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lundi, 16 août 2021

Terreur républicaine et dictature sanitaire: un retour sur Taine et son anglaise anonyme

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Terreur républicaine et dictature sanitaire: un retour sur Taine et son anglaise anonyme

Nicolas Bonnal

La France se paie de mots depuis 1789, droits de l’homme, liberté. Ces mots mènent à l’abattoir ou à la dictature, et ce de manière récurrente et régulière. J’en ai parlé déjà en citant Cochin ou Guénon.

De 1792 à 1795, une Anglaise anonyme (une espionne ! Une espionne !) décrit les horreurs librement consenties de la Révolution Française. Taine préface. Florilège de citations du Séjour en France alors ; la première est notre préférée. Le Français supporte la tyrannie si on lui laisse (déjà) miroiter un petit amusement au bout de son code QR :

« Au lieu d’imposer sa douleur à la société, un Français est toujours prêt à accepter des consolations et à se joindre aux divertissements. Si vous lui racontez que vous avez perdu votre femme ou vos parents, il vous dit froidement : “ Il faut vous consoler ” — et s’il vous voit atteint d’une maladie : “ Il faut prendre patience. ” — Lorsque vous leur dites que vous êtes ruiné, leurs traits s’allongent davantage, leurs épaules se lèvent un peu plus et c’est avec plus de commisération qu’ils répondent : “ C’est bien malheureux; mais enfin, que voulez-vous ? ” Et, au même instant, ils vous racontent leur bonne fortune aux cartes ou s’extasient sur un ragoût. »

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Les Français adorent leur administration, surtout si elle est oppressive (Macron a compris que plus il tape, plus il est respecté) :

« Les Français semblent n’avoir d’énergie que pour détruire, et ils ne s’insurgent que contre la douceur ou l’enfance. Ils se courbent devant une administration oppressive; mais ils deviennent agités et turbulents devant un prince pacifique ou pendant une minorité. »

Les préfets, les commissaires, les experts, les décideurs, on adore ça :

« La plupart des départements sont sous la juridiction d’un de ces souverains dont l’autorité est presque illimitée. Nous avons en ce moment dans la ville deux députés qui arrêtent et emprisonnent selon leur bon plaisir. Vingt et un habitants d’Amiens ont été saisis, il y a quelques nuits, et sont encore enfermés, sans qu’on ait spécifié aucune charge contre eux.

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Les grilles de la ville sont fermées; on ne permet à personne d’entrer ni de sortir sans un ordre de la municipalité, et on exige cet ordre même pour les habitants des faubourgs. Les fermiers et les paysans qui viennent à cheval sont obligés de faire noter sur leur passeport les traits et la couleur de leur bête aussi bien que les leurs. »

Parfois on se rend compte que tout va mal, mais, comme dit notre Anglaise (elle en a fait autant pour la Liberté que mon Tolkien), le courage s’évapore en conversations :

« Vous pouvez voir maintenant combien la liberté s’est accrue en France depuis la révolution, la déposition du roi et l’avènement d’une république. Quoique les Français subissent ce despotisme sans oser en murmurer ouvertement, on voit beaucoup de chuchotements mélancoliques et de petits mouvements d’épaules significatifs. Le mécontentement politique a même un langage approprié qui, quoique peu explicite, n’en est pas moins parfaitement compris. Ainsi, quand vous entendez un homme dire à un autre : “ Ah ! mon Dieu ! on est bien malheureux dans ce moment-ci ! ” — “ Nous sommes dans une position très-critique; ” — ou : “ Je voudrais bien voir la fin de tout cela ! — vous pouvez être sûr qu’il désire ardemment la restauration d’une monarchie et qu’il espère avec une égale ferveur vivre assez longtemps pour voir pendre la Convention. Cependant leur courage s’évapore en conversations ; ils avouent que leur pays est perdu, qu’ils sont gouvernés par des brigands; puis ils rentrent chez eux et cachent tous leurs objets précieux qui sont encore exposés. Cela fait, ils reçoivent avec une complaisance obséquieuse la prochaine visite domiciliaire. La masse du peuple, quoique aussi peu énergique, est plus obstinée et naturellement moins traitable. Mais quoiqu’ils murmurent et usent de délais, ils ne résistent pas, et tout se termine généralement par leur soumission implicite. »

Guerre contre le virus, contre l’islam, contre la Russie, contre l’Allemagne, contre l’Europe ? On est toujours en guerre et on recrute le surplus de population affamée :

« Les députés-commissaires dont je vous ai parlé ont passé quelque temps à Amiens pour hâter la levée des recrues. Les dimanches et jours de fête, ils ordonnaient aux habitants de se rendre à la cathédrale, où ils les haranguaient en conséquence, les appelant à la vengeance contre les despotes coalisés, s’étendant sur l’amour de la gloire et sur le plaisir de mourir pour son pays. »

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La clé c’est l’absence de courage :

« Enfin, après beaucoup de murmures, la présence des commissaires et de quelques dragons a fini par arranger les choses très-pacifiquement. Beaucoup sont partis, et, si les dragons restent, les derniers suivront bientôt. Ceci est un compte rendu exact de l’état des choses entre la Convention et le peuple; tout est effectué par la crainte, rien par l’attachement; l’une n’est obéie que parce que l’autre n’a pas le courage de résister. »

La presse est aussi manipulée et monocorde qu’aujourd’hui (pas besoin des oligarques !) :

« Tous les journaux français sont remplis des descriptions de l’enthousiasme avec lequel les jeunes gens s’élancent aux armes à la voix de leur patrie. »

Crise financière et économique, une question d’habitude :

« La défiance contre les assignats et la rareté du pain ont fait promulguer une loi qui oblige les fermiers, sur tous les points de la république, à vendre leur blé à un certain prix, infiniment au-dessous de celui qu’ils exigeaient depuis quelques mois. La conséquence fut qu’aux marchés suivants il n’y eut aucun arrivage de blés, et maintenant les dragons sont forcés de courir la contrée pour nous préserver de la famine. »

Notre écrivaine note dans un bel élan le beau bilan :

« Dans ces douze mois, le gouvernement de la France a été renversé, son commerce est détruit, les campagnes sont dépeuplées par la conscription, le peuple est privé du pain qui le faisait vivre. On a établi un despotisme plus absolu que celui de la Turquie, les moeurs de la nation sont corrompues, son caractère moral est flétri aux yeux de toute l’Europe. Une rage de barbares a dévasté les plus beaux monuments de l’art; tout ce qui embellit la société ou contribue à adoucir l’existence a disparu sous le règne de ces Goths modernes. Même les choses nécessaires à la vie deviennent rares et insuffisantes pour la consommation le riche est pillé et persécuté, et cependant le pauvre manque de tout. »

