état déliquescent de la société russe actuelle, où règne un nihilisme juridique absolu. Ce phénomène social catastrophique ne peut se combattre que s'il existe au sein de l'Etat une caste influente de juristes professionnels, disposant de pouvoirs étendus.
Lorsqu'on évoque une société reposant sur le droit —ce qui est d'autant plus pertinent lorsque l'on se situe dans le contexte général d'un Empire— on ne doit pas oublier que tant l'Europe continentale que la Russie sont héritières des traditions du droit romain, tant sur le plan du droit civil que du droit public. Lorsque nous parlons dans la perspective d'une coopération globale entre Européens et Russes, nous ne pouvons évidemment pas laisser les dimensions juridiques en dehors de notre champ d'attention. Le droit romain, dans sa version justinienne, a jeté les fondements de l'impérialité allemande et de l'impérialité russe. C'est donc cet héritage commun aux peuples impériaux germanique et slave qui devra garantir une coopération harmonieuse et durable, par la création d'un espace juridique et impérial unitaire et grand-continental. En plus de cet héritage juridique romain, Allemands et Russes partage un autre leg, celui de la théologie impériale. A ce propos, j'aimerai terminer en citant un extrait du débat qu'avaient animé le Dr. Reinhold Oberlercher et quelques-uns de ses amis:
OBERLERCHER: «Dans le concept de Reich, le processus de sécularisation n'est jamais véritablement arrivé à ses fins: le Reich demeure une catégorie politico-théologique. Dans la notion de Reich, l'au-delà et l'en-deçà sont encore étroitement liés». Lothar PENZ: «Cela veut donc dire que nous devons retourner au Concile de Nicée!» (approbation générale) (4).
Je pense aussi que le Concile de Nicée a effectivement jeté les bases véritables d'une théologie impériale, même si, à l'Ouest et à l'Est celle-ci a été interprétée différemment sur les plans théorique et liturgique. Il n'en demeure pas moins vrai que le lien subtil entre au-delà et en-deçà demeure présent dans l'existence de l'Empire (du Reich) comme un mystère déterminé par Dieu.
Vladimir WIEDEMANN.
(texte remis lors de la “Freideutsche Sommeruniversität” en août 1995; également paru dans la revue berlinoise Sleipnir, n°5/95).00:25 Publié dans Affaires européennes, Eurasisme, Géopolitique, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 21 octobre 2007
Empires océaniques des steppes et des mers ouvertes
Les empires océaniques des steppes et des mers ouvertes
Guido GIANNETTINI
L'empire qui a connu la plus grande expansion au cours de l'histoire a été celui des Mongols, qui ont proclamé leur chef Djingghis Khan (Gengis Khan), soit le “souverain océanique”. C'est dans ce sens que je vais parler, dans cet exposé, d'“empires océaniques”. Les “empires océaniques” des steppes sont originaires d'Asie Centrale, justement comme celui des Mongols. Les “empires océaniques” des mers extérieures se sont constitués à partir du 16ième siècle de notre ère sous l'impulsion des grandes puissances européennes qui se sont projetées sur les mers du globe.
Il existait toutefois, avant ces deux types d'empires “océaniques”, un type différent, anomal, qu'on pourrait attribuer au type “océanique”: c'est celui qui s'est constitué au départ de l'expansion des cavaliers arabes entre le 7ième et le 8ième siècles de notre ère et qui s'est dissous en l'espace d'un matin. Il s'agit à mes yeux d'une apparition mystérieuse et inexplicable sur la scène de l'histoire. Mais c'est un mystère que je me dois d'expliquer avant de passer à l'argument spécifique de mon exposé.
L'expansion des cavaliers arabes entre le 7ième et le 8ième siècles de notre ère est une expansion veritablement hors norme, que l'on ne pourra pas comparer à un autre exemple historique semblable, antérieur ou postérieur. D'un point de vue géopolitique, cette expansion paraît absurde.
Il n'existe aucun exemple de conquête par voie de terre partie d'une péninsule (la péninsule arabique) qui ait pénétré profondément dans la masse continentale (l'Asie occidentale) puis s'est étendue sur un littoral très long mais sans aucune profondeur (l'Afrique du Nord). Dans tout le cours de l'histoire, on n'a jamais vu quelque chose de semblable. D'un point de vue géopolitique, les conquêtes arabes présentent toutes les caractéristiques des expansions propres aux puissances navales, qui, elles, procèdent par “lignes extérieures”, sur les marges des masses continentales. Dans le cas de l'expansion arabe, nous avons une occupation d'une bande littorale, mais effectuée par voie terrestre.
Les causes de cette expansion hors norme sont au nombre de deux. Tout d'abord, il faut savoir que le désert est comme la mer: on ne peut pas l'occuper, on peut simplement tenir en son pouvoir les oasis, comme la puissance maritime occupe et tient en son pouvoir les îles de l'océan. La seconde cause doit être recherchée dans le caractère fortuit, inconsistent, inexistent des conquêtes —en langue arabe il existe un terme indiquant quelque chose qui n'existe pas, mahjas, dont dérive le mot italien mafia; c'est quelque chose d'inexistent mais qui existe tout de même. Nous avons donc affaire à un empire territorial créé à parti de ce rien qui est tout de même quelque chose.
L'expansion des Arabes au départ de leur péninsule d'origine a été rendue possible par une série inédite de facteurs fortuits, tous concentrés dans le même espace temporel. En premier lieu, l'expansion arabe a bénéficié de la faiblesse intrinsèque, à l'époque, des empires byzantin et sassanide, littéralement déchiquetés par plus de vingt années de guerres ruineuses où ils s'étaient mutuellement affrontés. Cet état de déliquescence mettait quasiment ces empires dans l'impossibilité d'armer des troupes et de les envoyer loin, à mille, à deux mille kilomètres de leur centre, où même plus loin encore, contre ce nouvel ennemi qui déboulait subitement du désert. Pire, il leur était impossible de reconstituer des armées dans des délais suffisamment brefs, si celles-ci étaient détruites. En effet, une puissante armée byzantine avait été anéantie sur le Yarmouk en 636 et une autre, sassanide, avait été écrasée par les Arabes à Nehavend en 642. La raison de cette double défaite était d'ordre climatique: le vent du désert, le simoun (de l'arabe samum), avait soufflé dans leur direction pendant plusieurs jours d'affilée, les avait immobilisés et assoiffés, tandis que leurs adversaires arabes combattaient avec le vent qui les poussait dans le dos, sans qu'ils ne fussent génés en rien par la tempête de sable.
Autre facteur qui a rendu aisée l'expansion des Arabes: les luttes intestines qui divisaient les Byzantins, d'un côté, les Wisigoths d'Espagne, de l'autre. L'empire byzantin venait de traverser une tumultueuse querelle d'ordre religieuse, assortie d'un cortège de violences et de persécutions. Pour toutes ces raisons, entre 635 et 649, les autorités religieuses et les populations ont confié spontanément aux Arabes les villes de Damas, Jérusalem, Alexandrie d'Egypte, de même que l'île de Chypre. Ensuite, à cette époque-là, les autorités musulmanes se montraient tolérantes (au contraire des fanatismes intégralistes que l'on a pu observer par la suite) et se sont empressées de souligner les traits communs unissant les fois chrétienne et islamique. Elles ont accepté que les habitants de confession chrétienne dans les cités conquises exercent librement leur culte et se sont borné à lever une taxe, modérée en regard de ce qu'exigeait auparavant le basileus byzantin.
La conquête de l'Espagne s'est déroulée dans des conditios analogues. Après le décès du roi wisigoth Wititsa, deux prétendants se sont disputé le trône: Roderich et Akila. Ce dernier a fait appel aux Arabes et leur chef, Tariq Ibn Ziyad débarque en 711 dans la péninsule ibérique en un lieu qui porte encore son nom, Gibraltar, de l'arabe Djabal Tariq, “la montagne de Tariq”. Son armée est forte de 7000 hommes, en grande partie originaires du Maghreb. Ils seront suivis par d'autres. Les Arabes et les Wisigoths partisans d'Akila finissent par avoir raison des Wisigoths partisans de Roderich. Ces derniers sont attaqués dans le dos par les Basques et par la communauté juive, qui est particulièrement nombreuse en Ibérie (elle est la plus forte diaspora d'Europe). Les Juifs se soulèvent, équipent une armée et s'emparent de plusieurs villes qu'ils livrent aux Arabes, tandis que les féaux de Roderich commencent à déserter.
Toutefois, les Arabes, malgré ce concours de circonstances favorables, ont eu du mal à briser la résistance des Wisigoths. Ils n'ont pas pu occuper toute la péninsule ibérique, parce que les montagnards du Nord et des Cantabriques ont repoussé toutes leurs tentatives de conquête. Ensuite, après avoir tenté de pénétrer en France, les Arabes sont définitivement vaincus en 732 près de Poitiers. La défaite de Poitiers, ainsi que l'échec de l'attaque contre Constantinople, mettent fin à l'expansion arabe.
Le déclin a été quasi immédiat. A peine 23 ans après avoir atteint le maximum de son expansion —à la veille de la bataille de Poitiers— le grand empire arabe de Samarcande à l'Atlantique commence à se désagréger: en 755, le Califat ommayade d'Espagne fait sécession, suivi immédiatement par d'autres Etats arabes séparatistes du Maghreb, d'Egypte et d'Orient. Mais un grand empire avait existé, pendant peu de temps, il n'a tenu que 23 ans!
Un empire rêvé, crée par un peuple de rêve et forgé par une culture imaginée: mahjas. En effet, le peuple arabe, créateur de cet empire, n'était pas un peuple selon l'acception commune, c'est-à-dire la fusion de tribus sœurs issues d'un même désert arabique; il n'allait pas le devenir non plus, mais au contraire, juxtaposer en sa communauté de combat des peuples de plus en plus différents, issus des pays conquis.
Mais la culture arabe, elle, est plus homogène. L'islamisme est une forme de syncrétisme religieux alliant des élements de judaïsme et de christianisme et reprenant à son compte des courants chrétiens considérés comme “hérétiques”. La philosophie arabe est une reprise pure et simple de la philosophie grecque, basée sur la dichotomie Platon/Aristote. Les bases des connaissances mathématiques, astronomiques, géographiques, physiques et même ésoteriques dans le monde arabe au temps de la grande conquête sont d'origines grecque et persane. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la pensée arabe est une pensée ouverte aux cultures grecque et iranienne (car l'ancienne civilisation du pays d'Aryanam n'est pas orientale). C'est patent à l'époque du Califat abasside, quand l'Islam, après la chute de l'empire sassanide, a subi directement et puissamment l'influence des peuples conquis.
L'art arabe en général, comme l'art mauresque en Espagne, est constitué de variantes de l'art roman ou byzantin. Enfin, les chiffres considérés comme “arabes” sont en fait indiens, mais les Arabes les ont transmis à l'Europe. Comme du reste d'autres faits de culture venus des régions indo-européanisées d'Asie, tel le jeu d'échecs, qui est iranien, mais nous est parvenu grâce à la médiation arabe.
En réalité, les Arabes ont surtout exporté leur langue en Afrique et en Orient. Mais comme on peut observer que les langues sémitiques sont très proches les unes des autres, et ne sont finalement que des dialectes d'une même langue, cette similitude a favorisé la diffusion de l'arabe dans de nombreuses régions.
Le grand atout de la culture arabe au temps de la grande conquête a été l'extraordinaire capacité, et même le mérite, d'appréhender sans frein tout ce qui venait d'ailleurs, de le remodeler et de le diffuser tous azimuts. Une telle capacité, même si elle peut être interprétée comme un absence de spécificité propre, a contribué à atténuer les rigidifications à l'œuvre dans le monde entourant les Arabes, rigidités qui expliquent aussi l'expansion fulgurante de ceux-ci, qui serait incompréhensible autrement.
Pendant près de 1800 ans, du début du Vième siècle ap. J.C., jusqu'à l'époque de Gengis Khan, les peuples turcs ont dominé l'Asie centrale septentrionale, puis se sont répandus dans l'Asie occidentale pour donner ensuite l'assaut à l'Europe. Cette phase d'expansion commence vers l'an 1000, quand la domination turque en Asie n'est pas encore achevée. Elle se manifeste surtout dans la longue lutte contre l'empire byzantin, qui se terminera par la chute de Constantinople (1453) et par les raids dans l'espace danubien. La phase descendante commence, elle, par l'échec du siège ottoman de Vienne (1683) et surtout par la reconquête du Sud-Est européen sous l'égide du Prince Eugène, actif dans la région de 1697 à1718, puis de ses successeurs qui guerroyèrent pendant vingt ans pour imposer aux Ottomans la Paix de Belgrade en 1739.
Même sans prendre en considération les 180 dernières années de vie de l'Empire ottoman —depuis la Paix de Belgrade jusqu'à sa fin en 1918— nous constatons que l'expansion de cette puissance turque s'étend sur un arc de treize siècles, pendant lesquels les peuples turcs, habitant à la charnière de l'Europe et de l'Asie, ont joué un rôle primordial parmi les protagonistes de l'Histoire. Il ne s'agissait certes pas d'un Etat unique et d'un peuple unique et cette histoire a connu des phases sombres et de déclin, mais cela s'observe également dans l'histoire de l'empire romain ou des empires des divers peuples de l'Iran, les Mèdes et les Perses, les Parthes et les Sassanides.
La préhistoire des peuples turcs présente encore beaucoup de zones d'ombre et d'incertitudes, comme du reste celle des peuples mongols. Malgré ces difficultés, nous pouvons affirmer aujourd'hui que le peuple proto-turc le plus ancien —le nom “Turc” ne se diffusera qu'ultérieurement— apparaît sur le théâtre de l'Histoire vers l'année 400 de notre ère: c'est le peuple des Tabgha'c, originaires d'Asie septentrionale, qui, en 70 ans à peu près, domine toute la Chine septentrionale, depuis les Monts Dabie Shan (limite septentrionale des affluents de la rive gauche du fleuve Yang-Tse). Ce sont eux qui fondent la dynastie Wei.
Tandis que les Proto-Turcs Tabgha'c descendent sur la Chine du Nord, en Asie septentrionale, dans la région dont les Tabgha'c sont originaires, se rassemble le peuple des Juan-Juan, connus également sous le nom de Ju-Jan, Ju-Ju ou Jui-Jui. Certains savants les identifient aux War ou Apar ou Avars qui atteindront la Hongrie. D'autres prétendent qu'ils ne sont pas identiques mais parents. Les Juan-Juan étaient des Proto-Mongols, mais leur empire a englobé aussi des peuples proto-turcs ou turcs, paléo-asiatiques et, forcément, des tribus d'autres ethnies.
Vers 520, leur empire commence à s'affaiblir, puis tombe en déclin, à la suite d'une révolte de deux clans que les sources chinoises appellent respectivement les T'u-küeh et les Kao-kü.
Les premiers sont originaires des Monts Altaï et sont les ancêtres des Turcs, le terme chinois T'u-küeh correspondant à Türküt, pluriel mongol de Türk, c'est-à-dire “homme fort” en langue turque. Notons toutefois que quelques auteurs interprètent le terme “Türk” comme un pluriel, “Tür-k”, par analogie à “Tur-an”, pluriel de “Tur”: dans ce cas, il s'agirait d'une reprise par les Turcs d'une dénomination d'origine iranienne, désignant l'“Iran extérieur”. Ensuite, l'autre clan en révolte contre les Juan-Juan était également turc, c'était celui des Tölös, ancêtres des Ouighours.
C'est ainsi que les Turcs, sur les ruines de l'empire des Juan-Juan, ont fondé leur propre empire, s'étendant de Jehol (aux confins de la Mandchourie moderne) jusqu'à la Mer d'Aral, territoire correspondant à toute la zone méridionale du Heartland de Mackinder. Pendant 300 ans environ, l'empire turc —malgré sa division en deux Etats (quasiment depuis le début), l'un oriental, l'autre occidental— a dominé le cœur de l'Asie. Puis, vers la moitié du VIIIième siècle, sa partie orientale est absorbée par les Ouighours, eux aussi d'origine turque, tandis que la partie occidentale se fractionne en khanats indépendants.
A partir du khanat des Oghuz, situé dans un territoire au nord du Lac Balkach, se profile d'abord le clan des Seldjouks, qui amorce par la suite un mouvement vers l'Ouest, leur permettant d'abord de conquérir l'Iran oriental, puis l'Iran occidental, ce qui les rend maîtres du versant sud-occidental du Heartland. C'est après la consolidation de cette phase-là de leurs conquêtes, que les Seldjouks se mettent à attaquer l'Empire romain d'Orient (Byzance), bastion avancé de l'Europe contre les invasions venues d'Asie. D'un point de vue géopolitique, il s'agit de la même ligne d'expansion qu'avaient empruntée précédemment les empires iraniens.
Mais les Seldjouks ne sont jamais arrivés en Europe. La dynastie des Osmanli se profile au XIIIième siècle en Anatolie, prend le contrôle de la partie occidentale de l'empire seldjouk et réamorce les pressions expansives en direction de l'Occident. Les Osmanlilar —pluriel turc qui désigne ceux que les Occidentaux appellent les Ottomans— s'emparent de toute l'Anatolie et, sans tenter de conquérir l'enclave byzantine que sont Constantinople et la Thrace orientale— passent en Europe, atteignent le Danube au cours du XIVième siècle. Ce n'est qu'après avoir atteint le Danube que les Turcs lancent l'ultime assaut contre Constantinople qu'ils conquièrent en 1453.
Ensuite, une série de campagnes militaires les amènent aux portes de Vienne qu'ils assiègent en 1683. Au même moment, les Ottomans, disposant de la plus forte puissance musulmane, deviennent les protecteurs du monde islamique et imposent leur autorité aux Etats arabes d'Afrique du Nord et du Maghreb.
Pourtant, l'histoire de l'expansion ottomane nous apprend que l'on ne peut pas contrôler l'Europe seulement en contrôlant les côtes méridionales de la Méditerranée. En pénétrant par le Sud-Est, à travers les Balkans et l'espace danubien, les Ottomans atteignent la porte d'entrée du cœur de l'Europe, Vienne et Pressburg/Bratislava. Leur calcul était clair: ou bien ils franchissaient cette porte et s'emparaient de l'Europe, ou bien ils étaient refoulés. L'avancée des Trucs en direction du cœur germanique de l'Europe a été bloquée. Les Européens ont reconquis les Balkans. Les Osmanlilar sont tombés en décadence. Les Turcs, comme toutes les tribus ouralo-altaïques avant de commencer leur expansion, habitaient les steppes eurasiatiques, dans des territoires voisins de ceux qu'avaient occupés plusieurs peuples indo-européens entre le IIIième et le IIième millénaires avant J.C. Ce voisinage a provoqué des échanges, ce qui a donné, à la longue, des similitudes culturelles entre Indo-Européens et Proto-Turcs: par exemple, le caractère guerrier de leurs sociétés, l'association homme/cheval et la structure hiérarchique et patriarcale des sociétés. En matières religieuses —l'islamisation des Turcs n'aura lieu que très tard et ne concernera que les Turcs d'Asie occidentale— nous constatons une typologie céleste et solaire des divinités suprêmes.
Citons par exemple Tenggri, “le dieu bleu du Ciel“ ouralo-altaïque, ou le bi-Tenggri turc, phrase signifiant “Dieu est” que l'on a retrouvé grâce à la tradition hsiung-nu. Elle se rapproche de la racine indo-européenne du nom de Dieu, *D(e)in/Dei-(e)/Dyeu, signifiant “lumière active du jour, splendeur, ciel”. L'origine ethnique des Turcs, selon leur Tradition, présente une analogie singulière avec l'origine mythique de Rome: le totem des Turcs était le loup et leur héros éponyme aurait été alaité par une louve, exactement comme Romulus et Remus.
Enfin, à la fin des temps archaïques, la culture indo-iranienne s'est imposée à toute l'Asie centrale. Cette influence a également marqué les Turcs Seldjouks aux XIième et XIIième siècles après J.C., quand ils se sont répandus à travers le territoire iranien et ont retrouvé une sorte de familiarité avec la culture iranienne, dans la mesure où les chefs et les souverains conquérants se paraient ostentativement de noms tirés des textes épiques du Shahnameh, comme Kai Kosrau, Kai Kaus, Kai Kobad.
Plus tard, les Ottomans, surtout après la conquête de Constantinople, ont voulu montrer qu'ils assuraient la continuité de l'empire byzantin. D'abord, ils installent leur capitale dans la ville même de Constantinople, en ne changeant son nom qu'en apparence, car Istanbul dérive de “is tin pol”, prononciation turque de la désignation grecque “eis ten polis”, soit “ceux qui viennent dans la Cité”.
Dans leur bannière, les Ottomans ont repris la couleur rouge de Byzance, la frappant non pas de l'étoile et du quart de lune actuels, mais du soyombo altaïque, qui possède la même signification que le t'aeguk coréen représentant le yin et le yang, c'est-à-dire l'union du soleil et de la lune que l'on retrouve encore dans les drapeaux mongol et népalais: le soleil y est un astre à plusieurs rayons (de nombre paire), la lune y est un croissant comme dans le premier et le dernier quart de ses phases. Le soleil contenu dans le soyombo était encore bien présent au début de notre siècle: il n'a été remplacé que sous l'influence des “Jeunes Turcs” par l'étoile maçonnique à cinq branches qui, avec le quart de lune, évoque le symbolisme oriental du ciel nocturne.
L'empire ottoman et, avant lui, celui des Seldjouks, ont été en contact avec des territoires dont la valeur géopolitique est spécifique et significative: la région danubienne-anatolienne et la région iranique. Ces territoires semblent exiger de leurs maîtres d'assumer la même fonction que celle qu'assumaient avant eux les peuples qui les ont habités. Surtout dans le cas iranien, qui évoquait en un certain sens le monde de leurs origines.
Les Mongols sont le seul peuple à avoir conquis une bonne part de la World-Island, l'île du monde eurasiatique telle que la définissent les théories géopolitiques de Halford John Mackinder, étendant leur domination des côtes du Pacifique à la Mer Noire, en poussant même des pointes en direction de l'Allemagne et de l'Adriatique. La base de départ de leur expansion était la zone centrale du Heartland, selon un développement qui semblait suivre avec grande précision les lignes de la géopolitique la plus classique.
Dans ce cas, toutefois, le terme “mongol” est impropre. En fait, au début de l'“Année de la Panthère”, soit au printemps de 1206, Gengis Khan, le “souverain océanique”, dont le pouvoir s'étendait aux rives de quatre océans, qui descendait du Börte-Chino (le “Loup bleu du Ciel”) et de Qoa-Maral (la “Biche fauve”), convoque aux bouches du fleuve Onon le quriltai, la grande assemblée, réunie autour du tuk impérial (le drapeau blanc avec le gerfaut, le trident de flammes, les neuf queues bleues de yaks et les quatre queues blanches de chevaux). Y viennent les chefs d'une vaste coalition de peuples appelés à former le monghol ulus, la nouvelle grande nation mongole. Mais, outre le Kökä Monghol, c'est-à-dire les “Mongols bleus gengiskhanides”, on trouvait, au sein de ce rassemblement qu'était la nouvelle grande nation mongole, des Mongols Oirat et Bouriates, les Turco-Mongols Merkit, les Toungouzes Tatarlar (Tatars) et les Turcs Kereit, Nemba'en (ou Nayman), les Ouighours et les Kirghizes.
Pour avoir accordé à tous ces peuples la nouvelle “nationalité” mongole dans le cadre de l'empire du “souverain océanique”, le “monghol ulus” était une coalition ethnique aux composantes variées, que l'on ne définira pas comme proprement “mongole” mais plutôt comme “altaïque” ou comme “centre-asiatique”, vu que cette nation élargie comprenait des peuples importants, ainsi que des tribus et des clans paléo-asiatiques et irano-touraniques.
L'expansion des Mongols en direction de l'Occident a été jugée de manières forts différentes par les peuples qui l'ont subie ou observée. En règle générale, cette expansion a suscité la terreur, de l'Asie centrale à la Russie, de l'Allemagne à la Hongrie, surtout en raison des terribles massacres commis par les envahisseurs.
Cependant, les Francs du Levant, détenteurs des Etats croisés survivant vaille que vaille, ont, eux, accueilli les Mongols comme des libérateurs. Dans leur cas, il ne s'agissait plus du “souverain océanique” mais de son petit-fils Hülagü, Khan de Perse et grand massacreur de musulmans. Hülagü combattait sans distinction tous les peuples islamiques, tant les Arabes que les Turcs occidentaux (les Seldjouks), et cela, pour deux motifs: l'un d'ordre essentiellement stratégique, l'autre, religieux. Le motif stratégique, c'était que, de fait, les Turcs occidentaux et les Arabes constituaient un obstacle à l'expansion mongole. Quant au motif religieux, les Mongols étaient à cette époque, pour une grande partie d'entre eux, des chrétiens nestoriens ou des bouddhistes. Hülagü était bouddhiste et sa favorite, Doquz-Khatoun, était chrétienne-nestorienne. Dès lors, ils massacraient tous les musulmans et épargnaient les chrétiens.
C'est pour cette raison que les Francs du Levant ont proclamé Hülagü et Doquz-Khatoun, le “nouveau Constantin et la nouvelle Hélène, très saints souverains unis pour la libération du Sépulcre du Christ”. Mongols et Croisés frappaient tous leurs étendards de croix et égorgeaient ou décapitaient tous les musulmans qui avaient l'infortune de se trouver sur leur chemin en Syrie ou en Palestine: les anciennes chroniques parlent de 1755 pyramides de têtes tranchées.
Mais quand la terreur a cessé, la moitié septentrionale de l'empire gengiskhanide a vécu la “pax mongolica”, permettant de réouvrir la “route de la soie” et de reprendre les échanges commerciaux entre l'Europe, l'Asie centrale et l'Extrême-Orient.
Plus tard, entre le XIVième et le XVième siècles, l'expansion ottomane en Europe et au Levant, de même que la turcisation et l'islamisation des khanats d'origine gengiskhanide d'Asie occidentale, ont provoqué un renversement complet de la situation: les contacts et les échanges entre l'Europe, l'Asie centrale et l'Extrême-Orient sont devenus très problématiques. Cette rupture des communications ont contraint notamment le Portugal et l'Espagne à franchir l'obstacle en amorçant une expansion maritime. Cette expansion outre-mer non seulement a réussi à rouvrir la route de l'Inde, mais aussi permi la découverte du Nouveau Monde. L'enjeu a donc été bien plus important qu'on ne l'avait prévu et l'expansion maritime des deux nations ibériques a été vite imitée par de nouvelles puissances navales, telles l'Angleterre, la Hollande et la France.
L'impossibilité d'atteindre rapidement et facilement l'Asie centrale et l'Extrême-Orient par les routes terrestres a obligé les Etats européens, à partir du XVième siècle, a opté pour une approche géopolitique complètement différente et de contourner par voie maritime toute la World-Island, dans le but d'en atteindre les extrémités orientales par des voies extérieures. En d'autres termes, l'Europe, ne pouvant plus appliquer les règles découvertes cinq siècles plus tard par Mackinder, soit les règles de la géopolitique continentale, a à l'unanimité adopté celles de la géopolitique maritime, soit celles qu'allaient découvrir Mahan. L'Europe a donc abandonné son pouvoir continental pour partir à la recherche d'un pouvoir naval.
Au début, la valeur géopolitique de cette nouvelle option n'apparaissait pas très claire: il ne s'agissait pas encore d'une véritable expansion politique et stratégique, mais seulement de l'ouverture de voies commerciales. Toutefois, on est rapidement passé des comptoirs et établissements commerciaux à l'organisation de bases militaires et de points d'appui, occupés par des troupes. Ensuite, on s'est conquis des domaines coloniaux. A partir de ce moment-là, la pertinence géopolitique de l'expansion européenne d'outre-mer est dévenue très évidente.
Le Portugal établit ainsi en 1415 sa première tête de pont en Afrique, mais c'est encore en Méditerranée: il s'agit de la ville de Ceuta au Maroc, qu'il perdra par la suite à l'avantage de l'Espagne. Ensuite, les Portugais traversent l'Atlantique oriental, et commencent à contourner par voie maritime le continent noir. Ils abordent à Madère en 1417, aux Açores en 1431, au Cap Vert en 1445; ils atteignent l'embouchure du fleuve Congo en 1485, arrivent au Cap de Bonne Espérance en 1487 et, enfin, débarquent à Calicut (Kalikat/Kojikode) sur la côte sud-occidentale de la péninsule indienne. Ce n'est qu'après avoir ouvert la route des Indes que les Portugais se donnent de solides possessions coloniales le long de cette voie. Elles sont de véritables points d'appui stables pour garantir la libre circulation sur cette grande voie maritime. Ainsi, après Madère, les Açores, le Cap Vert et la Guinée, qui, de concert avec la métropole portugaise, formaient un système en soi, se sont ajoutées des colonies lointaines comme le Mozanbique (1506-07), la ville de Goa en Inde (1510) et l'Angola (1517).
Après s'être assuré de tous ces points d'appui et territoires, les Portugais complètent leur réseau de relais sur le chemin de la Chine en conquérant la partie orientale de l'île indonésienne de Timor en 1520 et en s'installant à Macao en 1553. Les Hollandais les empêchent de prendre l'ensemble de l'archipel. L'accès aux voies maritimes vers l'Orient est consolidé par la prise de possession de la côte occidentale de l'Atlantique, c'est-à-dire le Brésil, où le Portugal installe son premier point d'appui en 1526. Il achève la conquête du pays en 1680, après en avoir chassé les Hollandais.
L'Espagne évite dès lors toute tentative sur la route des Indes, déjà contrôlée par les Portugais. C'est cet état de choses qui motive la décision de la Reine Isabelle d'appuyer le projet de Colomb de trouver une autre route vers les Indes, en partant de l'Ouest au lieu de se diriger directement vers l'Est. Colomb n'a jamais atteint les Indes, mais, en revanche, il a découvert un autre continent, l'Amérique, qui s'est vite révélée très riche. L'Espagne s'est donc étendue à ce nouveau continent et en a occupé la moitié.
