Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 16 janvier 2025

Parution du numéro 480 du Bulletin célinien

9ae86a2fab28c9d32ba115f877b04834--ferdinand-perso-786570844.jpg

Parution du numéro 480 du Bulletin célinien

2025-01-BC-Cover.jpg

 

Sommaire :

Les mystères de Londres

La réception critique de Féerie

Exhumation littéraire

Dans la bibliothèque de Céline (Balzac)

 

celine-londres-3667543284.jpg

Londres

Deux ans seulement après la parution de Londres, Gaël Richard, auquel on doit plusieurs sommes céliniennes d’importance, nous procure un opus décryptant, en lien avec ce qu’on sait déjà sur cette période de la vie de Louis Destouches, les apports biographiques inclus dans ce manuscrit retrouvé et les interférences avec la fiction. Les dix mois qu’il passa dans la capitale britannique durant la Grande Guerre demeurent la partie la plus mystérieuse de sa vie. Et l’une des plus décisives car c’est durant cette période qu’il s’affranchit des règles édictées par son éducation petite-bourgeoise.

Décisive aussi sur le plan esthétique : c’est alors qu’il découvre avec enchantement le music-hall et les danseuses, initiation qu’il n’aura de cesse de revendiquer en tant qu’écrivain : « J’ai piqué mes trilles dans le music-hall anglais […] dans le rythme, la cadence, l’audace des corps et des gestes. » C’est également à Londres qu’il s’initie à l’art de soigner. La fréquentation à Soho du milieu lui inspirera Guignol’s band, précédé de cette première tentative, Londres,  découverte près d’un siècle après sa rédaction.

504-large_default.jpg

Et c’est là qu’il contracte un mariage qui ne sera pas déclaré au consulat de France et, par conséquent, non enregistré par l’administration française. À lui seul cet ouvrage justifie l’édition, parfois contestée, de ce manuscrit retrouvé que Céline ne destinait pas à la publication. Sur toutes les étapes de cette vie à Londres, Gaël Richard apporte des éléments inédits, des recoupements perspicaces et de pertinentes déductions que lui seul sans doute était en mesure d’apporter. Cela tient à sa formation basée sur la critique et l’étude des documents originaux. Quel autre céliniste serait capable d’explorer avec une telle maîtrise le vaste champ des archives ? C’est qu’il allie à la fois une connaissance très fine de la biographie et de l’œuvre célinienne avec une analyse méticuleuse des pièces d’état-civil mais aussi des ressources historiques et de la presse de l’époque.

Dans sa première partie, l’ouvrage est constitué de quatre sections distinctes : le travail de Destouches au bureau des passeports du consulat général de France ; ce que l’auteur nomme – clin d’œil au livre de Mahé – sa “brinquebale” avec son ami et collègue, Georges Geoffroy ; son retour à la vie civile après qu’il eut été réformé ; sa rencontre enfin avec les sœurs Nebout suivie de ce mariage éphémère avec l’une d’elles. Le livre est richement illustré de documents dont précisément l’acte de mariage de “Louis des Touches” et Suzanne Nebout, le 19 janvier 1916, et son annulation, le 6 février 1918.

« À la ronde du grand Londres », la seconde partie due à Laurent Simon,  nous dévoile la géographie anglaise de Céline par un dictionnaire des lieux qu’il fréquenta ou mentionna dans son œuvre. Le coauteur, passé maître dans l’élaboration d’un tel dictionnaire, avait fait un travail comparable pour Paris. Celui-ci est de la même rigueur, émaillé de citations issues des romans mais aussi des pamphlets et de la correspondance. Ainsi a-t-on le plaisir d’explorer, dans l’ordre alphabétique, le Londres de Céline, du pub À la Croisière pour Dingly (pub tenu par Prospero dans Guignol’s band) au zoo de Londres dans Regent’s Park. Grâces soient rendues aux deux auteurs pour cet ouvrage magistral.