La dette immonde est déjà là, c’est une habitude révolutionnaire qu’on ne perdra jamais :

« Le crédit national est arrivé au dernier degré d’abaissement, et cependant on crée une dette immense qui s’accroît tous les jours; enfin l’appréhension, la méfiance et la misère sont presque universelles. Tout ceci est l’oeuvre d’une bande d’aventuriers qui sont maintenant divisés contre eux-mêmes, qui s’accusent les uns les autres des crimes que le monde leur impute à tous, et qui, sentant qu’ils ne peuvent plus longtemps tromper la nation, gouvernent avec des craintes et des soupçons de tyrans. Tout est sacrifié à l’armée et à Paris; on vole aux gens leur subsistance pour subvenir aux besoins d’une métropole inique et d’une force militaire qui les opprime et les terrorise... »

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Vive les commissaires qui en profitent pour se venger (on dénonce et guillotine aussi les prêtres qui confessent) :

« Tous les points de la France sont infestés par des commissaires qui disposent sans appel de la liberté et de la propriété de tout le département où ils sont envoyés…ces hommes sont délégués dans des villes où ils ont déjà résidé; ils ont ainsi une opportunité de satisfaire leur haine personnelle contre tous ceux qui sont assez malheureux pour leur avoir déplu. »

Dans cette maison des morts digne de Dostoïevski (cf. l’homme qui s’habitue à tout – voyez mon livre), on exige en plus le sourire :

« L’homme est enclin à tout supporter, et souvent la volonté de faire le mal suffit pour nous donner un plein pouvoir sur le bonheur des autres. Mais le système de la Convention est plus original; non contente de réduire le peuple à l’esclavage le plus abject, elle exige un semblant de satisfaction et édicte des peines, à des époques déterminées, contre ceux qui refusent de sourire...Il y a à Paris de splendides fêtes où chaque mouvement est réglé d’avance par un commissaire; les départements, qui ne peuvent imiter la magnificence de la capitale, sont obligés néanmoins de témoigner leur satisfaction. Dans toutes les occasions où une réjouissance publique est ordonnée, on garde la même discipline; et les aristocrates, dont les craintes surmontent généralement les principes, ne sont pas les moins zélés... L’extrême despotisme du gouvernement semble avoir confondu tous les principes de bien et de mal, d’honneur et de déshonneur. » 

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La soumission des imbéciles est telle qu’on n’a plus besoin de les arrêter. Ils vont d’eux-mêmes à la prison. Un email, pardon, un message suffit :

« Cependant, telle est la soumission du peuple à un gouvernement qu’il abhorre, qu’on juge à peine nécessaire maintenant d’arrêter quelqu’un dans les formes. Souvent ceux dont on veut s’assurer ne reçoivent rien de plus qu’un mandat écrit, leur enjoignant de se rendre à telle prison et ils sont plus ponctuels à ce désagréable rendez-vous qu’à la visite la plus cérémonieuse ou à la plus galante assignation. On empaquette à la hâte quelques objets nécessaires, on fait ses adieux, on va à pied à la prison et on place son lit dans le coin désigné, comme si la chose était toute naturelle. »

La centralisation rêvée, la voici :

« Le comité de salut public marche rapidement à la concentration absolue du pouvoir suprême, et la Convention, qui est l’instrument de l’oppression universelle, devient elle-même un corps insignifiant, dont les membres sont peut-être moins en sûreté que ceux qu’il tyrannise. Ils cessent de discuter et même de parler. »

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On arrêtera là. Les amateurs pourront aussi découvrir un grand livre en quatre volumes recommandé par Taine : l’Histoire de la Terreur de Mortiner-Ternaux. C’est en six volumes.

Sources :

https://archive.org/details/histoiredelaterr06ternuoft?vi...

http://www.dedefensa.org/article/rene-guenon-et-notre-civ...

http://classiques.uqac.ca/classiques/taine_hippolyte/sejo...

https://www.amazon.fr/Coq-h%C3%A9r%C3%A9tique-Autopsie-le...

https://strategika.fr/2020/07/19/augustin-cochin-et-le-pi...

La pertinence pragmatique de Dominique Venner dans la lutte contre la technocratie

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La pertinence pragmatique de Dominique Venner dans la lutte contre la technocratie

Mario De Fazio

Le penseur français a élaboré une synthèse européenne du rationalisme et de la tradition. En pratique : plus de rigueur et un effort pour comprendre la réalité, moins de rebelles qui se sentent rebelles juste parce qu'ils ne portent pas de masque.

SOURCE : https://www.barbadillo.it/100237-lattualita-pragmatica-di-dominique-venner-nella-lotta-alla-tecnocrazia/

En des temps sans fioritures qui font de l'opposition stérile et criarde une règle, et de la fausse polarisation (a)sociale une nécessité pour anesthésier toute interprétation critique de la réalité, redécouvrir la valeur d'une synthèse est un acte de prophylaxie. Si l'on ajoute à cela le rappel des lointaines et profondes origines de nos cultures et des exemples donné par ceux qui font suivre leurs mots par des actions, la réflexion devient un moyen de forger une éthique de la résistance.

Qu'est-ce que le nationalisme ? de Dominique Venner est l'un de ces livres qu'il faut manipuler avec un télescope idéal, pour voir de près ce qui semble lointain et observer de loin ce qui peut paraître différent à nos yeux. Complémentaire à Pour une critique positive, paru en annexe de la revue Europe Action en 1963, ce texte a été récemment remis au goût du jour par la maison d'édition Passaggio al Bosco.

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Qu'est-ce que le nationalisme, le dernier essai de Dominique Venner publié par Passaggio al Bosco

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Un livre sec, agile, parfois surprenant par les résultats auxquels il aboutit, même pour ceux qui sont habitués aux sommets des samouraïs d'Occident. L'essai introductif, écrit par Marco Scatarzi, est particulièrement précieux pour le lire et éviter les confusions sémantiques et les malentendus idéaux. Le nationalisme auquel Venner se réfère n'est certainement pas le produit petit-bourgeois de la Révolution française, tout comme l'adjectif "occidental" ne fait certainement pas référence à l'empire du soleil déclinant, dirigé par les Yankees, qui étouffe et comprime le patriotisme européen. Venner parle de l'Europe, un destin qui nous a toujours appartenu, sans les fixations des chauvins du dimanche.