La découverte de l'Amérique réveille l'intérêt de l'Angleterre et de la France qui, contrairement à l'Espagne qui se projette sur la partie centrale et méridionale de ce double continent, tentent de s'emparer de sa partie septentrionale, à l'exception d'une brève parenthèse constituée par une tentative française de s'installer au Brésil entre 1555 et 1567. Anglais et Français commencent par n'assurer qu'une simple présence commerciale puis se taillent des domaines ouverts à la colonisation. Pour prospecter ce continent, les Anglais envoient en Amérique du Nord l'Italien Sebastiano Caboto (John Cabot) entre 1497 et 1498. Les Français envoient un autre Italien, Verrazzano en 1524, puis un des leurs, Cartier, en 1534. Mais toutes ces tentatives françaises et anglaises ne sont encore que des expédients: elles n'indiquent pas une ligne géopolitique spécifique et bien définie.
Le pouvoir naval anglais trouve ses origines dans les opérations conduites par l'ex-corsaire Sir Francis Drake entre 1572 et 1577. Ensuite, en 1584, Sir Walter Raleigh fonde la colonie de la Virginie, premier foyer de la future Nouvelle-Angleterre. Enfin, à partir de 1600, l'Angleterre se projette au-délà de l'Atlantique Sud et de l'Océan Indien et commence son expansion aux Indes, affrontant d'abord les Portugais, puis les Français.
Pendant une brève période de quelques décennies, le sea power anglais connaît une éclipse, causée par l'expansion outre-mer de la Hollande, qui venait d'arracher son indépendance à l'Espagne.
Les Hollandais, après l'expédition de Willem Barents dans les régions polaires, dans l'intention de trouver un passage maritime par le Nord pour atteindre la Chine, et après une guerre contre l'Angleterre au XVIIième siècle, prennent la même route que les Portugais vers les Indes, s'installent en Indonésie à partir de 1602, chassent les Portugais de Ceylan en 1609, et commencent à coloniser l'Afrique du Sud à partir de 1652. Les Boeren (Boers), terme signifiant “paysans”, sont donc les premiers habitants du pays, car ils s'y installent avant toutes les populations noires-africaines d'aujourd'hui. Toutefois les Hollandais ne renoncent pas à l'Amérique: en 1626, ils acquièrent l'île de Manhattan qu'ils achètent aux Ongwehonwe (les Iroquois) et lui donnent le nom de Nieuw Amsterdam. Les Anglais, en s'en emparant, lui donneront le nom de New York. Enfin, les Hollandais tentent de s'installer entre 1624 et 1664 dans le Nord-Est du Brésil.
Au cours de la seconde moitié du XVIIième siècle, la puissance navale anglaise renaît et la puissance navale française se forme. Toutes deux vont s'affronter. Tant la France que l'Angleterre tenteront une double expansion, vers l'Asie et vers l'Amérique du Nord.
La France en particulier tente de consolider ses possessions canadiennes, à partir de 1603. Ensuite, elle projette ses énergies vers l'Océan Indien, prend le contrôle de Madagascar entre 1643 et 1672, s'empare de l'île de la Réunion en 1654, afin de pénétrer dans le sub-continent indien. Toutefois tant l'Inde que le Canada lui échapperont, en dépit de l'acquisition de la Louisiane en 1682, qui soudait le territoire français d'Amérique du Nord, depuis la Baie de Hudson jusqu'au Golfe du Mexique. La France a dû céder le pas à l'Angleterre qui impose sa suprématie.
Après ce double échec français, l'histoire sera marquée, aux XVIIIième et XIXième siècles par l'expansion maritime de l'Angleterre et par la création de son “empire global”, basé sur le sea power. Comme l'empire britannique était fondé sur le pouvoir naval, son Kernraum n'est pas constitué du Heartland, mais par la maîtrise d'une masse océanique, l'Océan Indien, contre-partie maritime du “cœur du monde” continental.
Guido GIANNETTINI.
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mardi, 16 octobre 2007
Das Zeitalter der OLigarchen ist vorbei
Russland-Experte Wolfgang Seiffert über die Ära Putin, deren Fortsetzung und den Einfluss der Oligarchen
http://www.zurzeit.at/index.php?id=205
Herr Professor Seiffert, in der vergangenen Woche kam es in Rußland zu einem überraschenden Regierungswechsel. Der bis dahin unbekannte Viktor Subkow wurde neuer Regierungschef. Was hat das im Hinblick auf die Parlamentswahl im Dezember und die Präsidentenwahl im März 2008 zu bedeuten?
Wolfgang Seiffert: So überraschend war der Regierungswechsel nicht, denn er wurde erwartet. Überraschend war aber, daß Subkow zum Regierungschef vorgeschlagen wurde und dann auch von der Duma gewählt worden ist. Ich glaube, er steht für die Fortsetzung des Kurses, den Präsident Putin eingeschlagen hat, und an seinem Regierungsprogramm sehe ich, daß er weiter auf wirtschaftliche Stabilität – auch auf die Stabilität des Rubels – setzt, aber auch weitere neue Akzente setzt, indem er z.B. Fehler der Vergangenheit in der Sozialpolitik und bei der Gesundheitsvorsorge korrigieren will. Da Subkow gleichzeitig gesagt hat, daß personelle Veränderungen in der Regierung stattfinden werden, muß man davon ausgehen, daß das auch auf den Gebieten der Wirtschaft, der Gesundheits- und Sozialpolitik der Fall sein wird. Auch ist überraschend, daß er nicht ausgeschlossen hat, im nächsten Jahr bei den Präsidentenwahlen zu kandidieren. Putin hat das einerseits bestätigt und andererseits gesagt, daß es von Subkows Erfolg als Regierungschef abhänge und daß es fünf Kandidaten gebe, die das Amt ausüben können. Allerdings hat Putin keine Namen genannt.
Welche Chancen hätte Subkow bei der Präsidentenwahl?
Seiffert: Ich glaube, er hat gute Chancen. Denn Subkow ist ein alter Freund aus Putins Petersburger Tagen, und die beiden können schon seit 15 Jahren gut miteinander. Außerdem gibt Subkow, der 66 Jahre alt ist, Putin die Aussicht, in vier Jahren wieder zu kandidieren. Schließlich wäre er dann 70 Jahre alt, sodaß es Zeit für einen „natürlichen Wechsel“ wäre.
Es wird derzeit aber auch spekuliert, daß Subkow, sofern er Präsident wird, nach einer gewissen Zeit aus „gesundheitlichen Gründen“ zurücktreten könnte, um Putin Platz zu machen.
Seiffert: Diese Spekulationen haben keinen Rückhalt, denn Subkow macht mit seinen 66 Jahren einen gesunden Eindruck. Ich glaube, wenn er es schafft, Präsident zu werden, daß er das Amt vier Jahre gut ausüben kann.
Wenn Sie ein Resümee über Putins Amtszeit ziehen: Was würden Sie besonders hervorheben?
Seiffert: Erstens hat er die vielen Unsicherheiten und Instabilitäten im Lande beseitigt. Er hat dafür gesorgt, daß die Löhne, Gehälter und Renten regelmäßig gezahlt werden; er hat dafür gesorgt, daß Rußland wieder zu einer wirtschaftlichen Stabilität findet und daß die Auslandsschulden fast vollständig beglichen sind. Auf wirtschaftlichem Gebiet bezweifelt heute auch der schärfste Kritiker nicht, daß Rußland wieder eine wirtschaftliche Großmacht ist – nicht nur auf dem Gebiet der Bodenschätze, sondern auch im Bereich der Industrie, wo Rußland immer mehr mit dem Westen Schritt halten kann.
Und es ist auch auffallend, daß Rußland unter Putin wieder ein neues außenpolitisches Selbstbewußtsein zeigt.
Seiffert: Das ist richtig. Der frühere Premier Primakow, der jetzt Chef der Industrie- und Handelskammer in Moskau ist, hat gesagt: „Unmittelbar nach dem politischen Wechsel von der kommunistischen Herrschaft zu Demokratie und Rechtsstaat haben wir uns im Schlepptau der USA bewegt. Aber das ist jetzt vorbei, jetzt haben wir wieder unsere eigenen nationalen Interessen, die wir in den internationalen Gremien selbstbewußt vertreten.“ Das wird auch von den führenden Personen in Rußland so gesehen, und die Bevölkerung akzeptiert das. Denn es ist die Meinung weit verbreitet, daß Rußland durch die Entwicklung bis Anfang der 90er Jahre sein Gesicht in der Welt verloren hat, weshalb begrüßt wird, daß dies wieder hergestellt wird.
Die USA haben in den 90er Jahren auch versucht, sich Teile der russischen Einflußsphäre einzuverleiben…
Seiffert: Die USA unter Präsident Bush haben einerseits – und das ist auch auf Putin zurückzuführen – mit Rußland zusammengearbeitet, um etwa die Weiterverbreitung von Atomwaffen zu verhindern. Das wird wohl auch nach dem Wechsel von Putin zu einem anderen Präsidenten – gleiches gilt für die USA, wo Bush 2008 ebenfalls abtritt – so bleiben. Andererseits haben die USA versucht, die ehemaligen Staaten der Sowjetunion, die 1990 ausgeschieden sind – die Ukraine und die Staaten im Kaukasus wie Georgien – auf ihre Seite zu ziehen. Dabei haben sie Kräfte unterstützt, von denen sie ausgehen, daß sie Amerika aufgeschlossen gegenübertreten. Es gab beispielsweise die sogenannte orangene Revolution in der Ukraine, aber dieses Pendel ist schon wieder zurückgeschlagen. Denn in der Ukraine verfolgt Premier Janukowitsch eine andere Politik als Präsident Juschtschenko. Die Hoffnung der USA, Rußland einzukreisen, hat Rückschläge erlitten, aber der Versuch ist noch nicht beendet. Dagegen wenden sich viele im Lande, und Putin mit einer stärkeren Ausrichtung auf die Armee. So hat der neue Premier Subkow versprochen, ab 1. Dezember die Gehälter der Armeeangehörigen zu erhöhen, Rußland hat den Abrüstungsvertrag in Europa auf Eis gelegt, und die Flüge um die Grenzen der Russischen Föderation aufgenommen, die mit dem Ende des Kalten Krieges beendet wurden, und Rußland hat eine neue Vakuumbombe getestet. Das ist keine Bedrohung des Westens, sondern eine Reaktion darauf, daß die NATO mit der Aufnahme ehemaliger Sowjetstaaten immer näher an Rußland herangerückt ist.
Im vergangenen Jahr sorgte ein russisches Gesetz, wonach die Tätigkeit von Nichtregierungsorganisationen eingeschränkt wird, im Westen für Aufregung. Wie stark ist denn der Einfluß der von den USA unterstützten Nichtregierungsorganisationen auf die russische Politik?
Seiffert: Dieser Einfluß ist sehr gering. Was das Gesetz betrifft, so richtet es sich vor allem dagegen zu kontrollieren, wenn nicht zu verhindern, daß vom Ausland finanzielle Mittel an diese Nichtregierungsorganisationen fließen. Denn die russische Regierung – ob zu Recht oder zu Unrecht sei dahingestellt – sieht darin Versuche, in ihrem eigenen Land Gruppen zu schaffen, die, beispielsweise wie in der Ukraine oder in Georgien, im Sinne der USA tätig werden. Wegen des geringen Einflusses dieser Gruppen wurde dieses Gesetz nicht beschlossen, sondern weil Putin glaubt, daß er auf alle Fälle die innere Stabilität sicherstellen muß, weil sonst auch die wirtschaftliche Entwicklung in Rußland gefährdet werden könnte, und weil er befürchtet oder weiß, in welchem Umfang ausländische Geldgeber diese Gruppen unterstützen.
Stimmen eigentlich die Vorwürfe, Putin habe einen autoritären Staat geschaffen?
Seiffert: Es ist ganz offensichtlich, daß Putin einerseits bemüht ist, die seit 1993 geltende Verfassung einzuhalten. Das sieht man jetzt wieder beim Regierungswechsel, der von Artikel 111 der russischen Verfassung gedeckt ist. Andererseits versucht Putin im Rahmen der vorgegebenen Bedingungen, eine stabile Entwicklung sicherzustellen, und diesem Schritt diente auch die neue Regierungsbildung. Westliche Medien haben lange Zeit behauptet, daß Putin mit der absoluten Mehrheit in der Duma versuchen werde, die Verfassung zu ändern, damit er ein drittes Mal als Präsident kandidieren kann – aber das hat er von Anfang an abgelehnt und betont, daß er sich an die Verfassung hält.
Sie sprachen vorhin, davon daß Putin Rußland wirtschaftlich stabilisiert hat. Nun werden aber weiterhin wichtige Zweige der Industrie – Rüstung, Stahl, Energie, aber auch die Medien – von den sogenannten Oligarchen kontrolliert…
Seiffert: Hier muß man unterscheiden: Erstens gibt es in Rußland strategisch wichtige Industrien, die weitgehend in staatlicher Hand sind. Wenn Sie beispielsweise den Energiekonzern Gazprom nehmen, dann ist das eine privatrechtlich organisierte Aktiengesellschaft, aber die Mehrheit der Aktion hält der russische Staat. Und dann gibt es Oligarchen, die – wie der bekannte Michail Chodorkowski – in den Jahren der Amtszeit Jelzins entstanden sind und auf nicht ganz einwandfreie Weise zu Milliardenbeträgen gekommen sind. Gegen diese Oligarchen war in Rußland rechtlich vorgegangen worden: Der Oligarch Chodorkowski verbüßt wegen Steuerhinterziehung und Betrug eine mehrjährige Haftstrafe in Sibirien, und der Oligarch Beresowski ging ins Ausland und betreibt von London aus eine Anti-Putin-Politik, obwohl er sich früher dafür eingesetzt hat, daß Putin Präsident wird. Und die übrigen Oligarchen gibt es nach wie vor, aber sie betreiben keine Politik gegen Putin, sondern sind wirtschaftlich tätig und wollen Geld verdienen. Wie weit sie im Ausland investieren, ist dabei eine andere Frage. Interessant ist – und das ist wohl auch Subkow zuzuschreiben, der Leiter der Finanzaufsichtsbehörde war – daß früher mehr Geld ins Ausland floß als nach Rußland kam. Die russische Zentralbank hat in ihrer Kapitalbilanz mitgeteilt, daß im Jahr 2006 der Kapitalüberschuß 151 Milliarden betragen hat. Die Kapitalflucht, die es eine Zeit lang gegeben hat, konnte also gestoppt werden.
Beim Prozeß gegen Chodorkowski wurde kritisiert, daß rechtsstaatliche Kriterien verletzt worden wären. Trifft dieser Vorwurf zu?
Seiffert: Ich halte es für denkbar, daß beim Prozeß gegen Chodorkowski vom juristischen Standpunkt her handwerkliche Fehler unterlaufen sind. Aber in der Hauptsache wird die Bestrafung zutreffend sein, denn sowohl der Betrug als auch die Steuerhinterziehung sind nachgewiesen und wurden in Rußland von den Instanzen überprüft und bestätigt. Jetzt liegt eine Beschwerde beim Europäischen Gerichtshof für Menschenrechte vor, über die aber bis jetzt noch nicht entschieden wurde.
Wenn sich heute, wie Sie sagten, die Oligarchen im wesentlichen ihren Geschäften widmen, dann ist wohl eine Rückkehr in die 90er Jahre, in die Jelzin-Zeit, wo die Oligarchen und nicht der Präsident die Politik des Landes bestimmt haben, ausgeschlossen?
Seiffert: Diese Zeit ist vorbei, und ich sehe auch keine Möglichkeit zur Rückkehr in diese Verhältnisse. Denn dafür gibt es auch in der Bevölkerung keine Unterstützung.
Und welche Rolle spielt die vom Westen so genannte „liberale Opposition“?
Seiffert: Der Einfluß von Gruppen wie dem „Komitee 2008“ unter dem früheren Ministerpräsidenten Kasjanow und dem früheren Schachweltmeister Kasparow ist in Rußland verschwindend gering. Bei Wahlen haben sie keine Chancen, zumal die Leute sagen, Kasjanow sei nicht besser als die anderen, und bei Kasparow wissen sie genau, daß er zwei Staatsangehörigkeiten – die russische und die amerikanische – besitzt. Putin hat es verstanden, auf die entscheidenden Machtpositionen des Landes Einfluß zu nehmen und sie mit Personen seines Vertrauens zu besetzen. Insofern kann man von einem „System Putin“ sprechen.
Das Gespräch führte Bernhard Tomaschitz.
Prof. Dr. Wolfgang Seiffert:
Bis 1978 Professor für Internationales Wirtschafts- und Völkerrecht in Ost-Berlin. Danach Übersiedelung in die Bundesrepublik, wo er bis 1994 am Institut für Osteuropäisches Recht der Universität Kiel arbeitete. Prof. Seiffert ist Autor mehrerer Bücher, darunter „Wladimir W. Putin – Wiedergeburt einer Weltmacht?“ und „Selbstbestimmt – Ein Leben im Spannungsfeld von geteiltem Deutschland und russischer Politik“
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samedi, 06 octobre 2007
Une Birmania "americana"?
Una Birmania "americana": i timori di Mosca, Pechino e Delhi
di Giuseppe Zaccagni
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vendredi, 05 octobre 2007
Géopolitique japonaise
La géopolitique japonaise hier et aujourd'hui
par Bertil HAGGMAN
L'arrière-plan
Lorsque la Zeitschrift für Geopolitik de Karl Haushofer sort son premier numéro en 1924 à Munich en Allemagne, rapidement des exemplaires de cette revue se retrouvent entre les mains de géographes et de politologues japonais. Le Prof. Nobuyuki Iimoto publie dès 1928 un article sur la nouvelle science géopolitique allemande dans Chirigaku Hyoroon (Revue de Géographie). Il y faisait la distinction entre la géopolitique proprement dite et la géographie politique, introduite au Japon quelques années auparavant. Parmi les thèmes abordés dans cet article: la théorie organique de l'Etat, forgée au départ par le professeur suédois Rudolf Kjellén. En 1936, le livre fondamental de Kjellén, Staten som lifsform (L'Etat en tant que forme de vie) fut traduit en japonais par le Prof. Abe Shigoro (1).
La crise mandchoue des années 30 renforça l'intérêt des milieux universitaires japonais pour la géopolitique. La géopolitique allemande devint ainsi l'étoile polaire des géopolitologues asiatiques. Ces derniers ne concevaient pas la géopolitique comme un simple instrument politique à l'usage des nations «have not», des nations démunies de ressources et d'espace. Ils la considéraient comme l'assise philosophique destinée à déterminer les objectifs politique et à les atteindre. Pendant ce temps, le Prof. Karl Haushofer, doyen de la géopolitique allemande, focalisait toute son attention, dans les colonnes de la Zeitschrift für Geopolitik, sur les problèmes de l'Asie et de l'Océan Pacifique, son thème privilégié.
L'influence de Haushofer
Entre 1908 et 1910, Haushofer, qui accéda au grade de général pendant la première guerre mondiale, fut instructeur auprès de l'artillerie japonaise. Il avait été très impressionné par la société japonaise. Raison pour laquelle la thèse de doctorat de Haushofer, présentée en 1911, traitait des bases géographiques de la puissance militaire nipponne. Entre 1913 et 1941, il écrivit pas moins de huit livres sur le Japon.
Le Général Haushofer entretenait un profond respect pour ce qu'il appelait l'«instinct géopolitique» du Japon, qu'il décrivait comme tel:
1. Il y a au Japon une très forte conscience des dangers qui menacent l'existence de la nation. Cette conscience a impressionné Haushofer.
2. Le gouvernement japonais est particulièrement habile à décrire le pays comme dépourvu d'espace suffisant pour nourir sa population en pleine croissance et comme menacé par les puissances environnantes.
3. Le Japon fait usage des règles du jiu-jitsu, c'est-à-dire qu'il est capable de faire machine arrière, afin de prendre distance pour observer l'ennemi et attendre qu'il fasse un faux mouvement. Ce mouvement peut alors être utilisé pour le mettre hors de combat.
Le Professeur Haushofer cultivait également un grand respect pour le shintoïsme: «Parmi les phénomènes qu'il convient d'observer parallèlement à la géopolitique, dont notamment la puissance imaginative, les impulsions artistiques et la géographie culturelle, le shintoïsme, force spirituelle qui émerge dans l'espace pacifique, est là-bas le fait de vie le plus solide. Le shintoïsme a absorbé et assimilé le bouddhisme, la philosophie nationale des Chinois et la culture occidentale, tout cela sans perdre les caractéristiques propres qui en font une culture de l'espace pacifique» (2).
L'une des idées principales de Haushofer était de forger une ligue des plus grandes nations d'Asie (Japon, Chine, Inde), dont l'Empire du Soleil Levant serait la puissance-guide «depuis l'Indus jusqu'au fleuve Amour» en incluant les petites nations de la région. Mais contre la volonté de la Chine ou de l'Inde, Tokyo ne pourrait jamais réaliser ce leadership. Hélas, l'invasion de la Mandchourie par les forces nipponnes en 1931 transforma la Chine en un ennemi juré du Japon et alarma les Indiens. Cependant, Haushofer carressait d'autres plans. Il envisageait aussi une «alliance transcontinentale entre l'Allemagne, la Russie et le Japon», espérant ainsi damer le pion des puissances thalassocratiques et impérialistes. Ce bloc, rassemblé autour de ces trois Etats, donnerait au Japon l'assurance de ne pas être attaqué depuis le continent et lui permettrait de se tailler un empire en Asie. Les Japonais, peuple marin, pouvaient de la sorte s'élancer vers l'horizon, plus précisément vers l'Australie, continent quasi vide qui aurait pu résoudre leurs problèmes démographiques.
Les Japonais remarquaient à l'époque que Haushofer, «pendant son séjour au Japon, avait étudié à Kyoto, ancienne capitale impériale et cœur de la tradition nipponne, plutôt que dans les villes européanisées que sont Yokozuka, Kobe, etc. Il rapporte dans ses mémoires qu'il s'est trouvé dans le temple de Kyoto, près du mausolée des Empereurs et qu'il est entré là en contact direct avec l'esprit japonais. Raison pour laquelle, dans la pensée haushoférienne, on percevra plus clairement et plus profondément l'influence du japonisme que chez n'importe quel autre Euro-Américain» (3).
Le Dr. Saneshige Komaki, professeur de géographie à l'Université Impériale de Kyoto, était un admirateur de la pensée «japonisée» de Haushofer et l'un des principaux instigateurs d'une géopolitique japonaise spécifique. Son point de départ: jeter les bases historiques et géographiques du futur empire japonais. La pensée géopolitique, selon le Prof. Komaki, avait émergé au Japon dès le XVIIIième siècle, bien avant le géographe allemand Friedrich Ratzel, le Prof. Haushofer ou le Suédois Kjellén.
La Société Géopolitique de Kyoto (SGK)
Le Prof. Saneshige Komaki était le président de la Kyoto Chiseigaku-kai (la Société Géopolitique de Kyoto; SGK). Comme nous venons de la dire, il était le promoteur d'une géopolitique spécifiquement japonaise, axée sur les prédispositions et les intérêts nationaux du Japon. Entre 1940-1945, il écrivit neuf ouvrages de géopolitique (4).
L'Association Géopolitique Japonaise (AGJ)
La Nihon Chiseigaku-kai (l'Association Géopolitique Japonaise; AGJ) a été mise sur pied à Tokyo en novembre 1941. Elle se référait plus directement à la géopolitique allemande que la SGK. Les recherches entreprises par l'AGJ mettaient l'accent sur «l'espace terrestre et maritime entourant le Japon et formant son Lebensraum». L'objectif était de créer un Etat défensif japonais (un Wehrstaat). L'AGJ publiait un mensuel, Chiseigaku (= Géopolitique) et organisait régulièrement des conférences. La SGK et l'AGJ ont eu nettement moins d'influence au Japon que l'Institut et la revue de Haushofer n'en ont eue en Allemagne.
L'Association de Recherches sur la Politique Nationale (ARPN)
La Kusaku Kenkyu-kai (Association de Recherches sur la Politique Nationale; ARPN) fut créée en 1937 par le Baron Kiumochi Okura et par Kazuo Yatsugi. Parmi les 2000 membres de l'association, on comptait de hauts fonctionnaires appartenant à divers ministères. Le rôle de Yatsugi a été particulièrement important: il ébaucha la fameux «Plan de Dix Ans pour parfaire une Politique Nationale Intégrée». Ce texte a servi de base à la célèbre «Grande Sphère de Co-prospérité Est-Asiatique» (GSCPEA), un Grossraumordnung, un «ordre grand-spatial» japonais, qui englobait les territoires conquis par les armées nipponnes pendant la seconde guerre mondiale. Selon ce plan, le Japon devait créer une sphère économique comprenant l'archipel nippon et le Manchukuo, la Chine servant de base et le Japon de cœur et de moteur. Dans cette sphère, il fallait également inclure la Sibérie orientale, la Mongolie intérieure et extérieure, les Etats du Sud-Est asiatique, l'Inde et l'Océanie. En avril 1943, l'ARPN, sous la direction de Yatsugi, publia «Le Plan des mesures à prendre pour construire la GSCPEA», document important, révélant clairement la politique japonaise, et influencé directement par le livre de Haushofer sur la géopolitique de l'Océan Pacifique.
L'Association de Recherches Showa (ARS)
La Showa Kyenkyu-kai (ARS) a été constituée en novembre 1936 par Ryunosake Goto, un ami intime du Premier Ministre japonais Konoe. Comptant 300 membres, l'ARS entretenait des liens étroits avec le Bureau du Plan du Cabinet, qui avait élaboré le plan final de la GSCPEA. L'ARS a publié un certain nombre de livres et d'essais qui ont eu une influence très profonde sur la politique impériale japonaise.
La Ligue pour l'Asie Orientale (LAO)
La Toa Renmei Kyokai (Ligue pour l'Asie Orientale; LAO) a été fondée par le Lieutenant-Général Kanjii Ishiwara en septembre 1939. Cet officier avait étudié en Allemagne dans les années 20. L'objectif de la LAO était de créer une «ligue des nations» orientales, basée sur l'Odo (La Voie Royale ou la Droite Voie). Le premier objectif était de libérer l'Asie orientale de toutes les influences extérieures. Cette Ligue publiait la revue Toa Renmei (= Ligue Est-Asiatique). Des sociétés affiliées ont été formées par la suite dans le Manchukuo et en Chine. Le plan conçu par la LAO, prévoyant une alliance entre le Japon, le Manchukuo et la Chine, avait l'appui du Premier Ministre Konoe et de Wang Ching-wei, qui présidait le gouvernement chinois de Nanking pour le compte des Japonais. Ishiwara et ses amis ont été déçus de la politique menée par le Japon en Chine au cours de la seconde guerre mondiale. Celle-ci isolait le Japon de son principal allié potentiel. L'influence de la LAO a rapidement décliné à partir de la moitié de l'année 1941.
Commentaires et conclusion
L'objet de notre article a été de présenter de la manière la plus neutre possible la pensée géopolitique japonaise entre 1920 et 1940. Après sa défaite de 1945, le Japon a abandonné la géopolitique d'inspiration haushoférienne. Par une sorte d'ironie de l'histoire, le Japon de notre après-guerre, a acquis une influence bien plus prépondérante par des moyens pacifiques en Asie orientale et dans l'espace pacifique. La situation dans notre après-guerre diffère certes considérablement de celle qui règnait pendant l'entre-deux-guerres. Les pays asiatiques ne sont plus soumis au colonialisme et le Japon, devenu démocratique, est demeuré un fidèle allié des Etats-Unis. Il n'empêche qu'un Japon fort sur les plans économique, politique et militaire pourrait bien jouer dans l'avenir un rôle plus important dans les affaires du monde. Surtout, s'il se crée une alliance transcontinentale entre la CEE, la Russie et le Japon. Cette alliance constituerait le bloc de loin le plus puissant et le plus fort de l'ère post-communiste. L'opposition d'hier entre, d'une part, le heartland de Mackinder, c'est-à-dire la principale puissance terrestre, et, d'autre part, la puissance thalassocratique, fera place à une opposition d'un type nouveau entre la puissance thalassocratique dominante et un bloc qui contrôlerait non seulement le heartland dans son ensemble mais pourrait aussi déployer des capacités maritimes à ses extrémités orientale et occidentale. Pour la première fois dans l'histoire, le heartland se développerait sous le contrôle d'une économie de marché libre et démocratique, renforcé par deux puissances servant de porte-avions et de ports avancés, la Grande-Bretagne et le Japon. Mais comme l'antagonisme commercial entre le Japon, d'une part, la CEE et les Etats-Unis, d'autre part, l'alliance transcontinentale euro-russo-japonaise ne deviendrait sans doute pas une réalité à court terme mais constituera inéluctablement un projet à long terme, pour après l'an 2000.
Bertil HAGGMAN.
Notes:
(1) Dans ce livre, le Prof. Kjellén explique qu'un «Etat est comme un être humain vivant qui parle, négocie et coopère, ou bien lutte, ou bien hait ou sympathise».
(2) Karl HAUSHOFER, Geopolitik des Pazifischen Ozeans, 1938, p. 445.
(3) Prof. Saneshigi Komaki, Nihon Chiseigaku Gakusho (= Mémorandum pour une géopolitique japonaise), 1944, pp. 42 et 51.
(4) Nihon Chiseigaku Sengen (= Déclaration en faveur d'une géopolitique japonaise), 1940; Toa no Chiseigaku (= Géopolitique de l'Asie orientale), 1942; Dai Toa no Chiseigaku (= Géopolitique de la Grande Asie Orientale), 1942; Nihon Chiseigaku (= Géopolitique japonaise), 1942; Zoku Nihon Chiseigaku Sangen (= Nouvelle déclaration en faveur d'une géopolitique japonaise), 1942; Sekai Shinchitsujo Kensetsu to Chiseigaku (= Construction du Nouvel Ordre Mondial et Géopolitique), 1944; Nihon Chiseigaku Gakusho (= Mémorandum pour une géopolitique japonaise), 1944. D'autres textes importants de l'auteur sont parus dans des ouvrages collectifs.01:15 Publié dans Eurasisme, Géopolitique, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 19 septembre 2007
Eurasianismo: a "nova" geopolitica russa
Eduardo Silvestre dos Santos:
O Eurasianismo: a“nova” Geopolítica russa
Em grandes linhas, existem actualmente duas aproximações quanto às opções geopolíticas da Rússia: os internacionalistas liberais ou “ocidentalizadores” (zapadniki) e os eurasianistas.