• Gaël RICHARD & Laurent SIMON, Céline et Londres, Du Lérot, 2024, 366 pages, table des illustrations et index.

L'implication indirecte de l'Asie dans les affaires européennes

maxresdefault-2316324593.jpg

L'implication indirecte de l'Asie dans les affaires européennes

Janne Berejnaïa

Compte rendu d'un commentaire du spécialiste du Japon Jeffrey W. Hornung

On parle beaucoup aujourd'hui de l'implication de la Chine, de la Corée du Nord, de la Corée du Sud et du Japon dans les affaires de la Russie et de l'Occident. Mais quel type d'implication prennent-ils réellement ? Dans un commentaire publié sur le site web du portail de la RAND, Jeffrey W. Hornung, chef de la division des études de sécurité nationale de la RAND au Japon et Senior Fellow de la RAND, a fait part de ses réflexions sur les intérêts des quatre pays dans les affaires de l'Occident et de la Russie, et sur le soutien que chaque partie leur apporte.

Le commentaire met en lumière un détail important mais souvent négligé du conflit actuel en Ukraine : l'implication croissante des pays d'Asie de l'Est. L'auteur nous rappelle que des doutes sur la durabilité du soutien américain à l'Ukraine sont apparus bien avant que Donald Trump ne remporte l'élection, suscitant des inquiétudes sur la capacité de Kiev à poursuivre sa propre défense. Mais un autre aspect clé est souligné : l'expansion du conflit au-delà de l'Europe, avec l'implication de nouveaux acteurs venus d'Asie. Dans le même temps, il convient de mentionner que les États-Unis continuent de fournir une aide importante à l'Ukraine. Après la victoire électorale de Trump, les États-Unis ont alloué une aide militaire de 275 millions de dollars à l'Ukraine. Et le 3 décembre, on a appris l'existence d'une autre enveloppe de 725 millions de dollars. Cela ressemble à une ultime tentative des démocrates de donner un peu de puissance à la partie ukrainienne, car les choses pourraient se terminer rapidement, comme le promet Trump. Pour l'instant, cependant, ce ne sont que ses paroles. Qui sait comment la situation évoluera.

L'article définit une guerre par procuration : il s'agit d'un conflit dans lequel deux pays s'affrontent indirectement en soutenant des camps opposés dans un pays tiers. Ces guerres étaient caractéristiques de l'époque de la guerre froide - l'auteur mentionne les crises du Congo et de l'Angola, où les États-Unis et l'URSS ont financé et armé les parties locales au conflit, en évitant de s'impliquer directement. En analysant la situation actuelle, nous pouvons conclure que le conflit en Ukraine devient non seulement une crise européenne, mais aussi une crise mondiale où les intérêts des principales puissances mondiales se croisent. L'implication des pays asiatiques le confirme et indique également un nouveau niveau de tension internationale.

L'article souligne la nature fluide des conflits par procuration, montrant que ces confrontations ne suivent pas toutes des modèles standard. Parfois, le soutien à l'une des parties conduit à l'intervention directe d'une force extérieure, comme ce fut le cas avec l'engagement progressif des États-Unis dans la guerre du Viêt Nam ou l'intervention soviétique en Afghanistan. Dans ces cas, les superpuissances sont restées impliquées même lorsque les efforts de leurs « mandataires » se sont relâchés pour empêcher l'autre camp de l'emporter.

L'auteur suggère que le conflit entre la Russie et l'Ukraine présente toutes les caractéristiques d'un conflit par procuration. Il est important de noter que Jeffrey W. Hornung affirme que « Moscou a déclaré à plusieurs reprises que l'Ukraine n'était pas une entité indépendante et que la véritable cible de l'invasion russe était l'Occident, en particulier les États-Unis ». Et si l'on a parlé de l'absence d'indépendance de l'Ukraine, on n'a jamais entendu du côté russe qu'il s'agissait du véritable objectif de l'Opération militaire spéciale, à savoir attaquer l'Occident. Les objectifs ont été définis par le président russe Vladimir Poutine en février 2022, lors d'un discours dans lequel il a annoncé cette « opération militaire spéciale » visant à « démilitariser et dénazifier l'Ukraine ».