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Entre science et esprit

L'une des interprétations les plus originales et les plus actuelles du livre concerne le rapport entre la tradition et le rationalisme, entre la science et l'esprit. Un lien souvent méconnu, en raison des distorsions auxquelles un certain rationalisme a conduit, mais qui fait aussi partie de l'héritage européen qui nous innerve. À cet égard, Scatarzi utilise une expression icastique pour reprendre l'un des leitmotivs du texte, lorsqu'il décrit l'Européen comme quelqu'un qui a

"ses yeux tournés vers le ciel mais ses pieds fermement plantés sur le sol".

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Venner trouve également dans le genius loci du continent une prédisposition prométhéenne innée de ceux qui "marchent sur les traces de leurs ancêtres grecs qui, en ouvrant la voie de la pensée rationnelle, ont permis à l'homme de se libérer de la superstition et de prendre possession du monde par la connaissance de ses lois (...) Si l'Europe est la patrie des scientifiques, des explorateurs et des bâtisseurs, elle est aussi celle des artistes, des poètes et des saints". La particularité de l'Europe est qu'elle n'a jamais opposé la pensée à l'action.

Cela peut sembler une considération banale, mais la tendance à se réfugier dans un romantisme irrationnel qui fuit la technologie au lieu de l'affronter et de l'utiliser est réelle. Aujourd'hui, peut-être encore plus qu'à l'époque où Venner a écrit et lancé un appel "à l'esprit absolu de l'Europe, symbolisé par le mythe de Prométhée, le titan qui a pris aux dieux le feu du ciel pour donner à l'homme la connaissance et la domination du monde".

C'est une leçon à retenir, car si nous nions la valeur de la connaissance scientifique, nous risquons de passer à côté d'un élément essentiel de ce qui nous a été transmis, et de donner lieu à une dégénérescence potentielle qui n'a rien à voir avec l'héritage des Européens que nous avons le devoir de maintenir vivant en chacun de nous. Il s'agit d'un réel danger, si l'on considère les événements actuels tels que l'attitude à l'égard de la gestion de la pandémie actuelle. Il est sacro-saint de contester les déformations induites par l'imposition du Pass Vert ou de dénoncer les éventuelles tentatives d'expérimentation de formes de contrôle social sous prétexte du virus. Mais de là à crier à la conspiration, à épouser les folies de la foule qui scande "no-vax" et à se sentir comme un anarque jüngerien simplement parce qu'on refuse une injection, il y a un long chemin à parcourir. Et peut-être sera-t-il utile - même pour une partie du notre monde qui voudrait se poser comme identitaire - de se rappeler que le fait d'invoquer continuellement des violations de la liberté individuelle et d'appeler à un État policier est l'attitude des libéraux, certainement pas en accord avec ceux qui savent que la valeur de la personnalité reçoit son sens dans la communauté. En bref: plus de poigne et d'efforts pour comprendre la réalité, moins de rebelles qui se sentent rebelles juste parce qu'ils ne portent pas de masque.

La lutte contre le mondialisme

Cela dit, il est clair que récupérer un pan de la culture européenne pour en faire la synthèse ne signifie pas éviter l'un des moments cruciaux de l'époque, cette lutte contre le mondialisme qui passe aussi par la contestation incessante de la technocratie. Parce que, argumente Venner: "si nous sommes fiers des réalisations de la science et de la technologie, nous nous révoltons contre l'utilisation aberrante qui en est trop souvent faite".

Réflexions prémonitoires

À cet égard, le texte devient prophétique, préfigurant des décennies à l'avance des scénarios et des dynamiques qui se sont imposés dans l'évolution du capitalisme transnational.

Le capitaliste individuel, propriétaire de la tradition initiale, a disparu", écrit Venner en 1963, "à sa place se trouve un capitalisme dépersonnalisé, dispersé, anonyme (...) Ce ne sont plus les propriétaires du capital qui dirigent et contrôlent les entreprises, mais des spécialistes des mécanismes financiers, des hauts fonctionnaires des holdings et des banques, recrutés par cooptation dans le milieu très fermé de la grande bourgeoisie. Un milieu que l'on devrait appeler par son nom: la caste des technocrates.

Il n'y a pas de rupture dans la transition, suggère l'historien français, mais une transformation naturelle car: "Les technocrates d'aujourd'hui ne sont pas différents des capitalistes d'hier. Ce sont les profiteurs du travail des autres, les réactionnaires de l'époque moderne (...) Pour eux, les communautés humaines ne sont que d'immenses sociétés anonymes dont le fonctionnement anarchique doit être ordonné par la création d'un grand marché mondial rationnel et normalisé".

Venner sent que la fracture définitive entre le pays réel et le pays légal s'est faite à l'avantage évident de ce dernier, mais aussi que "la méchanceté du régime provoquera à l'avenir de nouvelles explosions populaires". Si elles sont désorganisés, ces révoltes finiront comme les précédentes. Toute notre action doit donc viser à introduire la levure dans la pâte". Toute référence aux protestations - les Gilets jaunes en France, ou les "no-passers" d'aujourd'hui - semble délibérée. "Ceux qui croient à la spontanéité croient à la résurrection des morts", juge l'écrivain transalpin.

L'inspiration pour la milice

Est-il possible d'adopter une attitude régressive et réactionnaire face à un tel scénario, en se réfugiant dans le bon vieux temps ou dans un conservatisme générique ? Aujourd'hui comme hier, c'est le choix des vestiges de l'histoire. "Que devons-nous conserver dans cette société ? Son idéologie ? Sa hiérarchie sociale ? Ses coutumes ? Tout cela, nous voulons le renverser. Alors ? Il ne doit pas y avoir de confusion. Ce que nous devons former n'est pas un parti conservateur, mais un mouvement révolutionnaire", écrit Venner en introduisant la dernière partie de son ouvrage, consacrée au militantisme. Ici aussi : pas de place pour les bouffons parodiques et les boulets humains, car: "zéro plus zéro est toujours égal à zéro. La somme des mythomanes, des comploteurs, des nostalgiques, des carriéristes, des "nationaux", ne donnera donc jamais une force cohérente. S'accrocher à l'espoir d'unir les incompétents, c'est persévérer dans l'erreur".

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Le militant, en revanche, doit avoir ce que de Benoist appelle "une éthique de la résistance", afin que ceux qui s'élèvent contre le fatalisme retrouvent l'esprit de la tradition européenne dans une praxis quotidienne qui la renouvelle sans la dénaturer. Former des hommes qui, écrit Venner, "ont tout connu: l'indifférence qu'on ne peut ébranler, l'insulte qu'on ne peut encaisser, les coups qu'on ne peut rendre, l'ami qui cède, celui qui s'éloigne", écrit Venner. "Et puis d'autres sont venus. La poignée d'hommes s'est multipliée. Au contact des premiers, les nouveaux ont appris à être durs, lucides, tenaces : à être des militants".