Os primeiros (Gorbatchev, Kozyrev, Yeltsin, Trenin, etc.) crêem que os valores ocidentais do pluralismo e da democracia são universais e aplicáveis à Rússia. Os segundos (Dugin, Zhirinovsky, Zyuganov, Solzhenitsyn, etc.) têm linhas ideológicas nacionalistas e patrióticas que acreditam que, devido às particularidades geográficas, históricas, culturais e mesmo psicológicas, a Rússia não pode ser classificada como Ocidental ou Oriental, sendo um Estado forte e dominante na Eurásia.
O Eurasianismo conseguiu reconciliar filosofias muitas vezes contraditórias como o comunismo, a religião ortodoxa e o fundamentalismo nacionalista.
Desde que Vladimir Putin assumiu a presidência da Rússia, em Dezembro de 1999, a política externa de Moscovo alterou o seu rumo. A sua nova aproximação baseia-se no Eurasianismo, uma obscura e velha moldura ideológica que emergiu agora como uma força maioritária na política russa.
Na história do mundo, existem, em competição constante, duas aproximações às noções de espaço e terreno – a terrestre e a marítima. Na História antiga, as potências marítimas que se tornaram em símbolos da “civilização marítima” foram a Fenícia e Cartago. O império terrestre que se lhes opunha era Roma. As Guerras Púnicas foram a imagem mais clara da oposição “terra-mar”.
Mais modernamente, a Grã-Bretanha tornou-se o “pólo” marítimo, sendo posteriormente substituído pelos EUA. Tal como a Fenícia, a Grã-Bretanha utilizou o comércio marítimo e a colonização das regiões costeiras como o seu instrumento básico de domínio. Criaram um padrão especial de civilização, mercantil e capitalista, baseada acima de tudo nos interesses materiais e nos princípios do liberalismo económico. Portanto, apesar de todas as variações históricas possíveis, pode dizer-se que a generalidade das civilizações marítimas tem estado sempre ligada ao primado da economia sobre a política.
Por seu lado, Roma representava uma amostra de uma estrutura de tempo de guerra, autoritária, baseada no controlo civil e administrativo, no primado da política sobre a economia. É um exemplo de um tipo de colonização puramente continental, com a sua penetração profunda no continente e assimilação dos povos conquistados, automaticamente romanizados após a conquista. Para os eurasianistas, na História moderna, os seus sucessores são os Impérios Russo, Austro-Húngaro e a Alemanha imperial.
Contra o “Atlantismo”, personificando o primado do individualismo, liberalismo económico e democracia protestante, ergue-se o “Eurasianismo”, personificando princípios de autoritarismo, hierarquia e o estabelecimento de um comunitarismo, sobrepondo-se às preocupações de índole individualista e económica.
Pode-se recuar na geopolítica russa até ao movimento eslavófilo do século XIX. Nesta época, o Eurasianismo tentou sobrepor-se às diferenças entre as tendências reformistas pró-ocidentais e os czaristas eslavófilos. O papel ímpar da Rússia era juntar a rica diversidade da Eurásia numa “terceira via”, consistente com a cultura e as tradições da Ortodoxia e da Rússia.
Estas ideias acerca da geopolítica da Eurásia e do destino do Império Russo, foram retomadas no período a seguir à 1.ª Guerra Mundial pelo etnólogo e filólogo Nikolai S. Trubetskoy, nobre russo branco, pelo historiador Peter Savitsky, pelo teólogo ortodoxo G.V. Florovsky e, posteriormente, pelo geógrafo, historiador e filósofo Lev Gumilev, defendendo a luta cultural e política entre o Ocidente e o distinto sub-continente da Eurásia, liderado pela Rússia.
Gumilev foi o criador da “teoria da etnogénese”, pela qual as nações são originárias da regularidade do desenvolvimento da sociedade, e da “teoria da paixão”, a capacidade humana para se sacrificar em prol de objectivos ideológicos. Esteve 16 anos presos no tempo de Estaline, combateu na 2.ª Guerra Mundial, esteve num campo de concentração nazi e voltou a cumprir uma sentença de 10 anos no Gulag, por actividades contra a ideologia marxista-leninista.
Aqueles teóricos da geopolítica eurasiana analisaram com profundidade e atenção os impérios de Gengis Khan, Mongol e Otomano, tendo-se encontrado várias vezes em Praga com Karl Haushofer.
Baseado nas ideias de MacKinder, o Eurasianismo procura estabelecer a identidade ímpar da Rússia, distinta da Ocidental e foca a sua atenção para Sul e Leste, sonhando numa fusão entre as populações ortodoxas e muçulmanas. Rejeita categoricamente o projecto do Czar Pedro para “europeizar” a Rússia, mas os termos em que o país era idealizado eram os de um império europeu, pela simples circunstância que consistia em territórios, a maioria dos quais se localizavam na Ásia, em que um grupo nacional dominava outras nacionalidades subordinadas.
Defendia que a Rússia era claramente não europeia porque a vasta região ocupada, apesar de situada entre os dois continentes – Europa e Ásia - , era geográfica e, logo, objectivamente separada de ambos. Era um continente em si mesmo, denominado Eurásia; além disso, a cultura russa tinha sido maioritariamente moldada por influências vindas da Ásia.
Durante a 1.ª Guerra Mundial, surgiram os primeiros dilemas e ambiguidades, quando a Rússia se aliou à Grã-Bretanha, à França e aos EUA, com o intuito de libertar os seus “irmãos eslavos” do domínio turco, começando a lutar contra os seus aliados geopolíticos naturais – Alemanha e Áustria –, mas também mergulhando numa revolução e guerra civil catastróficas.
A revolução de 1917 terminou com a existência formal do Império Russo, e Trubetskoy tentou adaptar o seu pensamento ao novo estado de coisas. Os russos, antes considerados como os “donos e proprietários” de todo o território, passaram a ser “um povo entre outros” que partilhavam a autoridade. O conceito de separatismo não era aceitável para Trubetskoy, que insistia na indivisibilidade da grande região que correspondia à Eurásia, uma ideia de globalidade geográfica, económica e étnica integral, distinta quer da Europa, quer da Ásia.
Segundo Savitsky, a Eurásia tinha sido modelada pela Natureza, que tinha condicionado e determinado os movimentos históricos e a interpenetração dos seus povos, cujo resultado tinha sido a criação de um único Estado. Devido à unidade da região derivar da Natureza, possuía a qualidade transcendente dessa mesma Natureza. Trubetskoy afirmava que “o substrato nacional do antigo Império Russo e actual URSS, só pode ser a totalidade dos povos que habitam este Estado, tido como uma nação multiétnica peculiar e que, como tal, possuía o seu próprio nacionalismo.
Chamamos a essa nação Eurasiana, o seu território Eurásia e o seu nacionalismo “Eurasianismo.” Para Dugin, o principal ideólogo eurasianista da actualidade, a liderança de Lenine tinha um substrato eurasiano pois, contrariamente à doutrina marxista, preservou a grande unidade do espaço eurasiano do Império Russo.
Por seu lado, Trotsky insistia na exportação da revolução, na sua mundialização, e considerava a URSS como algo efémero e transitório, algo que desapareceria perante a vitória planetária do comunismo; as suas ideias traziam, por isso, a marca do atlantismo! Para o mesmo autor, “a grande catástrofe eurasiana foi a agressão de Hitler contra a URSS. Após a guerra fratricida e terrível entre dois países geopolítica, espiritual e metafisicamente chegados, a vitória da URSS foi de facto equivalente a uma derrota.
Apesar da “guerra fria” ser primária e fundamentalmente sobre ideologias e não sobre geopolítica – alguns autores chamam-lhe “geopolítica ideológica” –, a Geopolítica desenvolvida pelos pensadores europeus do final do século XIX foi uma matéria importante para Estaline. Imediatamente após a derrota alemã, começou a imaginar um novo projecto geopolítico, o Pacto de Varsóvia, para integrar os países da Europa de Leste na esfera soviética.
Desde o final da 2.ª Guerra Mundial, uma figura chave na geopolítica soviética foi o General Sergey M. Shtemenko, chegando a ser, durante os anos 60″s, comandante das forças armadas do Pacto de Varsóvia e Chefe do Estado-Maior General da URSS. Nos seus planos estratégicos, bem como nos do General Gorshkov, estava, desde 1948, a penetração económico-cultural no Afeganistão, afirmando que aquele país tinha um papel geopolítico especial, permitindo o acesso soviético ao Índico.
Khrutschev tinha conceitos geoestratégicos exclusivamente baseados no emprego de mísseis intercontinentais, em detrimento das outras armas. Estava preocupado com a América Latina e insistia no conceito de “guerra nuclear intercontinental relâmpago”. Ao contrário, Shtemenko já anteriormente tinha alertado que não seria sensato basear a segurança da URSS apenas em mísseis balísticos intercontinentais.
Um dos herdeiros das ideias geopolíticas e geoestratégicas de Shtemenko foi o Marechal N. V. Ogarkov. Foi ele o responsável pela montagem da operação contra a Checoslováquia, em que os serviços de informações da OTAN foram confundidos com uma contra-informação excelentemente conduzida, e também pela adopção de uma opção doutrinária de guerra convencional na Europa, como objectivo de planeamento e desenvolvimento militar.
Grande parte deste novo alento do Eurasianismo deve-se ao seu principal ideólogo, Alexander Dugin. Apesar do seu passado obscuro (antigo membro duma organização radical anti-semita e, posteriormente, da Revolução Conservadora racista, Dugin é hoje considerado o principal geopolítico russo e conselheiro de assuntos internacionais de várias figuras proeminentes da Duma, nomeadamente o seu “speaker”, Gennady Seleznev. As suas ideias têm influenciado o líder do Partido Comunista, Gennady Zyuganov, e outros altos dignitários. O Partido Eurasiano foi fundado por Dugin em Maio de 2002, supostamente com apoio organizacional e financeiro do Presidente Putin.
O Eurasianismo ganhou rapidamente importância nos meios da política externa russa e, mais significativo ainda, é cada vez mais evidente na conduta daquela política pelo Presidente Putin. Dugin adaptou as teorias tradicionais de Mahan e MacKinder e defende uma luta pelo domínio internacional entre as potências terrestres – personificadas na Rússia – e as potências marítimas – principalmente os EUA e o Reino Unido. Como resultado, Dugin crê que os interesses estratégicos da Rússia devem ser orientados de um modo anti-ocidental e para a criação de espaço Eurasiático de domínio russo. Por outras palavras, a Rússia não poderá subsistir fora da sua essência imperial, em virtude da sua localização geográfica e do seu caminho histórico.
“O novo império eurasiano será construído no princípio fundamental do inimigo comum: a rejeição do ‘Atlantismo”, controlo estratégico dos EUA e na recusa em aceitar valores liberais para nos dominar. Este impulso civilizacional comum será a base de uma união política e estratégica”. Dada a presente situação internacional pouco influente da Rússia, Dugin reforça a necessidade de construir alianças que sirvam para aumentar o domínio político e económico.
Assim, põe ênfase num eixo Moscovo-Teerão e na criação de uma zona de influência iraniana no Médio Oriente. Na Europa, advoga um eixo Moscovo-Berlim, que vê como essencial para a criação de um “cordão sanitário” contra a influência ocidental no antigo bloco soviético.
Nos seus esforços para manter os EUA longe da região do Cáspio, o Irão encontrou um aliado inesperado na Rússia. Ambos puseram temporariamente as suas divergências de lado, para fazer frente às actividades americanas na área. A aliança russo-iraniana pode aliás considerar-se um dos mais importantes factos geopolíticos do pós-guerra fria. Para a Rússia, uma relação estrita com o Irão pode considerar-se como uma reacção à expansão da NATO para a Europa Oriental.
O fornecimento de material militar convencional e de tecnologia nuclear russa ao Irão é um dos aspectos fulcrais desta aliança, já que muitos poucos países estão interessados em fornecer armas ao regime dos “ayatollahs”. O Irão confia na Rússia como fornecedor de armamento, dado não existirem muitos países que o queiram fazer; a Rússia também vê vantagens e lucros no fornecimento de armamento, nuclear inclusive, ao Irão.
A doutrina consensual da “vizinhança próxima” define que a Rússia quer manter um papel político, económico e estratégico preponderante nas ex-repúblicas da URSS, legitimando uma intervenção militar, se necessário. Contudo, a incapacidade da Rússia implementar as necessárias reformas nas suas Forças Armadas e na sua economia, em conjunto com a hostilidade com que a sua presença é vista, limita as suas possibilidades de cooperação e faz diminuir a sua influência, em especial no Cáucaso, em detrimento dos EUA.
A Rússia vê assim a sua posição na região ameaçada pela expansão militar americana e da NATO, bem como pelos seus próprios problemas internos (a guerra na Tchechénia fez com que as relações com a Geórgia, a quem acusa abertamente de abrigar terroristas tchetchenos, se deteriorasse muito). Para contrabalançar esta situação, propôs uma cooperação triangular com a China e com a Índia e através da Organização de Cooperação de Xangai (com Cazaquistão, Quirguizistão e Tadjiquistão).
As maiores preocupações da Rússia dizem respeito ao controlo das rotas de exportação dos recursos energéticos. O maior objectivo de Moscovo é assegurar que uma parte significativa dos recursos energéticos do Cáspio seja transportada pelo sistema russo de oleodutos para o Mar Negro e, daí, para a Europa. Porém, o sistema existente de oleodutos e gasodutos da era soviética é considerado como obsoleto, feitos com materiais de qualidade duvidosa e com manutenção de má qualidade técnica, que se estão a deteriorar com o tempo.
As novas repúblicas procuram por isso outras opções para se distanciar e não depender da Rússia, e serem capazes de alcançar mercados diversificados. Para tentar manter a sua influência nas exportações dos produtos energéticos, a Rússia apoia apenas oleodutos que passem através do seu território.
Todavia, as tentativas russas para retardar os projectos de desenvolvimento liderados por outras potências, levaram ao estudo de rotas alternativas para levar os recursos até aos mercados, prejudicando a posição da Rússia como potência dominante na região e fazendo-a perder o controlo sobre os recursos energéticos da região e do seu transporte.
Para a Rússia, os alvos geopolíticos primários para a subordinação política parecem ser o Cazaquistão e o Azerbaijão. A subordinação deste último ajudaria a “selar” a Ásia Central do Ocidente, especialmente da Turquia.
O Azerbaijão, encorajado pela Turquia e pelos EUA, rejeitou os pedidos russos para a manutenção de bases militares no seu território e desafiou também as exigências daquele país para um único oleoduto com terminal no porto russo de Novorossiysk, no Mar Negro.
A vulnerabilidade étnica do Cazaquistão (cerca de 40% da população é russa) torna quase impossível uma confrontação aberta com Moscovo, que pode também explorar o receio do Cazaquistão sobre o crescente dinamismo da China.
Para tentar diminuir as iniciativas unilaterais de desenvolvimento das novas repúblicas, nomeadamente as duas referidas atrás, tem utilizado também a incerteza quanto ao regime legal do Mar Cáspio.
Ao bloquear ou atrasar novos projectos de oleodutos, a Rússia conseguiu vencer praticamente todos os negócios energéticos, com investimentos pequenos. Porém, o actual sistema de oleodutos não possui a capacidade para o aumento de produção que se prevê para o Cazaquistão e para o Azerbaijão e, se tiverem de construir mais, a Rússia gostaria que passassem por território seu.
No Cáucaso, todos os conflitos têm também a ver, pelo menos parcialmente, com o petróleo. A Rússia continua a ver o Azerbaijão como parte do seu império e considera a Geórgia como a chave do Cáucaso meridional. Contudo, a maior ameaça à estabilidade e aos interesses petrolíferos ocidentais no Cáucaso, deriva da guerra na Tchetchénia.
A Tchetchénia era uma região autónoma gozando já de uma larga autonomia, quando declarou unilateralmente a sua independência em 1994. A Rússia decidiu resolver o assunto pela força por duas razões principais: em primeiro lugar porque, se a Tchetchénia fosse autorizada a sair da Federação Russa, seria um perigoso antecedente que outras repúblicas predominantemente islâmicas do Norte do Cáucaso (Tcherkessia, Dagestão, Kabardin-Balkar, etc.) poderiam querer seguir; em segundo lugar, a Tchetchénia é um eixo fundamental da rede de oleodutos vindos do Cáspio.
Se a materialização dos planos do oleoduto para Oeste falhar, todo o petróleo do Azerbaijão irá continuar a ser transportado pelo único oleoduto existente para o mar Negro, e esse atravessa a Tchetchénia. Se a Rússia quiser lucrar com o aumento de produção no Azerbaijão, tem de manter o controlo da república a todo o custo. Grozny, capital da Tchetchénia, é o centro de uma importante rede de oleodutos que liga a Sibéria, o Cazaquistão, o Cáspio e Novorossiysk.
Para finalizar, o que torna Dugin notório e preocupante é que o seu pensamento faz lembrar, em certos aspectos, Hitler: fala sobre capitalismo, baseado numa combinação de nacionalismo e socialismo. As suas teorias foram banidas durante a época soviética pelas suas ligações ao Nazismo, mas são hoje aceites sem relutância pelo Partido Comunista.
Mesmo assim, o Eurasianismo ganhou rapidamente importância nos meios da política externa russa e, mais significativo ainda, é cada vez mais evidente na conduta daquela política pelo Presidente Putin.
Eduardo Silvestre dos Santos
Jornal Defesa & Relações Internacionais
Article printed from Altermedia Portugal: http://pt.altermedia.info
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vendredi, 14 septembre 2007
Géopolitique de la guerre des Balkans
Géopolitique de la guerre des Balkans : le dessous des cartes
Personne n’est dupe. On ne peut objectivement traiter la guerre au Kosovo, avec ses implications géopolitiques dans les Balkans, comme une simple question interne aux Balkans. Toute décision relative à l’utilisation de forces américaines et de l’OTAN modifie de manière déterminante tous les aspects de la situation stratégique globale. La guerre menée par le régime de Milosevic au Kosovo est utilisée pour atteindre des objectifs géopolitiques et stratégiques d’un tout autre ordre :
- Ecarter la Russie, la Chine et le Conseil de Sécurité de l’ONU de la prise des décisions politiques mondiales les plus importantes.
- Rompre les liens politiques et économiques entre l’Est et l’Ouest du continent eurasiatique.
- Empêcher un nouveau Bretton Woods qui permettrait de surmonter la crise économique et financière mondiale.
La Realpolitik, qui n’ose pas dire son nom, et que les Etats-Unis et leurs alliés dociles continuent d’appliquer dans les Balkans, reste substantiellement traditionnelle et conservatrice. Que ce soit pour des raisons de jeux de puissance traditionnels ou dans l’optique d’un possible conflit de civilisation au siècle prochain, les Etats-Unis continuent à vouloir enfermer la Russie dans la masse terrestre eurasiatique, barrant son accès aux mers chaudes. Depuis deux siècles, ce verrouillage continental de la Russie a été poursuivi par une remarquable constance par l’Angleterre, puis par les Etats-Unis, leur soutien au non-alignement de la Yougoslavie titiste n’en fut qu’une des illustrations. Actuellement, l’occupation militaire et l’élargissement del ‘OTAN à l’espace reliant la Hongrie à la Grèce (toutes deux membres de l’OTAN), par le truchement du Partenariat pour la Paix et le contrôle américain des oléoducs géorgiens débouchant sur la Mer Noire, neutraliserait l’hypothétique constitution d’une transversale orthodoxe et verrouillerait Moscou, empêchant, même à moyen terme, son retour dans la région et surtout dans les ports monténégrins, dont la base navale de Boka Kotorska. L’encouragement croissant de l’Occident à la sécession du Monténégro de Djukanovic hors de la Fédération Yougoslave va dans ce sens. Washington serait donc guidée par des préoccupations globales pour étendre et préserver sa domination en érigeant l’OTAN comme superpuissance militaire néo-impériale. Nous sommes loin des préoccupations humanitaro-altruistes des Etats-Unis et de l’OTAN envers les pauvres populations albanaises. Mais cet endiguement des Moscou par Washington aura aussi à moyen terme pour conséquence de créer une alliance objective russo-chinoise, Pékin étant l’autre contestataire crédible de l’ordre américain.
Afin d’évaluer les ramifications géopolitiques des opérations militaires actuelles de l’OTAN contre la Yougoslavie, il convient de comprendre les manipulations de la situation dans les Balkans, intervenus depuis 1991. Les guerres menées par la Serbie contre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine ont été activement encouragées par les gouvernements britanniques et celui de Mitterrand afin d’endiguer l’Allemagne (c’était la politique de Thatcher, considérant l’Allemagne réunifiée comme un « Quatrième Reich »). Aujourd’hui, ceux qui tirent les ficelles de la guerre dans les Balkans, sont les défenseurs des intérêts du Commonwealth anglo-américain (British-American Commonwealth ou, en abrégé, le BAC), intervenant par l’intermédiaire du gouvernement Blair et du Groupe réuni autour d’Al Gore dans le gouvernement américain, comprenant Albright, Cohen et le Général Shelton. L’élément déterminant de tout changement global de la politique stratégique ou militaire est son effet sur la politique économique et financière mondiale. Il s’agit de savoir si une politique stratégique donnée favorise ou pénalise la mise en œuvre d’un nouveau Bretton Woods. De ce point de vue, le Président Clinton se trouve devant un choix décisif.
Dans un document paru le 7 avril dernier sous le titre « Balkans : la doctrine LaRouche », ce dernier, Lyndon LaRouche, écrit : « Le Président Clinton essaye actuellement de trouver un équilibre entre deux politiques absolument inconciliables. L’aspect positif, c’est qu’il défend un partenariat stratégique avec la Russie, la Chine et d’autres ; mais, d’un autre côté, en raison de ses politiques de libre échange, de mondialisation, de confrontation avec l’Irak et de déploiement de l’OTAN, auxquelles vient de s’ajouter le détonateur de la guerre contre la Yougoslavie, sa présidence risque d’être vouée à l’ignominie éternelle. Si la deuxième dynamique se poursuit, il n’y aura bientôt plus de possibilité de partenariat et le monde se dirigera alors vers une guerre mondiale de longue durée, comme celle qui ravagea l’Europe centrale entre 1618 et 1648, avec un risque de recours aux armes nucléaires. D’un point de vue américain, que faut-il faire pour parvenir à éviter la détérioration de la situation stratégique globale ? ».
Selon LaRouche, de concert avec au moins l’un de leurs principaux partenaire d’Europe continentale (la France, l’Allemagne ou l’Italie), les Etats-Unis doivent prendre les mesures d’urgence pour instaurer un partenariat stratégique général de coopération économique, entre autres, avec la Chine, la Russie, l’Inde, etc. L’objectif devrait être de revenir au type de politiques anti-britanniques sur lesquelles le Président américain Roosevelt avait tenté de fonder un nouvel ordre économique mondial plus juste, libéré de l’impérialisme, entre Etats-Nations parfaitement souverains, jouissant du libre accès aux découvertes scientifiques et technologiques les plus avancées.
Causalité financière de la guerre
La causalité fondamentale qui sous-tend la confrontation stratégique menée par le BAC vis-à-vis de la Russie et de la Chine et l’escalade militaire dans les Balkans, au Proche-Orient et ailleurs, réside dans l’aggravation de l’état du système économique et financier international. Le changement de phase est survenu lors de la faillite, en septembre 1998, du Hedge Fund LTCM, qui détenait un portefeuille de 3250 milliards de dollars en produits dérivés. Un mois auparavant, les marchés financiers internationaux avaient été secoués par la cessation de paiement de la Russie. Même la BRI a récemment admis que le système financier se trouvait à ce moment-là au bord de l’effondrement. Pour y faire face, les gouvernements et banques centrales du G7 ont lancé en octobre une folle politique hyper-inflationniste, avec réduction des taux d’intérêt, déversement de liquidités et divers programmes de renflouement. Ce miracle était destiné à retarder pour quelque temps l’effondrement systémique autrement inévitable. Cette politique a provoqué une détérioration qualitative de la lucidité des responsables gouvernementaux et parlementaires. C’est le même état d’esprit qui régnait lors des kracks financiers des 17ième et 18ième siècle en Angleterre et en France, mais les conditions stratégiques actuelles sont bien plus dangereuses.
C’est au cours du changement de phase intervenu en octobre-novembre 1998 que le Commonwealth anglo-américain a lancé l’escalade vers la confrontation. D’abord, on a utilisé le prétexte du rapport Butler, délibérément mensonger, pour lancer la guerre non déclarée contre l’Irak. Ensuite, on a imposé à l’OTAN un nouveau concept stratégique néo-impérial, avant d’en arriver à la guerre actuelle dans les Balkans. Pour comprendre comment la crise financière est devenue une crise à la fois économique et militaro-stratégique, il faut analyser la situation à partir de la triple courbe. En effet, l’étude des relations entre trois éléments —croissance explosive des agrégats monétaires, expansion hyperbolique des agrégats financiers et écroulement accéléré de l’économie physique— est la seule façon de comprendre la transposition de la crise financière au domaine militaire et stratégique, comme Clausewitz l’avait décrit au 19ième siècle. Ne pouvant ou ne voulant pas résoudre efficacement les problèmes économiques et financiers en changeant la politique économique et financière, les oligarchies démo-ploutocratiques tendent à les résoudre par d’autres moyens. L’argent, nerf de la guerre, ou la guerre, nerf de l’argent.
Clinton et la « Troisième Voie » parasitaire
La réforme de l’aide sociale, la politique étrangère au sujet de l‘Afrique ou des Balkans, dénotent l’influence dominante qu’exercent sur la Maison Blanche et sur le Président Clinton les conseillers politiques, les nouveaux démocrates du courant de Tony Blair, représentés aux Etats-Unis par Al Gore. Ces conseillers utilisent la méthode dite de la troisième voie : plutôt que de considérer les conséquences sur la vie réelle des décisions à prendre, on considère ce qui peut être permis selon les règles du jeu existantes. Concrètement, chaque impulsion politique est soumise à des considérations politiques plus générales qui visent à trouver un consensus et doivent être prévalentes. En conséquence, une politique proposée par le Président sera redéfinie afin d’être appliquée selon les règles du jeu. Dans ce processus, la politique originelle est souvent transformée en son exact opposé !
La manifestation la plus tangible de cette « troisième voie » s’incarne dans le fascisme à visage démocratique, version Tony Blair, à l’œuvre en Grande-Bretagne. Rassurons-nous, nous sommes là bien loin du « tercérisme européiste » d’essence nationale-révolutionnaire ! L’économie politique de la « troisième voie » de Blair ne se distingue en rien du néo-libéralisme radical introduit en Grande-Bretagne par Margaret Thatcher. C’est toujours la mondialisation, le libre-échange, l’écologisme, la réduction démographique, etc., mais la version « troisième voie », basée sur le consensus, se présente comme « démocratique ». Le principal interlocuteur de Blair à Washington est le vice-président Al Gore, fer de lance du projet écologiste utopique, comme l’a montré sa campagne contre le réchauffement global. Martin Walker annoncera dans le Guardian qu’une bonne partie de la pensée du courant « troisième voie » repose sur la conscience que l’économie globale est le moteur actuellement le plus puissant du changement. Au sein du parti démocrate, la « troisième voie » s’est structurée sous le vocable du « Democratic Leadership Council » (ou : DLC). Le DLC a été fondé en 1985 avec, principalement, des démocrates du Sud, dont Sam Nunn de Géorgie, Chuck Robb de Virginie, John Breaux de Louisiane. Clinton et Gore ont adhéré au DLC et Clinton le présidait avant d’être candidat à la Présidence. On les appelle les « nouveaux démocrates », du nom de leur magazine. Les « nouveaux démocrates » ont créé dans la foulée un groupe de réflexion, le « Progressive Policy Institute » (PPI). En 1992, le DLC avait des sections dans trente Etats, un budget annuel de 2,5 milliards de dollars et dix-neuf permanents. A l’origine de la fondation du DLC, qui était une réponse à la défaite de Walter Mondale à l’élection présidentielle contre Reagan en 1984, il y avait l’idée que le Parti Démocrate devait abandonner sa base traditionnelle, composée de syndicalistes, de membres des minorités ethniques, d’agriculteurs, pour courtiser plutôt les couches de la société ayant une activité plus éloignée de la production ou même parasitaire : les yuppies des banlieues chics, les employés du secteur des services, les boursicoteurs, les comptables, etc. Le DLC exerce une influence pernicieuse sur les décisions du Président Clinton, par l’intermédiaire de son vice-président Al Gore, qui a été choisi comme candidat démocrate à l’élection présidentielle de l’an 2000. L’influence idéologique de cette « troisième voie parasitaire » finit de parachever la désintégration du système financier et monétaire international et plonge le monde entier dans le pire désastre économique et social de l’histoire.
Rodolphe LUSSAC.
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jeudi, 13 septembre 2007
G. Reisegger: Entretien à POLITICA (Belgrade)
Entretien de Gerhoch Reisegger accordé à la revue POLITICA (Belgrade)
Propos recueillis par Dragos KALAJIC, lors de la 7ième Université d’été du Groupe de réflexion grand-européen « Synergies Européennes » (Perugia, août 1999)
Q. : Quelle est la différence entre les écoles économiques anglo-saxonnes et la conception allemande traditionnelle de l’économie, théorisée par des esprits comme Friedrich List, Othmar Spann, Alois Schumpeter ou par leur élève français François Perroux ? Ici, en Serbie, la plupart des observateurs, journalistes, politologues ou politistes ne sont pas capables de discerner les concepts de la pensée économique allemande ou d’évoquer des écoles économiques ; malheureusement pour nous, nos élites économiques et universitaires ne connaissent que les concepts, théorèmes et dogmes de l’école libérale anglo-saxonne et du capitalisme anglo-saxon. Pour eux, le concept fondamental qui devrait présider à la reconstruction de la Yougoslavie est le suivant : « Trouver du capital et accepter pour cela toutes les conditions ». Aujourd’hui, mêmes les Yougoslaves ne font qu’ânonner les dogmes du libéralisme à l’américaine…
GR : Ma position est le contraire diamétral des dogmes néo-libéraux. Selon ces dogmes, le capital (les « investissements directs ») conduit à l’essor de l’économie (nationale), ce qui conduit à l’opinion suivante : « Le capital crée le travail », alors que c’est le contraire qui est vrai, c’est « le travail qui crée le capital » ! On devrait se focaliser sur l’économie réelle et non pas sur l’économie « virtuelle ». Il faut donc refaire fonctionner l’économie nationale en toutes circonstances et même tenter d’inverser la vapeur, aller à contresens de la tendance générale à la globalisation. Cela implique de poursuivre des objectifs économiques déduits de priorités politiques nationales. La hiérarchie des valeurs devrait donc être : culture, politique, économie (et non l’inverse). L’économie n’est jamais qu’un moyen et non pas un but en soi au sein de tout Etat national qui se respecte et qui agit en faveur de l’ensemble de sa population.