L'objectif principal est de protéger les territoires qui ont rejoint la Fédération de Russie lors du référendum. En fonction de la situation sur le champ de bataille, certains points des objectifs sont transformés, mais ne changent pas fondamentalement. Il convient de noter que toutes les autres déclarations de l'auteur ont été étayées par des références à des sources, alors que cette déclaration plutôt tapageuse n'a pas fait l'objet d'une telle attention. La Russie a déclaré que l'Occident manipule l'Ukraine et ne fait que prolonger le conflit avec son aide. Cependant, elle n'a jamais dit qu'elle attaquait les États-Unis de cette manière. Les États-Unis eux-mêmes « expriment le désir » de s'impliquer.

supply-of-weapons-for-ukraine-and-russia-in-2023-infographic-v0-1ah7e7u8zb0c1-1838564458.jpg

Ils ajoutent que, d'autre part, les pays de l'OTAN et leurs alliés soutiennent l'Ukraine par des livraisons d'armes. Bien que l'objectif officiel de l'Occident soit de défendre l'Ukraine, ses actions sont en réalité dirigées contre la Russie. C'est ce que souligne la déclaration du secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, qui a affirmé que « nous voulons voir la Russie affaiblie ». En analysant cette dynamique, on peut voir comment le conflit contemporain dépasse le cadre traditionnel d'un conflit entre deux pays. L'Ukraine devient une arène où l'Occident et la Russie s'affrontent pour la suprématie stratégique. Le conflit prend donc un caractère de plus en plus global, chaque partie cherchant à affaiblir son adversaire géopolitique.

Bien entendu, la majeure partie du commentaire se concentre sur l'implication des pays asiatiques dans tout cela. Selon l'auteur, le soutien de la Chine à Moscou est caractérisé par la flexibilité et la stratégie. Bien que Pékin refuse de fournir directement des armes à la Russie, elle contribue activement à maintenir l'équilibre économique de la Russie. La Chine s'oppose aux sanctions occidentales et utilise ses liens diplomatiques avec les pays du Sud pour tempérer la condamnation internationale des actions de la Russie. L'implication économique de la Chine est également significative. Selon les données citées dans l'article, la Chine représente environ 90 % des importations russes de microélectronique et 70 % des importations de machines-outils. Il convient toutefois de noter que la part de la Russie dans la production de microélectronique et de machines-outils est actuellement en augmentation.

Blivas1-4031594845.jpg

En outre, la participation de la Chine à des exercices militaires au Belarus, près de la frontière polonaise, envoie à l'OTAN un signal fort de coordination militaire et politique croissante avec la Russie. L'auteur indique également que la Corée du Nord agit encore plus ouvertement. Pyongyang a fourni de l'artillerie, des missiles balistiques et envoyé quelque 10.000 soldats au combat. Il n'y a cependant aucune confirmation officielle. Par exemple, le site web de l'agence de presse Ura.ru publie un article indiquant que le commandant de l'AFU a déclaré qu'il n'y avait aucun signe de la présence de Nord-Coréens dans la zone de l'Opération militaire spéciale. Zelensky a affirmé que des soldats de la RPDC avaient été tués et blessés, mais personne ne les a vus, il n'y a aucune confirmation. Et ce, à « l'ère de la technologie ».