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Le défi est énorme, la synthèse nécessaire. Le samouraï d'Occident, depuis son éternité, nous montre une voie, celle de l'engagement.

"Il y avait en nous une force que nous n'avions pas le droit de dilapider dans l'amertume, le ressentiment ou la nostalgie".

Mario De Fazio

Afghanistan : le nouveau Vietnam américain

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Afghanistan: le nouveau Vietnam américain

Les Talibans s'empressent de prendre le contrôle de toutes les villes afghanes, avec l'objectif non encore déclaré de prendre Kaboul. Des nouvelles déchirantes nous parviennent du pays, où des multitudes fuient devant l'avancée des milices islamiques.

Il convient de noter que les informations sur ce qui se passe sont dramatiques, contrairement à d'autres guerres, comme celle du Yémen, où les raids aériens de l'alliance dirigée par l'Arabie saoudite, qui massacrent des civils et des enfants depuis des années, n'ont pas obtenu un millième de la couverture médiatique accordée à la guerre contre les Talibans.

Mais ce n'est pas sur l'habituelle myopie des médias que nous voulons nous concentrer, mais sur les nouvelles elles-mêmes.

Comme d'habitude, il est difficile de s'extraire du chaos informationnel, et le bombardement médiatique empêche souvent de poser les questions les plus banales.

En particulier, sur la férocité des milices en question. Si vous remarquez, il n'y a pas de reportages sur les massacres de civils, qu'ils soient massifs ou plus limités.

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Tout au plus, les médias font-ils état de mariages forcés, les talibans entrant dans les maisons et mariant les femmes de force. Une pratique odieuse, mais qui pourrait aussi être le fruit de la propagande, qui utilise des événements réels en les amplifiant au-delà de toute proportion.

En ce sens, la réitération automatique de telles nouvelles, qui rebondissent sur les médias toujours de la même manière, comme cela se passe pour les nouvelles diffusées sur le réseau par les bots, est suspecte.

Il ne s'agit pas d'une campagne à la Isis

Mais au-delà de la véracité de la nouvelle, il reste qu'il s'agit de la pratique la plus féroce dénoncée à ce jour. On ne parle pas de massacres aveugles, même si les morts ne manquent pas.

Compte tenu de l'emphase médiatique ci-dessus, cela signifie simplement que, du moins pour le moment, aucun massacre n'a lieu. C'est-à-dire que les milices islamiques, lorsqu'elles prennent le contrôle d'une zone, n'infligent pas autant de violence à la population.

Nous ne disons pas qu'ils distribuent des fleurs en arrivant à un endroit, ni que la guerre en cours est une bonne chose, que toutes les guerres ont leurs horreurs, mais que c'est une guerre comme une autre et surtout complètement différente de celle menée en Syrie et en Irak par Isis et al Nusra - milices auxquelles les talibans sont souvent associés - dont les conquêtes ont été émaillées d'horreurs innommables.

Ce à quoi nous assistons est, avec toutes les limites de l'affaire, une guerre de libération: après vingt ans d'occupation américaine, les Afghans reprennent leur pays.

Bien sûr, elle est dirigée par des milices islamiques, mais ceux qui voulaient combattre l'envahisseur n'avaient pas d'autre choix qu'eux. Et de nombreux Afghans ordinaires, qui considéraient la présence américaine comme une honte, se sont joints à eux.

Parmi ceux-ci, certainement aussi beaucoup qui ont vu leurs proches exterminés par des drones de fabrication américaine (" accidents " qui peuvent arriver, surtout si des centaines de milliers de bombes sont larguées du ciel, comme le titre du magazine du MIT: "Life in the most bombed country in the world").

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En outre, les rebelles n'ont pas l'exclusivité de la férocité, étant donné que Rashid Dostum, un ancien chef de guerre au CV jonché de crimes innommables, a été appelé à diriger l'armée de Kaboul (si ce n'est sur la suggestion des États-Unis, en tout cas avec leur placet).

L'Afghanistan comme le Vietnam

Dans les médias américains, la guerre afghane trouve souvent des parallèles avec celle du Vietnam, qui s'est également terminée par le retrait précipité des troupes américaines.

Si précipité que lorsque les marines se sont retirés de l'aéroport stratégique et symbolique de Bagram, ils l'ont fait de nuit, sans même en informer les Afghans stationnés sur la base.

Les médias américains s'interrogent sur la défaite, car c'est bien de cela qu'il s'agit, comme cela est désormais clair pour tous. Et sur le fait que ce résultat était clair depuis un certain temps.

À tel point qu'Ishaan Tharoor, dans le Washington Post, explique que les présidents américains étaient au courant dès 2005-2006, mais ont décidé de fermer les yeux. C'est exactement ce qui s'est passé avec le Vietnam.

Car, comme pour le Vietnam, aucun d'entre eux ne veut entrer dans l'histoire comme le président qui a perdu une guerre, ni surtout n'a eu le courage de défier frontalement les faucons, sauf Trump à la fin de son mandat.

Biden a eu ce courage et s'est retiré, réalisant la promesse de Trump (et s'attirant la haine des faucons, qui montent une campagne pour rester dans le pays: l'emphase médiatique ci-dessus sert à cela).

Des engagements violés. Par qui ?

Bien sûr, les pactes prévoyaient que les Talibans concluent un accord avec Kaboul. Mais quelqu'un a rompu les pactes, et peut-être pas seulement les talibans, puisque la campagne d'opposition à la décision présidentielle s'est accompagnée de quelques bombardements effectués par des B-52, dont les bombes sont encore moins intelligentes que les autres (et qui ne sont probablement que la partie émergée de l'iceberg d'opérations plus obscures et secrètes).

De plus, l'accord était très difficile. Si l'on se met à la place des talibans - mutatis mutandis - c'est comme si, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, on avait demandé à Paris de trouver un accord avec Vichy.

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Ainsi, la parole reste aux armes, à l'armée afghane, armée et entraînée par les Etats-Unis, qui fond comme neige au soleil, alors qu'elle est trois fois supérieure à l'ennemi.

L'effondrement de l'armée a été décrété par les défections massives, qui indiquent le taux d'adhésion à la prétendue "démocratie" afghane créée par Washington, mais qui ont également permis d'éviter des affrontements plus féroces.