Q. : Comment la conception économique d’un Hjalmar Schacht pourrait-elle être appliquée en Yougoslavie, si du moins, cela s’avère possible ?
GR : Schacht, dans le fond, était un partisan du libre marché, mais il a dû affronter les conditions de la grande dépression de l’économie mondiale, c’est-à-dire le chômage de masse en Allemagne, les impositions du Traité de Versailles et le manque cruel de devises en Allemagne, avec, simultanément, un besoin urgent de matières premières pour l’industrie allemande. Il a donc dû imposer des contrôles très stricts du marché des devises et du commerce extérieur. Afin d’obtenir des devises étrangères (un allongement du crédit n’était pas possible à cette époque), il proclama le « nouveau plan », afin de diriger les flux d’exportations et d’importations en direction des pays, qui acceptaient des compensations en produits finis allemands pour leurs importations en Allemagne de matières premières. Les offices du commerce extérieur allemand ont reçu pour mission d’acheter moins de produits finis, mais davantage de matières premières ou de produits semi-finis (y compris des denrées alimentaires), pour augmenter la valeur des créations et réalisations industrielles allemandes et épargner les réserves de devises.
Cette façon complexe de pratiquer le commerce extérieur a été possible dans la mesure où l’on a pratiqué, en fait, une économie de troc. Ainsi l’Allemagne a réussi à inverser la vapeur et à effacer sa balance commerciale négative et sa balance des paiements, également négative. Elle a même pu avoir un très léger excédent d’exportations. Autre mesure prise pour des raisons économiques : la substitution de matières premières chaque fois que cela était possible, afin de juguler la dépendance importante de l’Allemagne vis-à-vis des matières premières importées (ce qui permettait aussi d’économiser les réserves de devises). Pour modifier les habitudes d’achat et de production de diverses branches de l’industrie allemande, qui devaient, selon la nouvelle politique, travailler de préférence avec des matières de substitution, le ministère de Schacht a pris une série d’autres mesures : il a favorisé la recherche pour que l’on sache, dans le pays, travailler de manière optimale avec ces nouvelles matières. Il a fallu ensuite construire de nouvelles installations industrielles, éviter la constitution de monopoles, etc.
L’objectif de l’autarcie allemande et le principe de substituer, autant que possible, les matières premières habituellement importées, n’était pas le résultat d’une théorie de l’autarcie ou d’une idéologie autarciste, qui aurait été le propre de la NSDAP nationale-socialiste, mais a tout bonnement été imposé par les circonstances : l’Allemagne souffrait d’un déséquilibre entre ses exportations de biens et de services (et donc d’un manque de devises) et la nécessité inconditionnelle de payer ses importations à l’aide de devises (qu’elle n’avait pas en suffisance) (1). Le système économique allemand entre 1933 et le début de la seconde guerre mondiale n’a nullement été une « économie de guerre » placée sous la direction d’un instance centralisée (2). Mais ce système n’a pas été représenté uniquement par Schacht. D’autres personnalités et d’autres économistes l’ont impulsé et incarné. Aujourd’hui, l’Allemagne paria d’après Versailles nous semble être un modèle pour la Yougoslavie paria d’après les bombardements de l’OTAN.
Q. : L’Europe aura-t-elle un jour la force de secouer le joug de la pensée économique anglo-saxonne ?
GR : Oui, si l’Europe met volontairement un terme à son statut de protectorat des Etats-Unis. Ensuite, si l’actuelle économie mondiale s’effondre et si les Etats-Unis sont précipités dans le chaos. Malheureusement, les « élites » européennes ne sont pas du tout préparées à affronter de telles catastrophes. Pourtant, si un tel état de détresse devient réalité, il n’y aura pas d’autre issue que de mettre un terme au type d’économie « virtuelle » que les Etats-Unis ont imposé au monde.
Q. : La Yougoslavie peut surtout offrir un surplus d’énergie (électrique), de produits agricoles (blé), même si cette énergie et ces produits agricoles ne sont pas produits selon des critères écologiques rigoureux, et des techniques de communication (y compris la possibilité de les fabriquer). Comment ces atouts de l’économie yougoslave pourraient-ils être valorisés, pour accéder plus aisément aux marchés ouest-européens, est-européens et asiatiques ? Que devrait faire l’homme politique qui occuperait le poste de ministre des affaires économiques pour restaurer la position de notre pays dont les atouts sont, je le répète, l’énergie, l’agriculture et les technologies de la communication ? Surtout s’il doit faire face à un déficit de moyens financiers, s’il ne reçoit aucun crédit du FMI et s’il doit tenir compte de l’embargo imposé au pays…
GR : En aucun cas, il ne faut accepter de l’argent du FMI ni accepter un quelconque « accord politico-économique », qui porterait atteinte à la souveraineté du pays ou qui vous enlèverait, à vous les Serbes, le droit de façonner les institutions de votre pays comme vous l’entendez. Une telle politique de subordination signifierait la fin de toute stratégie nationale propre dans la reconstruction de votre économie. Si vous ne comprenez pas cela clairement, il me semble oiseux de parler de « compromis » ou d’ «alternatives », qui engloberaient les « economic adjustment policies » du FMI ou poseraient celles-ci comme des conditions incontournables. L’application de telles idées débouchent toujours sur le chaos, la destruction du tissu économique et la perte de la souveraineté nationale dans les pays qui croient naïvement aux dogmes du néo-libéralisme. Pourquoi ? Parce que les dettes ne cessent d’augmenter auprès du FMI et des banques anglo-américaines.
Q. : Comment jugez-vous les plans de Georges Sörös pour l’Europe de l’Est : les peuples de cette région devraient s’unir au sein d’une Union Balkanique qui abolirait les frontières entre les Etats actuels (Yougoslavie, Macédoine, Roumanie, Bulgarie) et donc aussi les barrières douanières. Les pertes en matière de recette, jusqu’à des montants de 5 milliards de dollars ou d’euros, seraient compensées par la Commission de l’UE, l’Euro deviendrait la seule monnaie en cours dans cette Union Balkanique.
GR : C’est une stratégie qui vise la destruction des Etats nationaux. Mon compatriote, le philosophe et théologien Friedrich Römig a constaté : «La monnaie, c’est l’Etat ! » ou, inversemment, « L’Etat, c’est la monnaie ! ». Si l’on renonce au droit de battre monnaie, toute souveraineté apparente n’est qu’illusion. De tels projets, qui n’ont aucun modèle dans l’histoire ou dans l’histoire politique, qui n’ont aucune justification éthique, ethnique ou autre, débouchent forcément sur le chaos, sur la perte de l’autodétermination des peuples dans le façonnage de leur propre destin. En fait, le projet de Sörös est un projet qui vise à faire de l’ensemble de la péninsule balkanique un protectorat occidental. De plus, l’UE elle-même, dans sa constitution actuelle, n’est pas en mesure de garantir quoi que ce soit ; elle n’est pas sûre de survivre à la première crise économique sérieuse, alors qu’une crise de grande ampleur est manifestement proche…
Q. : Quel est le rôle et la signification de l’euro ou du dollar, quelles sont les conséquences de l’introduction de l’euro (même d’un euro fort) pour l’économie ?
GR : L’euro n’est nullement pris au sérieux par les Américains. Si les Etats-Unis percevaient dans l’euro un danger pour le dollar, l’euro n’aurait même pas été inventé. Nous pensons dès lors que l’euro n’est pas un avantage pour l’Europe, et surtout par pour l’Allemagne, qui perd ainsi sa dernière possibilité d’influencer le destin de l’Europe ou d’exercer une forme, même minime, de puissance sur notre sous-continent. De cette façon, la vieille recette s’applique toujours : il faut entraver et juguler l’Allemagne. La chute du cours de l’euro face au dollar montre très bien les faiblesses de cette nouvelle monnaie. Quant aux réévaluations plus récentes, elles sont artificielles, elles sont des manipulations du Japon et de la Banque Centrale Européenne (BCE), mais cela n’a absolument rien à voir avec la fin de la guerre en Yougoslavie ou avec une amélioration de la situation économique en Europe. Tout cela, c’est de la propagande.
Les raisons « techniques » de ces fluctuations de l’euro résident dans les différences en matières de législations sociales, fiscales, et de droit du travail, etc. et vouloir placer ces innombrables différences sous le dénominateur commun d’une seule monnaie contribuera à plonger les économies nationales réelles dans le désordre. Les diverses priorités d’ordre politique dans les Etats membres ne nous permettent pas d’augurer une politique cohérente de la part de la BCE (il suffit de se rappeler les débats qui ont eu lieu à propos de l’élection du premier président de cette BCE : Duisenberg a été élu pour la moitié du temps qui aurait normalement dû lui être accordé, pour laisser la place au Français Trichet ; ces discussions laissent clairement entrevoir les difficultés futures…).
Les analyses financières les plus récentes prévoient d’ores et déjà un effritement de l’union monétaire, dès que les premiers signes d’un crash du système financier international apparaîtront. Les démissions du ministre américain des finances R. Rubin et du vice-ministre des finances japonais E. Sakarikaba (surnommé « Mister Yen ») ont certainement pour cause l’éventualité fort probable d’un crash. Sakarikaba a clairement donné cette raison pour expliciter sa démission (3).
Q. : Même si les sociaux-démocrates sont au pouvoir en Europe, ce sont eux qui détruisent de facto les institutions de l’Etat-Providence et tous les filets de sécurité sociale, tissés au cours de longues décennies de luttes ouvrières. Ils remplacent les institutions sociales européennes par les principes du néo-libéralisme.
GR : Oui, effectivement, ce sont les socialistes actuels qui détricotent les filets de la politique sociale, tissés par leurs prédécesseurs ! On peut dire clairement aujourd’hui qu’ils ne sont plus du tout les représentants des intérêts sociaux de la population, mais les laquais des puissances financières hégémoniques dans le monde. On peut aussi les accuser d’être des voleurs, car ils tentent, dans l’opération, de rafler un maximum pour leurs propres poches. Les anciennes différences entre socialistes et conservateurs, entre verts et libéraux, ont fini par disparaître et perdre toute signification : tous, sans exception, mettent en pratique les penchants les plus frauduleux de la partitocratie et sont totalement corrompus. La seule chose qui les préoccupe, c’est d’être réélus et de conserver leurs « jobs ».
Q. : Quelles expériences avez-vous eues avec des élites balkaniques ?
GR : Je me suis aperçu qu’elles étaient bien souvent naïves, quand elles demandent des aides substantielles aux organisations internationales ou au FMI. Elles sont obnubilées par le néo-libéralisme sans en connaître, au fond, les principes pervers. Lorsque ces élites économiques balkaniques se présentent dans les conférences internationales, comme à Davos ou au « South European Summit » de Salzbourg ou aux conférences sur la « reconstruction », organisées par le FMI, la Banque mondiale ou l’UE, elles viennent, parfois sans s’en rendre compte, recevoir des ordres. Il semble qu’elles n’ont pas compris les mécanismes en place…
Dans la plupart des pays, la « démocratisation », toujours suivie de la « privatisation », de la « libéralisation » et de la « dérégulation », conduit à une destruction massive des capacités de production, accompagnée d’un taux de chômage catastrophique et, pire, dans les pays agricoles, d’une pénurie de denrées alimentaires (avec des débuts de famine !), parce que la dérégulation néo-libérale ruine l’agriculture. L’erreur n’a pas été de procéder à une « démocratisation » insuffisante, mais d’avoir repris et appliqué le système néo-libéral dans son ensemble et de manière a-critique.
D’abord, ce système ne pouvait pas s’appliquer dans une économie de type traditionnel. Ensuite, il n’y avait pas les conditions-cadres nécessaires (d’ordres institutionnel, légal, juridique et autres) ni suffisamment de cadres formés à ces écoles anglo-saxonnes, pour que ce type d’économie puisse s’organiser. Mais, chose plus importante encore, l’ensemble du processus de néo-libéralisation consiste en une « reprise en main par l’ennemi », en la personne de spéculateurs (le capital international, des trafiquants de toutes espèces, des escrocs). Finalement, le système néo-libéral a atteint son point terminal, le crash, comme nous pouvons le constater à la suite ininterrompue de crises dans le monde entier. L’illusion, qui consiste à croire que, si le système ancien était mauvais, le nouveau devait automatiquement être bon, est une conclusion complètement erronée. Il ne s’agit pas de cela. Si on prend conscience de QUI, ici en Europe orientale, dans des délais très brefs, en est venu à dominer l’industrie, le système bancaire ou les médias, on s’étonne et on se demande comment cela a-t-il pu se faire… Sont-ce des événements normaux ? Ou un processus téléguidé de l’extérieur par des forces anonymes et secrètes ? Pour trouver réponse à ces questions, il suffit de se demander « Cui bono ? », « A qui profite le crime ? ».
Q. : Quelles sont vos impressions après votre voyage en Serbie, frappée par les bombardements de l’OTAN ? Sur le plan géopolitique, que signifie la Serbie pour vous ? Garde-t-elle une signification dans l’affrontement futur entre l’Europe et les Etats-Unis ?
GR : La Serbie a été, est et restera très importante pour des raisons géopolitiques. Elle se situe au carrefour de plusieurs lignes de communication entre l’Europe et l’Asie. Si l’on songe à la résistance que vient d’opposer la Serbie à l’impérialisme américain et aux pressions hégémoniques de Washington, alors on peut dire, sans hésitation, que les Serbes, une fois de plus dans l’histoire, ont pris en charge la mission très difficile de défendre l’Europe contre le despotisme d’une puissance étrangère à l’espace européen. La Serbie est donc le dernier pays d’Europe à opposer une résistance au nouvel ordre mondial annoncé jadis par Bush, Président des Etats-Unis. Je me souviens d’avoir lu un livre très ancien, publié au début du siècle, qui avait pour titre « Die Serben – Wächter des Tores » (= « Les Serbes, gardiens de la porte »). Ce livre est plus actuel que jamais. Malgré toutes les nuées de la propagande, l’exemple donné par le peuple serbe cette année a changé la situation de manière décisive. Car les Etats-Unis n’ont pas atteint le but de leur guerre : ils n’ont pas un modèle casuel pour justifier d’autres interventions, comme par exemple, en Tchétchénie contre la Russie ; ils n’ont pas pu installer une nouvelle « international law » en mesure de sa passer d’un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU ; ils n’ont pas pu étendre leur contrôle à l’ensemble du territoire serbe, c’est-à-dire à l’extrémité occidentale du « pont terrestre » de la « route de la soie », et de remplacer les forces de sécurité de l’ONU par l’OTAN. L’exemple serbe est donc de première importance, surtout sur le plan mental.
ADDENDUM : Réflexions sur les notions de « terre » et de « mer » (Carl SCHMITT)
Pour répondre plus en détails à votre question sur les différences entre économie anglo-saxonne et économie allemande, il faut d’abord bien comprendre la différence fondamentale qu’il y a entre « terre » et « mer », comme Carl Schmitt l’a démontré dans son œuvre. Il a notamment approfondi ces concepts dans tous leurs aspects dans son ouvrage intitulé Der Nomos der Erde (= Le Nomos de la Terre). Les différences entre les pays qui tiennent leur puissance de la mer, comme l’Angleterre et plus tard les Etats-Unis, et ceux qui la tiennent de la terre, comme l’Allemagne, la Russie et la Chine, sont considérables. Je conseille à tous de lire attentivement l’œuvre de Carl Schmitt pour comprendre réellement combien les différences dans les forces motrices intérieures des pays maritimes et des pays continentaux sont fondamentales. Les puissances maritimes basent leur économie sur le commerce mondial illimité et exercent dès lors leur contrôle sur les mers, en tous points du globe. Elles occupent les têtes de pont stratégiques les plus importantes dans le monde entier : Gibraltar pour les Britanniques, Panama pour les Américains, Suez, etc. (4).
Une caractéristique : ces puissances maritimes veulent la concurrence illimitée entre des marchés « libres », dans le monde entier, le commerce ne peut connaître d’entraves. L’OMC/WTO et d’autres organisations internationales comme le Mercosur, l’ALENA et l’UE servent d’instruments à cette idéologie du libre-échange planétaire. Lorsqu’une économie nationale particulière a un marché solvable, génère une surproduction mais se ferme au principe du libre marché, alors les Etats-Unis appliquent, sans fard ni hésitation, leur stratégie habituelle de répression, qu’avait annoncé en son temps le Président Wilson : « S’ils ne veulent pas nous ouvrir leurs portes, alors nous allons les enfoncer… ». Exemple : le blocus subi par le Japon au 19ième siècle et perpétré par la flotte américaine ; plus tard, à partir de 1937, ces blocus directs ou indirects, ont obligé les Japonais, qui dépendaient cruellement des matières premières, à faire une guerre qu’ils ont perdue.
Aujourd’hui, les méthodes sont plus subtiles. A côté de « l’économie réelle » (investissements dans la production), dominent en économie les « financial markets ». On devrait plutôt les appeler des « marchés virtuels », car ils sont complètement détachés de l’économie réelle ; leurs transactions sont en fait des jeux d’ordinateurs, aux caractères hautement spéculatifs.
Les problèmes majeurs liés à ce type de marchés virtuels sont les suivants :
- moins de 1% des transferts financiers quotidiens concernent la paiement effectif de biens réels et de véritables services. Plus de 99% sont de nature purement spéculative.
- Les « dérivats », tels qu’on les appelle, sont en réalité purement virtuels et relèvent de l’économie casino. Ils ressemblent à ces jeux de pyramides financières et, par définition, sont des escroqueries graves et des attentats criminels contre les économies nationales et contre l’économie mondiale. Pire : la « bulle d’air » générée par les spéculations de cette économie virtuelle peut éclater à tout moment et précipiter l’ensemble du système financier et monétaire du monde dans le chaos, avec toutes les conséquences d’un effondrement économique général, frappant toutes les économies nationales, la perte de toutes les épargnes des familles et d’une masse incalculable d’emplois, la pénurie générale de tous les biens importants. Un tel crash ferait apparaître celui de 1929/1930 comme une broutille sans importance !
- Depuis quelques temps, l’ampleur des transactions spéculatives a dépassé la masse dominable. Les évaluations à la fin de l’année 1997 estiment que les « investissements » de ce type —et ils ne sont pas tous répertoriés ; de plus, parler « d’investissements » en cette matière est déjà une escroquerie— s’élèvent à 120.000 milliards de dollars. La Banque internationale des paiements rapporte que le taux de croissance de cette bulle spéculative est de 60% par an !
(La suite de cette étude de Gerhoch Reisegger dans notre prochain recueil ; version allemande parue dans la revue Staatsbriefe à Munich, http://members.tripod.de/staatsbriefe – version anglaise disponible chez l’auteur reisegger-gerhoch@netway.at ou chez robert.steuckers@skynet.be ).
Notes :
1. Hans KEHRL, Krisenmanager im Dritten Reich.
2. C’est immédiatement visible lorsque l’on observe les chiffres des budgets pour la défense et les questions militaires en pourcents du BNP :
Dépenses pour les questions militaires :
1933/34 : 1,9 milliards de RM = 4% du BNP
1934/35 : 1,9 milliards de RM = 4% du BNP
1935/36 : 4,0 milliards de RM = 7% du BNP
1936/37 : 5,8 milliards de RM = 9% du BNP
1937/38 : 8,2 milliards de RM = 11% du BNP
1938/39 : 18,4 milliards de RM = 22% du BNP
A titre de comparaison en 1934 : France : 8,1% du BNP ; Japon : 8,4% du BNP ; Union Soviétique : 9,0% du BNP ; Angleterre : 3,0% du BNP. Ce n’est qu’au début de la guerre que les dépenses de l’armée allemande et de l’industrie de guerre ont été comparables à celles des autres puissances.
3. Le journal financier australien Australian Financial Review a dévoilé les véritables raisons de la démission du vice-ministre des finances japonais, Eisuke Sakakibara (alias « Mister Yen »), responsable du département « finances internationales ». Sakakibara entrevoyait parfaitement la possibilité d’un gigantesque crash. « Il a dit à un ami qu’il n’insisterait pas pour rester un an de plus à son poste parce qu’il croyait que Wall Street allait crasher endéans cette période et qu’il ne voulait pas être responsable de la résolution des problèmes résultant de ce crash au Japon ». Plus loin, la magazine financier australien écrit : « Non seulement l’économie américaine s’effondrera, mais l’ensemble du système capitaliste global sera menacé ». Il est assez inhabituel qu’un ministre parle un tel langage. Sakakibara est l’homme qui a inventé un terme moqueur pour désigner l’économie américaine : « bubble.com ». « Les Etats-Unis seront aux premières loges quand la bulle internet va éclater et crasher ».
4. Dans The Grand Chessboard, Z. Brzezinski énumère toutes les positions stratégiques importantes du globe et les régions géopolitiquement importantes. D’un point de vue européen, nous ne partageons pas toutes ses analyses : elles sont néanmoins cohérentes dans les plans de l’hégémonisme américain.
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mercredi, 12 septembre 2007
Clinton, la Turquie et l'UE
Texte ancien de 1999 pour rappeler la collusion américano-turque, aujourd'hui battue en brèche mais toujours potentiellement activable contre l'Europe !
Clinton veut ouvrir les portes de l’UE à la Turquie
A propos des déclarations du Président américain lors de sa visite à la Turquie, dévastée par un tremblement de terre
Le Président Bill Clinton a esquissé clairement, devant l’ensemble des dirigeants turcs, la tâche stratégique que les Etats-Unis entendent donner à la Turquie : celle-ci doit être un « pont », surtout par le biais de son adhésion (espérée) à l’UE, entre l’Europe et l’Islam modéré ; elle doit également être le « bastion avancé de l’Occident » contre les menaces des fondamentalistes (l’Iran) et de l’Irak ; elle sera l’élément porteur de la stabilité dans les Balkans ; elle sera l’alternative au monopole russe sur les fournitures énergétiques du Caucase, grâce à l’oléoduc Bakou-Ceyhan et au gazoduc transcaspien ; elle sera, enfin, l’alternative à l’hégémonie politique de Moscou en Asie Centrale. Toutefois, Clinton, en utilisant un langage très prudent, a aussi esquissé les « conditions » que la Turquie devra remplir pour que le peuple américain puisse accepter son rôle d’allié privilégié qu’il compte lui attribuer : « approfondir la démocratie », objectif pour lequel « il y a encore beaucoup de travail à faire » ; la Turquie doit ensuite améliorer ses rapports avec Athènes et atténuer les tensions dans l’Egée ; elle doit ensuite favoriser un accord sur Chypre. Clinton, qui est en visite officielle à Ankara et qui doit participer le 18 novembre au sommet de l’OSCE, a affirmé, devant le parlement, que « le futur de la Turquie est la clef pour donner forme au XXIième siècle ». Il a ensuite souligné, avec insistance, la grande importance géopolitique du pays, à cheval entre l’Est et l’Ouest, entre l’Occident chrétien et le monde musulman. Cependant, avec une égale insistance, la Président a insisté sur la nécessité, pour la Turquie, de continuer les réformes démocratiques, « en particulier en ce qui concerne la liberté d’expression » et les droits de l’homme. Il a laissé entendre qu’il souhaitait également une solution à la question kurde. En même temps, Clinton dit l’urgence d’une amélioration des rapports de la Turquie avec la Grèce, afin que le dégel gréco-turc puisse favoriser l’adhésion à l’UE, projet que le Président américain « soutient avec force et fermeté » et aussi afin de faire de la Mer Egée une mer de paix. Clinton s’est ensuite félicité de la décision du leader turc-cypriote Rauf Denktasch d’accepter les négociations indirects qui auront lieu à New York ( !), mais il a dit au Président turc Suleyman Demirel et au Premier Ministre Bulent Eçevit qu’il attendait que ces négociations conduisent à « des pourparlers significatifs qui mèneront à un accord général sur le problème cypriote ». Allusion claire aux tentatives directes de négociations qu’a entreprises Denktasch, qui reçoit le soutien d’Ankara, mais dont la « République Turque de Chypre du Nord » n’a pas encore été reconnue formellement par d’autres pays que la Turquie elle-même. Toute la classe politique turque, à commencer par Eçevit lui-même, était présente au Parlement pour écouter Clinton, flanqué de sa femme Hillary et de sa fille Chelsea. Eçevit s’est borné à apprécier l’importance que Clinton accorde à la Turquie, soulignant, dans sa réponse, que le Président américain connaissait bien le pays. Cependant, toute l’élite turque ne semble pas avoir apprécié la visite de Clinton. Une centaine de manifestants de la gauche turque ont été arrêtés pour avoir organisé des manifestations de protestation et scandé des slogans comme « Yankees go home ». Mises à part toutes questions politiques, ce sont les terribles séismes d’août et de novembre qui préoccupent l’homme de la rue en Turquie. Effectivement, le nombre de victimes du tremblement de terre du vendredi 12 novembre 1999 ne cesse d’augmenter. Le séisme a eu une ampleur de 7,2 sur l’échelle de Richter. D’après le dernier bilan officiel, il y aurait eu 452 morts et 2386 blessés. Les espoirs de trouver encore des survivants s’amenuisent d’heure en heure, même si les équipes de secours turques et étrangères continuent à creuser ou à fouiller les décombres s’il y a la moindre chance de trouver un être humain encore en vie. Le Président Clinton a assuré le soutien des Etats-Unis, qui ne lésineront en rien et multiplieront les efforts pour aider le nouvel « allié principal » de Washington dans le désastre qui le frappe. Clinton a annoncé un financement d’un milliard de dollars, via l’Eximbank. Cette fois, le gouvernement turc est intervenu rapidement sur les lieux du séisme, en y envoyant des militaires, attitude contraire à son inertie lors du tremblement de terre du 17 août, qui a fait 20.000 victimes. Le problème principal pour les sinistrés reste le froid et l’hiver qui arrive : de sérieux problèmes resteront irrésolus, y compris pour les sans-abri du séisme de cet été. De nombreux pays continuent à envoyer de l’aide, l’Italie en tête. A Duzce et à Kaynasli, les deux localités les plus touchées en novembre, où, respectivement, 350 et 301 des 722 immeubles à étages se sont écroulés, les équipes de secours poursuivent avec obstination leurs recherches dans les ruines, mais 72 heures après le séisme, les espoirs de trouver encore quelqu’un en vie se réduisent considérablement.
Mauro BOTTARELLI.
(Article paru dans La Padania, 16 novembre 1999 ; http://www.lapadania.com ).
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jeudi, 06 septembre 2007
La guerre en Irak affaiblit l'US Army
La guerre en Irak affaiblit l’US Army
Peter Pace, général américain qui part à la retraite, a exigé, avant son départ, la diminution des effectifs US en Irak. La présence de plus de 100.000 soldats en Irak constitue une charge trop lourde pour les forces armées américaines et diminue leurs capacités à réagir à d’autres menaces, a déclaré cet officier de haut rang aux journalistes du « Los Angeles Times ». Cet officier du Corps des Marines peut partir à la retraite car George Bush n’a pas réclamé le renouvellement de son contrat ; il quittera donc ses fonctions en septembre 2007. Il présentera ses réflexions et conclusions au Président américain mais à titre privé seulement, précise le « Los Angeles Times ». Le quotidien précise en outre que les chefs d’état-major ont exprimé leurs inquiétudes : en effet, la guerre menée en Irak empêche de faire face à d’autres menaces, comme celle que pourrait constituer l’Iran. Pour sa part, le Sénateur républicain John Warner de l’Etat de Virginie a demandé au Président Bush d’annoncer, le 15 septembre, le retour prochain de 5000 soldats du théâtre irakien. Les Etats-Unis doivent montrer au Premier Ministre irakien Nouri al-Maliki que l’engagement américain en Irak ne sera pas éternel, a déclaré le Sénateur, qui est également membre de la Commission des forces armées. Et il a ajouté : « Le gouvernement irakien a laissé tomber nos troupes ».
(source : Junge Freiheit, Berlin,n°36/2007).
Commentaires:
L’hypertrophie impériale est une constante de la politique extérieure et militaire des Etats-Unis. Les engagements militaires finissent par s’avérer très lourds, sur le plan budgétaire, pour faire face simultanément à d’autres impératifs (sociaux, investissements structurels, etc.). De plus, l’intervention en Mésopotamie, au fond de ce bras de mer profondément enfoncé dans les terres de la masse continentale eurasienne implique un bouleversement tel de l’équilibre régional et de sa périphérie, qu’il implique, bien plus qu’au Vietnam, l’émergence de nouveaux conflits et défis ; ainsi, nous voyons une Turquie qui vacille, ne montre plus la même fidélité inconditionnelle à l’alliance atlantique ; un Iran qu’il faut déstabiliser par insurrections tribales interposées au Baloutchistan et dont l’invasion exigerait des troupes bien plus considérables ; une Asie centrale ex-soviétique qui lorgne, du coup, à nouveau vers Moscou ; une effervescence dans le Caucase que les Etats-Unis ne peuvent maîtriser en dépit des promesses faites à leurs nouveaux alliés, etc. Dans un tel contexte, la Vieille Europe, vilipendée par la clique néo-conservatrice autour de Bush, pourrait faire valoir ses droits à un environnement stable, de concert avec la Russie de Poutine, voire avec la Chine et l’Inde, mais cette réaction salubre ne s’avère plus possible avec la disparition de facto de l’Axe Paris-Berlin-Moscou, les positions d’Angela Merkel étant plus molles et vagues que celle de son prédécesseur social-démocrate et l’alignement de Sarközy, le nouveau président français, sur les Etats-Unis devenant de plus en plus patent.