Le Japon et la Corée du Sud se limitent à une aide à plus petite échelle à l'Ukraine. Le Japon est devenu l'un des principaux partisans des sanctions contre la Russie, qu'il coordonne activement avec ses partenaires occidentaux. Tokyo fournit également une aide financière et technique importante à Kiev, notamment des drones, des gilets pare-balles et d'autres équipements militaires non essentiels. L'aide cumulée du Japon à l'Ukraine a déjà dépassé les 12 milliards de dollars. Le Japon a également revu ses restrictions sur les exportations d'armes, ce qui lui permet de conserver le stock américain de missiles Patriot utilisés pour défendre l'Ukraine. Sur le plan diplomatique, Tokyo joue également un rôle important en faisant avancer le dossier ukrainien grâce à sa présidence du G-7 et à son engagement auprès des pays du Sud.

La Corée du Sud agit plus prudemment, mais fournit également une aide financière et certains équipements militaires, montrant ainsi son soutien à l'Ukraine dans le cadre de son alliance avec les États-Unis. La Corée du Sud traverse également une période difficile dans le pays en ce moment, et qui sait dans quelle mesure elle pourrait utiliser les armes dont elle dispose. Cette situation de loi martiale pourrait déplacer leur intérêt pour les conflits étrangers pendant un certain temps. Même si la loi martiale sera révoquée lors de la réunion du gouvernement, il y a déjà eu certaines actions en faveur d'un conflit à l'intérieur du pays. Il sera important pour Yoon Seok-yeol de conserver le pouvoir et de stabiliser la situation. C'est peut-être précisément ce qui influencera son implication dans les conflits occidentaux.

L'auteur estime que les actions de la Chine et de la Corée du Nord confirment leur volonté d'affaiblir l'influence occidentale et de renforcer leur position en tant qu'acteurs mondiaux. La Chine soutient la Russie, en évitant un conflit direct mais en renforçant la stabilité économique et militaire du Kremlin. La Corée du Nord, quant à elle, se comporte comme l'allié le plus loyal qui soit, en fournissant non seulement des ressources mais aussi des troupes. Le soutien du Japon et de la Corée du Sud à l'Ukraine, bien que moins agressif, montre l'importance des alliés asiatiques pour l'Occident. Ils contribuent à maintenir l'équilibre face à la montée des tensions et font preuve de solidarité avec la communauté internationale.

Les pays d'Asie de l'Est participent activement à cette nouvelle phase de rivalité internationale, chacun avec ses propres intérêts et stratégies. Le commentaire de l'auteur vise à montrer que le conflit en Ukraine a dépassé le cadre régional et est devenu une arène de rivalité mondiale, impliquant même des pays géographiquement éloignés de l'Europe. L'auteur se concentre sur l'implication des pays d'Asie de l'Est et analyse leurs actions dans le contexte d'une guerre par procuration. L'objectif principal du commentaire est de démontrer comment le conflit en Ukraine s'inscrit dans une confrontation géopolitique mondiale dans laquelle l'Asie de l'Est joue un rôle important mais souvent sous-estimé.

Nouvelle Syrie: voie vers la fédération ou la réincarnation du « califat » terroriste?

66e9998a2a5bb73507da077986caa125.jpg

Nouvelle Syrie: voie vers la fédération ou la réincarnation du « califat » terroriste?

Leonid Savin

Les processus en cours en Syrie inquiètent de nombreux acteurs extérieurs, qu'il s'agisse des voisins (ce qui est tout à fait naturel) et des anciens alliés de Bachar el-Assad, comme la Russie et l'Iran, ou des acteurs occidentaux qui se méfient du fait que les processus de construction de l'État se déroulent sans leur participation, alors que l'administration intérimaire actuelle ne fait que parler de « démocratie », mais a en réalité ses propres idées sur l'avenir du pays.