Pour l'instant, Biden maintient son point de vue, étant même capable d'afficher l'immense coût de la guerre en Afghanistan (1,5 trillion de dollars) face à des résultats aussi minimes. Mais la situation est magmatique et évolutive: comme pour les autres pays dévastés par des guerres sans fin, le chaos variable produit par ces guerres défie toute prévision et tout contrôle.

Source: https://piccolenote.ilgiornale.it/52685/afghanistan-il-nuovo-vietnam-americano

Aleksandr Dugin : "Evola, le populisme et la quatrième théorie politique"

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Alexandre Douguine: "Evola, le populisme et la quatrième théorie politique"

Entretien recueilli par Andrea Scarabelli (2018)

Source: https://blog.ilgiornale.it/scarabelli/2018/06/25/aleksandr-dugin-evola-il-populismo-e-la-quarta-teoria-politica/

Un des traits de notre époque malheureuse consiste en la facilité avec laquelle on dispense des étiquettes, aux intellectuels comme aux courants et phénomènes politiques. De droite ou de gauche, populiste ou élitiste, progressiste ou conservateur... Mais en réalité, la seule distinction se fait entre les intellectuels du passé et ceux qui préfèrent être des contemporains de l'avenir. Le second groupe (qui n'est pas si nombreux, à vrai dire) est constitué d'esprits nés avec quelques décennies - voire quelques siècles, comme Nietzsche - d'avance sur le calendrier de l'Histoire, avant-gardes d'une réalité sur le point de se déployer bientôt dans sa totalité. L'histoire des grands précurseurs, de ces courts-circuits vivants du Temps, n'a pas encore été écrite. En attendant, il est bon d'apprendre à les reconnaître. La semaine dernière, Alexandre Douguine est venu à Milan pour présenter son ouvrage Poutine contre Poutine, qui vient d'être publié en Italie par AGA. Peu de temps auparavant, le "conseiller de Poutine" (qualification journalistique toujours rejetée au pied levé par l'intéressé) avait publié un monumental ouvrage intitulé La Quatrième théorie politique, aux éditions Nova Europa dans une traduction de Camilla Scarpa et avec une préface de Luca Siniscalco.

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Plus qu'un livre, La Quatrième théorie politique est un authentique carrefour du passé, du présent et de l'avenir, qui discute de l'épuisement des catégories de la modernité et des scénarios à venir. Dans l'état actuel des choses, comme nous le disions, Douguine est l'un des rares "contemporains de l'avenir", et ce livre en est la démonstration, l'inversion d'un esprit aigu visant à dépasser les trois théories politiques de la modernité - libéralisme, fascisme et communisme - qui, après avoir enflammé le vingtième siècle, le "siècle des idéologies" par excellence, ont perdu leur force propulsive, se révélant incapables d'interpréter le nouveau.

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Nous avons besoin d'une nouvelle herméneutique, de nouvelles pratiques, de nouvelles méthodes: les défis de notre temps l'exigent. Et nous devons nous montrer à la hauteur. C'est de tout cela qu'est née la Quatrième théorie politique, une "mise au rebut" (pour utiliser un terme à la page) des trois théories précédentes, un effort titanesque pour adhérer au Zeitgeist, une vision transversale et non-conformiste capable de combiner Tradition et modernité, universum et pluriversum - une "métaphysique du populisme", comme on peut le lire dans les pages de l'ouvrage. Un livre lié d'une certaine manière à la réalité historique et "destinale" de la Russie, mais aussi un manifeste pour un monde multipolaire, multidimensionnel, complètement contraire à celui, monothéiste, rêvé par les mondialistes et les globalistes et opposé au "racisme historiographique" qui voit dans la modernité le sommet suprême de l'évolution humaine.

Ceux qui recherchent des recettes faciles peuvent oublier ce travail car ce livre n'est pas pour eux. La Quatrième théorie politique n'est pas une doctrine, mais avant tout une méthode, une vision du monde. Il ne s'agit pas d'une idéologie, mais d'une métaphysique de l'histoire, allergique au militantisme comme fin en soi, tant à la mode aujourd'hui, et partisan d'un changement avant tout interne. La preuve en est, entre autres, la présence d'une série d'auteurs impolitiques (dans le sens donné par Thomas Mann) et non-alignés, parmi lesquels se distingue, dès les premières pages, Julius Evola, une vieille passion de Douguine, qui a fait il y a quelques années une analyse "de gauche" de ses idées. Pour ce qui concerne le philosophe romain, je suis allé interviewer Douguine avec Luca Siniscalco, lui demandant comment il a connu ses œuvres, et quel est le premier livre d'Evola qu'il a lu.

Et maintenant, donnons la parole à Douguine.

J'ai appris à connaître Evola par certains de mes professeurs et amis russes, qui avaient à leur tour découvert la pensée traditionaliste dans les années 1960. Je n'étais alors qu'un enfant. Au début des années 1980, je suis entré en contact avec un tout petit groupe, pratiquement inexistant en Russie, inconnu des milieux officiels et composé uniquement de dissidents. Ils étaient la minorité de la minorité, à un niveau presque infinitésimal. Comme dans le sens de Guénon, qui établit une différence entre infinitésimal et inexistant, n'est-ce pas ?

716mF1bpuyL.jpgDans les Principes du calcul infinitésimal, qui ont également été publiés en italien...

Certainement. Ils avaient une portée infinitésimale, mais ils existaient quand même. Plus tard, je suis tombé sur l'impérialisme païen, dans sa version allemande, Heidnischer Imperialismus. J'ai été tellement impressionné par ce travail que j'ai décidé de le traduire immédiatement en russe. C'était une rencontre cruciale, je dirais même radicale. L'univers décrit par Evola contenait le meilleur système idéal que j'avais jamais rencontré. À l'époque, je ne comprenais pas pourquoi: je venais d'une famille communiste, normale, de la classe moyenne, et pourtant j'avais le sentiment d'appartenir à l'univers décrit par Evola plus qu'à celui dans lequel je vivais. C'était une certitude sans aucune sorte de fondement. En même temps, j'eus l'occasion d'éditer la traduction de plusieurs livres de René Guénon à partir du français. Eh bien, depuis lors - c'était au début des années 1980 - je me considère comme un traditionaliste, et rien n'a essentiellement changé jusqu'à présent. J'appartiens à cet univers, à toutes fins utiles.

Quelles œuvres d'Evola avez-vous lues depuis lors ?