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lundi, 03 septembre 2007
Arménie: nation martyr
Arménie: nation martyr de l'orthodoxie
Notes d'un voyage au pays détruit par les invasions turques
Plus d'un touriste s'émerveillait jadis, en 1988, à Erivan, capitale de l'Arménie, de pouvoir aller se promener dans les montagnes du Nagorno Karabagh, une région dont le nom signifie “jardin noir” en langue turque. Aujourd'hui, ce pays merveilleux est l'endroit, sur la planète, le plus couvert de mines anti-personnel. Le Nagorno Karabagh, que les Arméniens appellent “Artzhak”, est un nouvel Etat, né de la résistance et de la guerre des partisans menée par la population arménienne contre l'invasion islamique turque venue d'Azerbaïdjan. Les Azéris, effectivement, se sont rendus maîtres du pays au moment de l'effondrement de l'Union Soviétique. Si on s'y rend en voiture en venant de la cité de Berdzor, il faut traverser un no man's land encore infesté de bandes azéries et passer entre deux colonnes frappée d'un symbole identique au “Soleil des Alpes” placé sur une épée marquée d'une croix. On se trouve alors dans le district de Shushi, une ville accrochée à une montagne escarpée, où Sergey Tsaturian reçoit les visiteurs. Il est le commandant de la Garde Nationale. Il est l'un des sept frères de la première famille qui, guidée par le patriarche Grigory Shendyan, âgé de 98 ans, a pris les armes contre les envahisseurs. Avec grande fierté, il nous montre une église dont on achève la construction: les azéris d'ethnie turque l'avaient incendiée puis faite sauter à la dynamite, il y a trois ans. Aujourd'hui, un jeune prêtre orthodoxe à longue barbe enseigne le catéchisme à de jeunes garçons à l'air libre, alors qu'il pleut. Il me dit: «Nous ne sommes pas encore en mesure de reconstruire l'école primaire et l'école moyenne qui ont été détruites à coups de canon, sous prétexte qu'elles n'étaient pas des “écoles coraniques”». D'une autre petite chapelle de Shushi, il ne reste plus rien d'autre que les fondements; des destructions similaires ont frappé Berdadzor, Kanatckala, Zarisli, Kanintak; avant de se retirer les Azéris d'ethnie turque ont systématiquement détruit les églises, les écoles et les fours à pain. A Stephanakert, capitale de la nouvelle république d'Artzhak, de nombreuses églises ont également été frappées et fortement endommagées par des missiles ou des obus, mais le Musée de la Tradition tient encore debout, malgré les attaques au missile, au beau milieu de maisons disloquées. La directrice de ce musée, Mme Mélanie Balayan, me raconte que les familles et les enseignants y emmenaient les enfants et les élèves pour visiter cet écrin de la mémoire arménienne, même sous une pluie d'obus. Les Arméniens de cette région n'ont plus connu la liberté depuis longtemps: domination turque, 70 années de communisme après l'arrivée des bolcheviques, puis, récemment, l'arrivée des Azéris d'ethnie turque. Pire: l'ONU, sous la double pression de la Turquie et de l'Azerbaïdjan, n'a pas reconnu le nouvel Etat, alors que des élections démocratiques y ont été tenues, qui ont porté au pouvoir des gouvernements sociaux-démocrates ou libéraux.
Dans le district d'Askeran, seul un monastère isolé dans la montagne a échappé à la furie destructrice. La plupart des villages ou des hameaux n'ont plus que des églises ou des écoles de fortune, installées dans des maisons d'habitation ou dans des vestiges d'anciennes forteresses russes. La ville morte d'Aghdam, dans le no man's land situé entre la frontière incertaine de l'Artzhak et l'Etat islamique d'Azerbaïdjan, est le véritable monument funéraire de l'“heureuse coexistence” entre orthodoxes et musulmans. Là-bas, tout est miné et les grenades en chapelets de couleur jaune, très semblables à celles que l'OTAN a utilisé contre les Serbes, maculent le vert des champs qui furent jadis fertiles. Les carcasses calcinées des chars de combat émergent des cratères creusés par les obus. Quelqu'un a apporté des fleurs pour les placer sous une petite croix blanche dessinée sur le flanc d'un T-34 détruit. Un calcul approximatif nous permet de dire qu'environ 300 églises et écoles orthodoxes arméniennes ont été détruites par les Turco-Azéris entre 1989 et 1997 au Nagorno Karabagh et dans le Nakhitchevan.
Epilogue: dans la vallée du fleuve Araxe, sur la frontière turco-iranienne, en 1999, je rencontre un colonel, qui ressemble à l'un de ces Immortels de Cyrus II le Grand. Il me fait visiter l'ancien monastère de la Kelissa Darré Sham, c'est-à-dire l'église de Saint-Bartolomée, arrivé dans la région en l'an 62. Elle a été détruite à plusieurs reprises par les invasions successives des Turco-Azéris, depuis le 16ième siècle jusque dans les années 70. Aujourd'hui, le complexe monastique est sous la protection de l'UNESCO et le ministère des monuments iranien est en train de le restaurer. Mais le panorama sur la vallée qui s'étend au-delà de la frontière azérie et du chemin de fer me rappelle le passé, aux blessures toujours béantes: des milliers et des milliers de katchar arméniennes, c'est-à-dire de croix rustiques taillées dans la pierre, révèlent des tombes chrétiennes orthodoxes, les tombes de ceux qui ont dû sans cesse fuir les persécutions déchaînées par le Sultan rouge, le génocide scientifiquement planifié par le gouvernement des Jeunes Turcs et, très récemment, les incursions des Azéris. Une seule chose a changé, ce ne sont plus des cimeterres ou des fusils que manient génocideurs ou envahisseurs, mais des chars d'assaut et des lance-roquettes munis de viseurs laser. La civilisation moderne…
Archimede BONTEMPI.
(article paru dans La Padania, le 26 octobre 2000; http://www.lapadania.com ).02:00 Publié dans Affaires européennes, Eurasisme, Géopolitique, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 02 septembre 2007
Drogues d'Asie centrale
Article d'archives : toujours d'actualité !
Archimede BONTEMPI:
L'Union Européenne contre le trafic des stupéfiants
Un document sur l'Asie centrale, berceau mondial de la drogue
Finalement, un document important a été édité avec l'accord des participants aux sessions de travail sur la drogue du Conseil de l'Union Européenne. Il s'agit de l'ébauche d'un plan d'action contre la drogue, à signer entre l'UE et les pays d'Asie centrale comme le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l'Ouzbékistan, c'est-à-dire, à l'exception du Tadjikistan, tous les Etats turcophones situés au-delà de la Mer Caspienne, où se trouve aussi l'Afghanistan qui est le principal producteur de drogues aujourd'hui. Dans ces pays se trouvent les plus grandes cultures du pavot, plante à la base de l'opium; par conséquent, ils abritent les organisations criminelles les plus importantes et les mieux ramifiées qui vendent la drogue en Europe. Tous ces pays signeront avec l'UE un traité d'assistance commune et de coopération pour élaborer des projets communs dans la lutte contre l'écoulement, le trafic, la production et la culture de la drogue.
Le choix de l'UE n'est pas de type militaire, comme celui pour lequel ont opté les Etats-Unis en Colombie. L'Europe ne dispose pas des crédits pour sa machine de guerre et pour utiliser celle-ci contre les organisations de trafiquants. L'Europe a choisi de renforcer des organisations internationales du type d'Interpol et de la DIA, favorisant la formation et la mise à jour professionnelle du personnel des polices, des gardes-frontières et des douanes. Mais surtout l'Europe a choisi de contribuer au développement économique des zones concernées par le problème, permettant l'éclosion de cultures à haut rendement économique pouvant se substituer aux "cultures de la drogue", ce qui permettra aux citoyens des républiques turcophones de rester dans leurs pays et d'y bénéficier de revenus suffisants. Il a également été décidé d'envoyer un Coordinateur européen sur place, pour conduire la lutte contre le narco-trafic.
La Conférence d'Europol, la coordination des services de police européens, s'est tenue en septembre de l'année passée; elle a mis en évidence que 80% de toute l'héroïne consommée en Europe proviennent de l'Afghanistan, dont la production est estimée à 4600 tonnes d'opium par an. Une grande partie de l'héroïne et des résines de cannabis et d'éphédra en provenance de l'Afghanistan et du Pakistan voisin est acheminée via les autres pays d'Asie centrale. Une petite partie reste sur place pour la consommation locale. La majeure partie transite par la Russie, la Turquie et l'Albanie pour aboutir en Europe.
Les mesures draconiennes prises par l'Iran le long de ses frontières avec l'Afghanistan et le Pakistan ont été couronnées de succès et ont réussi à barrer la route des trafiquants. Rien qu'au début de l'année 2000, la police et l'armée iraniennes ont éliminé plus de 400 trafiquants et en ont emprisonné le double. Ces mesures ont contraint les narco-trafiquants afghans à utiliser d'autres routes pour acheminer la drogue, notamment à travers le désert du Kazakhstan et via les autres pays de la région de la Caspienne. Le trajet des drogues s'est ainsi allongé, donc les prix ont augmenté en conséquence. Au départ de ces pays d'Asie centrale, les drogues passent en Russie, en Turquie, en Albanie, au Kosovo et en Macédoine occidentale.
Une partie de la drogue se consomme le long du trajet; aujourd'hui, on compte déjà 500.000 cas de toxicomanie banale dans les pays d'Asie centrale. Ensuite, on est déjà passé —surtout au Kazakhstan, l'Etat le plus développé sur le plan industriel— des drogues “naturelles” à la production de drogues chimiques, parmi lesquelles les fameuses “pilules du bonheur” que l'on consomme aujourd'hui dans toutes les discothèques d'Europe; ce sont des euphorisants, responsables des accidents mortels du samedi soir, car qui en fait usage perd ses freins inhibiteurs, provoquant l'ivresse de la vitesse incontrôlée.
Les frontières entre les pays d'Asie centrale et les Etats caucasiens sont perméables car peu surveillées par les polices, occupées à d'autres tâches sur d'autres fronts; en plus, les effectifs de ces polices sont peu nombreux et leurs capacités opérationnelles sont limitées. En plus, les conflits de compétence entre les tribunaux et les polices, dans ces différents pays et dans leurs rapports avec l'Union, aggravent encore leurs faibles chances de succès.
Le plan européen prévoit l'assistance à des projets de concertation entre les différents Etats du Caucase, pour aboutir à un meilleur contrôle des frontières et à une défense efficace de celles-ci. Il s'agira aussi de repérer les zones de culture, de substituer ensuite à ses cultures d'autres cultures non nuisibles, de coordonner les polices, les unités de gardes-frontières, les magistratures locales et les banques de données des organisations européennes et mondiales de lutte contre le narco-trafic, en conformité avec l'article 12 de la Convention de Vienne de 1988.
Nous avons affaire ici à un premier projet d'intervention organique et globale de l'Union Européenne, qui va bien au-delà des traités bilatéraux et des initiatives sporadiques des polices européennes, agissant individuellement et non pas de concert.
Archimede BONTEMPI.
(article paru dans La Padania, 29 juin 2000 - http://www.lapadania.com ).
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mercredi, 15 août 2007
Amendements chinois au NOM
Les amendements chinois au «Nouvel Ordre Mondial»
par Robert STEUCKERS
Quand Bush a déclaré, à la veille de la Guerre du Golfe, qu'il envisageait d'imposer à la planète entière un “Nouvel Ordre Mondial” reposant exclusivement sur les grands thèmes de l'idéologie américano-occidentale, il agissait en pleine conscience de l'impact qu'avait eu le déploiement des troupes américaines dans le désert arabique et de l'US Air Force dans les cieux du Golfe Persique. Le Nouvel Ordre Mondial devait avoir l'idéologie de son bras armé et non pas un mixte ou une résultante de toutes les idéologies qui sous-tendent les instances politiques à l'œuvre dans le monde. On sait déjà que les Asiatiques émettent des objections, qu'ils veulent une synthèse où leurs propres héritages entrent en ligne de compte. Mais, directement au sein du Conseil de Sécurité de l'ONU, la Chine, qui y siège, propose des amendements concrets qui contribueront à façonner un Ordre Mondial non seulement à l'aide d'ingrédients chinois, mais aussi à l'aide d'ingrédients issus de toutes les traditions qui innervent les peuples de la Terre. Pour la Chine, écrit Xuewu Gu, attaché à l'Université de Fribourg en Allemagne, tout ordre mondial raisonnable et juste doit reposer sur les “cinq principes de la coexistence pacifique”, c'est-à-dire: 1) le respect mutuel de la souveraineté et de l'intégrité territoriale; 2) le principe de non-agression; 3) le refus de toute immixtion dans les affaires intérieures d'Etats tiers; 4) l'égalité des partenaires sur l'échiquier international; 5) le respect des besoins vitaux de chacun.
La Chine a eu pour référence ces cinq principes dans toutes les relations bilatérales qu'elle a entretenues depuis l'accession de Mao au pouvoir en 1949. Aujourd'hui, la Chine veut les hisser au rang de principes généraux d'action dans les relations internationales, estimant que ces cinq principes sont “universels” (universellement valables) et ont prouvé leur “vitalité dans l'histoire”. Le 27 juin 1994, le Premier Ministre chinois Li Peng déclare officiellement: «Les cinq principes de coexistence pacifique se révèlent être des normes universellement applicables dans les relations internationales. Des Etats régis par des systèmes idéologico-politiques différents et des Etats au niveau de développement économique inégal pourront sans arrière-pensées engager des relations de confiance et de coopération s'ils s'en tiennent à ces cinq principes; en revanche, confrontation et conflits armés entre les Etats animés par une même idéologie et régis par un même système politique pourront éclater, s'ils s'opposent aux cinq principes».
Beijing affirme par ailleurs que les principes de souveraineté et de non-immixtion dans les affaires intérieures sont des principes cardinaux et intangibles pour tout ordre mondial cohérent. L'idéologie des droits de l'homme ne peut pas être hissée au-dessus du principe de souveraineté nationale. La Chine s'inquiète du discours américain, —relayé par toutes les officines de gauche d'Europe, y compris les ex-maoïstes les plus obtus, comme ceux, ridicules, aigris et acariâtres du PTB belge— visant à réduire les souverainetés nationales et à utiliser l'aune des droits de l'homme pour intervenir dans les affaires d'Etats tiers, notamment de la Chine depuis 1989 (l'incident de Tien An Men). C'est ce principe d'intervention (qui pourrait tout aussi bien se justifier sur base d'une idéologie complètement différente) que Beijing rejette catégoriquement: les droits et les devoirs des citoyens doivent être déterminés par une charte nationale et non pas par des ukases internationaux qui s'abattent sur les peuples en provenant d'un contexte foncièrement différent. Les tentatives de l'Occident, d'imposer, non seulement à ses propres sujets mais aussi à tous les Etats du monde, ses systèmes de valeur et son way-of-life, détruira à terme la paix dans le monde, constate Xuewu Gu.
Par ailleurs, Beijing œuvre pour que des systèmes politiques de toutes natures puissent exister et se déployer. Xuewu Gu: «Aux yeux du gouvernement chinois, toutes les formes de systèmes de gouvernement, que ce soit des démocraties ou des autoritarismes, ont le droit d'exister. Dans la diversité des systèmes politiques, Beijing ne veut reconnaître aucune cause première de conflits internationaux». La Chine demande à l'Ouest (c'est-à-dire à l'américanosphère) de renoncer à exporter systématiquement les modèles constitutionnels occidentaux et libéraux-démocrates et de respecter sans arrière-pensées les régimes qui ne s'en inspirent pas.
Ensuite, les diplomates chinois plaident pour un Nouvel Ordre Mondial respectueux de la diversité culturelle de la planète. Ils mettent tous les peuples en garde contre l'“occidentalisation totale”. Certes, Beijing reconnaît la pertinence d'une charte mondiale des droits de l'homme mais conteste le monopole occidental en cette matière. Les droits de l'homme, aux yeux des Chinois, devraient être déterminés par l'environnement culturel et historique dans lequel ils sont appelés à être appliqués. Dans la formulation des droits de l'homme, le contexte, de même que la continuité culturelle et historique doivent être prépondérants. Les Chinois en suggérant ce différentialisme planétaire raisonnent au départ d'un principe confucéen d'harmonie: contrairement à l'idéologie caricaturale de nos intellectuels occidentaux (Habermas en tête), dans le confucianisme chinois, l'individu n'existe pas en soi, dans un pur isolement, mais s'imbrique toujours, sans exception, dans une collectivité organique, une communauté, et doit se soumettre aux lois de cette entité et travailler à sa prospérité, sans mettre en avant des pulsions égoïstes.
Face à l'offensive occidentale, on pourrait imaginer que cette redéfinition chinoise du rôle des droits de l'homme est purement défensive, un combat d'arrière-garde. Or les Chinois ont bien l'intention de passer à l'offensive tous azimuts et de faire fléchir les prétentions américaines. Les signes avant-coureurs de ce déploiement offensif ont déjà pu s'observer lors de la mise en forme de la “Déclaration des Droits de l'Homme de Bangkok” (2 avril 1993), où les Etats asiatiques ont commencé délibérément à réinterpréter l'idéologie occidentale née du cerveau de quelques avocats ratés de Paris dans l'avant-dernière décennie du XVIIIième siècle. La Chine, appuyée par les autres nations asiatiques et par des ressortissants d'autres civilisations, notamment islamiques, réclame une remise en question de l'universalité des droits de l'homme et exige que ceux-ci soient constamment relativisés et re-contextualisés sur la base concrète et tangible des héritages culturels, afin de ne pas meurtrir ceux-ci. Un observateur arabe, très actif dans les milieux gouvernementaux et para-gouvernementaux en Allemagne, Bassam Tibi, constate que le monde non-occidental, pourtant très hétérogène, a fait front commun à Vienne (juin 93), lors d'une convention internationale des droits de l'homme, créant d'emblée une sorte de front commun islamo-hindouisto-bouddhisto-confucéen, qui a dû inspirer la réaction inquiète de Samuel Huntington, quand il nous a parlé du Clash of Civilizations (Foreign Affairs, été 1993). Le délégué chinois a bien campé la problématique, nous rappelle Xuewu Gu: «Nous nous trouvons dans un monde présentant une étonnante pluralité de valeurs. Dans le monde, il y a plus de 180 Etats et environ 1000 groupes ethniques. Il existe une variété bigarrée de systèmes sociaux, de religions, de traditions culturelles et de modes de vie». Beijing demande dès lors à l'Ouest de respecter cette immense diversité et de renoncer à toutes manœuvres coercitives d'unification ou d'uniformisation. Vu le principe taoïste du wuwei (non-intervention), les Chinois estiment que l'harmonie entre toutes ces différences est possible: «Ces dix mille choses peuvent croître de concert sans se géner mutuellement, et les taos peuvent se déployer parallèlement sans se heurter».
En bref, Beijing lutte actuellement dans le monde, contre les prétentions des Etats-Unis, pour que s'établisse à terme un Ordre mondial reposant sur l'absolue souveraineté des Etats nationaux, sur une structuration pluraliste des rapports internationaux, sur une réduction de la domination économique américaine et sur une limitation volontaire de l'expansionnisme idéologique occidental (entendu comme l'idéologie des Lumières et ses avatars politiques).
En Europe, les forces identitaires pourraient parfaitement se joindre à cette revendication chinoise, la faire connaître, s'en inspirer, afin de déserrer graduellement la tutelle américaine et d'effacer définitivement les institutions résiduelles et obsolètes, issues de l'idéologie des Lumières, qui empêchent les Européens de se doter d'institutions nouvelles, moins rigides, plus souples, basées sur des logiques non newtoniennes, notamment cette fuzzy-logique fluide qui révolutionne la physique et les mathématiques contemporaines et qui correspond à bon nombre de linéaments du taoïsme et d'autres traditions. Se référer aux revendications chinoises en matières de droits de l'homme, c'est aussi contester les intellectuels occidentaux qui parlent en mercenaires pour le pouvoir américanomorphe, surtout sur la place de Paris. Si ces discoureurs sont passés naguère du col Mao au Rotary, il faut désormais refaire le chemin inverse, quitter les salons stériles et retrouver les “bons taos”. La pensée politique chinoise est une mine d'or pour ceux qui veulent incarner le politique au-delà de toutes les intrigues politiciennes: faut-il rappeler qu'il demeure impératif, dans toute école de cadres identitaires, de lire Sun-Tsu et qu'il serait tout aussi utile de lire Han Fei, un conseiller de l'Empereur de Chine, vers 220 av. notre ère, qui a su notamment expliquer en 47 paragraphes brefs quels étaient les symptômes et les mécanismes de décadence d'un Etat. Textes autrement plus utiles à lire que les longues digressions vides de sens, énoncées en jargon sociologique, auxquelles nous sommes habitués en Occident depuis tant de décennies.
Bonn a déjà donné l'exemple: sans officiellement adopter la position chinoise, le ministère allemand des affaires étrangères multiplie les contacts en Asie et cherche des appuis en Extrême-Orient pour obtenir un siège, en même temps que le Japon, au Conseil de Sécurité de l'ONU. Afin qu'il y ait plus ou moins parité entre les tenants de la monochromie illuministe et les tenants de la splendide diversité des peuples et des cultures. Les néo-eurasistes russes pourraient alors jeter le poids de leur pays dans la balance des pluralistes...
Robert STEUCKERS.
- Xuewu GU, «Chinas Vision von einer neuen Weltordnung», in Internationale Politik und Gesellschaft, 3/1995, Friedrich-Ebert-Stiftung, pp. 255-258.
- Han Fei, Die Kunst der Staatsführung, Kiepenheuer, Leipzig, 1994.
04:00 Publié dans Droit / Constitutions, Eurasisme, Géopolitique, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 05 août 2007
Géostratégie américaine, impuissance européenne
Sur la géostratégie américaine et l'impuissance européenne
Entretien avec Andreas von BÜLOW
Andreas von Bülow a été député de la SPD socialiste au Bundestag de 1969 à 1994. De 1976 à 1980, il a occupé le poste de secrétaire d'Etat au ministère fédéral allemand de la défense. De 1980 à 1982, il a été ministre fédéral de la recherche scientifique. Aujourd'hui, retiré de la politique, il est avocat à Bonn. Il est l'auteur d'un livre qui a fait beaucoup de bruit : Im Namen des Staates. CIA, BND und kriminelle Machenschaften der Geheimdienste [Au nom de l'Etat. De la CIA, du BND et des machinations criminelles des services secrets], paru chez l'éditeur Piper à Munich en 2000.
Q.: Dr. von Bülow, dans un entretien récent, paru dans nos colonnes et traitant de la politique intérieure de la RFA, vous nous avez démontré comment les Etats-Unis, quasiment depuis la naissance de la RFA, ont recruté dans les milieux radicaux de droite un groupe terroriste, l'ont constitué, financé, équipé et même armé. Dans votre livre "Im Namen des Staates", vous évoquez une liste noire de politiciens de la gauche et de la sociale démocratie "qu'il conviendrait, le cas échéant, d'assassiner". Pourriez-vous être plus clair?
AvB: Ce type de "préparation", avec l'argent et les armes de la CIA, pouvait se repérer partout en République Fédérale au début des années 50; tout cela se passait au su de quelques rares fonctionnaires en poste auprès du cabinet du Chancelier, auprès du Ministère de l'Intérieur et à l'Office de Protection de la Constitution (Verfassungsschutz).
Q.: Donc le Verfassungsschutz était au courant…
AvB: Parfaitement, mais seulement le représentant du Président, qui venait du BND ("Bundesnarichtendienst" - Office d'Information Fédéral), qui, à l'époque, était encore occupé par d'anciens membres de la NSDAP. Dans les services secrets, il est souvent important que le principal responsable puisse à tout moment nier, avoir su ou deviné quelque chose. De cette façon, en cas de besoin, on peut envoyer ce représentant à la retraite prématurée. Ensuite, le pouvoir américain de l'époque se préparait à affronter militairement l'Union Soviétique, qui pouvait attaquer à tout moment, et entendait pouvoir compter, en cas de coup dur, sur des partenaires potentiels.
Q.: Il existait donc en Allemagne un système comparable au Gladio d'Italie, où la CIA, le "Secret Service" et l'OTAN ont mis sur pied en 1956 une troupe secrète et paramilitaire dénommée "Gladio", qui aurait eu pour mission, en cas de victoire électorale communiste, de faire un putsch d'extrême-droite?
AvB: Le réseau Gladio n'existait pas seulement en Italie, mais dans tous les pays de l'OTAN: en France, en Belgique, aux Pays-Bas, etc. Et même en Suède et en Suisse! La souveraineté de la RFA, comme celle de la plupart des Etats européens, était fort limitée durant le conflit Est-Ouest.
Q.: Vous affirmez par ailleurs qu'aujourd'hui encore le radicalisme de droite en Allemagne reçoit un soutien de l'étranger et, même, est créé de toutes pièces à partir de l'étranger. Qu'en est-il plus précisément?
AvB: Le milieu de l'extrême-droite américaine est largement infiltré par les services secrets de Washington. A partir de ce milieu d'extrême droite aux Etats-Unis, avec notamment les cercles des "suprématistes" blancs aryens (White Aryan Supremacists), du Ku Klux Klan, des groupes qui sèment la haine raciale et des petites partis nazis, les services de diversion tentent d'acquérir une influence sur le milieu de l'extrême droite allemande. Ainsi, par exemple, un "suprématiste aryen" se vantait, lors d'une émission de télévision aux Etats-Unis, d'avoir servi d'abord chez les Marines, puis dans une troupe spéciale mise à la disposition des services secrets, d'avoir entraîné, après la réunification allemande, des bandes de skinheads dans vingt villes allemandes afin qu'elles apprennent les techniques de la guerre de guérilla et qu'elles se préparent à des attentats contre les demandeurs d'asile et les étrangers. Mieux: sur ce chapitre, les services américains, qui sont pourtant profondément infiltrés dans ces milieux, refusent de coopérer avec les services allemands du Verfassungsschutz.
Q.: Vous donnez dans votre livre un exemple révélateur : les Allemands, dites-vous, sont provoqués afin qu'ils se comportent comme des "extrémistes de droite", et les protestations des Kurdes, au milieu des années 90, qui ont connu de sérieux dérapages, étaient en quelque sorte destinées à susciter des réactions violentes chez les Allemands…
AvB: Posons d'abord une question : quel pourrait bien être l'intérêt des dirigeants de la communauté kurde en Allemagne de bloquer totalement la principale autoroute allemande un vendredi? Les organisateurs de ce blocus savaient parfaitement que les Allemands allaient considérer cette action comme une entorse grave au droit d'asile qu'ils avaient accordé à ces Kurdes. Cette action, à terme, ne pouvait que nuire à la cause kurde. Les organisateurs de cette action, qui travaillent vraisemblablement à couvert, devaient avoir pour objectif de réduire à néant les sympathies que cultivent les Allemands à l'endroit de la cause kurde ou bien de provoquer une vague de xénophobie au sein de la population allemande.
Q.: Dans quel but?
AvB: Il s'agit principalement de donner une image totalement négative de l'Allemagne à l'étranger : l'Allemagne doit y apparaître comme un pays où les brutalités des skinheads sont monnaie courante, où l'on ne cesse de profaner des cimetières juifs ou des synagogues, où l'on fait la chasse aux étrangers pour les molester. L'image des Allemands doit être celle d'un peuple qui a la haine, aux capacités intellectuelles réduites, à la bêtise caricaturale, correspondant à l'image du nazi de tous les temps. On veut dépeindre notre pays comme dépourvu d'attraits. Y compris pour les têtes les mieux faites de la planète.
Q.: L'objectif est donc de tenir l'Allemagne en échec…
AvB: Le conseiller du Président Carter en matières de sécurité, le célèbre Zbigniew Brzezinski, écrit dans son livre "Le Grand Echiquier" que la puissance qui contrôle l'Eurasie (c'est-à-dire toute la masse continentale entre les Iles Britanniques et l'Archipel japonais), contrôle le monde, tout simplement parce qu'elle aurait alors accès aux ressources naturelles inépuisables. Les challengeurs des Etats-Unis, dans la course à la domination de l'Eurasie, sont seulement la Grande-Bretagne, le Japon, la France et l'Allemagne. Brzezinski écrit cependant que la Grande-Bretagne est un pays "fatigué" sur le plan géopolitique, qui n'est plus utile qu'à une seule chose, c'est-à-dire à épauler les Etats-Unis au titre de premier partenaire, notamment pour des opérations cachées. La France a des capacités intellectuelles, qui lui permettrait de poursuivre des objectifs géopolitiques à long terme, mais elle est trop faible économiquement. Quant à l'Allemagne, elle dispose d'une puissance économique réelle, mais elle ne peut pas faire valoir pleinement ses visées hégémoniques, parce qu'elle doit sans cesse tenir compte des implications de l'holocauste. Le tandem potentiel France-Allemagne serait rapidement tenu en échec par ses propres voisins. De cette démonstration de Brzezinski, on peut aisément conclure quelle est la politique à suivre que suggèrent, à l'endroit de l'Europe et surtout de l'Allemagne, les têtes pensantes (comme Brzezinski) de la politique étrangère américaine et de ses services secrets. Je ne suis pas un aficionado des petits jeux de monopoly à la sauce géopolitique, mais, force est de constater, tout de même, qu'ils existent bel et bien et qu'ils se présentent à nous, hostiles, sous la forme du jeu que jouent actuellement la politique extérieure américaine et les services secrets US - nous ne pouvons plus adopter la politique de l'autruche. Les Etats-Unis s'apprêtent, très concrètement, à mettre la main sur les ressources du monde, à commencer par l'Eurasie et cette région d'Asie centrale que Brzezinski a appelé les "Balkans eurasiens", à titre de compensation, pensent-ils, pour le rôle de "policier de la planète" qu'ils occupent; en prime, ils deviendront donc la seule et unique puissance mondiale. C'est ce que nous déclare en fait Brzezinski sans beaucoup de vergogne. A l'heure actuelle, l'objectif est principalement les ressources de pétrole et de gaz naturel qui se trouvent autour de la Caspienne, sur le territoire de l'ancienne URSS. Pour obtenir ces ressources de pétrole et de gaz, les Etats-Unis doivent évidemment tenir fermement sous leur contrôle les voies d'accès qui y mènent ou qui permettent de sortir le pétrole. Pour y parvenir, les Etats-Unis actualisent un vieux projet géopolitique britannique: transformer la masse continentale compacte de l'ancien empire colonial russe en Asie centrale en une mosaïque de petits Etats. Les Britanniques avaient tenté de le faire immédiatement après la révolution de 1917, mais ils avaient échoué. Aujourd'hui, les Etats-Unis prennent le relais en mobilisant toutes leurs forces.