C'est pourquoi, en marge des couloirs du pouvoir, on parle d'une possible fédéralisation de la Syrie avec une division en zones de responsabilité. Ce n'est pas le pire des projets : la Russie a déjà proposé une option similaire au gouvernement Assad, qui l'a rejetée et a tout perdu au bout d'un certain temps. Du point de vue de la composition ethno-religieuse de la Syrie, sa fédéralisation est tout à fait logique. Historiquement, pendant le mandat français de 1921-1922, il existait des zones d'administration druze (avec le centre à As-Suwayda), alaouite (Lattaquié), ainsi que deux territoires avec des centres à Damas et Alep respectivement, sans parler du Liban, qui est devenu un État distinct. Le projet de fédéralisation est soutenu à l'ONU, et même à Washington. Pendant la guerre et maintenant de l'intérieur, seuls les Kurdes soutiennent activement l'idée.

Quant aux opposants, le gouvernement était sceptique quant à une éventuelle balkanisation, c'est-à-dire une aliénation progressive des régions et une désintégration plus poussée de la Syrie unie. En outre, l'opposition syrienne elle-même, soutenue par l'Occident et un certain nombre d'acteurs régionaux, s'est précédemment opposée à la fédéralisation. La Turquie s'oppose également à ce processus, car elle contrôle de nombreux groupes paramilitaires, dont le plus important est Hayat Tahrir al-Sham (interdit en Russie). Cette organisation, qui se traduit par « Organisation de libération du Levant », a une idéologie sunnite qui trouve ses racines dans le groupe interdit en Russie Jabhat al-Nusra*, lui-même créé dans le cadre d'ISIS* avec la participation d'Al-Qaïda* (tous interdits en Russie).

carte_province_syrie-2991861971.jpg

Mais il est clair que le projet opposé de fédéralisation pourrait conduire à l'islamisation (dans une veine salafiste) et à la néo-ottomanisation de la Syrie, y compris la répression de la population kurde. La publication turque Hürriyet a rapporté que le président turc Recep Tayyip Erdogan a averti que « si le PKK-YPG ne dépose pas les armes, s'il continue à faire pression pour une autre administration en Syrie et si les pays occidentaux font des demandes dans ce sens, une opération militaire à grande échelle avec l'État syrien sera inévitable ». Dans le nord de la Syrie, la Turquie contrôle plusieurs groupes opérationnels composés d'adeptes de l'idéologie salafiste, de personnes originaires d'Asie centrale et du Caucase, y compris de Russie, ainsi que de Chine (Ouïghours). Ankara va très probablement les opposer aux Kurdes, qui vivent historiquement dans cette région. Les forces d'autodéfense mentionnées, qui sont le bras armé des Forces démocratiques de Syrie (YPG), sont soutenues par les Américains.

carte-syrie-offensive-turquie-forces-kurdes-2958471723.jpg

La Turquie est clairement intéressée par le contrôle total d'Afrin, d'Aazaz, de Manbij et de Tel Rafat, ce qui conduira inévitablement à une nouvelle escalade. Par conséquent, le gouvernement d'Erdogan se retrouvera dans une situation difficile, surtout après l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, quels que soient les éloges qu'il adressera au dirigeant turc. Quant au PKK, qui est la structure faîtière des Kurdes en Syrie, en Irak et en Turquie (et en Iran au niveau de la conspiration profonde), selon des informations d'initiés du côté kurde, il est susceptible d'être réformé et même éventuellement scindé en différentes parties afin d'apaiser les tensions politiques en Turquie. Dans le même temps, la coordination entre les factions kurdes sera maintenue afin de préserver une stratégie commune pour préserver sa propre identité et se projeter dans l'avenir.

Avec la chute du gouvernement Assad, les Kurdes voient l'inéluctabilité d'un reformatage des frontières de la région, qui étaient des retombées au lendemain de la Première Guerre mondiale et ne prenaient pas en compte leurs intérêts vitaux. Si les Kurdes ont réussi à obtenir l'autonomie en Irak, ils seront désormais désireux de participer au destin de la « restructuration » de la Syrie, quel qu'en soit le prix. Compte tenu de leur puissant lobby étranger et du soutien apparent d'un certain nombre de pays, leurs aspirations pourraient bien être politiquement formalisées.