Chevaucher le Tigre, suivi de Révolte contre le monde moderne. Et puis tout le reste : la Tradition hermétique, le Mystère du Graal, la Métaphysique du sexe, les Hommes au milieu des ruines...

Quelle est votre œuvre préférée d'Evola ?

Les oeuvres d'Evola sont toutes très importantes, mais ma préférée reste Chevaucher le Tigre. Ce livre a eu une influence métaphysique fondamentale sur moi, notamment avec le concept de l'Homme différencié, qui est obligé de vivre dans la modernité tout en appartenant à un monde différent. C'est précisément à partir de cette idée que j'ai développé mes analyses du Sujet radical, c'est-à-dire de l'homme de la Tradition jeté dans un monde sans Tradition. Comment est-il possible pour un tel type humain, me suis-je demandé, de vivre dans un monde où la Tradition n'est pas présente, c'est-à-dire sans avoir reçu aucune sorte de tradition ? Eh bien, c'est là que surgit le sujet radical, qui ne s'éveille pas quand le feu du sacré est allumé, mais quand il ne trouve rien en dehors de lui qui soit lié à la Tradition.

Dans quel sens ?

L'essence de la vérité est sacrée. Aujourd'hui, le néant domine, mais il n'est pas possible que le néant existe. Le néant n'est qu'une forme extérieure, à l'intérieur de laquelle brûle le sacré. C'est précisément lorsque la transmission régulière des formes du sacré est rompue qu'apparaît ce que j'appelle le sujet radical. Et nous revenons ici à l'Homme différencié, qui est peut-être encore plus important aujourd'hui que la Tradition elle-même. Peut-être la Tradition a-t-elle disparu précisément pour laisser la place au Sujet radical. De ce point de vue, paradoxalement, le traditionalisme est aujourd'hui plus important que la Tradition elle-même. Toutes ces idées, déduites de Chevaucher le Tigre, n'impliquent évidemment pas la restauration de ce qui était, mais la découverte d'aspects qui n'existaient même pas dans le passé.

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Il ne s'agit donc pas d'un simple conservatisme.

Pas du tout. Nous ne voulons pas restaurer quoi que ce soit, mais revenir à l'Éternel, qui est toujours frais, toujours nouveau : ce retour est donc un mouvement vers l'avant, et non vers l'arrière. Le Sujet radical, en outre, se manifeste entre un cycle qui se termine et un cycle qui naît. Cet espace liminal est plus important que tout ce qui vient avant et que tout ce qui viendra après. Nous pourrions utiliser une image tirée de la doctrine traditionnelle des "quatre cycles", des quatre âges (d'or, d'argent, de bronze et de fer), répandue dans des traditions très différentes: la restauration de l'âge d'or, de ce point de vue, est moins importante que l'espace entre la fin de l'âge de fer et le début de l'âge d'or lui-même. Qui est l'espace dans lequel nous vivons. Tous ces aspects, pour revenir à Evola, sont à mon avis implicites dans son idée d'Homme différencié.

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Votre livre La Quatrième Théorie politique a récemment été publié en Italie. Le sujet appelé à cette nouvelle métaphysique de l'histoire est le Dasein, l'être-là dont parlait Martin Heidegger. Y a-t-il un écho du Sujet radical dans le Dasein ?

Jusqu'à un certain point. Le Dasein n'est en fait pas le Sujet radical, mais, comme on l'a dit, cette terminologie philosophique remonte à Heidegger. D'ailleurs, je pense qu'Evola n'a pas très bien compris Heidegger. Dans Chevaucher le Tigre, il porte sur lui un jugement superficiel: Heidegger est plus intéressant et plus profond. J'ai étudié sa pensée pendant des années, écrivant quatre livres sur lui. La chose importante à propos du Dasein est qu'il décrit l'homme non pas comme une entité donnée. Nous pensons habituellement à l'homme en utilisant des catégories telles que l'individu, la classe, la société, la nation, mais ce ne sont que des formes secondaires. Si nous voulons définir l'homme à sa racine la plus profonde, le Dasein est ce qui reste lorsque nous le libérons de toutes ces préconceptions culturelles. Ce n'est pas très facile à comprendre: il faut procéder à une destruction radicale - ou à une déconstruction - de tous les aspects socioculturels, historiques, religieux (voire traditionnels) attribués à l'homme. Le Dasein ne correspond à aucune des définitions de l'homme. Ce n'est pas un individu, ce n'est pas un collectif, ce n'est pas non plus une âme, un esprit ou un corps: tout cela est secondaire. Il s'agit plutôt d'une pure présence de l'intellect, qui ne s'ouvre que lorsque nous sommes confrontés à la mort.

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Cet être-à-la-mort dont parle Heidegger...

On ne peut pas parler du Dasein sans une confrontation avec la mort. À ce moment-là, il n'y a plus de noms, plus d'individus: c'est alors que s'ouvre l'essence du Dasein. Il est nécessaire, comme le propose Heidegger, de repenser tous les concepts du politique, de la société, de la philosophie, de la culture et des relations avec la nature, à partir de cette expérience radicale et existentielle, de ce moment de pensée. C'est seulement sur la base de cet espace existentiel libre de tout le reste qu'il est possible de reconstruire une ontologie scientifique, une ontologie politique, une ontologie socioculturelle... Mais toujours et seulement sur la base de cet éveil existentiel. Et cet éveil n'est pas une idée transcendante, mais une expérience immanente, qui doit redevenir la racine de la politique.

Dans la Quatrième théorie politique, vous avez également interprété le concept de peuple à la lumière du Dasein...

Le Dasein, à toutes fins utiles, est le peuple. Sans le peuple, aucune entité pensante ne peut exister. Le peuple assure en effet une langue, une histoire, un espace et un temps. Tout. A la réflexion, le Dasein devient des personnes. Je ne fais pas référence au concept de collectivité, qui n'est qu'une collection d'individus. En dehors du peuple, nous ne sommes rien. Et le peuple n'existe que comme Dasein, ni individuellement ni collectivement. C'est une manière existentielle de comprendre le peuple, qui s'oppose aux théories des libéraux, avec leur idée vide et insignifiante de l'individu; aux théories des communistes, basées sur les classes et les collectivités, concepts également vides qui ne s'opposent en rien aux libéraux, puisque ce type de collectivité n'est qu'une agglomération d'atomes individuels, comme nous l'avons déjà dit; et, enfin, aux théories des nationalistes, qui se réfèrent au concept d'État-nation, autre idée bourgeoise antithétique de l'Empire et de l'idée du Sacré. Evola, dans ce sens, a fait une critique très radicale du nationalisme. Les versions libérales, communistes et nationalistes sont toutes des tentatives désuètes d'interpréter le sujet de la politique.