Q.: Quel est dès lors le jugement que vous posez sur les hommes politiques allemands qui, par leurs comportements, font tout pour maintenir l'Allemagne dans cette situation d'étranglement qu'induit ce discours tissé de moralisme?
AvB: Nous avons une dette envers les Etats-Unis dans la mesure où ils nous ont débarrassé du national-socialisme, où ils ont permis le redressement économique et culturel de notre pays après la guerre et, enfin, où ils ont apporté leur soutien actif lors de la réunification en 1990. Cependant, il faut dire que la conscience historique des Allemands n'a pas encore été capable de comprendre une chose : que nous étions déjà un instrument de la politique anglo-saxonne avant 1945 et que nous le sommes restés jusqu'en 1990. Toutefois, il me semble aujourd'hui que l'Allemagne, de concert avec les autres peuples européens, doit emprunter une voie émancipatrice. C'est clair : les Etats-Unis ont des intérêts économiques et politiques qu'ils vont imposer au monde de manière impitoyable et féroce, même envers et contre le droit des gens. Dans cette démarche, ils veilleront évidemment à ce qu'aucun concurrent européen ne se mette en travers de leur chemin. Nous, Allemands, ne pouvons en aucune manière cesser de penser notre destin (géo)politique, sous prétexte que nous devons aussi être reconnaissants à l'égard des Etats-Unis.
Q.: Comment allez-vous rencontrer un véritable acteur géopolitique? Si l'on jette un regard réaliste sur la situation, il n'y a plus qu'une alternative : ou bien on fait soi-même de la géopolitique ou bien on fait la géopolitique d'un autre…
AvB: La première chose à faire, c'est de s'efforcer de voir clair dans le jeu. Le droit international est aujourd'hui une entrave aux objectifs géopolitiques d'une grande puissance, qui, jusqu'ici, a utilisé comme méthode l'incitation à la révolte ou au terrorisme, via des expédients camouflés, comme le financement par la drogue ou la livraison d'armes à des minorités en état d'insurrection. L'Europe tout entière doit s'opposer à cette façon d'agir. Impossible, face à cette stratégie globale des Etats-Unis, d'imaginer un rôle particulier et isolé de l'Allemagne. Expressis verbis, je rejette cette illusion! Berlin n'est plus aujourd'hui que la capitale d'une province qui traîne des casseroles et marine dans sa naïveté! Quand Londres et Paris joindront leurs efforts aux nôtres pour donner une réponse commune à la politique actuelle des Etats-Unis et pour la traduire en actes, alors nous aurons une chance de sortir du carcan idéologique actuel et de concrétiser une véritable géopolitique.
Q.: Je me permets une question critique : pensez-vous que, par votre appel "soft" à devenir une "grande puissance culturelle", vous allez pouvoir mettre en œuvre ce projet? A entendre l'analyse lucide et réaliste que vous nous faites ici, ne pourrait-on pas vous faire le reproche d'avoir peur, anticipativement, de la fournaise terrible qu'induiraient vos idées, si elles trouvaient un début de concrétisation, fournaise qui se ferait d'abord sentir sur le plan de la politique intérieure, avant de s'étendre à la politique extérieure?
AvB: Non, car mon objectif n'est pas d'affronter l'Amérique. Je rêve encore et toujours à une solution pacifique. En Amérique, nous pourrions sans crainte démarrer une discussion sur ces sujets, par exemple quant à savoir quelle est la mission de l'Amérique dans le monde; et cette mission a-t-elle été de détruire les mouvements démocratiques et libertaires dans le monde, de liquider leurs chefs charismatiques et de les remplacer par des régimes corrompus? Effectivement, cette politique liberticide a été mise en pratique parce qu'on s'imaginait à Washington —et on craignait— que les chefs charismatiques du tiers monde allaient tôt ou tard choisir le camp de l'Union Soviétique. C'est par cette peur du danger communiste que l'on justifiait la lutte contre les mouvements de libération nationale et qu'on les décapitait sans hésiter, même avant qu'ils ne se soient installés au pouvoir.
Q.: Il y a une hypothèse plus plausible que l'émancipation européenne pour les prochaines décennies : dans cet avenir immédiat, il semble plus évident que nous serons, en Europe, impliqués encore plus profondément dans le système géopolitique des Etats-Unis, et donc dans les guerres qu'il va susciter. La Chine n'est-elle pas le challengeur le plus probable du 21ième siècle?
AvB: En 1952, les Américains ont envoyés des combattants au Tibet, afin d'y déclencher des insurrections. Les Chinois ont immédiatement riposté. La brutalité qu'ils déploient dans leur oppression du Tibet est une cause directe de cette immixtion indirecte des Etats-Unis. L'Afghanistan a, pendant longtemps, été une zone tampon entre les sphères d'influence britannique, russe et chinoise. Cette espèce de "no-man's-land" vient d'être occupé par les Etats-Unis. Pour quelle raison? Pas seulement parce que les talibans s'avéraient incapables de protéger les oléoducs d'Unocol qui doivent amener le pétrole aux rives de l'Océan Indien, mais, plus prosaïquement, pour se donner des bases militaires afin de contrôler l'espace asiatique. La Chine risque bien de s'organiser encore davantage et de devenir ainsi le grand challengeur. En Afghanistan, il ne s'agit pas seulement de combattre le terrorisme. Là-bas, le scénario est le même qu'en Arabie, où l'on a utilisé comme prétexte l'invasion irakienne du Koweit, ou que dans les Balkans, où l'on a argué qu'il fallait mettre fin aux guerres de Bosnie et du Kosovo. On prend aujourd'hui le prétexte de la guerre contre le terrorisme pour se tailler des points d'appui en Asie centrale. Les Etats-Unis ne se contenteront d'ailleurs pas de l'Asie centrale, mais installeront leurs soldats partout où cela s'avèrera nécessaire, selon leur optique; ils nous diront tout simplement que là où ils veulent s'installer, il y a quelques combattants d'Al-Qaeda, ou leurs financiers ou leurs hôtes.
Q.: Donc la lutte contre le fondamentalisme islamique des talibans et d'Al-Qaeda n'est qu'un pur prétexte pour atteindre enfin une hégémonie complète sur le monde…
AvB: Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 n'ont probablement pas été l'œuvre de musulmans.
Q.: De qui alors?
AvB: Je ne peux pas vous le dire. L'action intentée en justice a pour objectif de prouver l'identité des vrais coupables.
Q.: Comment donc en êtes-vous arrivé à cette conclusion?
AvB: Si je ne peux pas vérifier la véracité de la théorie sur base de faits, alors je dois recommencer l'enquête dès le début. Or, il y a un fait qui est désormais certain : des dix-neuf pilotes suicides théoriques, on a pu prouver que sept étaient encore en vie. En plus, dans la liste des passagers des quatre avions détournés, qui ont été publiées, nous ne trouvons pas un seul nom arabe. La présentation des faits, telle qu'elle nous est servie aux Etats-Unis et en Europe, est plus que probablement fausse, tout simplement. Ou, pour le dire mieux: elle a été falsifiée. De surcroît, la lutte planétaire contre le terrorisme est un prétexte en or pour mener des actions contre tous les pays qui entravent les projets géopolitiques de l'Amérique. Quelques figures importantes de l'administration de Washington parlent même de soixante Etats récalcitrants, qu'il s'agit désormais de mettre au pas. Ces Etats ont probablement été désignés à cause de leur position stratégique et des ressources que recèle leur sol.
Q.: Vous n'allez tout de même pas nous dire que la CIA se cache derrière ces attentats?
AvB: Immédiatement après la seconde guerre mondiale, les Britanniques et les Américains ont commencé à développer des procédés permettant de téléguider des avions au départ du sol. Ils sont ainsi parvenus à maîtriser par téléguidage le décollage et l'atterrissage d'aéronefs et, même, les vols en formation. Les professionnels, qui ont organisé l'attentat du 11 septembre 2001, ont probablement fait usage de ces techniques; à des fins de désinformation, ils ont ensuite diffusé des listes d'auteurs présumés pour faire croire à une piste islamiste. Je ne peux émettre aucun jugement sur les affirmations en ce sens que formule l'ingénieur aéronautique britannique qui a évoqué cette possibilité. Mais il y a une chose que je constate bel et bien, c'est que certains indices n'ont pas été retenus, n'ont pas été évoqués dans les médias. L'administration américaine a donc pu donner l'ordre de marche à ses soldats, en invoquant la conspiration de Ben Laden. Certains silences persistants confirment mon scepticisme.
Q.: Mais Ben Laden a déclaré clairement la guerre aux Etats-Unis. Ce fait ne permet-il pas de dire que la piste Ben Laden est effectivement la plus plausible?
AvB: On a souvent l'impression que les services secrets américains se détestent plus entre eux qu'ils ne haïssent l'ennemi de leur pays. En plus, on peut dire que le Mossad israélien a intérêt à démontrer à l'Occident qu'il est autant concerné qu'Israël par la menace islamiste. En tout cas, on peut dire des attentats du 11 septembre 2001 qu'ils ont été organisés par des professionnels de très haut niveau. L'organisation de telles actions ne peut donc pas avoir été mise au point au départ d'une grotte perdue dans les montagnes afghanes. Une telle hypothèse est à exclure. Pour ce qui concerne directement Ben Laden, je puis dire qu'il m'apparaît comme une pure fabrication des services américains. Sans les opérations couvertes de la CIA en Afghanistan afin d'en déloger les Soviétiques et de combattre leurs troupes, nous n'aurions pas vu arriver en Afghanistan 30.000 combattants islamiques, venus de tous les pays musulmans, pour servir de mercenaires, nous n'aurions pas vu naître l'association des anciens combattants islamistes d'Afghanistan (les "Afghanis"), qui s'appelle… Al-Qaeda. De même, les talibans n'auraient jamais été les maîtres à Kaboul. Ce sont les fonds fournis par les Américains et les Saoudiens, sans compter la tolérance de tous les services policiers et judiciaires à l'endroit du trafic des drogues aux Etats-Unis et en Europe, qui ont permis au fondamentalisme islamiste de prospérer dans le monde musulman. Conclusion: ce sont les services secrets occidentaux, y compris le Mossad, qui nous ont fabriqué le fondamentalisme islamiste.
(propos recueillis par Moritz Schwarz et publiés dans Junge Freiheit, n°7/2002 - http://www.jungefreiheit.de ).
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lundi, 30 juillet 2007
K. Haushofer : dynamiques latitudinales et longitudinales
Les dynamiques latitudinales et longitudinales
Karl HAUSHOFER
Lorsque les grands-espaces de l'antiquité se sont formés, ils ont suivi une évolution de type latitudinal, favorisée par la position de la Méditerranée romanisée, par la ceinture désertique, par le tracé des massifs montagneux. Le positionnement des grands-espaces de l'Antiquité suivait dès lors un axe Est-Ouest, correspondant au parallélisme de la zone tempérée septentrionale, la zone subtropicale et la zone tropicale. Seuls les empires fluviaux les plus anciens, comme l'Empire égyptien le long du Nil, la Mésopotamie, la culture de l'Indus pré-aryenne constituent des exceptions. L'orientation de ces empires était contraire à celle de l'Empire romain, elle leur était imposée par le cours de leur artère vitale (le fleuve). Cette orientation a influencé tout le cours de leur histoire jusqu'au moment où ils ont été absorbés par le premier grand-espace latitudinal du Moyen-Orient, l'Empire achéménide des Iraniens.
A partir de ce moment, s'est déployée la dynamique latitudinale, avec les Phéniciens, les Hellènes, les Romains, les Arabes, les peuples de la steppe, les Francs, les Ibères. Les peuples ibériques en effet ont d'abord transposé leur puissance d'une méditerranée à une autre, de la Méditerranée romaine à celle des Caraïbes en Amérique. Ils ont ainsi poursuivi la logique latitudinale. Quand ils atteignent les rives du Pacifique, cette expansion latitudinale prend la forme d'un éventail. Entre 1511 et 1520, les Portugais par l'Ouest, les Espagnols par l'Est, atteignent le premier grand-espace qui tentait de se développer longitudinalement vers le Sud, en comptant sur ses propres forces; ce grand-espace était à cette époque le porte-étendard de l'Asie orientale, c'est-à-dire la Chine, puissance qui a souvent changé de forme extérieure tout en maintenant sa culture et son patrimoine racial. Avant l'arrivée des Ibériques et avant l'adoption de cette logique expansive longitudinale, la Chine aussi s'était étendue latitudinalement.
Le flux migratoire est-asiatique, chinois et japonais s'effectuait sur un axe Nord-Sud, au moment où l'expansion coloniale espagnole le traverse, constituant en même temps le premier empire latitudinal “sur lequel le Soleil ne se couche jamais”. L'Espagne n'a conservé son monopole que pendant 70 ans. Ensuite, sur ses traces, sont venus ceux qui voulaient lui confisquer sa puissance et la déshériter. Le plus puissant de ces nouveaux adversaires était l'Angleterre, qui se mit rapidement à construire son premier et son second empires, dont la configuration présentait de nombreuses torsions, mais demeurait néanmoins le résultat d'une expansion latitudinale, déterminée par la position de la Méditerranée, dont la maîtrise assurait la possession de l'Inde. Quant à l'empire des tsars blancs puis rouges, il suivait l'extension latitudinale de la zone des blés en direction de l'Est. Entre les deux empires se situait une zone-tampon. Dans les années 40 du XXième siècle, émergent presque simultanément deux constructions géopolitiques longitudinales, la construction panaméricaine et la construction grande-est-asiatique, qui échappent toutes deux à ce champ de forces latitudinal, impulsent des expansions le long d'axes Nord-Sud et encadrent les expansions impériales britanniques et russes.
Si l'on compare ce nouvel état de choses avec la conception dynamique d'avant-garde de Sir Halford Mackinder, qu'il avait appelée “the geographical pivot of history” et énoncée en 1904, —elle correspondait parfaitement à la situation de cette époque— la nouvelle orientation des expansions panaméricaine et est-asiatique constitue une formidable modification du champ de forces sur la surface de la Terre; dans ce contexte nouveau, les tentatives de réaliser l'idée d'Eurafrique ou les efforts de l'Union Soviétique d'abandonner sa dynamique latitudinale pour orienter son expansion vers le Sud et les mers chaudes et pour se constituer un glacis indien, ne déploient pas une énergie cinétique aussi puissante.
Ce constat est d'autant plus préoccupant que, dans la vaste aire est-asiatique, on peut constater une pulsion interne conduisant à une sorte d'auto-limitation centripète, qui entend concentrer tous les efforts sur le grand-espace où vivent des peuples apparentés. Cette volonté centripète est déjà à l'œuvre et visible. Or la puissance impérialiste des Etats-Unis n'est pas centripète mais, après la concrétisation de la domination nord-américaine sur l'espace panaméricain, étend ses tentacules en direction de l'Afrique tropicale, de l'Iran, de l'Inde ainsi que de l'Australie. L'impérialisme américain part de sa base, c'est-à-dire d'un territoire formé au départ d'une expansion longitudinale, pour s'assurer la domination du monde, en enclenchant à son tour et à son profit une dynamique latitudinale. Cet impérialisme s'apprête déjà à contrer l'expansion de ses futurs ennemis en préparant une troisième guerre mondiale.
Donc, au départ de l'expansion longitudinale panaméricaine, l'impérialisme de Washington vise sans vergogne à devenir l'unique puissance impérialiste du globe, si l'on excepte toutefois le danger que représente la révolution mondiale soviétique. Face à cette révolution soviétique, la grande aire est-asiatique a dynamisé son propre espace culturel et amorcé le déploiement de sa propre puissance. Elle pense ainsi assurer son avenir en constituant une zone-tampon. Depuis une génération, les observateurs estiment que l'Europe, elle aussi, doit se donner une telle zone-tampon, comme nous l'avaient d'ailleurs déjà suggéré des hommes comme Ito, Goto, etc., pour faire pièce aux visées expansionistes du tsarisme.
La collision frontale entre dynamique longitudinale et dynamique latitudinale est très visible en Afrique, dans l'espace islamique et dans la zone où l'empire britannique semble se disloquer. Nous constatons donc l'existence de deux minces lignes de trafic aérien et maritime, s'élançant très loin vers le Sud, et au bout desquelles semble être accrochée l'Australie, continent vide, situé entre les territoires compacts où vivent les populations anglophones et sur la principale voie d'expansion de la grande aire est-asiatique vers le Sud. Mackinder avait parlé d'un “croissant extérieur” qui courait le danger d'être abandonné à la mer: dans cette partie de la Terre, cette prévision est presque devenue réalité. C'est aussi la raison pour laquelle l'Europe en ce moment ne semble plus solidement reliée à l'Afrique. La poussée latérale contre les maîtres des latitudes a glissé vers le Sud-Est.
Il reste aujourd'hui aux Soviétiques, maîtres de ce que Mackinder appelait jadis le “pivot of history”, et à l'Axe, c'est-à-dire aux puissances du “croissant intérieur”, plus qu'à enregistrer le fait. Certes, les combats sanglants qui se déroulent aujourd'hui sur le théâtre pontique [de la Mer Noire] et caspien sont importants pour le destin de la culture européenne, comme tous les combats qui se sont déroulés dans cette zone au cours de l'histoire, toutefois, pour le nouveau partage de la Terre en rassemblements grands-spatiaux, partage qui s'impose, ce théâtre de guerre est devenu secondaire.
L'évolution géopolitique décisive de l'avenir est la suivante: l'expansion latitudinale anglo-américaine dirigée contre l'expansion longitudinale asiatique se maintiendra-t-elle ou sera-t-elle bloquée? Que cette lutte ait une fin positive ou négative, les Etats-Unis croient qu'ils se sont assurés suffisamment de gages territoriaux dans l'ancien empire britannique, pour rentrer dans leurs comptes. Dans les faits, cela signifie qu'ils veulent conserver l'Amérique tropicale et, en sus, l'Afrique tropicale. S'ils estiment que l'Insulinde, troisième grande région tropicale fournissant des matières premières, que l'Iran déjà fortement grignoté, que l'Inde, valent la peine de sacrifier énormément de sang et d'investir de colossales sommes d'argent, ils s'en empareront en concentrant autant de forces qu'ils n'en concentrent pour chasser les puissances de la grande aire est-asiatique hors de leurs possessions bien fortifiées. Pour ceux qui donnent leur sang ou leur argent à la cause des Alliés, afin que ceux-ci soient les bénéficiaires du grand héritage, telle est la question la plus patente à poser dans cette lutte planétaire.
C'est pour être les héritiers de ce grand héritage, et non pour des principes, que les Etats-Unis montrent à l'Europe leurs dents de gangsters; dans la grande aire est-asiatique, ils ne font entendre que le roulement de tambour que sont les déclamations de McArthur que l'on pousse à rater dans le Pacifique sa chance de devenir un jour Président, comme jadis Cripps en Inde. Entre la Chine de Nanking et la Chine de Tchoung-King, les compromis les plus fous, les plus surprenants, sont possibles comme auparavant. Le vaste environnement qu'interpelle l'expansion longitudinale de la grande aire est-asiatique est encore plein d'énergies latentes. Sur le plan cinétique, on n'a vu ces énergies à l'œuvre que du côté de la main gauche du Japon, surtout en Chine, mais on n'a encore rien vu du côté de la main droite. Là, on s'attend à une guerre qui durera de dix à quinze ans. La Chine a tenu le coup pendant 32 ans de guerres civiles, le Japon a derrière lui douze ans de guerre sur le continent. Et il a prouvé qu'il était véritablement capable de frapper dur et fort en direction du Pacifique. Il faudra avoir du souffle, être capable d'affronter le long terme, de saisir les dynamiques de vastes espaces, pour comprendre la lutte qui oppose la dynamique latitudinale à la dynamique longitudinale, qui toutes deux se déploient de part et d'autre du Pacifique.
Karl HAUSHOFER.
(Zeitschrift für Geopolitik, Nr. 8, 1943; trad. franç.: Robert Steuckers).
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dimanche, 29 juillet 2007
De l'Europe à l'Eurasie militaire
De l'Europe à l'Eurasie militaire
par Robert STEUCKERS
A la demande de Reinhard Staveaux, prématurément décédé voici quelques années, et de Karim Van Overmeire (député de Flandre orientale), j'ai prononcé l'allocution suivante dans un débat contradictoire en février 1994, lors de la “Fête” du parti flamand. Mon honorable contradicteur, lors de cette table ronde, était l'écrivain flamand Mark Joris, qui a surtout mis l'accent sur le “danger islamique” et a rapellé les doctrines militaires successives de l'Alliance atlantique. J'ai ajouté au texte initial quelques éléments nouveaux, dictés par l'actualité.
Depuis l'effondrement de l'URSS, la situation militaire de l'Europe est devenue extrêmement compliquée. La disparition de l'«ennemi» crée un flou artistique, si bien que le commun des citoyens n'y voit plus clair.
D'une part, nous avons les institutions européennes (la CEE, l'AELE/EFTA —ou ce qu'il en reste— le Groupe de Visegrad avec la Pologne, la Hongrie et la République tchèque), qui n'ont aucune compétence militaire; ensuite, nous avons le vaste ensemble que constitue la CSCE, qui regroupe certes tous les pays européens et toutes les républiques de l'ex-URSS mais aussi le Canada et les Etats-Unis, qui appartiennent à un autre hémisphère, au nouveau monde, selon la planisphère établie jadis par Mercator. Cette projection ne nous permet pas d'apercevoir l'importance cruciale de la zone arctique, où Canadiens, Américains et Russes sont mitoyens, ce qui pourrait nous amener, un jour, à parler d'un hémisphère nord, plutôt que d'une juxtaposition d'un «vieux» et d'un «nouveau» monde, d'un hémisphère occidental américain et d'un hémisphère oriental eurasien.
Enfin, nous avons l'UEO, qui a en théorie des compétences militaires, mais où le poids de la France et de la Grande-Bretagne est très nettement marqué, au détriment peut-être des autres puissances européennes. Dans cet imbroglio institutionnel, force est de constater que l'OTAN est la seule structure qui a fonctionné au cours des décennies qui viennent de s'écouler. Mais, sans rideau de fer, cette institution militaire (et civile, on l'oublie trop souvent) doit se donner des objectifs nouveaux, pour ne pas demeurer en porte-à-faux par rapport à la nouvelle donne stratégique.
Nos souhaits se portent vers une rédéfinition globale de la CSCE et de l'UEO: les territoires européens et ex-soviétiques de la CSCE devraient représenter le nouvel espace stratégique, le nouveau sanctuaire, où aucune puissance extérieure ne devrait intervenir. L'intérêt de l'UEO dans cette optique, c'est qu'elle est exclusivement européenne, n'implique ni les Etats-Unis ni une autre puissance de l'«hémisphère occidental», et qu'elle s'est donné un instrument militaire, l'Eurocorps, qui considère l'Allemagne comme un partenaire à part entière. Cependant l'Eurocorps ne peut nullement demeurer l'affaire du tandem franco-allemand: l'adjonction récente de troupes espagnoles et belges lui confère une dimension plus européenne; les manœuvres germano-polono-tchèques préparent, avec des unités allemandes qui ne sont ni inféodées à l'OTAN ni à l'Eurocorps, un élargissement centre-européen de la défense du continent sans ingérence américaine. Effectivement, il nous semble bon de prévoir l'inclusion de troupes est-européennes dans une structure militaire hors OTAN, où il n'y a pas de présence américaine. Ce processus pourrait s'amorcer dès que les pays de l'ex-COMECON trouveront la stabilité.
En effet, l'Eurocorps ou tout embryon d'armée européenne, ne peut être réservé aux seules puissances de l'Ouest, aux pays fondateurs de la CEE. Militairement et stratégiquement, nous concevons l'Europe comme un bloc indivisible, dont l'Ouest n'est qu'une partie, une frange atlantique.
Certes, la marche vers cet idéal d'unité sera longue. Les événements dans l'ex-Yougoslavie ont prouvé l'incapacité des Européens à agir de leur propre chef, sur leur propre territoire. Dans le conflit sud-slave, diplomates et militaires européens devraient s'abstenir de toute phobie: ni croatophobie, ni serbophobie, ni islamophobie en Bosnie (à ce propos, je rappelle que hier le délégué croate, qui est aussi le Président de l'association Flandre-Croatie, a réfuté l'islamophobie anti-bosniaque). L'attitude froide et mesurée que devraient prendre les décideurs européens, extérieurs à ce conflit, doit conduire à réfléchir sur la notion de “frontière juste et claire”. Tous les peuples de l'ancienne fédération yougoslave doivent avoir accès à l'Adriatique (les Serbes l'ont via le Montenegro dans la nouvelle fédération yougoslave; les Bosniaques doivent l'obtenir en Dalmatie méridionale); de même, à l'intérieur des terres, les peuples doivent avoir accès aux grandes rivières (Save, Danube) pour autant que le cours de ces fleuves ait eu une importance à un moment de leur histoire. C'est sur ces réalités concrètes que doivent s'axer les négociations et non sur des découpages artificiels, tracés dans des états-majors étrangers, dans des cabinets, où règne la méconnaissance du terrain. Le découpage farfelu de Lord Owen a conduit à la tragédie bosniaque plus que la férocité des combattants!
En ex-Yougoslavie, une Europe adulte ne pourrait tolérer l'immixtion globale de l'ONU; sans doute, pourrait-elle tolérer que les intervenants supranationaux soient à la fois membres de l'ONU et de la CSCE (hémisphère oriental uniquement!), préparant du même coup une «continentalisation» au sein de la structure planétaire, «continentalisation» qui impliquerait automatiquement des «interdictions d'intervention pour les puissances extérieures à un espace donné» (donc pas de casques bleus européens en Amérique ou dans les Caraïbes ou en Extrême-Orient, de la même façon qu'au Rwanda, il ne devrait y avoir que des soldats onusiens issus d'Afrique noire). Il nous apparaît aberrant de voir des soldats pakistanais, kenyans ou nigérians monter la garde à Sarajevo, à Vukovar ou à Mostar.
Dernière remarque concernant la catastrophe sud-slave: l'idéologie de la paix absolue, l'irénisme idéologique, sont mauvais conseillers; la guerre en ce monde est trop souvent inévitable. L'objectif ne doit donc pas être de la supprimer —ce qui serait impossible— mais de la limiter dans certaines proportions. La présence de troupes onusiennes empêchent une solution militaire du conflit, où les protagonistes directement concernés mettraient, eux-mêmes, de leurs propres forces, un point final (provisoire) à la guerre. Le hasard des combats décide du destin, en bonne logique traditionnelle. L'ONU pérennise le conflit en voulant le supprimer.
Dans un concert européen, les nouveaux Etats doivent être des Etats fédéraux, prévoyant la protection des minorités, sur le modèle des cantons de l'Est en Belgique et des minorités danoises et sorabes en Allemagne. Ce respect des minorités implique un gouvernement tenant compte de toutes les formes de subsidiarité. Les voies de communication doivent être respectées au bénéfice de tous. Les coopérations interrégionales, dont Alpe-Adria est l'exemple le plus probant, sont une solution d'avenir, qui contribue à surmonter les divisions bétonnées par les Etats nationaux pour créer des fora européens adaptés à l'immense diversité de notre continent, mais dans le respect des identités locales, économiques et humaines.
Nous sommes donc en faveur d'un système de défense purement européen, capable d'intégrer les pays occidentaux de l'OTAN, les pays de l'ex-Pacte de Varsovie, les neutres et, peut-être dans un pilier autonome, les forces des nouveaux Etats issus de l'ex-URSS. Entre le pilier occidental et le pilier oriental, soit entre l'Europe de l'Atlantique au Boug et la Russie du Boug au Pacifique, un accord pourrait être signé pour maintenir la présence russe en Asie centrale et pour contenir toute avancée chinoise en direction de la Sibérie voire du Turkestan (Européens et Russes n'ont pas intérêt d'ailleurs à ce que la Chine mette la main définitivement sur le Sinkiang et sur le Tibet; de concert, nous devons réclamer la protection des minorités dans ces deux régions contrôlées par la Chine, à la suite de l'essouflement russe et européen consécutif à la seconde guerre mondiale).
Quant à l'Eurocorps, nous souhaitons que son fonctionnement soit plurilingue comme celui de l'OTAN, quitte à trouver une koiné. Ensuite, nous souhaitons que la France mette fin à l'ambigüité qu'elle entretient: se placera-t-elle avec l'Eurocorps en dehors de la structure intégrée de l'OTAN ou retournera-t-elle avec l'Eurocorps dans la cette structure intégrée? Cette valse-hésitation ne permet pas de clarifier le problème.
Les Etats-Unis craignent de voir se constituer une Europe totalement indépendante du point de vue militaire; déjà, les velléités de construire un pôle européen autour de l'UEO, avant même qu'on ne parle d'Eurocorps, avaient suscité le désaccord de Washington. Mais à l'heure où les Etats-Unis veulent se donner un nouveau destin américain en formant l'ALENA (NAFTA), comment pourraient-ils contester aux Européens le droit de conjuguer leurs efforts au niveau de leur propre continent? Aux Etats-Unis, trois écoles s'affrontent: les isolationnistes, qui veulent se dégager des affaires européennes (ce que nous souhaitons); les internationalistes qui se subdivisent en deux groupes: les unilatéralistes et les multilatéralistes. Avec les unilatéralistes, pas de discussion possible. C'était l'option de Bush: le monde entier devait s'aligner derrière les positions américaines sans discuter. Dans cette optique, l'Eurocorps devrait être entièrement intégré dans l'OTAN, contrôlé par Washington. C'est la logique de la guerre froide, qui ne nous semble plus de mise. Les multilatéralistes veulent un partage des tâches et des responsabilités: avec eux la discussion est possible, surtout si l'on tient compte du facteur arctique, que nous oublions trop souvent tant nous sommes accoutumés aux projections de Mercator.