Map-golan-heights-1515701836-294757474.jpg

Outre les États-Unis et, probablement, les pays de l'UE qui soutiendront les idées de fédéralisation et les Kurdes (ainsi que les chrétiens) de Syrie, un autre acteur régional sérieux sera en mesure d'interférer dans les processus actuels : Israël. Guidé par sa propre sécurité, Israël a déjà occupé une partie de la Syrie, justifiant cette occupation par la nécessité d'étendre la zone tampon près des hauteurs du Golan (qui ont été occupées bien plus tôt). Israël, quel que soit le Premier ministre, ne voudra pas laisser émerger un projet salafiste-néo-ottoman près de ses frontières, surtout si l'on considère les liens entre la Turquie, les Frères musulmans, qui sont interdits en Russie, et le Hamas.

Le Jerusalem Post a également rapporté qu'Israël devrait se préparer à une confrontation directe avec la Turquie dans le cadre des tentatives de cette dernière de restaurer l'Empire ottoman.

Une note politique soumise au premier ministre, au ministre de la défense et au ministre des finances d'Israël affirme que le risque d'unification des factions syriennes constituerait une menace pour la sécurité d'Israël et que les forces soutenues par la Turquie pourraient prétendument agir par procuration et créer de l'instabilité dans la région.

C'est pourquoi Tel-Aviv soutiendra activement les partisans de la fédéralisation et d'un État laïque, ainsi que ses alliés de longue date, à savoir les Kurdes.

Après l'indépendance, Israël s'est retrouvé dans un environnement arabe hostile, ce qui l'a contraint à chercher des alliés régionaux. L'un d'entre eux était l'Iran avant la révolution islamique de 1979. Un autre était les Kurdes, et Israël les a activement soutenus depuis le premier soulèvement de Mustafa Barzani en Irak (photo), qui a commencé en 1961. Depuis lors, l'interaction kurdo-israélienne s'est progressivement développée.

Mustafa-Barzani-1960s-photo-courtesy-kdp-2321289175.jpg

Le deuxième facteur important est la présence même des Kurdes dans l'establishment israélien. Bien qu'il soit communément admis qu'Israël est peuplé de Juifs ethniques (à l'exception de la minorité arabe, des Druzes et de quelques autres), ce n'est pas le cas. Le pays compte une importante diaspora kurde qui participe activement à la vie politique. La raison en est qu'auparavant, pendant les guerres israélo-arabes, des familles juives kurdes ont été expulsées de Syrie et d'Irak. Aujourd'hui, au moins 200.000 personnes d'origine kurde vivent en Israël. Par exemple, l'actuel ministre des affaires étrangères, Gideon Saar, et le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir (qui a des opinions sionistes plutôt radicales) sont d'origine kurde. En outre, de nombreux officiers de haut rang de l'armée israélienne et d'autres forces de sécurité sont également kurdes.

Ces données indiquent le début d'une nouvelle période plutôt difficile pour la Syrie. Bien que la présence minimale de la Russie soit toujours en place, différents scénarios doivent être élaborés, y compris une évaluation du système de sécurité régional. Compte tenu de l'accord de partenariat stratégique global avec l'Iran, la question syrienne ne peut être négligée, bien que ces plans aient déjà suscité des inquiétudes aux États-Unis, qui considèrent le nouveau traité entre la Russie et l'Iran comme un prélude au retour des groupes armés iraniens en Syrie et à une assistance accrue au Hezbollah.

Le Groenland, une obsession américaine

c6ec0d7e7811ba5cb87b252c8b1ca758.jpg

Le Groenland, une obsession américaine

Binoy Kampmark

Ex: geopolitika. ru

L'histoire montre que les empires acquièrent des territoires de différentes manières. Les dynasties étendent leurs possessions par le biais de mariages, comme l'ont fait les Habsbourg. Ou les territoires sont pris par la force des armes ou volés par des traités trompeurs et des manœuvres douteuses. Ils peuvent également être achetés.

