samedi, 18 octobre 2025
Béhémoth contre Léviathan: la liturgie antilibérale d’Aleksandr Douguine
Béhémoth contre Léviathan: la liturgie antilibérale d’Aleksandr Douguine
Markku Siira
Source: https://geopolarium.com/2025/10/14/behemot-vastaan-leviat...
La philosophie politique d’Aleksandr Douguine cherche à répondre à la crise du monde moderne du point de vue russe, en cherchant une alternative au système de l’époque, dominé par l’hégémonie occidentale. Les racines de la pensée de Douguine se trouvent cependant chez des penseurs européens tels que Julius Evola et René Guénon, ainsi que Carl Schmitt et Martin Heidegger. Cette combinaison montre que son idéologie ne se limite pas à la pensée russe, mais constitue une synthèse complexe d’ésotérisme ainsi que de philosophie politique et existentielle, par laquelle il remet en cause les valeurs dominantes.
Dans le vide spirituel et idéologique ayant suivi l’effondrement de l’Union soviétique, Douguine a vu le libéralisme occidental s’imposer en Russie comme une force matérialiste et dépourvue d’âme, menaçant les valeurs traditionnelles et l’identité nationale. À partir de cette expérience, il s’est donné pour objectif de restaurer la vocation historique et civilisationnelle de la Russie. Douguine a commencé à formuler la «Quatrième théorie politique», qui rejette le libéralisme, le communisme et le fascisme comme des modèles sociaux qui ont échoué.
La Quatrième théorie politique ne se contente pas de critiquer le passé, mais propose une vision d’un monde multipolaire dans lequel les civilisations peuvent préserver leur singularité. Selon Douguine, la crise de notre époque découle de l’incapacité à respecter les différences culturelles et historiques, qu’il considère comme victimes de l’effet uniformisant du libéralisme mondial. Au cœur de sa philosophie se trouve l’idée d’une Russie puissance géopolitique et spirituelle, menant la résistance contre l’universalisme occidental.
Sur le plan géopolitique, Douguine a développé une version moderne de l’eurasisme jadis formulé par des émigrés russes, visant à fonder un « Empire eurasiatique ». Ce projet a pour but de contester l’ordre mondial occidental dominé par les États-Unis, en créant un système multipolaire qui met l’accent sur les valeurs traditionnelles et la diversité culturelle. Dans la vision ambitieuse de Douguine, l’empire unifie les peuples d’Eurasie sous la direction de la Russie, formant une sphère d’influence significative qui rejette le libéralisme occidental et les effets de la mondialisation.
Ces dernières années, Douguine a diffusé cette vision à l’échelle mondiale. Il est devenu un créateur de contenu actif sur les réseaux sociaux, touchant un public international avec ses publications. Douguine a accordé une attention particulière à Donald Trump, qu’il considère comme un challenger à l’hégémonie globaliste occidentale, espérant que l’Amérique de Trump se rapproche de la Russie de Poutine. Ce rêve est toutefois naïf, car la politique de Trump visait à renforcer le pouvoir unilatéral des États-Unis, ce qui est en contradiction avec l’idéal d’un monde multipolaire.
Le blogueur américain S. C. Hickman examine la philosophie de Douguine dans la perspective schmittienne, à travers les figures métaphysiques de Béhémoth et Léviathan – non seulement comme forces politiques, mais comme puissances ontologiques profondes dont la lutte façonne le monde contemporain. Ce combat reflète la transformation de l’ordre mondial, où tradition et technologie rivalisent pour l’hégémonie.
Béhémoth incarne le principe de la « terre », qui unit la sacralité du territoire, le caractère liturgique du temps et la vocation civilisationnelle de la politique. Béhémoth parle « russe, grec, persan et sanskrit » – des langues qui symbolisent de profondes traditions historiques. La citoyenneté est définie par l’obéissance à la vocation civilisationnelle, et l’État devient un autel. La vision multipolaire de Béhémoth est une « couronne de temples que les comptables de l’Atlantique ne peuvent pas inspecter », révolte contre la quantification globale.
Hickman souligne que la force du Béhémoth réside dans sa capacité à ancrer l’identité dans la terre et la tradition. Ce principe incarne la vision douguinienne de l’autodétermination des civilisations, où chaque culture conserve son essence unique plutôt qu’une homogénéisation globale.
Béhémoth ne défend pas seulement les racines historiques, mais les élève au rang sacré, faisant de la nation le porteur d’un destin collectif. Dans cette vision, la rationalité technologique et économique moderne est remplacée par une finalité mythique et spirituelle, qui rejette la foi occidentale dans le progrès.
À l’inverse, Léviathan représente, selon Hickman, le principe de la « mer », devenu une « force globale liquide », très éloignée de la vision étatique originelle de Thomas Hobbes. Il parle « anglais et Co. », passant des langues nationales au code universel de l’économie et de la technologie mondiales. Léviathan transforme « l’océan mondial en réseau et le réseau en cerveau », remplaçant l’État par des algorithmes, la souveraineté par des actions de sociétés et la sécurité par des plans de service.
La force du Léviathan se manifeste dans sa capacité à fondre les individus et les communautés dans un flux numérique homogène, où les frontières et identités traditionnelles se dissolvent dans la logique du marché et de la technologie. Ce changement fait du Léviathan non seulement une puissance économique, mais aussi une puissance ontologique dominante, redéfinissant l’humanité selon des critères de données et d’efficacité, ne laissant derrière lui qu’une « liturgie du code ».
Hickman comprend que, malgré leurs oppositions, Béhémoth et Léviathan partagent une hostilité envers le Logos, principe rationnel de la compréhension humaine. Béhémoth l’enterre sous la révélation et le mysticisme, Léviathan le fragmente en paquets de données; l’un exige le respect du mystère, l’autre l’obéissance aux mesures.
Le résultat, dans les deux cas, est le même: le rôle du citoyen est réduit à la soumission ou à la consommation passive. Ils rivalisent pour savoir qui prendra le pouvoir lorsque le projet libéral sera à peine refroidi. Hickman voit comme alternatives sinistres une vie à l’ombre de deux monstres – «l’autorité sacerdotale-royale» et «le pouvoir de la machine capitaliste».
L’analyse de Hickman révèle la contradiction centrale de la philosophie de Douguine: bien qu’il critique la crise provoquée par le libéralisme, son eurasisme et sa quatrième théorie politique mènent eux aussi à leur propre forme de totalitarisme. L’approche de Douguine est théologique: la vie moderne est une hérésie existentielle, à laquelle il oppose la liturgie, la hiérarchie et la transcendance.
Bien que le système de Douguine soit imparfait, contradictoire et sujet à des interprétations autoritaires, il offre une alternative à ceux qui rejettent le libéralisme. Sa philosophie ne vise pas tant à résoudre des problèmes politiques qu’à remettre en cause tout le fondement du système actuel. Cette approche reflète la mutation du paradigme mondial de notre époque et l’aspiration à un ordre qui brûle en son cœur.
17:23 Publié dans Actualité, Nouvelle Droite, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, nouvelle droite, nouvelle droite russe, philosophie, béhémoth, léviathan, alexandre douguine | |
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