Dans l'immédiat, la position minimaliste, la première petite pierre à poser dans les circonstances actuelles, reflets de notre misère politique, c'est d'exiger que l'Eurocorps, même s'il doit rester provisoirement dans l'OTAN, fasse respecter scrupuleusement la souveraineté des Etats européens face à la centrale américaine. Du respect de cette souveraineté, on pourra aisément passer à l'élaboration d'un pilier européen plus étoffé que l'UEO, dans lequel l'Eurocorps serait le bras armé et où seraient progressivement incluses les armées des neutres (Suède, Finlande, Autriche, Slovénie) et des pays du Groupe de Visegrad. Des manœuvres communes auraient lieu, à une étape ultérieure, avec les armées des pays de la CEI, Russes compris. Autre objectif: développer une logistique grande-continentale pour venir éventuellement en aide aux fronts centre-asiatique et extrême-oriental. Progressivement, la CSCE, pilier oriental, se doterait d'une armature militaire cohérente.
Robert STEUCKERS, février 1994.
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vendredi, 27 juillet 2007
L'Eurasie comme destin
Géopolitique européenne: l'Eurasie comme destin
à propos d'un livre de Pierre Béhar
par Lucien FAVRE
Depuis les bouleversements de 1989, l'Europe s'est retrouvée mais ne s'est pas réunie. Malgré les analyses et les essais de géostratégie, malgré les tentatives de «nouvelle donne européenne» et le retour de la géopolitique (retour du mot tout au moins), malgré les débats qu'aura suscité le Traité de Maastricht (des débats bien lointains), les projets BCBG ont été florissants et n'on fait que renforcer une logique: celle d'une Europe soumise au dogme de l'économie, anti-démocratique, soumise à la synarchie des euro-technocrates. Pourtant présentée comme la «nouvelle Jérusalem céleste», cette Europe ne sera jamais la nôtre.
Un ouvrage signé Pierre BEHAR (1) nous ramène à l'essentiel en nous proposant une «géopolitique pour l'Europe». Une Europe qui en se réapproriant sa totale continentalité, de l'Atlantique au Pacifique, doit se construire sur la base d'un principe: l'équilibre des peuples et des nations.
Une encourageante initiative qui s'inscrit dans notre Combat, celui d'une Europe européenne et «grand-continentale», embryon d'un Empire eurasiatique.
L'Europe en effervescence: inquiétudes et espoirs.
Effondrement du Mur de Berlin (novembre 1989) et réunification allemande (décembre 1990), éclatement de l'Empire soviétique (décembre 1991), dissolution du Pacte de Varsovie (mars 1991), création de la «Communautés des Etats Indépendants», disparition de la Yougoslavie et guerre balkanique, projet d'union européenne, partition de la Tchécoslovaquie (juin 1992)... décidément, n'en déplaise à Mr. Fukuyama, l'Histoire continue (2).
Certes, cette effervescence n'augure pas obligatoirement d'une histoire conforme à nos aspirations. Mais nous connaissons le tragique de la vie, nous savons que l'Histoire n'est jamais écrite et que «le combat est père de toute chose» (Héraclite). Alors ni états d'âme ni béatitude...
Des inquiétudes...
L'écroulement de l'Imperium soviétique et sa spectaculaire et lamentable disparition auront laissé plus d'un analyste désemparé. Au-delà du fécond réveil des peuples qui autoriserait l'optimisme, certains n'y voient «qu'une étape supplémentaire vers l'accomplissement du matérialisme total et de la dépossession des hommes et des peuples par le système du productivisme planétaire et de la logique du capital» (3). Là comme ailleurs le cauchemar pourrait s'installer.
De même, passée l'euphorie de la réunification allemande, immédiatement se sont installés fantasme et scepticisme: crainte en particulier de la voir se construire son propre destin et de se tourner vers l'Est ou vers la Mitteleuropa.
Au sud, la guerre balkanique entretient une plaie ouverte et démontre toute la perversité du nationalisme, l'obsolescence de l'Etat-nation et l'absence du mythe fédérateur européen.
Ailleurs, l'Europe occidentale et communautaire, embryon, nous dit-on, d'une Europe politique, ayant choisi l'économie comme destin, s'enferme dans le juridisme au travers d'un Traite de Maastricht (février 1992) qui accentue le choix originel du Traité de Rome. Cette nouvelle étape sur le long chemin communautaire aura confirmé le décalage flagrant, l'incompréhension entre les élites politiques et les “citoyens européens”. Cette Europe n'est pensée et conçue que comme instrument pour mieux engager la compétition avec les Etats-Unis et le Japon. N'y parle-t-on pas que “modernisation” et “robotisation” et nos politiciens ne la présentent-ils pas comme une planche de salut pour ses 53 millions de pauvres. Ce que l'on peut d'ores et déjà affirmer, c'est qu'elle comblera les financiers et que “le seul gouvernement qui se profile à l'horizon 2000 risque fort d'être celui des gouverneurs de la banque centrale”. L'homogénéisation marchande et l'intégration à l'économie mondiale s'installent.
Des espoirs...
Tout ce bouillonnement aura eu cependant un mérite: précipiter la fin de l'immobilisme géopolitique en Europe et réveiller les stratèges que 45 années de “protectorat américain” avaient plongé dans un coma frisant la mort clinique. Sont réapparus la géographie européennes, ses peuples et ses ethnies, la réflexion géopolitique et géostratégique.
Certes, là où se prennent les décisions, dans les sphères où évoluent nos “décideurs”, la statu quo et la frilosité continuent à régner. L'acceptation du “leadership” américain s'installe et l'originalité n'est pas de mise.
C'est “Ailleurs” que s'imaginent les véritables projets, ceux qui sont porteurs de destin. L'ouvrage de Pierre Béhar s'inscrit dans cet “Ailleurs” où prend forme et se réalise notre projet grand-européen, cette Europe à vocation confédérale dont bon nombre de nos contemporains ne perçoivent pas l'unité territoriale et a fortiori culturelle.
Il contribue également à une mise en forme de ce “grand espace” (Großraum) eurasiatique que Karl Haushofer (4) présentait comme l'une des conditions géopolitiques indispensables à toute politique de puissance. Dégageant les caractéristiques géographiques et humaines de notre continent, Pierre Béhar propose une politique d'équilibre interne et intègre l'Eurasie comme composante d'une Europe désireuse de se forger un destin à l'échelle du monde.
L'Europe, un ensemble mouvant
Si, pour les Européens conséquents que nous sommes, l'Europe a toujours existé, un mythe ne mourant jamais, si sa totale dimension eurasiatique ne nous a jamais échappé, cette perspective n'est pas partagée par les futurs “citoyens européens”. La ploutocratie mondiale ayant quant à elle allègrement franchi le pas.
Cela tient au fait que, comme le soulignait le Général Jordis von Lohausen (5), “l'Europe n'est pas un simple continent au même titre que l'Afrique, l'Australie, l'Antarctique. Elle est l'œuvre des Européens et non un don de la nature, l'Europe n'est ni au-delà ni en-deçà de l'Oural, mais jusqu'au point où elle se défend».
En effet, si ses frontières occidentales ont été naturellement perçues et définies, sur le front oriental, elles ont toujours été conventionnelles et incertaines. L'Oural ne signifiant géopolitiquement rien, c'est souvent sur la ligne de front, au point d'arrêt de l'“envahisseur” que l'Europe se définissait.
En cette fin de XXième siècle, l'Europe a retrouvé son unité géographique. Des divisions subsistent (économiques, religieuses,...) mais elles doivent s'effacer si l'Europe se veut, de l'Atlantique au Pacifique, autre chose que le “cap de l'Asie”.
Retrouver notre continentalité
L'Europe, écrit Pierre Béhar, se présentant comme le “promontoire de l'Asie”, point d'aboutissement de toutes les migrations venant de l'Est, laisse apparaître plusieurs ensembles géographiques très contrastés d'où se dégagent des “permanences géopolitiques”.
- Le relief, trois ensembles:
* “La grande plaine du Nord”, sans relief, sans frontières naturelles, les peuples qui l'habitent éternellement s'y entrechoquent et s'y mêlent. Germains, Baltes, Polonais, y trouveront maintes sources de conflits.
* Au sud, un ensemble montagneux, Alpes, Carpathes et Balkans. Ces derniers, “tourmentés et escarpés” nous éclairent sur les difficultés encore actuelles que peuvent y avoir les populations à y constituer des zones d'habitat stables.
* Ailleurs, l'Europe n'est que presqu'îles ou îles lointaines. Autant de presqu'îles (hellénique, italique, ibérique, Asie Mineure, danoise, norvégienne,...) qui constituent des liens avec le monde arabe (nouvel ennemi d'un Occident en mal de croisade), l'Afrique (que certains voudraient rejeter dans la barbarie), l'Asie et le Grand Nord.
- Les deux aires humaines:
A ce constat dans le relief correspondent des “aires humaines” tout autant contrastées. A l'Ouest, une zone de stabilité, à l'Est, une instabilité chronique dont la résolution de l'équilibre “reste la tache à laquelle l'Europe est actuellement confrontée”.
- L'Asie jusqu'où?
Mais l'Europe géopolitique, c'est aussi cet “au-delà”, cette Asie sans laquelle aucun destin ne sera possible. Une nécessité apparaît: “rétablir des relations qui reflètent les liens géographiques qui les unissent”. D'où une question de l'auteur: “Jusqu'où vers l'Est, l'Europe doit-elle étendre des relations géopolitiques privilégiées?”. La réponse est pour nous sans équivoque.
- La mer:
Enfin, l'Europe, c'est aussi un rapport à la mer constant, d'où une maîtrise nécessaire des mers pour un continent qui a toujours souffert du manque de matières premières. Mais aussi nécessité stratégique parce que la mer est devenue “un élément essentiel du théâtre des opérations terrestres”. Et Pierre Béhar d'affirmer: “L'Europe sera une thalassocratie ou ne sera pas”, au même titre qu'elle ne pourra éviter un investissement dans une politique spatiale d'envergure.
Autant de “permanences géopolitiques” que nous somme gré à l'auteur de nous rappeler tant aujourd'hui elles sont ignorées. Mais ces permanences ont un objectif, amener les Européens à s'engager dans deux directions pour penser une géopolitique européenne:
- rétablir l'équilibre interne de l'Europe;
- penser l'Eurasie.
Rétablir l'équilibre interne du continent
Cette notion d'équilibre rejette “l'Europe hémiplégique” et réductionniste qu'est la Communauté Economique Européennes (CEE). Une Europe économique dont on nous fait croire qu'en sortira une Europe politique. Rien de plus faux, car inévitablement “elle se fondra sur le principe d'une intégration totale” et renforcera les frustrations nationales.
C'est donc vers une Europe confédérée et affirmant le primat du politique qu'il faut se tourner. Abandonner le “présupposé arbitraire du primat de l'économique devenu credo de la réflexion occidentale”.
Si la confédération apparaît comme le système le mieux adapté, elle demande un dépassement de l'“idéologie nationaliste” qui a “suicidé” l'Europe et un retour au principe d'équilibre qui a toujours guidé l'ancienne diplomatie dont Bismarck fut un remarquable exemple. Une tradition à mettre en œuvre dans une zone, celle du centre-Europe, mais aussi à l'échelle du continent.
Au centre: l'Allemagne et la Mitteleuropa
L'Allemagne n'est pas le problème et le “déséquilibre européen ne vient pas de sa réunification (...) mais de la destruction (...) de l'ensemble politique austro-magyaro-slave qui la contrebalançait”. Certes en 1994, l'Allemagne n'a plus de “revendications territoriales” mais comme à toute puissance économique correspond une puissance politique, on peut légitimement craindre une “hégémonie allemande” sur la Mitteleuropa, le choix de Berlin comme nouvelle capitale ne pouvant que renforcer ce mouvement. Si hier l'Empire d'Autriche-Hongrie garantissait cet équilibre, aujourd'hui, il n'en est rien.
Il faut donc contrebalancer ce déséquilibre et concevoir des nouveaux ensembles, tels qu'une Fédération de l'Europe Centrale (Autriche, Hongrie, Tchécoslovaquie, Slovénie et Croatie), une Fédération balkanique (Serbie/Monténégro, Roumanie, Bulgarie, Albanie, Grèce et Turquie) et même concevoir une Fédération du Nord (Pays Baltes, Finlande, Scandinavie). Cela n'a rien d'artificiel. Penchons-nous sur les relations séculaires des peuples du Nord, souvenons-nous du pacte balkanique (1934), examinons l'espace commun (le Danube) dans lequel ils évoluent. Vienne doit redevenir capitale de l'Europe centrale et l'axe Vienne-Budapest doit renaître. Déjà des regroupements se mettent en place (Pentagonale, Hexagonale, Communauté des régions du Danube...).
Ce rééquilibrage au centre de l'Europe ne saurait se passer à l'Ouest du retour de la France à sa double vocation continentale et maritime.
A l'Ouest: le rôle de la France
“La France y étant le facteur principal de stabilisation”, Pierre Béhar nous rappelle qu'elle y constitue le “pendant de la Russie”, qu'elle est le lien entre l'Europe du Nord et du Sud, l'Europe continentale et atlantique. N'est-elle pas elle-même le croisement de l'Europe, son “point nodal”. Regrettant les erreurs et les errements de la diplomatie française qui a parié sur une “Realpolitik de la force et non de la liberté des peuples”, Béhar offre à la France de se “rattraper” à condition de mettre ses armes stratégiques et tactiques au service de la défense du continent, d'accroître ses programmes d'équipement naval (surtout de les accorder avec ses ambitions et d'abandonner le prestige pour l'efficacité) et de renforcer son programme spatial plutôt que “s'enfermer pour vingt ans dans la même inefficacité ruineuse”.
L'Eurasie
Si l'Atlantique est la dimension indispensable à notre continentalité, si l'Europe occidentale et l'Europe centrale s'inscrivent sans hésitation dans la définition de l'Europe, l'“Au-delà” reste encore un monde inconnu que l'on hésite à y intégrer. Pourtant, c'est vers lui qu'il faut tendre la main, “l'Europe n'aura de fondements économiques et stratégiques fermes (...) que si elle est assurée de son prolongement eurasiatique”. Deux mondes se côtoient au sein de cette dimension, un monde slave et un monde turc.
Le monde slave, lien indispensable avec l'Asie
Le monde slave oriental, flanc est de l'Europe, contrefort oriental d'une Europe qui n'a aucun intérêt géopolitique à la voir se désagréger, constitue le lien terrestre indispensable avec le monde asiatique. D'où une nécessité: maintenir la coopération entre la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine, maintien du “pivot du monde”, d'un “heartland” dont Mackinder (1861-1947) avait souligné la force. Si l'Europe veut compter sur les richesses sibériennes, elle doit rester à l'écoute de la Russie authentique et ne pas hésiter à engager le dialogue avec une “Russie touranienne” dans la perspective d'un “grand ensemble dynamique eurasien”.
Le monde turc: un pont de la Mer du Nord au Golfe Persique
Barrière psychologique, la “question turque” se pose aux Européens. Un effort intellectuel et historique doit être effectué. Il serait absurde de rejeter la Turquie hors du projet européen.
La Turquie souligne Pierre Béhar a et est toujours tentée par un “destin personnel”, celui du monde panturc. Dans une optique de non-alignement, ce destin est-il incompatible d'avec une Europe tournée vers l'Eurasie? Nous ne le croyons pas et, peut-être pour d'autres motifs que l'auteur, nous pensons en effet qu'historiquement, religieusement, philosophiquement, le monde turc est lié à l'Europe.
Rappelons pour le mythe, qu'Europe, fille d'Agénor, était originaire d'Asie, que Troie était construite sur les rivages maintenant turcs, qu'Alexandre porta son Empire par delà l'Anatolie jusqu'à l'Indus... L'Empire ottoman ne fut-il pas la continuité de l'Empire byzantin?
Mais la Turquie d'un point de vue géopolitique est surtout un pion essentiel pour une Europe, souligne Pierre Béhar, qui se veut présente dans les Balkans, dans le monde méditerranéen et dont la Turquie pourrait être une force de stabilisation au Proche-Orient. Enfin et surtout, nous soulignerons (ce que ne fait pas Béhar) que la Turquie, c'est aussi un “pont tendu” reliant l'Europe centrale et l'Europe du Nord au Golfe Persique. Son territoire est l'élément indispensable d'un “puzzle européen” retrouvant vie et cohésion sur une “diagonale” que les ennemis de l'Europe ont toujours combattue (entretien de la guerre balkanique, guerre du Golfe...).
En guise de conclusion:
L'Europe ou l'Eurasie, tel sera le destin de l'Europe Totale (P. Harmel) sans lequel il n'y aura pas d'Europe. Remercions Pierre Béhar de contribuer à la mise en forme du “grand espace européen autocentré” que nous appelons de nos vœux.
Contribution qui n'aura pas osé la dénonciation de l'«Alliance otanesque» qui voue à l'échec toute mise en œuvre de défense authentiquement européenne et la création de ce “nomos eurasien” dont Haushofer et Carl Schmitt souhaitaient la réalisation.
L'Europe n'a pas de frontières, nous l'écrivions au début de cet exposé, elles se situent au point jusqu'où elle choisira de se défendre. Sa frontière géopolitique pourrait alors consister, à partir d'une “Europe noyau”, bâtie sur l'idée de respect d'un équilibre entre ses peuples qui y auraient consenti un “vivre-en-commun”, d'étendre ce jus publicum europaeum jusqu'aux limites d'un espace eurasien, voire africain, permettant une large autosuffisance et une sécurité repoussée à ses points extrêmes. Le nouvel ordre américano occidental serait alors frappé à mort. C'est notre plus ardent souhait.
Lucien FAVRE.
Notes:
(1) Pierre BEHAR, Une géopolitique pour l'Europe. Vers une nouvelle Eurasie?, Ed. Desjonquères, Paris, 1992.
(2) Francis FUKUYAMA, La fin de l'Histoire et le dernier homme, Flammarion, Paris, 1992.
(3) Cf. Hérodote n°64.
(4) Karl E. HAUSHOFER, De la géopolitique, Fayard, 1986 (Préface et traduction du Prof. Jean KLEIN).
(5) Heinrich Jordis von LOHAUSEN, Les empires et la puissance, Ed. du Labyrinthe, Paris, 1985.
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mercredi, 04 juillet 2007
D. Kalajic: valeur géopolitique de la Yougoslavie
La valeur géopolitique de la Yougoslavie
Quel sens doit-on accorder à la déclaration publique et officielle (répétée depuis par Bill Clinton) du Président américain George Bush, justifiant la mobilisation totale des forces américaines sur l’échiquier balkanique : « La Serbie est le péril majeur pour la sécurité et les intérêts économiques et politiques des Etats-Unis » !
Quelle fin ultime poursuit-on en voulant diviser encore davantage le territoire de l’actuelle Yougoslavie, partition annoncée lors d’un entretien accordé par le Secrétaire d’Etat James Baker au New York Times le 18 avril 1992 ? Le Secrétaire d’Etat de cette époque considérait que la Serbie et le Monténégro devaient être réduits à un territoire plus petit que celui de la Serbie avant les guerres balkaniques (de 1912 et 1913). Pourquoi ? La géopolitique nous donne la réponse, car elle démontre l’énorme valeur du territoire yougoslave dans la stratégie anti-européenne des Etats-Unis et de leur petit cheval de Troie dans l’UE, la Grande-Bretagne. L’espace géopolitique en question recèle les voies de communication uniques, actuelles et virtuelles, terrestres et fluviales, qui relient directement l’Europe occidentale, centrale et septentrionale au Sud-est européen et, partant, au Moyen-Orient et à la Mer Caspienne. Tout contrôle hégémonique sur ce nœud de communications terrestres et fluviales, y compris les oléoducs qui restent à construire, donne à toute force déterminée à exercer pareille hégémonie, le pouvoir de conditionner ou de séparer toutes les parties du continent qui en sont riveraines et, bien sûr, avant toute chose, l’Europe. Déjà, au siècle passé, la géopolitique allemande avait mis en exergue la valeur stratégique de cette zone du Sud-Est européen. Les Allemands avaient projeté la construction d’un réseau ferroviaire devant relier Hambourg à Bagdad, la Mer du Nord au Golfe Persique, ce qui aurait constitué un axe de coprospérité pour tous les peuples vivant autour de cet axe. Bien sûr, ce projet visait essentiellement à contester l’hégémonie britannique au Moyen-Orient, reposant sur le monopole anglais sur le pétrole et les voies maritimes. Pour cette raison, la politique coloniale britannique a empêché son éclosion, y compris par des actions militaires.
Le commandant en chef de l’armée austro-hongroise, le Général Beck, dans un rapport rédigé en décembre 1895, souligne clairement l’importance géopolitique du Kosovo et de la Metohija, décrivant cette région comme la clef stratégique permettant le contrôle des Balkans. La puissance qui parvient à contrôler cette zone a automatiquement la possibilité de contrôler l’espace balkanique dans son ensemble, avec toutes ses voies de communication. Le Général Beck révélait là une preuve d’ordre historique : l’Empire ottoman n’a pas conquis les Balkans après la chute de Constantinople mais après sa victoire sur le Champ des Merles, c’est-à-dire au Kosovo. A Versailles, les artisans occidentaux qui ont fabriqué la Yougoslavie avaient les mêmes visées géopolitiques. Pour les alliés atlantistes, la Yougoslavie devait servir de barrière anti-allemande et anti-européenne. La résolution sur la Yougoslavie, émise par la loge du Grand Orient de Paris en mars 1917, salue cet Etat à venir comme « un môle de civilisation contre l’expansion de la culture pangermanique ». L’Allemagne actuelle, guidant de fait la Communauté européenne en se donnant le rôle de médiateur (se révélant toutefois partial et intéressé) entre les diverses républiques yougoslaves au moment de la crise séparatiste, a finalement réussi à détruire ce « môle », en favorisant, appuyant et légitimant les sécessions slovène et croate.
Puis, en 1992, les Etats-Unis sont entrés dans le jeu, avec la ferme intention de construire une alternative offensive (et non plus seulement défensive) au « môle » anti-allemand et anti-européen. Cette alternative au rôle qu’avaient dû jouer les première et seconde Yougoslavies s’appelle « la transversale islamique », chez les nouveaux géopolitologues serbes actuels, ou le « Troisième empire américain », dans le langage de leurs homologues de Washington.
Le « Troisième Empire américain »
La description la plus synthétique du « Troisième Empire américain » nous a été donnée par deux rédacteurs de l’école stratégique de Washington, Michael Lind et Jacob Haillbrun ; cette synthèse est parue dans les pages de l’International Herald Tribune du 4 janvier 1996, sous un titre qui résume en lui-même tout un programme géopolitique : « Le Troisième Empire américain avec les Balkans comme frontière ».
Selon les deux auteurs de cet essai, par « Premier Empire américain », il faut entendre l’ensemble des Amériques. Il a été suivi chronologiquement par le « Second Empire », conquis après la victoire de la seconde guerre mondiale : il comprend l’Europe occidentale et le Pacifique. Le dernier de ces empires, le Troisième, les Etats-Unis sont en train de le forger.
« Au lieu de considérer la Bosnie comme une frontière orientale de l’OTAN, il faut considérer les Balkans comme une frontière occidentale de l’expansion de la sphère d’influence américaine en direction du Moyen-Orient. Il faut également se rappeler, que jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, les Balkans étaient considérés comme une partie du Proche-Orient et non de l’Europe (sic ! !). Le fait que les Etats-Unis soient beaucoup plus proches de l’Etat constitué par les Musulmans bosniaques, que leurs alliés européens, reflète, entre autres choses, le rôle nouveau que doivent se donner les Etats-Unis : guider une coalition informelle des nations musulmanes du Golfe [du Golfe Persique, DK] aux Balkans. La zone qui jadis était sous la domination de l’Empire ottoman deviendra ainsi le cœur du Troisième Empire américain ». Donc le « Troisième Empire » américain ou la « Transversale islamique » est constitué d’une chaîne de pays musulmans ou à forte minorité musulmane, partant de la Turquie, traversant la Bulgarie, la Macédoine et l’Albanie, pour aboutir à la Bosnie-Herzégovine. Pour consolider l’intégrité territoriale de cette chaîne, il manquait l’anneau principal : le Kosovo-Metohija.
Le « Troisième Empire américain » hérite évidemment des vieilles fonctions statiques du « môle » dressé contre l’expansion allemande et européenne en direction du Moyen-Orient et contre l’avance des Russes en direction de la Méditerranée, mais, en plus, il acquiert de nouvelles fonctions dynamiques. L’intention première des stratèges de Washington est de ramener l’hégémonie turque dans les Balkans. Ils présentent dès lors cette hégémonie comme un « facteur incontournable de stabilité », mais ils souhaitent finalement ouvrir de force les portes de l’UE à la Turquie, qui deviendrait membre à part entière. Depuis de nombreuses années déjà, Washington insiste pour que l’UE ouvre ses portes à la Turquie, ce qui aurait pour résultat de déstabiliser et finalement de désintégrer le monde européen.
Pour comprendre les intentions turques et le potentiel explosif de la Turquie, il suffit de lire les textes de géopolitologues turcs, qui expriment sans détours leurs aspirations à reconquérir les Balkans et, dans la foulée, toute l’Europe, avec l’aide des Etats-Unis et de leur démographie galopante. Pour l’homme doté de bon sens, citons l’exemple du politologue turc influent, Nazmi Arifi, qui, dans les pages de la revue Preporod (organe officiel des Musulmans bosniaques), en date du 15 août 1991, décrivait très clairement, avec une joie carrément sadique, les conséquences d’une entrée de la Turquie dans l’UE : « L’Europe a conscience du potentiel turc. Elle est consciente de la masse démographique turque. L’Europe regarde la Turquie comme un pays dont la population potentielle est de 200 millions d’habitants [note de DK : Arifi compte les Turcophones d’Asie centrale auxquels le gouvernement d’Ankara offre directement la nationalité turque]. Il est donc logique que l’Europe ne s’opposera pas à la Turquie. En l’espace de dix années [note de DK : après l’entrée de la Turquie dans l’UE], la moitié de la population européenne sera musulmane pour les raisons suivantes : les peuples musulmans ont une natalité plus élevée, les migrations économiques en provenance du monde islamique s’installeront en Europe, la chute libre de la natalité des peuples européens de souche, les conversions à l’Islam… Ce sont là des faits que l’Europe, bon gré mal gré, devra accepter ».
Les opinions pareilles à celle que nous venons de citer sont amplement confirmées par les positions officielles et dans la rhétorique des hommes politiques turcs, depuis feu Türgüt Özal jusqu’à l’actuel Président Demirel. Tous ces hommes politiques ont promis aux Turcs et aux Turcophones que le « 21ième siècle sera turc » et que la Turquie s’étendra « de la Muraille de Chine à l’Adriatique ». Et quelques-uns ajoutent : « Aussi jusqu’à l’Atlantique ! ».
Le « Troisième Empire américain » ou la « Transversale islamique » offrira la plus grande voie terrestre imaginable aux migrations massives en provenance du monde islamique ou du Tiers-Monde vers l’Europe, ce qui modifiera de fond en comble son visage démographique et culturel. Sans le bouclier serbe, l’Europe aurait été depuis longtemps, depuis plusieurs siècles, islamisée. Aujourd’hui, cette Europe remercie la Serbie-bouclier en lui envoyant bombes et missiles. Du point de vue serbe, cette Europe, du moins cette Europe légale, fait montre d’une servilité inacceptable face aux Etats-Unis, occupants atlantistes, ou cultive un esprit masochiste et suicidaire.
De plus, l’occupation du territoire yougoslave vise à transformer celui-ci en une gigantesque base pour l’OTAN, qui servira, si besoin s’en faut, à attaquer la Russie, lors d’une future et probable entreprise guerrière. Il sera facile de mettre en scène un nouveau « casus belli », où il faudra répéter une « intervention humanitaire » : il se trouvera bien quelque part une nouvelle Tchétchénie ou une ethnie musulmane rebelle dans la Fédération de Russie pour servir de prétexte. On pourra aussi très facilement justifier une agression contre la Russie en prétextant que le potentiel nucléaire pourrait tomber entre les mains des revenchistes —qualifiés pour les besoins de la propagande de « fascistes » ou, pire, de « nationaux-communistes ». Le scénario a déjà été imaginé, notamment par Zbigniew Brzezinski, dans sa dernière esquisse de géopolitique anticipative, Le Grand Echiquier, où il évoque la possibilité de diviser la Russie en trois Etat « pour mieux la moderniser ». Il suffit de consulter quelques bons atlas géographiques pour se rendre compte que cette stratégie colonialiste rencontre les intérêts mondialistes et globalistes qui lorgnent vers les immenses richesses du pays.
L’occupation de la Yougoslavie, que ce soit sous une forme hard ou soft (avec l’instauration d’un gouvernement fantoche), vise à contrôler, dominer et monopoliser toutes les communications terrestres et fluviales entre l’Europe et le Moyen-Orient, entre l’Europe et la zone caucasienne ou la Mer Caspienne. De fait, la destruction des ponts sur le Danube, suite à des bombardements répétés, a déjà bloqué le trafic fluvial et interrompu l’acheminement des marchandises vers l’Europe en provenance de la région pontique (Mer Noire). L’occupation de la Yougoslavie vise aussi à fermer définitivement l’unique passage libre et virtuel vers la Méditerranée pour l’économie russe. La Russie n’a plus qu’à passer par le Bosphore, qui reste sous la souveraineté de la Turquie, fidèle vassal traditionnel des puissances anglo-saxonnes, par haine de la tradition et de l’Europe.
Si l’OTAN, avec la complicité servile et masochiste des gouvernements européens, parvient à détruire le bouclier serbe, la possibilité de sceller une grande alliance entre l’Europe occidentale et la Russie sera définitivement enterrée, alors que cette alliance à été le grand rêve de nos maîtres, de Nietzsche à Dostoïevski. Dans une perspective aussi lugubre, l’Europe ne sera plus qu’une province américaine marginale, puis deviendra l’un des désert du Tiers-Monde.