Les États-Unis ont étendu une grande partie de leur territoire en l'achetant et en se dotant ainsi d'un empire. L'acquisition de la Louisiane en 1803 pour la modique somme de 15 millions de dollars était audacieuse, opportuniste et extra-légale. Elle a également été initiée par un président américain qui avait romantiquement insisté pour que la jeune république se limite à des activités agricoles dans le cadre d'un modèle ne prévoyant que de petits exploitants. Mais Thomas Jefferson pouvait être rusé et diabolique, et la France, alors sous la férule de Napoléon Bonaparte, l'inquiétait : « Il n'y a qu'un seul endroit sur le globe dont le possesseur est notre ennemi naturel et habituel, et c'est la Nouvelle-Orléans ».

Bonaparte, dont les intérêts sont davantage tournés vers l'Europe, est prêt à céder le territoire pour une somme modique. Les indigènes, bien sûr, ne sont pas consultés. Jefferson, qui avait auparavant prôné la nécessité de respecter la Constitution avec une pieuse méticulosité, l'ignore lorsqu'il s'agit d'acheter des territoires, ce qui n'est pas explicitement autorisé par le document constitutionnel. C'est ainsi qu'apparaissent les premiers signes d'une présidence impériale.

En 1868, l'œil avide du gouvernement américain a montré que la conquête et le contrôle du continent ne se limitaient pas exclusivement à l'expansion vers l'ouest qui, selon l'observation hautaine de Frederick Jackson Turner, finirait par s'achever. Les désirs d'expansion se tournent vers l'Islande et le Groenland comme options possibles vers l'est.

Une publication du département d'État de 1868, éditée par Benjamin Mills Pierce, fait état d'un intérêt plus que passager pour les ressources de l'Islande et du Groenland, en mentionnant le traité par lequel le Danemark devait céder aux États-Unis le contrôle des îles de Saint-Thomas et de Saint-Jean dans les Caraïbes. Le rapport de 1868 encourage l'acquisition du Groenland pour deux raisons importantes : les opportunités commerciales promises par l'exploitation de l'abondance naturelle de « baleines, morses, phoques et requins, morues, saumons, truites et harengs » et la congruence politique de l'obtention d'un territoire flanqué « de l'Amérique britannique dans l'Arctique et le Pacifique ». Le Groenland pourrait ainsi « faire partie de l'Union » et diminuer l'influence britannique dans la région.

Le traité avec le Danemark concernant les Indes occidentales danoises rappelle que les choses ne seront pas faciles. L'acquisition de ce qui allait devenir les îles Vierges américaines était une idée du secrétaire d'État William Henry Seward, une initiative qui avait la bénédiction du département d'État américain. Le destin du traité a été mouvementé : le rejet initial du Sénat américain, principalement motivé par le soutien apporté par Seward au président Andrew Jackson lors de sa procédure de destitution, a été suivi par le rejet du Danemark en 1902. Des doutes subsistaient également quant à l'organisation d'un plébiscite pour les habitants de la région, le Danemark craignant ce que la vie sous la domination américaine pourrait réserver aux habitants noirs, dont on prédisait qu'ils auraient la réputation d'être peu généreux à l'égard des races de couleur.

La Première Guerre mondiale a finalement abouti au transfert officiel des Antilles danoises le 31 mars 1917, accompagné de 25 millions de dollars en pièces d'or, un résultat obtenu en partie grâce aux tactiques d'intimidation du secrétaire d'État américain Robert Lansing. Le secrétaire d'État n'a pas caché que l'une des intentions de l'occupation des îles était d'éviter qu'elles ne tombent aux mains des Allemands.

211222GREENLANDphoto01-2115154468.jpg

L'intérêt pour l'acquisition du Groenland s'est développé au cours de la Seconde Guerre mondiale. Une fois de plus, les inquiétudes concernant l'Allemagne sont au premier plan, étant donné qu'elle a occupé le Danemark sans incident en 1940. Les États-Unis ont alors construit la base aérienne de Thulé en 1943. À la fin de la guerre, l'administration Truman n'a pas réussi à séduire les Danois avec un prix d'achat de 100 millions de dollars, bien que la base ait continué à fonctionner sous le contrôle des États-Unis et avec la bénédiction du royaume.

Pendant le premier mandat de Donald Trump, l'obsession de l'achat du Groenland a refait surface comme le fait une éruption cutanée, et l'acquisition du Groenland a été comparée à « un contrat d'achat et de vente d'un grand terrain ». Le Danemark, a suggéré M. Trump, s'est retrouvé avec le Groenland « à perte, et stratégiquement, ce serait une bonne chose pour les États-Unis ».

Selon la plupart des comptes rendus, l'accord avait moins à voir avec la realpolitik qu'avec l'immobilier. Selon le récit de Peter Baker et Susan Glasser sur les événements du premier mandat de Trump, le Danemark recevrait en échange le territoire ignoré de Porto Rico. Ils suggèrent également que cette proposition audacieuse émane d'un vieil ami du président, Ronald Lauder, héritier de l'empire cosmétique Estée Lauder. Trump, dans son style typique, insiste sur le fait qu'il s'agit de sa propre idée.

-1x-1-3380964069.jpg

Comme on pouvait s'y attendre, M. Trump a trouvé la première ministre danoise, Mette Frederiksen (photo), peu impressionnée, réticente et « désagréable ». Pour sa part, la première ministre danoise a déclaré que "le temps d'acheter et de vendre d'autres pays et d'autres populations est révolu. Restons-en là".

Le retour imminent de Trump à la Maison Blanche a ravivé de vieilles idiosyncrasies. Pendant la période des fêtes de décembre 2024, il s'est laissé emporter par des fantasmes jeffersoniens et a promis de reprendre le canal de Panama, qui, selon lui, est exploité illégalement, bien qu'aimablement, par « les merveilleux soldats de la Chine », ainsi que de faire du Canada le 51ème État, avec l'ancien joueur de hockey professionnel Wayne Gretzky installé comme gouverneur, et d'acheter le Groenland.

Le choix du président élu pour le poste d'ambassadeur des États-Unis au Danemark est apparemment basé sur la cour faite à Copenhague, tandis que Trump déclare que la propriété du territoire par Washington est une « nécessité absolue ». Le premier ministre du Groenland, Múte Egede, laisse entendre qu'un tel projet a peu de chances d'aboutir: "Le Groenland est à nous. Nous ne sommes pas à vendre et nous ne le serons jamais". En politique, il est dangereux d'être sans équivoque.

2025011014195541785-3004210972.jpg

En avril de l'année dernière, la base aérienne de Thulé a changé de nom pour devenir la base spatiale de Pituffik, dans un souci de sensibilité culturelle qui a fait couler beaucoup d'encre. Le ministère de la défense a affirmé que ce changement reconnaissait mieux « l'héritage culturel groenlandais » et reflétait de manière plus appropriée « son rôle dans les forces spatiales américaines ». Le patrimoine culturel groenlandais joue un rôle mineur dans la vision impériale de la base, dont les forces spatiales américaines insistent sur le fait qu'elle « permet la supériorité spatiale » grâce à ses systèmes d'alerte aux missiles, à sa défense antimissile et à ses missions de reconnaissance et de surveillance aérospatiales.

En l'état, la possession du Groenland, au sens officiel, n'a guère d'importance, et la seconde administration Trump agirait sagement en laissant simplement les Danois s'occuper des glaciers et de leurs problèmes. Washington a déjà ce dont il a besoin, et même plus que ce dont il a besoin.

Publié à l'origine dans Counterpunch. Traduction : Àngel Ferrero.

Source : https://www.elsaltodiario.com/estados-unidos/groenlandia-...