Ce sont les trois théories politiques que la Quatrième théorie politique va mettre en avant....

C'est ainsi que nous arrivons au Dasein, le sujet de la Quatrième théorie politique. Elle ne peut se passer du peuple: il est en effet impossible de renoncer à la langue, à l'histoire, à une certaine mentalité... Il est impossible de penser sans une langue, n'est-ce pas ? La mienne est une vision métaphysique de l'intellect et de la linguistique, de l'histoire et de la société. Sur la base de tout cela, en renonçant aux trois théories politiques de la modernité - communisme, nationalisme et libéralisme - nous devons construire une nouvelle vision du monde, une politique au sens existentiel capable de répondre à tous les défis du présent : notre relation avec les autres, le genre, l'idée d'un monde multipolaire... Nous devons repenser tout cela en dehors de la modernité occidentale. Or, c'est précisément en comparant cette construction théorique et les trois régimes de la modernité occidentale que la Quatrième théorie politique est née.

Avez-vous vu cette théorie s'incarner dans une forme politique actuelle ?

Le chiisme moderne est une expression, dans la sphère islamique, de la Quatrième théorie politique. Mon livre a été traduit en persan, et on m'a fait remarquer qu'il traitait de la politique iranienne... ! Qui en fait n'est ni communiste, ni libérale, ni nationaliste. Je crois que le soi-disant "populisme" - y compris le populisme italien - est une forme de la Quatrième théorie politique. Même les populistes ne sont pas fascistes ou communistes, et ils sont profondément antilibéraux. Le populisme est une réaction existentielle des peuples, qui ne sont évidemment pas morts, comme le voudraient les libéraux, les mondialistes et les globalistes. Ce sont tous des exercices préparatoires à la Quatrième théorie politique - qui pourrait être définie comme une forme de populisme intégral. Ni de droite ni de gauche, naturellement doté de sympathies pour la justice sociale et l'ordre moral. De ce point de vue, la quatrième théorie politique est la métaphysique du populisme.

index.jpgPourtant, les aspects métapolitiques du soi-disant "populisme" sont passés inaperçus en Italie...

Le populisme est étiqueté de droite - fasciste, national-socialiste - ou de gauche - communiste, maoïste, trotskiste... Mais l'anticommunisme et l'antifascisme ne sont que des tentatives de diviser le peuple. Le populisme propose d'abandonner les deux, ainsi que les dogmes du nationalisme et du communisme, en unissant les forces populaires - droite et gauche - pour réaliser un populisme intégral, en faisant un front commun contre les libéraux, les mondialistes, les globalistes, les derniers vestiges du dernier cycle de l'Occident. Je suis convaincu que les mondialistes d'aujourd'hui sont les pires - pires que les fascistes ainsi que les communistes. Une révolution contre eux sera la dernière mission eschatologique de l'Occident. Le peuple va tenter une résistance organique, existentielle. La Quatrième théorie politique ouvre en outre la voie à la récupération de tout ce qui n'est ni moderne ni occidental: le pré-moderne, le post-moderne, l'anti-moderne, l'Asie, la tradition romaine, le christianisme orthodoxe, la Grèce, l'Islam. La modernité occidentale est la combinaison de tout ce qu'il y a de plus négatif, les Soros, les mondialistes, les libéraux... Mettre fin au libéralisme signifiera vaincre tout ce qui est néfaste en Occident. Il s'agit d'une lutte eschatologique, évidemment : et c'est là que la Quatrième théorie politique rejoint le traditionalisme. Toujours, cela va sans dire, avec un œil ouvert sur l'avenir.

Pour revenir à ce qui a été dit précédemment, le Dasein et le Sujet radical sont-ils donc différents ?

Ils sont similaires, mais je ne pense pas qu'il soit possible d'établir une identité. Ce sont des concepts nés dans des contextes différents. J'ai écrit un livre sur le sujet radical et son double - au sens que lui donnait Antonin Artaud, dans Le théâtre et son double. Pour moi, le sujet radical est une manière d'être contre le monde moderne, sans raison particulière, sans être aristocrate ou chrétien... Bref, sans avoir un quelconque contact avec une Tradition vivante. Eh bien, c'est le moment de la forme concrète et opératoire du Sujet radical, qui s'ouvre immédiatement à la Tradition, en étant une forme de celle-ci. Mais c'est une révolte qui ne vient pas de l'extérieur, mais de l'intérieur. Il s'agit évidemment d'une forme très particulière de métaphysique.

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Une métaphysique intérieure, pour ainsi dire...

C'est l'homme différencié, précisément. Pas en tant que comte ou baron, ni en tant que chrétien, païen, soufi ou quoi que ce soit de ce genre. L'Occident n'a rien de tout cela : c'est pourquoi, comme le prétend Evola, il arrivera le premier à la renaissance, à la restauration, au nouveau cycle, que l'Orient. L'Occident est maintenant au fond du gouffre. Mais c'est là que le sujet radical renaîtra.

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Le livre sur le sujet radical est évidemment en russe...

Bien sûr.

Il devrait être traduit...

Je pense que la seule langue, la seule culture qui pourrait le comprendre est l'italienne. La culture d'Evola, la langue dans laquelle Chevaucher le Tigre a été écrit, une culture qui possède un profond savoir traditionnel. Les Anglais ne connaissent pas du tout Evola. En France, il n'est considéré que comme l'un des nombreux disciples de Guénon, ou réduit au fascisme. Par conséquent, ils ne seraient pas en mesure de comprendre mon livre. Ce serait une excellente idée de le traduire en italien.

La Quatrième théorie politique critique l'Individu absolu d'Evola - précisant également que cette expression, au sens traditionnel, peut se référer à l'atman hindou. A votre avis, comment s'est opéré le passage d'Evola de l'Individu absolu aux grands espaces de la Tradition ?

Je pense qu'il s'agit simplement d'une question de terminologie. Je ne critique pas le concept de l'Individu absolu d'Evola, mais celui de l'individu, qui est un concept relatif par définition. L'expression "individu absolu" dépasse l'individualisme en soi. Je pense donc qu'il s'agit d'une simple question linguistique. La théorie d'Evola est mieux comprise, à mon avis, en recourant au concept de Personne, plutôt que d'individu. La personne est une forme qui peut être absolue ou relative, mais qui est toujours liée aux relations avec les autres - horizontalement ou verticalement, elle est toujours l'intersection de différentes relations. La Personne Absolue est donc la forme de l'Absolu personnifié. C'est l'idée traditionnelle de Selbst. Martin Heidegger parle par exemple du Selbst du Dasein: il s'agit précisément de l'individu absolu - ou sujet radical. On peut le comparer au Param Atman, qui est au centre de tout, même lorsqu'il n'est pas le centre, même en l'absence de symétrie pour lui donner une forme. Pour avoir un centre, nous devons en effet être en présence d'une figure qui le présuppose. Mais dans un monde postmoderne et rhizomatique, le centre est absent: le sujet radical est toujours le centre, même là où il n'est pas possible d'en avoir un. Il s'agit d'une forme de transcendance immanente.

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Il y a quelques années, vous avez développé une lecture intéressante d'Evola, pour ainsi dire "vu de gauche". Pouvez-vous expliquer brièvement de quoi il s'agit ?

C'était une petite provocation qui soulevait une question très sérieuse: il n'est pas possible de lire Evola comme le font beaucoup de petits-bourgeois et de conservateurs. Evola n'appartient pas à la droite économique: il est contre le monde moderne. Et le monde moderne peut être de gauche comme de droite. C'est une révolte absolue contre le monde qui nous entoure, contre le statu quo, une révolte incompatible avec le conservatisme de droite, le grand capital, la bourgeoisie, la xénophobie, toutes les positions qui résument le conformisme petit-bourgeois. Evola nous invite à nous engager dans un combat absolu, celui de la vérité. Ceux qui n'acceptent pas cette invitation défendent en fait le monde moderne. Il n'est pas possible d'être un traditionaliste et d'accepter les formes de l'occidentalisme moderne, le capitalisme, le libéralisme et le conservatisme. C'est pourquoi j'ai voulu souligner que la pensée d'Evola est révolutionnaire, conduisant à une révolte avec, en ce sens, une âme " de gauche ", visant à détruire tous les principes du statu quo. Le vôtre pourrait être, pour ainsi dire, un "anarchisme de droite", développé précisément dans Chevaucher le Tigre.

Dans cet essai, vous avez également réfléchi à l'interprétation "traditionnelle" des relations entre les travailleurs et la bourgeoisie...

Je crois que la défense par Evola et Guénon de la bourgeoisie contre le prolétariat est une erreur liée à l'application de la théorie qui voit quatre castes dans les sociétés indo-européennes. La première était sacerdotale et la seconde guerrière, du kshatrya: bien que, contrairement à Evola et Guénon, je sois convaincu que la troisième caste doit être identifiée à celle des paysans. Georges Dumézil a montré que dans la tradition indo-européenne, il y a trois castes et non quatre. Si c'est le cas, alors la bourgeoisie n'est même pas une caste, mais un groupe de paysans incapables de vivre dans les champs et qui ont déménagé dans les villes. Les plus honnêtes sont devenus des prolétaires; les pires sont devenus des capitalistes. La bourgeoisie devient ainsi une caste qui rassemble les pires guerriers, qui ont peur de se battre, et les paysans qui ne veulent pas travailler. C'était l'union des pires individus de toutes les castes. C'est pourquoi il ne faut pas défendre la bourgeoisie, car elle n'est pas une véritable caste indo-européenne. En haïssant les prêtres, les guerriers et les paysans, elle a créé une réalité défavorable à toutes les castes traditionnelles indo-européennes. Il est intéressant de noter que la révolution socialiste - le communisme soviétique - a d'abord été orientée contre la bourgeoisie, et pas tellement contre les guerriers, les prêtres ou les paysans. Je pense donc qu'il est possible de concevoir, pour ainsi dire, un socialisme - ou un communisme - indo-européen qui s'oppose complètement à la bourgeoisie, qui ne représente en aucun cas la Tradition. Cette analyse n'est pas une critique d'Evola, qui détestait la bourgeoisie, le statu quo et le monde moderne, mais plutôt une correction et une intégration de sa théorie.

Comment se présente alors l'Evola anti-bourgeois "vu de gauche" ?

Si aujourd'hui la bourgeoisie est l'ennemi absolu, tout ce qui n'est pas moderne, occidental et bourgeois, est de notre côté: les Chinois, les Russes, les Africains, les Arabes, tous les Occidentaux qui s'opposent au libéralisme. Cette dernière, en effet, est la pire cristallisation de l'âge des ténèbres dont parlaient les doctrines traditionnelles. Dans cette perspective, l'anti-moderne et anti-libéral Evola est un révolutionnaire total. On pourrait répéter à propos d'Evola ce que René Alleau a dit de Guénon en le qualifiant de "penseur le plus radical et le plus révolutionnaire de Marx". Il l'est bien plus que ces traditionalistes qui se vivent comme des bourgeois, se limitant à une lecture stérile et improductive de la pensée de la Tradition. Ce sont les traîtres à la Tradition: si c'est le cas, je préfère les anarchistes. Je crois que l'ordre bourgeois doit être détruit. Ma thèse est une conséquence logique des positions évolienne et traditionaliste.

Et comment se rapporte-t-elle à la Quatrième théorie politique ?

La Quatrième théorie politique propose la même chose, de manière plus académique, avec la déconstruction du libéralisme, de l'eurocentrisme et du modernisme. Il ne s'agit pas d'un dogme, mais d'une invitation à exercer la réflexion et la critique. Certains proposent de trouver un nom à cette théorie. Il est inutile de le faire: il délimitera un espace conceptuel qui trouvera son propre nom à un moment ultérieur, en temps voulu. Mais dès aujourd'hui, il est possible de travailler avec ce concept, en préparant le terrain pour sa manifestation. Les Iraniens, comme les Chinois, peuvent voir dans leur configuration politique une manifestation historique de la Quatrième théorie politique. C'est une invitation ouverte. C'est le côté faible mais aussi le côté fort de l'expression "Quatrième théorie politique". Je tiens à souligner qu'il ne s'agit pas d'une mascarade de la troisième théorie politique - du fascisme - mais d'un paradigme réellement alternatif aux trois premiers. Le fascisme, le communisme et le libéralisme sont pleinement imprégnés de modernité. Je critique le fascisme dans ses aspects bourgeois, racistes et nationalistes. La Quatrième théorie politique ouvre un autre espace conceptuel. Le problème est que presque tout ce que nous continuons à penser appartient à l'héritage des trois premières théories politiques. Une grande purification intérieure est nécessaire pour développer fructueusement le traditionalisme et en même temps la Quatrième théorie politique, qui est la forme logique d'un certain développement de certains aspects du traditionalisme lui-même.