Il faut non seulement espérer mais agir et combattre pour faire en sorte que ce « rêve américain » ne devienne pas réalité.
Dragos KALAJIC.
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mercredi, 27 juin 2007
Atlantis, Kash et Touran
Robert STEUCKERS:
Les matrices préhistoriques des civilisations antiques dans l'œuvre posthume de Spengler:
Atlantis, Kasch et Turan
Généralement, les morphologies de cultures et de civilisations proposées par Spengler dans son ouvrage le plus célèbre, Le déclin de l'Occident, sont les seules à être connues. Pourtant, ses positions ont changé après l'édition de cette somme. Le germaniste italien Domenico Conte en fait état dans son ouvrage récent sur Spengler. En effet, une étude plus approfondie des textes posthumes édités par Anton Mirko Koktanek, notamment Frühzeit der Weltgeschichte, qui rassemble les fragments d'une œuvre projetée mais jamais achevée, L'épopée de l'Homme.
Dans la phase de ses réflexions qui a immédiatement suivi la parution du Déclin de l'Occident, Spengler distinguait quatre stades dans l'histoire de l'humanité, qu'il désignait tout simplement par les quatre premières lettres de l'alphabet: a, b, c et d. Le stade “a” aurait ainsi duré une centaine de milliers d'années, aurait recouvert le paléolithique inférieur et accompagné les premières phases de l'hominisation. C'est au cours de ce stade qu'apparaît l'importance de la “main” pour l'homme. C'est, pour Spengler, l'âge du Granit. Le stade “b” aurait duré une dizaine de milliers d'années et se situerait au paléolithique inférieur, entre 20.000 et 7000/6000 avant notre ère. C'est au cours de cet âge que naît la notion de vie intérieure; apparaît “alors la véritable âme, inconnue des hommes du stade “a” tout comme elle est inconnue du nouveau-né”. C'est à partir de ce moment-là de son histoire que l'homme “est capable de produire des traces/souvenirs” et de comprendre le phénomène de la mort. Pour Spengler, c'est l'âge du Cristal. Les stades “a” et “b” sont anorganiques.
Le stade “c” a une durée de 3500 années: il commence avec le néolithique, à partir du sixième millénaire et jusqu'au troisième. C'est le stade où la pensée commence à s'articuler sur le langage et où les réalisations techniques les plus complexes deviennent possibles. Naissent alors les “cultures” dont les structures sont de type “amibien”. Le stade “d” est celui de l'“histoire mondiale” au sens conventionnel du terme. C'est celui des “grandes civilisations”, dont chacune dure environ 1000 ans. Ces civilisations ont des structures de type “végétal”. Les stades “c” et “d” sont organiques.
Spengler préférait cette classification psychologique-morphologique aux classifications imposées par les directeurs de musée qui subdivisaient les ères préhistoriques et historiques selon les matériaux utilisés pour la fabrication d'outils (pierre, bronze, fer). Spengler rejette aussi, à la suite de cette classification psychologique-morphologique, les visions trop évolutionnistes de l'histoire humaine: celles-ci, trop tributaires des idéaux faibles du XVIIIième siècle, induisaient l'idée “d'une transformation lente, flegmatique” du donné naturel, qui était peut-être évidente pour l'Anglais (du XVIIIième), mais incompatible avec la nature. L'évolution, pour Spengler, se fait à coup de catastrophes, d'irruptions soudaines, de mutations inattendues. «L'histoire du monde procède de catastrophes en catastrophes, sans se soucier de savoir si nous sommes en mesure de les comprendre. Aujourd'hui, avec H. de Vries, nous les appelons “mutations”. Il s'agit d'une transformation interne, qui affecte à l'improviste tous les exemplaires d'une espèce, sans “causes”, naturellement, comme pour toutes les choses dans la réalité. Tel est le rythme mystérieux du réel» (L'homme et la technique). Il n'y a donc pas d'évolution lente mais des transformations brusques, “épocales”. Natura facit saltus.
trois cultures-amibes
Dans le stade “c”, où émergent véritablement les matrices de la civilisation humaine, Spengler distingue trois “cultures-amibes”: Atlantis, Kasch et Turan. Cette terminologie n'apparaît que dans ses écrits posthumes et dans ses lettres. Les matrices civilisationnelles sont “amibes”, et non “plantes”, parce que les amibes sont mobiles, ne sont pas ancrées dans une terre précise. L'amibe est un organisme qui émet continuellement ses pseudopodes dans sa périphérie, en changeant sans cesse de forme. Ensuite, l'amibe se subdivise justement à la façon des amibes, produisant de nouvelles individualités qui s'éloignent de l'amibe-mère. Cette analogie implique que l'on ne peut pas délimiter avec précision le territoire d'une civilisation du stade “c”, parce que ses émanations de mode amibien peuvent être fort dispersées dans l'espace, fort éloignées de l'amibe-mère.
“Atlantis” est l'“Ouest” et s'étend de l'Irlande à l'Egypte; “Kasch” est le “Sud-Est”, une région comprise entre l'Inde et la Mer Rouge. “Turan” est le “Nord”, s'étendant de l'Europe centrale à la Chine. Spengler, explique Conte, a choisi cette terminologie rappelant d'“anciens noms mythologiques” afin de ne pas les confondre avec des espaces historiques ultérieurs, de type “végétal”, bien situés et circonscrits dans la géographie, alors qu'eux-mêmes sont dispersés et non localisables précisément.
Spengler ne croit pas au mythe platonicien de l'Atlantide, en un continent englouti, mais constate qu'un ensemble de sédiments civilisationnels sont repérables à l'Ouest, de l'Irlande à l'Egypte. ‘Kasch” est un nom que l'on retrouve dans l'Ancien Testament pour désigner le territoire de l'antique Nubie, région habitée par les Kaschites. Mais Spengler place la culture-amibe “Kasch” plus à l'Est, dans une région s'articulant entre le Turkestan, la Perse et l'Inde, sans doute en s'inspirant de l'anthropologue Frobenius. Quant à “Turan”, c'est le “Nord”, le haut-plateau touranique, qu'il pensait être le berceau des langues indo-européennes et ouralo-altaïques. C'est de là que sont parties les migrations de peuples “nordiques” (il n'y a nulle connotation racialisante chez Spengler) qui ont déboulé sur l'Europe, l'Inde et la Chine.
Atlantis: chaude et mobile; Kasch: tropicale et repue
Atlantis, Kasch et Turan sont des cultures porteuses de principes morphologiques, émergeant principalement dans les sphères de la religion et des arts. La religiosité d'Atlantis est “chaude et mobile”, centrée sur le culte des morts et sur la prééminence de la sphère ultra-tellurique. Les formes de sépultures, note Conte, témoignent du rapport intense avec le monde des morts: les tombes accusent toujours un fort relief, ou sont monumentales; les défunts sont embaumés et momifiés; on leur laisse ou apporte de la nourriture. Ce rapport obsessionnel avec la chaîne des ancêtres porte Spengler à théoriser la présence d'un principe “généalogique”. Les expressions artistiques d'Atlantis, ajoute Conte, sont centrées sur les constructions de pierre, gigantesques dans la mesure du possible, faites pour l'éternité, signes d'un sentiment de la vie qui n'est pas tourné vers un dépassement héroïque des limites, mais vers une sorte de “complaisance inerte”.
Kasch développe une religion “tropicale” et “repue”. Le problème de la vie ultra-tellurique est appréhendé avec une angoisse nettement moindre que dans Atlantis, car, dans la culture-amibe de Kasch domine une mathématique du cosmos (dont Babylone sera l'expression la plus grandiose), où les choses sont d'avance “rigidement déterminées”. La vie d'après la mort suscite l'indifférence. Si Atlantis est une “culture des tombes”, en Kasch, les tombes n'ont aucune signification. On y vit et on y procrée mais on y oublie les morts. Le symbole central de Kasch est le temple, d'où les prêtres scrutent la mathématique céleste. Si en Atlantis domine le principe généalogique, si les dieux et les déesses d'Atlantis sont père, mère, fils, fille, en Kasch, les divinités sont des astres. Y domine un principe cosmologique.
Turan: la civilisation des héros
Turan est la civilisation des héros, animée par une religiosité “froide”, axée sur le sens mystérieux de l'existence. La nature y est emplie de puissances impersonnelles. Pour la culture-amibe de Turan, la vie est un champ de bataille: “pour l'homme de ce Nord (Achille, Siegfried)”, écrit Spengler, “seule compte la vie avant la mort, la lutte contre le destin”. Le rapport hommes/divin n'est plus un rapport de dépendance: “la prostration cesse, la tête reste droite et haute; il y a “moi” (homme) et vous (les dieux)”. Les fils sont appelés à garder la mémoire de leurs pères mais ne laissent pas de nourriture à leurs cadavres. Pas d'embaumement ni de momification dans cette culture, mais incinération: les corps disparaissent, sont cachés dans des sépultures souterraines sans relief ou dispersés aux quatre vents. Seul demeure le sang du défunt, qui coule dans les veines de ses descendants. Turan est donc une culture sans architecture, où temples et sépultures n'ont pas d'importance et où seul compte un sens terrestre de l'existence. L'homme vit seul, confronté à lui-même, dans sa maison de bois ou de torchis ou dans sa tente de nomade.
Le char de combat
Spengler porte toute sa sympathie à cette culture-amibe de Turan, dont les porteurs aiment la vie aventureuse, sont animés par une volonté implaccable, sont violents et dépourvus de sentimentalité vaine. Ils sont des “hommes de faits”. Les divers peuples de Turan ne sont pas liés par des liens de sang, ni par une langue commune. Spengler n'a cure des recherches archéologiques et linguistiques visant à retrouver la patrie originelle des Indo-Européens ou à reconstituer la langue-source de tous les idiomes indo-européens actuels: le lien qui unit les peuples de Turan est technique, c'est l'utilisation du char de combat. Dans une conférence prononcée à Munich le 6 février 1934, et intitulée Der Streitwagen und seine Bedeutung für den Gang der Weltgeschichte (= Le char de combat et sa signification pour le cours de l'histoire mondiale), Spengler explique que cette arme constitue la clef pour comprendre l'histoire du second millénaire avant J.C.. C'est, dit-il, la première arme complexe: il faut un char (à deux roues et non un chariot à quatre roues moins mobile), un animal domestiqué et attelé, une préparation minutieuse du guerrier qui frappera désormais ses ennemis de haut en bas. Avec le char naît un type d'homme nouveau. Le char de combat est une invention révolutionnaire sur le plan militaire, mais aussi le principe formateur d'une humanité nouvelle. Les guerriers deviennent professionnels, tant les techiques qu'ils sont appelés à manier sont complexes, et se rassemblent au sein d'une caste qui aime le risque et l'aventure; ils font de la guerre le sens de leur vie.
L'arrivée de ces castes de “charistes” impétueux bouleversent l'ordre de cette très haute antiquité: en Grèce, ils bousculent les Achéiens, s'installent à Mycène; en Egypte, ce sont les Hyksos qui déferlent. Plus à l'Est, les Cassites se jettent sur Babylone. En Inde, les Aryens déboulent dans le sous-continent, “détruisent les cités” et s'installent sur les débris des civilisations dites de Mohenjo Daro et d'Harappa. En Chine, les Tchou arrivent au nord, montés sur leurs chars, comme leurs homologues grecs et hyksos. A partir de 1200, les principes guerriers règnent en Chine, en Inde et dans le monde antique de la Méditerranée. Les Hyksos et les Kassites détruisent les deux plus vieilles civilisations du Sud. Emergent alors trois nouvelles civilisations portées par les “charistes dominateurs”: la civilisation greco-romaine, la civilisation aryenne d'Inde et la civilisation chinoise issue des Tchou. Ces nouvelles civilisations, dont le principe est venu du Nord, de Turan, sont “plus viriles et énergiques que celles nées sur les rives du Nil et de l'Euphrate”. Mais les guerriers charistes succomberont aux séductions du Sud amollissant, déplore Spengler.
Un substrat héroïque commun
Cette théorie, Spengler l'a élaborée en accord avec le sinologue Gustav Haloun: il y a eu quasi simultanéité entre les invasions de Grèce, des Hyksos, de l'Inde et de la Chine. Spengler et Haloun estiment donc qu'il y a un substrat commun, guerrier et chariste, aux civilisations méditerranéenne, indienne et chinoise. Ce substrat est “héroïque”, comme le prouve les armes de Turan. Elles sont différentes de celles d'Atlantis: ce sont, outre le char, l'épée ou la hache, impliquant des duels entre combattants, alors qu'en Atlantis, les armes sont l'arc et la flèche, que Spengler juge “viles” car elles permettent d'éviter la confrontation physique directe avec l'adversaire, “de le regarder droit dans les yeux”. Dans la mythologie grecque, estime Spengler, arc et flèches sont autant d'indices d'un passé et d'influences pré-helléniques: Apollon-archer est originaire d'Asie Mineure, Artemis est libyque, tout comme Héraklès, etc. Le javelot est également “atlante”, tandis que la lance de choc est “touranique”. Pour comprendre ces époques éloignées, l'étude des armes est plus instructive que celle des ustensiles de cuisine ou des bijoux, conclut Spengler.
L'âme touranique dérive aussi d'un climat particulier et d'un paysage hostile: l'homme doit lutter sans cesse contre les éléments, devient ainsi plus dur, plus froid et plus hivernal. L'homme n'est pas seulement le produit d'une “chaîne généalogique”, il l'est tout autant d'un “paysage”. La rigueur climatique développe la “force de l'âme”. Les tropiques amolissent les caractères, les rapprochent d'une nature perçue comme plus maternante, favorisent les valeurs féminines.
Les écrits tardifs de Spengler et sa correspondance indiquent donc que ses positions ont changé après la parution du Déclin de l'Occident, où il survalorisait la civilisation faustienne, au détriment notamment de la civilisation antique. La focalisation de sa pensée sur le “char de combat” donne une dimension nouvelle à sa vision de l'histoire: l'homme grec et l'homme romain, l'homme indien-aryen et l'homme chinois, retrouvent tous grâce à ses yeux. La momification des pharaons était considérée dans Le déclin de l'Occident, comme l'expression égyptienne d'une volonté de durée, qu'il opposait à l'oubli impliqué par l'incinération indienne. Plus tard, la momification “atlante” déchoit à ses yeux au rang d'une obsession de l'au-delà, signalant une incapacité à affronter la vie terrestre. L'incinération “touranique”, en revanche, indique alors une volonté de concentrer ses efforts sur la vie réelle.
Un changement d'optique dicté par les circonstances?
La conception polycentrique, relativiste, non-eurocentrique et non-évolutionniste de l'histoire chez le Spengler du Déclin de l'Occident a fasciné des chercheurs et des anthropologues n'appartenant pas aux milieux de la droite allemande, notamment Alfred L. Kroeber ou Ruth F. Benedict. L'insistance sur le rôle historique majeur des castes de charistes de combat donne à l'œuvre tardive de Spengler une dimension plus guerrière, plus violente, plus mobile que ne recelait pas encore son Déclin. Doit-on attribuer ce changement de perspective à la situation de l'Allemagne vaincue, qui cherche à s'allier avec la jeune URSS (dans une perspective eurasienne-touranienne?), avec l'Inde en révolte contre la Grande-Bretagne (qu'il incluait auparavant dans la “civilisation faustienne”, à laquelle il donnera ensuite beaucoup moins d'importance), avec la Chine des “grands chefs de guerre”, parfois armés et encadrés par des officiers allemands? Spengler, par le biais de sa conférence, a-t-il cherché à donner une mythologie commune aux officiers ou aux révolutionnaires allemands, russes, chinois, mongols, indiens, afin de forger une prochaine fraternité d'arme, tout comme les “eurasistes” russes tentaient de donner à la nouvelle Russie soviétique une mythologie similaire, impliquant la réconciliation des Turco-Touraniens et des Slaves? La valorisation radicale du corps à corps “touranique” est-elle un écho au culte de l'“assaut” que l'on retrouvait dans le “nationalisme soldatique”, notamment celui des frères Jünger et de Schauwecker?
Enfin, pourquoi n'a-t-il rien écrit sur les Scythes, peuples de guerriers intrépides, maîtres des techniques équestres, qui fascinaient les Russes et sans doute, parmi eux, les théoriciens de l'eurasisme? Dernière question: le peu d'insistance sur les facteurs raciaux dans ce Spengler tardif est-il dû à un sentiment rancunier à l'égard des cousins anglais qui avaient trahi la solidarité germanique et à une mythologie nouvelle, où les peuples cavaliers du continent, toutes ethnies confondues (Mongols, Turco-Touraniens, descendants des Scythes, Cosaques et uhlans germaniques), devaient conjuguer leurs efforts contre les civilisations corrompues de l'Ouest et du Sud et contre les thalassocraties anglo-saxonnes? Les parallèles évident entre la mise en exergue du “char de combat” et certaines thèses de L'homme et la technique, ne sont-ils pas une concession à l'idéologie futuriste ambiante, dans la mesure où elle donne une explication technique et non plus religieuse à la culture-amibe touranienne? Autant de thèmes que l'histoire des idées devra clarifier en profondeur...
Robert STEUCKERS.
Domenico CONTE, Catene di civiltà. Studi su Spengler, Edizioni Scientifiche Italiane, Napoli, 1994, 394 p., Lire 58.000, ISBN 88-7104-242-924-1.
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mardi, 29 mai 2007
Espana y Eurasia
Para ser global, España necesita pensar el mundo a través de Eurasia
Luis Martínez Montes, miembro de la carrera diplomática que actualmente ejerce de Consejero de la Misión Permanente de España en la OSCE, organización presidida este año 2007 por España, reflexionó sobre el papel de Eurasia, en una entrevista concedida a la Fundación CIDOB. Martínez Montes, que combina su labor como diplomático con la elaboración de ensayos en los que reflexiona sobre temas candentes de la realidad internacional, es autor de España, Eurasia y el nuevo teatro del mundo, un Documento CIDOB de reciente publicación desde el que propone elaborar un plan en el Ministerio de Asuntos Exteriores y de Cooperación para dar respuesta a una nueva realidad emergente: Eurasia.
Tu estudio España, Eurasia y el nuevo teatro del mundo gira en torno a la emergencia de Eurasia. ¿Es la emergencia de nuevos centros de atención mundial una de las claves internacionales hoy en día?
Existe una fascinación, teñida de cierta ansiedad, ante el ascenso de países como China y la India; o ante la reafirmación “energética” de Rusia y las ambiciones nucleares de Irán. Octavio Paz, un poeta visionario, decía que el signo de nuestro tiempo no es la “revolución”, sino la “revuelta”: un cambio que es regreso a los orígenes. La emergencia en nuestros días de esos nuevos centros de poder mundial constituye un retorno a una situación de las relaciones internacionales anterior a la era bipolar e incluso previa a la hegemonía de Occidente. Al mismo tiempo nos encontramos ante un fenómeno novedoso, puesto que las potencias emergentes tienen a su disposición recursos e instrumentos de poder desconocidos en el pasado y ahora proporcionados por las fuerzas convergentes de la geopolítica y de la globalización. Ese es, precisamente, el sentido último del concepto de “emergencia”: la aparición de propiedades nuevas en un sistema o conjunto de sistemas a partir de realidades preexistentes. Así se explica esa ambigua y desconcertante mezcla de familiaridad y extrañeza que sentimos al observar y analizar el mundo de hoy. Por una parte, contemplamos la irrupción del pasado en el presente, ya sea en la forma de renovadas identidades religiosas o nacionales o en la resurrección de civilizaciones en apariencia petrificadas y ahora camino de convertirse en polos alternativos de poder mundial. Por otra, ese mismo pasado redivivo es transformado al contacto con fuerzas y corrientes que ya prefiguran el futuro. Y ese futuro, guste o no a quienes hasta ahora en Occidente pretendían detentar el monopolio de la interpretación histórica, va a ser plural.
¿Qué significado tiene la emergencia de Eurasia? ¿Cómo están reaccionando las diferentes potencias europeas ante este fenómeno
La emergencia de Eurasia es el resultado de la convergencia de las dos grandes fuerzas que constituyen la fábrica de nuestro mundo. En lo geopolítico – los cambios en la distribución espacial del poder – es la resultante de la fragmentación y recomposición interna de los dos grandes bloques que dominaron el macrocontinente durante la Guerra Fría. En lo referente a la globalización, la apertura de mercados antes cerrados a los flujos de capital, energía e información están provocando importantes transformaciones y desplazamientos en la cartera de recursos de los diversos actores euroasiáticos. Al mismo tiempo, la crisis por la que atraviesa el proyecto supranacional de la Unión Europea está en el origen de la reaparición de proyectos de hegemonía entre las grandes potencias tradicionales como Gran Bretaña, Alemania y Francia. La diferencia con el pasado es que ahora tienen que contar en sus cálculos con las potencias (re)emergentes – Rusia, China, la India- y con los nuevos actores surgidos de la implosión soviética. Las repúblicas del Cáucaso y de Asia Central han descubierto la influencia que les otorga el ser países de origen y tránsito de recursos como el gas o el petróleo, amén de albergar importantes yacimientos de minerales estratégicos, y no están dispuestas a aceptar pasivamente ser las víctimas de un nuevo Gran Juego.
Acercándonos a la política exterior española, ¿cuál sería el propósito de establecer un Plan Eurasia? ¿Cómo podría entroncarse ese Plan con otros ya existentes y con el resto de la política exterior española?
Por razones históricas España ha seguido una política exterior centrada en tres “ejes”, Europa, Iberoamérica y el Mediterráneo / Oriente Medio. No discuto que éstas sean áreas prioritarias para nuestro país. Pero pensar y actuar como si se tratara de ámbitos autónomos desconectados del contexto global no es realista. Retornando al ejemplo de Eurasia, la reafirmación de las potencias tradicionales y el activismo de las emergentes en regiones cada vez más alejadas de su inmediata vecindad está alterando decisivamente los equilibrios en cada una de nuestras áreas privilegiadas de acción. Pensemos en los crecientes intereses de la India en empresas europeas; de Rusia en Argelia o de China en Marruecos, por no hablar de las inversiones de este último país en Iberoamérica o en el África Subsahariana. Hemos de ser conscientes de que para un país que ha alcanzado la magnitud de España ya no es sostenible concebir y ejecutar una política exterior propia de una “potencia regional media”. En el mundo de hoy sólo tendrán capacidad de acción y decisión autónomas los actores que piensen y actúen en términos globales y sean capaces de explorar y aprovechar las múltiples redes que conectan ámbitos geográficos y temáticos antes separados. La era de los compartimentos estancos y las áreas de influencia está dejando paso a la de los vasos comunicantes, de las redes. De ahí que, para tener una presencia global, España necesite pensar el mundo a través de Eurasia. Ya disponemos de una trayectoria definida, que conviene adaptar constantemente a las nuevas realidades, en ámbitos como la UE, Iberoamérica y el Mediterráneo. También nos hemos dotado recientemente de planes geográficos específicos como el Plan Asia o el Plan África. El principal valor añadido de un Plan Eurasia estribaría precisamente en poner de relieve el papel central del macrocontinente en la creciente interconexión entre realidades en apariencia distantes y dispares. Por ejemplo, quienes estén centrados en seguir los acontecimientos en Venezuela, en Marruecos o en Sudán tendrían así acceso en tiempo real acerca de cómo decisiones adoptadas en Pekín, Moscú, Astana o Bruselas afectan instantáneamente a sus respectivos ámbitos de interés. Por otra parte, un Plan Eurasia debería prestar una especial atención a Eurasia interior, es decir, a los actores y dinámicas que se entrecruzan en el espacio post-soviético, sobre todo en el Cáucaso y Asia Central. Se trata de zonas a las que hasta ahora no habíamos prestado toda la atención que se merecen, a diferencia de nuestros vecinos más activos,que sí disponen de una visión global. En suma un Plan Eurasia, sumado a los existentes e incardinado en una Estrategia de Política Exterior, habría de contribuir a ese salto de calidad que permitiría a España pasar de potencia (tri) regional a potencia media global con capacidades de gran potencia en ámbitos regionales seleccionados de acuerdo con nuestros intereses. Es un reto que como sociedad creo que nos podemos plantear de forma realista en el transcurso de esta generación. Nos va el futuro, y casi me atrevería a decir el presente, en ello.
Conscientes del interés de Luis Martínez Montes en alimentar los debates y las reflexiones en el ámbito de las relaciones internacionales, ¿en qué proyectos está trabajando actualmente?
El Documento ahora publicado por CIDOB forma parte de una empresa intelectual y vital más amplia. Siempre he intentado seguir el consejo que Khrisna da al arquero Arjuna en el Bhagavad Gita, uno de los libros sapienciales que debiera formar parte de un bagaje espiritual cosmopolita: el conocimiento es superior a la acción y ésta es superior a la inacción. Conocimiento y acción son uno y el mismo camino. Así, concibo la indagación intelectual sobre la naturaleza de Eurasia o sobre las variaciones de poder en otras áreas del mundo como parte de mi labor práctica como diplomático. Creo además, sinceramente, que la difusión del conocimiento y la incitación al debate en temas propios de las relaciones internacionales constituyen no sólo una responsabilidad ciudadana, sino un requisito indispensable para asentar una política exterior sobre bases sólidas. Una opinión pública ignorante es una opinión pública desorientada y susceptible de incurrir en oscilaciones extremas. A ello se suma el que, debido a razones conocidas, nuestro país carece todavía de una asentada tradición de reflexión orientada a la acción sobre enteras regiones del mundo. Mis futuros proyectos van un poco en esa línea. Por ejemplo, acabo de terminar otro ensayo para CIDOB sobre las implicaciones del ascenso de China sobre la hegemonía estadounidense. El siguiente paso sería completar una visión panorámica del nuevo teatro del mundo prestando atención a dinámicas particulares pero de alcance mundial. Centrándonos en Eurasia, me interesan las relaciones entre China y Japón; la función de Asia Central como encrucijada histórica y las relaciones triangulares entre Rusia, China y la UE. Soy consciente de que son proyectos amplios que sobrepasan mis capacidades y requieren de una contribución colectiva como la que pueden aportar fundaciones como CIDOB, Casa Asia, las universidades y las excelentes escuelas de negocios con que cuenta nuestro país.
Article printed from Altermedia Spain: http://es.altermedia.info
URL to article: http://es.altermedia.info/general/para-ser-global-espana-necesita-pensar-el-mundo-a-traves-de-eurasia_1670.html
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samedi, 19 mai 2007
Affrontement sino-nippon
Chine-Japon: l'affontement
Trouvé sur : http://www.radio86.fr/decouvrir-et-apprendre/chine-hebdo/...
Alors que pourtant l'interdépendance économique s'accroît entre les deux géants asiatiques, leurs relations n'ont cessé de se détériorer depuis 2004. Dans “Chine-Japon, l'affrontement” paru aux éditions Perrin, Valérie Niquet passe au peigne fin les relations entre les deux pays, aborde les sujets de tensions. Des tensions qui ont en réalité très peu avoir avec l'histoire mais tout, au contraire, avec le présent et même l'avenir.
Valérie Niquet est professeur au Collège interarmées de défense (CID- École militaire) où elle assure le cours de géopolitique de la Chine. Elle est japanologue, sinologue et dirige le centre ASie de l’IFRI.
Outre de nombreux articles sur des enjeux d’actualité, elle a traduit deux oeuvres majeures de la stratégie chinoise: “L’Art de la guerre”, de Sun Zi et le “Traité militaire”, de Sun Bin
Chine-Japon: des relations diplomatiques au plus bas
Depuis 2004, de nombreux évènements en Chine ont reflété le sentiment anti-nippon de plus en plus présent dans la société chinoise mais également entretenu par les autorités. Face à cette impopularité croissante, le Japon a brandi l'arme économique et a affirmé vouloir supprimer les programmes de développement accordés à la Chine à l'horizon 2008. Reflet de cette « hystérisation » des relations, aucune rencontre officielle n'a eu lieu depuis la visite de Junichiro Koizumi en 2001.
Le poids du passé
Officiellement, les griefs de Pékin envers Tokyo sont de nature essentiellement historiques. La question de la « révision des manuels » visant à présenter la guerre en Asie comme une guerre de libération contre les anciennes puissances coloniales et dans laquelle le massacre de Nankin est fortement édulcoré à provoqué de vives manifestations en Chine en avril 2005.L'autre sujet de contentieux, le plus connu, est l'affaire du sanctuaire Yasukuni, où reposent 14 criminels de guerre de classe A.
Pékin considère alors que le Japon ne souhaite pas « expier la faute de la seconde guerre mondiale ». Mais pourtant, le gouvernement japonais a déjà présenté des excuses, notamment en 1995, à l'occasion du 50e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale dans le Pacifique. Pékin utilise notamment l'argument historique pour justifier son opposition à la candidature du Japon qui souhaite devenir membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.
Les sujets de discorde
Valérie Niquet s'intéresse à un nouveau terrain possible d'affrontement, la question énergétique, qui vient exacerber les tensions entre la Chine et le Japon. Si les besoins et la dépendance énergétiques de la Chine augmentent beaucoup, le Japon demeure tout aussi dépendant de l'extérieur. Tokyo et Pékin se trouvent alors en concurrence sur le marché russe mais aussi en Iran ou en Arabie Saoudite, partenaire traditionnels du Japon, où Pékin ne cesse pourtant d'avancer ses pions. Malgré ses nombreux sujets de discorde, les relations économiques entre les deux pays sont « florissantes » comme en témoigne le montant des échanges qui ont atteint 189 milliards de dollars en 2005, contre seulement 120 milliards en 2003 et… un milliard lors du rétablissement des relations diplomatiques en 1972. La Chine et le Japon sont les premiers clients l'un de l'autre. Mais pourtant le facteur économique n'apaise en rien les relations sino-japonaises.
Derrière cette « guerre froide qui ne dit pas son nom », c'est la question de la concurrence des modèles chinois et japonais en Asie qui est en jeu.
Enfin Valérie Niquet examine les scénarios probables des rapports entre Tokyo et Pékin.
Titre: Chine-Japon, l’affrontement
Auteur: Valérie Niquet
Paru le:24 août 206
Editeur:Librairie Académique Perrin
Prix éditeur:18,50 euros
05:10 Publié dans Eurasisme, Géopolitique, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook